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Full text of "Dictionnaire de théologie catholique: contenant l'exposé des doctrines de la ..."

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DICTIONNAIRE '^ ' 

DE 

JBÉOLOGIE CATHOLIQUI 

CONTENANT 

L'EXPOSÉ DES DOCTRk-LS DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE 
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE 

COftlHBMcA SOUS LA DIRBCTION DK 

A. VACANT 

DOCTIOR BN THÉOLOGIE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY 
COMTIKUB tous CBLLB DB 

E. MANGENOT 

PHOFESSBOR A L INSTITUT CATHOLIQUI DS PARIS 

AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS 



Fascicule XXVI. Dabillon — Démocratie 



PARIS 



1 






LETOUZEY ET ÀNÉ, ÉDITEURS 


m 

1. 






76^^ Rue des Saints -Pères (VIP) 


•• 






1908 


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TOUS DROITS Rh^SBRVBS 


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Imprimatur 

Pariflils, die 10 Junii 1908. 

f Leo-âdolphus 

Archiep. Parisiensis. 



LISTE DES COLLABORATEURS DU VINGT-SIXIÈME FASCICULE 



MM. 

Bareille, ancien professeur de patrologie à l'Institut 

catholique de Toulouse. 
BERNiLRD, à Paris. 
Bigot, curé de Remenauville-en-Haye (Meupthe-et- 

Moselle). 
Brugker, rédacteur aux Études, à Paris. 
Glerval, professeur d'histoire ecclésiastique à llnsti- 

tut catholique de Paris. 
C0NSTA.NTIN, aumônier du lycée de Nancy. 
GouLON (le R. P.), des Frères-Précheurs, à Rome. . 
Dauphiîî, à Paris. 
DuBLANCHY (le R. P.) de la Société de Marie, professeur 

au scolasticat de DilTert-Messancy (Belgique). 
EDOUARD d'Âlençon (le R. P.), des Frères Mineurs Gapu-. 

cins, archiviste de TOrdre, à Rome. 
FoROET, professeur de théologie à TUniversité de Lou- 

vain (Belgique). 
FouRNERET, professeur de droit canonique à llnstitut 

catholique de Paris. 
Heurtebize (le R. P.), bénédictin de Solesmes, à Ryde 

(Ile de Wight). 
Ingold, à Golmar (Alsace). 
Largent, ancien professeur d'histoire ecclésistique à 

l'Institut catholique de Paris. 



MM. 

MouREAUf professeur de théologie aux Facultés catho- 
liques de Lille. 

Oblet, curé de la paroisse Saint-Georges, à Nancy. 

Ortolan, (le R. P), des Oblats de Marie-Im maculée, à 
Rome. 

Palmieri (le R. P.), religieux augustin, à Gracovie. 

Petit (le R. P.), des Âugustins de l'Assomption, supé- 
rieur de la maison de Kadi-Keui, à Gonstantinople. 

Pétridès, (le R. P.) des Âugustins de l'Assomption, à la 
maison de Kadi-Keui, à Gonstantinople. 

ScHWALM (le R. P.), des Fréres-Prôcheurs, à Nice. 

Servais (le R. P.), carme déchaussé, au couvent de 
Jambes-lès-Namur (Belgique). 

Servière (le R. P. de la), de la Gompagnie de Jésus, 
professeur d'histoire ecclésiastique au scolasticat 4e 
Hastings (Angleterre). 

Vailhé (le R. P.), des Âugustins de l'Assomption, rédac- 
teur des Échos (VOrient, à Gonstantinople. 

Valton, ancien professeur au grand séminaire île 

Langres, à Paris. 
YiLLiEN, professenr de droit canonique à l'Institut 

catholique de Paris. 



CONDITIONS ET MODE DE PUBLICATION 



Le Dictionnaire de Théologie catholique paraît par fascicoles de 160 pa^^s (820 colonnes) 
représentant la valeur de 8 vol. In- 12 de 300 pages. — Une gravure hors texte tient 
lieu de 16 pages de texte. 

Le prix de chaque fascicule, rendu fk*anoo, est de 6 fk*. net payahles après la réception 
de chaque fascicule. 

Les fascicules ne se vendent pas séparément et ne sont fournis qu*aux souscripteurs 
à l'ouvrage complet. 



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DICTIONNAIRE 



DE 



THÉOLOGIE CATHOLIQUE 



TOME QUATRIÈME 
DABILLON-EMSER 



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Imprimatur 
Parisiis, die 27 mensis Decembris 1910. 



t Léo. ADOLPHUS, 
Arch. Parisiens. 



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DICTIONNAIRE 



DE 



THÉOLOGIE CATHOLIQUE 

CONTENANT 

L'EXPOSÉ DES DOCTRINES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE 
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE 

COMMBMCB SOUS LA DIBBCTIOlf DB 

A. VACANT 

nOCTEUK BN THÉOLOGIE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY 
rONTDîUB SOUS CBLLB DB 

E. MANGEXOT 

PHonssBCR A l'institut CATROLIQDI D( rARIS 

AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS 



TOME QUATRIÈME 

DABILLON-EMSER 



PARIS 

LETOUZEY ET ANÉ, ÉDITEURS 
76"% Rue des Saints -Pères (VIP) 

1911 

TOUS DROITS RÉSERVÉS 

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Harvard Unîvers'ly* 
Divinity School Ubrary. 



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MB 



LISTE DES COLLABORATEURS 



DU TOME QUATRIÈME 



MM. 

Antoine, au Mans (Sarthe). 

ÂUTORE (le R. P. dom), chartreux, à la Chartreuse de 
Florence (Italie). 

Bareille, ancien professeur dé patrologie à rinstitut 
catholique de Toulouse. 

Bbward, à Paris. 

Bigot, curé de Remenauville-en-IFaye (Meurthe-et- 
Moselle). 

Brucker, rédacteur aux Études^ à Paris. 

Chébli (Sa Béatitude M^'), archevêque de Beyrouth, à 
Beyrouth. 

Chossat (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, profes- 
seur de théologie au scolasticat d*Ore Place (Angleterre). 

Chollet (Sa Grandeur Msr), ancien professeur de 
morale aux Facultés canoniques de Lille, évéque de 
Verdun. 

Clamer, professeur d'Écriture sainte au grand sémi- 
naire de Nancy, à Bosserville (Meurthe-et-Moselle). 

Clerval, professeur d'histoire ecclésiastique à Tlnstitut 
catholique de Paris. 

Constantin, aumônier du lycée de Nanem. 

CoULON (le R. P.), des Frères Prêcheurs, professeur à 
VAngelicum, à Rome. 

Dauphin, à Paris. 

Deboye, professeur à la Faculté libre des lettres de Lille. 

DuBLANCHY (le R. P.), de la Société de Marie, professeur 
de théologie au scolasticat de Differt (Belgique), puis 
au noviciat de Moncalieri (Italie). 

Edouard d*Alençon (le R. P.), des Frères Mineurs 
Capucins, archiviste de Tordre à Rome. 

FoNSEGRivE, professeur de philosophie au lycée BufTon, 
à Paris. 

FoRGET, professeur de théologie à l'Université de Lou- 
vain (Belgique). 

FouRNERET, professeur de droit canonique à l'Institut 
catholique, et vice-ofRcial de Tarchidiocèse de Paris. 



MM. 
Gardeil (le R. P.), des Frères Prêcheurs, régent du 
Collège théologique de Kain (Belgique). 

Gastoué, à Paris. 

Gaudel, vicaire à la paroisse Saint-Nicolas de Nancy. 

Godet, à Rosnay (Vendée). 

Heurtkbize (le R. P. dom), bénédictin de Solesmes, à 
Ryde (Ile de Wight). 

Humbert, à Paris. 

Ingold, à Colmar (Alsace). 

Largent, professeur honoraire à l'Institut catholique 
de Paris. 

Le Bachelet (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, pro- 
fesseur de théologie au scolasticat d'Ore Place, 
(Angleterre). 

Levesque, professeur d'Écriture sainte au grand sémi- 
naire de Paris. 

Merlin (leR. P.), religieux augnstin, à Gand (Belgique). 

Michel, professeur de théologie aux Facultés canoniques 
de Lille. 

MoiSANT, à Paris. 

Moureau, professeur de théologie aux Facultés cano- 
niques de Lille. 

Nau, professeur à l'Institut catholique de Paris. 

Oblet, curé de la paroisse Saint-Georges, puis supérieur 
du grand séminaire de Nancy, à Bosserville (Meurthe- 
et-Moselle). 

Ortolan, à Rome, puis à Paris. 

Palmieri (le R. P.), religieux augustin, à Cracovie, puis 
à Rome. 

Petit (le R. P.), des Augustins de l'Assomption, supé- 
rieur de la maison de Kadi-Keui à Constantinople. 

Pétridès (le R. P.), des Augustins de l'Assomption, 
à la maison de Kadi-Keui, à Constantinople. 

Quilliet, professeur de théologie aux Facultés cano- 
niques de Lille. 



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VIII 



LISTE DES COLLABORATEURS 



MM. 

Raymond (le R. P.)* des Frères Mineurs Capacins, pro- 
fesseur de théologie au scolasticat de Kadi-Keui, à 
Constantinople. 

Roland, vicaire à la paroisse Saint-Géraud d'Aurillac 
(Cantal). 

Sala VILLE (le R. P.), des Augustins de l'Assomption, à 
la maison de Kadi-Keui, à Constantinople. 

SCHWALM (le R. P.), des Frères Prêcheurs, à Nice (f le 
7 novembre 1908). 

Servais (le R. P.), carme déchaussé, au couvent de 
Jambes-lès-Namur (Belgique). 

Serviëre (le R. P. de la), de la Compagnie de Jésus, 
professeur d'histoire ecclésiastique, au scolasticat 
d'Ore Place (Angleterre). 



MM. 

Vacandard, premier aumônier du lycée Corneille, à 
Rouen. 

Vailhé (le R. P.), des Augustins de TAssomption, 
rédacteur aux £cAos d*Orient,k Constantinople. 

Valton, ancien professeur au grand séminaire de 
Langres, à Paris, puisa Tepeapulco (Mexique). 

Vernet, professeur d'histoire ecclésiastique i l'Institut 
catholique de Lyon et au grand séminaire de Saint- 
Paul-Trois-Chàteaux (Drôme). 

Verscuaffel, à Paris. 

YiLLiEN, professeur de droit canonique à l'Institut catho- 
lique de Paris. 



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DICTIONNAIRE 



DE 



THÉOLOGIE CATHOLIQUE 



D 



DABILLON ou D'ABILLON André fut quelque 
temps jésuite, subit riniluence du visionnaire Jean La- 
badie, sortit avec lui de la Compagnie de Jésus (1639) et 
raccompagna dans ses missions en Picardie, mais ne le 
suivit pas dans ses erreurs et son apostasie. Fait grand- 
vicaire par Mgr de Caumartin, évoque d'Amiens, Dabillon 
accepta ensuite la cure de Magné, près Niort; il mourut 
à Magné vers 1661. 11 a publié : La divinité défendue 
contre les aUiées, in-8®, Paris, 46il. Il a aussi prétendu 
rendre la philosophie plus accessible et en même temps 
plus solide, dans son Nouveau cours de philosophie en 
français, divisé en 4 parties contenant la logique, 
métaphysique, physique et morale, suivant la doctrine 
des plus célèbres autheurs, 4 in-8», Paris, 1643. Le 
titre courant des volumes porte : La philosophie des 
bons esprits. Il a fait paraître à part : La métaphysique 
des bons esprits, ou Vidée d'une métaphysique fami- 
lière et solide, in-8», Paris, 16i2; La morale des bons 
esprits, ou Vidée et abrégé d'une morale familière et 
solide, in-8», Paris, 1613. V « auteur célèbre » que Da- 
billon déclare suivre de préférence est Ockam, le chef 
de recelé nominaliste. On a encore de lui : Le concile 
de la grâce, ou Réflexions théologiques sur le second 
concile d^Orange, et le parfait accord de ses décisions 
avec celles du concile de Trente, in-4«, Paris, 1645. 

Xicéron, Mémoires pour servir à Vhistoire des hommes 
illustres dans la République des lettres, L xx; Dictionnaire 
de Moréri, Paris, 1750, L iv. 

Jos. BRUCKER. 

DADIKÈSy polémiste grec du xviii» siècle. On en a 
fait un comte d'origine Cretoise; il appartenait plutôt à 
la famille dalmate des Dadich. En 1770, il composa à 
Venise un ouvrage de controverse intitulé : Ilepl twv 
xévTC ôtx9op<ûv Tr,; àvaToXixf); xal ôuttxfiç èxxXyjfftaç. Les 
cinq points discutés par l'auteur sont la primauté du 
pape, la procession du Saint-Esprit, les azymes, le pur- 
gatoire et la béatitude des saints. Son livre est resté 
inédit. 

A. a Demetrakopoulûs, *0f tô^^^o; 'F^Xàç. p. 188. 

S. Pétridès. 

DAELMAN Chaplee-OhUlain, théologien belge, né 
à Mons en 1670. Après de brillantes humanités, il vint 
étudier la philosophie et la théologie à l'université de 
Louvain, où ses succès le firent vile remarquer. Il y 
fut proclamé successivement docteur, « docteur-régent » 

DICT. DE THÉOL. CikTHOL. 



et professeur ordinaire à la faculté de théologie, et pré- 
sident du collège Adrien VI, dit Collège du pape. Il fut 
en outre chanoine de Saint-Pierre en la même ville et 
chanoine de Sainte-Gerirude à Nivelles, 11 mourut à 
Louvain le 21 décembre 1731, après avoir été plusieurs 
fois recteur de l'université. La charge rectorale était 
alors non une charge à vie, mais une charge simple- 
ment semestrielle, le titulaire pouvant du reste être 
réélu. Ce détail historique a sûrement échappé aux au- 
teurs qui, énumérant les fonctions et les honneurs 
auxquels Daelman s'éleva par son talent, concluent en 
disant qu'il a devint finalement recteur de l'université ». 
Si nous en croyons son épitaphe, d'ailleurs très élo- 
gieuse, qui se voit encore dans la chapelle de Sainl- 
Charles-Borromée en l'église primaire de Saint-Pierre, 
il avait été nommé aux sièges épiscopaux de Namur, 
de Gand et de Tournai, et, trois fois, il avait eu la mo- 
destie de refuser. La même inscription rapporte sa 
mort à l'année et au jour marqués ci-dessus; c'est donc 
à tort que certains articles biographiques indiquent la 
date de 1730 et que le 31 décembre a été substitué 
au 21. 

Daelman jouissait, en son temps et dans son milieu, 
d*une considération peu commune. Il la devait à la ré- 
gularité exemplaire de sa vie, à son caractère aimable 
et à son entente des affaires autant qu'à l'ardeur et à 
la facilité de son activité scientifique. A celle-ci il jol->« 
gnait volontiers les pratiques du zèle sacerdotal, et l'on 
a noté qu'il aimait à diriger les études des fils de fa- 
mille se préparant à recevoir les saints ordres. On a de 
lui un cours de théologie, qui a pour base .et qui suit 
l'ordre de la Somme de saint Thomas, sans se trans- 
former jamais en commentaire perpétuel, mais en s'at- 
tachant plutôt à bien mettre en lumière les thèses et 
les difficultés principales. Cette œuvre se recommande 
par la lucidité de l'exposition, ainsi que par la solidité 
de la doctrine et par une sage défiance à l'endroit des 
erreurs jansénistes et quesnellistes. Malgré ses mérites, 
elle ne fut publiée qu'après la mort de l'auteur, par les 
soins réunis du baron De Raet Vander Voort et de l'im- 
primeur anversois Jacques-Bernard Jourel. Sous le lilre 
de Theologia seu obsei^ationes theologicsn in Summam 
D. Thomœ, elle parut simultanément en deux éditions 
dont l'une comprenant 2 in-fol., Anvers, 1735-1737, et 
l'autre, 9 in-8», Anvers, 1734-1737. A côté de ce grand 



IV. -1 

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DAELMAN — DAILLÉ 



ouvrage, il est telle notice qui en attribue à Daelman 
deux autres, à savoir un « traité recherché » De acti- 
bus humanis et des Thèses sur le système de la grâce 
en réponse à Jean Opstraet, « Louvain, 1706. » Mais le 
De aclibus humanis est certainement celui qui fait 
partie intégrante de la Theologia, où il occupe sa place 
naturelle suivant le plan connu du Docteur angélique; 
et les Thèses sur le système de la grâce semblent bien 
être aussi les Thèses et les Qusestiones qui figurent dans 
le même ensemble, en guise d'appendice complémen- 
taire au traité De gratia. Aux diverses parties de la 
Theologia les éditeurs ont joint des Discours de circon- 
stance, que Daelman a prononcés pour la plupart à 
l'occasion de promotions théologiques. Dans ces haran- 
gues officielles et solennelles, l'orateur quitte parfois, 
bien que rarement, le domaine de la théologie pour 
celui de l'histoire, et l'on sent facilement qu'il est alors 
moins à l'aise et moins informé que sur son terrain 
habituel; il y parle du reste un latin qui vise manifes- 
tement à s'élever au-dessus du latin théologique ordi- 
naire, mais dont Télégance n'est pas toujours égale à 
elle-même. 

De Ram, De laudibua quibus veteres Lovaniensium theologi 
efferrt possunt, Louvain, 1848 ; De Smet, art. Daelman, dans 
la Biographie nationale publiée par V Académie royale de 
Belgique, Bruxelles, 1873, t. iv i>;Piron, Algemeene levens- 
beschryving der mannen en vrouwen van Belgie, MaX'mes, 
1860. 

J. FORGET. 

DAGN Placide, bénédictin, né à Sœll le 7 juillet 
1745, mort le 2 août 1817, appartenait à l'abbaye de 
Fiecht en Tyrol, y enseigna la théologie et y remplit les 
fonctions de prieur. On a de lui : Godescalcus ah errore 
prsedestinatorum vindicatus, in-8», Inspruck, 1777; 
Paraphra^is vaticinii Jacohœi de perennitate scep- 
tri Juda, cum assertionibus ex universa theologia 
dogmatica publiée propugnandis in ascelerio bene- 
dictino Georgimonlano, in-8", Inspruck, 1783. 

Hurler, Nomenclator,iBIS5^ t. ui, col. 593; Scriptores ord. 
S. Benedicti qui i750'i880 fuerunt in imperio AustHaco- 
Hungarico, ln-4', Vienne, 1881, p. 54. 

B. Heurtebize. 
DAGUERRE Jean, théologien français, né à Lar- 
resorre en 1709, mort le 25 février 1785. Malgré la pau- 
vreté de ses parents, il alla étudier la théologie à Bor- 
deaux sous le Père Chourio, jésuite. Revenu dans son 
pays, il fut vicaire à Anglel, puis à Bayonne. Il prêcha 
avec succès des missions dans le diocèse et entreprit d'y 
établir un séminaire. Il réussit dans cette œuvre diffi- 
cile et le séminaire de Larresorre fut terminé en 1733; 
il en fut le directeur jusqu'à sa mort. Il fonda en outre 
à Hasparren un monastère de femmes auquel il donna 
en les modifiant légèrement les règles des religieuses 
de la Visitation. Il publia : Abrégé des principes de 
morale et des règles de conduite qu'un prêtre doit sui- 
vre pour bien administrer les sacrements, in-12, Poi- 
tiers, 1773. D'autres éditions de cet ouvrage parurent 
en 1819 et 1823 complétées et revues par M. l'abbé Lam- 
bert, vicaire général de Poitiers. 

Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pen- 
dant le xvni' siècle, 3' édit.. 1855, t. v, p. 471. 

B. Heurtebize. 

DAILLÉ Jean, DALLAEUS, prédicateur et théolo- 
gien calviniste, naquit à Châtellerault le 6 janvier 1594. 
Après avoir fait ses études à Saint-Maixent, Poitiers, 
Châtellerault, Saumur, il fut choisi par Duplessis- 
Mornay pour précepteur de ses deux petits-fils, et fit 
en leur compagnie de nombreux voyages à l'étranger; 
il se lia d'amitié à Venise avec Fra Paolo Sarpi et 
Asselineau. Rentré en France en 1621, il se fit recevoir 
ministre, fut choisi en 1626 par le consistoire de Paris 
pour pasteur de l'église de Charenlon. Il occupa ce 
poste pendant quarante-quatre ans, célèbre par ses 



prédications et ses ouvrages de controverse contre les 
docteurs catholiques. Il fut modérateur au synode na- 
tional de Loudun (1659), le dernier que les Réformés 
aient tenu avec la permission du roi. En cette qualité, 
il reçut communication de l'interdiction que Louis XIV 
faisait aux Réformés de tenir désormais des synodes 
nationaux, et s'efforça en vain de faire rapporter cette 
décision. Il mourut à Paris, le 15 avril 1670. 

Daillé eut, de son temps, une véritable réputation 
d'orateur et de théologien ; Balzac l'estimait « un grand 
docteur » ; d'après Patin « ceux de la Religion disaien 
que, depuis Calvin, ils n'avaient pas eu de meilleun 
plume que M. Daillé. n Bossuet avait fait vingt-deu 
pages d'extraits de ses ouvrages en vue de les réfutai 
Comme théologien, son attitude par rapport à l'autc 
rite des saints Pères est remarquable. Dès ses prc 
mières publications, il lui consacre un traité spécia 
destiné à prouver « que les Pères ne peuvent esti 
juges des controverses aujourd'hui agitées entre cei 
de l'Église romaine et les protestants : 1» parce qu 
est, sinon impossible, au moins très difficile, desçavc 
nettement et précisément quel a esté leur sentime 
sur icelles; 2« parce que leur sentiment (posé qv 
fust certainement et clairement entendu) n'estant j 
infaillible, ni hors de danger d'erreur, il ne peut av 
une autorité capable de satisfaire l'entendement, ( 
ne peut ni ne doit croire en matière de religion ( 
ce qu'il sçait estre assurément véritable. » Traité 
remploi, préface. Il reconnaît cependant qu'on ( 
respecter et étudier les ouvrages des saints Pè 
« argumentant de ce que nous y trouverons négat 
ment plutôt que positivement. » Cette thèse fut attac 
non seulement par les controversistes calholiq 
mais par les anglicans Pearson, Beveridge, Cave, \ 
ton. Cf. Rébelliau, Bossuet historien, p. 50. Dai 
revint dans son livre La foy fondée sur les saii 
Écritures, où il prétend prouver que tous les do| 
chrétiens sont explicitement contenus dans la I 
ou du moins peuvent se déduire logiquement des 
trines scripturaires. Dans ses dernières années 
traîné par le mouvement d'études patristiques qi 
anglicans avait passé aux calvinistes français, 
connut « que les Pères peuvent être ouïs, non a 
juges, mais comme témoins de la tradition de l' 
de leur temps, et que les écrivains des trois prc 
siècles sont la première et principale partie de 
enqueste ». Réplique aux deux livres, c. ii. Kt 
sacre plusieurs ouvrages importants à prouver c 
dogmes et les pratiques romaines furent incoi 
l'Église des trois premiers siècles, ou même p< 
ment réprouvés par elle. Cf. Réplique auœ deux 
c. \-xxxvii, et les ouvrages indiqués ci-desso\ 
belliau, Bossuet historien, p. 52. 

Il n'existe pas d'édition des œuvres compl 
Daillé. Ses principaux traités sont : Traité de l 
des saints Pères pour le jugement des diffère 
sont aujourd'hui en la religion, Genève, i6ï 
latine, Genève, 1636, 1655, 1686; Londres, 167 
logie pour les Églises réformées où est proux^e 
cessité de leur séparation d'avec l'Église r 
Charenton, 1633, 1641 ; Irad. anglaise, 1653; Ira 
Amsterdam, 1652; Genève, 1677; La foy fonde 
saine tes Éanlures, Charenton, 1634, 1661 ; Ira 
Genève, 1660, 1677; De la créance des Itères s 
des imccges, Genève, 1641; trad. latine, 1642; 
et satisfactionibus humanis, Amsterdam, 164 
juniis et quadragesima, Deventer, 1654, 165 
tatio de 2 Lalinorum ex unctione scLcrctmenl 
matione et exlrema unctione, Genève, 1659 ; l 
de sacramentali sive aurictdari L,atino^^i^ 
sione, Genève, 1661; Réplique da Jeatx JC 
deux livresque Messieurs Adam et Cotliby c 
contre lui, Genève, 1662; Adversus Lalinorx4,Tï 



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DAILLE — DAM 



6 



religiosi objecta iradilionem, Genève, 4664; Exposition 
de Vinstitution de la saincte cène, Genève, 1664; De 
cultibus religiosis Latinorum, Genève, 1671. Vingt vo- 
lâmes de sermons furent imprimés en divers lieux, de 
1644 à 1670. 

Bayle, Dictionnaire, art. Baillé; [Â. Daillé], Les detix der- 
niers sermons de M. Daillé, prononcez à Charenton le jour 
de PasqueSy sixième avril 1670, et le jeudy suivant, avec un 
abrégé de sa vie et le catalogue de ses Œuvres, Charenton, 
1670; Haag, La France protestante, t. iv, p. 180 sq.; Rébelliau, 
BoÊSuet historien du protestantisme, Paris, 1892; Recolin, 
Daillé, dans V Encyclopédie des sciences religieuses ; Vinet, 
Histoire de la prédication réformée au xvir siècle, Paris, 1860, 
p. 182 sq.; Kirchenlescikon, t. v, col. 13il-1342; Realencyclo- 
padie, t. nr, p. 427-428. 

J. DE LA SeRVIÈRE. 

DAINEFF, DAINEFFE Grégoire, né à Liège, doc- 
teur en théologie de Tordre des ermites de Saint- 
Augustin, enseigna dans Tabbaye de Saint-Hubert. Il 
vécut dans la première moitié du xvii* siècle. On a de 
lui : Epilome histoHctrum vitœ monasticœ sancti 
Augustini, imprimé avec un ouvrage de Jean Gonzalez 
de Crltana : De institutione et antiquilate familiœ 
S. Augustini, Anvers, 1612. Il composa également : Tra- 
ctatus de triplici mundo, divino, angelico et humano; 
la I" partie de ce traité De mundo divino a seule été 
publiée, in-fol., Liège, 1639. 

VaJére André, Bibliotheca Belgica, in-8% Louvain, 1643, 
p. 299; Hurter, Nomenclator, 3* édit., 1907, t. m, col. 633. 

B. Heurtebize. 

D ALBIN Jean, théologien français, né à Toulouse 
vers 1590, fut archidiacre de la cathédrale de cette ville. 
Controversiste, il a publié : Discours et avertissenienls 
salutaires au simple et très chrétien peuple de France 
pour connaître les bons et fidèles évangélisateurs des 
faux pt*ophètes par une conférence des Écritures sain- 
tes et anciens docteurs faite avec les ministres de 
Vévangélique réformation touchant le fait et la voca- 
tion légitime, in-8», Paris, 1566; Six livres du sacre- 
ment de Vautel promue peu* des textes d* Écriture sainte, 
autorité des anciens docteurs et propres témoignages 
des adversaires de V Église catholique, in-S», Paris, 
1566; Opuscules spirituels, in-8«, Paris, 1567; La mat*- 
que de VÉglise, in-8», Paris, 1568. 

B. Heurtebize. 

DALQAIRNS John Dobrée naquit dans Pile de 
Gnernescy le 21 octobre 1818, ût ses études à Oxford, 
où il fut reçu maître es arts, et devint' scholar au col- 
lège d'Exéter. Entré dans le mouvement anglo-catho- 
lique d'Oxford, il publia dans V Univers une lettre, 
datée du dimanche de la Passion 1841, sur les partis 
de rÉglise anglicane. Elle est reproduite dans le Dic- 
tionnaire des conversions de Migne, Paris, 1852, col. 443- 
448. Il collabora à la traduction anglaise de la Catena 
aurea de saint Thomas sur les Évangiles, qui parut avec 
une préface de Newman, 4 vol., Oxford, 1841-1845. 
Bientôt après, il se joignit à Newman et se retira auprès 
de lai à Littlemore. Il collabora à sa collection des 
Lives of the English Saints, et y publia une vie de 
saint Etienne Uarding, Londres, 1844, qui eut plusieurs 
éditions, et qui fut traduite en français. Tours, 1848, et 
en allemand, Mayence, 1865, et celles des saints Hélier, 
Gilbert, Aelred. Il écrivit dans le Btntish Critic des ar- 
ticles sur Dante, les jésuites et l'histoire de la Vendée. Le 
29 septembre 1845, il abjura Tanglicanisme à Aston-Hall 
entre les mains du P. Dominique, passioniste italien; 
il précédait Newman de quelques jours. En 1845, il 
était à Langres pour se préparer au sacerdoce auprès 
de Tabbé Jovain ; il y fut ordonné prêtre en 1846 et 
rejoignit Newman à Rome. Il entra avec lui à TOratoire 
de saint Philippe de Néri, et fut un des premiers membres 
de la congrégation oratorienne d'Angleterre constituée 
en 1847. Il avait pris en religion le nom de Bernard. 
A partir da mois de mai 1849, il demeura à la maison de 



Londres, employé au saint ministère et à la prédication, 
sauf un séjour de trois ans à Birmingham (octobre 
1853 à octobre 1856), jusqu'à sa mort, le 8 avril 1876. Il 
en avait été le supérieur de 1863 à 1865. Il publia beau- 
coup d'articles dans la Dublin Review , entre autres, The 
German Mystics of the fourteenth century, 1858, qui 
fut publié à part, et dans la Contempomry Review, 
1874, t. XXIV, p. 321 sq., un essai : The Personality of 
God. Les deux écrits, tout remplis d'onction, qui l'ont 
rendu célèbre, sont : 1» The dévotion to the Sacred 
Heart of Jésus, avec une introduction sur l'histoire du 
jansénisme, in-8o, Londres, 1853; 2« Thelioly Commu- 
nion, ils philosophy, theology and praclice, in-12, 
Dublin, 1861, dont une traduction allemande a paru à 
Mayence, en 1862, et la version française par l'abbé 
Godard, forme 2 in-12, Paris, 1863, sous le titre : La 
sainte communion. 

Dictionnaire des conversions de Migne, Paris, 4852, col. 442- 
448, 977-979; Kirchenlexlkon, t. ii, col. 340-3M ; The dictionary 
of national biography, Londres, 4888, t. xiu, p. 388-389; 
J. Gillow, A bibliographical dictionary of the English catho- 
lics from the breach with Rome in i534 to the présent time, 
Londres, 1885-1902, t. ii. 

E. Mangenot. 

DAM. — I. Définition. II. Preuves. III. Gravité. 
IV. Durée. V. Inégalités de la peine du dam en enfer. 
VI. La peine du dam en purgatoire. VII. Dans les 
limbes. VIII. Sur la croix, Noire-Seigneur a-t-il souf- 
fert la peine du dam ? 

I. DÉFINITION. — Le mot dam, du latin damnum, 
perte, dommage, et, par suite, peine, souffrance, 
signifie, dans le langage théologique, la peine essentielle 
et principale due au péché. 

La peine du dam se distingue de la peine du sens, 
et cela, dit saint Thomas, de trois manières diffé- 
rentes, selon que l'on considère Dieu qui l'inflige, ou 
le pécheur qui la subit, ou, enfin, la faute dont elle est 
le châtiment. 

lo Si Von considère Dieu qui l'inflige, la peine du 
dam embrasse toute peine dont Dieu est l'auteur par le 
simple retrait qu'il fait de sa présence et de ses bien- 
faits, tandis que la peine du sens est l'effet d'une action 
affiictivc et positive de Dieu. Ainsi, par exemple, la pri- 
vation de la grâce sanctifiante et des dons surnaturels 
qui l'accompagnent, se ramène à la peine du dam envi- 
sagée sous ce premier rapport. Hujus pœnœ Deus causa 
est, non quidem agendo aliquid, sed potius non agendo, 
Pœna vero sensus est qum per aliquam actionem infli- 
gitur, et hujus , etiam agendo, Deus est auctor. Cf. S. 
Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. m, a. 1. 

2« Par rapport au pécheur qui la subit, la peine du 
dam est toute peine consistant formellement en une 
privation, que cette privation soit accompagnée de souf- 
france, ou non ; car il n'est pas de l'essence de la peine 
en général de causer toujours la douleur. Pour que la 
notion de peine soit réalisée, il suffit d'une opposition 
à la volonté que les théologiens appellent habituelle, 
comme serait, par exemple, la peine provenant de la 
privation d'un bien dont on souffrirait, si on la con- 
naissait, tandis qu'on n'en souffre point, parce que, de 
fait, on ne la connaît pas, ou on ne s'en aperçoit pas. 
Cf. S. Thomas, Quœst. disp., De malo, q. i, a. 5, 6; q. v, 
a. 3, ad 3"*°. Telle est la peine du dam pour les enfants 
morts sans baptême, ou pour les adultes, qui, au mo^ 
ment de la mort, n'auraient aucune faute grave, en 
dehors du péché originel. La privation éternelle de la 
vision béatifique est assurément un très grand malheur 
pour eux; mais ils n'en souffrent pas positivement, car 
l'absence de la justice originelle ne les prédisposait 
pas à cette vision béatifique qui dépasse infiniment les 
forces et les exigences de la nature humaine. En outre, 
ils ignorent qu'ils étaient surnaturellement destinés à 
la possession de Dieu, cette vérité étant l'objet de la 



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DAM 



révélation, et cette connaissance venant à l'homme 
uniquement par la foi qu'ils n'ont jamais eue. 
Cf. S. Thomas, De malo, q. v, a. 1, ad S»"»; a. 2, 3; 
S. Anselme, De conceptu virginali, c. xxvii, P. L., 
t. CLViii, col. 461. La peine du sens, au contraire, par 
rapport au pécheur qui la subit, consiste en une dou- 
leur ou torture positive. Pour ce motif, et vu l'extrême 
souffrance qu'elle cause, la peine du dam peut se rame- 
ner à celle du sens chez les damnés, qui, à la faute 
originelle, ont ajouté des péchés personnels. Ils savent 
en effet que, surnaturellement destinés à la gloire 
céleste, ils s'en sont eux-mêmes volontairement et 
défmitlvement exclus par une faute grave de leur part. 
Pour eux la peine du dam est plus terrible même que 
la peine du feu éternel. Néanmoins le supplice épou- 
vantable dont ils souffrent par la seule privation de la 
vision béatifique, est communément appelé peine du 
dam, parce qu'il est alors comme la conséquence natu- 
relle de l'éloignement de Dieu. Cf. S. Thomas," De 
malo, q. v, a. 2; Salmanticenses, Cursus theologicus, 
tr. XIII, De vitiis et peccatis, disp. XVIII, dub. i, § 1, 
n. 4-7, 21 in-8o, Paris, 1876-1883, t. viii, p. 397-400; 
Lessius, De perfeciionihus morihusque dwinis,\. XIII, 
De justitia et ira Dei, c. xxix, n. 203, in-8«, Paris, 1881, 
p. 503; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. v, n. 41, Opéra 
omnia, 28 in-4«, Paris, 1856-1878, t. ii, p. 976; Billot, 
Disguisitio de natura et ratione peccati personalis, 
sive introduclio ad tractatum de pmnitenlia, part. I, 
en, q. Lxxxvii, n. 4, in-8», Rome, 1897, p. 76. 

3» Enfin, si l'on considère la faute dont elle est le 
châtiment, la peine du dam est celle qui correspond à 
la faute, en tant que par elle le pécheur se détourne de 
Dieu, souverain bien ; par suite, la peine du dam est 
infinie, puisqu'elle est la perte irrémédiable de Dieu 
qui est le bien infini. La peine du sens correspond à 
la faute, en tant que par elle le pécheur se tourne 
vers la créature, pour mettre en elle sa fin dernière, 
et en jouir en dehors de l'ordre, ou plutôt contraire- 
ment à l'ordre fixé par la loi éternelle. Cf. S. Augustin, 
Contra Faustam, 1. XXII, c. xxviii, P. L., t. xlii, 
col. 419; S. Thomas, Sum. theoL, II* II», q. xx, a. 3; 
q. xxxiv, a. 1 ; Salmanticenses, op. cit., tr. XIII, De 
vitiis et peccatis, disp. XVII, dub. iv, § 1-3, n. 90-108, 
t. vm, p. 389-397; Suarez, loc. cit., c. iv, n. 4, t. ii, 
p. 973. La peine du sens, correspondant à la conver- 
sion désordonnée du pécheur vers la créature qui est 
finie, est elle-même finie, quelque terrible qu'elle 
paraisse. Cf. S.Thomas, Sum, theol., I«II», q. lxxxvii, 
a. 4; III» Suppl., q. xcix, a. 1. 

Prise dans la signification spéciale qu'on lui donne 
communément, la peine du dam indique donc le dam- 
num par excellence, ou le dommage le plus grand que 
l'homme puisse subir, c'est-à-dire l'exclusion définitive 
de la vie éternelle, la perte irrémédiable de la béati- 
tude suprême, la privation de la vision béatifique et de 
la possession de Dieu, la mors secunda, dont parle 
l'Apocalypse, xxi, 8, cette mort éternelle que la mort 
elle-même ne peut finir, comme s'expriment saint Au- 
gustin, De civitateDei, 1. XIX, c. xxviii, P. L., t. xu, 
col. 656, et saint Grégoire le Grand, Moral., 1. IX, 
c. Lxvi, P, L., t. Lxxv, col. 915. Par suite, chez les 
adultes, damnés pour des péchés personnels, la peine 
du dam indique aussi le supplice le plus épouvantable 
que la créature puisse endurer. C'est dans cette peine 
du dam que consiste essentiellement l'enfer, toutes les 
autres peines n'étant, par rapport à elle, que comme 
des accidents qui en découlent. Cf. Pesch, Prœlectiones 
dogmalioB, De novissimis, part. I, sect. iv, a. 3, n. 643, 
9 in-8*», Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. ix, p. 317. 

II. Preuves. — La peine du dam est nettement 
indiquée par les paroles que prononcera le souverain 
juge au jour du jugement dernier : Discedite a me 
maledicli, in ignem œtemum, Matth., xxv, 41. Si la 



seconde partie de la sentence, in ignem /ctcn 
fait connaître la peine du sens réservée aux ma 
pour toute l'éternité, la première partie, disced 
me, maledicli, ne révèle pas moin s clairement la i 
du dam qui leur sera infligée : séparation éternel 
Dieu qui, en les maudissant, les repousse à j: 
loin de sa présence, et leur dit le terrible Nescii 
Luc, xiii, 27; Matth., vu, 23; xxv, 12; I Cor., vi, 

Ailleurs, la peine du dam est précisée plus er 
Jésus-Christ annonce que les maudits seront r 
dans les ténèbres extérieures, ejicientur in ten 
exteriores. Matth., viii, 12; xxii, 13; xxv, 30. Les 
menlateurs font remarquer que, très souvent, la béa 
du royaume céleste est représentée, dans TÉci 
sous la figure d'un grand festin donné par le r 
le père de famille, non au milieu du jour, mais l 
ou à la tombée de la nuit. Luc, xiv, 16-24; Apoc, 
Le mot SeîTTvov, employé dans le texte original, ne 
aucun doute à cet égard. C'était, d'ailleurs, la co 
des anciens de faire leurs festins d'apparat, le se 
même la nuit, comme en témoigne plusieurs fois 
ture elle-même. Judith, vi, 29;xn, 10; Matth., } 
Marc, VI, 21; I Cor., xi, 20-21; 1 Thess., v, 7. C 
la salle de ces festins était ornée d'une multit 
lampes, allumées soit pour la commodité des noi: 
convives, soit pour rehausser la splendeur de I 
ceux qui s'asseyaient dans la salle étaient envi 
d'une très vive lumière; mais ceux qui ne pouv 
pénétrer, ou qui étaient violemment rejetés au « 
se trouvaient plongés au contraire dans de pr< 
ténèbres, qui paraissaient d'autant plus épaiss< 
plus éclatante était la lumière de l'intérieur- 
cité céleste est illuminée par la lumière infinie 
Dieu lui-même. Ceux qui ont le bonheur d'êtn 
dans ses murs n'ont pas besoin, pour y voir, des 
du soleil, ou des autres astres, car Dieu lui-m 
leur soleil. Is., LX, 19-20; Apoc, xxi, 11, 23; 
Mais plus vive et consolante est la lumière doi 
sent les élus, lumière éternelle, lumière infin 
profondes, plus complètes et plus épouvantab 
les ténèbres extérieures dans lesquelles sont pi 
les malheureux à jamais exclus du festin étern* 
bien là, certes, la privation totale de Dieu, la vrs 
du dam. 

Saint Jean, Apoc, xxi, 11, 23, 24; xxîi, 4^ l 
tue ce contraste entre la lumière incréée et l'i 
nuit. Il décrit combien le divin soleil, conten 
à face, fait resplendir de sa propre clarté l'im 
Jérusalem, où tout, pour mieux refléter celle i 
rable lumière, est de l'or le plus pur, du crisls 
transparent, et dont les murs eux-mêmes ne soi 
que des pierres les plus précieuses. Une pui 
tache est requise pour habiter cette cité resph 
sous la divine lumière qui la traverse de tou 
Apoc, XXI, 27. Kt une voix se fait entendre 
canes et venefici, et impudici, et homicidœ, 
servientes, et omnis qui amat et facit t?iei 
Dehors tous les ouvriers d'iniquité. Apoc, 
C'est bien là encore l'indication de la peine 
Texclusion des maudits, chassés par Dieu L 
face, et séparés de lui pour l'éternité. 

Cette sévère sentence est souverainement < 
car il est de toute justice que ceux qui se se 
tairement détournés de Dieu par le péch 
restent séparés de lui. Cf. S. Thomas, Sur 
MI«, q. LXXXVII, a. 4; Contra gentes, I. III, 

Quoique plongés dans de si épaisses tén 
damnés ne sont pas cependant privés de 1 
leurs facultés naturelles d'appréhension et d 
ni des notions acquises, ou même infuses 
servent à mieux connaître leur extrême mis 
ressentir davantage. Cf. S. Thomas, In 2 V Si 
dist. L, q. II, a. 2, q. i; Sum. theoL, II* II», 



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DAM 



10 



ad S"»" ; III* Suppl., q. lxxxviii, a. 1 ; Compendium 
theolog., c. clxxvi; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. vi, 
n. 9-10, t. II, p. 979-982. 

III. Gravité. — La peine du dam est incomparable- 
ment la plus terrible de toutes les peines de l'enfer. 
Auprès d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce 
soit-il, n'est presque rien. Cf. S. J. Chrysostome, Ad 
populum Antioch,, homil. xvii, super Matlh., P. G., 
t. LYii, col. 263; S. Pierre Chrysologue, Serm., cxxii, 
P. L., t. LU, col. 534 sq. ; Suarez, De angelis, l. VIII, 
c. IV, n. 8, Opéra, t. ii, p. 974; S. .Alphonse de Liguori, 
Corso di mcditazioni, 2 in-8<>, Turin, 1891, t. ii, p. 580. 
Cette peine dépasse inûniment tout ce que Tintelligence 
est capable de concevoir ici-bas, et tout ce que le 
angage humain sait exprimer. Elle ne peut se mesurer, 
dit saint Bernard, que par Tinfinité même de Dieu dont 
elle est la privation, hmc enini tanta pœna, quantun 
ille, 9. et, par conséquent, elle est grande à proportion 
que Dieu est grand. » Cf. Bourdaloue, Carême, Sermon 
sur V enfer. Œuvres complètes, 16 in-S», Paris, 1822, 
t. m, p. 68. Depuis longtemps les anciens Pères avaient 
parlé de même : hœc est tanta pœna quantus ipsemet 
Deus. S. Augustin, De civitateDei, 1. XXI, c. iv, P. L., 
t. xu, col. 711 sq. Le supplice du dam est d'autant 
plus insupportable que les maudits connaissent mieux 
combien est grand et captivant le bien qu'ils ont perdu. 
A cette pensée, dont ils ne peuvent se détourner, et qui 
les obsède, s'allume en eux un désir immense et à 
jamais inassouvi de Téternelle béatitude. Mais cette 
infinie beauté de Dieu qui les attire par ses charmes, 
fait, par sa pureté sans tache, ressortir davantage leur 
honteuse laideur morale. Conscients de ce contraste 
qui les accable, ils sont à eux-mêmes un spectacle si 
repoussant, qu'ils préféreraient subir tous les tourments 
de l'enfer, plutôt que de paraître en ce hideux état, en 
présence du Dieu infiniment saint, et dans la société 
des élus, qu'ils haïssent pourtant d'une haine inextin- 
guible. Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticm, De novissi- 
mis, sect. iv, a. 3, n. 670, t. ix, p. 328. Ils se voient 
donc obligés, malgré les tendances les plus irrésistibles 
de leur être, à fuir Dieu, souverain bien, qui seul pourrait 
satisfaire leur soif insatiable de bonheur. Et ce Dieu, 
pour lequel ils se sentent faits, cette beauté suprême 
qui les attire et les repousse à la fois, cet objet de leur 
amour à jamais perdu, ils sont contraints, dans des 
transports d'une rage infernale, à le détester, le blas- 
phémer et le maudire. C'est le tourment d'un cœur 
passionné d'amour et rongé par la haine de l'être qu'il 
adore, car, dit saint Thomas, les damnés ne souffriraient 
pas autant de la peine du dam, s'ils n'aimaient Dieu en 
quelque façon, in IV Sent,, 1. IV, dist. XXI, q. i, a. 1, 
q. Il; Compend. theolog., c. CLXXiv. Cette peine est 
donc la souffrance atroce de l'amour contrarié, méprisé, 
transformé en furie, et constamment au paroxysme de 
la rage et du désespoir. Cf. S. Augustin, In Ps, en, 
n. 8; De civitate Dei, l. XXI, c. m, P. L., t. xxxvii, 
col. 1322; t. xLi, col. 710; S. Thomas, In IV Sent., 
1. IV, dist. L, q. ii, a. 1, q. v; Sum. Iheol., II* II", 
q. XXXIV, a. 1 ; Bellarmin, De purgatorio, 1. II, c. xix, 
t. u, p. 403. 

Les damnés souffrent donc comme une espèce de 
déchirement de l'âme elle-même, tirée en divers sens 
â la fois, par des forces opposées et également puis- 
santes. C'est comme un écartellement spirituel, torture 
bien plus affreuse que celle qu'ils ressentiraient, si 
leur corps était écorché vif, ou coupé en morceaux; 
car, autant les facultés de l'âme sont supérieures à 
celles du corps, autant est plus douloureux le déchire- 
ment profond par lequel elle est séparée d'elle-même, 
en étant séparée de Dieu, qui devait être l'âme de son 
âme, et la vie de sa vie. Voir Prat, Origène, Paris, 1907, 
p. 96-97. Tanto aliquid magis dolet de aliquo lœsivo, 
quanta magis est tensitivum. Unde lœsiones qum I 



fiunt in locis maxime setisibiHbm, sunt maximum 
doîorem causantes. Et quia totus sensus corporis est 
ah anima, ideo si in ipsam animam aliquid lœsivum 
agat, de necessitate oportet quod maxime affligatur... 
Et ideo , oportet quod pœna damni, etiam' minima, 
excédât omnem pœnam, etiam maximam, hujus 
vitœ. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XXI, q. i, a. 1. 
Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticse^ tr. III, De novissi' 
mis, part. I, sect. iv, a. 3, n. 643, t. ix, p. 317. De ce 
déchirement intérieur de l'âme entière, naît une dou- 
leur intense dont aucun supplice de la terre ne peut 
donner la moindre idée. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 
1. I, dist. XLVIII, a. 3. q. m ; Cont. gentes, 1. III, c. cxli; 
Compendium theolog., c. clxxiv-clxxviii. 

Pour infliger au pécheur le tourment le plus formi- 
dable qui puisse être. Dieu n'a qu'à se retirer complè- 
tement de lui. Cf. Suarez, De angelis, l. VIII, c. iv, 
n. 8, t. II, p. 975. De même qu'il dit au juste : C'est 
moi qui serai ta récompense, et elle sera immense, 
car rien n'est plus grand, ni meilleur que moi, 
Gen., XV, 1; de même il dit au réprouvé : C'est moi 
qui serai ton supplice, et je le serai en m'éloignant de 
toi, car il n'y a rien de plus terrible, dans les trésors 
de ma colère, que cette complète séparation de moi- 
même. Alors suivant l'énergique expression de 
saint Augustin, Confess., 1. XIII, c. vin, P. L., 
t. xxxii, col. 848, se creuse dans l'âme réprouvée un 
abîme sans fond de ténèbres et de lamentables misères; 
vide affreux qui la torture bien plus que la faim dévo- 
rante, Ps. Lviii, 7; vide angoissant qui éternellement 
la tue, sans la faire mourir; car Dieu a fait l'âme 
humaine tellement grande que, pour remplir sa capa- 
cité infinie, et pour satisfaire son désir illimité de 
jouissances, il ne faut rien moins que Lui. Sans Lui, 
il ne reste en elle que la capacité infinie de souffrir. 
Defluxit angélus, defluxit anima hominis, et indica- 
vet*unt abyssum universœ spiritualis creaturse in 
profundo tenebroso... In ipsa miseria inquietudinis 
defluentium spirituum, et indicantium tenebras suas 
ntidatas veste luminis lui, satis ostendis quam 
magnam creaturam rationalem feceris, cui nullo 
modo sufficit ad beatam requiem quidquid te minus 
est, ac per hoc, nec ipsa sibi. S. Augustin, loc. cit. 
C'est le dénuement total, l'isolement infini. Tenebrosa 
abyssus ipsi sibi est universa mens creata, propter 
infinilatem quam habet, non actus seu capacitatis^ 
seu potentim. Vai autem ei, itei^mque vas, si in hanc 
abyssalem vacuitatem defluat et in eo profundatur. 
Billot, Tractatus de novissimis, q. m, Ihes. iv, § 1, 
in-8°, Rome, 1902, p. 77. 

Le langage humain est aussi impuissant pour dire 
ce qu'est l'enfer, que pour dépeindre le bonheur du 
ciel. L'œil de l'homme n'a point vu, son oreille n'a 
point entendu, son cœur n'a point compris ce que Dieu 
a préparé de supplices à ceux qui l'offensent, comme 
de félicités à ceux qui l'aiment. Is., lxiv, 4; I Cor., ii, 9. 
L'enfer nous est aussi inconnu que le ciel. 

Objection. — La peine du dam ne paraît pas devoir 
être aussi grande, car, tant que nous vivons sur la terre, 
nous ne jouissons pas de la vision béatifique, et cepen- 
dant nous n'en sommes pas à ce point affligés. 

Réponse. — Pour l'homme vivant sur la terre, ne 
pas voir Dieu est une simple négation d'un bien qui 
ne lui est pas encore actuellement dû, et dont la pos- 
session est seulement possible ; mais, pour le damné, 
c'est une vraie privation d'un bien dont il a faim et 
soif, et dont il ne saurait se passer sans souffrir immen- 
sément. 

Nous connaissons sur la terre, infiniment moins que 
les damnés, le souverain bien qui est Dieu. D'autre 
part, nous avons, dans la vue et la possession des créa- 
tures qui nous entourent, bien des moyens de nous 
distraire de la pensée du bien suprême, et de calmer 



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en quelque façon, notre d^sir inné de bonheur. Nous 
trouvons donc en elles présentement un dérivatif et une 
jouissance. Mais, après la mort, le mode d'être et de 
connaître est profondément modifié. Jn futura vita 
alius est et essendi et cognoscendi modut, et tant 
cito cessante unione ad coi^ruptibile corpus, tam cito 
cessât transuertens sensum inconstantia concupiscen- 
tim. Billot, Ty'octatus de novissimis, q. m, thés, iv, 
§ 1, p. 78. D*abord, tous les biens de la terre sont com- 
plètement enlevés aux damnés. Kn outre, ils constatent 
que seule la vision de Dieu peut les rendre heureux. 
Par toutes les puissances de leur être, ils sont, pour 
ainsi dire, orientés vers la possession de ce bien que 
toutes leurs facultés, et Tessence même de leur nature 
réclament. Bien plus que le poisson n'a besoin d'eau, 
ou que nos poumons n'ont actuellement besoin d'air, 
les damnés ont un besoin pressant, impérieux, constant, 
ininterrompu, de Dieu. Ils ne peuvent, un seul instant, 
en détourner leur pensée. Les créatures qui les entourent, 
loin de leur apporter un adoucissement, ou même une 
simple distraction, ne servent qu'à augmenter leur 
torture en contribuant à leur supplice. Cf. S. Chr^sos- 
tome, Jn Joa., homil. xxiii; In Heb., homil. xi, xii, 
P. G,, t. Lix, col. 137 sq.; t. LXiii, col. 90-95; S. Au- 
gustin, Enchindion, c. cxir,.P.i.., t. xl, col. 284; Les- 
sius. De perfectionibus mof*ibusque divinis, l. XIII, 
c. XXIX, n. 206, p. 506 sq. 

IV. Durée. — L'éternité de la peine du dam a été, 
sinon formellement niée, du moins mise en doute par 
Origène, si toutefois ses écrits, tels qu'ils sont parve- 
nus jusqu'à nous, n'ont pas été interpolés. Cf. Petau, 
Dogmata theologica, tr. De angelis, 1. III, c. vi, n. 4-13; 
c. VII, n. 1-14, 8 in-4o, Paris, 1866, t. iv, p. 101-113; 
P. Prat, Origène, p. 99-102. La fin de celte peine et 
des autres tourments qui l'accompagnent, était nommée 
par les Grecs àTroxaTa^rradi;, ou restitution univer- 
selle. A ce moment, les damnés auraient, en tout, été 
égaux aux élus et réciproquement. Cf. Petau, op. cit., 
p. 105. Celte erreur monstrueuse, car elle tendait à 
assimiler, après un certain temps, les vierges pures 
aux prostituées, Lucifer à l'archange saint Gabriel, les 
martyrs aux apostats, les apôtres aux démons, etc., 
cf. S. Jérôme, In Matth., xxv, 46, P. L., t. xxvi, col. 197, 
fut embrassée et défendue par Théodore de Mopsueste, 
par les priscillianistes, et par ces anciens hérétiques 
que saint Augustin appelle « les miséricordieux ». 
Cf. S. Augustin, De civitate Dei, l. XXI, c. xviii, n. 1; 
De hœresibus ad Quodvuttdeum, c. XLiii, xlv, P. L., 
t. XLi, col. 732-736 sq.; t. xuii, col. 33 sq.; S. Jérôme, 
In Joa., m, 6, P. L., t. xxv, col. 1142. Afin de se 
prévaloir de son autorité, les origénistes l'intercalèrent 
enstiitedans les œuvres de saint Grégoire de Nysse qui, 
cependant, en plusieurs endroits, enseigne la perpé- 
tuité de la damnation. Petau, Dogmata theologica, 
De angelis, 1. III, c. viii, t. iv, p. 116. Cf. S. Grégoire 
de Nyssei De catechetico, c. xxvi, xxxv; De anima et 
resui*rectione, P. G., t. xcviii, col. 34; Photius, Biblio- 
thec, cod.233; Nicéphore, H, E., 1. XI, c. xix; 1. XVIL 
c. XVII, xviii, P. G., t. cm, col. 4106; t. cxlvi, col. 627 
sq.; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, De 
vitiis et peccatis, disp. XVII, dub. m, § 1, n. 55-60, 
t. viii, p. 374-376; Bellarmin, De purgalorio, l. II, c. i, 
Opéra omnia, 8 in-4«, Naples, 1872, t. ii, p. 387; Les- 
sius. De perfectionibus nwHbusque divinis, 1. XIII, 
c. xxv, n. 163, p. 465 sq.; Atzberger, Geschichte der 
christlichen Eschatologie, in-8«, Fribourg-en-Brisgau, 
1898, p. 409 sq.; Turmel, Histoire de la théologie posi- 
tive, Paris, 1904, p. 187-192. Elle fut renouvelée par les 
anabaptistes du xvi« siècle, et par les déistes et rationa- 
listes de nos jours. 

L'Église a solennellement condamné cette erreur à 
diverses reprises. Cf. Ib concile de Constantinople, 
V« œcuménique, tenu en 553, anathema ix, Mansi, 



ConciL, t. IX, col. 395; Denzinger, Enchiridion, n. ii 
voir Origénisme au vi« siècle; !!« concile de Nie 
VII* œcuménique, tenu en 787; Mansi, t. xii, col. lOî 
IV* concile œcuménique de Latran, en 1215; Décrète 
1. I, tit. I, De sunima trinitate et fide catholica, c. 
Fimiiter, Denzinger, n. 356; Décret d'Innocent IV, 
1250, Décrétai., 1. III, tit. xlii. De baptisnio et ej 
effectu, c. m, yfajores, Denzinger, n. 341 ; concile 
Trente, sess. VI, c. xiv, xxv; sess. XIV, can. 
sess. XVII, c. xxvii-xxvHi, Denzinger, n. 690, 1\ 
Cf. Fr. Diekamp, Die origenist. Streitigkeiten, in-i 
Munster, 1897, p. 67 sq. 

Les textes de la sainte Écriture ne laissent pas 
moindre doute à ce sujet. Toutes les fois qu'il y est fi 
mention du châtiment des damnés dans la vie futur 
il y est dit que ce châtiment n'aura pas de fin. Disc 
dite a me, nialedicti, in ignem œtemum. Matth., xx 
41, 46. Si le feu est éternel, la peine du dam de 
l'être aussi, car la malédiction ou .la réprobatio 
discedite a me, nialedicti, doit durer autant que 
feu lui-même, qui n'est qu'une conséquence de cet 
malédiction. Tant que les damnés brûleront dans < 
feu, ils seront retenus loin de Dieu. Donc la malédi* 
tion pèsera éternellement sur eux, et toujours i 
auront à supporter la peine du dam. C'est d'ailleui 
dans celle-ci que consiste essentiellement l'enfer, i 
les peines secondaires sont éternelles, comment 
peine principale ne le serait-elle pas? A la peine d 
dam, et en premier lieu à elle, s'appliquent donc toi 
les passages de l'Écriture qui présentent comme étei 
nels.les châtiments des damnés, au même titre que sor 
étemelles les récompenses des élus. Qui domtiunt i 
ten^m pulvere evigilabunt, alii in vitam œtemaiii 
alii in opprobrium ; et, comme portent le texte grec et I 
texte hébreu, in abominationeni et contemptum te ta 
num^ cl; ovetBiajjLov xa\ at<i;(yvr,v aitoviov, aS'iy l'iN'n^ 

Dan., XII, 2. La peine éternelle du dam est clairemen 
indiquée aussi par saint Paul : Pœnas dabunt ti 
intetHtu œtei*nas, a fade Domini et a gloria virtuti 
ejus; 8ixr,v tfaouaiv oXeÔpov aîcoviov àno Trpovcaicou w 
Kuptou xat ano Tf,c îoÇrj; r^; ta^uo; aùtoû : ils subiron 
des peines éternelles loin de la face du Seigneur 
II Thess., I, 9. Cf. Apoc, xiv, 11; xix, 3; xx, 10. 
Sans doute, le mot éternel, atwvio; en grec, nS**; 

en hébreu, a quelquefois dans l'Ancien Testamen 
un sens moins rigoureux, et il désigne, alors, un< 
période de longue durée, quoiqu'elle doive avoii 
cependant une fin. Mais, dans ces cas, la reslrictior 
s'impose par la considération du contexte, à tel point 
que ces cas peuvent être précisément envisagés comme 
des exceptions. Si, dans certaines circonstances parti- 
culières, un mot est susceptible d'un sens impropre el 
limité, on aurait tort d'en conclure, en règle générale, 
qu'on doit toujours le prendre dans ce sens incomplet. 
On ne le peut que s'il y a des raisons spéciales de le 
faire, manifestant l'intention de l'auteur à ce sujet. 
Autrement il faudrait renoncer à toute clarté dans le 
langage humain, car il n'y a guère de mots, qui, outre 
leur sens propre et naturel, ne puissent aussi recevoir 
un sens métaphorique et figuré. Donc, pour garder à 
un mot son sens propre, il n'est pas besoin de raisons 
spéciales ; il en faut, au contraire, pour le détourner du 
sens propre que l'usage et le consentement commun 
lui ont constamment donné. Cf. Passaglia, De astet^nitate 
pomarum, in-8o, Rome, 1855, p. 10. Or, dans les textes 
précités, il n'y a aucun motif de prendre le mot 
« éternel » dans un sens métaphorique. Cf. Passaglia, 
op. cit., p. 14 sq. Il y en a plutôt pour lui laisser son 
sens propre, à moins de supposer que, dans la même 
phrase, le même mot soit pris une fois dans le sens 
propre, et une autre fois dans le sens métaphorique. 
Tous conviennent, en eflet, que lorsqu'il s'agit de la 



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récompense des justes, le mot « éternel )> doit être pris 
au sens propre, ibunt justi in vitam œteimam. 
Matth., XXV, 46; Marc, ix, 42 sq. Mais comment, alors, 
et pour quel motif, dans cette même phrase, prendre 
le mot « étemel » au sens métaphorique, quand il 
s'agit du supplfce des damnés, ibunt in iupplicium 
œtemum f Ce serait l'absurdité même, remarque 
saint Augustin : Discet^e in hoc uno eodemque sensu : 
vita œtema sine fine erit, supplxciuni œtemum fineni 
habebit, multuni absurdum est. De civitate Dei, 
1. XXI, c. xxiii; Ad Orosium contra priscillianistas et 
origenistas, c. vi, P. L., t. xu, col. 736; t. XLii, 
col. 673. Cf. S. Jérôme, In Gai., m, 22, P. L., t. xxvi, 
col. 367 sq.; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, 
dist. XLIV, p. II, a. 1, q. i. Opéra omnia, 6 in-fol., 
Rome, 1596, t. vi, p. 569 sq. ; Knabenbauer, In Isaiani, 
Lxvi, 24, 2 in-8», Paris, 1^, t. ii. D'ailleurs, dans le 
Nouveau Testament, jamais le mot aitovio; n*a le sens 
restreint. Il ne se trouve, en effet, que dans les passages 
où mention est faite de la fin du monde, terme dernier 
de toutes choses, après lequel il n'y a plus à espérer 
où à attendre de changement. 

Cest toujours en prenant le mot « éternel » dans le 
sens rigoureux, que les saints Pères ont interprété ces 
textes. Quibuscumque diœerit Doniinus : Discedite a 
nie, tnatedicti, in igneni perpetuum, isti etntnt senxper 
damnati;et quibuscumque dixerit: Venite, benedicti, 
...Ai semper percipiunt regnuni... Aiwvia ik xal àteXeO- 
rïjxa napà Bcoy xh àyaOâ, xai lik toûto xa\ ^ o-c£pT)ai; 
orjT&v alcovto; xai aTcXe^TYjTO;. S. Irénée, Cont. hsar., 
I. IV, c. xxviii; 1. V, c. XXVII, P. G,, t. vir, col. 1062, 
1196 sq. Les autres Pères parlent de même et enseignent 
rétemité de l'enfer. Cf. S. Basile, In Isaiani , ii, 31, 
X, 20; In Ps. xxxni, P. G,, t. xxv, col. 229, 550 sq.; 
t. XXXIX, col. 368, 372; Siméon Métaphraste, P, G., 
t. XXXII, col. 1301 ; S. Grégoire de Nazianze, Oratio XL, 
in s. baptisma, n. 36, P. G., t. xxxvi, col. 411, 425; 
S. Jérôme, In Jonam, m, 6; Jn Matth., xxv, 46, P. L., 
t. xxv, col. 1142; t. xxvi, col. 197; S. Augustin, De 
fide et oper., c. xv, n. 25; De civitate Dei, 1. XXI, 
c. xxiii-xxjv; 1. XXII, c. i; i4d Orosium contra priscil' 
UanisUu et origenistas, c. v, P. L., t. xl, col. 214; 
t XLi, col. 735 sq.; t. XLii, col. 672; S. Fulgence, De 
fide, seu de régula verte fidei ad Pelrum diaconum, 
c. xuii, n. 84; Dtf remissione peccatorum, 1. II , c. xiii, 
XV, XXI, P. L., t. Lxv, col. 564-567, 571 sq., 700-703; 
S. Léon le Grand, Set^i., ix. De coUectis, iv, P. L., 
t. Lrv, col. 161 sq.; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. VIII, 
c. viii ; 1. IX, c. xxxviii ; 1. XXXIV, c. xvi ; Dialog., 
I. IV, c. XLIV, P. L., t. Lxxv, col. 809, 894; t. lxxvi, 
col. 796 sq.; t. lxxvit, col. 402. Cf. Benoit Sinsart, 
Défense du dogme catholique sur Véternité des peines 
de l'enfer, in-8«, Strasbourg, 1748; Petau, Dogmata 
theologica, tr. De angelis, I. III, c. vi-viii, t. iv, p. 99- 
123; Patuzzi, De futuro impiorum statu, libri très, 
in-4<», Venise, 1764; Atzberger, Geschichte der christli- 
chen Eschatologie, p. 247 sq., 291. 

A ce sujet, les théologiens n'ont aussi qu'une voix. 
a. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, XLV, 
XLVUl; Sum. theol., III* Suppl., q. lxix, a. 3; q. LXXv, 
a. 5; Cont. génies, 1. III, c. xi, c. cxuv; 1. IV, c. xcvi; 
Suarez, tr. V, De vitiis et peccatis, disp. VII, sect. m, 
n. 2-16, Opéra omnia, t. iv, p. 586-590; Salmanticenses, 
Cursus theologicus, tr. XIII, De vitiis et peccatis, 
disp. XVII, dub. m, § 1-4, n. 55-90, t. viii, p. 387-389; 
Lessins, De perfeclionibus moribusque divinis, 1. XIII, 
c. xxv, p. 465-470; Émery, DissefHation sur la mitiga- 
tion des peines dés damnés. Œuvres complètes, édit. 
Migne, Paris, 1857, col. 1358-1412; Bautz, Die Hôlle, 
p. 38 sq. ; Billot, QusBStiones de novissimis, q. m, 
thés. Il, 1, in-8», Rome, 1902, p. 50-54. 

La durée éternelle de la peine du dam ne répugne 
pas en soi. La droite raison, en effet, enseigne que I 



Dieu ne peut laisser sa loi sans une sanction suffisante. 
La sagesse le demande, car Dieu ne saurait demeurer 
indifférent au crime et à la vertu. Or, cette sanction 
n'existe pas toujours sur la terre. Très souvent les 
pécheurs y trouvent honneurs et richesses, tandis que 
les justes n'y rencontrent qu'épreuves et afflictions. 
C'est pour beaucoup un sujet d'étonnement et même 
de scandale, suivant le mot du psalmiste : Zelavi super 
iniquos, pacem peccatorum videns. Ecce ipsi peC' 
catores et abundantes in sœculo obtinuerunt divitias. 
Ps. Lxxii, 3, 12. Les impies en profitent pour blasphé- 
mer la providence, s'obstiner dans leurs péchés, et nier 
même l'existence de Dieu. Ps. xin, 1, 2 sq.; liu, 1 sq. 
Très souvent cependant l'Écriture annonce que cette 
sanction n'est que différée. Noli œmulari in mali- 
gnantibus, neque zelaveris facientes iniquitalem. 
Quoniam tanquam faenum velociter arescent.... 
quoniam quimalignanturextemnnabuntur. Ps. xxxvi, 
1, 2, 9 sq. Vœ vobis divitibus, quia habetis consola- 
tionem vesti'am, Vse vobis qui saturati eslis, quia 
esurietis... lugebitis et flebitis. Luc, vi, 24 sq. Cette 
sanction aura lieu quand le juge souverain viendra 
rendre à chacun selon ses œuvres. Matth., xvi, 27; 
Âct., XVII, 31; Rom., II, 6. La sanction due aux pé- 
cheurs impénitents est donc réservée pour la vie future. 
D'ailleurs, par un certain côté, le péché grave a une 
malice infinie. L'injure croît en proportion de la 
personne offensée. Or, la personne offensée par le 
péché mortel est Dieu, qui est infini. Cette injure, 
i nfinie dans son objet, si elle n'a pas été réparée en 
cette vie, grâce aux mérites infinis du Verbe incarné, 
doit l'être dans l'autre monde. Si le châtiment que 
l'homme est capable de subir ne peut être infini dans 
son intensité, il peut néanmoins l'être dans sa durée 
illimitée. Le pécheur qui meurt en état de péché mor- 
tel, mérite donc un châtiment éternel. Cf. S. Thomas, In 
IV Sent., 1. II, dist. XLII, q. i, a. 5; Lessius, De perfe- 
ctionibus moribusque divinis, l. XIII, c. xxvr, n. 187- 
189; c. xxvii, p. 487-496. 

C'est donc un sophisme de comparer la durée du 
châtiment et celle du péché, en vue de démontrer que, 
pour un péché de quelques instants, il n'est pas juste 
d'infliger une peine éternelle. Un crime mérite un 
châtiment, non en proportion de sa durée, mais de la 
malice qu'il renferme. Un assassin qui accomplit son 
méfait en quelques instants, n'est-il pas justement mis 
en prison pour toute sa vie, ou condamné à mort et, 
par conséquent, privé à jamais des biens dont il aurait 
pu jouir sur terre ? Jamais la justice humaine n'a cru 
devoir limiter la durée du châtiment à la durée du 
temps qu'il a fallu pour commettre la faute. Elle consi- 
dère la gravité de la faute commise. Souvent d'un acle 
transitoire découlent des effets perpétuels, comme la 
mort de la victime, dans l'homicide. Cf. S. Augustin, 
De civitate Dei, 1. XXI, c. xi, P. L., t. xli, col. 726; 
S. Grégoire le Grand, Moral., 1. XXXIV, c. xix, 
n. 36, P. L., t. Lxxvi, col. 738; S. Thomas, Smwi. theol, 
I» II», q. Lxxxvii, a. 3, ad 1""". Secundum civilem 
justitiam, dit ailleurs saint Thomas, qui contra rem- 
publicam peccat, societate reipublicœ privatur omnino, 
vel per mortem, vel per exilium, nec attenditur quanta 
fuerit mora temporis in peccando, sed quid sit contra 
quod peccavit. Eadem est autem comparatio totius 
vltse prœsentis ad rempublicam terrenam, et totius 
astemitatis cul sodetatem beatorum qui ultimo fine 
œtemaliter potiuntur. Qui ergo contraultimum finem 
peccat, et contra charitateni per qiuim est societas 
beatorum, in setemum débet puniri {privatione illius 
finis et societaiis), quamvis aliqua brevitemporis mora 
peccaveint. Cont. gentes, 1. III, c. cxuv. Cf. Sum. theol, 
III» Suppl., q. c, a. i; In IV Sent., 1. II, dist. XLII, 
q. i, a. 5; 1. IV, dist. XL VI, q. i, a. 3; Salmanticenses, 
Cursus theolog., tr. XIII, De vitiis et peccatis, 



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disp. XVII, dub. III, § 2, n. 69-76, 1. viii. p. 380-384; 
Bourdaloue, Set^nion pour le XIX* dimanche après 
la Pentecôte, Sur l'éternité malheureuse, I'« partie, 
Œuvres complètes, t. vu, p. 244-271 ; Monsabré, Exposi- 
tion du dogme catholique; L'autre monde, xcviii» 
conféreDce: L'enfer: V éternité des peines, in-8«>, Paris, 
1889, p. 58-70. 

On objectera que souvent ceux qui pèchent mortelle- 
ment n'ont pas l'intention de persévérer dans le péché, 
mais se proposent de se convertir avant de mourir. Il 
n'est pas moins vrai que, par ce péché mortel, ils placent 
actuellement leur fin dernière dans le bien créé qu'ils 
préfèrent à Dieu, et ils auraient l'intention de persévé- 
rer dans ce désordre, s'ils pouvaient le faire impuné- 
ment. S'ils se proposent de se convertir plus lard, c'est 
uniquement à cause de la crainle set^nliter servilis. 
Ils ne détestent pas le péché lui-même, puisque, malgré 
cette crainte de l'enfer, ils le commettent. Ce qu'ils 
détestent dans le péché, c'est le châtiment qu'il entraine, 
comme les damnés, après la mort, ne le détestent que 
pour ce motif. Le pécheur, ayant à choisir, choisit le 
péché, et il est décidé à y rester toujours, s'il peut le 
faire sans inconvénient pour lui. Il a donc renoncé 
pour toujours, autant qu'il dépend de lui, au bien in- 
créé, afin d'adhérer pour toujours aussi à la créature. 
Suivant la remarque si judicieuse de saint Grégoire le 
Grand, les pécheurs voudraient toujours vivre, afin de 
demeurer toujours dans leurs iniquités. Moral., 
l. XXXIV, c. XVI, P. L., t. Lxxvi, col. 736. Cf. Salman- 
ticenses. Cursus theologicus., tr. XIII, De vitiis et pec- 
catis, disp. XVII, dub. m, §3, n. 78-82, t. viii, p.385sq. 
Ils montrent bien la perversion de leur volonté, en 
repoussant, durant leur vie, la grâce de la conversion 
qui leur est si souvent offerte, et en différant jusqu'à 
la mort leur propre amendement. Quand ils ont quitté 
la terre, cette grâce n'est plus à leur portée. Dieu la 
leur refuse; mais peuvent-ils justement s'en plaindre, 
après l'avoir si souvent méprisée? Celui qui se crève- 
rait volontairement les yeux, dit saint Thomas, ne se 
priverait-il pas pour toujours de la vue, car il ne peut 
se la rendre? De quel droit voudrait-il faire Dieu 
responsable de sa cécité ? Dieu peut lui rendre la vue, 
sans doute; mais y est-il obligé? Et celui qui se tue, 
ne s'enlève-t-il pas pour toujours la vie ? Ainsi le pécheur 
détruit volontairement en lui le principe de sa vie 
surnaturelle, ou de la béatitude éternelle. Donc, autant 
que cela dépend de lui, il se Tenléve d'une façon irré- 
parable. Dieu pourrait le lui rendre même après la 
mort, mais il n'y est nullement obligé. Cf. S. Thomas, 
Sum. theol., I» II', q. lxxxvii, a. 3; Swarez, De angelis, 
1. VIII, c. XI, n. 5sq., Opéra omnia, t. ii, p. 1004-1006; 
Salmanticenses, op. cit., tr. XIII, De vitiis et peccatis, 
disp. XVII, § 3, n. 82-85; § i, 85-90, t. vin, p. 386-389. 
C'est de toute justice que celui qui a voulu éternelle- 
ment pécher contre Dieu, soit éternellement séparé de 
lui, comme le remarque encore le pape saint Grégoire, 
Dialog., 1. IV, c. xuv, P. L., t. lxxvii, col. 402. 
Cf. S. Fulgence : Pet^ianente in eis injustœaversionis 
malo, permanet etiam justœ retribu tionis œleima 
damnalio. De fide ad Petrum, c. xxxi, xxxvi, P, L., 
t. Lxv, col. 687, 689. En cela, dit saint Bernard, Dieu 
est extrêmement juste; il est l'équité même, la règle 
inflexible de la droiture : Deu^ est sequitatis directio 
inconvertibilis atque indeclinabilis, quippe attingens 
ubique... Reclus Dominus Deus noster, qui et cum 
perverso pervertitur. De consideratione, 1. V, c. xii, 
n. 25, P. L., t. CLXXxii, col. 802. Cf. Monsabré, op. cit., 
p. 70-76. 

Si la peine du dam est éternelle, les maudits éprouvent- 
ils, du moins, parfois, des adoucissements? Quelques 
anciens ont supposé qu'il en avait été ainsi la nuit de 
la résurrection de Notre-Seigneur, et qu'il peut en être 
de môme par l'effet des prières des vivants. Cf. Prudence, 



Hymn., v, vs. 125 sq., P. L., t. lïx, col. 827 
S. Augustin, Enchiridion, c. ex, cxii, P. L., t. 
col. 283 sq.; Apocalypse de Paul. Voir t. i, col. i 
Mais le même saint Augustin réprouve très sévèrei 
cette opinion erronée. De ci vitale Dei, 1. XXI, c. : 
P. L., t. XLi, col. 737. Saint Thomas la conda 
comme présomptueuse, ne reposant sur aucun fc 
ment, et tout à fait contraire à la tradition catholi 
Sum. theol., III* Suppl., q. Lxxi, a. 5. Cf. Su 
In IT1'^«' parlem Sum. theol., disp. XLIII, sect 
n. 10, Opéra omnia, t. xrv, p. 738; Bellarmin, De 
gatorio, I. II, c. xviii, Opéra omnia, S in-8o, Na 
1872, t. II, p. 406 sq.; Petau, Dogmata theologica,\ 
De angelis, 1. III, c. viii, n. 16-18, t. iv, p. 119- 
Billot, Quœstiones de novissimis, q. ni, thés, m, 
p. 69-71. Saint Thomas admet cependant, et la pli 
des théologiens admettent avec lui, que Dieu ne pun 
les damnés suivant toute la rigueur de sa justice, 
que, malgré la gravité de leurs supplices, sur eux a 
jusqu'à un certain point, s'exerce la divine miséric 
Sum. theol., I", q. xxi, a. 1, ad 1»"; In IV S 
1. IV, dist. XLVI, a. 3, ad 1«»; Suarez, tr. V, De 
et peccatis, disp. VII, sect. m, n. 15; De incar 
q. I, a. 2, disp. IV, sect. m, n. 32, Opéra omnia, 
p. 590; t. XVII, p. 137; Bellarmin, De purgatorio, 
c. XVIII, ad 2""», Opéra omnia, t. ii, p. 417 ; Mons 
op. cit., p. 83 sq.; S. François de Sales, Jraii 
l'amour de Dieu, l. IX, c. i. Œuvres complète 
in-8«, Paris, 1835, t. vu, p. 113. 

V. Inégalité de la peine du dam en enfei 
Considérée en elle-même, la peine du dam est la r 
pour tous les damnés, car elle est également poui 
la privation totale et définitive du bien supi 
Cf. S. Thomas, Sum. theol., I» II«, q. xxxvii, 
III« Suppl., q. Lxii, a. 3; Salmanticenses, C 
theologicus, tr. XIII, De vitiis et peccatis, disp 
dub. i,§ 1-5, n.1-25, t. viii, p. 250-260. Mais consi 
dans l'affliction qu'elle apporte aux réprouvés, 
diffère suivant le degré de culpabilité de chacun c 
Plus ils furent coupables, plus ils sont torturé: 
elle, car plus profondément ils sont tombés dai 
ténébreux et terrible abimede l'âme, dont saint Aug 
parle si éloquemment, Confess., l. XIII, c. viii, 1 
t. xxxiv, col. 818, et plus ils sentent douloureuse 
le vide infini causé par l'éloignement de Dieu 
magis in tenebrosa sui ipsius abysso anima dan 
profundatur, quo majori sensu afftcitursuœ pote 
litatis, sciens ad quam magnam beatitttdinem f 
prxordinata; quo etiam longius a terra quiei 
sempiternum repulsam se videt, quo magis de se 
vacuo et impertransibili chcu) in quod decidil 
conscia est. Cf. Billot, QusRStiones de novissimis, 
thés. IV, §1, p. 78. 

Cela se comprend facilement si l'on songe 
même en enfer, il est rendue chacun selon ses œi 
Rom., 11, 6. Or, cette correspondance entre le i 
ment et la faute commise doit se retrouver surtout 
la peine du dam, qui est la peine essentielle et pi 
pale de l'enfer. S. Thomas, Cont. gentes, l. III, c. 
Plus un damné a péché, plus il s'est détourné de 
La peine du dam a pour but précisément de pu 
péché en tant que par lui le pécheur se détour 
Dieu. Le damné sent donc, en proportion de ses pt 
le poids de la malédiction de ce Dieu qui s'éloig 
lui à son tour, et qui le chasse de sa présenc 
damné souffrira d'autant pius qu'il aura une plus g 
faculté et un plus grand besoin de jouir. Les g 
reçues et méprisées ont augmenté en lui cette ap 
et ce besoin, en pioporlion de leur nombre. Cl 
grâce, en elTet, était un appel de Dieu, une invital 
le mieux conLdltre et à le mieux aimer. Cela 
même temps, une lumière et un moyen pour arri 
ce degré de connaissance et d'amour fixé par 



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DAM 



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Elle créait donc dans Ta me une plus grande disposition 
à celte connaissance et à cet amour, et, par une suite 
naturelle, un plus grand besoin de connaître Dieu et 
de Taimer. Donc, autant de grâces rejetées par le pécheur, 
autant de degrés inassouvis de puissance et de besoin 
d'aimer et de posséder Dieu. Chaque grâce méprisée 
a creusé davantage l'abîme éternel dans lequel l'âme 
s'est plongée. Les plus coupables sont donc plus aptes 
à sentir la privation du bien suprême, comme, dans le 
ciel, les plus saints parmi les élus sont plus aptes à 
jouir de la présence et de la possession de Dieu. La 
grâce dont les saints ont profité et qui a porté ses 
fruits en eux, a< augmenté leur ressemblance avec 
l'exemplaire divin. C'est ce plus ou moins de perfection 
dans leur conformité avec lui qui les rend plus ou moins 
capables de jouir de la divine essence. De même, le mépris 
des grâces et les fautes accumulées ont augmenté, chez les 
damnés, leur degré de dissemblance avec l'infinie pureté 
et sainteté de Dieu. C'est ce plus ou moins d'opposition 
aa bien suprême qui leur en fait sentir davantage la 
privation, et différencie en eux la peine du dam. Dieu 
est l'essence même de la bonté et de la félicité substan- 
tielle, comme dit le pseudo-Denys. De divinis nomini- 
bu8, c. I, § 3; c. IV, § 10, P. G., t. m, col. 590, 707. Le 
malheur d*en être privé se mesure donc sur le degré 
d'opposition que le damné a avec ce bien suprême, 
dont les grâces reçues tendaient à le rapprocher, tandis 
que ces mêmes grâces méprisées tendent à le repousser 
davantage. Cf. Lessius, De perfectionibus nwribusque 
divinis, 1. XIII, c. xxix, n. 204, p. 505-507; Suarez, 
De angelis, 1. VIII, c. v, n. 9, Opéra omnia, t. ii, 
p. 978; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, 
De vitiis et peccatis, disp. XVIII, dub, i, § 2, n. 7-10, 
t. vin, p. 400 sq. 

De même donc que les élus, dans le ciel, jouissent 
davantage de la vision béatifique, suivant leurs mérites; 
de même, les damnés, dans l'enfer, souffrent davantage 
de sa privation, en proportion des crimes dont ils se sont 
souillés. Cf. Salmanticences, Cursus theolog., tr. II, De 
visione Dei, disp. V, dub. i, t. i, p. 251. 

C'est l'avis unanime des théologiens, comme ce fut 
aussi celui des saints Pères. Cf. S. Basile, In Ps, vu, 
5, P. G., t. XXIX, col. 238 sq.; S. Jérôme, Contra Jovi- 
nianum, 1. II, n. 25, P. L.,i. xxiii, col. 322; S.Augus- 
tin, Epist., CLXVii, n. 4; De hœr,, n. 82, P. L.,t. xxiii, 
col. .375; t. XLii, col. 45; Scot, In IV Sent., 1. IV, 
dist. XVI, q. i, a. 1; dist. L, q. i, a. 4; S. Thomas, 
In IV Sent., 1. II, dist. XXXII, q. i, a.l; Suarez, De 
angelis, 1. VllI, c. v, n. 9, Opéra omnia, t. ii, p. 979; 
Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, De vitiis 
et peccatis, disp. XVIII, dub. i, § 2, n. 7-10; § 3, n. 10- 
22, t. viii, p. 401-408. 

VI. La peine du dam en purgatoire. — Les âmes du 
purgatoire souffrent-elles la peine du dam ? Si le mot 
dam est pris dans son sens rigoureux et absolu, entant 
qu'il signifie l'exclusion déûnitive de la vie éternelle, 
la perte irrémédiable de la béatitude suprême, il ne 
s'applique pas évidemment à l'état des âmes, retenues 
en purgatoire. La peine du dam, en effet, est encourue 
par le pécheur, parce qu'il s'est détourné de Dieu et a 
placé sa fin dernière dans la créature. Or, cette aversion 
â l'égard de Dieu n'existe pas dans les âmes saintes du 
purgatoire. Un grand nombre d'entre elles n'ont commis 
que des péchés véniels qui ne les détournent pas de 
Dieu, mais sont simplement un obstacle dans leur 
marche vers lui. Quant aux autres qui eurent le malheur 
de pécher mortellement, elles se sont repenties durant 
leur vie terrestre, et, par conséquent, converties à Dieu 
et retournées vers lui. La peine du dam ne saurait donc, 
en aucune façon, leur être infligée. 

Mais, si, par dam, on entend simplement le retard 
apporté â la vision béatifique et à la possession de 
Dieu, les âmes du purgatoire y sont certainement sou- 



mises, et cette peine est pour elles extrêmement doulou- 
reuse. Cf. Suarez, De angelis, 1. VIII, c. xiv, n. 14; 
De purgatoHo, disp. XLVI, sect. i, n. 2, Opéra omnia, 
t. Il, p. 1038; t. xxii, p. 903. Vu sa nature néanmoins, 
elle ne se rapporte pas à la peine du sens, mais à celle 
du dam. £ile peut donc, et doit être appelée pœna 
damni secundum quid. C'est aussi à la peine du dam 
que saint Thomas la ramène. In IV Sent., 1. IV, 
dist. XX, q. I, a. 2; dist. XXI, q. i, a. 1, q. m. D'après 
les théologiens, la peine du dam absolu est donc la 
privation perpétuelle de la béatitude suprême, et le 
dam relatif est le retard apporté à la jouissance de ce 
bien infini, à partir du moment où, suivant l'ordre de 
la providence, on devient apte à le posséder, et où l'on 
devrait en jouir. C'est au moment où l'âme se sépare de 
son corps, que, dégagée des liens terrestres, et inacces- 
sible aux impressions des sens, l'âme sent s'éveiller en 
elle cette faim dévorante et cette soif de bonheur, qui, 
par une tendance irrésistible, la porte impétueusement 
vers Dieu, seul capable de la satisfaire et de la rassa- 
sier. Tant que l'âme n'entre pas en possession du bien 
souverain après lequel elle soupire de toutes les puis- 
sances de son être, elle subit une torture à laquelle 
tous les maux de la terre ne sauraient, en aucune façon, 
être comparés. Cf. S. Thomas, In IV Sent,, 1. IV, 
dist. XXI, q. i, a.l, q. m. La vision béatifique est un si 
grand bien, dit Suarez, que la posséder un seul jour, 
ou même une seule heure, cause un bonheur dépas- 
sant infiniment la joie que procurerait la possession 
simultanée de tous les biens de la terre, pendant une 
longue existence. La vision béatifique, accordée pendant 
quelques instants seulement, serait une récompense 
surabondante, et hors de toute proportion, pour toutes 
les bonnes œuvres que chacun pourrait accomplir, et 
pour toutes les épreuves que l'on pourrait subir 
ici-bas. Par suite, le retard apporté à cette jouissance 
pour l'âme qui, séparée de son corps, a un besoin im- 
périeux de cette béatitude infinie, cause une peine 
dépassant incomparablement en amertume et en souf- 
france tous les maux de la terre. Les âmes du purgatoire 
reçoivent de Dieu les lumières qui leur font comprendre 
combien grand est le bien dont elles sont privées. En 
même temps, s'allume en elles, pour la beauté infinie 
qu'elles connaissent, un amour si intense qu'il leur 
rend l'éloignement de Dieu plus pénible et plus terrible 
que mille morts. Cf. Suarez, De purgatoHn, disp. XLVI, 
sect. m, n. 1, Opéra omnia, t. xxii, p. 917 sq. ; Bellar- 
min. De purgatorio, 1. II, c. x, xiv, Opéra omnia, 
t. II, p. 401, 403. Leur ardent amour pour Dieu fait 
leur supplice. C'est non seulement une faim insa- 
tiable et une soif inextinguible de Dieu : c'est une 
fièvre de Dieu, fièvre brûlante, d'une incalculable 
intensité, car sa grandeur se mesure à celle de l'objet 
dont la privation les torture. C'est une douleur d'un 
autre ordre que toutes celles de la terre: douleur trans- 
cendante, comme est transcendant leur état d'âmes 
séparées du corps, état dont nous n'avons actuelle- 
ment ni l'expérience personnelle, ni même l'idée, et 
qui leur donne la faculté de souffrir d'une manière 
toute différente de celle dont on souffre en ce monde. 
Cf. Mor Gay, De la vie et des vertus chrétiennes consi- 
dérées dans l'état religieux, c. xvii. De V Église consi- 
dérée comme objet de la charité, îl^parViey De l^'^glise 
souffrante, 2 in-8o, Paris, 1874, t. ii, p. 562-566; Monsa- 
bré. Exposition du dogme catholique, xcvii» confé- 
rence. Le purgatoire, in-8o, Paris, 1889, p. 23 sq. 

Pour être passible de cette peine du dam relatif, ou 
secundum quid, il n'est pas nécessaire de s'être détourné 
de Dieu par le péché mortel*, comrp.c pour le dam 
absolu; mais il suffit de tout obstacle qui se dresse 
entre l'âme avide de Dieu et Dieu lui-même. Cet obs- 
tacle à l'élan de l'âme vers Dieu qui l'attire avec tant 
de force, c'est le péché véniel, ou la peine due encore 



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DAM 



aux péchés mortels déjà pardonnes quant à la coulpe. 
C'est ce qui retient loin de Dieu lés âmes jusqu'à leur 
entière purification, et les empêche jusque-là de jouir 
de la béatitude éternelle. Cf. Salmanticenses, Cursus 
théologiens, tr. XIII, Devitiis etpeccatis, disp. XVIII, 
dub. I, § 1, n. 6, t. VIII, p. 399 sq. ; Suarez, De purga- 
torio, disp. XLVl, sect. i, n. 2-4, Opéra omnia, t.xxii, 
p. 309 sq. 

Cette peine du dam relatif que souffrent les âmes du 
purgatoire, est, cependant, malgré son intensité, bien 
différente de la peine du dam absolu dont sont affligés 
les damnés dans l'enfer. Pour ceux-ci aucun soulage- 
ment ou adoucissement, ni aucune consolation; mais 
le désordre, la révolte, le blasphème, le désespoir 
éternel. Obstinés dans le mal, ils ne consentent en 
aucune façon aux arrêts de la justice divine, et ils 
maudissent ce Dieu, pour lequel ils se sentent faits, 
et dont la possession pourrait seule leur procurer cette 
félicité, que toutes les puissances de leur être exigent 
et réclament sans cesse. Les âmes du purgatoire, au 
contraire, aiment Dieu et adorent les décrets de sa 
justice, même quand ils les font épouvantablement 
souffrir. Elles ont la charité et la grâce sanctifiante, 
racine et fondement inébranlable de la gloire éternelle, 
à laquelle elles parviendront certainement, un jour. 
Elles le savent, et cette assurance est pour elles la 
source indéfectible d'une immense joie. Au milieu de 
leur supplice elles goûtent une paix inaltérable, 
inconnue sur terre. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 
1. IV, dist. XX, part. II, a. 1, q. ii; Suarez, De purga- 
torio, disp. XL VII, sect. m, n. 1-10, Opéra omnia, 
t. XXII, p. 931-935; Bellarmin, De purgatono, 1. II, 
c. IV, v, XIV, Opéra omnia, t. ii, p. 392-395, 403; 
Binet,i)6 Vélat des dmes du purgatoire, c. ii, § 2, La 
peine du dam, in-12, Paris, 1863, p. 13 sq. ; Mgr Gay, 
op. cit., t. Il, p. 569-572. Si le choix leur était donné, 
elles préféreraient rester en purgatoire, plutôt que de 
revenir sur la terre, où, cependant, en beaucoup moins 
de temps, elles pourraient, et avec infiniment moins de 
souffrance, satisfaire à la justice divine; mais où aussi 
elles seraient encore exposées à se perdre éternelle- 
ment. La joie intense que leur procure la certitude de 
leur salut éternel, les aide merveilleusement à suppor- 
ter leur souffrance, quoiqu'elle ne la diminue en rien. 
Puis, comme elles sont confirmées en grâce, leur 
volonté est en tout conforme à la volonté de Dieu. Non 
seulement elles acceptent avec résignation ses décrets, 
mais elles y acquiescent avec amour et reconnaissance. 
Or, une peine volontairement acceptée et subie avec 
amour est moins pénible, en raison de son acceptation 
et de l'amour qui la fait accepter. C'est un fait d'ex- 
périence et une vérité reconnue par les théologiens, 
que la peine n'est, à proprement parler, que ce qui 
contrarie la volonté : hœc est ratio pœnas quod volun- 
tati contrariatur. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, 
dist. XXI, q. I, a. 1, q. iv; Sum. theol., I» II», q. vi, 
a. 6; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XX, 
part. II, a. 1, q. i. Moins une peine est invo- 
lontaire, moins elle contient de pénalité, quantum adi- 
mitur de invotuntaHo, tantum tollitur de pœnalitate. 
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XL VI, sect. m, n. 3, 
t. XXII, p. 917; Binet,2)e Vétat des âmes du purgatoire, 
c. II, § 2; c. III, § 1-2, p. 19-24, 27-32, 75-122; Billot, 
Disquisitio de natura et ixLtione peccati personalis, 
sive introductio ad tractatum de pœnitentia, part. I, 
c. Il, q. Lxxxvii, n. 4, in-S», Rome, 1897, p. 77 ; Monsabré, 
Exposition du dogme catholique, xcviK conférence, 
Le purgatoire, in-8«>, Paris, 1889, p. 23 sq. ; Faber, 
Le purgatoire, c. m, in-12, Paris, 1898, p. 32-40. 

Cette peine du dam relatif est donc pour les âmes du 
purgatoire un mystérieux mélange de souffrances 
indicibles, d'inexprimables joies et d'inefTables conso- 
lations. Par cela même, il nous est encore plus difficile 



de nous en faire une idée, que de la peine du dam 
enfer. La souffrance torturante sans consolation 
comprend mieux que celle qui tourmente en laisî 
subsister, ou mieux en causant une joie à laquelle n 
joie de la terre ne saurait être comparée. Sur ce s 
on pourra consulter avec fruit le Traité du purgaV 
de sainte Catherine de Gênes. Examiné d'abord 
l'ordre de l'archevêque de Paris, et approuvé par 
professeurs de l'université de cette ville, en If 
cf. Galtia christiana, t. vu, p. 181, il le fut ensi 
plus solennellement encore par la S. C. des Ri 
à l'occasion du procès de canonisation de la sainte 
approuvé juridiquement par Innocent XI, le 14 j 
1676. Cf. Acta sanctorum, t. v seplembris, p. i 
Saint François de Sales et le cardinal Bellarmin 
faisaient le plus grand cas. Écrit primitivement en 
lien, ce traité a eu de nombreuses éditions en divei 
langues. Le bénédictin Lechner en a donné une i 
tion allemande, Le&en und Schriften derhl, Kathar 
von Genua, in-8®, Ratisbonne, 1859, p. 227 sq. Un abr 
assez étendu a été fait par le P. Faber, AU for Jet 
or the easy ways of divine Love, in-12, Londres, M 
p. 370 sq. ; Tout pour Jésus, c. ix, § 4, in-12, Pa 
1882, p. 367 sq. Le P. Marcel Bouix, de la Compag 
de Jésus, en a publié une traduction française : Tn 
du purgatoire de sainte Catherine de Gênes, in- 
Paris, 1883. 

La durée de cette peine du dam relatif est abs( 
ment inconnue. Quelques auteurs, comme S< 
In IV Sent., 1. IV, dist. XIX, q. m, a. 2, et Maldoi 
De purgatorio, q. v, ont prétendu que la peine 
purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans; mais 
raisons qu'ils en donnent ne reposent sur aucun fon 
ment sérieux. La peine du dam, même relatif, et 
plus terrible que toutes celles de la terre, ils se 
mandent comment Dieu l'infligerait plus longter 
pour des fautes vénielles qu'on peut si facilem 
expier en ce monde par de légères mortifications, 
simplement par l'usage des sacramentaux. Ils oubli 
manifestement que, durant sa vie mortelle, l'hom 
est sous le règne de la miséricorde, tandis que, p 
tard, il tombe sous celui de la justice. Mais pourq 
fixer dix ans, et non vingt, trente, etc., ou seulem( 
cinq et moins encore? Ils en appellent à la bonté 
Dieu. Sans doute, Dieu est infiniment bon; il est au 
infiniment juste. Les âmes du purgatoire sesoumett* 
avec amour à la douleur. Cf. Mo^ Gay, op. cit., t. 
p. 569. Elles savent que Dieu étant infiniment p 
elles ne peuvent paraître en sa présence et jouir 
Lui sans être entièrement purifiées. Cette purificati< 
elles la désirent donc avec tant d'ardeur que, pc 
aucune raison, elles ne voudraient que leur supplice 
moins long ou moins rigoureux qu'il doit être pc 
les amener à la pureté à laquelle elles aspirent. £1 
souffrent; mais sans se plaindre, ni murmurer. El 
sont plutôt extrêmement reconnaissantes à Dieu 
leur avoir, par bonté et miséricorde, préparé ces moye 
de purification, pénibles, il est vrai, mais qui assun 
leur félicité. La prolongation de leur supplice ne le 
parait donc pas opposée à la bonté de Dieu. Elle leur 
est plutôt une preuve évidente. 

Combien durera pour elles ce dam relatif? C'est 
secret de Dieu. Seul il connaît la gravité de ces faul 
légères, qui ne sont ni une pen-ersion complète 
l'être humain par rapport à sa fin dernière, ni u 
apostasie totale, mais qui écartent de la voie droite 
qui, par suite, ont quelque chose de grave en s< 
parce qu'elles offensent l'infinie majesté de Dieu. A Dl 
seul il appartient de fixer et l'intensité et la durée ( 
la peine. Cette durée, il ne nous en a pas révélé 
terme. L'Église n'a rien défini non plus ; mais, par 
pratique, elle fait comprendre que cette durée peut et 
indéfiniment longue, puisqu'elle permet, en faveur d 



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DAM 



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âmes soumises à la peine du dam relatif, la célébration 
des anniversaires expiatoires de vingt, trente, cinquante, 
cent ans et plus. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, 
disl. XXI, q. I, a. 3; Suarez, De purgalorio, disp. XLVI, 
sect. IV, n. 6, Opéra omnia, t. xxii, p. 924 sq. ; Bellar- 
rain, De purgatorio, 1. Il, c. ix, Opéra omnia, t. ii, 
p. 400 sq. Parmi les propositions condamnées par le 
pape Alexandre VII, le 18 mars 1666, il s'en trouve une, 
la 43'', ainsi formulée : Annuuni legatuni pro anima 
relictum non durât pluis quant pei" deceni annos. 
Cf. Denzinger, Enchiridion, n. 1014. Voir t. i, col. 746- 
747. 

D'ailleurs, cette notion du temps que nous avons 
pendant que nous vivons sur la terre, les âmes du 
purgatoire, séparées du corps, et soustraites à toute 
innuence du monde sensible, Tont-elles comme nous ? 
Quel rapport a leur vie nouvelle avec le temps qui 
s'écoule? Comment peuvent-elles le mesurer et en 
appx^cier le cours ? Y a-t-il pour elles une différence 
entre une minute et une heure, entre un jour et un 
an, entre une année et un siècle? Pour elles, il n'y a 
ni jour, ni nuit; ou plutôt tout est nuit. Ce ne sont pas 
les ténèbres extérieures des damnés; c'est néanmoins 
Tabsence de lumière. Dans ces conditions si différentes 
des nôtres, quel moyen ont-elles de se faire une idée 
de la nnarche du temps? Cf. Ma' Gay, op. cit., c. xvii, 
p. 565 sq. Une âme, plus tourmentée qu'une autre par 
cette peine, peut croire en être affectée depuis plus 
longtemps qu'une autre qui Ta précédée en purgatoire, 
mais qui souffre moins, tant Tappréciation de la durée 
est une chose subjective. Pour ceux qui mourront peu 
avant la fin du monde, et qui, sans être damnés, auront 
cependant à expier beaucoup, Dieu pourra augmenter 
rintensité de la souffrance, et leur donner ainsi la 
perception d'une durée plus longue. Cf. S. Thomas, 
In IV Sent,, 1. IV, disp. XLVII, q. ii, a. 3; S. Bonaven- 
ture. In IV Sent,, 1. IV, dist. XLVII, a. 2, q. iv. Tout 
ce qu'on peut assurer, c'est qu'au moment du juge- 
ment dernier, la peine du dam relatif n'existera plus 
pour personne, car, alors, le travail de purification 
étant terminé pour toutes les âmes, les humains ne 
formeront plus que deux catégories : les damnés et les 
bienheureux. Et ceci est de foi. Matth., xxv, 46. 
Cf. S. Augustin, De civitate Dex,\. XXI, c. xvi, P. L,, 
t. XLi, col. 731. 

VU. La peine du dam aux limbes. — 1° Pour les en- 
fants morts sans baptême, — Voir t. ii, col. 364-378. 

^ La peine du dam pour les justes de V Ancien 
Test€mient, avant Vimmolation de Notre- Seigneur, — 
Les âmes des justes de l'Ancien Testament furent rete- 
nues dans les limbes jusqu'à l'accomplissement de la 
rédemption. Tant qu'il leur resta des fautes vénielles à 
expier, elles furent évidemment soumises à la peine du 
dam relatif. Leur condition ne pouvait être meilleure 
que celle des âmes qui souffrent actuellement dans le 
purgatoire. Mais quand elles se trouvèrent entièrement 
purifiées de leurs fautes personnelles, quel fut leur état? 

On doit tenir d'abord pour certain que la vision 
béatifique ne leur fut pas accordée avant l'achèvement 
de la rédemption par la mort du Christ, sur la croix. 
Le sang de Notre-Seigneur était la rançon que deman- 
dait pour elles la justice divine, à cause de la faute 
originelle. Mais, aussitôt après le sacrifice du Calvaire, 
l'âme du Sauveur descendue aux limbes les fit entrer 
en participation de la béatitude étemelle. Christus ad 
infemum descendens, omnes justos qui oHginali 
peccato adstricti tetiebantur absolvit... Et sine aliqua 
mora, ad iniperiuni Domini ac Salvatoris, omnes 
ferrei confracti sunt vectes, S. Augustin, Serm., ii, de 
resurrectione, § 1, 4, P. L,, t. xxxvi, col. 2060 sq. Cf. 
S. Thomas, In IV Sent,, 1. III, disl. XVII ; 1. IV, dist. II; 
Sum. theoL,ni^, q. XLix,a.5; q. lu, a. 2; a. 4, adl""», 
2««; a. 5; Scot, In IV Sent., 1. IV, dist. II, q. ir; Décré- 



tai, 1. III, tit. XLii, De baptismo, c. m. Majores. C'était 
la réalisation de la prophétie de Zacharie, ix, H : In san- 
guine Testamenti tut emisisti vinclos luos de lacu in 
quo non est aqua... Divers manuscrits portent eduxisti 
vinctos tuos de lacu. C'est aussi le sens des Septante : 
Su èv ariian 8iaôr,xT); trou èÇaiii(TT6iXa; îeo-jjtiou; <rou ix 
Xàxxou oyx e*/ovTo; uSwp. Cf. Suarez, In III»»* partem 
Sum. theol,, disp. XLII, De loco ac statu animarum 
sanctarum ante Christi mortem, sect. i, n. 1-7; 
disp. XLIII, sect. m, n. 2-5, Opéra omnia, t. xix, 
p. 697-699, 733 sq. ; Billot, De Verbo incarnato, part. II, 
c. III, thés. Lv, § 3, in-8», Rome, 1904, p. 496-498. 

Avant ce bienheureux moment, dès que les âmes 
justes de l'ancienne Loi eurent satisfait à la peine due 
aux péchés véniels, ou aux péchés mortels pardonnes, 
elles ne soufTrirent plus la peine du dam relatif. 
La certitude de leur salut étemel leur donnait une 
joie bien plus grande que celle qui apporte tant de 
consolation aux âmes du purgatoire. Cf. S. Thomas, 
Sum. theol, III», q. lh, a. 5, ad 1«"; Suarez, loc, cit,, 
disp. XLII, sect. i, n. 12, t. xix, p. 701. Néanmoins, 
comme elles n'étaient pas encore admises à la béatitude 
céleste, objet de tous leurs vœux, elles ne cessaient de 
soupirer après elle. Ce retard, apporté à leur bonheur, 
ne fut pas sans leur causer une vraie tristesse, suivant 
le proverbe : Spes quse differtur, affligit animam, 
Prov., xiii, 12. Saint Augustin rappelle que ces âmes 
saintes attendaient avec angoisse l'avènement du Christ, 
dans l'endroit où elles étaient reléguées; et elles le 
suppliaient en gémissant de hâter le temps de sa venue: 
LacrymabiliobsecrationeChristum orabant, Loc. cit., 
§ 4, P. L.,t, XXXVI, col. 2061. C'est aussi le sentiment 
de saint Grégoire le Grand : In ipsis infemi lacis jus- 
torum animsR sine toi^\ento tenebantur ; grave tamen 
tœdium illis fuit, post solutionem carnis, adhuc 
speciem non videre creatoris. Moral, 1. XIII, c. xliv, 
P. L,, t. Lxxv, col. 1038. Cf. S. Thomas, Sum. theol, 
m*, q. LU, a. 2, ad 2°'» et 4""; Suarez, loc. cil, 
disp. XLII, sect. i, n. 12-16, Opéra omnia, t. xix, 
p. 701 sq.; Salmanticences, Cursus théologiens, tr. XIII, 
De viliis et peccatis, disp. XVIII, § 1, n. 6, t. viii, 
p. 400. Tout porte à croire cependant que la divine 
providence, par des moyens à nous inconnus, tempé- 
rait leur peine, et les distrayait de cette tristesse. 
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XLVI, sect. ni, 
n. 4, Opéra omnia, t. xvii, p. 917. 

3» La peine du dam pour les adultes païens morts 
sans autre péché grave que la faute onginelle. — 
L'hypothèse qu'un païen adulte n'ait que des péchés 
véniels avec la tache originelle, paraît une chimère à 
saint Thomas et à beaucoup de théologiens. En eflet, 
tout homme, au moment où il arrive au plein usage 
de la raison, est tenu, sous peine de péché mortel, de 
faire, selon ses forces et ses connaissances, un acte de 
charité parfaite envers Dieu, soit d'une façon distincte 
et explicite, en le choisissant pour sa fin dernière, 
soit d'une manière virtuelle et implicite, en se propo- 
sant d'accomplir le bien moral, et de vivre suivant les 
lumières de sa raison. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 
I. II, dist. XLII, a, 5, ad 7«™; 1. IV, dist. XLV, q. i, 
a. 3, ad 6"™; 5um. theol, I* II», q. Lxxxrx, a. 6 ; Quœst, 
disp., De malo, q, m, a. 2, ad 8"°» ; De vérifie, q.xiv, 
a. 11; Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII, De 
vitiis et peccatis, disp. XX, dub. i, § 1-6, n. 1-45, 
t. vin, p. 490-510. Voir Charité, t. ii, col. 2253 sq. 
Or, ajoute le saint docteur, si l'homme fait cet acte de 
charité envers Dieu, il est justifié. Le péché originel 
est efl*acé aussitôt, et Dieu lui enverra un ange, s'il le 
faut, pour lui apprendre les vérités surnaturelles indis- 
pensables au salut. Mais si l'homme ne fait pas cet acte 
de charité envers Dieu, il commet un péché mortel, en 
transgressant un précepte grave. Donc, la coexistence du 
péché véniel et du péché originel est impossible dans 



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23 



DAM 



une âme. Il n'y a donc pas lieu d'examiner à quelle 
peine du dam serait soumis celui qui, au moment de la 
mort, se trouverait dans un pareil état. Cf. S. Thomas, 
Sum. theol., I» II», q. Lxxxix, a. 6; Suarez, In 7/i»°» 
part., disp. XLII, sect. ir, n. 8, Opéra omniaf t. xix, 
p. 705; Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII, 
disp. XX, dub, ir, § 1-3, n. 46-70, t. viii, p. 510-521. 

VIII. Sur la croix, Notre-Seigneur a-t-il souf- 
fert lA PEINE DU DAM? — Certains auteurs semblent le 
dire, et s'appuient, pour cela, sur le texte de saint Paul, 
Christus nos redennt de maledicto legis, foetus pro 
nobis nialedictum. Gai., m, 13. Il ne suftisait pas, 
affirment-ils, que Dieu fit sentir la pesanteur de son 
bras à Jésus-Christ expirant sur le Calvaire, et portant 
dans son âme, comme dans son corps, la peine due 
aux crimes de l'humanité entière. Le Père étemel ne 
se contenta pas de prononcer un arrêt de mort contre 
Jésus qui s'était fait la victime du péché, et de le frapper 
par la main des Juifs et des bourreaux. Il parut vou- 
loir le réprouver lui-même, en le délaissant, et en 
Tabandonnant au milieu de son affreux supplice; d'où 
la plainte drchirante de Jésus, qui, jusque-là, n'avait 
pas laissé entendre le moindre gémissement : Mon 
Dieu! mon Dieu! pourquoi m'avez- vous abandonné? 
Matth., XXVII, 46. Ce cri de suprême angoisse s'échappa 
des lèvres de Jésus, peu avant son dernier soupir, 
circahoram nonam. Que sepassa-t-il, alors, dans Tàme 
sainte de Jésus? Éprouva-t-elle quelque chose de ces 
tortures épouvantables et mystérieuses du dam, infini 
comme le Dieu outragé qui se venge sans pitié sur sa 
créature coupable? « Ce délaissement et cet abandon 
de Dieu, dit Bourdaloue, est en quelque façon la 
peine du dam, qu'il fallait que Jésus-Christ éprouvât 
pour nous tous. La réprobation des hommes aurait été 
encore trop peu de chose pour punir le péché dans 
toute l'étendue de sa malice : il fallait que la réproba- 
tion sensible de l'Homme-Dieu remplit la mesure de 
la malédiction et de la punition due au péché. Vous 
avez dit, prophète, que vous n'aviez jamais vu un 
juste délaissé : Aon vidi justum derelictum, Ps. xxxvi, 
25; mais en voici un exemple mémorable que vous ne 
pouvez désavouer : Jésus-Christ,'abandonné de son Père 
céleste, et, pour cela, n'osant presque plus le réclamer 
sous le nom de Père, et ne l'appelant que son Dieu, Deus 
nieus, ut quid dereliquisti me ?... Toutefois, dans ce 
procédé de Dieu, rien qui ne soit selon les règles de 
l'équité : jamais mort ne fut plus juste, par rapport à 
Dieu qui en a porté la sentence.... Ce n'est point au ju- 
gement dernier que Dieu offensé et irrité se satisfera 
en Dieu; ce n'est point dans l'enfer qu'il se déclare plus 
authentiquement le Dieu des vengeances, Deus ultio- 
num Dominus, Ps. xciii, 1; c'est au Calvaire. C'est là 
que sa justice vindicative agit librement et sans con- 
trainte, n'étant point resserrée, comme elle l'est ailleurs, 
par la petitesse du sujel à qui elle se fait sentir, Deus 
uUionum libère egit. Ps. xciii, 1. Tout ce que les 
damnés souffrent n'est qu'une demi-vengeance pour 
lui... ce n'est rien, ou presque rien, en comparaison 
du sacrifice de Jésus-Christ mourant. » Bourdaloue, 
/««• Sermon sur la passion de Jésus^Christ, I»"» partie, 
Œuvres complètes, t. viii, p. 162 sq. 

Ces passages et autres semblables des maîtres de la 
chaire chrétienne signifient que Jésus-Christ, étant 
Homme-Dieu, a pu seul réparer, en toute rigueur de 
justice, l'offense faite parle péché à l'infinie majesté de 
Dieu. C'est en ce sens qu'ils sont exacts. Mais ils 
seraient entachés d'une grave erreur, s'ils exprimaient 
que Jésus a été soumis à la véritable peine du dam. 
Jamais le désespoir des damnés n'a eflleuré son âme 
sainte. Jamais sa nature humaine, unie hypostatique- 
ment au Verbe, n'a éé séparée de lui, et, par suite, n'a 
.été délaissée par Dieu. La peine du dam relatif ne pou- 
vait même l'atteindre, car jamais, même sur la croix 



et au moment où il s'écriait : Deus meus, quare 6 
liquisti me, Jésus, dans son âme humaine, ne fut ; 
de la vision béatifique. Les théologiens affirment 
raison que les douleurs de Notre-Seigneur, durai 
passion, furent les plus grandes qu'un homme pi 
subir, suivant le mot de Jérémie : vos omnes 
transilis per viam, attendite, et videte, si est c 
sicut dolor meus, quia vindemiavit me, ut locutu 
Dominus, in die iras furoHs sui. Lam., i, 12. 
cela doit s'entendre des douleurs de la vie prést 
Déjà le texte du prophète l'insinue d'une façon s 
samment claire, puisqu'il s'adresse à ceux qui 
encore in via. Li tradition et l'enseignement th 
gique ont précisé, plus tard, davantage encore, ce 
de doctrine. Uterque dolor in CfiHsto — sivesem 
in corpore, sive interior in anima — fuit n 

mus ISTER DOLOR ES PR.ESENTfS VITM. S. Th( 

Sum. theol., III», q. xlvi, a. 6. Or, les souffrance 
servées, dans l'autre vie, à l'âme séparée de son c 

soit en enfer, soit en purgatoire, dépassent toutes 
qu'on peut endurer sur la terre, de même que 1; 
cité des saints dans le ciel surpasse incomparabli 
toutes les joies d'ici-bas : dolor animœ séparait 
tientis pertinet ad statum fulursR damnalionis 
excedit omne malum hujus vitss, sicut sanc\ 
gloria excedit omne bonuni pressentis vitœ. 
cum dicimus Christi dolorem fuisse niaximun 
comparamus ipsum dolori animas separatm. S 
mas, loc. cit., a. 6, ad 3»"». Le cri de Jésus, 
meus! Deus meus, ut quid dereliquisti me, e> 
donc l'intensité de la plus grande douleur qui f 
terre, douleur que nous ne pouvons ni comprend 
apprécier; mais, de cette plainte, on aurait tort é 
clure que sur la croix il ait subi la peine du 
Cf. Suarez, In UU'^ part. Sum. theol., disp. X^ 
sect. IV, n. 41; disp. XXVIII, sect. m, n. 5, 
omnia, t. xix, p. 593, 634; Bourdaloue, loi 
III* partie. Œuvres complètes, t. viii, p. IJ 
Dorner, Geschichte der prolestantischen The 
in-8o, Munich, 1867, p. 876 sq.; Monsabré, xvi 
férence, Le martyr, in-8«, Paris, 1880, p. 256 ; 
Vie de Jésus-Christ, 1. V, c. xi, 2 in-S», Paris 
t. II, p. 342; Billot, De Verbo incamato, p 
c. III, thés. XLix, § 2-3, in-8«, Rome, 490i, p. 4 
Fouard, Vie de Notre-Seigneur Jésus- Christ, 
c. VI, 2 in-8o, Paris, 4907, t. ii, p. 387-389. 

Suarez, De angelis, 1. VIII, c. iv, v, xv; Commet 
ni'" part. Sum. theol., disp. XUI-XLIII; De pu 
disp. XLVI, sect. i, iii-iv; disp.' XL VII, sect. m, 0% 
nia, 28 in-4% Paris, 1856-4878, t. li, p. 972-978, 1( 
t. XIX, p. 697-722, 733-740 ; t. xxil, p. 903-908, 916-924, 
Bellaimin, De purgatorio, 1. II, c. iv, ïk, x, xiv; De a 
gratias et statu peccatiA. VI, c. i-vii; Concio fJl', Dt 
tibus gehennx, Opéra omnia» 8 in-4», Naples, 18 
p. 392-396, 400-408; t. iv, p. 232-247; t. vu, p. 338-347 
ticennses, Cursus theologicus, tr. XIII, De vitiis et 
disp. XVII, dub. ni-iv; disp. XVUI, dab. i-iii; ( 
dub. i-ii, 21 in-8*, Paris, 1876-1883, t. viii, p. 374-450 
Lessius, De perfectiouibus mor,ibusque divinis, l. 
justitia et ira Dei, c. xxiv-xxix, De infemo et pœn 
rum, in-8«, Paris, 1881, p. 449-538; Petau, Dogmata tt 
Tractatus de angelis, 1. III, c. vi-viii, 8 în-4», Paris, 
t. IV, p. 99-123; Bourdaloue, Carême. Sermon pour h 
de la seconde semaine, Sur l'enfer, II» partie ; Serm< 
XIX* dimanche après la Pentecôte, Sur l'éternité ynal 
I'« partie. Œuvres complètes, 16 in-8', Paris, 1822-11 
p. 65-74; t. VU, p. 244-271; Bail, Théologie affective, c 
mas en méditations, II traité, XIII' -XVII* médilatior 
Le Mans, 1846, t. v, p. 382-413; Hettinger, Apologie < 
tenthums, 5 in-8% Fribourg, 1875, II* partie, c. xv, t. 
415; Monsabré, Exposition du dogme catholique. Ce 
de N.-D. de Paris. L'autre monde, xcvii* conférenc 
gatoire; xcviii* conférence, V enfer, éternité de 
XLIX* conférence, Venfer, nature des peines, in 
1899, p. 1-147; Hurter, Theologia dogmattcm con 
tr. X, sect. I, c. ii-iv, 3 in-8*, Inspruck, 1893, t. m, ] 



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25 



DAM 



DAMASCÈNE 



26 



Bfllol, Disquisitio de natura et ralione pecccUi personalis 
sive introductio ad tractalum de pxnitentia, part. 1, c. il, 
q. Lxxxvii, thés, vi-vii, in-8% Rome, 1897, p. 69-73; Quœstiones 
denovissimis, q. m» thés, ii-iv, vi-vii, in-8% Rome, 1902, p. 47, 
^ 99-110; Pesch, Prœlectiones dogmaticx. De novissimiSt 
part. 1, sert, m. De p^rgatoHo, a. 2,n. 601-607; sect.iv, De in- 
femo,ti, % n. 624-642; a. 3,n. 642-646, 9 in-8% Fribourg-en- 
Brisgau. 1902, t IX, p. 293-296, 306-318; L. Labauche, Leçons 
de théologie dogmatique, Dogmatique spéciale. L'homme, 
Paris, 1908, p. 387-395. 

T. Ortolan. 

DAMALA8 Nicolas, né en 1842, à Athènes, devint 
en 1860 'professeur extraordinaire à la faculté théolo- 
gique de celte ville, et en 1871 professeur ordinaire 
d'herméneutique. Il mourut le 21 janvier 1892. Il a 
édité en 8 vol. les lettres de Coraï, Athènes, 1881-1891, 
et a publié les deux ouvrages théologiques suivants : 
i* Ilep^i àpxûv, Leipzig, 1863; 2» IIsp'i tyi; <jxê<xew; tt); 
iy^XntTj; éxxXïi<Tia; izphz tyiv ôpOô^o^ov, Londres, 1867. 
Il a composé aussi un traité d'herméneutique : * Epjnrjvsîa 
tl; T^v xaivTjv StaôritYiv, Athènes, 1876, t. i; 1891, t. ii; 
1892, t. ni. 

'ESJ(9,iA;, 18^2, XI' année, n. 4, p. 1 ; 'ExxXr.«Tt««Ttxij 'A^Uta, 
4892, XI' année, n. 49, p. 387; Aûtx^v lYxyx>.«)n«i5txoy, EjjiKXr.pw;**, 
Athènes, 1902, t i, p. 209. 

A. PalmierI. 

DAMALÉVIS8 Etienne, historien et théologien 
polonais du xvii* siècle, né à Warta, dans Tancienne 
principauté de Siéradz, aujourd'hui gouvernement de 
Kalisz. En 1642, il entra au couvent des chanoines régu- 
liers de Klodaw, et mourut le 16 juin 1673 à Trzemes- 
zno, dans le grand-duché de Posen. Citons parmi ses 
écrits : 1« Conclusiones e theologia morali fundatss in 
actibus humanis de peccalis in génère ad dispulan- 
dum publiée ptopositœ, Cracovie, 1637; 2« Quœstio 
Iheologica de meinto bonorum jiisti operuni, s. 1., 16^; 
3» Vitm Vladislaviensium episcoporum, Cracovie, 
1642; 4» Séries archiepiscoporum Gnesnensium atque 
resgestœ,e vetustis antiquilatum ruderibus coUeclœ, 
Varsovie, 1649; 5« Sapienlia sive orbis desiderium 
Christi Domini Salvatoris in expectatione partus 
gloriosœ Virginis Deiparx, in Ecclesia Polonorum, 
Rome, 1652; 6o VitaS. Bogumili, archiepiscopi Gnes- 
nensis ex antiquissimis gravium aulhorum chronicis 
excerpta, Rome, 1661 ; Varsovie, 1714; Kalisz, 1803. 

CbodTBski, Stefan Damalevicz, historyk, przelozony 
kanonikon lateranenskich w Kaliszu, Posen, 1872; Encyklo- 
pedia Kowdelna, Varsovie, 1874, t. iv, p. 9-12; Estreicher, 
BibUografla polska (stolecie xv do xvin), Cracovie, 1897, t. xv, 
p. 18-21 ; Wiszniewski, Historya lileratury polskiej, Cracovie, 
18è0, t. 1, p. 89, 106; t. v, p. 113; t. viil, p. 152, 164. 

A. Palmieri. 

i. DAMA8CÉNE. Voir Jean Dahasclin-e. 

2. DAMASCÈNE* hiérodiacre au monastère de 
Tchoudov a Moscou, polémiste orthodoxe contre les 
Latins. On ne connaît rien sur sa vie. On sait seulement 
qu'il mourut après 1706. Il a été mêlé à la controverse 
sur répiclèse entre les moscovites orthodoxes et les lati- 
nisants de Kiev. Dans son livre sur l'Église et ses sa- 
crements, Vyklad olzerkvi i o tzerkovnykh inetchakh, 
Kiev, 1668, Théodose Saphonovilch, higoumène du mo- 
nastère Miklaîlovsky de Kiev, soutenait que les paroles 
sacramentelles : Hoc est corpus meum ; Hic est sanguis 
nietis, suifisent pour la consécration du pain et du vin. 
Le patriarche de Moscou, Joachim, chargea un moine, 
nommé Euthyme, de lui répondre, et celui-ci composa 
VOslen (AiguilUm) que le patriarche envoya au métro- 
polite de Kiev et aux autres évêques de la Petite Russie. 
La théorie latine fut rejetée comme fausse, au synode de 
Moscou de 1690. Mais ses défenseurs ne gardèrent pas 
le silence. Gabriel Domelzky, archimandrite du monas- 
tère de Saint-Siméon à Moscou, et plus tard du monas- 
tère lourevsky à Novgorod, réfiita VOsten dans son 
-oorragc intitulé : Les iOb questions, qu'il soumit à 



l'approbation du métropolite Job de Novgorod. Celui-ci 
chargea le hiérodiacre Damascène d'examiner ce livre, 
et Damascène essaya de résoudre les objections qui y 
étaient contenues, dans un traité rédigé en forme de 
lettre au métropolite Job, et intitulé : Les i05 ré- 
ponses. Il est aussi l'auteur d'une version russe du 
IIpoTxuvr,T3tpiov du mont Athos, d'une lettre sur la tra- 
duction de la Bible, etc. 

Arkhimandrit Gavriil Dometzky i hierodiakon Damaskin, 
dans Dukhovnaia Besieda, Saint-Pétersbourg, 1865, 1. 1, p. 20- 
31, 58-63; Mirkovitch, O vraneni presuchlchestvlenii sv. Da- 
rov, Vilna, 1886, p. 83-85. 231; Stroev. Bibliologhitcheskii 
Slovar, Zapiski de TAcadémie impériale des sciences, Saint- 
Pétersbourg, 1882, t. XXIX, p. 74-75; Chliapkine, A' iatorii pôle- 
miki mejdu Moskovskimi i malorusskimi utcfienymi v 
kontzie xvn vieka, Journal du Ministère de l'instruction 
publique, 1885, t. ccxu, p. 215-216; Philarète, Obzor russkoi 
dukhovnoi literatury, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 259; Léonide, 
Athonskaia gora i Solovetzky monastyr Damaskina, Saint- 
Pétersbourg, 1883; Jakhontov, lerodiakon Damaskin, russkii 
polemist semnadtzatago vieka, Saint-Pétersbourg, 1884; Entzi- 
klopeditcheskii Slovar, t. x, p. 62; Smentzovsky, Bratia 
Likhoudi, Saint-Pétersbourg, 1899, p. 241; Russkii biogra- 
phitcheskii Slovar, lett. D, Saint-Pétersbourg. 1905, p. 54. 

A. Palmieri. 
3. DAMASCÈNE Dimitri Sëmenov Roudnev, cé- 
lèbre théologien et érudit russe du xviii» siècle. Né au 
mois de janvier 1737 dans le gouvernement de Toula, il 
fréquenta les cours de l'Académie slavo-gréco-latine de 
Moscou, et ses études achevées en 1765, il demanda au 
saint-synode de suivre les cours d'une université étran- 
gère et se rendit à Gœttingue. Recteur de l'Académie de 
Moscou en 1778, le 5 juillet 1782, à Saint-Pétersbourg 
il fut sacré évêque de Sievsk, et vicaire de l'éparchie de 
Moscou. Le 22 septembre 1783, il fut transféré au siège 
archiépiscopal de Novgorod, où il travailla avec zèle à 
relever le niveau intellectuel de son clergé et à réorga- 
niser les études dans le séminaire de son éparchie. En 
1794, il donna sa démission et se retira au monastère 
Pokrovsky de Moscou où il mourut le 18 décembre 1795. 
Damascène Roudnev inaugura sa carrière littéraire à 
Gœttingue, par la publication d'une traduction de la 
Chronique de Nestor dans VEinleitung in die synchro- 
nistische Universalhistorie de Hatlerer, Gœttingue, 
1771, p. 979-1000. On a de lui : l" la version latine du 
catéchisme du métropolite Platon, Orlhodoxa doctrina 
seu compendiuni theologiœ chrislianœ, in usum serenis- 
simi principis ac D. D. Pauli Petrowicz, pnncipis 
hereditarii omnium Russiai*um, Saint-Pétersbourg, 
1774; 2<» il traduisit en latin le traité de la procession du 
Saint-Esprit, par Théophane Prokopovitch : Tractaius 
de processione Spiritus Sancti, Gotha, 1772, y ajouta 
la vie de l'auteur, des éclaircissements, et un chapitre 
intitulé : Hislona de ortu et progressu controversim 
grœcos intérêt lalinos de processione Spiritus Sancti, 
p. 3-128, et VIndex chronologicus scHptorum de 
processione Spiritus Sancti ab initio conlroversiœ ad 
noétra usque tempora; 3^ il composa un livre précieux 
pour l'ancienne bibliographie théologique russe, la 
Bibliotheka rossiiskaia ili svîedienie o vsiekh knigakh 
V Rossii s nalchala tipographii na sviet vychedchikh, 
publié en 1881 à Saint-Pétersbourg par la Société des 
amateurs de Vancienne littérature, t. xi, et réédité 
en 1891 dans la Tchteniia (Lectures) de la Société 
impériale d'histoire et d'antiquités russes, édit. Barsov. 
On y trouve la liste des livres imprimés en Russie 
depuis 1518 jusqu'à 1785. Il édita aussi, en 12 vol., les 
œuvres oratoires du métropolite Platon, Moscou, 1780- 
1782; et composa lui-même un recueil de sermons 
édité à Moscou en 1783. 

Bakmeister, Russische Bibliothek zur Kenntniss des gegen- 
wàrtigen Zustandes der Literatur im Russland, Saint- 
Pétersbourg, 1779, t. VI, p. 33V-338, 455, 573; Drevniaia 
rossiiskaia bibliotheka, édit. Novikov, 1791, t. xvin, p. 100- 
105 ; Ambroise (Ornatsky, évèque de Pensa), Istoriia rossiiskoi 



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27 



DAMASCÈNE — DAMASE P-^ 



ierarkhii, 2* édit., Kiev, 1827, p. 150, 207, 325; Eugène (métro- 
polite), Slovar pisateliakh dukhovnago tchina, Saint-Pé- 
tersbourg, 1827, t.i, p. 106-110; Macaire, Istoriia nijegorodskoi 
ierarkhii, Saint-Pétersbourg. 1857, p. 160-180; Tchislovitch, 
IstoHiaS. Peterburgskoi dukhovnoi Akademii, Saint-Péters- 
bourg, 1857, p. 62-68; Sukhomlinov, Istorlia rossiiskoi 
Akademii, Saint-Pétersbourg, 1874, t. i. p. 139-183; Gennadi, 
Spravotchnyi Slovar o russkikh pisateliakh, Berlin, 1876, t. i, 
p. 278; Porphyriev, Istoriia russkoi slovesnoati, Kazan, 1884, 
t. II, p. 373-374, 378-379; Philarète, OOzor russkoi dukovnoi 
literatury, Saint-Pétersbourg, 1884, p. 365-366; Smimov, Isto- 
riia Moskovskoi slaviano greko-latinskoi Akademii, Moscou, 
1885, p. 182, 237, 351-354; Anenlex , Slovar pisatelei sredniago, 
novago periodou russkoi literatury, Saint-Pétersbourg, 1887, 
p. 113-114; Entziklopeditchesky Slovar, t. x, p. 60-61; Cîoro- 
Jansky, Damaskin Semenov-Rudnev, episkop nijegorodskii, 
egojizn i trud, Kiev, 1894 (l'ouvrage le plus important sur la vie 
et les œuvres de Damascène Roudnev) ; Pravoslavnaia bogos- 
lovskaia entziklopediia, t. iv, col. 885-893. 

A. Palmieri. 

4. DAMIASCÉNE LE STUDITE, le plus populaire 
des prédicateurs grecs du xvi« siècle. On a peu de ren- 
seignements sur sa vie. Originaire de Salonique, élève 
du célèbre Thomas (en religion Théophane) Éléavoul- 
cos Notaras, il fut envoyé comme exarque dans la 
Petite Russie par le patriarche Métrophane (1565-1572), 
puis élevé au siège épiscopal de Lita et Rendina, d'où 
le patriarche Jérémie (1572-1579), son ancien élève, le 
transféra à la métropole de Naupacle et Arta, où il 
mourut en 1577, au témoignage d'un contemporain, 
Gabriel Calonas. Voir E. Legrand, Bibliographie hellé- 
nique des XV* et xvi* siècles, Paris, 1906, t. iv, p. 165. 
Le plus remarquable de ses ouvrages est le Trésor, 
BtêXtov ôvo|j.otÇ6|j.6vov ÔTiO-aup^c» l*nn des volumes le 
plus souvent imprimés. La première édition date de 
1568. Cf. E. Legrand, loc. cit., p. 143. C'est un recueil 
de trente-six sermons, suivis de sept discours moraux, 
empruntés, sans que cette particularité soit signalée, 
au hiéromoine Joannikios Carlanos, grand protosyn- 
celle de Corfou, qui les avait publiés, avec d'autres du 
même genre, en appendice à son Ancien et Nouveau 
Testament, paru en 1536 et plusieurs fois réimprimé 
depuis. Les sermons de Damascène ont souvent pour 
sujet un fait biblique ou une légende de saint; les 
Pères de l'Église y sont assez fréquemment cités, mais 
l'auteur est moins préoccupé de faire de la théologie 
que d'édiûer son auditoire. Malgré Tenllure oratoire, 
le style est simple, et ce caractère n'a pas peu contribué 
à augmenter la popularité'de l'ouvrage. La bibliothèque 
patriarcale de Jérusalem possède une version turque 
du 0Yi<raup6;, faite, en 1731, à Césarée de Cappadoce. 

On a encore de notre auteur : !<> un discours sur le 
Décalogue, imprimé avec d'autres du même genre en 
appendice aux Ma?Y*P^Tai de saint Jean Chrysostome ; 
ce morceau occupe, dans l'édition de 1764, les p. 336. 
344; 2© un remaniement populaire du Physiologus, dé- 
dié à Michel Cantacuzène et imprimé en 1643 à la suite 
de l'Hirmologe, Legrand, Bibliographie hellénique du 
xviii* siècle, t. i, p. 442; 3® un traité de chronologie 
destiné à remplacer le manuel de Michel Chrysokokkès ; 
l'opuscule est inédit, mais la bibliothèque du Saint- 
Sépulcre à Constantinople en possède, sous le n. 317, 
fol. 41-68, le manuscrit autographe, écrit en février 
1574; 40 un discours parénélique aux moines désireux 
de faire leur salut, conservé dans le Hierosolymitanus 
sancti Sabœ 427, fol. 68-76, avec une traduction, due 
également à Damascène, du discours aux novices d'Isaac 
le Syrien; 5° un dialogue humoristique sur l'état social 
du peuple grec entre Damascène lui-môme et le supé- 
rieur de Sainte-Anastasie ; signalé déjà par Allatius 
dans sa préface aux œuvres de Jean Damascène, ce cu- 
rieux morceau se trouve en tête du manuscrit 764 du 
monastère d'Iviron au mont Athos; 6» un court poème 
élégiaque sur la dormition de la Vierge; imprimé dans 
le J^résor à la suite des sermons, il est souvent men- 



tionné dans les catalogues de manuscrits; 7» une 11 
des empereurs, des sultans et des patriarches de C 
stantinople contenue à la suite du Physiologus dans 
ms. 462 du métochion du Saint-Sépulcre à Constai 
nople ; 8» le ms. 542 du même fonds renferme tre 
lettres de Damascène publiées par Manuel Gédéon d 
l"Exx).Ti«Tta<TTixTi 'AXr.Ôeia, t. iii, p. 87-91, et reprodi 
peu après, avec certains amendements dans le te 
par A. Papapoulos-Kerameus, dans les Mémoires 
Syllogue de Constantinople, 1886, t. xvii, p. 62-66. 

Ph. Meyer.Dw theologische Litteratur der griechischen 
che im xvt Jahrhundert, Leipzig, 1899, p. 128-132; M. Géd 
loc. cit., p. 85-87, 649-651 ; P. Lavrov, Damascène le Sti 
et le recueil intitulé de son nom < Damasking • dans la \ 
rature jugoslave, dans r Annuaire de la société bistorico- 
raire de la nouvelle université impériale russe, Odessa, ' 
t. VII, section byzantine, iv, p. 305-384. 

L. Petit. 

1. DAMASE hspape (366-38'»), né à Rome, 
fils d'Antoine, qui, d'après une inscription de S. Lon 
in Damaso, avait été écrivain, lecteur, diacre et pi 
en cette église. Lui-même y servit longtemps; et 
croit que Saint-Laurent fut élevé sur l'emplacemei 
sa maison paternelle. On a prétendu récemment 
Damase était né en Espagne. Benardès et Theca 
S. Damaso 1 papa confessore hispanico, Rome, i 
Kûnstle, Antipriscilliana, Fribourg-en-Brisgau, 
p. 100. Homme d'une grande vertu, d'une intelli^ 
cultivée, bien vu dans l'aristocratie et spécialement 
les grandes dames romaines, il était très estimé 
plupart, quoique jalousé par quelques-uns. Il était 
cre, lorsque Libère fut chassé par Constance ( 
alors non contentde faire serment, avec le reste du cl 
de ne pas reconnaître d'autre pape que lui, il l'ac 
pagna pendant quelque temps. Cependant il ne 
pas à revenir, et se rallia au diacre Félix, nommé 
par ordre de Constance. De nouveau, il se réunit 
hère, quand celui-ci revint de Bérée. Mais cette d 
attitude fut pour lui la source de bien des emb 
non seulement lors de son élection après la m( 
Libère, survenue le 24 septembre 366, maisencort 
dant tout son pontiGcat. 

En effet, deux partis se formèrent. Les uns, en 
intransigeants de tous ceux qui avaient été féli 
conduits par sept prêtres et trois diacres, dans k 
lique de Jules, élurent l'un d'entre eux, Ursinui 
firent immédiatement ordonner par l'évéque de 
les autres, c'est-à-dire la grande majorité des fid 
du clergé, réunis à la basilique de Saint- Laur 
Lucina, acclamèrent Damase. Celui-ci se fit sacr 
jours après, selon les règles, par l'évoque d'Ostii 
dès le premier jour jusqu'à sa mort, Ursin ne c< 
le poursuivre de toutes les manières, soit perso 
ment, soit par les siens. 

Il eut donc à régler d'abord le schisme de Ronc 
les nombreux autres cas de schisme et d'hérésie 
posèrent alors, en Occident et en Orient, après 1 
ciles de Rimini et de Séleucie. La réaction qi 
contre ces conciles où Tarianisme remporta, ( 
Constance, une victoire qui hâta sa ruine, lui 
de fréquentes occasions d'intervenir heureu 
contre les derniers tenants et les derniers re 
cette erreur. Les malheurs de l'Orient, sous l'er 
Valens, lui valurent d'être invoqué comnie ar 
comme juge dans ce pays. L'avènement d< 
miers princes vraiment chrétiens, tels que Vale 
Gratien, Théodose, le concours des plus gran 
leurs, tels qu'Athanase, Basile, Grégoire de N 
Ambroise, Jérôme, etc., marquent sous son p 
l'apogée de la papauté. 

1» Schisme des ursiniens. — L'un des eflfets 
quables de ce schisme fut d'amener, d*unc ] 
empereurs chrétiens à prêter main forte aux d 



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29 



DAMASE I" 



30 



ecclésiastiques, d'autre part, de pousser le pape, les évê- 
ques et les conciles à solliciter le secours du bras sécu- 
lier. Valentinien, qui aurait voulu d'abord garder la 
neutralité entre les divers partis religieux, et se contenter 
de sauvegarder Tordre public, dut bientôt se convaincre, 
en présence des troubles suscités par eux, qu'il lui 
fallait prendre position, et discerner, pour le défendre, 
celui qui avait le droit pour lui, de Dainase ou d'Ursi- 
nus. Aussi, Yiventius. préfet de Rome, après avoir 
laissé pendant trois jours les ursiniens et les dainasiens 
s'entr'égorger, reconnut la régularité de l'ordination 
de Damase, et décida qu'Ursinus serait éloigné de 
Rome avec les deux diacres, Araantius et Lupus. Et 
comme les sept prêtres, que ses partisans avaient encore 
à leur tête, continuaient leurs assemblées schismatiques, 
Damase lui-même s'adressa à l'autorité qui les arrêta 
et les conduisit hors de Rome. La suite montra bien 
la nécessité de ce recours et de cette intervention. Les 
sept prêtres, ayant été délivrés en cours de route, par 
leurs Gdèies, s'installèrent dans la basilique de Libère. 
Mais, le 26 octobre 366, les damasiens vinrent les y 
assiéger et leur tuèrent 137 personnes, dit Ammien 
Marcellin, 160, disent les Gesta intei* LibeHum et Fe- 
liceni, sans toutefois parvenir à les en déloger. De 
nouveaux troubles eurent lieu, quand, au bout d'un an, 
Valentinien, sous prétexte de neutralité, permit à Ursi- 
nus et aux autres exilés de rentrer à Rome. Le 16 no- 
vembre 367, l'empereur dut charger le préfet Prétextât 
de les expulser une seconde fois. 

Il fit remettre à Damase, qui l'avait réclamée, par 
lorgane du défenseur de VÈ^Mse romaine, la basilique 
libérienne, qu'ils avaient conservée (fin 367); il chassa 
ensuite (12 janvier 368) les prêtres qui présidaient leurs 
assemblées, et comme ils continuaient de se réunir dans 
la banlieue, spécialement à Sainte-Agnès, et qu'ils y 
étaient poursuivis par les damasiens, il finit par leur 
interdire non seulement la ville, mais la banlieue elle- 
même dans un rayon de vingt milles. Ursinus fut expédié 
en Gaule (fin 368) et ce n'est que plus tard (370-372) 
qu'il fut permis à lui et aux siens de séjourner dans 
l'Italie du Nord. 

Ainsi tenus à distance, les ursiniens cherchèrent à 
discréditer Damase par des libelles et par des accusa- 
tions devant le magistrat. Ils lui intentèrent un premier 
procès, connu seulement par une allusion, vers 370. 
A Milan, ils troublèrent les offices de saint Ambroise, 
ce qui amena une nouvelle intervention de l'empereur. 
Enfin ils chargèrent un certain Isaac, juif converti, 
d'intenter au pape un second procès devant le préfet de 
Rome, pour un crime mal défmi, mais capital, que 
certains conjecturent avoir été le crime d'adultère : 
accusation bien invraisemblable contre un vieillard de 
75 ans. Il parait cependant que le préfet de Rome 
menaçait d'aboutir à une condamnation, quand l'empe- 
reur Gratien, informé, évoqua 1 afl'aire, renvoya le vieux 
pontife absous, exila Isaac en Espagne et interna Ursi- 
nus à Cologne. 

Damase ne se contenta pas de cette justification : il 
convoqua à Rome, en 378, un concile des évêques d'Ita- 
lie, pour y examiner son affaire. D'après le libelle des 
prêtres Faustin et Marcellin, partisans d'Ursinus, un 
concile antérieur, tenu en 367 ou 368, aurait refusé de 
condamner Ursinus sans l'entendre. Cette fois, les évê- 
ques forent plus catégoriques, et demandèrent à l'em- 
pereur d'exécuter les sentences ecclésiastiques contre 
les prélats rebelles et de protéger Damase contre ses 
ennemis. 

.Vous avons encore la lettre du concile et la réponse 
de Gratien. Ils rappellent, dit Duchesne, IHstoire 
ancienne de l'Église, t. ii, p. 468, que dans une phase 
antérieure de l'afTaire d'Ursinus, le souverain avait 
décidé, que, la police se chargeant d'éloigner l'auteur 
des troubles, il appartiendrait au pape d'instrumenter 



contre les évêques qui avaient pris son parti... Cepen- 
dant, il pouvait se présenter des cas où l'efficacité des 
sentences ecclésiastiques et les services qu'elles étaient 
appelées à rendre au point de vue du bon ordre, 
auraient été compromis par une abstention trop ab- 
solue de la part de l'État. Les évêques demandaient 
qu'on leur prête main forte d'abord pour faire compa- 
raître les prélats récalcitrants, ensuite pour empêcher 
les évêques déposés de porter le trouble dans les 
églises que le juge ecclésiastique aurait soustraites à 
leur obéissance. On spécifiait le cas des évêques de 
Parmes et de Pouzzoles, qui refusaient de se sou- 
mettre aux sentences de déposition rendues contre 
eux : celui de l'évêque africain Restitutus et de 
révêque donatiste de Rome, Claudien. Constant, Epist. 
rom. pont., p. 523. Le concile voulut aussi et surtout 
mettre le pape à l'abri des accusations de ses ennemis. 
A L'empereur, dit-il, a examiné la conduite de Damase : 
il doit être interdit désormais aux calomniateurs de le 
traîner devant le magistrat. S'il y a lieu à procès, et 
que la cause ne soit pas de la compétence du concile, 
au moins qu'elle soit portée devant l'empereur en per- 
sonne. » En dehors du cas récent, il y a un autre précé- 
dent : le pape Silvestre, accusé par des sacrilèges, fut 
jugé par l'empereur Constantin. 

Gratien, dans son rescrit au vicaire Aquilinus (fin 378), 
entra sur tous les points dans les vues du concile. 
Toutefois, pour ce qui était du pape, il le laissa en 
principe sous la juridiction du préfet de Rome, se 
contentant de prescrire de ne point admettre facile- 
ment l'accusation ou le témoignage de gens de mœurs 
suspectes ou connus comme calomniateurs. CoUectio 
Avellana, n. 13, dans Cot^us scriplorum ecclesiasti- 
coinim latinorum, t. xxxva, p. 54 sq. 

Malgré tout cela, Ursinus continua de s'acharner 
contre Damase par ses agents et spécialement par un 
eunuque appelé Paschase. En 381, le préfet envoya à 
la cour un rapport où tout semblait remis en question. 
Mais le concile d'Âquilée, sur la demande de saint 
Ambroise, fit une démarche très pressante près de 
Gratien et depuis l'on n'entendit plus parler d'Ursinus, 
qui dut mourir vers cette époque. 

2« Autres schismes. — Damase avait encore d'autres 
schismes à éteindre : il invoqua contre eux le bras 
séculier, comme il l'avait fait contre Ursinus. A Rome, 
les donatistes formaient une église gouvernée par des 
évêques de leur pays, et alors par Claudien. Le concile 
de Rome en 378 demanda à Gratien son expulsion. — 
Il y avait aussi celui des lucifériens, composé de ceux 
qui avaient pris, contre les faillis de Rimini, l'attitude 
intransigeante de Lucifer de Cagliari et de Grégoire 
d'Illiberris, et regardaient l'indulgence, en faveur des 
repentants, de Libère, d'Hilaire, d'Athanase, comme une 
prévarication. Ils avaient eux aussi un évêque nommé 
Aurélius, et un prêtre, fameux ascète, nommé Macaire. 
Ils tenaient des réunions privées, faute d'églises, dans 
des maisons particulières. Damase les fit poursuivre 
par le magistrat. Macaire, appréhendé et bousculé par 
le peuple, fut jugé, condamné à l'exil et mourut à 
Ostie des suites d'une blessure. L'évêque d'Ostie le fit 
inhumer dans la basilique d'Asterius. Damase s'efforça 
aussi de faire condamner Ephesius qui avait succédé 
comme évêque à Aurélius. Il les fit combattre avec force 
par saint Jérôme dans un dialogue, 378-380, Contra 
luciferianos, leur reprocha de croire leur petite église 
la seule vraie : Ecclesiœ salus in summa sacerdotii 
dignitate consistit, etc., c. ix. L'histoire de ces événe- 
ments a été racontée tout au long par les prêtres luci- 
fériens, Faustin et Marcellin, dans leur Libeîlus pre- 
cum ad imp., 383. P. L., t. xiii, col. 81-107. 

30 Contre les évêques ariens d'Occident. — En même 
temps que les schismatiques, Damase poursuivit les 
derniers tenants de l'arianisme, en Occident et en 



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31 



DAMASE P' 



Orient. En Occident, ils n'avaient jamais eu Tapproba- 
tion du clergé depuis la tyrannie qu'ils avaient fait 
subir à Rimini, ils étaient unanimement détestés et 
beaucoup de conciles tenus en différents endroits 
avaient affirmé la foi de Nicée : d'autre part, ils 
n'avaient plus autant l'appui des empereurs. Damase 
réunit à Rome, en 369, un concile composé d'un grand 
nombre d'évéques, où furent condamnés Ursace et 
Valens avec ceux qui suivaient leurs sentiments. Le 
concile écrivit une lettre synodale et saint Athanase, 
assemblé avec les évoques d'Ég>pte, écrivit au pape 
pour le remercier, et lui signaler aussi Auzence, 
évoque de Milan. Episl. ad Afros, 10, P. G., t. xxvi, 
col. 1229 sq. 

Auxence était plus difficile à attaquer, parce que 
Valentinien, trompé par une formule équivoque de foi, 
le croyait orthodoxe. Cependant, dans un second concile 
de 90 évéques, tenu à Rome sur l'instigation de saint 
Athanase, il déclara que le symbole de Nicée était le 
seul autorisé, il annula absolument le concile de Ri- 
mini, et rappela d'après une lettre des évéques de 
Gaule et de Vénétie qu'Auxence avait été déjà antérieu- 
rement condamné. Jaffé, n. 232, Confidimus quideni. 
Il fit part de cette condamnation aux évéques d'Illyrie. 
Toutefois Auxence resta sur son siège jusqu'à sa mort 
en 374. 

De nombreux conciles provinciaux, encouragés par 
ces actes de Damase, accentuèrent le retour à la foi de 
Nicée, dans toutes les régions d'Occident. En Afrique, 
l'évéque de Carlhage Restitutus demeurait attaché à la 
formule de Rimini. C'est à son occasion qu*Athanase 
avait écrit sa lettre fameuse Ad Afros et Damase le 
somma de comparaître devant un tribunal d'évéques ; 
Gratien même lui adressa un rescrit pour l'y contrain- 
dre. On dit qu'il ne se présenta point ; mais peut-être 
fi'amenda-t-il. 

Deux évéques danubiens, Paliadius de Ratiaria et 
Secundianus, menacés de déposition, obtinrent de 
Gratien qu'ils seraient jugés par un concile œcumé- 
nique tenu à Aquilée. Ce concile se tint en 381 sous la 
présidence de saint Ambroise, mais sans l'appareil 
qu'ils avaient demandé, appareil rendu impossible par 
la tenue simultanée du concile de Constantinople et 
que Damase lui-même jugeait désormais inutile. Le 
concile les déposa et pria l'empereur de faire exécuter 
la sentence. 

4« Priscilliens. — Damase ne vit que les débuts du 
priscillianisme en Espagne et en Gaule. Parmi les 
écrits de leur chef, nouvellement découverts, on en 
voit un qu'il adresse à Damase, parce qu'il occupe le 
plus haut rang et qu'il est le premier entre tous: senior 
omnium nostruni es, ailleurs : omnium senior et pri- 
nius; il en appelle du concile de Saragosse à Damase 
et à son concile. Liber II ad Damasum episcopum, 
Priscilliani opéra, édit. Schepss, Vienne, 1889, p. 34- 
43. La Fides Damasi et les Formules damasiennes 
contre les prisciUianistes seraient, d'après M. Kûnstle, 
d'origine espagnole. Antipriscilliana, Fribourg-en-Bris- 
gau, 1905, p. 46-58. 

5» Les affaires d^Onent. — L'attention de Damase 
fut attirée du côté de l'Orient par les évéques orien- 
taux eux-mêmes. Ceux-ci étaient sous le règne tyran- 
nique de l'empereur Valens : ils étaient troublés par 
les quelques évéques ariens qui tenaient, avec la faveur 
impériale, les grands sièges, par le schisme malheu- 
reux qui divisait les catholiques d'Antioche, plus que 
par leurs dissensions doctrinales. Partisans de 
r6(jLotouo-(oc ou de l'ôpLoo-Jo-coc, nicéens purs ou quasini- 
céens, tous, l'expression mise à part, se sentaient une 
même foi, et avaient conscience que pour être bien 
réunis entre eux et avec toute Tr-glise, contre les der- 
niers survivants de l'arianisme pur, comme pour être 
fortifiés contre les attaques de Valens, il suffirait que, 



selon son devoir, le chef de TÉglise d'Occident, Vévé 
de Rome, vint à leur secours et s'occupât bénignen 
de leurs affaires. 

Il ne semble pas malheureusement qu'à Rome ma 
on ait eu la sensation nette de ce besoin : on se la 
impressionner par les vieilles rancunes et défiât 
et tromper par des personnages d'Orient, qui n'en 
présentaient point parfaitement les sentiments. Dam 
en ces questions, ne parait pas avoir eu tout le tact q 
montra en d'autres occasions. 

On a déjà parlé à l'occasion de saint Athanase 
Tarianisme, 1. 1, col. 1841, et à l'occasion de saint Ba 
des appels que l'Orient, à partir de 371 , adressa à l'évé 
de Rome, pour le solliciter d'envoyer des légats, i 
mission de pacifier et de consoler les églises aflli{ 
de ce pays. Ms*" Duchesne, que nous suivons ici. a tr 
de nouveau ce sujet dans son Histoire ancienne 
VÉglise, t. ii, p. 400-418. Basile de Césarée, après s' 
entendu avec Athanase d'Alexandrie et Mélcce d' 
tioche, Epist., lxvi, P. G., t. xxxii, col. 424, dépé 
d'abord à Damase le diacre Dorothée qui revint bie 
avec le diacre Sabinus de Milan porteur d'une le 
synodale du pape. Comme cette lettre paraissait ini 
fisante, Basile, par de nouvelles lettres, Epist,, xc-x 
col. 472-484, dont l'une signée de trente-deux de ses 
lègues, supplia les évéques d'Italie et de Gaule de v( 
en aide d'une façon plus efficace aux maux de l'Ég 
orientale (372). La réponse ne fut rapportée qu'à l'étt 
373, par Évagrius, prêtre d'Antioche. Elle consîj 
dans une formule qu'on devait signer sans y rien cl 
ger : on renvoyait les lettres d'Orient qui n'avaient 
plu, et on disait aux Orientaux que c'était à euxde v< 
les premiers, s'ils voulaient qu'on allât chez eux. C 
réponse froide et autoritaire aflligea Basile : depuis 1 
il n'eut qu'une médiocre idée des Occidentaux, et 
chef, le pape Damase, lui fit l'effet d'un homme orgi 
leux et impitoyable. Cependant, en 375, on renvoi 
formule jadis apportée par Évagrius, munie des sij 
tures demandées, par les prêtres Dorothée et San( 
sime, qui devaient remettre en même temps une lor 
lettre de Basile. EpisL, cxx, cxxi, cxxix, ccliii-cc 
col. 527, 540, 557, ^0-945. 

c Le résultat ne fut pas celui que l'on désirait, 
Mfl' Duchesne, p. 408. Personne ne vint d'Occid 
Toutefois Dorothée rapporta une lettre où l'on ren 
témoignage à son zèle en déclarant qu'on s'était eff 
de l'aider. Au point de vue doctrinal, la lettre répi 
vait les erreurs de Marcel et d'Apollinaire, mais 
les nommer. Le terme una substantia n'était plus 
ployé : on lui substituait celui d'una où^na en gre« 
latin ne possédant pas l'équivalent de ce terme. » C 
tant, Epist. rom. pont., p. 495 : Ea'gratia. 

Mais en même temps, Damase écrivait à Paulin d 
tioche une lettre qu'il lui faisait porter sans doute 
Vitalis. Jaffé, n. 235. Or, d'une part, Paulin était le ] 
de Mélèce, de ce Mélèce que Rome soutenait dans l'afi 
du schisme d'Antioche, tandis qu'il avait les sympat 
des Orientaux, sauf des Alexandrins, et c'était sur 1 
lin seul qu'en Orient on faisait tomber la responsab 
du schisme. D'autre part, Vitalis, ami de Paulin, 
seulement avait quitté la communion de Mélèce; i 
encore se faisait apollinariste. Les relations de Daii 
avec ces deux hommes n'étaient pas pour plai) 
saint Basile et aux siens. Damase, d'ailleurs, fut 
averti de son erreur en ce qui concernait Vitalis, 
par des courriers exprès, il prévint Paulin de ne r 
voir Vitalis que moyennant une confession orthod 
On sait d'ailleurs que Vitalis, ainsi mis en (lemeur 
se prononcer, quitta Paulin pour Apollinaire, et, co 
cré évêque par ce dernier, fonda une nouvelle é{ 
dissidente à Antioche. 

Mais ces erreurs de tactique commises par Dar 
et les Occidentaux donnèrent à Basile l'espén 



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33 



DAMASE I«^ 



34 



qu'ils allaient cnGn ouvrir les yeux et reconnaître quels 
étaient en Orient les vrais amis de Torthodoxie et de 
la paix. Dans cette espérance, il fit reporter à Rome, en 
377, par Dorothée et Sanctissime une seconde lettre, 
Epiêt., ccLxiii, col. 976-981, longue, affectueuse, où il 
sollicitait les Occidentaux de répudier non plus les 
ariens, que leurs excès rendaient odieux, mais surtout 
ceux que leur amitié rendait plus pernicieux, Eusthate, 
le chef des pneumatomaques, Apollinaire, qui ensei- 
gnait le règne de mille ans et une fausse doctrine sur 
l'homanité du Christ, enfin Marcel, dont les disciples 
trouvaient trop d'accueil auprès de Paulin. 

Mais cette lettre n'obtint encore qu'une demi-satis- 
fiaction. Rome avait déjà condamné ces erreurs dans la 
première lettre confiée à Dorothée : elle les condamna 
de nouveau, pour complaire aux Orientaux, dans la 
nouvelle lettre que Dorothée rapporta. Coustant, Epist. 
rorn. pont., p. 498. Mais elle s'abstint encore de con- 
damner nommément Eusthate, Apollinaire, Paulin, qui 
étaient ses amis de vieille date, qu'elle n'avait pas en- 
tendus, que les autorités d'Orient elles-mêmes n'avaient 
pas jugés. Elle était tellement prévenue pour eux et 
contre les amis de Basile, encouragée d'ailleurs en ce 
sens par Pierre d'Alexandrie, alors réfugié à Rome, que 
dans ses entretiens avec Dorothée, Damase ne se gênait 
|>as de traiter Méièce et Eusèbe de Samosate d'ariens. 
Cf. S. Basile, Epist., cclxvi, col. 992 sq. 

Cependant, sur de nouveaux renseignements, en 
379, avant que Pierre s'en retournât de Rome à 
Alexandrie, Damase tint à Rome an concile où il con- 
damna nommément Apollinaire et son disciple Timo- 
thée. Cétait déjà une satisfaction accordée aux Orien- 
taux sur le terrain doctrinal. Une nouvelle difficulté 
surgit lorsque le grand concile de Constantinople, en 
381, remplaça Méièce par Flavien et évinça Maxime le 
Cynique de Constantinople. Il avait été convenu qu'à 
la mort de Méièce on laisserait Paulin seul évéque; et 
Maxime le Cynique, qui avait supplanté Grégoire de 
Nazianze, avec le concours du patriarche d'Alexandrie, 
était venu jusqu'au concile d'Aquilée capter la bonne foi 
de saint Âmbroise. Pour régler ces aflaires, celui-ci avait 
demandé à Théodose, qui l'avait accordée, la réunion 
d'un nouveau concile général composé des deux épisco- 
pats d'Orient et d'Occident. Ce concile eut lieu en 382 à 
Rome; mais les Orientaux qui venaient de tenir celui 
de Constantinople, prétendirent assez justement qu'ils 
ne pouvaient quitter leurs églises encore une fois et 
envoyèrent seulement trois délégués, avec une lettre 
où l'on exposait la vraie foi, mais où l'on taisait les 
questions de personnes comme régulièrement tranchées. 
De fait, le concile de Rome accepta l'éviction, qui 
s'imposait, de Maxime le Cynique, d'autant plus faci- 
lement que Damase, mieux informé qu'Âmbroise, 
l'avait déjà ratifiée dès 380, et avait chargé le concile 
de Constantinople de le remplacer. Jaffé, an. 380. 
L'élection de Nectaire, bien qu'il n'eut été que laïque 
lors de sa promotion, fut approuvée. Sur la demande 
de Théodose des lettres de communion furent envoyées 
dans ce sens. Pour l'affaire d'Antioche, on la laissa 
dans l'état. 

Après avoir étudié dans leur ensemble et leur suite 
les relations de Damase avec l'Orient, voyons en détail 
et brièvement ses actes particuliers contre les hérésies 
et les schismes de ce pays. 

6» Arianisme d'Orient, — Nous n'avons presque rien 
de spécial à ajouter en ce qui concerne cette hérésie. 
De l'arianisme pur il ne restait plus que quelques 
vieux tenants, possédant, il est vrai, les grands sièges, 
tels qu'Eudoxe de Constantinople, Euzoius d'Antioche, 
mais ils étaient déjà déconsidérés. Acace et Eunome, 
retirés à l'écart, n'avaient plus guère d'influence. Leur 
plus grande force c'était l'appui de Valens : elle devait 
tomber avec lui. Et même si puissante qu'elle fût, elle 

DICT. DÉ^THÉOL. GATHOL. 



ne contrebalançait pas le crédit des grands docteurs 
de ce temps, surtout des Cappadociens. Néanmoins, Da- 
mase insistait toujours sur la reconnaissance du con- 
cile de Nicée et l'annulation de celui de Rimini. Ce 
concile, disait-il, manque de toute valeur, parce qu'il 
n'a pas l'approbation de l'évêque de Rome, dont on 
doit solliciter le jugement avant tout. Mansi, ConciL, 
t. III, n. 43; Jafi'é, n. 242. En 369, après le concile de 
Rome, il rédigea une formule {tonius ou typtis) qui fut 
envoyée plus tard aux évêques d'Orient. Ceux-ci le 
signèrent à plusieurs reprises. Au concile d'Antioche 
de 379 sous Méièce, 157 d'entre eux apposèrent à une 
formule semblable leurs souscriptions, qui furent gar- 
dées dans les archives romaines. Constant y Epist. rotti. 
pont., p. 500; Duchesne, p. 421, note 2. 

7® Apoliinaristes, sabelliens, eunomiens, macédo- 
niens, photiniens. — Vers 380, dans un synode romain, 
Damase rédigea une Confessio fidei catholicœ, où il 
résumait en « vingt-quatre anathèmes » toutes ses 
condamnations contre les hérésies orientales. Un pre- 
mier anathème vise ceux qui ne reconnaîtraient pas au 
Saint-Esprit unité de puissance et de substance avec le 
Père et le Fils : viennent ensuite des anathèmes contre 
les sabelliens, les ariens, les eunomiens, les macédo- 
niens, les photiniens, les apoliinaristes et la doctrine at- 
tribuée à Marcel d'Ancyre; puis recommence une série 
d'anathèmes relatifs au Saint-Esprit pour affirmer plus 
énergiquement sa divinité essentielle et sa consubstan- 
tialité par rapport au Père et au Fils. Cette Confessio 
fidei fut envoyée à Paulin d'Antioche. Denzinger, En- 
chiridion, n. 22-45; Duchesne, Hist, anc. de l'Église, 
t. II, p. 410, note. Marcel d'Ancyre ne fut pas nommé 
dans la condamnation de ses erreurs, parce qu'il 
avait été jadis soutenu par le pape Jules, et parce qu'il 
s'était rapproché récemment d'Athanase,- par une pro- 
fession de foi que ce docteur avait jugée sufllsante. Par 
ses opinions sur la consubstantialité qu'il semblait 
pousser jusqu'au sabellianisme, il compromettait les 
partisans du consubstantiel et on reprochait aux Ro- 
mains et à Paulin d'Antioche de le fréquenter. Apolli- 
naire avait été aussi longtemps l'ami de Rome, d'Atha- 
nase et de Paulin à cause de sa fidélité à la foi de 
Nicée. Plus tard il donna des leçons à saint Jérôme. 

Mais les mélétiens le tenaient en défiance à cause de 
ses relations. Il donna raison à ceux-ci, et tort à ceux- 
là, quand, à partir de 371, par réaction contre l'aria- 
nisme, il aboutit au système qui porte son nom. 
Athanase, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse le 
combattirent, et les Orientaux, par l'intermédiaire de 
saint Basile, prièrent souvent Damase de se désolidariser 
d'avec lui en le condamnant. Damase le fit enfin dans 
un concile de 376; il chargea saint Jérôme de rédiger 
une profession de foi que devaient signer les apolii- 
naristes qui voudraient revenir à l'unité : il l'envoya 
aux évêques d'Orient, et en pressa l'adoption surtout 
quand Vitalis, après son retour de Rome, compromit 
Paulin en se faisant apollinariste. En 378, il déposa 
ensemble Apollinaire, Vitalis et Timothée, et rappela 
cette déposition dans la lettre synodale que nous avons 
citée plus haut. Jafi'é, n. 378. 

Quant aux pneumatomaques, auxquels s'était rallié 
Eusthate et que l'on appelait aussi macédoniens, signa- 
lés d'abord par saint Athanase à l'empereur Jovien, 
combattus par saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, 
Didyme l'Aveugle, saint Ambroise, ils furent condamnés 
par Damase dans les conciles de Rome de 369, de 374 et 
et en 380. On a prouvé que la formule qui est en tête 
du décret de Gélase, De libris recipiendis, est celle 
qu'il rédigea. Thiel, Epist. rom. pont., p. 53. Le con- 
cile de Constantinople de 381 confirma celte condam- 
nation. 

Tout ce qu'on a dit jusqu'ici lait suffisamment con- 
naître l'attitude de Damase à l'égard des Églises d'An- 



IV. - 2 

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35 



DAMASE P-^ 



DAMEN 



tioche, d'Alexandrie et de Conslanlinople. Il élail 
d'accord avec le successeur d'Âlhanase, Pierre d'Alexan- 
drie, auquel il écrivit des lettres de consolation lors- 
qu'il fut exilé sous Valens en 374. Il l'accueillit favo- 
rablement à Rome et se laissa trop influencer par lui 
dans ses rapports avec saint Hasile et saint Méléce, il 
lui donna des lettres de communion lorsqu'il s'en re- 
tourna. Jafl'é, n. 56, 58. Il s'en fallut peu que Timothée, 
son successeur, ne lui créât une mauvaise affaire en 
protégeant Maxime le Cynique contre Grégoire de Na- 
zianze. Enfin, pour ce qui regarde An tioche, il donna 
toujours sa faveur à Paulin et aux siens, ce qui faillit 
le tromper sur Vitalis, le paralysa quelque temps en- 
vers Apollinaire, ne lui permit pas de goûter Méléce et 
de s'entendre pleinement avec Basile. 

On attribue maintenant à Damase le catalogue des 
saintes Écritures, si important dans l'histoire du canon, 
que Ton mettait jadis sous le nom de Gélase. Mansi, 
t. viii, col. 153; Thiel, p. 52-5i. Ce catalogue fut com- 
posé sous riniluence de saint Jérôme, au concile de37i. 
C'est à lui que se réfère le concile d'Hippone, qui en 
393 donne une liste semblable. 

Damase est un des premiers papes qui ait affirmé 
avec une grande force par ses paroles et ses actes la 
primauté universelle d«» l'Église romaine. Il répète 
fréquemment qu'elle a le droit de juger de tout, dans 
la chrétienté, des personnes et des choses. Il fonde 
cette primauté sur saint Pierre, et c'est sur lui qu'il 
fonde aussi les droits subordonnés des patriarcats 
d'Antioche et d'Alexandrie que cet apôtre aurait insti- 
tués. Il ne connaît d'ailleurs Constantinople que comme 
un siège ordinaire. Les Églises d'Orient, comme nous 
Tavons vu par leurs appels, lui font écho, quoique 
quelquefois de mauvaise grâce. Les Pères du concile 
de 381 n'osent lui soumettre leur canon sur la primauté 
d'honneur de Constantinople, bien qu'il reconnaisse 
indirectement la suprématie de Rome. Saint Jérôme, 
sollicité par les partis qui divisaient Antioche, se ré- 
fère solennellement à Damase. Epist., xv, xvi, P. L., 
t. XXII, col. 355-359. Saint Ambroise fait de même à difl'é- 
rentes reprises. Ubi Pelrtis, ihi Ecclesia. P. L., t. xiv, 
col. 1082. Théodose, dans ses lois de 380 et 381, ne pou- 
vait manquer de le désigner pour le représentant oHiciel 
de l'orthodoxie en Occident. C'est à son sujet qu'Am- 
mien Marcellin et le préfet Prétextât parlent du faste 
des évéques de Rome. 

Il y aurait encore lieu de parler des rapports de 
Damase avec saint Jérôme, dont il fit son secrétaire 
pour les affaires d'Orient surtout, et son consulteur 
pour les questions d'Écriture sainte et de liturgie; on 
sait qu'il chargea ce grand homme de re viser la Vulgate. 

Il faudrait aussi parler du soin que Damase prit des 
catacombes, de l'honneur qu'il rendit aux martyrs, des 
inscriptions en vers qu'il fît graver admirablement sur 
leurs reliques par Furius Dionysius Philocalus pour en 
assurer l'authenticité. De Rossi, Inscnpt. chtnstianœ, 
Rome, 1888, t. ii. Mais ces aspects ne sont pas d'ordre 
purement théologique. Damase mourut le 11 décembre 
38i, presque octogénaire; sa fête est le 11 décembre. 

Les historiens n'ont pas encore fixé absolument la chronologie 
des conciles et des lettres de Damase, nous avons suivi Du- 
chesne de préférence : Liber pontiftcalis, 1. 1, p. 212-245 ; His- 
toire ancienne de VÉglise, Paris, 1907, t. ii, p. 398-416, 447-484 
et passim ; Grisar, Geschiehte Roms und der Pàpste im Mittel- 
aller, t. i, p. 257-283; Zeitschrift fur katholische Théologie, 
t VIII, p. 190-198; Rade, Damasus, Bischofvon Rom, Fribourg- 
en-Brf«gau, 1892; Merenda, De sancti Damasii pap« opusculis 
et çetfis, P. L., t. xin, col. 111-348; TiUemont, Mémoires pour 
servir à l'hisU eccL, t. viii, p. 38^424; Geilller, Histoire gé- 
njiralê des auteurs sacrés et ecclésiastiques, t vi, p. 464-377; 
J9tté, Regesta pontificum romanorum, 1. 1, p. 37-40; Constant, 
fipUUolse romanorum pontificum, t. i; Mansi, ConciL, t. m, 
coL 4AS, 459, 462, 477, 485 ; Hefele, Histoire des conciles, trad. 
Ledereq, Paris, 1907, t. r, p. 980; S. Damase, Opéra, P. L., 



t. XIII, col. 347-442; Rufln, H. E„ 1. II, c. x, P. L, 
col. 521 ; Wittig, Papst Damasus l. Quellenkritische S 
zu seiner Geschiehte und Charakteristik, Rome, 1902; l 
valier, Répertoire, Rio- bibliographie, 2* édit., t. ii, co 

A. Clerval 
2. DAMASE II, pape, 10i7-10i8. Clément 11 
mort le 9 octobre 1047, les Romains envoyèren 
ambassade à l'empereur d'Allemagne, Henri III 
le prier de désigner un pape. Après avoir pensé 
chevéque de Lyon, Halinard, qui se déroba, il > 
le Bavarois Poppo, évoque de Brixen, dans le 
C'était le 25 décembre à Saint-Poélten. Pour lu 
en aide, il lui fit une donation, et lui permit de 
son évéché. Parti pour Rome, au commenceni 
1048, Poppo trouva le siège pontifical occu| 
Benoit IX de Tusculum, qui s'était fait nomi 
8 novembre 1047, grâce à ses largesses au peupl 
margrave de Toscane, Boniface, refusa de le co 
L'empereur, près de qui il dut revenir àRatisbo 
renvoya en Italie, avec une lettre menaçante pc 
niface. Benoit IX dut se retirer après avoir teni 
8 mois et 9 jours, et Poppo, conduit par le ma 
bien accueilli par le peuple, fut sacré à Saint- 
le 17 juillet 10i8 : il prit le nom de Damase 1 
heureusement il mourut, à Palestrina, au b 
23 jours, le 9 août 1048, on ne sait de quelle n 
Il fut enseveli à Saint-Laurent hors les murs, 
sarcophage se voit encore dans le portique exté 

Jaflé, Regesta, t i, p. 528; Duchesne, Liber por 
t II, p. 274; Id., Les premiers temps de CÉtat pontifl 
la Revue d'histoire et de littérature religieuses, iî 
p. 211 ; Giesebrecbt, Geschiehte der deulschen Kaiser 
p. 437; Langen, Geschiehte der rim. Kirche, p. 445 
Grégoire VU, 1. 1, p. 93-99; dans Pertx, Monumenta Gt 
Scriptores, voir Annales Romani, t. v, p. 469; Atiseb 
t. VII, p. 228; Lamberti Hirsch., t. v, p. 154; Bon 
p. 803. 

A. Cler\ 

DAMBERGER Joseph Ferdinand, hist( 
l'Église, naquit à Passau (Bavière) le l«f ma 
ordonné prêtre en 1818, il travailla quelque: 
dans le ministère pastoral ; il était prédicate 
cour à Saint-Cajetan de Munich, quand il de 
être reçu dans la Compagnie de Jésus, où il 
1837, à Brieg en Suisse ; il professa l'histoire 
naire de Lucerne (I845-I8i7); expulsé avec se 
res, en 1847, il fut obligé de se réfugier en 
passa les dernières années de sa vie à Schâfl 
de Munich, comme confesseur des religieu 
Dames anglaises; il y mourut lei^r mai 1859. Il 
Synchronislxsche Geschiehte der Kirche und 
Mittelalter, 15 in-8« avec complément criti 
chaque volume (le xv« vol., s'arrétant à Pan 
a été édité par les soins du P. D. Rattinger, S. 
bonne, 1850-1863 : ouvrage d'une immense • 
son plan le rend un peu pénible à lire, ins 
richesse des informations et par la discussi 
fondie des mensonges de l'histoire anticathc 
mérité d'être appelé un véritable arsenal p 
fense de la vérité historique et de PÉgUse. 

De Backer et Sommervogel, Bibliothèque de la C^' i 
col. 1786-1787; Hurler, Nomenclator, t. m. col. 10€ 
lexikon, t. m, col. 1362-1363 ; Allgetneine deutsche 
Leipzig, t. IV, p. 716. 

Jos. BRI 

DAMEN Armand, théologien belge, né 
en 1656 ou 1657. Il fit ses humanités chez le 
réguliers de sa ville natale. Dès lors il ar 
plus heureuses dispositions, au point d'é< 
ses condisciples. En 1673, il vint à Lot 
devait passer le reste de sa vie. Il y suivit 
philosophie pendant deux ans, au Colley 
et les cours de théologie, pendant quatre : 
au Grand Collège du Saint-Esprit. A pei 



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37 



DAMEN 



DAMIANI DE TUHEGLI 



38 



prêtre, il fut vicaire, puis curé de la paroisse Saint- 
Michel ; mais les fonctions de son ministère ne Tempê- 
chèrent pas de poursuivre ses études et de conquérir 
successivement la licence et le doctorat en théologie. 
C'est en 1699 qu'il obtint ce dernier grade. A partir de 
ce moment, il resta attaché au Grand Collège des théo- 
logiens en qualité de vice-président; et bientôt Tarche- 
vêque de Matines, Humbert, le créait archiprétre du 
district de Louvain. Vers le même temps, les consuls 
de la cité reconnaissaient ses mérites en le nommant 
chanoine de la collégiale de Saint-Pierre et professeur 
à la faculté de théologie, où ses collégues'ne tardèrent 
pas à lui conférer le titre de a régent ». A la mort de 
Martin Steyaert, en 1701, il lui succéda comme doyen 
du chapitre de Saint-Pierre, comme directeur des 
« sabbatines » et comme président du Grand Collège. 
Mais les devoirs de cette présidence constituaient un far- 
deau trop lourd pour sa débile santé, et dès le 22 mai 1702 
il réchangeait contre celle du Collège de Divoeus. Le 
16 juillet 1713, il fut transféré à la direction du Collège 
d^Arras, où il habita désormais et où il mourut, le 
29 octobre 1730, dans sa 74« année. Outre ses autres 
fonctions, il avait été appelé, par le suffrage unanime 
des électeurs, à la charge, alors très importante et très 
honorable, de conservateur des privilèges académiques. 
A un caractère aimable et à une activité multiforme 
et incessante Damen joignait, comme professeur et 
comme écrivain, une juste aversion pour les nouveautés 
théologiques et un grand zèle pour les droits du saint- 
siège. On en pourra juger par la liste de ses ouvrages 
on opuscules. Nous avons de lui : !<> Doclrina et praxis 
S. Caroli Borromœi de ptenilentia cseteinsque conlro- 
vej-siis moralibus hodiemis, 3 in-12, Louvain, 1697. 
Cest an commentaire des ordonnances et instructions 
du saint archevêque de Milan, où Damen a eu soin de 
reproduire toujours en entier les textes qu'il commente. 
11 est spécialement dirigé contre le rigorisme des 
jansénistes relatif à l'absolution des pécheurs d'habi- 
tude et des récidivistes, à la confession et à la commu- 
nion des enfants, à la fréquente communion, etc. La 
deuxième partie est une réponse à Jean Opstraet, qui 
avait attaqué les conclusions de la première. L'ouvrage 
a été réimprimé à Louvain en 1703, et, une seconde 
fois, en 1711. 2© Oratio de cathedra Pétri ut est régula 
fidei, in-12, Louvain, 1721. L'auteur y défend, comme 
€ antique et continuelle doctrine des théologiens de 
LoQvain », la thèse de l'infaillibilité personnelle du 
pape. Il l'énonce ainsi : « Une délinition qui, concer- 
nant des choses de foi, de mœurs et de religion aux- 
quelles l'Église entière est intéressée, part de la seule 
chaire de Pierre et s'adresse à tous les fidèles, est 
règle de foi, même indépendamment de l'intervention 
d*an concile général et antérieurement à l'assentiment 
de l'Église universelle. Or le pontife romain définit 
ex cathedra quand il prescrit à toute l'Église quelque 
chose à croire. > Parmi les documents cités figure une 
déclaration collective et très explicite, émise par la 
faculté de théologie en 1588, et au bas de laquelle on 
Ut, entre autres noms, ceux de Michel Baius et de 
iansénius d'Ypres. 3» Oratio de dogmalica butta Uni- 
genitits, in-12, Louvain, 1724 : démonstration du carac- 
tère dogmatique et strictement obligatoire de la bulle 
en question. Cette étude se trouve complétée par la 
suivante : 4^ Brevi* zolulw super tribus his quwûtis : 
i. An inobediens constitutioni Unigenitus fit exconi- 
municalus? 2. An fit schismaticusf 3. An fit hmreti- 
cusf in-4«, Louvain, 1727. La réponse est affirmative 
sur toute la ligne, à la condition d'entendre les deux 
premiers points de ceux qui manifestent leur insou- 
mission. 5» Dissertatio de numéro episcoporum ad 
rtUidam ordinationem episcopi requisito, in-4o, Lou- 
raJD, 1725. Damen soutient que le concours de trois 
éréqoes est, sauf dispense du pape, nécessaire non 



seulement pour la légitimité, mais aussi pour la vali- 
dité; d'où il infère l'absence de tout caractère épiscopal 
en Corneille Steenhoven, soi-disant archevêque 
d'Utrecht, qui s'était fait sacrer par Varlet, évéque de 
Babylone, d'ailleurs « excommunié, suspens et irrégu- 
lier t. Van Espen se fit le champion de la cause de 
Steenhoven. 6® Ce fut l'occasion de la Dissertalio 11^ 
de numéro episcoporum ad validant ordinationem 
episcopi requisito, in-4', Louvain, 1725. L'année sui- 
vante, paraissait : 7*» Oratio de pontificio hoc oraculo : 
« Universitas Lovaniensis sanctse Romanm Ecclesiœ 
devota et fidelis est filia, » in-12, Louvain, 1726. Cet 
éloge avait été adressé à l'école de Louvain par Pie IV, 
en 1561. Il est ici justifié par une brève esquisse de l'atti- 
tude de l'université en diflférentes circonstances, mais 
surtout à l'époque du concile de Bâle. Le même thème est 
repris dans : 8» Prosecutio orationis habita die il junii 
1727, in-4o, Louvain, 1727. Nous possédons trois études 
en tête desquelles Damen n'a pas mis son nom, mais 
qui sont certainement de lui ; c'est d'abord : 9° Rela- 
tionis operum ex aliquo benevolenliœ in Deuni affeclu 
obligatio ac nécessitas, strenue asserta per theologum 
Lovaniensem, in-4», Louvain, 1729. Il y ajouta bientôt : 
10® Relationis operum ex aliquo benevolentiœ in Detim 
affectu obligatio ac nécessitas, denuo asserta per 
theologum Lovaniensem, in4o, Louvain, 1730. Dans 
ces deux écrits, le a théologien de Louvain » plaide, 
contre Vanroye, docteur de Sorbonne, pour une thèse 
chère à son école. Il la justifie sans peine de l'accusa- 
tion de baianisme et de quesnellisme. Il ajoute qu'au 
demeurant une relation virtuelle, ex parte operis, 
suffit, et que le « sentiment de bienveillance » qui la 
réalise n'appartient pas nécessairement à la vertu théolo- 
gale de la charité proprement dite. Surtout, ni lui ni 
ses amis n'ont jamais dit ou pensé que « les infidèles 
pèchent dans tous leurs actes ». Ces observations sont 
encore corroborées : Ih par une Dissertatio de refe- 
rendis operibus in Deum et de operibus infidelium, 
auctore theologo Romano-catholico, in- 4», Louvain, 
1729. La dernière œuvre de notre auteur est : 12o Dis- 
sertatio de veritate hujus propositionis : « Jansenius 
non fuit jansenista, » in-4'>, Louvain, 1729. L'affirma- 
tion d'apparence paradoxale est soutenue et expliquée 
de façon fort simple : qui dit janséniste dit hérétique; 
or Jansenius n'a pas été hérétique : il n'a pas eu con- 
science de ses erreurs, réprouvées par l'Église seule- 
ment après sa mort; à plus forte raison, n'a-t-il pas eu 
cette opiniâtreté dans l'erreur, sans laquelle il n'y a 
point d'hérésie. 11 s'agit évidemment de la personne de 
Jansenius, et non de sa doctrine. Quant à celle-ci, 
« nul vrai catholique » ne peut soit nier que VAugus- 
tinus a contienne diverses hérésies, » soit défendre une 
seule des cinq fameuses propositions. Damen rappelle 
fort à propos le mot de Vincent de Lérins : « Étranges 
vicissitudes des choses! Les auteurs d'une opinion 
sont catholiques, et ses défenseurs sont réputés héré- 
tiques. Les maîtres sont absous, mais les disciples sont 
condamnés, b 

Reusens et Barbier, Analectes pour servir à Vhistoire ecclé» 
siastique de la Belgique, Louvain, 1881, t. xvii, p. 173. 386; De 
Ram, De laudibus quitus veteres Lovaniensium theologi 
efferri possunt, Louvain, 1848, p. 14, 58, 133. 

J. FORGET. 

DAMIANI DE TUHEGLI Jean, théologien hongrois, 
né à Tuhegli le 21 juin 1710, mort vers 1780. H vint à 
Home en 1726 et étudia à Fermo sous les auspices de 
Henott XIII; il fut ordonné prêtre, le 5 mars 1735. De 
retour à Rome, il fut bien accueilli par Clément XII, 
qui le proposa au choix d'Émeric d'Eslerhazy pour un 
canonicat de Presbourg. Il occupa diverses autres places 
dans la hiérarchie ecclésiastique de son pays. Il a pu- 
blié : 1» Doctrina verœ Chrisli Ecclesiœ ab omnibus 
prascipuis antiqui, medii et novi œvi hs&resibus vindi- 



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39 



DAMIANI DE TUHEGLI — DAMIEN 



cata, in-8», Ofen, 1762; 2® Jusla religtonis coactio, etc., 
in-8«>, ibid., 1765, où il traite des divers moyens de faire 
rentrer les dissidents dans l'Église catholique. Il a laissé 
un ouvrage manuscrit intitulé : Examen UbH synibo- 
lici Russonim. 

Hœfer, Nouvelle biographie générale, t. xii, p. ©7-858. 

E. Mangenot. 

DAMIANITE8 ou DAMIANI8TE8, voir Dâhien 1. 

1. DAMIEN, patriarche copte d'Alexandrie, 578 6(K>, 
et fondateur de la secte des damianites ou tétradites. 
Depuis les controverses entre Sévère d'Ântioche et Julien 
d'Halicarnasse sur la corruptibilité ou non du corps 
du Christ, le parti monophysite comptait deux grandes 
fractions : les sévériens ou corrupticoles, les julianistcs 
ou aphtartodocètes et phantasiastes. £n Egypte, à la 
mort du patriarche Timothée IV, 8 février 536, chacun 
des deux partis lui donna un successeur, Théodose !«'' 
pour les sévériens, GaTanus pour les phantasiastes. Ni 
l'un ni l'autre ne put se maintenir en charge, par suite 
de l'opposition de la cour byzantine, qui exila les deux 
concurrents et imposa le candidat chalcédonien. Théo- 
dose I*' mourut en exil le 22 juin 567. La vacance du 
siège patriarcal dura jusqu'en 576, où des évéques 
syriens envoyés par Paul, le patriarche monophysite 
d'Antipche, élurent et sacrèrent un certain Théodore. 
Furieux de ce choix, auquel ils n'avaient eu aucune 
part, les théodosiens lui opposèrent, automne 576, 
Pierre IV, qui rompit la communion avec Paul d'An- 
tioche. Ce dernier, du reste, était alors brouillé avec le 
fameux Jacques Baradaï, qui était en excellents rapports 
avec Pierre IV. Lorsque celui-ci mourut le 19 juin 578, 
on nomma pour son successeur un Syrien d'origine, 
Damien, qui adopta sa ligne de conduite et donna son 
nom à ses partisans. On les appelait, en effet, alternati- 
vement sévériens ou théodosiens ou damianites, ou 
angélites, à cause du lieu où ils se réunissaient à Alexan- 
drie. Damien rejetait la doctrine chalcédonienne, 
l'hérésie phantasiaste de Julien, celle des trithéistes 
lancée par Jean Philopone, ainsi qu'on le voit par sa 
lettre synodique et sa lettre sur la mort de Jacques 
Barada!. Michel le Syrien, Chronique, trad. Chabot, 
t. II, p. 325-334, 339-342. En même temps, il anathé- 
matisait « l'insensé Sabellius de Libye », Michel le 
Syrien, t. ii, p. 331, col. 2, dont on l'accuse pourtantde 
reproduire la doctrine. 

Le trithéiste Jean Philopone avait admis « la plura- 
lité des essences et des natures dans la Trinité sainte, 
divisant et séparant avec les personnes Tunique essence 
indivisible ». Il semble que, pour avoir voulu trop 
réfuter les tenants de cette doctrine : Jean Philopone, 
Probus, Sergius l'Arménien, etc., Michel le Syrien, t. ii, 
p. 362 sq., Damien soit tombé dans l'hérésie contraire, 
dans le sabellianisme. Timothée de Constantinople, De 
receptione hœreticorum, P. G., t. lxxxvi, col. 60, l'ac- 
cuse d'admettre, avec la distinction des trois personnes 
divines, « un Dieu commun, une sorte de déité inexis- 
tante, par la participation indivise de laquelle chacune 
des trois personnes est Dieu. » Dans ce système, tou- 
jours d'après Timothée, le Père, le Fils et le Saint-Esprit 
sont nommés hypostases, et chaque personne, prise à 
part, est Dieu; quant au Dieu commun, il est nommé 
substance et nature. C'est pourquoi, on reprochait à 
Damien .d'être tétradite, c'est-à-dire d'admettre quatre 
dieux. Saint Sophrone, Epistola synodica adSergium, 
P. G., t. Lxxxvii, col. 3193, loue les réfutations que 
Damien avait faites du système trithéiste, mais il le 
traite de « nouveau Sabellius ». De même, le patriarche 
monophysite Pierre d'Antioche^ son grand adversaire, 
lui reproche de dire que « les propriétés constitutives 
des personnes de la Trinité sainte étaient les personnes 
mêmes. » Michel le Syrien, t. ii, p. 365. De même 
encore Athanase d*Antioche, peu après l'accord fait en 



609 avec les disciples de Damien, avoue que, d 
celui-ci, a Tinnascibilité est la personne du Pè 
filiation la personne du Fils, la procession la per 
du Saint-Esprit. » Michel le Syrien, t. ii, p. 387, < 
En somme, d'après l'ensemble de ces témoignage 
temporains, qui contredisent celui de Timotl 
Constantinople, Damien avait remis en circulât 
sabellianisme. Cette doctrine fut vivement com 
par les monophysites d'Antioche, surtout par le \. 
che Pierre, qui écrivit trois traitësà ce sujet. On 
de s'entendre à la conférence de Gabita en Ârabi< 
586, mais en vain, par suite de la mauvaise ' 
qu'y apporta Damien. Michel le Syrien, t. ii, ] 
371. Plus tard, après la mort des deux advei 
dans une série de conférences qui se tinrent { 
lièrement à Alexandrie en l'année 609, l'entei 
rétablie entre les deux Églises monophysites d'A 
et d'Alexandrie, et les deux patriarches de ces 
Athanase et Anastase, publièrent, sous leur si 
commune et celle de plusieurs évéques, l'acte 
d'union. C'était une exposition de la vraie docti 
le mystère de la Trinité, dans laquelle on ne b 
Damien d'Alexandrie, ni Pierre d'Antioche 
d'union ne voit dans leurs disputes théologique: 
« querelle de mots ». Michel le Syrien, t. ii, 
col. 1. Mais nous savons par les lettres d'Athan 
la doctrine de Damien fut formellement rejetée 
conférences et que, si l'acte d'union n'en p! 
c'est que les Alexandrins s'y étaient opposés, 
encore des damianites, qui restèrent fidèles à 
trine du maître. Voir les pièces officielles de c 
nion dans Michel le Syrien, t. ii, p. 381-399. 

S. Vaii 
2. DAMIEN (Saint Pierre), cardinal-évèqu 
docteur de l'Église. — L Vie. IL Action apc 
IIL Œuvres. IV. Doctrine. 

I. Vie. — 1® Sa jeunesse. — C'est à ses contei 
au disciple qui écrivit sa vie, aux documents p 
de l'époque, surtout à ses Lettres et à ses C 
qu'il faut demander des renseignements pré< 
principaux événements de son existence, si 
actif qu'il joua dans l'Église, sur sa doctrine 
Henschenius, Acta sanctorum, 2« cdit., t. 
rii, p. 412-433, le fait naître en 968, à caus< 
sions fréquentes à sa grande vieillesse qu 
dans ses écrits, à partir de l'an 1060. Mais 
avec plus de raison, place la date de sa na 
1007; car Pierre Damien, Opuscul., lvii, 5, 
sèment qu'Otto était mort à peu près cinq 
qu'il ne vint lui-même au monde, et nous sav 
mourut le 28 janvier 1002. 11 naquit à Rave 
rents pauvres, surchargés de famille ; sa n 
donna tout d'abord, puis le reprit et mour 
n'était encore qu'enfant. Devenu orphelin 
ployé par l'un de ses frères à des travaux gi 
tammentà la garde des pourceaux. Mais te 
intelligence qu'un autre de ses frères, nom 
d'où son nom de Damiani ou Damianus, s 
son instruction et l'envoya étudier à Fai: 
Parme. OptiscuL, xlii, 7. Ses progrès Uni 
dige, et bientôt il fut à même de professai 
ce qu'il fit avec un grand succès. La for 
avec la renommée. Mais, sans se laisser 
l'une ou par l'autre, et craignant de cédei 
de ses passions ou aux dangers du monde, 
les religieux de Fonte Avellana, au diocèi 
en Ombrie. C'était vers 1035 et il avait 
29 ans. 

2® Dans le cloître. — Devenu moine, 
par se livrer à un ascétisme rigoureux. ^ 
de la règle bénédictine, il ajoute d'autres 
pénitence volontaire, qui le privèrent po 
de sommeil. Son ardeur au li*avaii était sa 



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DAMIEN 



42 



vent, sur Tordre de son supérieur, il dut exhorter ses 
frères; il y déploya tant de zèle et y réussit si bien 
quUl fut appelé dans des monastères voisins, où il exerça 
un apostolat apprécié. Bientôt (vers 1040) supérieur de 
Fonte Avellana, il fonde d'autres couvents. On aurait pu 
le croire exclusivement occupé à se sanctifier et à sanc- 
tifier ses religieux, à restaurer età renforcer la discipline 
monastique, tant il était épris de l'idéal de la vie claus- 
trale, et tant les désordres et la décadence des mteurs ré- 
clamaient une direction vigoureuse, mais ni l'attention 
vigilante, ni les soins multiples qu'il ne cessa jamais de 
consacrer à la réforme du cloître et à la promotion de 
la TÎe religieuse n'absorbèrent l'activité de son zèle. Il 
avait, en effet, un puissant amour pour l'Église, qu'il 
voulait pure et féconde dans la conduite de tous ses mi- 
nistres sans exception, d'un bout à l'autre de la hiérar- 
chie ecclésiastique. 

3« Se$ rapports avec les papes. — Pendant la pre- 
mière moitié du xi* siècle, l'Église avait passé par de 
rades épreuves. Durant plus de trente ans, les comtes de 
Tasculum exploitèrent le siège romain comme un fief 
de famille, en le faisant occuper successivement par 
les deux frères, Benoit VIII (1012-1021) et Jean XIX 
(1024rl033), et leur neveu, Benoit IX (1033-1048), qui, 
pape à douze ans, déshonora la tiare par ses déborde- 
ments. Renversé par une émeute, en 1044, Benoit IX 
se voit opposer Sylvestre IV (104i-1046), rentre dans 
Rome par la force des armes et vend, dit-on, le pontifi- 
cat à Jean Gratien, Grégoire VI (1045-1046), sauf ensuite 
à faire valoir quand même ses droits. On eut ainsi trois 
papes à la fois. Grégoire VI avait, du moins, pour lui, 
la droiture des intentions et le désir sincère de remé- 
dier aux maux de TÉglise; il sut choisir pour chapelain 
un homme de valeur, le célèbre Hildebrand, le futur 
Gr^oire VII. 

A ce moment difficile, Pierre Damien entre en jeu et 
prend contact avec la papauté qu'il va servir de toutes 
ses forces. Il commence par féliciter Grégoire VI de 
son élévation au souverain pontificat; dans l'espoir de 
le voir combattre et bannir de l'Église le double fléau 
de rincontinence des prêtres et de la simonie, il lui 
écrit pour lui dénoncer en particulier trois églises 
gouvernées par d'indignes prélats. « Par votre zèle 
contre l'évèque de Pesaro, dit-il, on jugera de ce que 
l'on doit espérer de bon pour les autres églises. i> 
EpisL, 1. VII, epist. i, P. L., t. cxLiv, col. 206. Le 
•concile de Sutri déposa, pour cause de simonie. Syl- 
vestre III et Benoit IX. Quant à Grégoire VI, également 
déposé d'après Mb' Duchesne, Liber pontificalis, t. ii, 
p. 271, ou volontairement démissionnaire à l'exemple 
de saint Grégoire deNazianze, comme le croit Baronius, 
Annal,, an. 1046, n. 3, il partit pour l'Allemagne avec 
Hildebrand. Son successeur, le pieux évêque de Bam- 
berg, Suidger, prit le nom de Clément II (1046-1047). 
Pierre Damien reçoit "mandat de l'empereur Henri III 
d'aller à Bome pour aider le nouveau pape de ses 
conseils; mais il s'en défend tant qu'il n'aura pas reçu 
Tordre même du pape. Dans la lettre qu'il écrit à ce 
sujet à Clément II, il a soin de notifier le désordre qui 
règne dans les églises de sa province, grâce au faste 
des évéques, la plupart chargés de crimes. « Travaillez, 
lui dit-il, à relever la justice qu'on foule aux pieds avec 
mépris ; usez des rigueurs de la discipline ecclésias- 
tique pour que les méchants soient humiliés et que les 
humbles se reprennent à l'espérance. » Epist., 1. I, 
epist. III, P. L., t. cxLiv, col. 208. 

A la mort de Clément II, le comte de Tusculum fait 
proclamer Benoit X. Mais ce dernier se retire devant 
le candidat de l'empereur, Damase II (1048), qui ne 
régna qu'un mois à peine, et fut remplacé par Brunon 
d'Éguisheim, évêque de Toul et parent d'Henri III, 
Léon IX (1048-1054). Les ennemis de l'austère réfor- 
mateur qu'était Pierre Damien le dénoncèrent au 



nouveau pontife. L'ayant appris, Pierre écrit au pape 
pour le prier, avec autant de fermeté que de modestie, 
de surseoir à toute décision le concernant avant d'avoir 
été entendu. « Je ne cherche la faveur d'aucun mortel; 
je ne crains la colère de personne; je n'invoque que 
le témoignage de ma propre conscience. » Epist., 1. I, 
epist. rv, ibid., col. 208-209. Une telle franchise ne dut 
pas déplaire à Léon IX, car nous le voyons se faire aider 
par Pierre Damien dans la réforme du clergé. C'est 
alors que notre saint composa son fameux Gonior^ 
rhianiÀS, OpuscuL, vu, P. L., t. CXLV, col. 159-190, con- 
tra quatrimodani camalis contagionis pollutionem. 
Est-ce à la suite de cet ouvrage, dont le pape lui sut 
gré, que Léon IX, au concile de Rome de 1049, pro- 
nonça des peines canoniques contre les clercs coupables? 
Nous l'ignorons et le pontife lui témoigna même quelque 
froideur, à laquelle Damien se montra très sensible. 
Toujours est-il que le décret se trouve répondre aux vues 
de Pierre, qui le loue dans son Opuscul., vi, Gratissi- 
mm, t. CXLV, col. 150-151. 

4» Son cardinalat. — A Léon IX succède Victor II, 
qui meurt le 28 juillet 1057, et est suivi dans la tombe 
par l'empereur Henri. L'empire était vacant, on en pro- 
fite pour nommer le cardinal de Lorraine, qui fut 
Etienne IX (X) (1057-1058). Ce pape, au nom de l'obéis- 
sance, impose à Pierre Damien le titre de cardinal- 
évéque d'Ostie. Il meurt trop tôt pour accomplir 
l'œuvre de la réforme que ne cesse de poursuivre 
Pierre Damien ; et sa mort permit au parti des comtes 
de Tusculum de fomenter un schisme par la nomina- 
tion 4e Jean, évêque de Velletri, sous le nom de 
Benoit X (1058-1059). Mais le nouveau cardinal proteste 
aussitôt et traite Benoit X de simoniaque et d'intrus. 
Il rejoint à Sienne Hildebrand, qui revenait d'une 
mission, et contribue à l'élection de l'évèque de Florence, 
Gérard de Bourgogne, qui prit le nom de Nicolas II 
(1059-1061). Très vraisemblablement, c'est sur les conseils 
d'Hildebrand et de Pierre Damien que Nicolas II porta 
le célèbre décret de 1059, par lequel, pour assurer 
désormais l'indépendance des élections pontificales, le 
choix du pape était exclusivement confié au collège 
des cardinaux, le dernier mot devant rester aux cardi- 
naux-évêques, l'empereur ne conservant plus que le 
droit de confirmation et le peuple celui d'approbation. 
Cf. Scheffer-Boichorst, Die Neuordnung der Papst- 
wahl durch Nicolaus II, Strasbourg, 1879. 

Pierre Damien, plus que jamais décidé à poursuivre 
sa campagne contre les vices de l'époque, écrit à Ni- 
colas II, Optiscul, xvii, Decœlihatu sacerdotum, P. L., 
t. CXLV, col. 379-388, pour qu'il réprime l'inconti- 
nence des clercs qui scandalisait les fidèles et avilissait 
le sacerdoce. Dans le même but, il s'adresse au cardinal 
Pierre, à l'évèque de Turin et à la duchesse Adélaïde, 
pour les presser d'arrêter le cours des débordements du 
clergé et de mettre en vigueur le décret de Léon IX 
contre les clercs incontinents et leurs concubines. 
Opuscul., xviii. Avec Anselme de Lucques», le futur 
Alexandre II, il est envoyé à Milan pour y régler les 
affaires ecclésiastiques et rend compte de sa mission à 
Hildebrand, devenu archidiacre de l'Église romaine. 
Actus Mediolani, de privilégia romanœ Ecclesiœ, 
OpuscuL, v, t. CXLV, col. 89-98. 

5" Projets de démission. — Déjà il songe à renoncer 
à l'épiscopat pour se retirer dans la solitude de 
Fonte Avellana. Epist., 1. I, epist. viii. Dans une 
lettre, OpuscuL, xxix. De abdicalione episcopatus, 
l. CXLV, col. 423-442, il témoigne qu'il y aurait renoncé 
aussitôt après la mort de celui qui le lui avait imposé 
de force, s'il avait pu obtenir son congé, mais que 
ne l'ayant pas obtenu alors à cause des troubles 
de l'Église, il le demande à présent que l'Église 
est en paix. Il insiste de nouveau dans son Apologeti- 
cus ob dimissum episcopatum, OpuscuL, xx, et se 



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43 



DAMIEN 



plaint qu'on l'ait chargé par surcroît de la visite d'un 
autre évéché. Mais le pape ne donna pas suite à sa de- 
mande, comprenant qu'un homme comme Pierre Da- 
mien était indispensable à ses côtés. Du reste, les cir- 
constances difficiles qui suivirent la mort de Nicolas II, 
survenue au mois de juillet 1061, rendirent sa présence 
nécessaire. Avec les partisans de la réforme, il contribua, 
le i«r octobre, à élire Anselme de Lucques, Alexandre II 
(1061-1073). 

5« Sa retraite. — Cette fois, pensa-t-il, il aurait gain 
de cause auprès du nouveau pontife et pourrait fuir 
le monde corrompu et le faste qui entourait les princes 
de rÉglise pour se retirer dans le cloilre. Il est prêt à 
consacrer le nouvel élu, comme son siège lui en donne 
le privilège, mais il entend se retirer après avoir déposé 
une charge qu'il n'avait nullement sollicitée, qu'on lui 
avait imposée de force; il en a, du reste, manifesté 
déjà l'intention. Le pape consent à sa retraite, sans^ 
toutefois accepter sa démission. Tel n'était pas l'avis 
d'Hildebrand qui, jugeant sa présence utile à Rome et 
son appui indispensable, aurait voulu qu'il fût retenu 
bon gré malgré, au nom de l'obéissance. Cf. Baronius, 
Annales, an. 1061, n. 28. Pierre Damien trouva cette 
intervention indiscrète. Aussi, dans sa lettre au pape et 
à l'archidiacre, traite-t-il ce dernier de « verge d'Assur » 
et de sanctus Satanas, c'est-à-dire d'adversaire un peu 
dur, mais saint. Il compte bien ne pas rester oisif dans 
sa retraite et ne se désintéresser en rien des affaires de 
la réforme et des intérêts de l'Église. A l'occasion, il 
reprendra rang parmi les combattants, acceptera et 
remplira avec un zèle apostolique les missions qu'on 
voudra lui confier, soit en Italie, soit au delà des 
monts. En attendant, pour répondre au désir du pape, 
il compose la vie de deux de ses disciples, véritables 
ornements de l'Église, Rodolphe, évêque de Gubbio, et 
Dominique, surnommé le Cuirassé. Alexandre II se 
plaint pourtant de la rareté de sa correspondance; 
le saint s'en excuse sur ses travaux et ses occupations, 
Epiêt., 1. I, epist. xv, col. 225 sq. mais il est heureux 
d'apprendre qu'on l'avait déchargé du comté d'Ostie; pour- 
quoi ne le déchargerait-on pas aussi de son évéché? Que 
le pape, du moins, travaille à réformer les abus dans le 
concile qu'il allait tenir. £n finissant, Pierre Damien 
glisse huit vers, qui forment un précis des devoirs pon- 
tificaux dans les circonstances présentes. 

6o H pou7*8uit son œuvre de réfoi^w. — Pour- 
suivant dans le cloître comme à Rome ses projets de 
réforme, il adresse une lettre aux cardinaux pour les 
exhorter à servir de modèle, l'épiscopat consistant 
beaucoup moins, dit-il, dans la magnificence et le faste 
des ornements extérieurs que dans l'exercice de toutes 
les vertus. Epist., 1. II, epist. i, col. 253 sq. De même il 
démontre au pape, Opuscul, xxiv, que, d'après la règle 
et selon l'esprit de saint Augustin, les chanoines régu- 
liers ne doivent rien posséder en propre, mais vivre en 
communauté avec les revenus de leur église. C'est ce 
que ratifia le concile romain de 1063, par le canon 4, 
qui oblige les chanoines à vivre, comme des clercs ré- 
guliers, d'une vie commune, à manger à la même table, 
à dormir sous le même toit et à s'en tenir aux biens 
de leur église. Alexandre II finit par accepter sa dé- 
mission, car, dans l'acte de la dédicace de l'église de 
Saint-Martin des Champs à Paris, en 1067, on trouve la 
signature de Gérard, ancien prieur de Cluny, avec le 
titre d'évêque d'Ostie. Cf. Mabillon, Annales, 1. LXI, 
n. 10;1. LXXIII, n. 7,8. 

7o II lutte contre Caclalons. — Dans l'intervalle, 
Pierre Damien avait pris une part prépondérante 
dans l'affaire de l'antipape Cadaloùs. Dès la fin d'oc- 
tobre 1060, c'est-à-dire quelques jours à peine après 
l'élection d'Alexandre II, le parti toujours remuant 
des comtes de Tusculum, d'accord cette fois avec le parti 
germanique, s'était prononcé en faveur de ce Cadaloùs, 



au mépris du décret de 1059 sur les élections pon 
cales. A tout prix, il fallait écarter Honorius II et< 
jurer le schisme. Résolument, c'est à l'antipape 
même que s'en prend Pierre Damien. Condamné con 
il l'a été pour crimes, il ne devrait pas, lui écri 
pactiser avec la faction qui l'a placé sur le siège 
Rome; son élection est nulle, parce qu'elle a été fa 
l'insu de l'Église romaine, du sénat, du clergé e 
peuple, alors que le siège était déjà légitimement p 
vu; si non, gare au jugement de Dieu. Episl.y 
epist. XX, P. L., t. cxLiv, col. 237-247. Loin de 1 
compte de pareilles remontrances, Cadaloùs péi 
dans Rome et s'y maintient par la force des ar 
Aussitôt, nouvelle lettre, plus virulente encore et 
le moindre ménagement. Epist., 1. 1, epist. xii, i 
col. 248 sq. Pierre compare le faux Honorius 
traître Judas et aux pires tyrans qui ont pers 
l'Église. A l'archevêque de Ravenne, qui para 
hésiter entre les deux papes, il déclare qu'Hor 
est un intrus, que son élection est anticanonique, 
s'est fait introniser de nuit à main armée et qu 
incapable d'interpréter le moindre verset des psa 
Epist., 1. m, epist. iv, ibid., col. 291-292. 

D'autre part, il importait de détacher de l'anlip 
parti allemand. C'est pourquoi Pierre Damien s'a 
directement à l'empereur et le conjure d'agir ei 
tecteur de l'Église, à l'exemple de Constantin 
Arius, de frapper Cadaloùs, seul moyen de ren 
paix à l'Église et de s'attirer sur lui-même la { 
tion du ciel, sans quoi il est facile de prévoir ce 
funestes seront les conséquences. £ptsf.,l. VII, e[ 
col. 437 sq. Si vous êtes le ministre de Dieu, po 
ne défendez-vous pas l'Église de Dieu? lui 
Pour lui, il se déclare prêt à tout souffrir [ 
défense de l'Église romaine. Mais que pouvait 
jeune empereur? Car il n'était encore qu'un 
Heureusement il avait été confié à la direction d' 
archevêque de Cologne, et celui-ci n'avait pas 
prendre parti en faveur d'Alexandre II. Cela r 
sait pas, il devait faire prévaloir en Allemagne 
nière de voir, et c'est ce que lui demande inst 
Pierre Damien. Epist., 1. III, epist. vi, ibid., c 
295. Par la même occasion, et en vue du concile qi 
devait tenir, il lui fait parvenir sa Disputatio sy 
Opuscul., IV, P. L., t. CXLV, col, 67-87, qui n'c 
chose qu'un dialogue imaginé entre un avoca 
et un défenseur de l'Église romaine. L'avocat 
que l'élection d'Alexandre II s'est faite sans le 
tement du roi, le défenseur réplique que celle 
rius II s'est faite à l'insu de Rome et en fav* 
sujet absolument indigne. Ce qu'il y a de cerl 
que, dans le concile réuni par ses soins au 
schisme, Annon fii lire, en présence du jeui 
l'opuscule de Pierre Damien, et que l'antipapi 
damné, le 28 octobre 1062. Cf^ Baronius, 
an. 1062, n. 28-68. En Italie, le succès fut pi 
venir; ce n'est qu'au concile de Mantoue, 
1064, d'après Baronius, en 1067 d'après les 
Theiner, Annales, an. 1064, n. 2-36, note 
qu'Honorius II fut définitivement réduit. Pierr 
prié de se rendre à ce concile en passant p 
s'excuse de ne pas se rendre à Rome, mais i 
se trouver à Mantoue. Epist. y\. I, epist. xvi, i 

8» Salégation en France. — En 1063, Pieri 
eut deux missions à remplir, l'une à Florer 
en France. En Gaule, il s'agissait de trancli 
rend survenu entre Dragon, évêque de 
Hugues, abbé de Cluny, sur la question d 
l'abbaye était exempte de la juridiction ép 
directement dépendante du pape. Pierre 
trancha au concile de Châlons, en faveui 
contre l'évêque. Son voyage et sa mission 
contés par un anonyme contemporain, qu 



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DAMIEN 



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connaître certains détails intéressant TÉglise de 
France. De gallica piy)fectione Domni Pétri Damiani, 
P. L., t. CXLV, col. 863-880. On lui avait fait espérer 
qne son office de légat se terminerait à la fin de juillet, 
mais son séjour se prolongea au point qu'il ne rentra 
à Fonte Avellana que le 28 octobre. Ce voyage, qu'il 
appelle « sa mort » à cause des dangers que lui firent 
courir les partisans de Cadaloûs, ne fut pas sans 
pcofit. Il nous a valu Téloge mérité des moines de 
Cluny et la connaissance de certaines pratiques dans la 
récitation ou le chant de l'office, jugées répréhensibles 
par Pierre Damien, ainsi qu'en font foi ses lettres à 
l'archevêque de Besançon et à l'abbé Didier du Mont- 
Cassin. 

9* Sa légation à Florence. — A Florence, il s'agissait 
d*apaiâer les troubles suscités contre l'évéque Pierre, 
que les moines et leur parti accusaient de simonie. L'ac- 
cusation parut peu fondée au cardinal légat. En se pro- 
nonçant en faveur de l'évéque, Pierre Damien fut accusé 
lui-même de pactiser avec des simoniaques et dut se 
retirer sans avoir réussi. Mais, dans sa lettre apologétique 
au peuple et aux moines de Florence, De sacramefitis 
perinipt*obo8adniinistrulis,Opuscul.,\xx,P.L.,t.cxL\y 
col, 523-530, il affirme qu'il réprouve la simonie et 
ajoute, ce qu'il avait déjà nettement enseigné dans son 
opuscule Gratissimus, que les sacrements administrés 
même par des indignes sont valides. Cf. Baronius. 
Annales, an. 1063, n. 7-23. Écrivant à l'ermite Theuzon, 
qu'il regardait comme le principal instigateur des 
troubles florentins, il le trouve bien osé de se permettre 
de juger les prêtres, les évéques, et même le pontife 
romain. Cf. Baronius, ibid., n. 24-28. Theuzon se 
soumit ; quant aux autres moines, ils s'adressèrent 
an pape, et cette afiaire de Florence fut réglée avec 
d'autres dans le concile tenu à Rome. Cf. Baronius, 
ilnd., n. 31-61. 

10» Sa légation en Germanie. — En 1069, nouvelle 
mission, mais cette fois en Germanie, pour empêcher 
le jeune empereur Henri IV de divorcer avec Berthe, 
qa*il avait épousée deux ans avant. Pierre Damien y 
Ait plus heureux qu'à Florence. Dans le concile de 
Mayence, qu'il réunit pour traiter cette grave afiaire, 
il fit entendre raison à l'empereur. 

Il» Sa légation à Ravenne et sa mort. — Moins de 
trois ans après, il partait pour Ravenne, sa ville natale, 
qniaTaitétéfrappéed'excommunication par Alexandre II. 
Le grand coupable était l'archevêque, et il venait 
de mourir. Pierre Damien représenta au pape qu'il 
n'était pas juste de punir toute une église pour la faute 
d'un seul, Epist., 1. 1, epist.'xiv, P. L., t.cxuv, col. 22i, 
et reçut mandat d'aller réconcilier ses compatriotes. 
Cet acte de clémence fut le dernier service qu'il rendit 
à la cause de l'Église; car, à son retour, saisi par un 
accès de fièvre, il dut s'arrêter à Faenza et y mourut le 
22 février 1072. C'était la fête de la chaire de saint Pierre, 
remarque son biographe qui avait été son disciple, ut 
ea videlicet die qua pressens nieruit in pastorali 
Petrus sede locari, eadeni Pétri discipulum cœlestis 
curia in beatam susciperet sedem. 

On le voit, quels que fussent ses défauts, notamment 
sa susceptibilité ombrageuse qui l'a fait quelquefois 
comparer à saint Jérôme, la vie de ce moine austère, 
de ce réformateur infatigable, de ce champion zélé 
da siège apostolique, de cet humble démissionnaire des 
hautes charges ecclésiastiques, méritait bien l'estime 
des papes, ses contemporains. En l'envoyant en France 
comme légat, Alexandre II disait de lui : a Nous n'en 
connaissons pas dont l'autorité soit plus grande, après 
la nôtre, dans l'Église romaine : il est notre œil, et le 
ferme appui du siège apostolique, i» Dans son bref au 
bénédictin Constantin Cajetan, éditeur des œuvres de 
Pierre Damien, Paul V qualifiait notre saint de docto- 
reni eximiuni, reipublicœ christianœ et apostolicœ 



sedis nobilem pcu'tem. Léon XII lui a conféré le titre 
du docteur de l'Église, par son décret du 1" octobre 1828. 

II- Action apostouque. — En racontant sa vie, nous 
avons signalé quelques-uns des actes de son zèle apos- 
tolique. Nul plus que lui ne fut animé du désir de 
réformer l'Église. Il en sentait l'urgente nécessité et il 
en connaissait les moyens. Il y travailla dans la mesure 
de ses forces et ne cessa jamais d'y convier les papes. 
S'il fut « l'œil » d'Alexandre II et le « ferme appui du 
siège apostolique, » il fut aussi l'émule d'Hildebrand, 
qu'il ne vit pas monter sur le siège de Pierre. Il a 
droit à être compté au nombre de ceux qui, au 
xi« siècle, voulurent libérer l'Église de la double plaie 
qui la rongeait à l'intérieur, l'immoralité et la simonie, 
et assurer son indépendance vis-à-vis du pouvoir civil 
par une entente harmonieuse et réglée. 

1« Dans le cloître. — Homme du cloître, il est parti- 
culièrement pénétré de l'esprit de saint Augustin et de 
saint Benoit; il marche de pair avec les grands moines 
de son siècle, saint Romuald, le fondateur de l'ordre des 
camaldules, en 1012, saint Odilon (f 1048) et 
saint Hugues (t 1109), abbés de Cluny, Didier, abbé du 
Mont-Cassin, le futur Victor III (f 1087). Rien n'échappe 
à son regard vigilant. Il entend que les moines pra- 
tiquent la pauvreté, ne gardent pas d'argent, ne multi- 
plient pas leurs sorties et ne s'occupent point des 
affaires du siècle ; car il y a là un danger pour la vertu, 
et c'est une faute pour quiconque a fait profession de 
mépriser le monde. Opuscut., xii, Deconteniptusœculi. 
La prière de nuit avec ses vigiles ou nocturnes, et 
celle de jour avec les matines ou laudes, prime, tierce, 
sexte, none, vêpres et compiles, s'imposent à eux. A 
propos du symbole dit de saint Athanase, qu'on récitait 
depuis peu, croyait-il, de son temps, à l'office, il remar- 
que que c'est avec raison qu'on l'a placé à l'heure de 
prime, parce que, la foi étant le fondement et la source 
des vertus, il convient d'en réciter le symbole à la- 
première heure du jour, qui donne le branle à toutes 
les autres. OpuscuL, De hoHs canonicis, A la prière, 
les religieux doivent joindre la pratique du jeûne, de la 
mortification, des disciplines corporelles, selon la règle 
ordinaire; mais, pour peu qu'ils aient à expier des 
péchés commis dans le monde, il convient qu'ils ajoutent 
à l'observance commune des pénitences proportionnées. 
Opuscul.y XIII, De perfectione monachorum. Ses deux 
opuscules XIV, De ordine eremitarum, et xv. De sum 
congregationis inslitutis, montrent le genre de vie 
qu'il faisait pratiquer aux religieux de Fonte Avellana 
et à ceux qui dépendaient de sa congrégation : quatre 
jours de jeûne par semaine, depuis l'octave de Pâques 
à la Pentecôte, et de saint Jean-Baptiste au 5 sep- 
tembre; cinq jours, depuis l'octave de la Pentecôte 
jusqu'à la fête de saint Jean-Baptiste, et depuis le 
5 septembre jusqu'à Pâques; deux carêmes, celui de 
Noël et de Pâques, où l'on jeûnait tous les jours, ex- 
cepté le dimanche et certaines fêtes; trois semaines 
sans jeûne durant toute l'année, aux octaves de Noël, 
de Pâques et de la Pentecôte; outre les heures cano- 
niales, chant quotidien du psautier ou d'une partie 
pour les défunts; fréquentes disciplines; les autres 
exercices rappellent ceux de la Règle de saint Benoit 
et des Institutions de Cassien. Aux ermites de sa con- 
grégation, il recommandait le jeûne du samedi en 
l'honneur de la sépulture de Notre-Seigneur, Opuscul, 
Liv, et la veille de Noël, de l'Epiphanie, de saint Marc, 
de la Pentecôte, de saint Jean-Baptiste, et des fêtes des 
apôtres. Opuscul., lv. Il était grand partisan des 
flagellations corporelles surérogatoires; il donna con- 
naissance à un moine de ce qui se pratiquait, à ce sujet, 
dans son monastère, f:pi»«., 1. V, epist. VIII, col. 349sq. ; sa 
lettre, devenue publique, excita le mécontentement des 
laïques et des clercs, sous prétexte qu'un tel usage 
était préjudiciable aux pénitences canoniques. Il se 



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justifia auprès du clergé de Florence : il n'a fait qu'at- 
tester ce qui se passe chez lui; au surplus, pratiquer 
d'autres pénitences que celles qui sont prescrites, 
quoi de plus licite! Sans doute, lui objecta le moine 
Cerebrosus, mais à la condition d'éviter tout excès. 
El Pierre Damien de répliquer : t S'il est-permis de se 
donner cinquante coups de discipline, comme vous 
l'avouez, on peut s'en donner soixante ou cent, et même 
mille, ce qui est bon ne pouvant être poussé trop loin. » 
Epist,, 1. VI, epist. xxvii, col. 415 sq. Principe discu- 
table : ne quid nimis, pensèrent quelques-uns de ses 
contemporains. Quelques-uns de ses religieux poussè- 
rent les choses à l'excès, allant jusqu'à se flageller 
chaque jour pendant la récitation de tout le psautier; 
manifestement, c'était une indiscrétion, un abus et 
un danger. Pierre Damien dut y mettre un terme : il 
ne toléra cette pratique volontaire que pendant la réci- 
tation de quarante psaumes en temps ordinaire, de 
soixante en aventeten carême. £pis^,l.VI, epist. xxxiv, 
col. 433. Au Mont-Cassin, les religieux se donnaient la 
discipline les uns aux autres en plein chapitre. Le 
cardinal Etienne, ancien religieux de ce monastère, 
trouvait cette pratique indécente. Pierre Damien 
écrivit pour^la justifier et pria la communauté de per- 
sévérer. Opuscul., XLiii. On ne doit pas s'étonner qu'un 
homme aussi austère ait fait l'éloge de la vie claus- 
trale, et qu'il ait félicité ceux qui, pour ne pas se perdre 
dans le monde, cherchaient un refuge dans le cloître 
ou y retournaient : il compare le Mont Cassin à l'arche 
de Noé. OpuscuL, lu. 

29 Dans VÉglise. — \. Contre V immoralité. — En 
dehors des monastères, il y avait le clergé séculier, 
mais dans quel triste état! Pierre Damien a composé 
deux traités, l'un, Opuscul., xxv, pour faire l'éloge du 
sacerdoce, l'autre, Opuscul., xxvi, contre l'ignorance 
des prêtres. Ce qui était pire, la dépravation dépassait 
encore 'l'ignorance. Combien de fois -Pierre Damien 
n*a-t-il pas fait allusion à l'incontinence des clercs! 
Combien de fois ne l'a-t-il pas flétrie en termes viru- 
lents! C'est à l'Écriture surtout, et aussi aux Pères, 
qu'il emprunte ses traits enflammés pour dénoncer et 
combattre ce vice. 11 fait appel aux anciens canons; il 
ne cesse d'en demander de nouveaux pour couper le 
mal dans sa racine. Son Gomorrhianus, Opuscul., vu, 
P» L., t. cxLV, col. 159-190, renferme des passages 
d'un réalisme brutal pour peindre des désordres qui 
réclament le fer rouge du chirurgien. Il voudrait que le 
pape se prononçât pour l'exclusion des clercs à pro- 
mouvoir et pour la déposition de ceux qui étaient 
promus. On lui reprochera, sans doute, son rôle de 
dénonciateur, mais il fait cette déclaration : Malo 
quippecum Joseph, qui accusavit fratres apud patrem 
crimine pessimo, in ciste}*nani innocens projici, quam 
cum Heli, qui filiorum mala vidit et tacuit, divini fu- 
roris ultione mulctaH. Gomorrh., Opuscul., vu, 25, 
col. 187. Il n'a pas à être blâmé pour avoir fait, dit-il, 
ce que firent saint Jérôme contre les hérétiques, 
saint Ambroise contre les ariens, saint Augustin contre 
les manichéens et les donatistes; car ce n'est pas l'op- 
probre de ses frères qu'il poursuit, mais bien plutôt leur 
salut. 

2. Contre la simonie. — Un autre fléau, introduit 
peu à peu par le droit de patronage et par l'interven- 
tion des princes dans la provision des évèchés, sévis- 
sait surtout au xp siècle. Les princes ne se faisaient 
pas faute de distribuer à leurs soldats ou à leurs favoris 
les charges et les dignités ecclésiastiques, au besoin ils 
les vendaient au plus ofl'rant. Aussi étaient-ils entourés 
de flatteurs et de quémandeurs, et la simonie régnait 
en grand. Pierre Damien lutta contre ce fléau avec la 
même énergie qu'il apportait contre la dépravation des 
mœurs. Par une distinction assez singulière et peu 
digne de clercs sérieux, deux chapelains de Godefroi, 



duc de Toscane, soutinrent un jour devant lui qu'il i 
avait point de simonie à acheter à un roi ou à un prit 
un évèché, parce que ce n'était point le sacrement 
Tordre qu'on achetait ainsi, ni l'église d'où dépend 
le bénéfice, mais seulement les revenus qui y étai 
attachés. Damien dénonce cette erreur à Alexandre 
et le prie de la condamner pour l'empêcher de se 
pandre. Il en montre le mal fondé; car un homme 
peut être divisé en deux, dont l'un jouisse des reven 
et l'autre remplisse les fonctions spirituelles ; il va 
cessairement de soi qu'acheter des biens tempor 
dont on ne peut jouir sans être élevé à la dignité ec 
siastlque qu'ils requièrent et sans en remplir les fo 
tions, c'est acheter aussi cette dignité et le sacrem« 
En pareil cas, l'ordination ne saurait passer pour { 
tuitc, puisqu'on n'y aboutit 'qu'à prix d'argent, 
décrétales interdisent un commerce pareil. Ce ( 
dit des évêchés, Pierre Damien l'étend à toutes se 
de bénéfices, grands et petits. En conséquence, qi 
pape ne permette pas qu'on élève au sacerdoce • 
qui l'ont acquis ou par argent, ou par des ser 
rendus aux princes. Epist., l. I, epist. xiii, P. 
t. cxLiv, col. 219-223. Pour Damien, en effet, les 
vices rendus aux princes, en vue de l'oblentioi 
bénéfices, constituent des actes de simonie. Il sait 
y a des personnes qui s'attachent aux princes e 
suivent partout pour obtenir quelque dignité ecch 
tique; et il distingue trois espèces de simoi 
celle de la main qui consiste à donner de 
gent; celle de l'obséquiosité, qui consiste à r< 
des services; et celle de la langue, qui consiste à fi 
Les personnes en question, dit-il, se rendent coui 
des trois : telle est la doctrine qu'il expose da 
lettre aux cardinaux. Epist., 1. H, epist. i, i 
t. cxLiv, col. 253-259. Il y revient dans son Opuscul. 
Contra clericos aulicos, t. cxlv, col. 463 sq. i 
cher au service d'un prince, en vue de parvenir à 
copat et à d'autres bénéfices, c'est être coupai 
simonie comme ceux qui y parviennent, argent 
tant; car il faut se dépenser en frais, en servie 
flatteries. Humiliantur, dit-il, utpost moduni it 
superbiant; se pedissequos exhibent, ut prœc 
C'est acheter bien chèrement l'épiscopat, obsen 
que de l'acquérir ainsi par une longue servitude 
s'astreindre au bas métier de parasite et de 11 
Mais que peuvent bien valoir les sacrements re 
donnés par des simoniaques? La question s'est 
nous verrons plus loin comment la résolvait Pie 
mien. Voir col. 52-53. 

3» Dans le monde politique. — Par le coi 
ment de Charlemagne comme empereur, l'en 
avait le devoir de protéger l'Église, à titre de 
non le droit de l'asservir; les deux pouvoirs r< 
distincts, l'Église annonçant la vérité, l'État g; 
sant l'ordre public, mais devaient être étroileme 
avec la subordination de l'État à l'Église, cor 
deux colonnes de la société. Sous la dynastie des 
au x« siècle, l'empire, en face de la féodalité it 
contribua à sauver la papauté. Otton I*** reçut I 
lège, d'après lequel le pape ne pouvait pas et 
sans l'approbation de l'empereur. Ce privilège, 
à Henri III, appartenait aussi, prétendait-on à 
germanique, à son fils Henri IV. Le décret de N 
ne l'avait pas supprimé. Mais, en fait, 1 
d'Alexandre II se fit sans le consentement d 
roi : d'où l'appui donné par le parti germî 
l'antipape Cadaloûs, puis retiré après l'intc 
heureuse de Pierre Damien et l'action d'An 
chevêque de Cologne. Dans sa Disputatio sy 
Pierre Damien ne songe nullement à contestei 
de l'empereur dans les élections pontificales. 
droit de consentement ou d'assentiment, p; 
chose; mais il marque qu'en fait des circc 



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DAMIEN 



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peuvent permettre de passer outre à ce privilège^ et 
qu'en droit il n'est pas absolument indispensable, puis- 
que la plupart des papes, dans Thistoire de TÉglise, 
ont régné sans la moindre intervention * d'empereurs, 
même chrétiens, dans leur élection. Son idéal, c'est 
l'existence parallèle des deux pouvoirs, du sacerdoce et 
de l'empire, chacun dans sa sphère, mais étroitement 
unis dans une réciprocité de services mutuels, dans 
une entente harmonieuse, et parraite, Fun réglant les 
affaires temporelles, l'autre les affaires spirituelles, 
l'État protégeant matériellement l'Église, l'Église pro- 
t^eant spirituellement l'État. Mais, dans cette union 
nécessaire, c'est à l'Église, qui tient la place de Dieu, 
qu'appartient la prééminence : elle est la mère des 
empereurs et des rois comme celle des simples fidèles. 
Dans sa lettre à l'évéque de Fermo, Epist., 1. IV, 
epist IX, P, L., t. cxLiv, col. 315, où il refuse de recon- 
naître aux ecclésiastiques le droit de venger eux-mêmes, 
et de leurs propres mains, les injures faites à leurs 
biens, à moins qu'ils ne soient seigneurs temporels, 
et encore alors doivent-ils le faire par des moyens 
justes et raisonnables, il écrit : Jnira regnuni et sa- 
cerdotium propria cujusque distinguuntur officia, 
ut et rex amxis utatur sœculi et sacerdos accingatur 
gladio spiritus, qui est verbum Dei. Il conclut ainsi sa 
Disputatio synodalis : Ut summum sacerdotium 
et ronianum, simul confœdetetur imperium, quatenus 
et humanum, genus, quod per hos duos apices 
in uiraque substantia regitur, nullis, quod absit, 
partibus rescindatur; sicque mundi vertices in 
perpétuai caritatis unionem concun^ant... et qua- 
tenus ab uno mediatore Dei et hominum, hœc 
duo, regnuni scilicet et sacerdotium, divino sunt con- 
flata mysterio, ita sublimes istœ duœ personœ tanta 
sibimet inviceni unanimitate jungantur, ut, quodam 
mulusB caritatis glutino, et rex in Romano pontifice 
et Romanus pontifex inveniatur in rege. P, L., t. cxlv, 
col. 86. La double dignité de roi et de prêtre est unie 
en Jésus-Christ, elle doit l'être de même dans le peuple 
chrétien; le sacerdoce a besoin d'être protégé par la 
royauté, la royauté a besoin du sacerdoce pour être 
appuyée par sa sainteté; le roi porte le glaive pour 
frapper les ennemis de l'Église, le prêtre prie pour 
rendre Dieu favorable au roi et au peuple. Epist., 
1. VII, epist, III, P. L., t. cxLiv, col. 440. EnGn, dans 
Serm., lxix, ibid., col. 897-902, il ran^e le sacre 
des rois au nombre des sacrements : « Heureux, dit-il, 
si le roi joint le glaive du roi à celui du sacerdoce, 
pour que le glaive du roi aiguise le glaive du prêtre. 
Alors le royaume prospère, le sacerdoce se dilate, l'un 
et l'autre sont honorés, quand ils sont ainsi unis par le 
Seigneur, prmtaxala felici confœderalione. » Cet idéal 
de l'alliance du sacerdoce et de l'empire, avec subordi- 
nation harmonieuse de l'État a l'Église, nettement en- 
trevu et fixé par Pierre Damien, fut celui du moyen 
âge chrétien. Â peine réalisé, il fut battu en brèche 
par les légistes et le césarisme, le gallicanisme parle- 
mentaire et la révolution; il n'est plus qu'un souvenir 
glorieux. 

m. Œuvres. — Longtemps restées manuscrites et 
éparses, les œuvres de Pierre Damien commencèrent 
â être recueillies, sur l'ordre de Clément VIII, par le 
bénédictin Constantin Cajetan, qui les publia en partie 
«n 1606, 1608 et 1615 et y ajouta un dernier volume en 
16i0. Une édition plus complète en parut, à Venise, en 
1743. C'est celle qu'a reproduite Migne, P. L., t. cxliv, 
CXLV, en y ajoutant les découvertes du cardinal Mai. 
Les œuvres de Pierre Damien y sont logiquement dis- 
tribuées, mais non chronologiquement. Il y a d'abord 
les Lettres, en huit livres, selon qu'elles sont adressées 
aux papes, aux cardinaux, aux archevêques, aux évêques, 
aux archiprêtres, archidiacres, prêtres et clercs, aux 
■abbés et aux moines, aux princes et aux princesses, à 



différentes personnes. Elles offrent le plus vif intérêt 
pour la vie du saint et l'histoire de son époque. Vien- 
nent ensuite soixante quinze sermons, dont dix-neuf 
au moins sont de Nicolas, moine de Clairvaux et secré- 
taire de saint Bernard, distribués dans Tordre des 
mois, t. cxLiv, col. 505-924; puis la Vie de saint Odilon, 
ibid., col. 925-944; la Vie de saint Maur, évêque de 
Césène, ibid., col. 945-952; la Vie de saint Romuald, 
ibid., col. 953-1008; la Vie de saint Rodolphe et de 
saint Dominique le Cuirassé, ibid., col. 1009-4024; les 
Actes du martyre des saintes Flore et Lucille, ibid., 
col. 1025-1032, réputés apocryphes par Baronius et 
quelques critiques, mais admis, avec quelques restric- 
tions sur le c. m, par les bollandistes; les Actes de 
saint Jacques, diacre, et de saint Mai^ien, lecteur, 
martyrs en Numidie, ibid., col. 1032. Dans ces di- 
vers écrits, Pierre Damien fait souvent preuve de trop 
de crédulité; on ne saurait suspecter, du moins, ce 
qu'il raconte comme témoin oculaire. Au t. cxlv, se 
trouvent soixante Opuscules, très importants pour la 
plupart au point de vue historique, canonique et dog- 
matique; puis, empruntés au t. vi de la ScHplorum 
veterum collectio nova, du cardinal Mai, le De gallica 
profectione Domni Pétri et ejus ultramontano itinere, 
VEocpositio canonis missœ, les Testimonia Novi Tes- 
tamenti, qui sont extraits des œuvres de Pierre Damien, 
et qui font le pendant à une autre collection sur l'An- 
cien Testament, enfin quelques Lettres ou fragments 
de lettres. La fin du volume contient un recueil 
d'Oraisons, d'Hymnes, de Leçons, de Messes, de Ré- 
pons, et de deux-cent vingt-cinq poèmes, parmi les- 
quels le ccxiii* est l'épitaphe du saint. 

IV. Doctrine. — Signalons, pour mémoire, l'opusc, 
viii, De parentelœ gradibus, qui intéresse plus parti- 
culièrement le droit canonique, sur la question de 
savoir jusqu'à quel degré de parenté sont interdits les 
mariages; son recueil d'oraisons et de poèmes relatifs 
à la liturgie; les extraits qu'on a fait, de ces œuvres, au 
sujet de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui se rap- 
portent à l'Écriture sainte. Il avait fait faire pour ses 
moines de Fonte Avellana, licet cursim ac per hoc non 
exacte, une édition corrigée de la Bible latine. Opuscul., 
XIV, P. L., t. CXLV, col. 334. Les leçons bibliques qu'on 
remarque dans ses Œuvres appartiennent à ce que le 
P. Denifle appelait la recension romaine de la Vulgatc. 
Die Handschriflen der Bibel-Correctorien des iSJahr 
hunderts, dans Archiv fur Literatut^und Kirchen- 
geschichte des Mitlelallers, Fribourg-en-Brisgau, 1888, 
t. IV, p. 482, mais que Samuel Berger a mieux caracté- 
risé comme étant le texte ilalien,ou milanais, de la Vul- 
gate, qui tire ses origines du midi de la France, et n'est 
pas un bon texte. Histoire de la Vulgate pendant les 
premiers siècles du moyen âge, Paris, 1893, p. 141-143. 

1® Au point de vue dogmatique^ Opuscul., i. De 
fide catholica, P. L., t. cxlv, col. 19-39, traite de ce 
que l'on doit croire touchant les mystères de la trinité, 
de l'incarnation, des deux natures et des deux volontés 
en Jésus-Christ et, notamment contre les Grecs, prouve 
la procession du Saint-Esprit ab utroque; ce dernier 
point, en particulier, fait l'objet de l'opusc, xxxviii, 
Contra Grœcot*um errores de processione Spiritus 
Sancli, ibid., col. 632-642. Contre les Juifs, Pierre Da- 
mien démontre que Jésus est vraiment le Fils de 
Dieu, à l'aide de textes de l'Ancien Testament qu'ils ne 
pouvaient récuser, Opuscul., ii, Antilogus contra Ju- 
dseos, ibid., col. 41-58; il résout les difficultés qu'ils 
pouvaient soulever; celle qu'ils tiraient de l'inobser- 
vance des rites de la loi ancienne par les chrétiens n'est 
pas admissible; car si Notrc-Seigneur les a abolis 
après les avoir observés lui-même, c'est qu'ils n'étaient 
que des figures et qu'ils ont été dûment remplacés par 
les rites de la loi évangélique. Opuscul., m, Dialogus, 
ibid., col. 58-68. 



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51 



DAMIEN 



m 



Pierre Damien est un témoin de la foi traditionnelle 
de rÉglise en faveur du purgatoire. Le sacrifice, la 
prière, Taumône profitent, dit-il, aux défunts : telle est 
sa thèse. Et il Tappuie d'un certain nombre de faits 
qui prouvent que les prières des vivants délivrent les 
âmes du purgatoire. Il nous fait connaître, à cette oc- 
casion, Topinion pieuse de quelques personnages 
illustres, d'après laquelle les âmes des défunts ne 
souflVent point le dimanche ; aussi, le lundi, célébrait- 
on la messe en Thonneur des saints anges pour attirer 
leur protection sur les défunts et sur les mourants. 
Opuscul., XXXIII, De bovo sufjragiorum ; Opuscul., 
XXXIV, De variis miraculorum narrationibus , de ap- 
paritionibus et nnraculis, ibid., col. 567-590. Pour lui, 
personnellement, il tient à ce que les survivants prient 
pour lui, témoins ces deux derniers vers de son épitaphe : 

Sis meinor, oro, mei, cineres plus aspice Pétri : 
Cum prece, cum gemitu die : Sibi parce, Deus. 

Très sensible à la promesse que lui avaient faite les 
moines de Cluny, en reconnaissance de ses services, de 
célébrer chaque année un service funèbre au jour 
anniversaire de sa mort, il prie Tabbé Hugues d'ordon- 
ner la même pratique dans tous les monastères de sa 
congrégation. Epist., 1. VI, epist. ii, P. L., t. cxLiv, 
col. 372-373. 

2o Relativement à la théologie sacramentaire, con- 
statons d'abord que Pierre Damien prend le mot sacre- 
ment au sens de mystère, conformément à la significa- 
tion étymologique qu'en avait donnée Isidore de Séville, 
et qui fut si funeste; il est dès lors dans l'impossibilité 
de fixer le nombre des sacrements. 11 y en a trois 
principaux, dit-il dans son opuscule Gratissinius, 9, 
le baptême, le mystère salutaire du corps et du sang du • 
Seigneur et l'ordination des clercs. Ailleurs, Serm., 
LXix, P. L., t. cxLiv, col. 897 sq., il en compte douze, 
entre autres, la consécration du pontife, l'onction du 
roi, la dédicace d'une église, le sacrement des chanoines, 
des moines, des ermites, des religieuses, et il oublie 
l'eucharistie et l'ordre, tout en énumérant, celte fois, 
la confirmation, l'onction des infirmes et le mariage 
avec le baptême, le premier de tous. Sans avoir traité 
la question des sacrements, on voit qu'il connaît les 
sept qui méritent exclusivement ce nom, au sens de 
signe efficace de la grâce. 11 parle en passant du ma- 
riage, à propos des degrés de parenté qui s'opposent 
en droit canonique à sa célébration, et de la pénitence, 
quand il raconte que l'impératrice Agnès lui fit, à 
Rome, une confession générale des péchés qu'elle avait 
commis depuis l'âge de cinq ans. Opuscul., lvi, 5, 
P. L., t. cxLV, col. 814. il parle un peu plus de l'eu- 
charistie, dans trois passages difl'érents qui ne laissent 
aucun doute sur sa foi à la présence réelle et à la 
transsubstantiation. Comme remède de la chasteté, 
c'est la communion quotidienne qu'il propose à son 
neveu. Opuscul., XLVii, 2, De castitate, ibid., col. 712. 
« Le démon, ennemi de la pureté, en voyant vos lèvres 
teintes du sang de Jésus-Christ, prendra la fuite, lui 
dit-il, car ce que vous recevez sous l'espèce visible du 
pain et du vin, il sait, qu'il le veuille ou ne le veuille 
pas, que c'est en vérité le corps et le sang du Seigneur. » 
Dans Serm., XLV, t. cxlïv, col. 743, parlant du corps 
de Jésus-Christ, engendré, nourri et soigné par la 
Vierge Marie, il affirme que c'est, sans nul doute pos- 
sible, ce même corps que l'on reçoit a l'autel sacré, 
que telle est la foi catholique et que c'est là ce qu'en- 
seigne fidèlement l'Église. Mais c'est surtout dans son 
Expositio canonis missœ, t. cxlv, col. 879-892, qu'il 
est d'une netteté et d'une précision remarquable et 
^u'il trouve d'heureuses formules, comme celle-ci, 
col. 882 : Totus in Iota specie panis, tolus sub singu- 
lis partibus, totus in magno, totus in parvo, totus in 
integro, totus in fracto. 



Ce qui mérite une mention particulière c'est l'atti- 
tude qu'il prit dans la question de l'efticacité de; 
sacrements, et ce n'est point sans mérite à l'époque d( 
désarroi où il*vécut. Que valaient les sacrements con 
férés par des excommuniés ou des ministres indignes 
Pour les partisans de la réforme, et les amis de l 
papauté, ils étaient jugés invalides ; pour les adversaire 
de la réforme, au contraire, ils étaient réputés valides 
Pierre Damien, qui était à n'en point douter un parti 
san déterminé de la réforme et un grand serviteur d 
la papauté, s'en tient à la doctrine de saint Âugustir 
bien qu'elle fût celle des ennemis de la réforme. ! 
déclare valides les ordinations simoniaques sur c 
principe d'abord que le pouvoir d'ordre est un pouvo 
ministériel, que le ministre, qu'il soit bon ou mauvai 
transmet la grâce, car c'est Jésus-Christ, source c 
toute grâce, qui consacre; mais il a tort d'ajouter qu 
pour être valide, l'ordination doit être faite dai 
l'Église catholique par un ministre qui professe la 1 
orthodoxe de la Trinité. A ses yeux, les simoniaqu 
ne sont pas des hérétiques, par suite leurs ordinatio 
sont valides, leurs sacrements sont réels. 11 ajoute qi 
fussent-ils hérétiques, et leurs ordinations fusseï 
elles nulles, on ne saurait les réitérer, vu que la lég 
lation canonique interdit aussi bien la réordinati 
que la rebaptisation. Pour soutenir sa thèse, il s'i 
puie encore sur le 68« canon des apôtres, qui inten 
en eflet, les rebaptisations et les réordinations; m 
il omet l'incise : 7iisi forte eum ab hœreticis or 
natum comprobaverit, qui ne porte l'interdiction « 
dans le cas où ces sacrements auraient été conf^ 
par des catholiques, et qui, dès lors, contrairemei 
son but, laisse entendre que la réitération du bapt< 
et de l'ordre, conférés par des hérétiques, est non i 
lement permise mais commandée. Il tire un autre 
gument du fait de la déposition souvent prescrite co 
les simoniaques : s'ils sont déposés, dit-il, c'est q 
sont clercs et non laïques; donc leur ordination 
réelle et valide. Et enfin, comme la simonie était 2 
une plaie générale et invétérée, il conclut que, si 
ordinations simoniaques sont nulles, le pouvoir d'o 
a presque disparu de la terre, et que les sacrcmi 
administrés de bonne foi par tant de prêtres et 
gieusement reçus par les fidèles, n'étaient que de 
simulacres. Telle est la doctrine du Gratissimus. 

Au sujet des réordinations, les meilleurs espri 
l'époque ne pensaient pas tous comme Pierre Dar 
et, dans la pratique, on manquait d'unifor 
Léon IX a travaillé, le premier, à supprimer la s 
nie. Mais quelle conduite tenir? Les cas pouv 
difl'érer; il y avait le cas où le consécrateur était 
niaque, celui où l'on payait pour se faire ordo 
celui aussi où l'on recevait gratuitement l'ordin 
d'un simoniaque. Pierre Damien nous app 
Gratissimus, que la question des réordiuations 
niaques, agitée dans trois conciles à Rome, en 
1060 et 1051, était restée sans solution et que Lé 
n'avait pas de principe arrêté à ce sujet. Il ace 
bien, par exemple, relativement aux clercs ord 
gratuitement par des simoniaques, la décision c 
prédécesseur Clément II, en 1047, d'après laque 
tels clercs devaient faire une pénitence de qu 
jours et être admis ensuite à l'exercice de leurs o 
mais quant aux ordinations faites à prix d'argent 
regardait le plus souvent comme nulles et les 
réitérer, comme on le voit dans les Actus Med 
de privilegio romanœ Ecclesiœ, P. L., t. cxlv, < 
Envoyé, en effet, à Milan comme légat par Nie* 
au début de 1059, pour y réformer le clergé ce 
naire et simoniaque, mais sans instructions pr 
précises, Pierre Damien applique courageusenr 
propre doctrine. Tous les coupables, l'arche vé 
tête, font amende honorable, reconnaissent let 



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53 



DAMIEN — DAMODOS 



54 



et s*engagent par serment à ne pas recommencer; puis 
des pénitences leur sont imposées, à l'expiration 
desquelles tous les clercs erudili et castl purent 
reprendre l'exercice de leur ordre. Reste à faire rati- 
fier sa sentence ; là était le point délicat, car il n'igno- 
rait pas qu'elle ne pouvait avoir l'agrément général de 
la curie, surtout celui du cardinal Humbert qui, d'un 
avis tout opposé au sien, s'était déjà prononcé, dans 
son Adversus simoniacos, pour la nullité des ordina- 
tions faites par des hérétiques, et les simoniaques 
étaient des hérétiques à ses yeux, et aussi celui d'Hil- 
debrand; aussi s'exprime-t-il en ces termes : Ulrum 
ego in recanciliatione illoruni erravetnm, nescio.., 
Apostolica tamen sedes hmc apud se retractanda dis- 
cutiat : et utrutn puncto an lima digna sint, ex au- 
cîoritaiis sute censura décernât. Cf. Baronius, Annales, 
an. 1059, n. 60. 

De fait, au concile de Rome tenu cette même année 
1069, Nicolas II se montre bien plus sévère que son 
légat : il décide la déposition des simoniaci simoniace 
Oixlînati vel ordinatores, et des simoniaci sim,oniace a 
non simoniacis ordinati ; quant à ceux qui avaient été 
ordonnés gratuitement par des évéques qu'ils savaient 
simoniaques, le pape les admet, par indulgence, à 
l'exercice de leurs ordres, mais il entend qu'ils soient 
déposés ainsi que ceux qui les auront ordonnés. 
Hardouin, Ad, concil., t. vi a, col. 1063; Baronius, 
Annales, an. 1059, n. 33-3i. Cette sentence était loin 
de l'indulgence préconisée par Pierre Damien dans son 
Gratissimus ; en conséquence il dut ajouter à son 
opuscule un post-scriptum pour faire connaître la 
décision nouvelle; en se soumettant humblement, il 
conserve l'espoir qu'on réviserait un jour la sentence 
pontificale. Du moins, il se trouvait avoir gain de 
cause sur deux points, puisque les ordres reçus d'un 
évèque qu'on ne sait pas être simoniaque et les ordres 
reçus gratuitement d'un simoniaque connu pour tel 
étaient acceptés. 

Quelle idée se faisait-on donc des ordinations non 
acceptées et des sacrements conférés par des ministres 
ainsi rejetés? Pierre Damien nous l'apprend dans sa 
lettre aux Florentins, qui forme l'opusc, xxx, De 
sacramentis per improbos administratif, P. L., 
t. cxLY, col. 523-530, où il rappelle sa doctrine du 
Gratissimus sur la validité des sacrements conférés 
par des ministres indignes ainsi que les décisions 
prises par Nicolas II contre les simoniaques. D'après 
ces décisions, quiconque désormais reçoit l'ordination 
d'un simoniaque ne peut en profiter et doit déposer 
le droit d'administrer tout comme s'il ne Vavait pas 
reçu. Et pour ce motif, sgoute-t-il, maintenant non 
seulement nous réprouvons les simoniaques, mais 
encore nous méprisons les sacrements conférés par 
eux. Qu'est-ce à dire? D'un côté, il reproche aux 
Florentins de refuser les sacrements de ministres 
ordonnés par des simoniaques, et, d'autre part, il les 
méprise lui-même. Dans le premier cas, il s'agit des 
simoniaques ordonnés avant le décret de Nicolas; dans 
le second, des simoniaques ordonnés après ce même 
décret. Ce faisant, il se conforme à la décision récente 
du pape Nicolas, mais il n'abandonne pas pour autant 
son principe de la validité des sacrements quelle que 
soit la dignité morale de celui qui les confère. Sur ce 
dernier point, cf. Saltet, Les réordinations, Paris, 
1907, p. lTd-204. 

Œavres de saint Pierre Damien dans P. L., t. cxliv-cxlv ; 
avec quatre vies du saint, t cxliv, col. 113-180; Baronius, 
Annales, an. 1049 sq. ; Henschenios» Act. sanct., t. m februarii, 
p. 412-438; d'Acbery, Spicilegium, 1666, t. vu, prœf.; Ceillier, 
Hi$t. gêner, des auteurs sacrés, Paris. 1863, t. xiii, p. 296- 
324; Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. vi; Grandi, 
De S. Pétri Damiani et Avellinatarum instituto camaldu- 
knsi, dans ses Dissert. camald., 1707, t. rv, p. 1-138 ; Ladercbi, 



Vita S. Pétri Damiani, 3 in-4», Rome, 1702; MIserocchI, Vita 
di S. Pier Damiano, Venise, 1728; Mlttarelli et Cortadoni, 
Annales camaldulenses, Venise, 1756, t. ii; Vogel, Peter 
Damianus (ein Vortrag), léna, 1856; Capecelatro, Storia 
di S. Pier Damiano e del suo tempo, Florence, 1862; Fehr, 
Petrus Damiani, Vienne, 1868; Neuldrch, Das Leben der 
P. Damiani, Gœttingue, 1875; Wambera, Der M. Petrus Da- 
miani... sein Leben und Wirken, Breslau, 1875; Guerrier, De 
Petro Damiano, Orléans, 1881 ; Klelnermann, Der M. Petrus Da- 
miani, Steyl, 1882; Roth, Der hl. P. Damiani, dansStudien und 
Mittheil. aus dem Benedictiner und dem Cistercienser-Orden^ 
Wurzbourg, 1886; Brunn, 1887, t. vu, vm; Fetzer, Voruntet^ 
auchungen zu einer Gcschichte des Pontificats Alexanders II, 
Strasbourg, 1887, p. 37-71 ; Pfiilf, Damiani Zwift mit Hilde- 
brand, dans Stimmen aus Maria-Laach, Fribourg-en- 
Brisgau, 1891, t. XLi ; Langen, Geschichte der rômischen Kirche 
vonNikolaus I bis Gregor VII, Bonn, 1892; Lauioni, S. Pier 
Damiano e Faenza, Faenza, 1898; Fioglieltl, S. Petro Damia- 
no, Turin, 1899; dom Biron, S. Pierre Damien, Paris, 1908. 
Pour la bibliographie : Brunet, Manuel, t. ii, p. 481; U. Che- 
valier, Répertoire. Bio-bibliographie, 2* édit., t. ii, col. 3708- 
3710; Kirchenlexikon, t. ix, col. 1908; Realencyclopddie, 
t. IV, p. 431-432. 

G. Bareille. 
DAMILA8 ou DAMYLA8 Nil, polémiste grec qu'il 
ne faut pas confondre avec Nil, métropolitain de Rhodes, 
comme l'a fait Oudin, Comment, de scriptor. eccles., 
t. III, p. 1137. Notre Nil appartenait à la famille Cretoise 
dont un membre, Démétrius, devait en 1476 publier à 
Milan le premier livre grec, la Grammaire de Lascaris. 
Moine et confesseur au monastère des Carcasina ou Car- 
basia à Hierapetra, il fonda à Baeonaea un couvent de 
femmes pour lequel il rédigea un typicon (règle), resté 
inédit dans le Cod. Paris. i295, fol. 108. Son testament, 
daté du 22 avril 1417, a été publié par £. Legrand, 
Revue des éludes grecques, t. iv, p. 178-181, et par 
Sp. P. Lambros, Byzantinische Zeitschrift, t. iv, p.5fô- 
587, d'après le Cod. Barocc. 59, fol. 226 v«. Binfinl'évéque 
Arsène, mort auxiliairede Novgorod, a édité, avec traduc- 
tion russe, un traité de Nil Damilas sur la procession du 
Saint-Esprit, composé en réponse à une lettre au moine 
Maxime, Grec converti au catholicisme. Nila Damili... 
olvèt grekolatinjaninu monahu Maksimu, Novgorod, 
1895. L'édition a été faite d'après le Cod. Mosq., biblioth. 
synod. ^07, sans tenir compte des Cod. Paris. i280, 
fol. 212, et i^95, fol. 60 v«, qui contiennent aussi cet 
ouvrage. Elle a été reproduite telle quelle dans 'ExxXy;- 
aia(mxYi 'AXriôeia, Constantinople, 1895, t. xv, p. 382 sq. 
A. C. Deraetrakopoulos, *Op66Ôo$o; *EXXàç, p. 88, dans 
sa notice sur Nil Damilas, fait à tort des différentes 
parties du traité autant d'ouvrages différents. 

o PfTRini's 
DAMNATION. Voir Dam, col. 6-25.' 

DAMODOS Vincent, philosophe et théologien grec 
du xvin» siècle. Né à Khavriata dans l'Ile de Céphalonie, 
vers 1679, il fut élevé au Flanginion de Venise et prit 
son doctorat en droit à Padoue. Il revint dans son pays 
comme avocat, mais bientôt, dégoûté du métier, il 
ouvrit dans son village natal une école qui jouit d'une 
grande réputation; parmi ses disciples une tradition 
range le fameux Eugène Boulgaris. Damodos est le pre- 
mier Grec qui enseigna les théories de la philosophie 
moderne; de plus, il se servit du grec moderne comme 
langue d'enseignement. Il mourut en 1752. De trois 
ouvrages imprimés après sa mort, un seul nous inté- 
resse: 'Ettctoiioç XoYtxtj xa-c' *Api(rcoTéXr,v, Venise, 1759; 
les deux autres sont des traités de rhétorique. On 
signale en manuscrit une logique plus développée, une 
métaphysique et une physiologie, surtout un traité de 
théologie intitulé : ©sta xal U^ol StôacxaXta -î^toi ôp66- 
ôoÇoc SoYptaTixr, ôeoXoyia. Cet ouvrage est conservé dans 
la bibliothèque de l'école grecque de Vienne ; il com- 
prend cinq volumes : d'après le titre, composé en 1730, 
approuvé par le saint synode de Constantinople, il fut 
remis à Démétrius Chrysanthopoulos pour être impri- 



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55 



DAMODOS — DANIEL (LIVRE DE) 



56 



mé; j'ignore pourquoi ce projet n'eut pas de suite. 
Nous devons noter que Damodos traite avec détail les 
questions controversées entre les deux Églises, pri- 
mauté du pape, procession du Saint-Esprit, azymes, 
purgatoire, épicièse, etc. 

Venise, 1843, p. 140-153 ;C. Sathas, NioiU>ivi«i) oùo^oTtc, p. 468; 
A. C. Demetrakopoulos, 'Op«ô«o;oç 'Eii4ç, p. 178. 

S. PÉTRIDÈS. 

DANDINI Jérôme, né à Césène (Italie) en 1554, 
entra dans la Compagnie de Jésus en 1569 ; enseigna la 
philosophie à Paris, la théologie à Padoue et remplit 
diverses charges importantes dans son ordre. En 1596, 
le pape Clément VIII l'envoya dans le Liban, chargé 
d'une mission auprès du patriarche et de la nation des 
Maronites. Par les soins de Dandini, deux synodes 
furent réunis, où les évéques et les principaux prêtres 
maronites, présidés par leur patriarche, renouvelèrent 
la profession de foi catholique, corrigèrent plusieurs 
abus et prirent de sages mesures pour la discipline de 
leurs églises. Rentré à Rome en 1597, le P. Jérôme 
Dandini mourut à Forli le 29 novembre 16B4. Une 
relation de son voyage en Orient a été publiée par son 
neveu Hercule Dandini, et dédiée au pape Alexandre VII: 
Missione apostolicaal patriarca e Maronili del Monte 
Libano del P, Geronimo Dandini, da Cesena, délia 
Compagnia di Gesù, e suo pellegrinazione a Geru- 
salemme, in-i**, Cesena, 1656. Cette relation a été tra- 
duite en français par Richard Simon sous ce titre, qui 
résume le contenu de l'ouvrage : Voyage du Mont 
Liban, traduit de Vilalien du R, P. Jérôme Dandini, 
nonce en ce pays-là. Où il est traité tant de la créance 
et des coutumes des Maronites, que de plusieurs parti- 
cularitez touchant les Turcs, et de quelques lieux consi- 
dérables de VOrient, avec des remarques sur la théologie 
des chrétiens du Levant et sur celle des Mahométans, 
in-12, Paris, 1675, 1684, 1685. Il en a été fait aussi des 
traductions anglaises, et une allemande, partielle. 
Précédemment avait paru de Dandini : 1« De coi'pore 
animato lib, VII. Luculentus in Aristotelis très de 
anima libros commentarius peripateticus , in-fol., 
Paris, 1611; 2<> Ethica sacra, hoc est de virtutibus et 
vitiis libri quinqiuiginta. Quibus ex sacrarum, Littera- 
rum et veterum Patrum sententia hominum forman- 
tur mores, religionis non pauca stabiliuntur dogmata, 
pluresque anliquitate confinrïiantur Ecclesiœ ritus, 
in-fol., Césène, 1651 ; Anvers, 1676. Ce dernier ouvrage 
est un fruit de la vieillesse de l'auteur. 

De Backer et Sommervogel, Bibl. de la C' de Jésus, t. ii, 
col. 1789-1791; I. Jouvancy, Historiœ Societatis lesu pars quinta, 
tomus posterior, in-fol., Rome, 1710, p. 428*430. 

Jos. BRUCKER. 

1. DANIEL, prophète hébreu. On étudiera successi- 
vement : 1» les questions critiques relatives au livre 
de ce prophète; 2» spécialement la prophétie des 
soixante-dix semaines. 

I. DANIEL (LIVRE DE). Bible hébraïque : Daniel, 
e 9* des KefoCibîm c écrits » ou « hagiographes ». 
Grecque : AANIHA, le 4« et dernier des grands pro- 
phètes (Méliton de Sardes et Origène le plaçaient avant 
Ëzéchiel). Latine : Prophetia Danielis. Saint Jérôme, 
Prologus galeatus, et les bibles latines du type espa- 
gnol et théodulûen le séparaient des prophètes et l'in- 
tercalaient entre les écrits salomoniens et les Chro- 
niques. Dans presque tous les autres mss. latins, il 
reprend sa place dans Vordo prophetarum. S. Berger, 
Histoire de la Vulgate, Paris, 1893, p. 330-339. — 
I. Texte et versions. II. Canonicité. IH. Mode de com- 
position. IV. Interprétation. V. Caractère littéraire. 
VI. Caractère historique. VII. Auteur. VIII. Enseigne- 
ments doctrinaux. IX. Commentateurs. 

I. Texte et versions. — /. texte, — Dans la Bible 



hébraïque, le livre de Daniel se trouve écrit pour une 
partie, i-ii, 4 a, et viii-xii, en hébreu, et pour une 
autre partie, ii, 4 &-vii, en araméen (chaldéen biblique). 
celle-ci introduite par la glose probable 'arâmit, a en 
araméen. » Pour expliquer cette dualité dialectale, plu- 
sieurs hypothèses ont été mises en avant, mais aucune 
ne peut passer pour tout à fait satisfaisante; les voir 
exposées et critiquées dans Preiswerk, Der Sprachen- 
wechsel ini Bûche Daniel, Berne, 1903, p. 641, 117- 
120. — L'hébreu de Daniel est celui des temps posté- 
rieurs à Néhémie. Tout en se rattachant par cpielques 
traits à l'hébreu d'Ézéchiel, il se rapproche beaucoup 
plus de celui des Chroniques (ive-iii« siècles). Par sa facilit( 
à s'incorporer des mots étrangers, persans et araméens 
à donner à ses vocables une forme araraaîsante, à ei 
changer l'acception; par l'usage courant qu'il fait d( 
certaines locutions et constructions extrêmement rare 
avant ou immédiatement après l'exil, mais commune 
dans les écrits juifs de très basse époque; par sa syntax 
lourde et dénuée de grâce; par son style laborieux e 
inélégant, il marque une étape bien caractérisée d 
l'idiome Israélite évoluant vers la langue de la Michn 
et du Talmud. Quant à l'araméen, c'est un dialect 
occidental palestinien qui n'était assurément poii 
parlé à Babylone au v« siècle avant Jésus-Christ. Il e 
apparenté étroitement à l'araméen des inscripUoi 
paimyréniennes et nabatéennes du ni< siècle ava 
Jésus-Christ, comme à celui des parties les plus ancienn 
des targums d'Onkélos et de Jonathan. Lui aussi coi 
tient des mots étrangers, persans et grecs. — P. RiessU 
Die Ursprache des Bûches Daniel, dans Biblisc 
Zeitschrift, 19(fô, t. m, p. 140-145, a cru trouver da 
le livre de Daniel des indices d'un écrit fondamen 
babylonien cunéiforme. Sous le même titre et dans 
même revue, 1906, t. iv, p. 247-254, M. Streck a mon 
que si le livre de Daniel ne dérivait pas d'une soui 
babylonienne, son auteur avait au moins subi l'influet 
de la langue et de la syntaxe babyloniennes. 

Bevan, A short commentary on the Book of Daniel, Ca 
bridge, 1892, p. 2642 ; Bebrmann, Das Bach Daniel, Gœtting 
1894, p. i-x ; Preiswerk, Der Sprachenwechsel im Buclie . 
niel, Berne, 1903, p. 44-68, 77-88, 91-113 ; thèses cuneuses 
G. Jabn, Das Buch Daniel, Leipzig, 1904, p. iv-vii (th. ii, m, 
VIII); Driver, Introduction ta the literature of the Old Ta 
ment, Edimbourg, 1897, p. 502-508. 

Le texte original du livre de Daniel est quelque 
flottant dans les mss., surtout pour la partie araméer 
On en a tenté, a la lin du dernier siècle, plusi< 
éditions critiques et explicatives, 

1* Éditions du livre dans sa totalité : S. Baer, Libri Dan 
Ezrse et Nehemiœ, Leipzig, 1882, p. 1-24 (prœ/atio de F 
Delitzsch ; explication des noms propres par Friedrich Delitz: 
notes de la Massore, p. 62-99; A. Kampbausen, The Boo 
Daniel in Hebrew, Leipzig, 1896 (dans l'édition polychron 
P. Haupt, The sacred Bocks of the Old Testament), hébr 
noir; araméen en rouge; notes critiques détaillées ; M. : 
Libri Danielis, Ezrm et Nehemiœ, Leipzig, 1906, à part, et 
BibUa hebraica, édit. R. Kittel, Leipzig, 1905-1906. p. 
1184, apparat critique au bas des pages. 

2* Éditions spéciales de la partie araméenne : II. L.. S 
Abriss des Biblisc hen Aramàisch, Leipzig, 1896, p. 1 
(édit., 1897, 1901, 1906, sous le iitce de Grammat 
K. Marti, Gramtnatik der Biblisch-Aramàischen Spi 
Leipzig, 1896, p. 17*-40*. M. Gaster a découvert dans la 
nique manuscrite de Jérahméel, auteur du x* siècle & peu 
le texte araméen du cantique des trois enfants dans la fou 
et de rhistoire de Bel, qui lui paraît èu*e roriginal trad 
Théodotion. Ce texte a été édité dans les Proceedings 
Society of Biblical archaeology, 1894, t. xiv, p. ï 
(cf. p. 280-290); 1H95, t. xvii, p. 75-94. Cf. Gaster, The 
nicles of Jérahméel, Londres, 1899, p. civ. 

//. VERSIONS. — lo Versions immédiates. — 1 
sion des Septante. — Le texte hébreu araméen di 
de Daniel, ou, selon G. Jahn, Das Buch Daniel 



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57 



DANIEL (LIVRE DE) 



58 



der Septuaginta hergeslelU, Leipzig, 1904, p. v, 
thèse IV, et P. Riessler, D(u Buch Daniel, Vienne, 1902, 
p. VII, un texte tout hébreu de ce livre, a, déjà glosé, 
été traduit en grec vers Tan iOO avant Jésus-Christ. 
C'est la version dite des LXX ou alexandrine. Cette ver- 
sion contenait les trois péricopes deutérocanoniques : 
prière d*Azarias et cantique des trois jeunes gens, m, 
i4-90; histoire de Susanne, prologue du livre (Vulg., 
xiu); Bel, le dragon, conclusion (Vulg., xiv), que le tra- 
ducteur aurait, selon Bludau, Die alexctndrinische Ûber- 
setzung des Bûches Daniel, Fribourg-en-Brisgau, 1897, 
p. 218, empruntées à une précédente version grecque des 
morceaux iii-vi et xiii-xiv, issue elle-même d*un original 
sémitique réduit à ces six chapitres. Nombre de critiques, 
protestants et catholiques, avaient nié l'existence d'un 
texte hébreu ou araméen pour ces parties deutérocano- 
niques et conclu à un original grec. Bludau, op. cit., 
p. 157 sq., 182 sq., 201 sq. Après avoir été d'un usage 
courant dans les lectures des Églises jusque vers le 
iii« siècle, Bludau, De alexandrinœ inierpretationis 
Ubri Daniêlis indole critica et hemieneutica, Munster, 
18&1, p. 12-20, la version alexandrine de Daniel y fut 
peu à peu supplantée par celle de Théodotion, dont il 
sera parlé plus loin. Saint Jérôme attribuait cet ostra- 
cisme dont elle fut frappée à une trop grande infidélité 
vis-à-vis du texte original. Prol. in Dan.; Comment, 
in Dan., iv, 6, P. L., t. xxv, col. 493, 514. Il est 
beaucoup plus probable que le texte nouveau de 
Théodotion fut préféré à celui des LXX parce qu'il 
comportait une interprétation plus nettement messia- 
nique de la prophétie des semaines dans ix, 24-27. 
Bludau , De alexandrin» interprétât., p. 33 sq. ; Die 
alex. Ûbersetzung, p. 24. La version alexandrine dis- 
parut des mss. des LXX et ne fut plus retrouvée qu'au 
xvm* siècle dans un ms. cursif du XP, le codex 
Chisianus, de la bibliothèque du cardinal Chigi, à 
Rome, par J.Bianchini. Léon Allatius (f 1669) l'avait 
déjà signalée un siècle auparavant. 

ÉditioDS : Simon de Magistris, Rome, 1772, d'après une copie 
de Vincent de Regibus; J. D. Michaelis, Gœttingue, 1773-1774; 
C Segaar, Utrecbt, 1775; Holmes-Parsons, dans VettAS Test, 
grmee, Qzibrd, 1818, t iv; 2- édit, 1848; A. Mai (VerceUone), 
dans Ver. et Nov. Test, ex antiq. cod. Vaticano, Rome, 1838 
(iBBS), Uiv; H. A. Hahn, Leipzig, 1845; Tischendorf, dans Vet. 
TesL grwcejtixta LXX InUrpretes, 2r édit. Leipzig, 1854, t vi ; 
en 1880, 1889, 1875, 1880. 1887, t. vn ; Dracli, 1863, P. G., t. xvi, 
ed 2773 sq.; O. F. Fritzsch (parties deutérocanoniques), dans 
Ubri apocryphi Vet. Test., Leipzig, 1871, p. 79-91 ; Jos. Cozza 
(la raeOleure), dans Sacror. Biblior. vetustissima fragmenta 
grtec et lot., Rome, 1877, part. 111; d'après cette dernière, 
H. B. Swete, The Old Testament in Greek, 1887-4894, t m, 
p.4088q. 

2. Version de Théodotion. — Vers l'an 150 de notre 
ère, Théodotion revisa sur le texte hébreu-araméen du 
II* siècle la version alexandrine elle-même du livre de 
Daniel, ou, selon Bludau, Die alex. Ubersetzung, p. 21- 
23; et Tûbinger theologische Quartalschrifty 1897, 
p. 1-26; cf. pourtant Julius, Die griechischen Daniel- 
zusâtze, Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 27, note 2, une 
autre version grecque un peu moins ancienne que 
celle-là. Son texte est encore le texte grec de Daniel 
officiellement reçu. 

Toutes les éditions des LXX depuis la Polyglotte d'Alcala (1514- 
1M7) jusqu'à l'édition de Field, Oxford, 1859, et celle de Swete 
qui reproduit le Daniel de Théodotion parallèlement à celui de 
la Tersioo alexandrine. 

3. Autres versions. — Aquila et Symmaque traduisi- 
rent aussi le Daniel hébreu-araméen, mais apparem- 
ment sans les parties deutérocanoniques. Il ne nous 
reste de leur version que quelques fragments. Field, 
Origenis Uexapla quss supersunt, Oxford, 1875, t. ii, 
p. 90B-996. — Non plus que ceux d'Esdras et de Néhé- 
mie, le livre de Daniel n'eut fort [probablement pas de 



targum. Voir pourtant Loisy, Histoire critique du texte 
et des versions de VA. T., Paris, 1892, 1893, p. 202. — 
Au II» siècle, les f:glises syriennes lurent Daniel dans la 
Peschito, mais sans les trois péricopes. Kaulen, Einlei- 
tung in die heiligen Schriften, Fribourg-en-Brisgau 
1898, § 139. — Enfin, « plusieurs années » avant 407* 
saint Jérôme « traduisit Daniel » en lalin sur l'hébreu et 
l'araméen pour la partie prolocanonique; sur Théodo- 
tion, pour le reste. Comment, in Dan., proloff P 1 
I. xxv, coL 492-493. **' ' 

Pour le caractère et la valeur de ces versions immédiates dans 
leur rapport avec le texte original, voir, pour la version alexan 
drme, Knabenbauer, Commentarius in Danielem prophetam 
Paris, 1891, p. 45 sq. ; Bevan, A short comm. on the Bock of 
Dan., Cambridge, 1892. p. 43 8q.; P. Riessler, Das Buch Da- 
niel, textkritische Untersuchung, Vienne, 1899;G. Jahn Das 
Buch Daniel, Leipzig, 1904, p. vu sq. Pour l'ensemble : G. Behr- 
mann, Das Buch Daniel, Gœttingue, 1894, p. xxix-xxxvii- 
K. MarU, Das Buch Daniel, Tubingue et Leipzig, 1901. p xvni- 
XIX ; Preiswerlc, Der Sprachenwechsel im Bûche Daniel Berne 
1903, p. 68-77, 88-91, 113-115. ' ' 

2o Versions dérivées. - 1. Anciennes latines. - Dès 
le commencement du iii« siècle de notre ère, il y aurait 
eu en cours deux versions latines du livre de Daniel, 
exécutées, l'une sur le grec de Talexandrine, l'autre sur 
celui de Théodotion, Bludau, Die alex. Ûbersetzung, 
p. 17-20; ou tout au moins usait-on, en Afrique, vers le 
milieu de ce même siècle, d'une antique version latine 
au texte mêlé de leçons se référant à l'une ou à l'autre 
des deux versions grecques. Julius, Die ginechischen 
Danielzusàlze, p. 45 sq.; Bludau, De alex. interpret., 
p. 30 sq. ; Die alex. Ubersetzung, p. 20. Cette « afri- 
caine » aurait différé beaucoup, pour Daniel, del'* ita- 
lique » proprement dite — celle-ci c milanaise » et 
dérivée de Théodotion. Julius, op. cit., p. 46. 

Textes dans Sabatier, Bibliorum sacrorum lalinm versiones 
antiqum, Paris, 1751, t 11, p. 860-887; Ranke, Fragmenta ver- 
sionis sacr. Script, latinœ ante-hieronymianœ. Vienne, 1868, 
t II, p. 113^15 ; Paar Palimpsest, Wurzbourg et Vienne, 1871, 
p. 126-143, 874-401, etc. 

2. Syro-hexaplaire. — L'an 617, Paul, évêque mono- 
physile de Telia, traduisit en langue syriaque (écriture 
estranghélo) le Daniel alexandrin des Tétraples d'Ori- 
gène. La version est littérale, esclave du texte grec dont 
elle traduit même les particules. A ce titre, elle est 
d'une importance capitale pour la critique du texte 
alexandrin. C. Bugati la découvrit dans un ms. du 
viii« siècle de la bibliothèque ambrosienne, à Milan, et 
la publia avec une traduction latine. 

C. Bugati, Daniel secundum, editUmem LXX interpretum 
ex Tetraplis desumptam. Milan, 1788; réédition en photolitho- 
graphie par A. M. Ceriani, Codex syro-hexaplaris Ambrosia- 
nus. Milan, 1874, à.w[ïsMonumenta sacra et profana biblioihecm 
ambrosianae, part. VIL 

3. Autres versions. — Arabe, Walton, Polyglotte, 
Londres, 1657, t. vi (affinités avec la version alexan- 
drine, X» siècle); arménienne, par S. Mesrob, v« siècle, 
sur Théodotion : édit. Oscan d'Erivan, Amsterdam, 1666, 
et J. Zôhrab, Venise, 1789 et 1805, t. m; coptes : la 
sahidique (thébaine), iii^ siècle, sur Théodotion; frag- 
ments dans A. Ciasca, Sacrorum Bibliorum fragmenta 
copto-sahidica Musœi Borgiani, Rome, t. 11, 1889, et 
dans Maspero, Mémoires de la mission archéologique 
française au Caire, Paris, t. vi, 1892; la memphitique 
(bohairique), iii« siècle, sur Théodotion, édit. J. Bardelli, 
Daniel copto-memphitice, Pise, 1849; H. Tattam, dans 
Propfietsi majores in dialec. ling. œgyp. memphitica 
seu coptica, Oxford, 1852, 1. 1 ; éthiopienne, iv«-v« siècle, 
sur Théodotion, non publiée; géorgienne, vr siècle, 
édit. Moscou, 1743; slavonne, ix« siècle, édit. Kiev, 
1788, t. IV. 

II. Canonicité. — J. PHOTocAyoyjQUE (hébreu-ara- 



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DANIEL (LIVRE DE) 



méen). — Au commencement du ii* siècle avant notre 
ère, l'auteur de TEcclésiastique ne connaissait fort pro- 
bablement pas encore le livre de Daniel, car il ne cite 
point ce nom parmi ceux des prophètes, grands et 
petits, dont il fait l'éloge, xlviii-xlix. Le petit-fils de 
Jésus, fils de Siracb, le compta peut-être au nombre des 
« autres livres », Eccli., prologue, qui, au plus tôt vers 
l'époque de Judas Machabée (160 avant Jésus-Christ), 
formèrent la troisième collection de livres sacrés con- 
nue dans la Bible hébraïque sous le nom de Ke^oûbtm, 
« hagiographes. » Depuis son entrée dans ce recueil, le 
Daniel hébreu-araméen n'a été, dans les deux traditions 
juive et chrétienne, l'objet d'aucun doute relativement 
à sa canonicité. Indépendamment, les versions grecques 
des LXX et de Théodotion exécutées pour être lues 
officiellement dans la Synagogue ou dans l'assemblée 
des fidèles, attestent la vogue et le caractère sacré du 
livre, 
lo Dès avant notre ère : I Mach., i, 5i (Dan., ix, 27; 

XI, 31; XII, 11); ii, 59 (Dan., i, 6; m, 17), 60 (Dan., vi, 
22); les apocryphes, Hénoch, xlvi, 1 bis (Dan., vu, 13); 
XL, 1; LX, 2 (Dan., VII, 10), etc., voir Behrmann, op.cit., 
p. xxxvu-xxxviii; Livres sybillins, III, 397 (Dan., vu, 
7, 20) ; Assomption de Moïse, vi, 1 (Dan., xi, 21). 

2o Aux temps apostoliques : les Évangiles, Matth., 
XXIV, 15; Marc, xiii, 14 (Dan., ix, 27, ou xi, 31; xii, 
11), etc.; Joa., m, 14 (Dan., vu, 13); les Actes, vu, 56 
(Dan., VII, 13); les Épltres, I Cor., vi, 2 (Dan., vu, 22); 
II Thés., II, 3 sq. (Dan., xi, 36); Heb., xi, 33 (Dan., vi, 
22); l'Apocalypse, i, 13-15 (Dan., vu, 13; x, 5-9), etc. 
Voir filudau, Die cUex. Ûbersetzung, p. 13-15. Josèphe, 
Ant, jud., X, XI, 7 : Daniel est l'un des grands 
(prophètes); Cont. Apion., x, 4; échos du livre dans 
les écrits de Josèphe, voir Bludau, op. cit., p. 12; De 
alex. interpret., p. 15 sq. ; les apocryphes. Test, des 
douze patriarches, Ruben,l (Dan., x,2,3); Lévi,5 (Dan., 

XII, 1), 15 (Dan., ix, 27); IV Esd., m, 1 (Dan., iv, 2); 

XIII, 2-4 (Dan., vu, 13); xi, 1-12, 51 (Dan., vu); Apoca- 
lypse de Baruch, xxviii, 1 ; xxxii, 3 sq. (Dan., ix, 25- 
27). 

3o Dans la tradition ecclésiastique, les Pères apos- 
toliques, Barnabe, iv, 5 (Dan., vu, 7, 8); iv, 4 (Dan., 
VII, 24); XVI, 6 (Dan., ix, 25, 26), Funk, Paires aposto- 
lici, 2'» édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 46, 86; S. Clément 
Romain, Ad Cor., XLV,6 (Dan., vi, 16), 7 (Dan., m, 24), 
Funk, ibid., p. 158; Hermas, Vis., I, i, 3 (Dan., ix, 20); 
IV, II, 4 (Dan., vi, 22), Funk, ibid., p. 416, 462. Les 
apologistes du w siècle, S. Justin, Dial. cuni Ti^ph,, 
31 (Dan., vu); / Apol., u (Dan., vu, 13) P. G., t. vi, 
col. 540, 404; S. Irénée, Cont. har., v, 25, 4 (Dan., ix, 
24-27), P. G., t. vil, col. 1191. Pères et autres écrivains 
grecs et latins du iii« au vii« siècle; les listes, de carac- 
tère privé ou officiel, des livres reçus dans le canon 
juif ou chrétien mentionnent toutes, jusqu'à celle du 
concile de Trente, le Daniel hébreu-araméen. 

//. DBUTÉROCASOXJQUES (Pcricopes). — io Canomcité 
chez les Juifs et les chrétiens jusqu'au /v» siècle. — 
Bien que des exemplaires isolés du Daniel hébreu- 
araméen aient pu contenir dans l'un ou l'autre dialecte 
les péricopes d'Azarias et du cantique, de Susanne, de 
Bel et du dragon, il parait bien que ces morceaux ne 
firent pas, originairement, partie intégrante du Daniel 
nalestinien officiel et canonique. Julius, Die griechis- 
chen Danielzusàtze, p. 4-15, et bibliographie. Cepen- 
dant, les Juifs hellénistes d'Alexandrie les tinrent pour 
sacrés, témoin la version alexandrine qui les contint, 
et III Mach., vi, 6 (Dan., m, 46-50); et tandis que Jo- 
sèphe, grec de langage et de culture, mais pharisien de 
cœur, Aquila et Symmaque excluaient ces péricopes, le 
premier du canon proprement dit, Cont. Apion., i, 8, 
les autres de leur version, la première antiquité chré- 
tienne les accueillait au contraire, soit dans l'alexan- 
drine, soit dans le texte de Théodotion, avec la même 



faveur, et les mettait au même rang que le resl 
livre. 

1. En Occident, S. Clément Romain, Ad Cor. 
3 (Dan., m, 54), Funk, ibid., p. 176; S. Irénée, 
hser., IV, 5, 2, Daniel prophela (xiv, 3, 24); xx 
a Daniele propheta voces (xiii, 20, 52, 56), P. G., 
col. 984, 1192. Saint Hippolyte, dans son commei 
sur Daniel, édit. Bonwetsch, Leipzig, 1897, p. 91 
41, 42, 43, tient les trois péricopes pour « Écriti 
« sainte >, « divine b : ii, 28, 1, ri ypaipr, (Dan., m 

II, 31, 4, w; V| Ypaçt) Uyei (Dan., m, 49) ; i, 29, 1, r, 
(Dan., XIII, 52); l, 30, 1, xo (Tepivév twv â^ituv yP^? 
(rc6\L0i Tûv ?rpoçY]T(ôv se reconnaissent en Dan., xi: 
I, 31, 3, T^ Oe(a ypa^ (Dan., xiii, 54, 58). Tertullit 
orat., XXIX (prière d'Azarias); Adv. Hei^tog., 
(cantique); De coron, milit., iv (Susanne); De h 
XVIII ; De jejun., vu, ix (Bel, le dragon), P. L, 
col. 1195; t. Il, col. 236, 81; t. i, col. 688; t. ii, co 
964. Saint Cyprien, Ad Quirin., m, 20, cite c 
partie intégrante du livre canonique, in Daniele ^ 

III, 37-42; XIII, 1-3; De lapsis, xxxi, Scriptura < 
(Dan., m, 25 sq.); De doni. oratione, viii, de 
Scripturss divinœ fîdes (Dan., m, 51 sq.); Episi 
5 (Dan., m, 16-18; Ad Fortun., xi, Daniel Sanci 
rituplenus (Dan. j xiv, 4), P.L.,i. iv, col. 7i8-74 
524, 353, 667. 

2. En OHent. — a) Egypte. — Clément d'Alexi 
Stronx., I, XXI (Dan., xiv, 22, 33, 40); Eclog, 
ypa?a\ (Dan., m, 58-60), èTcâyei AaviTjX (Dan., 
90 sq.); ii, ô AavirjX Xéyei (Dan., m, 54), P. G., 
col. 852; t. IX, col. 697, 700. Origène, Epist. ad Af 
P. G., t. IX, col. 48 sq., défend contre les objecli 
son ami palestinien, Jules Africain, le caractei 
phétique (èx xf,; TrpoçTjxc^a; xov AavirjX) et scrip 
(naXaià AtaOï^xT]) des histoires de Susanne, de I 
dragon; In Joa., tom. xiii, 59 (Dan., xiii, 42), xi 
ô Aavir.X çYjffi (Dan., xiii, 56), P. G., t. xiv, c< 
584; De orat., xiv, év xô àoiyiiX (Dan., m, 25), 
t. XI, col. 461; Exhort. ad martyr., xxxiii 
dragon), ibid., col. 604-605, Ammonius d'Ale: 
commenta les trois péricopes avec le reste di 
P. G., t. LX XXV, col. 1363-1370 (Susanne), 1! 
(prière d'Azarias et cantique). Les versions sal 
et memphitique les contenaient. Fragments de 
mière dans Maspero, Mémoires, p. 266, 267, 
Ciasca, Sacror. Biblior. fragm., p. 360. La tra 
copte de l'Apocalypse d'Ëlie, IX, fait allusion aux h 
de Susanne, des trois jeunes gens. G. Steindo; 
Apokalypse des Elicu, dans Texte und Un ter»., 
fasc. 3 a, Leipzig, 1899, p. 48-49. — b) Asie. — \) 
et martyrs évoquent volontiers l'exemple de Su 
Didascalie, dans Bunsen, Analecta antenicœm 
dres, 1874, t. ii, p. 274. Martyre de saint Pionii 
Ruinart, Acta martyrum, Ratisbonne, 1859, 
Pseudo-Clément, De virginitate, ii, xiii (Si 
Funk, t. II, p. 23. Méthodius d'Olympe (ou c 
Symposium, logos xi, 2 (Dan., xiii, 23), P, G., 
col. 212. 

3. Monuments des Catacombes romaines. - 
tière de Priscille, chapelle grecque : fresques 
sanne tentée (Dan., xiii, 19), accusée et 
(Dan., XIII, 34, 63); des trois jeunes gens (L); 
26, 93). Cimetière de Calliste, sur un arcosoli 
gement des vieillards (Dan., xiii, 52 sq.). Vu 
col. 2005. 

Les seuls doutes sérieux élevés durant cette p 
période sur l'inspiration et la canonicité des 
deutérocanoniques du Daniel de la Bible gre 
latine furent ceux de Jules Africain, dans E 
African., doutes isolés et restés sans écho dan: 
sensus unanime de la tradition. Si Méliton de 
dans sa a liste des livres de l'Ancien Test 
(lettre à Onésime), dans Eusèbe, U, E., iv, 26 



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61 



DANIEL (LIVRE DE) 



62 



t. XX, col. 397, a omis tous les deutérocanoniques; c'est 
qu*il a emprunté cette liste aux Juifs de Palestine, les- 
quels lui ont fourni celle du Talraud, Baba hathra, 15 a. 
Si, de Torigine à la fin du iv« siècle, la Peschito ne con- 
tint pas Dan., ni, 51-90 (Polychronius, dans Mai, Scrip- 
torum veteruni nova coUectio, Rome, 1825-1831, t. i c, 
p. 4) et probablement non plus les autres fragments, 
c'est que TAncien Testament ne vint d'abord aux 
Églises syriennes que par Tintermédiaire de la Sy- 
nagogue attachée, en Asie, au seul canon hébreu. Si 
Origène et, à sa suite, « Eusèbe, Apollinaire, d'autres 
auteurs ecclésiastiques et docteurs de la Grèce » sont 
allégués par saint Jérôme, in Dan., prolog., P. L., 
L XXV, col. 493, comme fauteurs de la non-canonicité 
de ces fragments, il faut observer que le grand docteur 
n'a bien compris ni blusébe, ni Apollinaire, ni les « au- 
teurs et docteurs », qui, tous, acceptèrent en réalité, 
leurs écrits en font foi, les parties deutérocanoniques 
des livres telles que les leur offrait la Bible grecque, et 
qu'il prêta à l'auteur des Stromates, ouvrage mainte- 
nant perdu, quelques-unes de ses idées toutes person- 
nelles sur la question. Julius, op. cit., p. 36, 52 sq., 
73 sq. 

2o Canonicilé aux /v« el v« siècles. — A cette époque, 
tous les Pères grecs reçoivent comme canoniques les 
fragments de Daniel ; ils les citent couramment dans 
leurs écrits; les listes qu'ils dressent des livres sacrés 
les mentionnent implicitement sous la rubrique Aavir,X, 
litre de la version grecque qui les contint depuis l'ori- 
gine : S. Athanase, Epist. /e«^, xxxix, 5, P. G., t.xxvi, 
col. 4176, 1436; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., iv, 33, 
35, 36, P. G., t. XXXIII, col. 496 sq.; S. Épiphane, De 
pond, et mens., xxii, xxiii, P. G., t. xliii, col. 277; et 
Uœr., VIII, 6, P. G., t. xli, col. 413; S. Grégoire de 
Nazianze, Camien de gen. libror, inspir. Soiptursa, 
1, 12, P. G., t. XXXVII, col. 472 sq. : listes qu'il faut juger 
d'après la pratique des ouvrages de ces Pères. Voir Julius, 
p. 66-93. Les auteurs syriens, Aphraate, saint Éphrem, 
Cyrillonas, connaissent ces péricopes et les utilisent au 
même titre que tout passage de la Peschito officiellement 
canonique. Voir Julius, p. 94-98. Dans l'Église armé- 
Dienne qui, au v* siècle, possède dans sa Bible les trois 
péricopes daniéliques, le littérateur Mesrop, l'évêque de 
Bagrevand £znick, le catholicos Jean Mantaguni en 
attestent aussi le caractère sacré. Voir Julius, p. 100-105. 
Par ses écrivains, les décrets de ses conciles, par 
quelques reliques de l'art qu'inspira sa doctrine, 
l'Église latine d'Italie, de Gaule, d'Espagne et d'AfVique 
accorde à ces morceaux le crédit d'Écriture inspirée. 
Voir Julius, p. 105-145. 

Durant ces deux siècles, les seules voix discordantes 
furent celles de Polychronius, évéque d'Apamée et 
frère de Théodore de Mopsueste, et de saint Jérôme; et 
encore les doutes du premier n'eurent-ils pour objet 
que Dan., m, 24-90, voir Julius, p. 84, et le second ne 
commença-t-il à se poser en adversaire des trois péri- 
copes que vers l'an 390, après avoir subi, relativement 
à la canonicité des livres, l'influence des rabbins, ses 
maîtres en hébreu. Dans le Prologus galeatus et le 
Prologus au Comment, in Dan., saint Jérôme range 
implicitement ces fragments « parmi les apocryphes», 
et après les avoir « marqués d'un obèle » comme 
a n'étant pas dans l'hébreu n, affirme qu'ils ne pré- 
sentent nullement l'autorité d'Écriture sainte. Mais 
quoi qu'il puisse écrire ainsi de ces morceaux, le soli- 
taire de Bethléhem ne peut éviter de les citer, dans ses 
ouvrages contemporains du Prologus galeatus, presque 
sur le même rang que les passages d'Écriture, tant est 
puissante autour de lui la tradition qu'il confirme de la 
sorte indirectement. Voir Julius, p. 112, et t. ii, col. 1578. 

3o Canonicité à partir du VP siècle jusqu* à nos jours. 
— A partir du vi* siècle, la canonicité des parties deu- 
térocanoniques du livre de Daniel, nettement et ferme- 



ment affirmée au cours des siècles précédents, continue 
à être admise et appliquée jusqu'au concile de Trente 
et jusqu'à nos jours dans l'Église chrétienne et catho- 
lique. On n'ignore pas cependant, durant cette longue 
période, les objections de saint Jérôme ; mais les au- 
teurs qui les ont reproduites, le moine breton du De 
mirabilibus ScriplursB sacrm, P. L., t. xxxv, col. 2191, 
2192; Rupert de Deutz, De div. officiis, iv, 16; v, 5, 
P.'L., t. CLXX, col. 110 sq., 126; Hugues de Saint- 
Victor, Ei^d. didasc, iv, 8, P. L.,i. clxxvi, col. 783; 
Pierre le Mangeur, Hist. scholastica, [\ L., t. cxcviii, 
col. 1447, 1450, 1466; Albert le Grand, Opéra, Lyon, 
1651, t. VIII, p. 69 ; Nicolas de Lyre, Postillœ perpetuœ, 
Rome, 1471, 1472; Denys le Chartreux, Enarratio in 
Dan., a. 14, Montreuil, 1900, t. x,p. 165; J. L. Vives à<\ 
Valence, édit. du De dvitate Dei de saint Augustin, 152-^, 
xviii, 31; J. Driedoens, De ecclesiast. Scripturis, Lou- 
vain, 1550, I. 1,4; Cajetan (Thomas de Vio), Conimen- 
tarii, préface, Esther, x, ou n'en ont pas saisi la portée, 
ou ont cherché à les expliquer dans un sens favorable, 
suivant dans la pratique le courant auquel obéit le 
saint docteur lui-même; ou enfin, si quelques-uns 
d'entre eux, comme le moine breton, Nicolas de Lyre, 
Vives de Valence et Cajetan, les adoptent d'une façon 
plus ou moins catégorique, n'ont exercé autour d'eux 
aucune influence marquée ou décisive. Voir Julius, 
p. 149, 160-163, 166, 168, 172-174. 

III. Mode de composition. — L'antiquité n'a pas 
élevé le moindre doute sur l'unité de composition du 
Daniel hébreu-araméen. Spinoza, le premier, distingua 
dans ce livre deux mains difl'érentes, l'une dans les c.i-vii, 
l'autre dans viii-xii. Tractalus historicopoliticu8,Ji, 19, 
édit. Haag, 1882, t. i, p. 508. Newton tint le livre entier 
pour « une collection d'écrits d'époques diverses » (i, 
ii-iii, IV, v-vi, \ii'Xii).Obsei'vationsupontheprophecies 
of Dan. and the Apok. of St. John, Londres, 1732, p. 10. 
Selon Beausobre, Remarques sur le Nouveau Testament, 
La Haye, 1742, p. 70, les c. i-vi sont des « histoires que 
les Juifs postérieurs ont jointes aux prophéties "» de vii- 
XII. Bertholdt, Daniel, 1806, t. i, p. 49-84, rapporte le 
tout à neuf sources diflérentes (i, ii, m, 1-30; m, 31- 
IV, 34; v-vi, VII, VIII, ix, x-xii). Eichhorn, Einleilung 
in das A. T., 1824, t. iv, p. 515; Meinhold, Die Kom- 
posit. des Bûches Daniel, 1884; Beitràge zur Erklârung 
des Bûches Daniel, 1885, i; Das Buch Daniel, 1889; 
Strack, Handbuch der theolog. WissenscJiaft, 1885, 
t. i, p. 173, font composer d'abord ii-vi, puis vii-xii; i 
s'est ensuite adjoint à la réunion de ces deux parties 
en manière d'introduction. Les raisons alléguées sont 
celles-ci : la dualité de langue (Spinoza, Newton) ; le 
changement de personne dans le récit (Beausobre, 
3« personne dans i-vi; 1« personne dans vii-xii); les 
antinomies entre i, 21, et x, 1 ; i, 1, et ii, 1 ; v et ii, plus 
des divergences d'élocution et de style (Bertholdt). 
Néanmoins la critique, indépendante ou catholique, fait 
face à ces difficultés et maintient encore l'unité de 
composition du livre ; elle dit celui-ci œuvre d'un seul 
jet, « hâtive » même, et d'un seul auteur : aussi bien 
l'araméen de la première partie déborde-t-il sur la se- 
conde (vu); le changement de personne ne saurait 
prouver absolument; les antinomies reçoivent une so- 
lutioiT dans les commentaires; des similitudes nom- 
breuses et frappantes d'élocution et de style balancent 
les divergences. Au surplus, l'unité de la composition 
éclate par elle-même. Chacune des parties principales, 
i-vii et viii-xii, forme bien à part soi un tout logique : 
suite historique, suite prophétique; mais elles se com- 
plètent aussi l'une l'autre, car tout le livre se développe 
d'après un plan très apparent et un : annoncer, prépa- 
rer le royaume messianique, supputer l'heure de sa 
venue. Cette annonce se fait aux païens (ii) comme aux 
enfants d'Abraham (vii-xii) ; pour la bien accueillir, les 
premiers doivent reconnaître par des preuves sensibles 



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63 



DANIEL (LIVRE DE) 



6^ 



la toute-puissance du vrai Dieu, du Dieu du royaume, 
qui sauve les siens et dispose à son gré des rois et des 
empires (i, iii-vi). Puis, le royaume messianique 
annoncé, le tout-puissant reconnu de tous. Dieu révèle 
après quelle suite d'événements religieux et politiques 
se réalisera ledit royaume (ii et vii-xn). Du reste, 
chacune des visions ou prophéties progresse sur la 
précédente en plus grande clarté. A peine la critique 
signale-t-elle comme pièces rapportées les passages, i, 
20-21 (glose renchérissante); ix, 5-19 (interpolation que 
trahissent 5 et 20) ; xii, 11-12 (gloses successives voulant 
expliquer 7 et 9). 

Sur l'unité de composition voir Hebbel>-nck, De auetoritate 
historica libri Danielis, Louvain, 1887, p. 8-23; Knabenbauer, 
Comment, in Danielem prophetam, Paris, 1891, p. 17-20; 
A. F. Gall, Die Einheitlichkeit des Bûches Daniel, Giessen, 
1895. 

Cependant, Tunité d'esprit, de plan, de composition, 
même de style, n'exclut pas nécessairement la pluralité 
des sources, l'existence de documents antérieurs utili- 
sés ou incorporés dans la trame générale de son récit 
par le définitif et véritable auteur du livre. Assuré- 
ment, une dissection du livre de Daniel comme celle 
de Bertholdt enlève quelque signification à chacun des 
morceaux, surtout à chaque vision isolée; mais un 
classement des sources qui partirait des conclusions de 
Bludau et de Julius, lesquelles mettent en un relief 
accusé les c. iii-vi et les deutérocanoniques xiii-xiv, 
reste possible. La question du mode de composition du 
livre de Daniel est donc ouverte encore. 

Aux ouvrages cités de Bludau et de Julius, joindre les essais 
de Barton, The composition of the Book of Daniel, 1898, dans 
Journal of biblical literature, p. 62-86, qui distingue ii et iv ; 
v-vni, III, x-xii, 4; vi et ix; i etxii, 5-13; P. Riessler, Doa 
Buch Daniel, 1902, p. xi-xin (division : vii-xii, i-v, vietxiii- 
XIV); G. Jahn, Dos Buch Daniel, Leipzig, 19M, p. vi, thèse v 
et commentaire, unit seulement x-xii. 

IV. Interprétation. — Le sens général du livre res- 
sort premièrement et principalement de Tidentification 
des quatre empires terrestres et païens figurés soit par 
les «quatre parties de la statue vue en songe par Nabu- 
chodonosor (c. ii), soit par les quatre animaux sortis 
de la mer vus en songe également par Daniel (c. vu). 
Cette identification jette, en effet, une grande lumière 
sur les visions, claires seulement pour une partie, des 
C. VIII, IX et XI, relativement à un personnage d*impor- 
tance capitale, persécuteur des « saints » et précurseur 
du « temps de la fin », qui a figuré déjà dans la vision 
du c. VII. Cf. VII, 21, 25; viii, 2S-26; ix, 26-27; xi, 30, 
31, 36 sq. Il est admis par tous que le cinquième 
royaume dont il est question dans ii, 44, et vu, 18, 22, 
ou qui est décrit au moins dans son commencement 
dans IX, 24, et xii, 2-3, est le royaume messianique, le 
royaume de Dieu dont parle encore l'Évangile. Le qua- 
trième empire est-il alors celui de Rome, le quatrième 
roi est-il le César romain : le royaume où le peuple des 
saints débute ou se forme avec la prédication du Christ, 
et les passages ii, 44; vu, 12 et 25; viii, 2i; ix, 24; xii, 
1-3, le considèrent dans tout son développement jusqu'à 
la fin du monde ; le persécuteur du « temps de la fin » 
est l'Antéchrist; tout le livre est messianique, double- 
ment messianique même, car il vise le Messie à son 
premier avènement et à son dernier. Ce quatrième 
empire est-il au contraire l'empire grec ou l'ensemble 
des royaumes issus de lui, le quatrième roi est-il 
Alexandre le Grand ou sa royauté divisée entre ses gé- 
néraux : le royaume messianique annoncé s'identifie 
d'abord avec le groupe juif resté fidèle à Dieu et à sa 
religion sous les successeurs syriens du conquérant 
macédonien; le persécuteur est Antiochus Épiphane; 
le « temps de la fin » est donc projeté en avant et vu 
sur une perspective très rapprochée de l'époque grecque; 
le livre met sur le même plan apparent premier et 



dernier avènement du Messie, et par nn simple effe 
d'optique familier aux prophètes, le présente comm 
relativement imminent aux Juifs contemporains d'Ar 
tiochus IV. 

1® Interprétation traditionnelle. — Jusqu'au xix«si( 

cle, l'identification du quatrième empire daniéliqi 

avec l'empire romain fut la plus universellement reçi 

dans l'Église chrétienne, voire chez les Juifs et au se 

des Églises protestantes. Qu'il suffise de citer Joseph 

Ant, jud., X, X, 4; xi, 8, 5 (voir surtout Gerlach, D 

Weissagungen des A, T. in den Schriften des' Fia 

Josephus, Berlin, 1863, p. 43 sq.); S. Irénëe, Cent. h«i 

v, 25, P. G., t. VII, col. 1190 ; S. Hippolyle, Bardenhewc 

dans Des heUigen Hippohjtxis von Rom CommenU 

zum Bûche Daniel, Fribourg-en-Brisgau,1877, p. 83-8 

Eusèbe deCésarée, dans Mal, Sanptor. vel. nova col 

ctio, Rome, 1825, 1831, t. i c, p. 33); S. Cyrille de Jéi 

salem, Ca^,xv, 6, P. G., t. xxxiii, col. 877; S. Jérôn 

P. L., t. XXV, col. 531; Théodoret, In Dan., P. i 

Comment, in Dan., t. lxxxi, col. 1472; Walafrid Si 

bon, Glossa ordinaria, In Dan. (ix« siècle : pend: 

700 ans le seul commentaire usuel, ou presque, des th 

logiens du moyen âge); les rabbins et les auteurs prot 

tants du xvi» au xviii« siècle, cf. Reinke, Die messiai 

chen Weissagungen, Giessen, 1862, t. iv, p. 171 sq. ; 

théologiens commentateurs du xvii* et du xviii« si^ 

(voir la liste des commentateurs); les commentate 

critiques protestants et catholiques du xix« siècle é 

mérés dans Dùsterwald, Die Weltreiche und das Gol 

reich, Fribourg-en-Brisgau, 1890, p. 31 sq. De 

jours, cette interprétation reste en faveur dans l'en 

gnement catholique. Le premier royaume serait c 

des Chaldéens (Nabuchodonosor) ; le second, celui 

Médo-Perses (Cyrus) ; le troisième, celui des Gr 

Macédoniens (Alexandre) ; le quatrième, l'empire roi 

qui, « fort comme le fer », c béte aux ongles, aux d 

de feri», brise d abord la résistance de tous les roy ai 

de l'ancien monde et les soumet à son joug (ii, 

VII, 19), mais qui se divise finalement en deux, en 

d'Orient, empire d'Occident, puis s'émiette er 

comme le « fer mêlé d'argile », ii, 43, se partage ( 

dix rois comme la tète du monstre entre dix co 

VII, 24. « Du temps de ces rois », ii, 44, se dével 

un nouveau royaume, celui de Dieu, des saints, inai 

par le Christ (la pierre, ii, 34, 35) et continua 

l'Église, II, 4i; vu, 27. Au sujet du t temps » qu 

s'écouler depuis l'annonce déjà faite avant Daniel < 

tour de la captivité et du relèvement de Jérus 

jusqu'à l'époque où doit naître et se constituer ce 

veau royaume, il est fait au prophète une rêvé 

spéciale, ix, 1-3, 20-27. Voir Daniel {Les soixan 

semaines du prophète). Enfin, aux approches de 

du monde, surgit un « roi orgueilleux, impie, 

cuteur », VII, 2i,25; xi, 21 sq., l'Antéchrist, figui 

lement dans viii, ^, 25, par Antiochus Épiphï 

opprime, dévaste l'Église un certain temps é 

trois ans et demi, vu, 21 (viii, 24 sq.) ; ix, 27 ; xi, 

XII, 7. Sa puissance est pourtant brisée par Dieu 

juger tous les royaumes de la terre, et un règm 

nel est accordé au Christ « Fils de rhomme : 

qu'à son peuple fidèle d'élus, vu, 13, 26-27 ; x 

Quelques Pères et écrivains ecclésiastiques o 

proche les « dix rois » de la fin du monde qu'il 

saient alors devoir arriver dès la chute de l 

romain, imminente à leur sentiment. Voir Knabei 

Comment, in Daniel, proph., p. 202, 203. Sel 

larmin. De Romano pontifice, l. lïl, c. v, dai 

trov., Paris, 1608, t. i, p. 717, le quatrième emp 

continué dans le Saint-Empire romain d'Occic 

comme celui-ci, a pris fin en Tannée 1806. Rohli 

Buch des Propfieten Daniel, Mayence, 1876, 

224, nous fait vivre présentement au temps des 

tout proche du temps de l'Antéchrist. 



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DANIEL (LIVRE DE) 



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2» Interprétation critique. — Pour saint Éphrem, 
In Daniel, Opéra syriaca, Rome, 1740, t. ii, p. 206-206, 
€ quelques auteurs » anciens (Théodoret, In Dan., ii, 
43, P, G., t. Lxxxi, col. 1306^, Polychronius, évoque 
d'Apamt^, dans A. Mai, Scriptorum veter. nov. colle- 
ctio, t. I c, p. 1-27, et Cosmas Indicopleustés, C/iri- 
stiana topographia, I. II, dans B. de Montfaucon, Collec- 
tio nova Patruni, Paris, 1707, t. ii, p. i4i sq., les quatre 
■ royaumes s sont les empires chaldéen (Nabuchodo- 
nosor), mède (Darius), perse (Cyrus) et gréco-macédo- 
nien (Alexandre), et les t dix rois» sont les successeurs 
d'Alexandre, les Séleucides et les Lagides. Antiochus 
Épipbane remplace TAntéchrist. Selon Porphyre, dans 
saint Jérôme, Comment, in Dan., mi, 7, P. L., t. xxv, 
col. 590, ces empires auraient été ceux des Chaldéens, 
des Médo-Perses, d'Alexandre, des successeurs d'Alexan- 
dre (Ataîoxoi); le roi persécuteur est aussi TÉpiphane. 
Bossuet, Di8Cou}*8 sur l'hist. univ., part. II, c. ix; 
Grotius, Cnlici sacri, Lyon, 1660, t. v, /n Dan.; Hou- 
bigant, Biblia hebraica, Paris, 1753-1754, t. iv, p. 549; 
Calmet, Commentaire littéral, 2« édit., Paris, 1726, 
t. VI, p. 619, ont suivi cette opinion dans ses grandes 
lignes. Là plupart des critiques modernes se sont par- 
tagés entre ce double système de saint Éphrem et de 
Porphyre. Pour séparer les empires mède et perse, les 
premiers s'appuient sur les passages Dan., v, 30; vi, 1, 
8; IX, 1, et surtout vi, 29, où le texte fait « succéder » 
Cyrus le Perse à Darius le Mède. Les deux mêmes em- 
pires se distingueraient aussi, l'un venant « après » 
lautre, dans Dan., viii, 3, 20, et dans v, 31 ; vi, 28, où 
la f loi des Mèdes » précède celle des Perses. Le 
quatrième empire serait ainsi nécessairement l'empire 
grec et parce que, dans les c. ii et vu, cet empire corres- 
pond exactement à celui de viii, 21, lequel est d'Alexan- 
dre : empire divisé, ii, 41, et viii, 22; empire finis- 
sant avec un roi impie , tu, 8, 24, et viii, 9, 23, Antio- 
chus IV; le dernier empire ennemi, n, vu, et viii, 17, 
aussi x-xi, où la naissance et le développement de 
l'empire grec sont relatés en détail, sans qu'il soit parlé 
d'un antre empire subséquent avant le « temps de la fin ». 
Les dix rois, vu, 24, représentés par les dix cornes sont : 
ou bien Séleucus Nicator, Antiochus Soter, Antiochus 
Théos, Séleucus Callinicus, Séleucus Céraunus, Antio- 
chus le Grand, Séleucus Philopator, Héliodore, Plolémée 
Philomélor, Démétrius Soter; ou bien Alexandre lùi- 
méme et les suivants, moins Ptolémée Philométor. 
Auteurs, dans Dûsterwald, op. cit., p. 34. Unissant en 
an seul empire les Médo-Perses d'après v, 28, et 
contraints alors de voir l'empire gréco-macédonien 
d'Alexandre dans l'airain de la statue ou la troisième 
béte de la vision, les autres critiques identifient le 
quatrième empire avec le royaume syrien dont les dix 
rois, Alexandre y compris ou non, ainsi que Plolémée 
Philométor, sont les dix prédécesseurs d'Antiochus Épi- 
phane. Celui-ci, dans l'une et l'autre opinion, est figuré 
par la petite corne de vii, 8, 20 sq., et de viii, 9; c'est le 
roi artificieux de viii, 23 sq., roi de l'un des quatre royau- 
mes : macédonien, thrace, syrien, égyptien, issus de 
l'empire d'Alexandre, viii, 8, 9, 22 ; xi, 21 sq. Il persé- 
cute Israël ou « les saints » jusqu'à ce que la domina- 
tion sur tous les royaumes du monde soit accordée à ses 
victimes dès aussitôt son jugement et sa ruine. Auteurs, 
dans Dûsterwald, p. ^. Le < fils de l'homme y qui, dans 
m, 13-14, reçoit aussi le royaume éternel, serait, suivant 
la plupart des critiques modernes, Israël lui-même : 
parallèle parfait de vu, 13-14, avec vu, 18, 22, 27; si 
les puissances terrestres et ennemies de Dieu sont bien 
symbolisées, dans ce c. vu, par des animaux, la forme 
humaine ne pent que symboliser le royaume spiri- 
tuel des saints d'Israël, symbole à symbole ; pareillement, 
s'oppose à ce qui sort de la mer, vu, 3, 17, ce qui vient 
sur les nuées des cieux, 13, un royaume à des royau- 
mes; ni II, 4i, ni xu, 3, qui traitent pourtant du 

DICT- DB THÉOL. CATHOL. 



royaume spirituel, ne parlent d'un roi futur, d'un 
Messie personnel. Cette interprétation du « fils de 
l'homme » fut connue de saint Éphrem et acceptée par 
Aben-Ezra. Quelques critiques protestants, tels que von 
Lengerke, Bleek, Ewald, et d'autres plus récents, 
Boehmer, Reich Gottes und Menschensohn im Bûche 
Daniel, Leipzig, 1899; Grill, Vntei^uchungen ûber die 
Enlstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1902, 
Baldensperger, Bousset, Volz, reviennent cependant 
au roi Messie de la presque unanime tradition juive et 
catholique. 

La thèse de l'interprétation critique du livre de 
Daniel a été acceptée par quelques écrivains catholiques 
contemporains. Turmel, Etude sur le livre de Daniel 
(extrait des Annales de philosophie chrétienne), Paris, 
1902; Lagrange, Revue biblique, 1904, p. 494 sq., après 
d'autres appartenant à la première moitié du xix* siècle. 
Voir Dûsterwald, op. cit., p. 34. 

3° Autres interprétations (ponv xtiémoxve). — Le qua- 
trième empire serait l'empire mahométan, les empires 
grec et romain étant réunis en un seul, le troisième. 
Rabbins du moyen âge. Voir Bevan, op. cit., p. 63. — 
Hitzig, Heidelberger Jahrbticher, iSd^y ii, et Redepen- 
ning, Siudicn und Kritiken, 1833, p. 863 sq., identifient 
ainsi les quatre empires : 1. Nabuchodonosor; 2. les 
successeurs babyloniens de ce roi; 3. les Médo-Perses; 
4. les Gréco-Macédoniens. — Pour quelques protes- 
tants du xviip siècle, il ne s'agirait pas de quatre em- 
pires, mais seulement des règnes des rois babyloniens. 
Voir Dûsterwald, p. 36. — Selon Ewald et Bunsen, 
Daniel n'ayant pas habité Babylone, mais Ninive, les 
empires seraient : 1. assyrien; 2. babylonien; 3. médo- 
perse; 4. grec. Voir Dûsterwald, p. 36. — Pour Boehmer, 
Reich Gottes und Menschensohn, p. 82 sq., les quatre 
empires seraient moins quatre empires distincts que 
quatre phases du règne des hommes, après lesquelles 
doit arriver le règne de Dieu. 

V. Caractère littéraire. — Le livre de Daniel est une 
apocalypse juive. S'il n'est pas tout à fait la première 
apocalypse (il y en a de petites dans Isaîe, xi ; xxiv- 
XXVII ; Zach., xii-xiv; Joël, Malachie, iv), il est du moins 
le premier livre apocalyptique connu de la littérature hé- 
braïque. Étant le premier, il a donné le ton aux autres ; 
et l'on a pu dégager d'eux tous, avec plus ou moins de 
bonheur, la caractéristique et comme la définition du 
genre. Cf. W. Bousset, Die Offenbarung Johannis, 
Gœttingue, 1896, Introduction, i, p. 1 sq. ; Apocalyptik 
ijûdische), dans Realencyclopàdie fur protest. Théologie, 
Leipzig, 1896, t. i, p. 612 sq. ; Die judische Apokalyptik, 
Berlin, 1903; Baldensperger, Diemessianisch-apokalyp- 
tischen Hoffnungen des Judenthums, Strasbourg, 19(â; 
P. Volz, Judische Eschatologie von Daniel bis Àkiba, 
Leipzig, 1903, part. I, § 1, p. 4 sq. A ce point de vue, 
on peut considérer le livre de Daniel par rapport aux 
autres apocalypses et par rapport aux œuvres des pro- 
phètes parmi lesquelles on le range aujourd'hui. 

l» Daniel et les apocalypses. — Ce que le livre de 
Daniel renferme de proprement apocalyptique parallèle- 
ment aux autres apocalypses, où tout, non plus, n'est pas 
nécessairement apocalyptique, c'est : 1. une cosmologie , 
une vue déterministe ou providentielle de l'histoire de 
l'humanité, présentée en manière de prophétie, et par- 
tant d'une certaine époque choisie par l'auteur jusqu'à 
un point d'arrivée considéré comme la fin d'un monde 
ancien. Cette vue porte sur un certain nombre de pé- 
riodes successives, ici, concrétisées en quatre empires 
à partir du temps de l'exil : Dan., ii, vu sq. ; Apocalypse 
de Baruch, xxxvi-xl; IV Esd., xi-xii, là, figurées de 
façons différentes pour le même cycle restreint : Hénoch, 
Lxxxv-xc, ou pour toute l'histoire du monde et de l'hu- 
manité: Jubilés, Oracles sibyllins, l. IV, 47 sq.; Apoca- 
lypse d'Abraham, xxix; Apocalypse de Baruch, un sq. ; 
Hénoch, xcui et xci, 12-17. Elle se résout souvent en 



IV. - 

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67 



DANIEL (LIVRE DE) 



une computation numérique de la période embrassée 
par le regard prophétique réel ou feint : compu talion 
précise d'inlention dans Dan., ix, 24 sq.; vu, 25; viii, 
13; xii, 7 (14, 12), vague, flottante et circonspecte dans 
les apocalypses apocryphes, Vita Adse, 42; Secrets 
d'Hénoch, xxxi, 1 ; Assomption de Moïse, x, 12; Hénoch, 
X, 12; Apocalypse d'Abraham, xxix (? Hénoch, xviii, 
16; XXI, 6 ; IV Esd., vu, 31). — C'est : 2. une eschatologie, 
sorte de drame final servant de transition, avec ses di- 
verses péripéties, entre le règne du monde et le « règne 
de Dieu », unissant la fin de celui-là au commencement 
de celui-ci. Elle comprend : à) une période de tour- 
ments, d'épreuves, de tribulations endurés par le peuple 
de Dieu, Dan., vu, 21,25; vu i, 24-25; ix, 26-27 ; xi,308q., 
40 sq.; cf. IV Esd., xi-xii; Jubilés, xxiii, 16 sq.; Apoca- 
lypse de Baruch, lxviii, 2, voire par la terre entière. 
Dan., XII, 1; cf. IV Esd., v, 1-12; vi, 13-28; ix, 1-6; 
XIII, 16 sq.; Apocalypse de Baruch, xxv-xxix, 2; XLViii, 
30-38; Lxx; Apocalypse d'Abraham, 30; Hénoch, xcix, 
4-10; c, 1-6; h) un jugement exercé et rendu sur les 
peuples et sur le monde le plus souvent par Dieu lui- 
même. Dan., VII, 9sq., 26; cf. Hénoch, i-xxxvi ; Jubilés, 
IX, 15; X, 17; xxii, 11, et pnssim; Testament des douze 
patriarches, Lévi, 1; Secrets d'Hénoch, xxix, 1; xliv, 
3, 5, et passim; IV Esd., xi, 46; Apocalypse de Baruch, 
XIX, 4; Lxxxiii, 2 sq.; lxxxv; Apocalypse d'Abraham, 
24-25; VitaAdsa, 49; Sibyllins, 1. III, 53-62; 1. IV, 
152 sq.; 1. V, 106-110; anéantissement de l'empire du 
monde et de ses maîtres, ennemis de Dieu, Dan., vu, 
11 ; II, 44; cf. IV Esd., xi, xii, passim; Apocalypse de 
Baruch, xxxvi, 10; xxxix, 7 sq. ; lxviii, 3,7; Sibyllins, 
I. III, 303 sq. ; 1. V, 375 sq.; Assomption de Moïse, x, 7, 
damnation des impies et des criminels. Dan., xii, 2, 
cf. IV Esd., vu, 80 sq.; Hénoch, xc, 26; Apocalypse de 
Baruch, li; fin, abolition du mal moral, du péché, 
Dan., IX, 24; cf. IV Esd., xii, 25; vi, 27 sq. ; vu, 113 sq.; 
Apocalypse de Baruch, lxxiii, 4 sq.; Sibyllins, 1. II, 
33; I. III, 376 sq.; 1. V, 429 sq.; surtout Hénoch, x, 16, 
20; L, 4; c, 5, etc.; c) la manifestation du royaume de 
Dieu, des saints, Dan., ii, 44; vu, 27; cf. Sibyllins, 
1. III, 47 sq.; Assomption de Moïse, x, 1; IV Esd., x, 
46; Jubilés, i, 28; Apocalypse de Baruch, xxi, 23, 25; 
Hénoch, XXV, 3, 7, etc.; manifestation où interviennent 
principalement à titre de témoins, divers personnages 
tels que le « prophète », Hénoch, Moïse, Élie — ici 
Y v ange », Dan., viii, 11 (LXX); xii, 1 (Michaël); cf. 
Assomption de Moïse, x, 2; Hénoch, xc, 20; le Messie- 
Roi, nommé « Fils de l'homme », Dan., vu, 13 (?); cf. 
IV Esd., xiii; Hénoch, XLVi, de nature plutôt céleste, 
préexistant. Dan., vu, 13 (?); cf. IV Esd., xiii, 26, 52; 
Hénoch, xlviii, 3, 6; lxii, 7, dominateur, Dan., vii,14(?), 
cf. Apocalypse de Baruch, xxxix, 7; XL, 3; Testament, 
Lévi, 8, 18; Sibyllins, 1. IH, 49; 1. V, 414; Hénoch, xlix, 
1, 2, etc.; recevant de Dieu même sa puissance dont la 
durée doit être éternelle. Dan., vu, 13, 14; cf. IV Esd., 
XII, 32; XIII, 26; Hénoch, lxii, 7, 14; xlix, 1 sq. ; Apo- 
calypse d'Abraham, 31; Sibyllins, 1. III, 49 sq., 652; 
1. V, 108; Testament, Lévi, 18; Joseph, 19; l'auteur du 
livre revenu ou ressuscité. Dan., xii, 13; cf. Hénoch, 
xc, 31; IV Esd., xiv, 9, 49; Apocalypse de Baruch, xni, 
3 sq. ; les justes ressuscites pour la vie éternelle, les 
autres pour l'opprobre éternel, Dan., xii, 2, 3; cf. Hé- 
noch, xci sq. ; XXII ; li, 1 ; IV Esd., iv, 35; vu, 28, 32; 
Apocalypse de Baruch, xxi, 24; xxx, 1 sq.; xxxvi, 10; 
Testament, Juda, 24, 25; Zabulon, 10; Benjamin, 10; 
Sibyllins, 1. IV, 180. — C'est: 3. une fomie parliculih'e 
sous laquelle sont présentées ces deux vues générales 
cosmologique et eschatologique, forme qui achève de 
caractériser le genre dit apocalyptique par l'obscurité 
voulue dont elle enveloppe les données traditionnelles 
ou prophétiques du livre, avec toutefois l'intention 
avouée de ne faire de ces données qu'un secret relatif 
et pénétrable, à quelque époque, à l'intelligence du lec- 



teur averti. Dan., xii, 4; viii, 26; et. Hénoch, i 
Assomption de Moïse, i, 16 sq. ; x, 11 sq. ; ïV Esd., 
46 sq. Cette obscurité est obtenue principalement 
le moyen devisions, d'extases allégoriques, de pro[ 
ties pseudonymiques attribuées aux anciens pen 
nages de l'histoire israélite dont le nom figure dar 
titre du livre. A ce point de vue, les apocalypses 
cryphes ont beaucoup emprunté à celle de Daniel. 
2« Daniel et les prophètes. — Le livre de Daniel 
dépit de sa couleur apocalyptique si prononcée, ne 
fére pas essentiellement des autres écrits prophéti 
de l'Ancien Testament. Il les continue par un cei 
nombre de notions traditionnelles qu'il leur doit, < 
fait que développer sur une plus grande échelle la 
bojique dont ils usaient déjà à l'occasion. Ainsi 
épreuves cruelles que devra subir Israël de la pai 
quatrième empire païen se réfèrent à Ézéchiel, xx: 
16, 18, et à Joël, iv, 2, 9-14; l'idée du jugemer 
Dieu contre les nations ennemies est commune 
prophètes, cf. Amos, i-ii; Isaïe, x; Sophonie, i-ii; 
mie, XII, 14; xxv, 15 sq.; Ézéchiel, xxv-xxxu; Jo< 

9 sq. ; de même que celle du royaume Hnal, cf. Na 
II, 1-3; Sophonie, m, 9 sq. ; Isaïe, lu, 7; le « 
de l'homme » venant sur les nuées, s'il est bic 
une personnalité distincte, non symbolique, hér 
l'idéalité du « Roi b de Isaïe, ix, 5; xi, 1-5; Mich 
1 sq.; Aggée, il, 21 sq.; Zach., vi, 11 sq., avec, pa 
port à Michée, v, 1, le concept de la préexistence 
chiel, XXXVII, 11-14, et Isaïe, xxvi, 19, avaient ei 
la résurrection des morts. Avant Dan., vu, 4, 6; \ 
les prophètes Osée, xii, 3; Isaïe, xiv, 9; Jérémie, 
xlix, 19; L, 17; Zacharie, x, 3, symbolisèrent s< 
figure d'animaux féroces, lions, léopards, ou s 
ment robustes, béliers, boucs, les puissances bi 
du monde païen; après Ézéchiel, xvii, 22 sq. 

10 sq.; XXXI, 3 sq., l'arbre vigoureux, aux br; 
magnifiques, abritant les bêtes de la terre et les o 
des cieux, signifie la pleine et tranquille domi 
sur tous les royaumes. Dan., iv, 7. Isaïe, vi; Jéré 
Ezéchiel, i, x, xi, xxxvii, xl; Zacharie, i, avai 
aussi des visions allégoriques suivies de leur e 
lion, et ces visions tirèrent leurs composants du 
particulier où vivaient ces prophètes, comme 
emprunta peut-être au mythe indo-persan des 
âges du monde, les quatre métaux symboliqu 
argent, airain et fer, par lesquels il figura ses 
empires. Le « rocher » d'où se détache la pie 
brise la statue, Dan., ii, 44, 45, n'est pas au 
celui d'Isaïe, xvii, 10; xxvi, 4; xxxii, 2, après 
xxxii, 4, 15, lequel représente Jahvé lui-mêmt 
« montagne » que devient cette pierre, rem 
toute la terre, Dan., ii, 35, paratt bien dépend 
ft sainte montagne de Dieu »,.séjour divin à TH 
au Sinaï, Exod., m, 1 ; iv, 27; xviii, 5; xxiv, 13 
X, 33; I Reg., xix, 8, au pôle, Ézech., i, 4, à S 
II, 2; Lvi, 7; Jer., xxxi, 23; Joël, iv, 17; Abd 
Psaumes. La mer, d'où sortent les quatre aninn 
tastiques figures des empires. Dan., vu, 3, sy 
après Isaïe, xvii, 12, 13, l'ensemble des nation 
rées contre Israël. La « corne », symbole de 
sance, Dan., vu, 7; viii, 6, image bien orienta 
a livres» produits au jugement, Dan., vu, 10, ! 
toutefois appartenir en propre à l'auteur du 
Daniel. 

Si l'on veut donc relever en quelque point 
férence réelle entre les livres des prophètes 
mier des livres apocalyptiques, et, en cons 
serrer de plus près la définition du genre 
sinon proprement inauguré, du moins arrêté 
niel dans ses grandes lignes, on la trouver 
que l'auteur d'apocalypse — Daniel — a une 
compréhensive de l'histoire du monde que le 
Ce dernier ne voit qu'une partie de cette h; 



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DANIEL (LIVRE DE) 



70 



fulare, et, si loin que se porte son regard, il la dépeint 
et l'idéalise toujours sur le canevas que lui fournissent 
les circonstances sociales, politiques, religieuses de 
son époque; ainsi Isaîe, xi, i-5, pour la monarchie 
messianique, Ézéchiel, xl-xlviii, pour la future com- 
munauté liturgique, Isaïe, XLii, 1-4; XLix, 1-6; L, 4-9; 
LU, 13-Liu, 12, pour le serviteur souffrant deJahvé,ou 
encore, xli, 17-20; xliii, 1-7, pour le rapatriement et 
la glorification d'Israël, idéalisent le présent acceptable 
ou non de la royauté davidique d'Âchaz ou d*Ézéchias, 
des petits groupes fidèles des bords du fleuve Chobar, 
des maux de la captivité, du retour des captifs. Daniel, 
an contraire, et ses épigones : Hénoch, IV Esdras, etc., 
veulent embrasser cette histoire tout entière, et ils ne 
manquent pas d'adjoindre au tableau de Tavenir qu'ils 
conçoivent, du reste, de la même façon que les pro- 
phètes leurs prédécesseurs, celui du passé, montrant 
que les deux font, avec leurs successions multiples de 
rois, d'empires, d'événements remarquables, parties 
intégrantes d'un tout ordonné par Dieu et résolvant 
toujours sa complexité de la manière prédéterminée 
par lut. Ce n'est plus seulement une prédiction du 
futur; c'est, en plus, une philosophie religieuse de 
Vhistoire universelle. Ainsi Daniel voit en réalité ou en 
figure, en vision ou strictement ou fictivement prophé- 
tique, selon les diverses interprétations, l'histoire 
d'Israël et du monde ancien depuis l'époque de Cyrus 
jusqu'aux temps messianiques premiers et derniers; et 
il voit briller ceux-ci à travers l'heureuse délivrance, 
soit du joug romain, soit des persécutions syriennes, 
continuation du joug et des persécutions babyloniennes; 
mais le regard du prophète s'est d'abord porté sur 
l'empire babylonien lui-même et ceux qui l'ont suivi, 
empires déjà disparus ou en train de disparaître, et 
par le moyen de quelques exemples bien choisis, sa 
plume a marqué, pour le passé, l'oppression qu'ils ont 
exercée toujours sur le peuple fidèle (jeunes gens dans 
la fournaise, m; Daniel dans la fosse aux lions, vi), 
comme aussi l'issue toujours favorable qu'a eue cette 
oppression, grâce à la providence de Dieu qui veillait : 
ainsi, dans l'angoisse ou présente ou future, l'histoire du 
passé est ou sera le gage précieux de l'infaillible déli- 
vrance; ces empires n'ont, du reste, pas été autrefois 
sans reconnaître l'existence et la puissance du vrai Dieu 
{éducation des jeunes Juifs, i ; songe de la statue, ii ; 
songe de Nabuchodonosor, iv; festin de Balthasar, y), 
et cette reconnaissance forcée, amenée par une mani- 
f»tation du pouvoir divin, assure pour l'avenir la glo- 
rification universelle de Jahvé et de son peuple, vu, 
42-14,22, 27; xu, 3; enfin, l'on remonte, en réalité, 
plus haut que le siècle chaldéen : les animaux fantas- 
tiques, figures des empires, sont les succédanés des 
monstres originels, images des puissances, soit natu- 
relles, soit humaines, toujours insurgées contre le créa- 
teur et le régent du monde. Job, xxxviii, 31-32; xxvi, 
12-13; Is., Li, 9-10; xxx, 7; Ézech., xxix, 3-6; xxxii, 
28, etc.; mais Dieu qui les a vaincus toujours, les 
saura pour cela même réduire jusqu'à la fin. Dan., vu, 
98q. 

VI. Caractère historique. — Si le livre de Daniel 
peut, pris dans son ensemble, passer pour une apoca- 
lypse, il n'est pas moins vrai qu'il a, de plus, pour une 
bonne partie, l'allure d'un ouvrage qui demande et 
provoque même le contrôle historique. Les c. i, iii-vi, 
xui et xrv contiennent des récits qui n'ont par eux- 
mêmes rien d'allégorique. Ces chapitres, le songe du 
c II et les visions des c. vii-xii sont encadrés de don- 
nées chronologiques et dynastiques ayant rapport, soit 
au royaume hébreu de Juda, i, 1-2, soit au dernier em- 
pire chaldéen, ii, 1; v, 1-2, 30; vi, 28; vu, 1; viii, 1, 
ioit aux empires mède, ix, 1, perse, x, 1 ; xi, 1-2, et 
grec, XI, 3 sq. ; et l'explication des visions a pour objet 
au mmûa partiel, comme chacun l'admet, des événe- 



ments qui se réfèrent à l'histoire de quelqu'un de ces 
plus récents empires. 

Mais l'histoire daniélique est-elle, en substance, une 
véridique histoire? La prophétie apocalyptique du livre 
— s'il y eut pourtant prophétie proprement dite et non 
plutôt interprétation philosophico-religieuse d'événe- 
ments passés — a-t-elle son objet au sein d'une réelle 
et véritable histoire? On ne peut assurément relever, 
sous ce double rapport, d'erreurs formelles dans le livre 
tout entier; les événements historiques annoncés au 
cours des derniers chapitres et qui concernent le 
développement des empires perse et gréco-macédonien 
y sont même revêtus d'une exactitude surprenante; 
mais il faut dii^e aussi que certaines assertions donnent 
lieu, dans la première moitié du livre, à de très graves 
difGcultés : ainsi de la chronologie de Dan., i, 1-2, de 
la folie de Nabuchodonosor, iv, 28 sq., de la filiation 
de Balthasar au c. v, du personnage de Darius le Mède, 
de son accession au trône babylonien et de son règne 
antérieur à celui de Cyrus, v, 30; vi, 29; ix, 1. L'exé- 
gèse traditionnelle a de tout temps soupçonné ou 
éprouvé quelqu'une de ces difficultés, tout en s'essayant 
à les résoudre. Voir, dans l'antiquité juive et chrétienne, 
Josèphe, Ant. jud,, X, xi, 2, 4; Cont. Apion., i, 20; 
Origène, dans S. Jérôme, 2n Dan., P. L., t. xxv, col. 513 
sq., 519, 523; S. Jean Chrysostome, In Dan., P. G., 
t. Lvi, col. 219; Théodorel, In Dan., P. G., t. lxxxi, 
col. 1362 sq., 1378 sq.; S. Éphrem, Opéra syriaca, 
Rome, 1740, t. ii, p. 208, 209; au xvii« siècle, les com- 
mentaires de J. Maldonat, Paris, 1610, de B. Pererius, 
Rome, 1587, de J. Tirin, Anvers, 1632, de Corneille de 
la Pierre, Anvers, 1681. Parallèlement, en dehors du 
christianisme ou de la foi romaine, quelques auteurs 
contestaient l'historicité du livre. Celse (n« siècle), le 
premier, dans le Discours véritable (Aé^oc àXvjÔTi;), 
traita de « fable » le récit de Daniel dans la fosse aux 
lions (Dan., vi, ou xiv, 27 sq.), cf. Origène, Cont. Cels., 
VII, 53, P. G., t. XI, col. 1497; Porphyre (232-305), dans 
le 1. XII« des Discours contre les chrétiens (Karà /pia- 
Tiavôv Xôyoi), tint pour invraisemblable le détail de 
Dan., II, 46 — Nabuchodonosor c adorant » Daniel — et 
pour fictif tout le livre. Cf. S. Jérôme, In Dan., P. L., 
t. XXV, col. 492, 504. Ces objections, ou plutôt ces allé- 
gations étaient et demeurèrent sans portée. Au com- 
mencement du xviii« siècle, A. Collins en particulier 
les reprit dans Tfie scheme of literal Prophecy, Londres, 
1726, p. 143. Enfin, au siècle dernier, les critiques, 
étudiant de près le livre de Daniel à l'instar de tous 
les livres bibliques, y relevèrent maint détail d'appa- 
rence inconciliable avec l'histoire de l'époque chaldéo- 
persane suffisamment connue par les monuments. Voir 
auteurs et ouvrages énumérés dans Hebbelynck, De 
auctoritate historica libri Danielis, Louvain, 1887, 
p. 35, note 2. Les réponses n'ont fait défaut d*aucun 
côté, catholique ou protestant. Cf. Hebbelynck, ibid,; 
Vigoureux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 
Paris, 1890, t. iv, p. 310 sq. ; Pilloud, Daniel et le ra- 
tionalisme biblique, Chambéry, 1890. Depuis une quin- 
zaine d'années, les critiques ont renforcé leurs objec- 
tions dans leurs commentaires et autres ouvrages, et 
la tendance est aujourd'hui à trouver l'explication des 
anachronismes daniéliques dans une confusion faite 
par l'auteur du livre entre les traditions anciennes et 
véridiques dont il put avoir connaissance. 

Meinhold, 1889; Bevan, 1892; Behrmann, 1894; 
Driver, Introduction, 1897; The Book of Daniel, i900; 
Winckler, Altorientaliscfie Forschtingen, 2« série, ii, 1, 
p. 210 sq.; m, 2, p. 433 sq. (1899, 1901); Marti, 1901, 
fondent principalement leurs arguments sur une in^ 
terprétation plus stricte des textes lapidaires chaldéo* 
persans. Le Dictionnaire de la Bible, Paris, 1897, 1. 1, 
col. 1260 sq., a répondu à ces arguments tels que les 
avait groupés Driver, Introduction, édit. de 1891; 



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71 



DANIEL (LIVRE DE) 



mais des interprètes catholiques, tels que Riessler, Dos 
Buch Daniel, Vienne, 1902, et le P. Lagrange, Les 
prophéties messianiques de Daniel, dans la Revue 
biblique, 1904, p. 494 sq., préfèrent maintenant trouver 
la solution des antinomies historiques du livre de 
Daniel, en dernier ressort et comme en désespoir de 
cause, dans le mau\'ais état relatif du texte hébreu-ara- 
méen retouché par des éditeurs ou des copistes mal 
informés de l'histoire ancienne de TOrient babylonien. 
Ainsi, dans Dan., i, 1-2, où les « années » du règne de 
Joakim paraissent confondues, cf. II Reg., xxiv, 7; 
Jer., XLVi, 2, Riessler propose de lire « le troisième 
mois de Jéchonias ». Cf. II Reg., xxiv, 8-16. Dans 
Dan., IV, 28 sq., où la maladie septennaire de Nabu- 
chodonosor ne semble pouvoir, malgré l'allusion hypo- 
thétique de Bérose, dans Josèphe, Cant. Apion., i, 20, 
et la relation d'Abydène, dans Eusèbe, Prœp. evang., 
IX, 41,6, P. G.f t. XXI, col. 761, s'intercaler dans aucune 
des périodes de la vie de ce roi bien connue par ailleurs. 
Riessler, p. 42-44, 125-126, et Lagrange, loc.ci^, p. 500, 
liraient volontiers, au lieu de Nabuchodonosor, Nabo- 
nide, Annales de Nabonide, col. 2, lig. 5-^, dans 
Schrader, Keilinschriftliche Bibliothek, t. m, 2, p. 130- 
133, où le dernier roi de Babylone parait dépouillé 
momentanément du pouvoir, enfermé 9 dans Témâ ». 
II en serait de même dans Dan., v, où Balthasar est 
afGrmé à plusieurs reprises c fils » et successeur de 
Nabuchodonosor, contrairement à II Reg., xxv, 27; 
Jer., LU, 31; Bérose, Fragment 14 (Mûller-Didot, 
Fragmenta historié, grsRcorum, t. ii, p. 507 sq.), où le 
successeur de Nabuchodonosor est Âmél-Mardouk 
(Evilmérodach), et à la petite inscription d'Our, col. ii, 
lig. 14 sq., dans Schrader, ibid., p. 97, où Belsharou- 
zour (Balthasar) est fils de Nabonide. Cf. Riessler, 
p. 51 sq.; Lagrange, loc, ci^,p. 500. Dans Dan., v, 30; 
VI, 29; IX, 1, où un empire mède, ayant pour .chef 
Darius le Mède, succède à l'empire chaldéen, ce qui se 
trouverait contredire le Cylindre de Cyrus, lig. 25-36, 
et les Annales de Nabonide, col. 3, lig. 18-28, cf. 
Schrader, op. cit., t. m, p. 124-127, où Cyrus succède 
immédiatement, Riessler, p. 53, combinant une donnée 
des LXX (v, 30) avec la chronologie des contrats baby- 
loniens datés du commencement du règne de Cyrus 
(Schrader, KeiL BibL, t. iv, p. 261 sq.) identifie Darius 
à Cambyse associé par son père au gouvernement, 
tandis que le P. Lagrange opine pour Darius, fils d'Hys- 
taspe, introduit dans le texte hébreu par une « série 
d'altérations ». Loc. cit., p. 501-502. 

VII. Auteur. — L'auteur du livre de Daniel serait, 
ou bien le prophète de ce nom qui aurait vécu à Baby- 
lone depuis le début du règne de Nabuchodonosor II 
(605-562), sous Evilmérodach (562-560), Nériglissor (560- 
556), Laborosoarchod (556), Nabonide (556-539), jusqu'à 
la troisième année au moins de la prise de cette ville 
par Cyrus en 539, Dan., x, 1; ou bien un Juif du parti 
machabéen, écrivant vers l'année 168, sous le règne 
d'Antiochus IV Épiphane. 

lo La première de ces deux opinions allègue en sa 
faveur, et comme les plus capables de convaincre, les 
raisons suivantes : 1. le témoignage du livre lui-même: 
a) ses affirmations touchant la mise par écrit des vi- 
sions par le prophète qui en fut favorisé, vu, 1, voire 
de tout le livre, xii, 4; l'emploi continuel de la pre- 
mière personne dans les c. vii-xii, très souvent par la 
formule « moi, Daniel », et, pour la première partie, 
i-vi, la façon minutieuse dont les événements y sont 
rapportés, ainsi que les discours : souci du détail qui 
trahit, dit-on, le témoin contemporain, voir Hebbe- 
lynck, De auctoritate, p. 40 sq, ; Dictionnaire de la 
Bible, t I, col. 1257; — 6) t la coïncidence merveilleu- 
sement exacte qui existe entre les données du livre, 
données historiques, archéologiques, orientales, et ce 
que nous savons sûrement d'ailleurs, » Dictionnaire 



de la Bible, t. i, col. 1257-1259, et les auteurs citi 

— 2. les témoignages de la tradition juive et ch 
tienne : a) allusion de Zacharie (en 520-518), i, 18; 
1-7, aux quatre empires décrits dans Dan., ii et > 

— b) emprunts faits à Dan.,ix, 5-20, par Néhémie (v 
444-432) et les lévites ses contemporains dans les prièi 
Neh., I, 5-11; ix, 6-37; Hebbelynck, p. 4446; cf. po 
tant Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 1259; -c) p 
sence du livre dans le canon juif palestinien 
Écritures que l'on dit, sur la foi du I V« livre d'Esdras, : 
et du Talmud, Baba bathra, 14a, \5b, clos par Esd 
(vers 400), Hebbelynck, p. 55 sq.; — d) emprunt fa 
ce livre par les oracles Sibyllins, 1. III, 397, 400 (D: 
VII, 7, 8, 11, 20), vers l'an 170; — e) allusion de Mat 
thias, dans son discours, I Mach., ii, 59, 60, aux f 
concernant Daniel et ses compagnons (Dan., m, 
comme à des exemples a anciens », Hebbelynck, p 
sq.; —/") conviction de Josèphe, Ant,jud.,Xy xi,7;i 
fud., 1. IV, c. VI, 3; 1. VI, c. ii, 1, Hebbelynck, p. 50 ! 
des évangélistes, Matth., xxrv, 15; Marc, xiii, 14, I 
belynck, p. 61 sq. ; des réfutateurs de Porphyre : Méi 
dius, Apollinaire, Eusèbe, cf. S. Jérôme, In D 
P. L., t. xxv, col. 491 sq., 580; de Théodoret, In D 
VII, P. G., t. Lxxxi, col. 1411 ; de la tradition c 
tienne jusqu'à nos jours. Dictionnaire de la Bible, 
col. 1260. 

2« L'autre opinion, qui se rattache à Porphyre, 
tique d'abord ces témoignages, puis apporte ses rais 

— 1. Critique. — a) La mise par écrit des vision 
révélations, l'emploi de la première personne dai 
récit, le rapport circonstancié des événements 
choses communes dans les apocalypses et ne les 
pèchent pas d'être pseudonymes, pseudépigraphes, 
cryphes. — 6) La coïncidence des données du 
avec nos connaissances archéologiques et histori 
de l'époque chaldéo-persane est précisément suj( 
caution. Bevan, p. 15-22; Driver, Introduction, p 
sq. — c) Les eflbrts des apologistes à trouver da 
littérature juive prémachabéenne « des traces du 
de Daniel » sont jugés « désespérés », et les résu 
de l'aveu de ces apologistes, n'en sont point conclu 
Bevan, p. 13. Cf. Hengstenberg, Die Authenti 
Daniel, 1831, p. 277; Dictionnaire de la Bible, 
col. 1259. — d) Le canon des écrits prophél 
n'ayant pu être clos qu'après l'exil, il est inexpli 
que le livre de Daniel, s'il existait alors et devai 
connu des Juifs, n'ait trouvé place que parmi les 1 
graphes et n'ait pas été mentionné par Eccli., x 
parmi les écrits des prophètes. Bevan, p. 11 sq.; 
ver, p. 497 sq. — e) Le témoignage des oracles 
lins, 1. III, doit être descendu jusque vers l'an 
la référence de I Mach., ii, ne prouve pas que le 
de Daniel ait existé comme tel avant l'an 168, A 
thias invoquait plutôt des souvenirs traditioi 
Bevan, p. 14. — f] La tradition juive postmachab 
et la tradition chrétienne ne firent pas plus de 
cultes à croire le livre l'œuvre du prophète 1 
qu'elles n'en firent à croire les apocalypses apocr 
œuvres d'Hénoch, d'Adam, de Moïse, d*Al>rahan 

2. A cette critique s'ajoutent les raisons suiva 

— a) Il serait surprenant que Daniel, avant la coi: 
de Cyrus, ait, pour décrire les institutions chaldé( 
fait usage de mots persans tels qu'il s'en trouve 
les livres d'Esdras et Néhémie, d'Esther, des 
niques, et de mots grecs. Driver, loc. cit., p. 5 

— b) L'araméen et l'hébreu du livre sont d'é 
beaucoup plus récente que le vi« siècle. Driver, 
sq. — c) « Les doctrines du livre sur le Mess 
anges, la résurrection, le jugement du monde, » 
raissent par le ce ton général » et surtout par la 
plus claire dont elles sont traitées — ce qui accus 
rapport au temps de l'exil et à l'époque immé 
men^ antérieure, une période- nécessaire de dévc 

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73 



DANIEL (LIVRE DE) 



U 



ment — contemporaines du livre d'Hénoch (vers 100). 
— d) L'époque machabéenne, le règne d'Antiochus 
Épiphane, Ântiochus lui-même et ses entreprises im- 
pies et tyranniques étant visés dans les principaux 
passages du livre, vu, 8 sq., 20 sq.; viii, 9-14, 23-25; 
IX, 27; XI, 21-45; xii, 1, 7, 11-12, et décrits avec une 
précision remarquable inconnue jusqu'alors chez les 
prophètes; tout le livre lui-même, avec les consolations 
et les encouragements qu*il apportait aux Juifs mal- 
heureux de cette époque de trouble et d'épreuves, 
venant alors à son adresse avec un à propos admirable, 
on s'étonne qu'il ait été écrit à Babylone, quatre 
cents ans avant Tannée où il pouvait seulement être lu 
et compris utilement, et qu'il ait été c caché » ce temps 
dorant au peuple juif, pour n'être publié qu'au ii* siècle. 
Dan., XII, 4. Ne vaut-il pas mieux admettre qu'un écri- 
vain, contemporain des Machabées, s'est mis, « par une 
fiction littéraire i» propre aux auteurs d'apocalypses, c à 
la place d'un personnage célèbre » dans l'antiquité 
juive, de Daniel (Ezech., xiv, 14, 29; xxviii, 3), et, 
groupant dans un livre d'anciens souvenirs tradition- 
nels propres à inspirer confiance en la divine provi- 
dence de Jahvé à l'égard des siens (Dan., i-vi), a voulu, 
pour relever le courage de ses compatriotes, joindre 
ces souvenirs consolants à un tableau — tracé dans le 
style et la manière prophétiques — de son temps si 
éprouvé? Le procédé serait identique à celui auquel 
nous devons, sous le nom de Salomon, la Sagesse et 
TEcdésiaste. Driver, op. cit., p. 508 sq.; Turmel, Étude 
sttr le livre de Daniel, Paris, 1902, p. 27 sq. 

VIIL Enseignements doctrinaux. — /. dieu. — La 
plupart des attributs divins sont affirmés ou enseignés 
dans le livre de Daniel, et Dieu y reçoit des noms 
variés et appropriés à ses attributs : Il est le Dieu 
éternel et immuable, rv, 3, 3i; vi, 26; le « Dieu vivant », 
r < ancien des jours t, vu, 9, 13, 32, qui c subsiste à 
toujours 9 ; le Dieu provident qui soutient et gouverne 
à son gré le monde, qui a tout « dans sa main », iv, 

17, 35; V. 23; vi, 27, et que l'on nomme pour cela le 
Très-Haut, le Dieu suprême, le Seigneur des cieux, v, 

18, 23; le Dieu sage et omniscient qui « connaît ce qui 
est dans les ténèbres, profond et caché », ii, 20 sq.; le 
Dieu fort, omnipotent, qui « délivre et qui sauve », ih 
21 ; m, 17, 29, qui fait des « signes et des prodiges », 
rv, 2, 3; vi, 27; le Dieu saint et juste, iv, 37; ix, 7, 14, 
bon et miséricordieux, ix, 5, 9, fidèle à sa parole, ix, 
12. Sa transcendance y est surtout marquée : Dieu est 
au-dessus du monde créé et non compris en lui, puis- 
qu'il est le t Dieu du ciel » et le « Dieu des dieux », 
u, 19, 28, 37, 44, 45, 47, le « prince de l'armée » (des 
cieux et de la terre, Gen., ii, 1), le « prince des 
princes », vin, 11, 25, et puisque cessant de gouverner 
immédiatement le monde et d'opérer directement par 
lui-même le salut de son peuple, il se remet de ces 
deux fonctions à des intermédiaires : anges, rv, 13 sq., 
31; VI, 22; x, 13, 21; xii, 1 ; fils de l'homme, vu, 13- 
14; vra, 15-16; x, 5, 13, 20-21 ; xii, 6 sq. 

//. ASGES. — L'angélologie du livre de Daniel n'est 
aucunement due à Tinfluence persane; car, outre qu^une 
influence de cette sorte sur l'Ancien Testament n'est 
pas prouvée, chacun des points de la doctrine du livre 
sur les anges a son précurseur dans quelque écrit 
biblique plus ancien. Ici, les anges ont leur personna- 
lité distîncte affirmée par des noms propres, viii, 16; 

IX, 21; X, 13, 21; xii, 1; leur résidence habituelle est 
Je c ciel », où ils forment assemblée autour du Très- 
Haut, IV, 13, 17; cf. Job, i, 6; xv, 8; Jer., xxiii, 18; 
Ps. Lxxxix, 8; ils sont hiérarchisés, ils ont des « chefs », 

X, 13; XII, 1 (cf. Jos., V, 13-15; Zach., i, 8 sq.; m, 1 sq.); 
leurs fonctions consistent à gouverner le monde sous 
la direction divine, et à exécuter les ordres de Dieu en 
messagers fidèles, ix, 21-23, ou en serviteurs obéissants, 
«111, 16 sq.; nombre d'entre eux sont anges gardiens des 



peuples païens, x, 13, 20, et d'Israël, x, 21; xii, 1, 
combattant pour eux et les défendant. Cf. Jud., v, 20; 
Is., XXIV, 21; Exod., xiv, 19; Num., xx, 16. 

///. MESSIE. — Suivant l'interprétation traditionnelle, 
sa nature divine et sa préexistence sont marquées par 
sa « venue sur les nuées du ciel », vu, 13; cf. Exod., 
XL, 34; Is., XIV, 1, 4, etc., et sa mission divine par son 
caractère de « oint », à l'instar des rois, des prêtres et 
des prophètes, ix, 26. L'objet de cette mission se définit 
par la rémission des péchés, la justification, la fonda- 
tion de l'Église (onction du saint des saints), ix, 24, et 
la manière dont elle sera réalisée est indiquée dans la 
mort du Christ ou oint, ix, 26. L'époque de la réalisa- 
tion est fixée, ix, 24-27. Le Messie est le chef du royaume 
de Dieu, vu, 14. 

IV. ESCHATOLOGIE. — Interprétation traditionnelle. — 
1« Antéchii^t. — Sa personne : un roi, vii, 20, 24; xi, 
21; son caractère : orgueilleux, impie, vu, 20, 25; xi, 
28, 30, 32, 36, pourtant idolâtre, xi, 38; son œuvre : 
persécution des saints, des justes, vu, 21, 25; xi, 33; 
séduction des faibles, des apostats, xi, 30, 32 ; destruc- 
tion du culte sacré, profanation du sanctuaire, xi, 31 ; 
sa ruine finale, au jugement, vu, 26; xi, 45. — 2° Juge- 
ment. — Présidé par Dieu lui-même, vu, 9; instruit 
par des « juges o (?), vii, 10; rendu sur toutes les na- 
tions, VII, 11-12. — 3« Second avènement du Christ 
« sur les nuées du ciel », vii, 13-14. — 4» Résurrection 
des morts, bons et méchants, xn, 2, et séparation des 
uns et des autres. — 5*» Vie éternelle et récompense des 
fidèles et des c docteurs en justice » par la lumière 
céleste, xii, 2-3; damnation et châtiment des pervers 
par la honte et l'opprobre éternels, xii, 2. 

IX. Commentateurs. — 1<» Anciens. — 1. Dans Van- 
tiquité chrétienne (iii«-vin« siècles). — Grecs : S.Hippo- 
lyte (Rome vers 202-204), fragments, Hippolylus Werke, 
t. I, Exegetische SchHften, édit. Bonwetsch et Âchelis, 
Leipzig, 1897; cf. P. G., t. x, col. 638-700; S. Jean 
Chrysostome (?), P. G., t. lvi, col. 193 sq.; Polychro- 
nius d'Apaméc (v« siècle), fragments dans A. Mai, Scri- 
ptor. vet, nova collectio, Rome, 1825, t. i b, p. 137 sq.; 
Théodoret de Cyr (v« siècle), Commentarius (vizà- 
{iyT)pia) in visiones Daniel, P. G., t. lxxxi, col. 1256- 
1549; Ammonius d'Alexandrie (m? v» siècle), frag- 
ments dans A. Mai, op. cit., 1. 1 b, p. 212 sq.; cf. P. G., 
t. Lxxxv, col. 1364-1381. — Syrien : S. Éphrem, Ex- 
positio in Daniel, dans Opéra oninia syriaca, Rome, 
1740, t. Il, p. 203-233. — Latin : S. Jérôme, Comnien- 
tarioruni in Danielem liber unus, P. L., t. xxv, 
col. 513-610. — 2. Au moyen âge (ixe-xv« siècles), 
Walafrid Strabon (ix« siècle) emprunte au commen- 
taire de saint Jérôme sa Glossa ordinaria sur Daniel ; 
Albert le Grand (xiii« siècle), Expositio in Dan., dans 
Opéra, Lyon, 1658, t. viii; Nicolas de Lyre (xiv« siècle), 
Postillœ pet^etusB sive prœvia commentaria in uni- 
versa Biblia, Rome, 1471-1472; Thomas Vallensis 
(xv« siècle), Expositio aurea in Danielem prophetam, 
dans S. Thomœ Aquinatis opéra, Paris, 1660, t. xix, 
p. 5-57; Paul de Sainte- Marie de Burgos (xv* siècle), 
Addiliones aux Postillm de Nicolas de Lyre, dans 
Biblia sacra cum Glossa ordinaria, Venise, 1603. — 
Commentateurs juifs : Saadia (x« siècle), copie frag- 
mentaire à la Bodléienne ; Y. Ibn Ali (vers 1000), arabe, 
édit. et Irad. Margoliouth, Oxford; Raschi (xi« siècle); 
Aben-Ezra (xii« siècle); Abarbanel (xv» siècle). 

2« Modernes. — A partir du xvi« siècle : J. Maldonat, 
Comm. in Jer., Bar., Ezech., Danielem, Paris, 1610; 
H. Pinto, In divinum vatem Danielem commentarii, 
Coïmbre, 1582; B. Pererius, Commentaria in Danie- 
lem, Rome, 1587; G. Sanctius, Comm. in Dan. pro- 
phetam, Lyon, 1612; Corneille de la Pierre, Comm, 
in IV prophe tas majores, An\eTS,iQ^; J. Tirin, Comm. 
in sacram Script., Lyon, 1678, t. ni; Didacus de Celada, 
Commentanus litteralisetmoralis in Susannam Danie- 



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75 



DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



licam, Lyon, 1656.— Protestants, auxxvi» elxvii» siècles : 
Luther (1530), Œcolampade (1530), Mélanchlhon (1543), 
Calvin (1563), Draconites(1544), Strigel (1565), Wigand 
(1571), Polycarpe Leyser (1609), Martin Gezer (1667), 
Hugo Grolius (1664), Ballhasar Bekker (1688). — Aug. 
Calmet, Commentaire littéral, 2« édit., Paris, 1726, 
t. VI, p. 689-691 ; L. de Carrières, Traduction française 
de la Bible avec un comtiientaire littérul, Paris, 1701- 
1716, dans Sainte Bible et les commentai9^s de Jean 
Ménochius {xyw siècle, Paris, 1847, t. jv). 

3*> Contemporains. — 1. Catholiques. — Dereser, 
Die Prophelen Ezechiel und Daniel ùbei'setzt und er- 
klàrt, Francfort-sur-le-Mein, 1810; 2« édit., Scholz, 
1835; Allioli, Die heilige Schrift, Nuremberg, 1834, 
t. IV ; G. Palmer, Commentatio in librum Danielis pro- 
phètes, Rome, 1874; Rohling, Das Buch des Propheten 
Daniel, Mayence, 1876; Trochon, Daniel, Paris, 1882; 
J. Fabre d*£nvieu, Le livre du prophète Doniei, 2 in-8«, 
Paris, 1889-1891 ; Knabenbauer, Commentainus in Da- 
nielem prophetam, Paris, 1891 ; Fr. S. Tiefenlhal, Da- 
niel explicatus, Paderbom, 1895; Riessler, Das Buch 
Daniel er klàrt. Vienne, 1902. — 2. Protestants. — Ha- 
renberg, Aufklârung des Bûches Daniel, Quedlinbourg, 
1773; Zeise, Ubersetzung und Erklâfmng des Bûches 
Daniel, Dresde, 1777 ; Bertholdt, Daniel nbersetzt und 
erklàrt, Erlangen, 1806, 1808; Hâvernick, Commentar 
ûberdas Buch Daniel, Hambourg, 1832; RosenmuUer, 
iScholia in Vel. Test., part. X, Leipzig, 1832; Von Len- 
gerke, Das Buch Daniel, Kœnigsberg, 1835; Hitzig, 
/>(W Buch Daniel, Leipzig, 1850; M. Stuart, Comment 
tary on the book o( Daniel, Boston, 1850; Pusey, 
Daniel the Prophet, Oxford, 1865 ; Desprez, Daniel or 
the Apocalypse of the Old Testament, Londres, 1865; 
FûUer, Der Prophet Daniel, Bâle, 1868; Ewald, Die 
Propheten desAlten Bundes, Stuttgart, 1841-1868, t. ni; 
Kliefoth, Das Buch Daniels ûbenetzt und erklàrt, 
Schwerin, 1868 ; Kranichfeld, Das Buch Daniel erklàrt, 
Berlin, 1868; Keil, Biblischer Commentar uheii* den 
Proph. Daniel, Leipzig, 1869; Zôckler, Der Prophet 
Daniel, Leipzig, 1870; Fuller, Daniel, dans Holy Bible, 
Londres, 1882, t. vi; Meinhold, Daniel, dans Commen- 
tar de Strack et Zôckler, Munich, 1889, t. vin; Bevan, 
.4 short commentai*y on the Book of Daniel, Cam- 
bridge, 1892; Behrmann, Das Buch Dania/, Gœttingue, 
1894; Ferrar, The book of Daniel, 1895; Prince, il cri- 
tical commentary on the Book of Daniel, Leipzig, 
1899; Driver, The Book of Daniel, Cambridge, 1900; 
Marti, Das Buch Daniel erklàrt, Tubingue, 1901; 
G. Jahn, Das Buch Daniel nach der LXX hergestellt, 
nbersetzt und kritisch erklàrt, Leipzig, 1904; C. H. H. 
Weigh, Daniel and its critics, critical and gramma- 
tical commentary, Londres, 1906. 

F. Vigoureux, Manuel biblique, 12' édit, Paris, 1906, t. u» 
p. 758-782 ; E. Philippe, dans le Dictionnaire de la Bible, t. ii, 
col. 1247-1283; R. Cornely, Introductio apecialis, Paris, 1887, 
t. II, 2, p. 466-517; J. Fabre d'Envieu, Le livre du prophète 
Daniel, Paris, 1888, t. i, Introdution critique; E. B. Pusey, 
Daniel, the prophet, nine Lectures, Londres, 1869; S. R. Driver, 
Einleitung in die Literatur des alten Testaments, trad. Rotli- 
stein, Berlin, 1896, p. 525-552; G. Wildeboer, Die Literatur des 
A. r., 2» édit., Gœttingue. 1905, p. 435-444; C. H. Comm, Einlei- 
tung in das A. T., 3' et 4' édit., Friboui-g-en-Brisgau et Leipzig, 
1896, p. 210-216; H. L. SU-ack, EinleUung in das A. T., 6* édit., 
Munich, 1906, p. 158-161; C. H. H. Wright, Daniel and his pro- 
phecies, Londres, 1906; L. Gautier, Introduction à l'A. T., Lau- 
sanne, 1906, t. II, p. 260-305; Kirchenlexikon, t. m, col. 1366- 
1375; ReaUmcyclopàdie, t. iv, p. 445-457; Encyclopœdia 
biblica de Cheyne, Londres, 1899, t. i, col. 1002-1015; A Dictio- 
nary of the Bible de Hastings, Edimbourg, 1898, 1. 1, p. 551-567. 

L. Bigot. 
II. DANIEL (Les soixante-dix semaines du prophète). 
— Cette prophétie des « semaines » suit. Dan., ix, 24- 
27, la prière où tout en implorant la divine merci pour 
Jérusalem détruite et pour son peuple captif, le voyant 
de Babylone a établi qu'Israël avait gravement oflensé 



Dieu, 5, 7-8, 11-13, 15; qu*il avait toujours méprisé 
remontrances de ses prophètes, 6, 9, 10, 14, et que pi 
cette raison il se trouvait présentement puni par l 
clavage et la ruine de son temple, 16-19. Elle répon 
cette prière tripartite par la triple promesse du a j 
don du péché » inaugurant le règne de la « jus 
étemelle », du « scel de la vision et du prophète r> 
V a onction du saint des saints », 24. Elle parait coi 
mer aussi une intuition du voyant sur « les soixante 
ans » de la captivité alors près de leur fin, 2; par la 
tion d'un délai de a soixante-dix semaines » pour 
complissement de cette promesse, 24. Elle divise e 
ce délai en périodes de longueur très inégale, marq 
chacune par un ou plusieurs événements capitaux, 
27. Selon que l'on ponctue différemment, dans le 1 
hébreu, le milieu du f. 25, ces périodes sont au nor 
de deux ou de trois. De deux — soixante-neuf sems 
(« sept et soixante-deux ») et « une semaine » : soixi 
neuf jusqu'à l'avènement, ou l'apparition sur la s 
de l'histoire, d'un « Oint-prince » ensuite « exter 
après les soixante-deux semaines m ; une qui voit 
complir d'autres événements importants, d'un c 
tère plus général, en rapport avec la destinée du 
mosaïque et du peuple juif lui-même : division ind 
par les versions de Théodotion et de saint Jérôm 
trois — sept, soixante-deux, et une semaines : sept, 
lesquelles apparaît 1* « Oint-prince » ; soixante- 
au cours desquelles Jérusalem se trouve <r rebâti( 
« après » lesquelles .un « Oint est exterminé » 
enfin, la dernière, déjà définie : division marque 
le texte hébreu massorétique. Il convient d'ob 
pourtant que ce texte peut encore, au début du 
s'interpréter soit d'un seul sujet : < un prim 
vient » ou «c son armée » (26), si]get agissant dam 
la série des événements rapportés à la dernière sei 
soit aussi de l' « oint exterminé » du f. 26, sujei 
partie d'entre eux, de ceux qui concernent 1' a ail 
et le « sacrifice » mosaïques. 

Nous laissons de côté l'interprétation de cet 
phétie que Ton appelle eschatologique, parce c 
fauteurs appliquèrent la chronologie des versel 
à une période historique qui devait, ou qui doit 
encore, se terminer à la fin du monde. Quelque 
particulière qu'elle ait revêtue, cette interprétât! 
ou est inadmissible, parce que invérifiée ou arl 
Ainsi l'exégèse d'Apollinaire de Laodicée, dai 
Jérôme, Comm. in Dan., P. L., t. xxv, c 
d'Hésychius, dans saint Augustin, Epist., es 
cxcviii, 5, P. L., t. xxxiii, col. 899, 903, com 
soixante-dix semaines à partir de la naissance d 
et plaçait la fin des temps vers Tan 490 de n 
Ainsi Ammonius d'Alexandrie, dans Mai, Scrip 
nova collectio, t. i, Calena in Danielem, p. 
P. G., t. Lxxxv, col. 1377; S. Irénée, Cont. hi 
c. xxv, n. 4, P. G., t. vu, col. 1191 ; S. Hippolyte, 
IV, 34, Bonwetsch, Hippolytus, dans Die grie 
Chris tlichen Schrifsteller, Leipzig, 1897, 1. 1, p. 
In Dan. et Antichristo, 43, Achelis, Hippolyt 
1. 1, p. 27; Jules Africain (selon Apollinaire), 
rôme, loc. dt., col. 848; le pseudo-Cyprien, D 
computus, 13, 14, dans (t. Hartel, Cypriani o 
nia (Corpus scinptorum ecclesia^ticoi^wn» lai 
Vienne, 1871, t. me, p. 261-262; Viclorin d 
Scholia in Apocalypsin, P. L.,X. v, col. 339; î 
In Matth., P. L., t. ix, col. 1(^4; S. Ambroi 
sitio Evang. sec. Lucam, P. L., t. xv, 
détachèrent, contrairement aux exigences di 
dernière semaine des soixante-neuf finissant 
du Christ, pour la reporter à ceux de 1'^ 
Enfin, parmi les théologiens et critiques ] 
modernes, Kliefoth, Das Buch Daniels, Schw 
et Keil, Comm. ûber den Proph. Daniel 
I, étendirent jusqu'à la fin du monde a 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



78 



période de semaines, idéalisant celles-ci en périodes 
indéterminées, ou les tenant pour des périodes jubi- 
laires de cinquante années. 

Noos écartons également de notre route les opinions 
aussi peu justifiées d'Origène, In Matth., comment, 
séries, 40, P. G., t. xiii, col. 1656, qui estime chaque 
t semaine » équivaloir à 70 ans; de Jules Africain, cité 
p«r Eusébe de Césarée, Eclogœ propheticœ, l. III, 
c. XLVi, P. G., t. XXII, col. 1177, lequel auteur donne à 
la soixante-dixième semaine la valeur de 70 ans et la 
place entre l'ascension du Christ et la mort de l'apôtre 
Jean: de Bruno d'Asti, Homil., cxii, P. L., t. clxv, 
col. 832, qui vit dans la première septaine des semaines 
de jours et reporta au temps de l'Antéchrist, comme 
les eschatologues, la dernière semaine ; du quidam sa- 
pientissimus Judœorum, que l'auteur anonyme du 
Tractatus contra Judœum, P. L., t. ccxiii, col. 785- 
786, assure avoir compté 49 ans pour chaque semaine; 
de J. K. Hofmann, Die 70 Jahre des Jet^em, und des 
Dan., Nôrdiingen, 1836; de C. Wieseler, Die 10 Wo- 
chen des Proph. Dan., 1839, et de Franz Delitzsch, 
Realencyclopàdie de Herzog, édit. 1878, t. m, p. 477, 
qui intervertissent les séries : 62 + 1 + 7. 

Les « semaines > du prophète Daniel doivent être 
tenues, d'après la logique du texte et selon la plupart 
des interprètes, pour des semaines d'années. Voir spé- 
dalement Hebbelynck, De aucloritate historica tib. 
Dan., Louvain, 1887, Appendix, Interpretatio vaticinii 
de LXX hebdamadis, p. 320 sq.; Knabenbauer, Comm, 
in Dan. proph., Paris, 1891, p. 231; Bevan, A short 
comm. on thebookof Dan,, Cambridge, 1892, p. 141 sq. 
Pour les mêmes raisons, les promesses du ^.24 s'iden- 
tifient aux biens messianiques; cette identification 
s'impose aussi comme résultant de la comparaison de 
ce verset avec d'autres prophéties incontestablement 
messianiqnes. Cf. Hebbelynck, ibid., p. 328, 340 sq. ; 
Knabenbaaer, ibid., p. 2S^ sq. On ne discute que la 
question du moment précis de l'histoire d'Israël où, 
dans le sens premier et direct de la prophétie, ces biens 
doivent se réaliser. Ici, deux interprétations. L'une tra- 
ditionnelle et unanime, ou peu s'en faut, dans l'Église 
catholique : les biens messianiques seront apportés par 
Jésus-Christ venu à peu près exactement et mis à 
mort vers la fin des soixante-neuf premières semaines 
(II). L'autre, très ancienne aussi, sinon la plus an- 
cienne, et critique : Toracle daniélique situe la réali- 
sation des biens à l'issue de la persécution exercée, au 
milieu du ii* siècle avant notre ère, contre les Juifs 
restés fidèles à la religion et aux coutumes de leurs 
ancêtres, par Antiochus Épiphane (III). A condition 
d*être entendue au sens spirituel et typique, cette inter- 
prétation demeure messianique et n'infirme nullement 
la preuve théologique de la divine mission du Christ 
que l'apologétique chrétienne et catholique a de tout 
temps instituée d'après cette prophétie, preuve dont 
nous voulons d'abord (I) retracer l'histoire. 

I. Histoire théologique de la prophétie des lxx se- 
■AiTiES. — 1» Lantiquité chrétienne appliqua de bonne 
heure au Christ et à l'instant de sa venue l'oracle divin 
communiqué au prophète par l'ange Gabriel. Elle en fit 
un usage heureux et constant dans ses œuvres, soit de 
pure édification, soit de controverse juive et païenne. 
A la fin du ii* siècle. Clément d'Alexandrie, Stront., i, 
21, P. G., t. viii, col. 853, s'occupant de philosophie 
religieuse et non de polémique, et voulant néanmoins 
montrer l'accord de l'histoire biblique et de l'histoire 
pro&ne, assure que l'oracle de Daniel « s'est accompli 
tel que l'avait énoncé le prophète » : « le Christ notre 
Seigneur est venu dans les soixante-deux semaines, 
oignant la chair » en sa personne « de l'Esprit de son 
Père ». La même doctrine est affirmée avec une inten- 
tion directement apologétique par TertuUien, Adv. 
Judxos, c. VIII, P. L., t. II, col. 612^6. Saint Hippolyte, 



In Dan., iv, 32, fionwetsch, Hippolytus, t. i, p. 270, 
compare la loi nouvelle inaugurée par le Christ à la 
loi ancienne ou « première » donnée par Moïse aux 
enfants d'Israël : celle-ci fut promulguée « après 434 ans » 
de servitude égyptienne; «t pour que le peuple pût 
attendre celle-là et les croyants la reconnaître aisé- 
ment, il fut nécessaire qu'elle s'établit après le même 
laps de temps » (soixante-deux semaines d'années) 
faisant suite à la captivité de Babylone. Avant de com- 
puter les semaines, Jules Africain, Chronographia, xv, 
P. G., t. X, col. 80-81, harmonisant l'histoire judéo- 
chrétienne et les traditions des peuples païens, observe 
que a ces choses sont dites de l'apparition du Christ 
qui doit se manifester clairement après soixante-dix 
semaines »; ces choses sont les biens messianiques 
énumérés au t* 24 et « qui n'existèrent point avant 
qu'apparut notre Sauveur ». Origène, énumérant les 
prophéties accomplies en la personne de Jésus-Christ, 
n'oublie pas que « selon Daniel, soixante-dix semaines 
se sont écoulées jusqu'au Christ », De pHncipiis, iv, 
n. 5, P. G., t. XI, col. 349, « venu pour bâtir » son 
Église. Jn Matth. comment, séries, 40, P. G., t. xiii, 
col. 1656-1658. Bien que l'auteur du De pascha corn- 
putus, n. 18, loc. cit., p. 265, ne se fât proposé d'autre 
but que de fixer, ou mieux de rectifier, le canon pascal 
par de nouveaux calculs fondés sur la chronologie 
biblique, il marqua néanmoins que, « une fois complets 
les 434 ans contenus dans les soixante-deux semaines, 
il fallut que le Christ naquit selon la chair, a Eusèbe 
de Césarée a « établi la vérité en ce qui concerne la 
venue du Christ » par l'application d'à une prophétie 
réalisée lors de l'apparition de notre Sauveur Jésus- 
Christ y> : ce que le « livre de Daniel » a annoncé 
c après avoir très clairement fixé le nombre exact des 
semaines qui devaient s'écouler jusqu'au Christ roi... 
s'est manifestement réalisé lors de la naissance de 
notre Sauveur ». H. E., l. I, c. vi, P. G., t. xx, col. 89. 
Cf. Eclog. proph., 1. III, c. xlvi, P. G., t. xxii, 
col. 1184; Demonstr. evang., 1. VllI, c. ii, P. G., ibid., 
col. 601 sq. Dans son Discours de Vincamation du 
Verbe, P. G., t. xxv, col. 165, saint Athanase, pour 
convaincre les Juifs de la venue du Messie, cite la pro- 
phétie des semaines, et argue : Jérusalem ne subsiste 
plus, la prophétie juive est désormais muette; or, selon 
Daniel, ce dut arriver avant l'apparition du Messie; 
celui-ci est donc maintenant venu. Saint Cyrille de 
Jérusalem cherche à prouver aussi par la prophétie 
des semaines que le Messie est venu, Cat., xii, 19, 
P. G., t. xxxiii, col. 748 : « 483 ans se passent..., vient 
le chef étranger, au temps duquel est né le Christ. » 
Au 1. II de son Histotnca sacra {Chronicorum libri 
duo), P. L., t. XX, col. 132, Sulpice Sévère'relève « les 
visions » de Daniel qui nous ont « révélé l'ordre des 
siècles futurs, ont embrassé le nombre des années au 
cours duquel le Christ devait descendre sur la terre, 
ce qui eut lieu en effet. » 

Dans son 5« Discours contre les Juifs, n. 7, P. G., 
t. XLvni, col. 593, sq., saint Jean Chrysostome a fait 
usage de la prophétie des semaines surtout pour établir 
que Jérusalem ne serait jamais plus rebâtie; mais 
In Matth., homil. iv, n. 2, P. G., t. lvii, col. 42, il a 
parlé de « celui que le prophète Daniel avait annoncé 
devoir venir au monde après ces semaines si fameuses, 
au nombre précis... : que l'on compte, en eflet, les 
années écoulées depuis le rétablissement de Jérusalem 
jusqu'à Jésus-Christ, et l'on trouvera que leur nombre 
concorde exactement avec le nombre révélé par l'ange à 
Daniel ». Répondant à l'évéque de Salone, Hésychius, qui 
l'interrogeaitsurlaportéedes «semaines du bienheureux 
Daniel », Epist., cxcviii, 7, P. L., t. xxxiii, col. 904 sq., 
saint Augustin, Epist., cxcix, 20, 21, col. 911-912, in- 
voque le a sentiment de tant de commentateurs... qui 
démontrent, non seulement par le calcul des temps. 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



^ 



mais encore par les événements mêmes... que la pro- 
phétie a trouvé son accomplissement dans le premier 
avènement du Seigneur », et il conclut : « On ne doit 
pas attendre Vaccompllssement de cette prophétie de 
Daniel comme si on ne croyait pas qu'elle fût alors 
accomplie. )» Contemporain de l'évéque d'Hippone, 
l'auteur du De promUsionibus et praBdictionibtis Dei, 
part. II, c. XXXV, P. L., t. li, col. 811, « n'attend plus » 
cet accomplissement : « l'erreur des Juifs est ainsi 
confondue. )> Selon Maxime de Turin, Se9*m., xxi, P. L,, 
t. Lvii, col. 573, Daniel, « prophète manifeste de la 
ruine de Jérusalem, » ne fut pas moins « conscient de 
la venue du Christ ; » et pour clore cette liste des té- 
moignages des Pères proprement dits, saint Isidore de 
Séville revient plusieurs fois sur cette idée que, dans 
l'oracle des semaines, le Christ a nous est montré à 
sa naissance et à sa mort. » De fide cathol., 1. I, c. v, 
n. 6-8, P, L., t. LXXXiH, col. 461-462. Cf. 1. I, c. xliv, 
n. 4; 1. II, c. X, n. 4, col. 489, 516. 

2« Les écrivains du moyen âge, chronographes, 
commentateurs, apologistes surtout, engagés dans la 
controverse juive, laquelle, de siècle en siècle, devient 
de plus en plus ardente, utilisent cette même prophétie 
en preuve de la mission divine du Christ. Au vii« siè- 
cle, l'auteur du Chronicon paschale, Olymp. lxx, P. G., 
t. xcii, col. 392, introduit le texte. Dan., ix, 25 : « Sache 
donc... 70 semaines, etc., » par ces mots : c Ainsi 
parle Daniel prophétisant à Babylone, lui qui fut jugé 
digne de prédire touchant le Seigneur Christ. » L'au- 
teur anonyme des Quststiones theologicœ et philosophi- 
ez, interrog. xlv-xlvi, P. G., t. xxxviii, col. 916, met 
en relief la prophétie dans les termes suivants : « Que 
si les anges ignorent l'avenir, comment Gabriel an- 
nonce-t-il la naissance du Christ après 483 ans...? » 
Les Juifs prétendaient que le Messie devait apparaître 
au sixième âge du monde (on était alors au cinquième), 
Julien de Tolède leur répond : « Veuillez compter les 
semaines, et vous verrez que la naissance, la mort du 
Christ... se sont trouvées accomplies dans leur cours, 
ainsi que l'avait prédit le prophète. » De compvobatione 
F/» œtatis contra Judœos, P. L., t. xcvi, col. 538. 
Bède le Vénérable, De temporum ratione, c. ix, P. L., 
t. xc, col. 334, écrit : le j^. 24 « désigne l'incarnation 
du Christ... ce qu'insinuent les 70 semaines distribuées 
par septaines d'années en 490 ans. » La Disputatio 
cuiversus Judœos du faux Anastase le Sinaîte, P. G., 
t. Lxxxix, col. 1240, objurgue les adversaires : « Prouvez- 
nous donc sur l'heure quel Christ est venu (sinon le 
nôtre) ...après les 70 semaines, c'est-à-dire après 490 
ans à partir de Daniel... y> George le Syncelle afQrme 
avec la tradition que « Daniel eut des visions au temps 
de Darius le Mède, et connut l'époque de l'apparition 
du Seigneur. » Chronologie, édit. G. Dindorf, Bonn, 
1829, p. 439. Cf. aussi G. llamartolos, Chronique abré- 
gée, II, 91, P. G., t. ex, col. 325; Amolon, évêque de Lyon, 
Epislola contra Judœos ad Caroluni regeni, P. L., 
t. cxvi, col. 150. Paschase Radbert, Expositio in Mallh., 
P. L., t. cxx, col. 806, dit : « C'est au premier avènement 
du Christ qu'il faut rapporter la prophétie de Daniel, 
au moment où le nombre des semaines s'est trouvé 
accompli... » Cf. aussi Adon, évêque de Vienne, Chro- 
nique, P. L., t. cxxiii, col. 50, 52, 72; le Liber de com- 
puto, P,L., t. cxxix, col. 1301; Théodose de Mélitène, 
Chronique, dans Mofiumenta sœcularia, Munich, 1859, 
t. m, p. 39; Fulbert de Chartres, Tractatus contra 
Judœos, P. L., t. CXLI, col. dOô; Pierre Damien, Anti- 
logus contint Judœos, c. i, ii, P. L., t. cxlv, col. 46, 54. 
Un Juif converti, R. Samuel du Maroc, De adventu 
Messiœ, c. viii, P. L., t. cxlix, col. 344, croit « accom- 
pli ce dont écrivit Daniel...; ne voit aucune échappa- 
toire possible à sa prophétie...; les 62 semaines qui 
font 434 ans sont écoulées : le Christ est venu ». Cf. 
aussi Euthyme Zigfabène, Panoplia dogmatica, t. viii, 



P. G., t. cxxx, col. 285. Au xw siècle particulièremeii 

la prophétie des semaines fournit de longs développ 

ments à la controverse juive : on utilise, comme, ( 

reste, le firent les précédents à partir de la Ghssa a 

dinai*ia de Walafrid Strabon (ix* siècle), les premie 

Pères : Tertullien, Jules Africain, Eusèbe, puis Bè 

le Vénérable. Il suffira de mentionner le juif espagr 

baptisé sous les noms de Pierre Alphonse, Dialog 

(entre juif et chrétien), dans If oxi ni. biblioth, Patni 

t. XXI, p. 172; Pierre Maurice, Tractatus adv. Judœi 

inveteratamduriliem,c.i\y P.L., t.CLXXXii,col.563s 

Guillaume de Champeaux, Dialogus intei* christ. 

Jud. de fide calholica, P. L., t. clxiii, col. 10; 

Pierre de Blois, Tractatus cont. perfidiam Judœofnt 

c. xiii, P. L., t. Gcvii, col. 842; le Tractatus contra, 

dœum, P. L., t. ccxiii, col. 785 sq. ; AValler de C 

tellione, Tractatus contra Judœos, 1. I, n. 10, P. 

t. ccix, col. 433 sq.; et, parallèlement, les chroi 

graphes : George Cédrène, P. G., t. cxxi, col. 285 s 

Jean Zonaras, P. G., t. cxxxiv, col. 249 sq. ; les hii 

riens : Ordéric Vital, P. L., t. clxxxviii, col. 22 s 

Pierre le Mangeur, P. L,, t. cxcviii, col. 1459; 

glossateurs ou commentateurs : Anselme de Ls 

Glossa interlinearin ; Rupert de Deutz, P. 

t. CLVii, col. 1517; Hugues de Saint-Cher (xm* siè< 

Opéra, Venise, 1703, t. v, p. 159; Albert le Gi 

(xiii« siècle), Opsra, Lyon, 1651, t. viii, p. 25 sq. ; 

prédicateurs : Brunon d'Asti, Homil., cxn, P. 

t. CXLV, col. 832; Martin de Léon (xiii» siècle). Si 

IV, in natale Domini, P.L., t. ccviii, col. 125; 1'^ 

vain Honoré d'Autun, De imagine nmndi, P. 

t. CLXXii, col. 151. Au milieu du xiii* siècle, Rayn 

Martin rajeunit la preuve tirée des prophéties en fa 

de la divinité de la mission du Christ par l'emplo 

traditions rabbiniques. Pugio fidei adv. Mauros ei 

dœos, édit. Carpzov, Francfort, 1687, part. II, c 

Probatio sunipta ex hebdomadibus Danielis, 

Messicajani venit. H cite nostras glossas pour le: 

teurs chrétiens, et, pour les Juifs, les calculs di 

mud, Tha 'anîth, iv. Ces derniers ont eux<^méme 

connu que « le sacrifice avait cessé une fois pour t 

et que les 70 semaines s'étaient accomplies ava 

destruction du Temple de Jérusalem » ; ils ont 

reconnu implicitement la venue du Messie. N'c 

pas, du reste, fait naître leur Messie lors de la 

de la ville sainte? Talmud, Berachoth, ii. La com 

tion des semaines de R. Martin suit en partie ce! 

Seder Olam (chronologie), attribué à Rabbi 

(ip siècle après Jésus-Christ), à laquelle les rabbi 

moyen âge reconnaissaient la plus grande aui 

Nicolas de Lyre (xni*-xiv« siècle) dans ses Pc 

Paul de Sainte-Marie de Burgos (xn*«-x\'« siècle) da 

Additiones, Matthias Doring (xv« siècle) dans ses 

cœ, voir Biblia saci'a cuni glossa ordinaria, \ 

1603, exploitent ou acceptent les mêmes arguni< 

trahissent la même dépendance à l'égard de la 

nologie juive et rabbinique. Cf. aussi Thomas AVa 

(xiv«-xv« siècle), Expositio in Dan., dans S. 7 

Aquin. Opéra, Paris, 1660, t. xix, p. 5-57; Jéro 

Sainte-Foi (Juif converti, xv« siècle), Tractatus 

Judœor. perfidiam et Talmuth, dans McLxinia 

Patrum, t. xxvi, p. 528-555; Denys le Cha 

{x\* siècle), Enarratio in Dan. prophetani, dans 

omnia, Mon treuil, 1900, t. x, p. 130 sq. Sans pi 

pation talmudique, les Grecs : Andronic de Con 

nople (xiv« siècle), Dialogus contra Judseos, 

P. G., t. cxxxiii, col. 861-862; Jean Ganta 

(xive siècle), Apologia contra Mahumetuni, 

t. CLiv, col. 392. 

3o Du jrv/« siècle à nos jours, l'apologétique 
encore quelques lances en faveur de la messia 
l'oracle des semaines et contre les Juifs taloii 
Cf. Pierre Galatin (Galatinus), juif converti, De * 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



82 



ctUholicm veritatU, 1. IV, c. xiv sq. (1518), où les rab- 
bins, tout en rapportant les 70 semaines à la durée du 
temple, confessent pourtant uno ore que le Messie 
devait venir à la fin de cette période, annoncé sous 
l'expression de «justice éternelle »; Corneille de la 
Pierre, CotiimerUaria in Scnpturam sacram, Paris, 
1860, In Dan., t. xiii, p. 118 : « passage célèbre où 
sont consignés la venue du Messie, son origine, son 
baptême, sa passion et sa mort, années par années : 
passage manifestement propre à convaincre les Juifs 
que le Messie est Jésus-Christ en qui se terminent les 
70 semaines, » et il réfute surtout R. Salomon (Raschi, 
XI* siècle); Denys Petau, Dogmata theologica, Anvers, 
1700, De inciimatiane, 1. XVI, c. viii, combat R. José, 
R. Saadias, R. Salomon, Aben-£zra; Bossuet, Dis- 
court $ur Vhist. universelle, part. II, c. ix, dont on 
connaît le texte impérieux; Louis Legrand, Traclatus 
de incamatione Verbi divini, Paris, 1751,1751, diss. II, 
c. I, a. 2, § 1, réfute encore longuement R. Salomon et 
le juif Orobio (Isaac de Castro), qui rapportait Toracle 
aux grands-prêtres post-exiliens, dans Limborch, De 
veritate religionis christians. Gouda, 1687. Mais c'est 
répoque aussi où théologiens et critiques commencent 
à entrevoir un rapport possible de la prophétie des se- 
maines, dans son sens littéral, aux temps d'Antiochus 
Épiphane, et ne pensent plus pouvoir l'entendre, sinon 
au sens typique, de la mort du Christ. La Sainte Bible 
en UUin et en français, Paris, 1749, t. ix, p. 471, 489, 
répondit à Marsbam, Hardouin, Calmet qui mirent cette 
idée en avant après Sixte de Sienne et Estius, voir 
col. 96-99, et Legrand, op. cil,,%i, ne voulut pas moins 
s'élever contre « ces quelques chrétiens... qui sup- 
priment ainsi ou ébranlent grandement l'argument tiré, 
contre les Juifs, de la prophétie. » 

4« Critique et conclusions. — 1. Si l'interprétation 
des c événements » marqués dans l'oracle des semaines, 
interprétation réalisée parles écrivains dont l'ensemble 
constitue l'organe autorisé de la tradition, si les 
« calculs des temps » auxquels se sont livrés « tant de 
commentateurs » se sont trouvés, la première aussi 
unanime et les autres aussi c exacts » que le disent 
saint Jean Chrysostome et saint Augustin, cités plus 
haut, cet oracle pourra bien être réellement messia- 
nique au sens direct et littéral, et la preuve qu'on en 
tire encore aujourd'hui en faveur du fait de la mission 
diWne du Christ pourra être alors formulée de la ma- 
nière suivante : Les biens messianiques, dont il est 
parlé au t- 24, ont été prédits pour une date fixe, et, pour 
que leur survenue pût être rendue facilement recon- 
naissable à cette date, circonstanciés d'avance relative- 
ment à de certains personnages, dont le Messie lui- 
même, et de certains événements, dont la ruine de la 
cité sainte. Or, les circonstances personnelles et réelles 
annoncées comme devant signaler et conditionner les 
biens messianiques se sont réalisées, et principalement 
en Jésus-Christ, telles qu'elles avaient été prédites, à 
la date même marquée par la prophétie, sauf peut-être 
un écart négligeable, ladite prophétie ne comportant 
nullement, en dépit de ses chiflhres précis, un caractère 
strictement mathématique; et ces biens eux-mêmes 
sont acquis désormais. L'oracle de Daniel a donc toute 
la valeur probante qu'un exact accomplissement com- 
munique à une prophétie d'origine divine : Jésus de 
Xazareth est bien le Messie que cet oracle annonçait. 
— 2. Mais les calculs des écrivains de la tradition ^ 
«calculs basés sur les chiffres de la prophétie, ont-ils 
bien toute l'exactitude que l'on dit, et, en tout cas, 
comparés les uns aux autres, n'ont-ils pas abouti à la 
plus grande diversité, de sorte qu'il n'y eut point ici 
de calcul vraiment traditionnel, voir col. 95; mais 
l exégèse des circonstances personnelles et réelles, 
instituée par les organes de la tradition, ne s'est-elle 
-pas non plus résolue, pour de très importantes et 



même essentielles identifications, en un défaut non 
moins accusé d'entente et d'unanimité relatives, de 
sorte qu'il n'y eut point ici d'exégèse proprement tradi- 
tionnelle, voir col. 83-88; mais la définition des biens 
messianiques, par le caractère flottant de son expression 
et de son objet dans tel et tel cas, n'a-t-elle pas laissé, 
à côté de l'enseignement de la tradition, la porte ou- 
verte à d'autres hypothèses, de sorte que, sur la ques- 
tion, non assurément de leur caractère toujours essen- 
tiellement messianique, mais bien du degré, du proces- 
sus de leur réalisation, il n'y aurait point, même ici, 
d'interprétation traditionnelle, voir col. 96 sq.; mais 
enfin, repris, renoulevés, non plus, il est vrai, dans un 
but immédiat de controverse, mais avec un louable 
souci d'exactitude critique non moins profitable cepen- 
dant à l'apologétique, ces calculs des dates fixées, cette 
exégèse des faits prophétisés, cette interprétation des 
biens attendus ne peuvent-ils être considérés comme 
ayant, cette fois, abouti à des résultats plus satisfaisants 
et, malgré la divergence de leurs conclusions d'avec 
les conclusions traditionnelles, nullement en contradic- 
tion avec celles-ci que ne doit recommander point, du 
reste, leur instabilité? Voir plus loin les remarques 
critiques. ~ 3. Que si la réponse à ces questions allait 
à faire droit aux conjectures de Sixte de Sienne, d'Estius, 
de Hardouin et de Calmet, il resterait néanmoins à la 
tradition catholique et théologique véritable le mérite 
essentiel d'avoir rapporté l'oracle daniélique à la per- 
sonne, à l'œuvre et aux temps du Christ; et il y aurait 
à reconnaître que ce rapport ne fut point tout à fait le 
résultat de calculs incertains, d'une exégèse verbale 
quelque peu arbitraire, d'une interprétation simplement 
approximative, mais fut basé, au contraire, et pre- 
mièrement, sur le principe, aussi ancien que TËglise, 
de l'interprétation mystique des Écritures. Les évan- 
gélistes se firent-ils scrupule, dès l'abord, d'entendre 
en un sens prophétique, plus exactement en un sens 
typique, de telles circonstances de la vie et de la mort 
du Messie, d'antiques passages des prophètes ou des 
Psaumes dont le sens propre et direct allait à signi- 
fier de tous autres objets? Comparer, par exemple, 
Matth., II, 15, et Ose., xi, 1; ii, 17, et Jer., xxxi, 14; 
II, 23, et Is., XI, 1 ; Matth., xxvii, 35, et Ps. xxii, 19; 
Marc, XV, 28, et Is., lui, 12, etc. Il n'est même pas cer- 
tain que le Christ, Marc, xiii, 14; Luc, xxi, 20, n'ait 
pas cité Daniel, ix, 27, ou xi, 31, ou xii, 11, dans un sens 
typique, puisque « l'abomination de la désolation », in- 
terprétée par saint Luc de la « désolation t> de Jérusalem 
«c cernée de campements b romains, sert, dans le long 
discours apocalyptique du Seigneur, Matth., xxiv sq., de 
premier plan à la perspective, plus profonde que la ruine 
de Jérusalem, de la fin du monde. C'est, du reste, ainsi 
que le dit Calmet, « l'usage des prophètes de proposer 
ordinairement le type et la figure du Messie dans quel- 
que sujet, ou dans quelque événement de l'Ancien Tes- 
tament, afin que l'exécution littérale de leur prophétie, 
en ce premier sens, serve de preuve et d'assurance à 
ce qui doit s'exécuter plus parfaitement en un autre 
sens, dans la personne et dans la vie du Messie. » Ainsi 
le prince idéal de la lignée de David, désiré par 
Isate, XI, 1-5, après l'abaissement de l'Assyrie « verge 
de la colère de Dieu » pour Israël, ne se retrouvera 
pleinement que dans Jésus, roi spirituel; ainsi la nou- 
velle Jérusalem et la nouvelle Terre promise rendues 
aux captifs de Babylone selon Ézéchiel, xl-xlviii, 
n'auront leur pleine réalité que dans l'Église chrétienne. 
Ainsi la prophétie des semaines s'appliquant littérale- 
ment, par exemple, à l'avènement de Cyrus, à la mort 
du grand-prêtre Onias III, aux persécutions d'Antiochus 
Épiphane, à la paix et au relèvement machabéens, 
garderait pour la foi vivante et docile toute sa force 
persuasive sous le couvert de la tradition qui en 
aurait défini le sens typique, croyant bien en discuter le 



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83 



DANIEL (LES SOLXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



8^ 



sens littéral. Cyrus, roi des Perses, « oint » par les 
prophéties d'Isaïe, XLiv, 26 ; XLv, 1-5, et de Daniel, 
IX, 25, pour délivrer le peuple juif de la captivité baby- 
lonienne, annoncerait la personnalité divinement supé- 
rieure du Christ sauvant l'humanité de l'éternel escla- 
vage. Le prêtre Onias III et le peuple juif lui-même, 
le premier par sa mort tragique. Dan., ix, 26; 
II Mach., IV, 3d-dS, l'autre par ses tribulations et ses 
souffrances sous l'impie roi de Syrie, Dan., ix, 26-27; 
let II Mach., préluderaient au grand sacrifice de la croix 
et aux épreuves incessantes que l'i^lise chrétienne doit 
subir de la part de ses ennemis, avant d'obtenir la 
possession entière et parfaite du « royaume des cieus ». 
Cf. cardinal Meignan, Les derniers prophètes dlstxufl, 
Paris, 1894, p. 134rl35. 

II. Interprétation traditionnelle. — 1» Biens mes- 
sianiques du f.24. — Traduction du f. 24 selon l'hébreu 
massorétique : Soixante-dix seniaines ont été fixées 
sur ton peuple et sur ta ville sainte pour mettre fin à 
la transgression, pour abolir le péché, pour expier 
Viniquité et pour amener la justice éternelle, pour 
sceller la vision et le prophète et pour oindre le saint 
des saints. — 1. Des trois propositions concernant le 
péché (transgression, iniquité) et qui semblent toutes 
trois traduire la même idée, la troisième seule a été 
unanimement entendue de la « rémission des péchés » 
opérée par le Christ mort en croix pour nous. Quelques 
Pères et écrivains ont expliqué les deux premières du 
a comble de l'iniquité », réalisé par les Juifs meur- 
triers du Messie, et du « scellé mis sur leurs péchés » 
jusqu'au jour du jugement. Ainsi avec quelques nuances 
inévitables, S. Hippolyte, in Dan.; Origène, In Matth. ; 
£usèbe de Césarée, Dem, ev.; S. Chrysostome, Adv, 
Judœos, homil. iv; Euthyme Zigabène, Panopl. dogm. 
Théodoret, Jn Dan,, P. G., t. lxxxi, col. 1469, suit 
Eusèbe pour la première proposition^ mais se range 
pour la seconde au sentiment de la tradition. Pour les 
variantes du texte et des versions, voir Knabenbauer, 
Conim. in Dan. proph., p. 235 sq. — 2. Sur dix-neuf 
auteurs anciens ou du moyen âge qui ont explicitement 
traité de la « justice éternelle », douze ont compris 
celte expression de la personne même du Christ. Ter- 
tullien, Adv. Judœos; Eusèbe, op, cit.; S. Athanase, De 
incatmatione ; S. Éphrem, In Dan,, dans Opéra, Rome, 
1740, t. iii p. 221 ; Théodoret, op. cit. ; Pierre Alphonse, 
Dialog.; Pierre Maurice, Adv. Judœor. durit. ; Tra- 
ctât, cont. Judœum; Albert le Grand, In Dan.; Ray- 
mond Martin (avec les rabbins), Pugio fidei; Andronic 
de Constantinople, Dialog.; Jérôme 'de Sainte-Foi, 
Cont. Judœor. perfid,, cités précédemment; cinq lui 
font signiQer les biens étemels apportés par Jésus- 
Christ : Jules Africain, Chrofwgr. ; Origène, S. Chry- 
sostome, Basile de Séleucie, Orat., xxxviii, P. G., 
t. lxxxv, col. 401 ; Nicolas de Lyre; deux y ont vu spé- 
cialement la grâce de la justification : Polychronius, 
/njDan., dans Mai, Scriptor. veter.coll., t. i, p. 137 sq., 
et Ammonius, In Dan., ihid., p. 212. — 3. Le « scel de 
la vision et du prophète » a, pour la même période, 
signifié ou bien que les prophéties de l'Ancien Testa- 
ment devaient être (et ont été) accomplies dans la per- 
sonne et dans l'œuvre de Jésus-Christ : Clément 
d'Alexandrie, S. Hippolyte, Eusèbe, S. lî^phrem, 
S. Jérôme (Vulgate : et impleatur visio et prophetia), 
Bède, De temp. ratione; Pierre Maurice, Pierre de 
Blois, Tract, cont. perfid. Judœor,; Raymond Martin, 
Nicolas de Lyre; ou bien que ces prophéties ont cessé 
par l'effet de la venue du Christ : Jules Africain, Ori- 
gène, S. Chrysostome, Basile de Séleucie, Ammonius, 
Euthyme Zigabène, l'anonyme du Tract, cont. Jud.; 
Andronicus, Thomas Vallensis; les autres réunissent 
les deux acceptions : Tertullien, S. Athanase, Théodo- 
ret, la Glose interlinéaire, Albert le Grand. — 4. Tous 
les écrivains qui ont parlé de « l'onction du saint des 



saints » y ont vu Jésus-Christ lui-même oint de l'Esprit 
Saint, sauf le pseudo-Cyprien, De pascha compulus 
qui l'entendit du temple de Jérusalem rebâti et recon 
sacré. 

Remarques critiques. — Tous ces auteurs et les com 
mentateurs modernes qui les ont suivis dans quel 
qu'une de ces diverses interprétations ont manifeste 
ment, encore que inconsciemment, pris au sens figur 
(devenu figuratif) des expressions qui, au sens propre 
s'appliquaient au c peuple» juif et à sa « ville sainte ï 
f. 24, tels qu'ils se trouvaient conditionnés à l'époqu 
de la communication de l'oracle. Le m péché », 1 
« transgression », l' « iniquité » sont ici directemet 
le fait des Israélites châtiés par Dieu et captifs. Dan 
IX, 5, 7, 8, etc. La « justice éternelle » traduit ici, e 
langage spirituel, mais cependant concret, le symbc 
lismede la « fertilité du sol » et du parfait a bonheur 
terrestre dont parlèrent souvent les prophètes, symbc 
lisme que beaucoup de Juifs assurément n'entendaiei 
point. Cf. Ose., i, 10; Amos, ix, 13; Is., iv, 2; xxx, 2î 
24; Jer., xxxi, 5-12; Ezech., xxxi, 30-35; Ps. cxliv, 1: 
15, etc. Le « scel de la vision et du prophète » pourra 
aussi bien désigner une ou des visions particulière 
à Daniel que celui-ci devait avoir besoin de a con^, 
prendre » mieux, f. 21-23, ainsi que la parole proph* 
tique adressée à Jérémie au sujet des soixante-dix ar 
de la captivité et corrélative à l'oracle des soixante-di 
semaines, t. 2 : vision et parole dont le sens aurait éi 
destiné à demeurer, 490 ans durant, « scellé, » c'es 
à-dire caché. Cf. Dan., xii, 4, 9; Is., viii, 16; Jer 
XXXII, 10, 14; Deut., xxxii, 3i. L' « onction du saii 
des saints » répondrait non moins directement à '. 
plainte formulée par Daniel dans sa prière au sujet c 
a Jérusalem en opprobre » et du « sanctuaire dévasté 
y. 16, 17 : elle marquerait la reconsécration de l'aut 
des holocaustes ruiné par les Chaldéens. Cf. Kxod 
XXIX, 36, 37; xxx, 29; xl, 10. Des modernes ont sui 
pour cette dernière proposition la voie ouverte par 1 
pseudo-Cyprien qui figurait par le « temple... oint c 
l'huile du Saint-Esprit », ce temple « que le Chrii 
Jésus a formé de ses mains..., qu'il a oint, non d'huil 
mais de l'Esprit de Dieu..., et celte cité, à savo 
l'iLglise, qu'il a édifiée de pierres sanctifiées ». Cf. Kn; 
benbauer, op. cit., p. 241 sq. 

2» Exégèse des versets 25-27, — Traduction de l'h» 
breu massorétique, y. 25 : Sache donc et comprendi 
Depuis la sortie de la parole pour que Jérusalem soi 
rebâtie jusqu*à un oint-prince, sept semaines (o 
bien, sept semaines et soixante-devujc semaines), h 
dans soixante-deux semaines elle sera rebâtie (o 
simplement : elle sera rebâtie), place et vallée (rueV 
26. Et dans V angoisse (ou à la fin) des temp 
après soixante-deux semaines, un oint sera extx}*pé. 
(?) Et le peuple d'un chef qui vient déti*uira la vil\ 
et le sanctuaire ; mais il finira par la vengeance d 
vine; et la guerre durera jusqu'à la fin... (?). 27. Et 
fera une alliance avec plusieurs pendant une semaini 
et pendant une demi-semaine il fet'a cesser le sacr 
fice et Voffrande; et à leur place [au lieu de : st 
l'aile (?) ] Vdbomination de la désolation^ jusquW t 
que la ruine frappe le dévastateur. Pour les v; 
riantes, voir Knabenbauer, op. cit., p. 244 sq. Lai 
sant provisoirement de côté les détails qui marquei 
directement le point de départ, le développement, ] 
point d'arrivée des 70 semaines, à savoir, la « sortie é 
la parole », le relèvement de Jérusalem, la destruclio 
finale, nous fixons seulement, d'après la tradition, le 
personnalités tenues pour certaines ou hypothétique 
de r « oint-prince », j^. 25, de 1' « oint extirpé », f. 26, d 
« chef » du « peuple » destructeur, ibid., du sujet d 
j. 27. — V oint-prince a été identifié par beaucoup 
Jésus-Christ: Tertullien, pseudo-Cyprien, Origène, Juh 
Africain, S. Cyrille de Jérusalem, Ca^, xii, S. Chrysos 



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85 



DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



tome, Polychronius, Basile de Séleucie, Théodoret réfu- 
tant Topinion d*Eusèbe, le Chronicon paschale, Bède et 
la plupart des interprètes postérieurs qui, se rangeant 
à la traduction de saint Jérôme, ne firent intervenir le 
personnage qu'après la soixante-neuvième semaine. Mais 
la coupe de phrase fixée par la ponctuation massorétique 
se trahit aussi dans les opinions d*un certain nombre. 
Situant Toint-prince après les sept premières semaines, 
Clément d'Alexandrie (plus probablement), Quintus Ju- 
iius Hilarianus, évéque dans l'Afrique proconsulaire, De 
mundi duratione libellus, n. 12, P. L., t. xiii, col. 1103, 
ridentifièrent au Davidide Zorobabel; saint Hippo- 
lyte, (Rabbi Lévi ben Gerson), au grand-prétre Josué, 
fils de Josédek, I Esd., m, 2 sq. ; Eusèbe de Çésaréc, à 
toute la série des grands-prêtres qui devaient se succé- 
der encore jusqu'à la venue du Christ, mais interpré- 
tant : t tant qu'il y aura un oint légitime, un grand- 
prétre consacrée Jérusalem, 7 et 62 semaines s'écoule- 
ront; 1 Pierre l'archidiacre, Qaœstiones in Danielem, 
n. 64, P. L., t. xcvi, col. 1357, comme Eusèbe; Pierre 
Alphonse, Pierre de Blois (Rabbi Saadia le Gaon, Coni . 
in Dan,; Rabbi Salomon Jarchi, Coni. in Dan.), à 
Cyrus, roi des Perses, conquérant de Babylone et libé- 
rateur des Juifs (Aben-Ezra, Com. in Dan,, à Néhé- 
mie; Abarbanel, Com. in Dan., n'a pu se résoudre à 
choisir entre les trois : Zorobabel, le grand-prétre, Né- 
hémie). — 2. Voint exlirfté du t* 26 a reçu une double 
signification générale selon que les interprètes de la 
tradition suivaient le texte de Théodotion ou celui de 
rhébreu que représentèrent la Peschito et la Yulgate 
biéronymienne. Selon Théodotion, i|oXoOpeuOi^(TeTat 
Xpt4T{Mc (cf. Italique : interibit chrisma; Tertullien : 
exlemiinabitur unctio). Tertullien rapporta l'expres- 
sion -/pia^ia à l'onction royale, Adv. Jud., c. xiii, et 
sacerdotale, c. viii, tout à la fois : Jérusalem et le 
temple détruits par les Romains, 1' « ampoule » perdue 
ou brisée, les Juifs n'auront plus ni rois ni prêtres. 
Pareillement, Origène, In Matth., xxiv : « l'onction, 
qui fut dans le temple, est ravie au peuple. » Le pseudo- 
Cyprien parait entendre disperibit unctio de la ruine 
du sanctuaire, in iniagineni honUnis unctum. Le poète 
Commodien, Camten apologelicum, 266-267, dans 
Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, 1. 1, p. 28, 
entend aussi d'une onction le « chrisme royal exter- 
miné •. Pour Eusèbe, XP^^'I"' ^st le grand-prêtre dé- 
possédé Hyrcan II, mis à mort par l'ordre d'Hérode le 
Grand et terminant en sa personne la succession des 
grands-prêtres légitimes. Pour saint Chrysostome, c'est 
vraisemblablement la dignité du suprême sacerdoce 
opposée au pouvoir politique, xplpia. Dénxonstr. de la 
dxviniU de /.-C, P. G., t. XLViii, col. 836. Polychro- 
nius voit dans l'expression l'annonce de la fin de l'au- 
tonomie juive, spirituelle et royale. Même interpréta- 
tion dans une lettre d'Isidore de Péluse au diacre Isi- 
dore. Epiêt., ccxLix, P. G., t. Lxxviii, col. 928. Basile 
de Séleucie reproduit l'explication de Tertullien, en 
étendant 1' c onction » aux « prophètes » et aux a juges 
du peuple ». Spiritualisant encore davantage la notion, 
Théodoret y voit <i la grâce » ('/(^Pk) brillant dans les 
grands-prêtres; Ammonius (eschatologue), « le bap- 
tême > interdit par l'Antéchrist. Jacques d'Édesse 
s'élève même contre l'interprétation que suggérait à 
ses contemporains la Peschito: pour lui, le « chrisme » 
demeure la dignité que l'onction conférait au prêtre- 
roi ; il suit, du reste, une version syriaque faite sur le 
texte théodolien. Dans S. Éphrem, Opéra, t. n, p. 221. 
Euthyme Zigabène adopte l'exégèse de saint Chrysos- 
tome; Jean 2U)naras, celle de Théodoret. Guillaume de 
Champeaux, cetsabit unctio. Andronic de Constanti- 
Dople réunit à nouveau dans y,pi(T[La le sacerdoce et la 
royauté. 

Ainsi, jusqu'au milieu du moyen âge, ce trait de la 
prophétie est rapporté par beaucoup de Pères et d'écri- 



vains ecclésiastiques à la chute de la dynastie, sacerdo- 
tale et royale à la fois, des Hasmonéens; quelques-uns 
même y voient un rappel direct à la prophétie de 
Jacob touchant le « sceptre » maintenu dans Juda, Gen., 
XLIX, 10 (LXX: oux èxXstiiffet ô(p-/(i>v é$ 'lovÔa, xal f,Yov- 
pLEvo; Ix Twv pLY)p£)v auTov, ctoc, etc.) : Tertullien et Ori- 
gène, Andronic. Les Juifs du moyen âge entendirent 
en général le passage de la mort de leur dernier roi et 
protecteur vis-à-vis des Romains, Hérode Agrippa II : 
R. Saadia, R. Salomon, Aben-Ezra, Joseph ben Gorion 
(ou l'Hébreu), Abarbanel. Les théologiens modernes se 
sont ralliés à l'autre interprétation fille du texte hébreu 
par la Peschito {néf'kefél ATëHio") et la Vulgate {occi- 
detur Chvistus) : V a oint » est le Christ mort sur la 
croix. Auteurs syriens : S. Éphrem, les contemporains 
de Jacques d'Édesse, Ebed-Jesu, métropolite arménien 
(xiii« siècle), Liber margaritss. De veritate chrittianœ 
religionis, dans Mai, Script, vet. nov. coll., t. x» 
p. 342 sq. Tous les auteurs latins depuis 9aint Jérôme. 
Saint Augustin pourtant, Epist., cxax, et Pierre Da- 
mien surtout, Antilogus contra Judœos, c. i, cessabit 
unctio; c. ii, occidetur Christus, utilisent les deux in- 
terprétations. — 3. Le chef et son peuple qui viennent 
détruire « la ville et le sanctuaire » avaient été déjà iden- 
tifiés à Titus et aux Romains par Josèphe, Ant. jud., 
X, x; XI, vu; De bell. jud., IV, vi, 3; cf. Fraidl, Die 
Exégèse der 70 Wochen, Graz, 1883, p. 18-22; et 
s'il faut en croire saint Jérôme, In Dan., P. L., 
t. XXV, col. 552, les Juifs du v* siècle partageaient la 
même opinion : le « chef b était Vespasien. Fraidl, ibid., 
p. 122. C'est aussi l'avis des Juifs du moyen âge, sauf 
R. Saadia qui recule l'accomplissement de la prophétie 
jusqu'à l'empereur Adrien. Cette identification du « chef» 
à Vespasien ou à Titus fera fortune dans la tradition. 
Mais dès les premiers temps il se trouve quelqu'un pour 
appliquer le vocable au Christ même « exterminant la 
cité et le sanctuaire » par l'intermédiaire des Romains : 
Tertullien, Adversus Judœos, c. xiii, extemiinabit cum 
duce adveniente, le dux qui de tribu Juda esset pi'o- 
cessurus. Cf. Gen., xlix,10. Origène le réfute, In Matth., 
ce dux ne peut être Jésus-Christ, parce que le prophète 
aurait dû écrire : cum duce C h risto advenien te,comme 
au f. 25, et que, du reste, après le Christ ayant accom- 
pli la prophétie de Jacob, defecxt dux (fudaicus) et dux 
de femoribus ejus; cependant, pour Origène, le « chef 
n'est pas Vespasien, ou Titus, mais Hérode Agrippa II, qui 
accompagna Titus au siège de Jérusalem, cf. Tacite, Hist., 
v, 1 ; Josèphe, Vita, 65, à moins que ce ne soit Hérode 
le Grand, sive Hérode, sive AgHppa, comme pour 
Eusèbe. Celui-ci, en effet, sous la formule de Théodo- 
tion : xai TYjv iidXtv xa\ xh aytov îiaçOepc? aùv tô riyou- 
\Lh(û Tw èp/o(iévo), combinée avec celle d'Aquila : 
SiaçOepeî Xa6; if)You(jivou ipxo{iévo'j, plus conforme à 
l'hébreu, a vu Hérode et les Hérodiens « corrompant » 
(moralement) le peuple et le sacerdoce. Il est vrai que 
l'évéque de Césarée admet aussi l'explication c le géné- 
ral des Romains » et son armée. Le pseudo-Cyprien 
interprète à la façon de Tertullien : Sanclum... abipso 
Domino nostro... teniporibus Vespasiani est extemii^ 
natum. Selon saint Éphrem, le « chef» n'est autre que 
le « Messie-Roi crucifié »; la ville périra a avec » lui 
qu'elle a fait périr, la Peschito, de même que Théodo- 
tion (<7Ùv) ayant pris le mot hébreu 'am, « peuple, » 
pour la préposition Hm, « avec », lam malM d*ôfê\ 
cum rege veniente. Saint Isidore de Péluse, Epist., 
CCLVii, P. G., t. Lxxviii, col. 936, définit ainsi cette ex- 
pression complexe : « C'est le Père (ô llaxTjp) qui dé- 
truit le peuple et la ville » (par les Romains) ; autre- 
ment : e Dieu (6 Osb;) et le chef, c'est-à-dire le Christ. » 
Puis il cite des passages bibliques où le Messie est 
appelé soit TiYo\j(ievo;, Mich., v, 2; Matth., ii, 6, soit 
épx<5(A6vo;. Ps. cxvii, 26; Matth., xi, 3. Curieuse est l'in- 
terprétation de Basile de Séleucie : Ce sont les Juifs 



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87 DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



qui en faisant mourir le « Christ à venir », détruiront 
(dtaçOepo'jat) — seront cause que les Romains détrui- 
ront — le sanctuaire et la cité. Euthyme : L*armée ro- 
maine détruira la ville... « avec Taide b du Christ, le 
« chef» de ceux qui croient en lui, qui c reviendra » pour 
son deuxième avènement. Andronic : urbem et sacrum 
una cuni principe delebil ; le princeps est Aristobule II 
roi et ponlife, Joséphe, Ant. jud., XV, m ; XX, x, ren- 
versé par Pompée. Incertaine dans Cyrille de Jérusa- 
lem, Cat., XV, dans Athanase, dans Chrysostome, dans 
Augustin, ridentification du « chef b à Titus n'est affir- 
mée clairement qu'au moyen âge par Bède, R. Samuel 
du Maroc, Pierre Alphonse, les Gloses, Raymond Mar- 
tin, qui pourtant indique aussi la traduction : populus 
principalis venturtu, Nicolas de Lyre. Les théologiens 
modernes l'ont adoptée. — Le sujet agissant dans la 
70 et dernière semaine, c'est, pour Clément d'Alexan- 
drie, Néron, qui « installa dans la ville sainte, iv tt} 
àyioL Tc^Xei *Iepou<iaXiQ(i, l'abomination » — il ne dit pas 
laquelle — et qui mourut « au milieu de la semaine ». 
Cette incomplète et obscure interprétation a pour pen- 
dant au moyen âge celle de R. Salomon (Raschi), 
d'Aben-Ezra,d'Arbarbanel : Titus « conclut une alliance » 
avec les Juifs a au cours de » cette dernière semaine. 
Saint Éphrem (et les auteurs syriens), conformément 
au texte de la Peschito, ont maintenu aux deux pre- 
mières propositions du j^.27 un sujet actif et personnel 
indiqué au j^. 26 : c'est le Christ, Rex-Messias, qui 
« lui-même affermit l'alliance in sanguine su^, » et qui 
par sa mort en croix a abolit le sacrifice et l'offrande » 
juifs. De même l'eschatologue Bruno d'Asti, pour la pre- 
mière proposition : Confimiahit autem dux ille mali- 
gnus (l'Antéchrist) pactum, c'est-à-dire qu'il imposera 
sa domination — contrairement à la tradition de son 
école qui entendait le passage de l'affermissement des 
saints aux derniers jours (Apollinaire). Se rangeant à la 
suite de Théodotion et de saint Jérôme dans leur tra- 
duction, toute la tradition, pour ainsi dire, a trouvé le 
sujet de confirniabit (Théodotion : 8vva{j.(o<Te()t non dans 
le Christus occisus ou le dux venturus du y. 26, mais 
dans hebdomada una (Théodotion : UIo[l6lz pt^a)> et en- 
tendu au sens passif la seconde proposition : deficiel 
hostia.,. (Théodotion : otp6Ti<r6Tai...); elle ne varie guère 
non plus dans l'interprétation qu'elle donne de 1' al- 
liance », de la « cessation » du sacrifice, de V « abomi- 
nation » dans le temple (Théodotion : kiCi t^ {epôv ; 
S. Jérdme : in templo). V « alliance » que la dernière 
semaine voit s'affermir c en beaucoup », c'est la doc- 
trine de l'Évangile annoncée par le Christ et ses apô- 
tres : Jules Africain, d'après le Chronicon paschale, 
P, G., t. xcii, col. 40i; Origène, In Matth.; Eusèbe (la 
nouvelle alliance fondée sur les miracles); S. Éphrem; 
S. Chrysostome, In Dan., P. G., t. lvi, col. 2i0; Poly- 
chronius (réellement accomplies, les promesses de l'an- 
cienne alliance affermissent la nouvelle); Basile de Sé- 
leucie ; Théodoret (le Christ remplit de toute puissance, 
Svivà|i.e(«>; écTciair;;... ttXyipcotsi, ceux qui croient en lui); 
Bède et les auteurs du moyen âge qui le suivent 
constamment : les Gloses, Rupert de Deutz, Pierre le 
Mangeur, Alain de Lille (le faux), Hugues de Saint- 
Cher, Thomas Vallensis, Denys le Chartreux; autres 
auteurs : Fréculph, évéque de Lisieux (ix« siècle), Chro- 
nicon, P. L,, t. cvi, col. 1100; Albert le Grand, R. Mar- 
tin, Nicolas de Lyre, Jérôme de Sainte-Foi; les commen- 
tateurs et théologiens modernes. La « cessation » ou 
r c abolition » du sacrifice et de l'offrande (Théodofion : 
piou Ov^ta xai <xiiov8r, ; Tertullien : meum sactdficium et 
libatio) s'est opérée par « l'offrande du sacrifice de la 
croix » : Jules Africain; Eusèbe (par l'institution du 
sacrifice eucharistique); S. Éphrem; S. Chrysostome, 
Semi., v, adv.Judœos ;Polychronius, Basile de Séleucie, 
Théodoret, Anastase le Sinaïte (le faux) (qui lit a;rou8r,, 
«zèle, D et ajoute voiiixfj : l'observance de la loi mosaïque 



prend fin comme le sacrifice cultuel); Bède et ses si 
vants ; Fréculph, R. Martin, Nicolas de Lyre, Jérôi 
de Sainte-Foi; les modernes. Fulbert de Chartres e 
tend un peu différemment l'expression du vêtus saa 
dotium defecturum, Pierre Alphonse attribue pui 
ment au dénuement des Juifs après la ruine la cesi 
tion du sacrifice: non ^a6eren/ unde sacrificium face 
possent. V « abomination » a reçu des interprétatio 
plus diverses. Pour Tertullien, c'est la destructi 
même du temple, cxsecratio vastationis; pour Origè 
et saint Augustin, Ad Hesych., l'armée romaine ass 
géante; pour Eusèbe, Dem. ev., l'efficacité du sacrifi 
perdue, la statue de Tibère érigée dans le temple p 
Ponce-Pilale (d'après Josèphe, Ant. jud., XVIII, 1 
1; Bell, jud., II, ix, 2), la ruine de l'édifice sacré, 
statue d'Adrien élevée à sa place {In Luc, fragme 
dans la Catena de Nicétas, Mai, Script, vet. m 
coll., t. 1, p. 158); pour saint Éphrem, les enseigr 
romaines (images de l'aigle impériale et de l'emperei 
profanant le lieu saint; S. Chrysostome, Semu, v, ac 
Judœos; Conim. in Dan.; Homil. lxxv in Matth., n. 
P. G., t. LViii, col. 689, la statue d'Adrien ; de mêi 
Basile de Séleucie; Théodoret suit Eusèbe; Sévère d'A 
tioche, fragment dans Mai, op. cit., t. i, p. 213, opi 
pour la statue d'Adrien; B-^de reste vague; Frécul 
choisit la première interprétation d'Eusèbe : non f\ 
sacrificiuni Dei,sed cultus cfiafroH; Chrétien Druthrr 
(moine de Corbie, ix« siècle), In Matth., P. L., t. c 
col. 1456, hésite entre les statues de Tibère, d'Adric 
l'Antéchrist; Paschase Radbert ne se prononce pas : 
alio quolibet modo queat intelligi ; Pierre de Blois 
prononce pour l'inio^o Csesaris; Albert le Grand, po 
les sacrifices anciens rejelés et devenus ainsi abon 
nota; Nicolas de Lyre, pour la statue d'Adrien. I 
modernes ont fait leur choix parmi ces diverses accc 
tions et d'aucuns en ont proposé une autre : la pro 
nation du temple par les zélotes homicides qni avaie 
fait de cet édifice une forteresse depuis la 12* année 
Néron. Sébast. Barradas (I5i2-1615), C. Jansen, évêq 
de Gand (1510-1576), Jean Hessels (1522-1566), 
Matth., XXIV ; Baronius, Annal, eccles., Rome, 16i 
t. I, an. 68. Une interprétation parfaite, selon Comei 
de la Pierre, In Dan., joindra cette explication à ce 
d'Origène et d'Augustin. 

Remarques critiques. — Il est clair que dans 
ouvrages des Pères, l'exégèse des versets 25-27 n'a [ 
un caractère moins verbal que celle du f. 24, ét« 
fondée, non sur les rapports du contenu de ces vers 
avec leur contexte, mais d'abord sur la pure apparer 
des mots qui, dans les versions thcodotienne et hiéi 
nymienne, voire dans la version syriaque, sollicitai! 
à l'application messianique littérale de la prophétie, 
ensuite, chez beaucoup, sur la relation que quelqu< 
uns de ces mots établissaient alors aussitôt en 
l'oracle de Daniel et celui de Jacob, Gen., xlix, 
jugé également messianique au sens direct et liltér 
Par l'effet de cette double influence et de la suggesti 
opérée par le t- 24, les 62 semaines se trouvant, 
plus, ajoutées aux 7 premières sous la rubriq 
« jusqu'à... », ëw;, usque ad, des expressions comi 
XpioToO riyo'j{kiyovjChristum ducem,Tïe pouvaient p 
signifier que Jésus-Christ pour le grand nombre, y. 
Et ce caractère verbal de Tinterprétation traditionne 
est si réel que le même vocable hébraïque maii 
ayant été rendu, au f. 26, ici non plus par •/?«<" 
mais par yfiiayiA, là encore par Christus, l'exégèse 
partage immédiatement et suit docilement cette dou 
piste. Chez les Grecs, êÇo>o6peu^<TeTai XP'*'»** annc 
cera la fin du sacerdoce juif et aaronique pour 
demi-siècle soit avant, soit après le Christ. Chez 
Latins, occidetur Christus aura prédit la passion 
Sauveur; et alors qu'Augustin, à l'aurore du \^ siée 
n'aura point voulu, ni dans sa réponse à Hésychius, 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



90 



dans la Ciié de Dieu, 1. XVIII, c. xxxiv, P, L., t. XLI, 
col. 503, harmoniser ce trait avec une computation des 
semaines, ce n'est qu'au viii* siècle que Bède le Véné- 
rable pensera, dans une explication suivie et cohérente 
de la prophétie, en utiliser la force probante pour la 
messianité de celle-ci. Et Origène n'avouait-il pas la 
méthode en exigeant le mot Christo dans l'expression 
cum duce ventitro, si on voulait la rapporter à Jésus- 
Christ? Car cette dernière aussi, par le mot venturo, 
ipxopiivci), rapproché avec son socius duce,.., riyoM\Léyf<ù, 
du CkAstum duceni, du Xp«rroû i^yo^J\Lho^J du t. 25, 
attira fortement la tradition. Ce « chef à venir », qui 
pouvait-il être sinon le Christ que beaucoup déjà trou- 
vaient dans le dux de femore de la Vulgate, Gen., 
XLix, 10, et des LXX, 7)You{Aevoc ex tûv {XYipûv, dont 
Jacob avait dit : donec veniat qui mittendus es If 
higoumène divin que, ne le trouvant pas cette fois 
signalé par son caractère d'èpx^tiEvo; dans la Genèse, 
Isidore de Péluse cherche ailleurs et trouve dans les 
Psaumes et dans Michée. Dans ces conditions, c'est- 
à-dire le dux signifiant le Christ et, de plus, le mou- 
vement du texte allant, même à travers les versions, à 
faire du personnage signalé dans ce mot le sujet réel 
du t- 27, ce sujet devait encore être principalement le 
Christ. Bien peu, avant le v* siècle, sauf les eschalo- 
logues, y ont vu un persécuteur des saints et un pro- 
fanateur. Donc, exégèse verbale qu'acceptent encore 
les modernes. Les propositions du f. 24 ne pouvant 
convenir qu'au Messie, selon Corneille de la Pierre, 
loc.cit.ft. XIII, p. 117; Legrand, loc. cit., col. 195; Kna- 
benbauer, p. ^ sq. — la division faisant bloc, « 7 et 
62 » considérée comme un hébraîsme, cf. Corneille de 
la Pierre, t. xiii, p. 126; Legrand, col. 192-193, Christum 
duceni doit être le Messie ex illo ipso christi ducis 
noniine, parce que ce nom, ou ces noms {Christus, dux) 
lui sont donnés ici sine addito^ Legrand, col. 197-198; 
ou encore parce que le premier et le principal, Chri- 
stus, se retrouve an t- 26, accompagné du mot ocdde' 
tur, et que, chez les prophètes, Is., un; Lam., iv, 3, 
le Messie prmdicitur occidendus, Ibid,, col. 198. Mais 
sur quoi fonder ici l'antonomase? £t le rappel des 
prophètes Isaîe et Jérémie a-t-il plus de valeur réelle 
que celui des Psaumes et de Michée dans Isidore de 
Péluse? Que si les passages scripturaires, Jer., xxxi, 
31; Mal., i, 10, paraissent répondre à confirmabit pa- 
ctum et à deficiet hostia de la prophétie daniélique, 
Legrand, col.. 196-199, n'est-ce pas que, Titus ou 
Vespasien étant le dux du f. 26, et ces personnages 
ne pouvant, en tant que païens, rien de positif au 
fcedus novum, non plus qu'au nouveau sacrifice offert 
ab ortu solis u$que ad occasum, on soit contraint de 
revenir au Christ du f. 26 {redit Gabriel ad Christum 
de quo egit f. 25 et 26, Corneille de la Pierre, 
t XIII, p. 128), par l'effet d'une pure attirance verbale? 
En réalité, et en bonne critique, l'exégèse des ver- 
sets 25 et 27 peut être tout autre. Il sufHt pour cela 
que l'on ait confiance dans la coupe du t* 25 dans le 
texte hébreu et que l'auteur du livre de Daniel ait 
justement consacré un chapitre ou deux de son ouvrage 
à une explication authentique de la prophétie, différente, 
an sens premier, de celle qui prévaut encore aujour- 
d'hui. Que l'oint-prince du f. 25 doive apparaître après 
les 7 premières semaines, il ne peut plus être le 
Christ, et déjà disparaît ou se rompt le fil important 
qui, par une longue série d'années, nous conduisait dès 
l'abord et comme préventivement aux temps messia- 
niques. Que l'auteur ait manifesté clairement au c. x 
son intention d'expliquer au lecteur, au c. xi, les 
obscorités voulues des c. viii et ix, celui-ci contenant 
notre prophétie, immédiatement il faut laisser tomber, 
an moins à titre provisoire, les rapports plus éloignés 
de ces personnages avec leurs homonymes des autres 
livres bibliques, pour les chercher eux-mêmes, leurs 



noms, leur caractère et leurs gestes, parmi les réalités 
que signale à l'attention le développement explicatif 
des visions et des oracles. Supposons ladite intention 
clairement manifestée, voir col. 96 sq., il est impossible 
de ne point voir une équation parfaite entre € les 
troupes » qui, « sur l'ordre » d'Ântiochus Épiphane, 
« profanent », xi, 31, ce le sanctuaire..., y font cesser le 
sacrifice perpétuel, et y dressent l'abomination, > et le 
populus cum duce venturo qui, ix, 26, 27, dissipabit 
sanctuarium et, selon l'hébreu, & fera cesser le sacri- 
fice et l'offrande, » ce qui amènera « l'abomination » 
dans le temple. Au c. xi encore, il est dit qu'Ântiochus 
sera « hostile à l'alliance sainte i>, t- 28, qu'il sera 
« furieux contre elle »,t- 30, qu'il «séduira » les trans- 
fuges de cette alliance et s'en fera des partisans, t* 30, 
32 : nouvelle équivalence du a chef » qui, ix, 27, c fait 
alliance avec plusieurs, » ou, suivant une meilleure 
interprétation de l'hébreu, « fait trahir l'alliance 
(sainte) à plusieurs, v" Un « oint est extirpé, » ix, 26, 
et « l'oint » pour les temps qui suivent la captivité de 
Babylone c'est, dans l'idéal, la dynastie davidique re- 
vêtue d'un caractère messianique, Ps. cxxxii, 10; 
Lxxxix, 39-52; cxxxii, 17, etc., dans la réalité le grand- 
prêtre, Ps. Lxxxiv, 10; cf. Lev., iv, 3 sq.; vi, 15, héri- 
tier des prérogatives honorifiques et effectives de la 
royauté, Zach., iv, 14; actions de Simon I, Eccli., l, 1- 
23 ; il est ici ou détrôné, ou mis à mort. Or, l'explica- 
tion de la prophétie nous signale encore, xi, 22, « un 
chef de l'alliance (sainte) » brisé par Ântiochus, chef 
en qui beaucoup reconnaissent avec raison le grand- 
prêtre Onias III, dépossédé de sa charge, exilé, assas- 
siné. II Mach., IV, Sè-36. Enfin, reporté par la division 
du t* 25 aux temps daniéliques ou de peu postérieurs à 
l'époque présumée du prophète, à savoir à l'époque de 
ce Cyrus le Perse conquérant de Babylone ou des 
a deux oints », Zach., iv, 14, Josué fils de Josédec et 
Zorobabel fils de Salathiel : le premier, grand-prêtre, 
le second, gouverneur de Juda, les deux sous Cyrus 
déjà peut-être, sous Cambyse et Darius fils d'Hystaspe 
certainement, Âgg., i, 1, 12, 14; 11, 2,10,21; Zach., i,l, 
7 ; III, IV, r « Oint- prince », ix, 25, doit osciller, ainsi 
que l'ont bien compris Clément d'Alexandrie, J. Hila- 
rianus, saint Hippolyte et d'autres, entre ces trois per- 
sonnages : Cyrus, prince et roi des Perses, oint par le 
Seigneur pour « rebâtir Jérusalem », Is., XLV, 1,4, 5. 
13; Josué, oint « prince de Talliance » en qualité de 
grand-prêtre; Zorobabel, prince de la lignée davidique 
I Par., m, 17-19, oint idéalement dans le groupe mes- 
sianique constitué par cette, lignée. Que si l'on ne veut 
diviser l'hébreu au f. 25, ou si l'on s'étonne de ne point 
trouver au c. xi de passage corrélatif à ce verset, ou si 
l'on juge trop verbale encore la relation de 1' « Oint » 
avec des personnages bibliques comme Cyrus, Josué, 
Zorobabel pris en dehors du livre de Daniel, il reste 
que l'Oint ou sera le même personnage aux versets 25 
et 26, ou n'aura pas eu besoin d'explication, au juge- 
ment de l'auteur, parce qu'il indiquait pour l'époque, 
ou voisine, ou contemporaine de la prophétie, un 
homme, roi, prince ou prêtre, bien connu du lecteur 
et auquel revenait de droit divin, liturgique ou dynas- 
tique, la principauté. 

3» ConiputaHon des semaines, — 1. Depuis le ii« siè- 
cle de l'ère chrétienne jusqu'à la fin du moyen âge, les 
écrivains patristiques ou ecclésiastiques qui se sont 
occupés de la question n'ont pas érigé moins de vingt- 
deux systèmes plus ou moins différents les uns des 
autres sur la manière de compter les années figurées 
par les 70 semaines daniéliques, pour en faire cadrer 
le déclin avec les temps du Christ. Sont exclus de ce 
relevé général : Origène, qui allégorise et choisit 
comme point de départ de toute la série la création 
d'Adam et comme point d'arrivée l'an 35 environ de la 
ruine de Jérusalem; Julius Hilarianus, dont il sera 



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91 



DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



parlé col. 98, les eschatologues, les Jaifs et les au- 
teurs qui exposent bien différents systèmes, mais sans 
se prononcer en faveur d*aucun, tels G. le Syncelle, 
Hamartolos, Âdon, G. Cédrène. On peut néanmoins 
ramener ces computations diverses à deux grandes 
catégories : celles qui font aboutir les semaines à la 
ruine de Jérusalem, celles qui les arrêtent d'une façon 
générale à la mort du Christ. Chacune de ces catégo- 
ries aura naturellement ses subdivisions. — a) Dans la 
première, il convient de signaler d'abord, à cause de 
son caractère original, la computation de TertuUien 
qu'ont suivie Jules de Tolède, Pierre Damien, Pierre 
Maurice, Jérôme de Sainte-Foi. Le prêtre de Carthage 
compte les 70 semaines d'années à partir de « la pre- 
mière année de Darius » le Mède, ix, 1, confondu avec 
Darius Nothus; il partage la série, non en 7, 62 et 1, 
mais en 7 1/2 et 62 1/2, suivant un texte arbitrairement 
retouché au f.'iô : usque ad Christum ducem hebdo- 
madas septem et lxii et dimidiam; il place les 
62 semaines et demie avant les 7 semaines et demie, 
leur point de jonction coïncidant avec la naissance du 
Christ (an 41 du règne d'Auguste) ; la demi-semaine 
finale s'achève pour lui l'an 1*' de Vespasien par la 
ruine de Jérusalem; enfin il additionne la semaine, 
hebdomada r.v.4, et la demi-semaine, dimidia hebdo- 
madis (non : in dïmwio hebdomadis), dont parle le 
t. 27, et applique ces dix ans et demi sur la partie 
finale de toute la série pour aboutir également à la 
ruine de Jérusalem. On peut résumer ainsi toute l'in- 
terprétation : 70 semaines (62 1/2 et 7 1/2) sont accordées 
au peuple juif pour se refaire et attendre des temps 
plus heureux, s'il veut bien toutefois croire au Messie 
qui apparaîtra à cette époque. Mais Dieu savait bien que 
les Juifs ne croiraient point au Messie, mais le mettraient 
à mort. Il veut alors néanmoins l'annoncer, et il reprend : 
A la fin des 62 «emaine» 1/2 que j'ai diles,le Saint des Saints 
naîtra et sera oint; durant les 7 semaines 1/2 il soufl'rira 
et mourra; en punition du crime commis, la ville et le 
temple seront détruits à la fin des 7 semaines 1/2. — 
Peu d'écrivains ont, avec TertuUien et ses suivants, 
terminé exactement les semaines à la ruine de la ville 
sainte : nous comptons seulement, parmi les Pères, 
Clément d'Alexandrie et Isidore de Péluse, au moyen 
âge, Pierre Alphonse et Pierre de Blois. Pour Isidore, 
le point de départ estconstitué par l'autorisation donnée 
à Néhémie de relever les murailles de Jérusalem la 
20* année du règne d'Artaxerxès I*'. Les trois autres 
ont fixé ce point au début du règne de Darius le Mède 
(P. Alphonse, P. de Blois) ou de Cyrus (Clément). Le 
célèbre prêtre alexandrin fait coïncider probablement 
la fin des 69 premières semaines avec le baptême du 
Christ; Isidore, P. Alphonse et P. de Blois avec le com- 
mencement de la guerre juive, que celui-là date la 
7* année de l'empereur Claude, ceux-ci la lf« de Ves- 
pasien au moment où Titus apparut devant Jérusalem 
avec l'armée romaine. Ces auteurs (sauf Clément) ne 
détaillent pas autrement les semaines, même la der- 
nière; mais ils entendent que le Christ a paru au cours 
de ces semaines, comme l'a montré leur exégèse. On 
peut réunir à ce premier groupe les demi-eschatologues, 
Hippolyte, Ammonius, le pseudo-Cyprien, parallèles à 
Clément pour les 69 semaines; Brunon d'Asti (20« an- 
née d'Artaxerxès [II?] à la mort de Jésus). — b) Le 
second groupe ou catégorie qui renvoie la ruine de 
Jérusalem à quelque quarante (Titus) ou même cent ans 
(Adrien) après la clôture de' la période des semaines 
et qui ferme à peu près exactement cette période sur le 
Messie, voir col. 86-88, comprend d'abord un bloc 
d'écrivains traditionnels dont le système de computa- 
tion offre comme principale originalité d'avoir à sa base 
des années lunaires. Les 70 semaines ne font plus 
490 ans, mais seulement 475. Pour tous, sans exception, 
la série s'ouvre à la 20« année du règne d'Artaxerxès 



Longuemain ; mais pour les uns elle se clôt à 

du Christ (16« ou 18<* année de Tibère), pour les 

une « demi-semaine », à savoir 3 ans 1/2 aprè 

AfHcain, que suivent exactement Théodose de > 

et l'auteur anonyme du Tractatus contra Ju 

opine pour la 16* année de Tibère et compu 

se mettre en peine d'eipliquer le pourquoi des di 

7, 62 et 1. Bède le Vénérable et à sa suite les 

Raban Maur, Bridfert, Rupert, le Mangeur, le l'au 

H. de Saint-Cher, Thomas Vallensis, ont poussé 

la 18» année du successeur d'Auguste. Selon B< 

années sont lunaires, parce que adore viat.k s 

baptême du Christ coïncide avec le « milieu de 1 

nière) semaine », an 15 de Tibère. Sauf ce i 

détail, le petit groupe bédan se désintéresse éga 

de la division 7, 62, 1. — Il n'en est plus ains 

Théodoret, que suit Zonaras, Albert le Grand et 

le Chartreux. Celui-ci, cf. Jules Africain, Chro 

chaXe, se contente, il est vrai, de marquer h 

d'arrivée des 69 premières semaines au bapté 

Christ, le milieu de la 70« à la mort de Jésus, et 

de toute la série à trois ans et demi après le ci 

ment; mais l'évêque de Cyr et Albert intervei 

ainsi l'ordre des nombres : 62, 7 et 1. De la 20< 

d'Artaxerxès à Hyrcan II, le dernier grand 

asmonéen (Théodoret), ou jusqu'à la 19^ année a 

naissance de Jésus-Christ (Albert), 62 semaines; 

double point au baptême dans le Jourdain (15«^ 

de Tibère), 7 semaines; la dernière comme 

Théodoret donne la raison de cette interversion 

briel place le Christ immédiatement après Ies7sei 

(sw; Xpt<rrov...Éo5oaâ6e; éirrà, ponctuation de Vhi 

voilà le fait; mais si, partant du Christ, l'on re 

Tordre des temps, après les 7 semaines (avant, 

nologiquement) on trouve les 62; puis la subtil i 

etvai ôt;>.ov (!), oxi tàç iÇyjxovra 5uo l6So(j,à$a; irp 

-zixoLyjs, (àYY^^o;), celui-ci a dit : [letà rat; é68oji.à< 

Ur,xovTa 8uo é$oXo6p6vOTi*jeTat xpfcruia; sinon il 

dû dire iierà rà; 7 xai \U'k xà; 62. — c) Un grou 

aboutit de même à 3 ans 1/2 après la mort du ( 

qui dispose et compute de façon identique la de 

semaine, a comme chef de file Eusèbe de C^ 

Mais pour les 69 semaines 1 .usèbe compte de 

manières assez difl'érentes. Dans la première, 

suivent un auteur africain du v« siècle, Libeh 

genealogiis patriarchaimm, P. L., t. lix, col. l 

Andronicus, le savant apologiste de la Dénions 

evangelica ayant compris sous l'expression -/ 

YiYou{iEvo; toute la série des grands-prêtres juifs < 

l'exil babylonien jusqu'à la venue du Sauveur, p 

Josué, fils de Josédec, lequel « la première anii 

Cyrus )) inaugura ses fonctions de souverain sac 

teur par le rétablissement de l'autel des holoca 

I Esd., III, 2. La liste des grands-prêtres lui fouri 

éléments de sa chronologie avec le synchronism( 

mort d'Alexandre le Grand, contemporain de Jadd 

les dates données par I Mach., xvi, 14, et Jos 

Ant. jud,, XIII, VII, 4; x, 7; xv, 5; XX, x. Il : 

ainsi à la mort d'Alexandre Jannée et au règne 

veuve de ce dernier, Alexandra, changement qi 

pour effet d'accomplir la prophétie incluse da 

f. 25, voir col. 85, en divisant le sacerdoce 

royauté entre Hyrcan II et Aristobule, fils de Jann 

en préparant ainsi par les rivalités de ces deux pi 

Pintrusion, sous Hérode, de grands-prêtres illégit 

Dans sa seconde manière, révêquedeCésarée,seb 

sur les textes de Zacharie, i, 7, et 12, qui marquei 

la 2« année de Darius fils d'IIystaspe comme la 

nière des 70 années pendant lesquelles Jérusalem c 

rester en ruines, et rapprochant ces textes de Dan 

2, où le voyant de Babylone aurait eu l'intelligen 

cette date et de ix, 25, où Gabriel indique dai 

reconstruction de la ville sainte le tet^ûnus a qu 



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93 



DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



94 



70 semaines, choisit pour son point de départ la 6* an- 
née de Darius, voir sa Chronique, 1. I, c. xviii, 4, et 
atteint, de la 66« Olympiade à la 186*, an 4, la première 
année du régne d*Hérode,le icptbtocàXXo^uXo; (P(x<n>eûc) 
sous lequel la prophétie de Jacob, Gen., xlix, 10, plaçait 
la naissance du Messie. Ont suivi cette deuxième com- 
putation d'Eusèbe : Cyrille de Jérusalem, Prosper 
d*Aquitaine, Isidore de Séville, Fréculph et Sicard de 
Crémone, Chronique, P. L., t. ccxiii, col. 442. — 
d) Autres systèmes. Sulpice Sévère place le commen- 
cement des 69 semaines à la reconstruction du temple, 
â« année de Darius fils d'Hystaspe, confondu, lui aussi, 
avec Darius Nothus ou Ochus, et la fin à la ruine de 
Jérusalem par Titus sous Vespasien. Il ne dit rien de la 
dernière semaine. Polychronius fait courir 7 semaines 
de la 1^* année de Darius le Mède à la 2* de Darius fils 
d'H)*staspe; 62 de la 32^ d'Artaxerxès Longuemain à la 
naissance de Jésus (32« d*Hérode); la dernière de Fan 
15 de Tibère à 3 ans 1/2 après la mort du Christ. Basile 
de Séleucie Hxe le début des 69 semaines à Tan 28 de 
Xerxès, lafînà Tascension de J.-C.,19»année de Tibère; 
la dernière s'achève Tan 3 de Caius Caligula. Raymond 
MaWin, que suit Paul de Burgos, remonte à la 4« année 
de Sëdécias, Jer., xxix, 10, 14; xxx, 18, voit de grands 
mystères dans la division 7, 62, 1, et finit, avec les 
Gloses, à la mort du Christ, 18« de Tibère. Après avoir 
admis une computation parallèle à celles de Théodoret 
et d* Albert le Grand, sauf l'interversion 62, 7, Nicolas 
de Lyre revint à celle de Raymond, mais seulement 
quant à ses points extrêmes. Toute la série, ou plutôt la 
somme des 70 semaines commence bien la 5* année de 
Sédécias, six ans avant la destruction de Jérusalem par 
les Chaldéens; mais les 7 semaines dont l'ange parle 
d'abord ne commencent que Tannée de la destruction, 
six ans donc après le point de départ de la somme 
totale. Ces six années forment le début des 62 semaines 
interrompues alors entre leurs 6« et 7« années par l'in- 
tercalation des 7 semaines. 

2. Ainsi que les anciens et les écrivains du moyen 
âge, les modernes qui rapportèrent la fin des 70 se- 
maines d'une façon générale au temps du Christ, en 
firent coïncider le début avec un décret (ou des lettres 
royales) émanant d'un monarque perse (la Bible men- 
tionne quatre de ces édils : celui de Cyrus, I Esd., 
I, 2 sq.; celui de Darius, fils d'Hystaspe, I £sd., vi, 
Isq.; celui d'Artaxerxès Longuemain,! Esd., vu, 11 sq.; 
celui du même Artaxerxès, II Esd., ii, confirmé, vi, 15) 
touchant la reconstruction de la ville ou du temple de 
Jérusalem, de préférence à une pi*ophétle antérieure 
au temps du retour ayant le même objet (la Bible 
mentionne sept de ces prophéties : Is., xliv, 28; xlv, 
13; Jer., xx\ii, 16 sq.; xxix, 14; xxx, 18; Bar., ii, 34; 
I?, 23 sq.). Quelques catholiques, Calvin, Prœlecliones 
in Dan., et l'anglais Jean Lightfbot, Chronique, ont fixé 
le terminus a que des semaines, comme Clément 
d'Alexandrie et Eusèbe (première computation), à la 2* 
on à la 1r« année de Cyrus. I Esd., i, 2 sq. Les pro- 
testants Scaliger, De emendatione teniporum, EpilO' 
giêm. hebdom. Danielis, et Jean Driesche (Drusius), 
xvi«-xvn« siècle, Natte in Sulpitium, se sont prononcés 
pour la 2* année de Darius Nothus, mais sans partager 
l'erreur de Sulpice Sévère. La 2« ou la 6« année de 
Darius, fils d'Hystaspe, I Esd., vi, 1 sq., seconde ma- 
nière d'Eusébe, a eu ses partisans dans Corn. Jansen 
(Jansenins) de Gand, xvi« siècle. Concorde des évangé- 
listes, et Jean Driedoens (Driedo), xv«-xvi« siècle, De 
Scripturis et dogmatibus. Une computation, qui pou- 
vait passer pour « nouvelle » au xvii» siècle et qui est 
acceptée^ par Corneille de la Pierre, In Dan,, ix, 25, 
bien qu'elle ait eu pour auteurs des « chronologues 
hétérodoxes », dont Louis Cappel, Chronologia sacra, 
Paris, IG55, se fondait sur le décret mentionné, I Esd., 
VII, 11 sq., et rapporté à la 7« année du règne d'Ar- 



taxerxès, à dater de la mort de Xerxès. Cf. Jacques 
Ayrault (Ayrolus), xvii« siècle, Lib, 70 hebdomadum 
resignatus, l'anglais Humphrey Prideaux (Pridaeus), 
Historia Judœorum, 1. V. Mais la 20« année d'Artaxerxès 
Longuemain, II Esd., ii, devait surtout retenir l'atten- 
tion des modernes comme elle avait fait celle des 
anciens. Entre cette date (à première vue 445 avant 
Jésus-Christ) et celte de la mort du Sauveur considérée 
comme la dernière année de la série des semaines 
(la 490«) ou la 4« de la 70« semaine {in dimidio hebdo- 
madis, la 487«), la somme des années prédites se trou- 
vait contenir un excès variable d'au moins huit années. 
Afin de restreindre l'intervalle aux limites nécessitées 
par la croyance, on remet en avant les années lunaires. 
Cf. Pereira, In Dan./ Augustin Torniel (Tomiellus), 
Annales sacri et profani, Anvers, 1620; Huet, Denion- 
stratio evangelica, Paris, 1679, prop. ix, c. viii, n. 9. Ou 
bien, si l'on tient aux années solaires, on relève la 
20* année d'Artaxerxès, soit en augmentant arbitraire- 
ment la chronologie des successeurs de ce prince, 
Galatinus, De arcanis catholicœ veritatis, 1. IV, c. xiv, 
Orthonse-Maris, 1518; soit en le faisant régner huit ans 
plus tôt, Jacques Usher (Usserius), Annales V, et A*. 
Test,, Londres, 1650-1654, an. 474 et 454 avant Jésus- 
Christ; Claude Lancelot, Chronologie sacrée, dans la 
Bible de Vitré, Paris, 1662, c. xx; Bossuet, Discours 
sur Vhist, universelle, I" partie, 8« époque. D'autres, se 
fondant sur le témoignage d'historiens anciens, Thu- 
cydide, De bello pelop,, 1. I; Plutarque, Vitœ (Thémis- 
tocle); Corn. Nepos, Vitœ (Thémistocle); Diodore de 
Sicile, Biblioth. historica, part. 11, associent Artaxerxès 
au gouvernement de Xerxès son père la 5<^ année de 
celui-ci, soit Tan 480 avant Jésus-Christ, et comptent à 
partir de cette date sa 20« année, qui tombe alors l'an 
460; mais comme les paroles de l'ange ab exitu ser- 
rnonis doivent, pense-t-on, s'entendre de la reconstruc- 
tion effective de Jérusalem et qu'il a fallu trois ans 
pour qu'elle fut opérée, Josèphe, Ant. jud,, 1. XI, c. v, 
les semaines d'années ne commencent à courir que l'an 
23 d'Artaxerxès, soit l'an 457 avant Jésus-Christ, et se 
terminent exactement l'an 33 de notre ère, une « demi- 
semaine » après la mort du Christ. Cf. Jacques Tirin, 
Chron, sacra, c. xxxviii; Nicolas Abram, Phat^s Vet. 
Test., dans Menochius, Commentarii, édit. Tourne- 
mine. Tournemine a légèrement corrigé ce système on 
faisant associer Artaxerxès au gouvernement la 7< année 
de Xerxès; les semaines commencent vingt ans après. 
Mais Petau, Opus de doctrina teniporum, l. X, c. xxv; 
Hationariuni temporum, part. II, 1. III, c. x; Dog- 
mata, De incaimatione, 1. XVI, c. viii, et Pierre Pous- 
sines (Possinus), Dissertatio, dans Menochii suppl. de 
Tournemine, avec ou après eux beaucoup d'autres, Noël 
Alexandre, Hist. eccl., Paris, 1730, t. ii, diss. II; Louis 
Legrand, De incaimatione, 1754, diss. II, c. i, a. 2, 
§ 2, etc., ont descendu encore jusqu'à la 10« ou même 
la 12« année de Xerxès l'accession au pouvoir de son 
fils Artaxerxès; la première semaine s'ouvre l'an 454 
avant Jésus-Christ, la dernière finit l'an 37 de notre 
ère, le Christ étant mort l'an 33. Très peu d'auteurs 
catholiques modernes ont suivi H. Martin ou Nicolas de 
Lyre (seconde manière) en fixant le terminus a quo 
des semaines à quelque prophétie antérieure à la cap- 
tivité. Citons seulement, d'après Corneille de la Pierre, 
Vatable, Annotationes, et Galatinus, op. cit., 1. IV, 
c. XVI, contrairement à l'opinion formulée au c. xiv. 

3. Les contemporains laissant également de côté les 
décrets de Cyrus et de Darius, fils d'Hystaspe, se sont 
prononcés en général pour l'un ou l'autre édit d'Ar- 
taxerxès. Pour l'édit rendu en faveur d'Esdras, I Esd., 
VII, c'est-à-dire pour la 7« année d'Artaxerxès, soit, non 
plus l'an 457 (Cappel, Corneille de la Pierre, Ayrault, 
Prideaux), mais l'an 454 après rectification, la 69« se- 
maine finissant l'an 29 de notre ère au baptême du 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



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Christ, el la mort de Jésus tombant l'an 33 : Delaltre, 
De Vauthenticité du livre de Daniel, dans la Revue 
catholique de Louvain, 1875; Neleler, Die Zeit der 
10 Jahrezwochen Daniels, dans Tûbinger Quartal- 
schiHft, 1875, p. 133 sq.; Palmer, Conimentatio in 
Dan.,Rome,1874; Rohling, i)a«Buc/t des Proph.Dan., 
Mayence, 1876, p. 270 sq.; Corluy, Spicilegium, Gand, 
1884, t. I, p. 498 sq.; chez les protestants conserva- 
teurs, Auberlen, Der Propfiet Daniel, Bàle, 1874, 
p. 123, et autres. Cf. Zockler, Der Prop. Dan., Leipzig, 
1870, p. 189. Pour Tëdit rendu en faveur de Néhémie 
la 20« année d'Artaxerxès, associé au gouvernement de 
son père Tan 480 avant Jésus-Christ, mais à partir tou- 
tefois de la reconstruction eflective de Jérusalem (an 
458/457, cf. Tlrin, Abram, Tournemine) : Stavvars, Die 
Weissagung Daniels, dans Tûbinger Quartalschrift, 
1868, p. 416 sq. Pour la 20« année coïncidant avec Tan 
454 avant Jésus-Christ (cf. Petau, etc.):Dereser, AHioli, 
Trochon dans leurs commentaires de Daniel; Bade, 
Christologie des alten T^st., Munster, 1862, t. m, fasc.2; 
Reinke, Die messian. Weissagungen, Giessen, 1862, 
t. IV, fasc. 1 ; G. K. Mayer, Die messian. Prophezien des 
Daniels, Vienne, 1866; Palmieri, De veritale historica 
libH Judith aliisque SS. locis, Appendix, Gulpen, 1886; 
Hebbelynck, De auctoritale historica libri Daniel is, 
Appendix, Louvain, 1887, p. 347 sq.; chez les protes- 
tants, Hengsten berg, Z>i6 Authentiedes Daniel, Berlin, 
1831. 

Remarques critiques. — Tous les systèmes tradition- 
nels de computatiou des semaines daniéliques ci-dessus 
énumérés semblent reposer en dernière analyse sur la 
présomption antécédente que la prophétie se rapporte 
directement an Messie, présomption dont ils paraissent 
bien être Tinférence plutôt que les prémisses. On part 
sans doute de la « parole pour rebâtir Jérusalem », t- 25 ; 
mais on s'étudie à faire aboutir au Christ, parce qu'on 
y doit aboutir sur les données verbales des versets 24- 
27, voir col. 81, 84-86, la computation que l'on est censé 
avoir érigée sur la date présupposée de cette parole. 
Quelle qu'ait été la date choisie, 4« ou 5« année de 
Sédécias, 1": de Darius le Mède, \^ ou 2« de Cyrus, 
6«de Darius, fils d'Hystaspe, 7« ou 20« d'Artaxerxès, voire 
Ire ou 2« de Darius Nothus, les interprètes ont toujours 
conduit leurs calculs au temps de la mort de Jésus, 
encore qu*ils aient dû, pour y panenir, user d'arbitraire 
comme Tertullien, Théodoret, Albert le Grand et Nicolas 
de Lyre, dans la disposition des séries de semaines, ou 
comme Galatin, Usher et Bossuet, dans la chronologie 
des rois de Perse; recourir à l'hypothèse certainement 
erronée d'une computation juive par années lunaires, 
comme tous les suivants de Jules Africain et de Bède; 
admettre surtout entre les séries 7 et 62, ou principa- 
lement entre la 69* et la 70* semaines, des intervalles 
parfois fort longs que ne suppose nullement le discours 
de l'ange, ainsi particulièrement Polychronius et Eusèbe 
avec son école dans ses deux manières, sans parler de 
la confusion toujours latente entre les Darius. L'opi- 
nion maintenant la plus accréditée chez les théologiens 
catholiques depuis les travaux de Petau, et qui semble 
si bien assise, du moins au premier regard, ne parait 
pas échapper plus que ses aînées au grave soupçon de 
la pétition de principe : on continuera à refuser toute 
considération à l'hypothèse d'un terminus a que des 
semaines coïncidant avec la date d'une parole prophé- 
tique antérieure au temps du retour, parce qu'on voit 
immédiatement l'impossibilité d'atteindre ainsi l'époque 
<:ontemporaine de Notre-Seigneur. Que si l'on fait 
abstraction de cette époque et si l'on veut s'en tenir 
d'abord aux simples et tout objectives données des 
textes, la solution rejetée parait de suite gagner beau- 
coup en probabilité. L'annonce des 70 semaines, ji. 24 sq., 
est, sans que le moindre doute puisse être élevé sur la 
question, étroitement liée aux méditations de Daniel sur 



une « parole » du Seigneur à Jérémie le prophète rela- 
tivement au nombre des années de la captivité, lequel 
« nombre » était de « soixante-dix >, t* 2; car c'est à ce 
sujet que le voyant de Babylone va recevoir communi- 
cation d'une nouvelle « parole », parole « sortie y> de la 
bouche divine précisément durant la prière qu'il fit à 
la suite de ses méditations, f. 23. Et la pointe du dis- 
cours aussi est en ceci : la parole dite à Jérémie faisait 
savoir que Jérusalem « resterait en ruines 70 ans du- 
rant i>, t. 2 : la parole dite à Daniel apprend à celui-ci 
que les a soixante-dix ans i> sont devenus « soixante- 
dix semaines » d'années, non plus a de ruines » assu- 
rément, mais de relèvement, mais de pardon. Or, de 
quel moment ces semaines commencent-elles à courir? 
« Du moment où il « est sorti » une c parole que Jéru- 
salem serait rebâtie », f. 25. Et que peut être main- 
tenant cette « parole » dans un tel contexte, sinon une 
autre prophétie « sortie » également de la bouche di- 
vine et à chercher dans le passé, là même où Daniel 
avait déjà trouvé la «c parole des soixante-dix années », 
dans a les livres », dans la collection des « paroles de 
Jahvé » qu'est en réalité le livre de Jérémie, livre presque 
entièrement composé, on le sait, de morceaux prophé- 
tiques à l'en-tête desquels on trouve plus de quarante 
fois en manière de titre la formule presque invariable : 
« Parole de Jahvé à Jérémie lepropfiète. » Le passage, 
Jer., XXX, 18; xxxi, 38, remplit toutes ces conditions. 

Si maintenant l'oracle des semaines est déjà un déve- 
loppement grefl'é sur la « vision » du c. viii, comme il 
parait bien aux paroles de l'ange, ix, 24 : « Sois attentif 
à la parole et comprends la vision, » paroles manifes- 
tement concordantes à la réflexion de Daniel parlant à 
la première personne, viii, 27 : « Je restais bien étonné 
de la vision, » de cette vision du c. viii qui c se rappor- 
tait à des temps éloignés », t. 26; si cet oracle a, par une 
conséquence obligée, pour objet propre et premier de 
fixer et de détailler ces temps éloignés; si les c. x et 
XI sont, à leur tour, une nouvelle satisfaction donnée 
à la légitime curiosité du voyant, qui « dès le premier 
jour avait eu à cœur de comprendre », x, 1 2, et s'était 
« humilié » devant Dieu, cf. ix, 3-20; si, au cours des 
nouvelles visions mentionnées dans ces c. x et xi, Da- 
niel eut précisément «c Tintelligence », entière cette 
fois, de la vision, x, 1, de celle du c. viii et déjà me- 
surée, supputée en semaines d'années, vu qu'elle «con- 
cernait la suite des temps » où il a devait arriver » 
quelque chose de remarquable « à son peuple », x, 14; 
cf. IX, 24 : « 70 semaines ont été fixées sur ton peuple...; » 
si les événements marqués au c. xi ont bien donné au 
prophète cette pleine «c intelligence » qu'on lui avait 
promise, x, 14, 21 ; xi, 2, comme l'expression de la 
« vérité » même ; si enfin, quelques détails de ces évé- 
nements vont s'appliquant, par la force des choses, par 
l'effet de ce mouvement des paroles et des visions pro- 
gressant en plus grande clarté, sur les traits histori- 
ques servant au c. ix, 25-27, de points d'articulation aux 
séries de semaines, 7, 62, 1, une demi-semaine, voir 
col. 89-90, et si ces détails se réfèrent à des temps anté- 
rieurs à ceux du Sauveur, aux temps enfermés par- 
l'interlocuteur de Daniel, x, 16 sq., entre la 3« année de 
Cyrus, cf. x, 1, avec xi, 2, el la mort d'Antiochus IV 
Épiphane, il est clair que les soixante-dix semaines 
d'années sont elles-mêmes à enfermer, dans leur total 
et leurs subdivisions, entre la « parole » adressée à. 
Jérémie sur la fin du règne de Sédécias et la «i ruine » 
du prince syrien persécuteur des Juifs sortis depuis- 
longtemps de captivité. Ainsi apparaissent moins pro- 
bables, dépourvus qu'ils sont de références réelles avec- 
le contexte de l'oracle des semaines, les deux terminus 
de ces semaines, préférés par la tradition : la 20« année 
d'Artaxefrxès, la mort du Christ. Du reste, i\ est beau- 
coup plus logique d'admettre que, à l'annonce des se- 
maines, à l'exposé de leur distribution, l'esprit divt^ 



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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



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Toyant de Babylone s'attacha de préférence, pour en 
bien saisir les rapports avec l'histoire de son époque, à 
des notions déjà fomiliéres telles que les paroles dites à 
Jérémie le prophète, plutôt qu*à de futurs édits dont il 
ne pouvait avoir à ce moment aucune connaissance 
naturelle, et dont Tange Gabriel ne lui a donné ou le 
« fils de rhomme » du c. x, 16 sq., ne lui donnera 
aucune connaissance prophétique. De même pour les 
rapports de Toracle avec Thistoire de Ta venir, Daniel 
dut c avoir à cœur de la comprendre », cette histoire 
encadrée qu'elle était maintenant par la chronologie des- 
dites semaines, en se référant d'abord à «la vision du 
c. VIII dont cette chronologie devait lui préparer l'intel- 
ligence, IX, 22, 24; x, 1, etc., et dont une explication 
sommaire lui avait déjà été donnée, m, 13 sq., et en des 
termes que tous les interprètes, sans exception, recon- 
naissent viser spécialement l'époque d'Ântiochus Épi- 
phane. Car, aussi bien, s'unissent, se compénètrent, 
s'identifient, du c. vu an c. xii du livre, dans un ordre 
à peu prés constant, pour définir à chaque nouvelle fois 
un seul et même objet prophétique, à savoir les événe- 
ments fâcheux qui doivent signaler à Jérusalem et dans 
toute la Judée les dernières années du prince syrien, 
nombre de traits qui ne peuvent raisonnablement, à si 
peu de distance les uns des autres, signifier des choses 
différentes. Ainsi \sl guerre et la dévastation qui fondent 
sur le peuple des saints et sur la cité, cf. vii, 21 ; viii, 
24, 25; IX, 26; XI, 31, 3a54; V hostilité du prince étran- 
ger à l'égard de l'a/liature d'Israël avec Jahvé, cf. ix,27a; 
XI, 28, 30, 32 ; la cessation ou plutôt Vabolition du thd- 
mid ou sacrifice perpétuel, cf. viii, 41, 13; ix, 276 ; xi, 
31; XII, 11, et aussi Exod., xxix, 38-42; V abomination 
du prince dévastateur substituée, dans le temple, à Vof- 
frande quotidienne, cf. viii, 13; ix, 27c; xi, 31; xii, 1 1 ; 
la durée de ces épreuves, évaluée à trois ans et demi 
environ, cf. vu, 25; viii, 14; ix, 276; xii, 7, 11-12; la 
chute lamentable du persécuteur, cf. vu, 26 ; viii, 26 ; 
IX, 26c, 27 d; XI, 45; Varrêté ou décret divin par l'effet 
duquel sont arrivées et la guerre faite aux saints et la 
mine du prince, cf. ix, 26d,27d; xi, 33; le temps de la 
fin où doit cesser la persécution et commencer le règne 
de la justice étemelle, cf. viii, 17-19 ; ix, 26 d; xi, 27, 35- 
36, 40 ; XII, 4, 9, 13. II est vrai que l'intervalle compris 
entre les dernières années de Sédécias et la mort d'An- 
tiochus devient alors trop court et ne peut que laisser 
déborder d'au moins soixante-cinq les 490 années des 
semaines (589, 10» année de Sédécias — 164, mort d'An- 
tiochus = 425). Mais il n'est pas bien sûr que ces 
490 années doivent être prises, non plus que leurs sub- 
divisions 49 (sept semaines), 434 (soixante-deux se- 
maines) et 7 (une semaine), pour autre chose que des 
nombres ronds, approximatifs. Les soixante-dix ans de 
Jérémie, xxv, 12, dépassent aussi de vingt ans la pé- 
riode réelle de la captivité (586, prise de Jérusalem — 
536, édit du retour = 50). Les nombres 7, 70 sont, dans 
les textes bibliques, plutôt symboliques; cf. seulement 
Lev., XXVI, 27-^, passage auquel se réfèrent, du reste, 
les versets 11 et 13 de la prière de Daniel, comme pour 
faire pressentir la conversion des 70 ans de Jérémie en 
70 années sabbatiques ou semaines d'années; puis 
Matth., xviii, 32, etc. Dans l'explication de la prophé- 
tie des semaines donnée au c. xi, le « fils de l'homme », 
enfin, laisse de côté toute chronologie précise et se 
contente de rattacher les événements à la série des 
principaux rois étrangers qui doivent occuper la scène 
de l'histoire, de Cyrus à Antiochus lY. 

111. Interprétation critique. — 1* Son histoire, — 
1. Dans l'antiquité, — Dès avant Jésus-Christ, l'oracle 
des semaines fut rapporté aux temps d'Antiochus Épi- 
phane indépendamment de l'explication qui paraît bien 
en avoir été donnée aux c. x-xii du livre. Voir plus 
haut. Peut-être l'auleur de la section rv du livre 
dHénoch, lxxxv-xc, n'a-t-il partagé en 70 périodes le 

DICr. DE THÉOL. CATH L. 



temps écoulé depuis la captivité jusqu'au soulèvement 
machabéen, lxxxix, 59; xc, 14, que pour se mettre à 
l'unisson d'une tradition juive qui enfermait les 70 se- 
maines dans le même espace de temps. Voir F. Martin, 
Le livre d'Hénoch traduit sur le texte éthiopien, 
Paris, 1906, p. 218. Mais un document de première 
valeur qui accuse sûrement cette tradition, c'est la 
version alexandrine des versets 24-27 du c. ix, bien 
qu'elle présente une grande divergence dans les indi- 
cations chronologiques de ces versets par rapport au 
texte hébreu. Dans celui-ci, il est constamment ques- 
tion de semaines d'années, tandis que, dans la traduc- 
tion grecque, l'expression de « semaine » d'abord n'est 
conservée qu'aux versets 24 et 27 et ensuite doit s'en- 
tendre, en ces deux passages, de semaine de jours, à 
côté d'autres données chronologiques ayant gardé, 25, 
26, la signification première d'années. D'après ce com- 
plexus nouveau, l'exil doit durer 70 semaines encore, 
soit un an et quatre mois à partir de la première 
année du règne de Darius le Mède; puis s'accompliront 
tous les oracles antérieurs, et celui de Jérémie en par- 
ticulier, par le rachat spirituel du péché et le relè- 
vement de la ville sainte. Daniel lui-même contribuera 
à ce relèvement (olxoôopuQo-eiç, 25). Cependant il y aura 
dans l'avenir une autre reconstruction après une autre 
dévastation, à savoir dans 139 ans {\Ltxa 77 xaipoùç %a\ 
62 Xtt)), que l'on doit compter très probablement de 
l'an 312 avant notre ère, soit de l'an l*'' de l'ère des 
Séleucides. Ainsi nous tombons en pleine persécution 
religieuse organisée dès l'an 170 contre les Juifs par 
Antiochus IV. Aussi le Daniel alexandrin voit-il successi- 
vement l'onction sacerdotale légitime disparaître (àico- 
<rra6r,<jcTat yptcrjjia) avec Onias lll, l'armée syrienne sac- 
cager la ville et le sanctuaire, l'autel des holocaustes 
profané, le sacrifice quotidien interrompu, puis enfin 
l'alliance rétablie pour longtemps (KaTi<jxu<Tat ttjv 5ta- 
ÔYjxr.v £711 7coX).àc èS5o|xdt5xç). V. Fraidl,2>te Exégèse der 
10 Wochen, p. 4-21; Bludau, Die alex, Uebersetzung 
des B. Daniel, p. 104-130. 

Dans l'antiquité chrétienne, seuls Julius Hilarianus 
(fin du iv« siècle) et quelques exégètes contemporains 
de Théodoret, In Dan., P, G., t. lxxxi, col. 1256 sq., 
ont émis sur Dan., ix, 2i-27, des conclusions semblables 
à celles des critiques modernes. Hilarianus, De dura- 
liane mundi, P. L., t. xiii, col. 1097 sq., compte les 
7 premières semaines de l'an l»"" de Darius le Mède 
(la 21» de la captivité) jusqu'à l'an l^^de Cyrus le Perse 
(la 70» de la captivité); le Christum ducem du î^, 25 est 
Zorobabel, qui « ramène le peuple juif de Babylonie » 
en Judée. Les 62 semaines finissent l'an 141 de l'ère 
des Séleucides (171 avant Jésus-Christ; Vunctio ou 
Xpîdixa du y, 26 est ou bien le sacerdoce, ou bien l'en- 
semble du culte du vrai Dieu. Au milieu de la dernière 
semaine qui se termine l'an 148 (164 avant Jésus-Christ), 
Antiochus interrompt le sacrifice et dresse sur l'autel la 
statue de Jupiter Olympien (l'abomination). Selon 
l'évéque africain, Darius le Mède aurait donc régné 
49 ans, et la première année de Cyrus serait non pas 
l'an l^r de la prise de Babylone, mais de son élévation 
au trône des Perses : les 30 années du règne total de 
Cyrus seraient à compter dans les 62 semaines. Pour 
atteindre l'an 141 des Séleucides, Hilarianus augmente 
de 33 années la réelle durée de l'empire perse, et de 
11 à 12 celle de la période gréco-syrienne. 

2. Le xvi« siècle vit renaître le système dans les ou- 
vrages des théologiens Sixte de Sienne, Bibliotheca 
sancta, 1. VIII, liaer. xii, Venise, 1556, p. 1040, et de 
William Hessels, van Est (Guill. Estius) j Annotationes 
in prœcipua ac difficiliora sac. Script, loca, Anvers, 
1699, p. 374-375. Au xvii«, le chevalier Jean Marsham, 
Chronicus canon œgyptiacus, etc., Londres, 1672, 
sxc. XVIII, le reconstruisit sur le plan que lui avait 
donné J. llilarianus; sauf que les 62 semaines com- 



IV. - 4 

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DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



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mencent à la ruine de Jérusalem, 21 ans avant le point 
initial des 7 premières semaines (an 21 de la captivité) 
qui leur sont alors parallèles. Jean Hardouin, De lxx 
hebdomadibus Danielis, dans Opéra selecta, Amster- 
dam, 1705, p. 880-903, fit partir du même point la 4* an- 
née de Jojakim, Jer., xxv, les deux séries 7 et 62; la 
première finit en 557 lorsque Cyrus accède au trône des 
Mèdes conquis, la seconde en 172 lorsque Judas Ma- 
cliabée (autre Christum ducem, f. 25, commence à faire 
parler de lui; le Christus occistis du t. 26 est bien le 
Messie, mais figuré dans Onias lil mis à mort l'an 171 , 
au cours de la &• semaine, laquelle se trouve être aussi 
la 70«; les ravages d'Antiochus Épiphane sont également 
figuratifs : ils annoncent ceux de Titus. Au xviiP siècle, 
dom Augustin Calmet, Dissertation svr les 10 se- 
maines de Daniel, àmus Commentaire littéi'al, 2« édit., 
Paris, 1726, t. iv, p. 614-621, rejette les systèmes de 
Marsham et de Hardouin. Les 70 semaines commen- 
cent l'an de la ruine de Jérusalem prise par les Chai- 
déens, et le Christum ducem des 7 premières semaines 
est Cyrus; Cyrus renvoie les captifs, et c'est alors que 
se réalisent les biens promis au f. 24 : les Juifs désor- 
mais n'adoreront plus les idoles. Dieu oubliera leurs 
infidélités passées, le temple est reconstruit et recon- 
sacré. Les 62 semaines courent de cette époque au 
meurtre d'Onias IH. Le reste de l'oracle s'applique au 
temps d'Antiochus IV. Et c'est Calmet qui reconnaît et 
affirme que les c. vii-xii du livre de Daniel n'ont au 
fond qu'un seul grand objet : faire savoir au prophète 
ce qui devait arriver au peuple juif et aux nations de 
l'Orient depuis le règne de Cyrus jusqu'à celui d'An- 
tiochus Épiphane. 

Les critiques protestants modernes et contemporains 
se tiendront généralement dans le cadre tracé par 
Marsham, Hardouin, Calmet, insuffisant à contenir les 
490 ans des 70 semaines si l'on ne rabat les sept pre- 
mières sur les 62. Seul Bœhmer, Deutsche Zeitschrift 
fur Chris tl. Wissenschaft, 1857, p. 39 sq., a voulu comp- 
ter ce total et en a reculé l'année initiale jusqu'en 654 
avant Jésus-Christ, date supposée du retour du roi 
Manassé, II Par., xxxiii, 13 : cette date est arbitraire- 
ment choisie; les deux autres sont 605 et 171, la série 
finit l'an 164. Beaucoup supposent parallèles et partant 
du même point les deux séries 7 et 62, quoique ce point 
de départ ne soit point, chez tous, uniforme, et que 
Ton trouve d'étranges computations qui prennent à re- 
bours les 7 premières semaines, et placent l'Oint du t- 

25 en arrière, avant le temps de la captivité. Comptent 
les 62 semaines et les 7 semaines, dans le sens paral- 
lèle et convergent, de la a parole » de Jérémie, xxv, 
aux temps d'Antiochus : C. Wieseler, Gôlt. gel, A nteigen, 
1846, p. 43 (an 606-172 ou 175; l'Oint des versets 25 et 

26 est Onias III); Hitzig (définitivement), Das Buch 
Daniel, 1850 (606-172; Oint du t- 25 = Cyrus (536) ; Oint 
du f. 26= Onias); Meinhold, Das Buch Daniel, 1889, 
et Behrmann, Das Buch Daniel, 1894 (comme Hitzig), 
de la ruine de Jérusalem contemporaine de la « parole 
de Jérémie, xxxii; Henri Corrodi, Kritisehe Geschichte 
des Chiliasmus, 1781, t. m, p. 253 sq. (an. 588-170; 
rOint du f, 25 était bien le Messie qui n'est pas venu au 
temps fixé, celui du f. 26 est Onias) ; von Lengerke, Das 
Buch Daniel, 1835 (588-536, Oint = Cyrus; 588-220, 
Oint = Séleucus Philopator (!) empoisonné par Hélio- 
dore l'an 175 avant Jésus-Christ; la 70* semaine avait 
commencé en 178). Comptent les 62 semaines et les 7 
semaines dans le sens parallèle mais divergent : 
G. Eichhorn, Die hebr. Prophetenf 1816-1819, t. m, 
p. 47 (les 62 semaines courent de l'an 606, Jer., xxv, à 
l'an 165, purification du temple par Judas Machabée, 
les 7 semaines partent de l'an 536, édit de Cyrus, et 
remontent en arrière jusque vers l'an 588, l'Oint du t. 25 
étant NabuchodonoFor(!); la 70* semaine est comprise 
entre les dates 170-165, avec l'Oint du >. 26 identifié à 



Onias III}; Ammon et le docteur Paulus (comme Eich- 
horn), sauf que Paulus date ainsi les 62 semaines : 588- 
154, identifie l'Oint du ^. 25 avec Sédéclas, celui du t. 26 
avec la souveraine sacrificature entre Onias^et Jonathan, 
et fait commencer la 70» semaine l'an 175 avant Jésus- 
Christ. Beaucoup aussi, reportant à l'époque mâcha- 
béenne la composition du livre de Daniel, gardent l'ordre 
continu 7 -H 62 -h 1, et attribuent simplement à un 
calcul inexact de l'auteur mal renseigné sur le temps 
écoulé depuis l'exil l'écart si considérable de la corn* 
putation daniélique d'avec la chronologie réelle. Bleek, 
Theologische Zeitschrift de Schleiermacher, t. m, p. 292 
(an. 588-536, Oint = Cyrus; 536-175, Oint = Séleucus 
Philopator; 175 sq.); Graf, art. Daniel, dans Bibel- 
Lexicon de Schenkel, 1869; Nôldeke, Histoire littéraire 
de V Ancien Testament, trad. franc., Paris, 1873, p. 328- 
330; Schûrer, Geschichte des jûd. Volkes ini Zeitalter 
J. C.,3» édit., 1898, Leipzig, t. m, p. 189-190; Comill, 
Die 10 Jahnoochen Daniels, 1889; G. Wildeboer, Die 
Literatur des Alten Testaments, 2« édit., Gœttingue, 
1905, p. 438 (selon ceux-ci l'Oint du ^ 26 est plutôt Onias) ; 
Bevan, A short comm, on the Book of Dan,, 1892 
(t. 25, an. 588-536, Oint = Josué fils de Josédec; f. 26, 
536-171, Oint = Onias III, le prince qui vient = Jason, 
frère et successeur d'Onias, cf. II Mach., v, 7-10; t. 27, 
Antiochus); Marti, Das Buch Daniel, 1901 (jr. 25, an. 586- 
538, Oint = Josué; f. 26, 538-171, Oint = Onias III, le 
prince qui vient est encore Onias III renversé « avec y 
la ville, voir col. 98; f. 27, Antiochus); Driver, The 
Book of Daniel,i900(f, 25, an. 586-538, Cyrus; t- 26, 538- 
171, Onias III ; f, 27, persécution d'Antiochus). Berlholdl, 
Daniel ûbersetzt und erklàrt, 1806-1808, et Ew'ald, 
Jahrbûcher fur deutsche Théologie, t. vi, p. 194, ont 
exposé des systèmes assez peu clairs et trop arbitraires 
sans arriver à résoudre la difficulté. 

2« Bases de la théorie. — Abstraction faite des ten- 
dances rationalistes qui ont pu inspirer et guider ses 
fauteurs protestants, surtout dans les commencements, 
voir RohIing, Das Buch des Propheten Daniel, 1876, 
p. 283 sq., l'interprétation critique des 70 semaines 
peut être comparée à l'interprétation ecclésiastique 
traditionnelle, à la fois pour la fermeté de son principe 
fondamental et pour la variété des opinions émises sur 
ses points secondaires. Comme les auteurs catholiques, 
exégètes ou théologiens, rapportent unanimement 
l'oracle au temps du Christ, sans avoir pu s'entendre 
sur tout autre aspect de la question, ainsi les critiques 
sont unanimes à le rapporter au temps d'Antiochus IV 
Épiphane, sans avoir pourtant réalisé l'identité des opi- 
nions sur la date précise du terminus a quo des se- 
maines, sur l'arrangement des trois fractions entre 
lesquelles elles se trouvent partagées, sur l'identifica- 
tion des personnes ou des événements qui les déter- 
minent. N'y aurait-il pas dans cet état de choses que 
Ton peut dire général comme une invitation tacite à ne 
considérer, dans la prophétie, que le point d'arrivée 
pour lequel principalement elle fut émise, avec licence 
de ne se point mettre trop en peine d'expliquer à fond 
tous ses moindres détails? Quelle prophétie, du reste, 
prise dans son sens premier, direct et littéral, est si 
précise qu'il ne nous reste plus maintenant d'autre soin 
que d'en transporter sur elle l'accomplissement histo- 
rique pour admirer la parfaite coïncidence de toutes les 
parties, de même que l'on transporte par la pensée un 
triangle sur un autre triangle en vue d'en démontrer 
la mutuelle et parfaite égalité? — a) Les critiques ont 
fini par saisir cette nuance, et rejetant peut-élre à tort 
les conjectures d'Eichhorn, op. cit., de Bertholdt, 
op. cit., et de Rosenmûller, Scholia in Vet, Test., 1832, 
qui trouvaient dans les nombres de la prophétie une 
certaine « poésie », ou mieux encore un « symbolisme 
sacré et prophétique » s'exprimant en «chifi'res ronds », 
ils ont, en tout cas, définitivement posé en principe 



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101 



DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE) 



102 



r < erreur » commise par Fauteur du livre dans Tap- 
préciatioD du temps écoulé entre la chute de Tempire 
chaldéen et la mort du grand-prétre Onias III. Bevan, 
op. cii., p. 148-149; Marti, op., cit., p. 72-73. Le mot 
dépasse assurément la mesure; aussi, dans l'hypothèse 
critique, la seule base acceptable pour la computation 
des semaines serait-elle le symbolisme du schéma de 
c soixante-dix » imposé en quelque sorte par les 70 ans 
de Jérémie, partageable par à peu près en schémas 
secondaires de 7, 62 et 1, selon la situation chronolo- 
gique approximativement appréciée par le prophète 
écrivain, et sans que celui-ci se fût autrement soucié 
de la faire matériellement exacte, des jalons posés par 
l'histoire : Cyrus, reconstruction de Jérusalem, Onias III, 
Antiochus, etc., sur la route à parcourir à partir des 
temps daniéliques. Driver, op. cit., c. ix, dissertation 
appendiculaire. — b) Un autre fondement du système 
et qui, une fois bien assis, cadrerait fort à la symboli- 
sation des semaines, c*est la thèse critique de la com- 
position du livre au temps d*Àntiochus IV par un écri- 
vain juif machabéen. Voir col. 72-73. Abstraction faite de 
la vision du c. ix, toutes les visions paraissent aboutir 
à rimpieAntiochus dont l'auteur nous fait connaître la 
vie en détail jusqu'en 168, spécialement au c. xi, ainsi 
que les démêlés et les alliances des Séleucidcs et des 
Lagides au début du ii« siècle avant notre ère; mais 
l'abondance et la précision des détails historiques sont 
restreintes â cette seule période gréco-syrienne, les 
quatre empires sont à peine esquissés et l'écrivain en 
déroule l'histoire comme si elle appartenait à un passé 
déjà éloigné; d'autre part, le vague du di^lail recom- 
mence justement lorsqu'il s'agit de prédire la mort 
d*Antiochus et les événements qui la devaient circon- 
stancier et conditionner. Or, la prophétie des semaines 
coïncide dans toute hypothèse, pour une bonne part, à 
savoir pour les semaines correspondantes aux iv> et 
nr siècles avant notre ère, avec l'époque imprécise et 
obscure des autres visions ; elle n'indique même aucun 
éYénement pour cette période ; elle détaille pourtant 
avec complaisance et clarté suffisante la dernière se- 
maine, où les faits et les temps vont d'eux-mêmes à 
s'identifier aux faits et aux temps de la persécution de 
l'Épiphane marqués dans les autres visions; elle se 
garde enfin de rien dire de précis sur la ruine du per- 
sécuteur. L'auteur agirait donc en tout comme s'il 
écrivait en Tannée 168; et l'oracle des semaines ne 
serait, lui aussi, qu'une vue rétrospective des temps 
écoulés depuis la captivité, un cadre chronologique ou 
approximatif, ou symbolique, donné aux événements 
intéressant particulièrement la nation juive durant les 
siècles compris entre la date du retour et les jours 
d'épreuves amenés par l'oppression syrienne sous An- 
tiochus IV. Le pseudo-Daniel aurait esquissé ce cadre 
en style prophétique, ou mieux* apocalyptique, dans 
l'intention de mettre en relief, par une fiction dont 
osèrent dans une si large mesure les auteurs d'apoca- 
lypses juives, l'action de la providence divine sur la 
suite heureuse ou malheureuse pour le peuple choisi 
des rapports de ce dernier avec les autres nations : 
Dieu qui a tiré de peine « les saints de son royaume » 
lors de Cyrus et de la reconstruction de Jérusalem 
après le retour, ne saurait manquer de les sauver aussi 
lors des attentats commis contre eux, contre le temple 
et le sacerdoce, contre la ville, par le plus cruel et le 
plus implacable des rois païens, par l'impie et l'artifi- 
cieux Épiphane. — c) Le sectionnement du t<25 dans le 
texte massorétique a eu aussi sa part d'infiuence dans 
l'œuvre de l'interprétation critique. Un « oint «, gratifié 
par surcroît du titre de «c prince », se trouvant placé 
î la fin des sept premières semaines, il devenait im- 
possible d'attribuer cette double qualification à quelque 
important personnage que ce fût sur la lisière com- 
mune des V* et iv« siècles, 49 ans (7 x 7) environ après 



redit d'Artaxerxès (soit 454). Et encore que les 62 se- 
maines fussent peut-être à considérer comme un chiffre 
rond, approximatif, symbolique, attendu qu'elles ne 
pouvaient plus être rétrécies, il fallait en faire remon- 
ter le point de départ beaucoup plus haut qu'Artaxer- 
xès, jusqu'à l'édit de Cyrus, sinon jusqu'à l'avènement 
de ce prince au trône des Perses, moments indiqués 
par Isaïe, xliv, xlv. Le point initial des 70 semaines 
reculait encore de 49 ans en arrière et atteignait les 
temps des plus ardentes prédications de Jérémie, xxv, 

X XX- XXXI. 

A condition qu'on dût la dépouiller de toute nuance 
rationaliste et de tout caractère d'hostilité à la véracité 
de l'auteur sacré, l'interprétation critique pourrait être 
acceptée par le catholique le plus sincère, soit que 
celui-ci considérât l'oracle des semaines comme une 
véritable prophétie, soit qu'il le voulût composé au 
temps d'Antiochus : annonce prophétique de l'avenir, 
ou histoire sainte du passé et du présent, mais type 
historique, Dan., ix, 24-27, garderait également bien 
dans son objet direct le sens messianique que lui a re- 
connu ou attribué la tradition chrétienne depuis l'ori- 
gine jusqu'à nos jours. Cf. cardinal Meignan, Les dei*- 
niers prophètes d'Israël, p. 136-165. 

Tous les commentaires et les moDographies : 1* Catholiques : 
Hardouin, De lxx hebdomadibus Danielis, dans Opéra selecta, 
Amsterdam, 1705, p. 880-903; Galmet, Dissertation sur les 
70 semaines de Daniel^ dans Commentaire littéral, 2* édit., 
Paris, 1726, t. vi, p. 614-621 ; Scholl, Comment, exeget. de sep- 
tuaginta hebdomadibus Danielis, 1829; Bade, Christologie 
des Allen Testament, t. m, fasc. 2, Munster, 1852, p. 75-134; 
Reinke, Dte messianischen Weissagungen, Giessen, 1862, t. iv, 
p. 167-440; Mayer, Die mess. Prophezien des Daniel, Vienne, 
1866, p. 158 sq. ; Stavvars, Die Weissagung Daniels in Bezie- 
hung auf das Taufjahr Christi, dans Tiibing. Quartalschrift, 
1868, p. 416 sq.; Reusch, Patristische Berechnung der 
10 Jakreswochen, ibid., 1868, p* 536 sq. ; Neteler, Die Zeit der 
70 Jahreswochen Daniels, ibid., 1875, p. 133 sq. ; Fraidl, Die 
Exégèse der Siebzig Wochen Daniels, Graz, 1883; Corluy, 
Spicilegium dogmatico-^blicum, Gand, 1884, t. i, p. 474-515 ; 
Lamy, La prophétie de Daniel, dans La controverse, Lyon, 
février 1886; et dans le Dictionnaire apologétique de la foi 
catholique de Jaugey, Paris, s. d. (1889), col. 698-721; Palmieri, 
Vaticinium Danielis, dans De veritate historica libri Judith, 
Gulpen, 1886, p. 61-112; Hebbelynck, Interpretatio vaticinii 
de septuaginta hebdomadis, dans De auctoritate historica 
libri Danielis, Louvain, 1887, p. 281 sq. ; cardinal Meignan, Les 
derniers prophètes d'Israël, Paris, 1894, p. 85-185; G. Toby 
(L. Bigot), Les soixante-dix semaines du prophète Daniel, 
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Lille, 1900, t. ii, 
p. 148-169, 193-216, 289-305, 495-508; Van Etten, Ea:po«trto praî- 
dictionum Danielis prophetse circa tempus quo Jésus Chri' 
stus exspectandus erat et mortuus est, Rome, 1901 ; Tunnel, 
Prophétie des soixante-dix semaines, dans Étude sur le livre 
de Daniel, Paris, 1902, p. 13-27 ; Lagrange, Les prophéties mes- 
sianiques de Daniel, La prophétie des semaines, dans la Revue 
biblique, 1904, p. 509-514; Mémain, Les 70 semaines de la pro- 
phétie de Daniel, 2* édit., Paris, 1904; Tostivint, Les 70 ans de 
Jérémie et les 70 semaines de Daniel, Interprétation nouvelle. 
Rennes, 1906 ; J. van Bebber, Zur Berechnung der 70 Wochen 
Daniels, dans Biblische Zeitschrift, 1906, t. iv, p. 119-141; 
J. Hontheim, Das Todesjahr Christi und die Danielische Wo- 
chenprophezie, dans Der Katholik, 1907. 

2* Protestantes : Ch. Wagenseil, Mantissa de lxx hedomadi- 
bus Danielis (contre Marsbam), in-4% s. 1. n. d. ; Hengstenberg, 
Die siebenzig Wochen Daniels, dsjaB Christologie, Berl\n,iS32, 
t. II, p. 401-581; Wieseler,D<e 70 Wochen und die ôSJahrwo- 
chen des Propheten Daniel, Gœttingue, 1839 ; J. K. Hofmann, Die 
siebenzig Jahre des Jeremias und die siebenzig Jahrwochen 
des Daniel, dans Weissagung und Er/iillung, Nordlingen, 1841, 
t. I, p. 296-3tl ; Reichel, Die 70 Jahrwochen Daniels, ix, 24- 
27, dans les Theol. Studien und Kritiken, 1858, p. 735-752; 
Fries, Versuch ûber die Weissagung von den 70 Jahreswo- 
chen, dans Jahr bûcher fur deutsche Théologie, 1859, p. 254- 
270; Van Lennep, De zeventig Jaarweeken van Daniel, Utrecht, 
1888; Comlll, Die siebzig Jarwochen Daniels, dans Théo- 
logischen Stwiien und Shizzen aus Ostpreussen, 1889, t. ii, 
p. 1 sq.; R. Wolf, Die siebzig Wochen Daniels, 1889; Fell, Ein 
exegetisches Ràtsel des Alten Test. (Dan., ix, 26), dans Theol. 



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103 



DANIEL 



104 



Quartalschrift, 1892, p. 355-396; VuUleuinier» Les septante'se- 
maineê d'annéeê de Dan. ix, dans la Revue de théologie et 
de philosophie, 1892, p. 197-202; M. hohr ^ TextkHtische Vor- 
arbeiten zu einer Erklàrung des Baclies Daniels, dans Zeit- 
schrift fûralttestamentUche Wissen8chaft,i93b, t. xv, p.75 sq., 
193 sq. ; 1896, t. xvi, p. 17 sq. 

L. Bigot. 
2. DANIEL f métropolite de Moscou et de toute la Russie 
(15221539). Les historiens de l'Église russe tracent de 
lui un portrait peu flatteur. Â peine âgé de 30 ans, il 
réussit à se faire élire higoumène du monastère Volo- 
kolamsky (de Volokolamsk, ville du gouvernement de 
Moscou), fondé par Joseph Volotzky (f 1515). Le 27 fé- 
vrier 1522, il succéda au métropolite Barlaam sur le 
siège métropolitain de Moscou. Il poursuivit d'une haine 
acharnée les moines Maxime le Grec et Bassien Cosoî, 
qui soutenaient, contre les moines du monastère Volo- 
kolamsky, que la vie monastique implique le renonce- 
ment absolu au droit de propriété des biens immeubles. 
Daniel les fit condamner par un concile tenu à Moscou 
en 1525, et livra Maxime aux moines de son monastère, 
qui pendant six ans lui infligèrent les plus mauvais 
traitements. Il donna un exemple frappant de son ser- 
vilisme à l'égard du pouvoir civil. Le grand prince de 
Moscou, Basile Ivanovitch, avait épousé en 1505 Solo- 
monia lourevna Sabourov. Après vingt ans de mariage, 
n'ayant pas eu d'enfants, il décida de répudier sa femme 
pour en épouser une autre. Le métropolite Daniel se 
prêta au désir du grand prince; il força Solomonia à 
prendre l'habit monastique le 28 novembre 1525, et le 

21 janvier 1526, il bénit le nouveau mariage de Basile 
avec Hélène Vasilevna Glinska. Mais après la mort de 
Basile et d'Hélène, il fut chassé de son siège par le 
prince Ivan Fédorovitch Bielsky (2 février 1539) et en- 
fermé au monastère Volokolamsky, où il mourut le 

22 mai 1547. 

Les écrits de Daniel sont de trois sortes. Ses écrits dog- 
matiques forment un recueil de 16 sermons sur l'Écriture 
sainte, l'incarnation, l'obéissance â l'autorité établie par 
Dieu, le divorce, la providence, etc. Le plus important 
est le sermon sur l'incarnation, dirigé contre Bassien 
CosoT, à qui on reprochait de soutenir que le corps du 
Christ différait du corps humain, et avait été incorruptible 
avant sa résurrection. Le sixième et le septième discours 
réfutent l'hérésie des judaîsants russes. Ses œuvres mo- 
rales consistent en une série de quatorze lettres adressées 
à divers personnages ou à des moiqes sur la vie com- 
mune dans les monastères, le jugement universel, la 
brièveté de la vie, etc. Il a dirigé encore la publication 
d'un recueil de pièces et documents relatifs à la métropole 
de Moscou. Les écrits du métropolite Daniel rensei^ent 
sur les conditions morales et les doctrines de l'Eglise 
russe au xvi« siècle. Les raskolniki russes les ont en 
grande estime, parce qu'ils y trouvent des arguments 
à l'appui de leurs croyances. D'après le métropolite 
Macaire, Daniel posséda toute la culture théologique de 
son temps, et Maxime le Grec, sa victime, l'appela le 
docteur de la loi de Dieu, t. vu, p. 395-396. 

Le meilleur ouvrage sur la vie et l'œuvre littéraire du métro- 
polite Daniel est celui du protoiereus Basile Ivanovitch Ijma- 
kine (f 8 juin 1907), inséré dans les Tchteniia de la Société 
des amateurs de l'histoire et des antiquités russes de Moscou : 
Mitropolit Daniel, ego sotchineniia, Moscou, 1881. Les écrits de 
Daniel y sont longuement analysés, p. 257-750, et édités d'une 
façon critique à la fin du volume. Voir aussi Eugène (métropolite), 
Slovar o pisateliakh dukhovnago tchina, Saint-Pétersl>ourg, 
1827, t. I, p. 114-115; Biéliaev, Daniel, mitropolit Moskovskii, 
dans les Izviestiia de T Académie impériale des sciences de 
Saint-Pétersbourg (section de langue et littérature russe), 1856, 
t. V, p. 194-209, et dans les Istoritcheskiia Tchteniia o yazykie 
i slovesnosti de la même Académie, 1857, p. 96-118 ; Gorsky 
Nevostruev, Opisanie rukopisei Moskovskoi sinodalnoibiblio- 
theki, Moscou, 1862, t. ii, p. 111, 147-164; Nikolaevsky, Jius- 
skaia propo vied v xvi xvi viekakh,d%XiA Journal du ministère 
de ^instruction publique, 1868, t. cxxxvii, p. 299-389; 



t. cxxxvm, p. 12-177; Ikonnikov, Opyt izsliedovanii o kultur- 
nom znatchenii Vizantii v russkoi istotHi, Kiev, 1869, p. 352- 
359, 439-441 ; Macaire, Sotchineniia moskovskago mitropolita 
Daniila, Kloistianskoe Tchtenie, Saint-Pétersbourg, 1875, t. ni, 
p. 181-276 ; Id., Istoriia russkoi tzerkvi, Saint-Pétersbourg, 
1874, t. VII, p. 309-398; Kataev, Otcherkistorii russkoi tzerkovoni 
propoviedi, Odessa, 1874, p. 90-101 ; Potorjitzky, Istoriche 
skaia kristomatiia dlia izutcheniia russkoi tzerlwvnoi pro- 
povieJi, Kiev, 1879, p. 188-151 ; Gliebov, Daniel, moskovskii 
mitropolit, kak propoviednik, Riazanskiia eparkhialnyia 
Vitfdomostt, 1874, n. 6, p. 132-139; Entziklopcditcheskii Slovar, 
t. X, p. 88-90; Pravoslavnaia bogoslovskaia Entziklopediia, 
t. IV, col. 922-928; Russkii blographitcheskii Slovar, lett. D, 
p. 84-92. 

A Palmieri 
3. DANIEL QabHel, né à Rouen le 8 février 1649, 
admis dans la Compagnie de Jésus le 16 septembre 1667, 
professa plusieurs années la rhétorique, la philosophie 
et la théologie, et mourut à Paris le 23 juin 1728. Il 
est plus généralement connu par son Histoire de 
France et son Histoire de la milice française, mais il 
s'est aussi montré habile et fécond polémiste dans les 
controverses philosophiques et théologiques de son 
temps. Le premier ouvrage qu*il publia fut le Voyage 
du monde de M, Descartes, spirituelle critique du sys- 
tème du monde de Descartes, qui parut d*abord en 
1690, à Paris, et eut plusieurs éditions successivement 
augmentées. La réponse aux Lettres provinciales de 
Pascal, intitulée : Entreliens de Cléandre etd'Eudoxe 
sur les Lettres au provincial, in-12, Cologne (Rouen), 
1694, et plusieurs fois rééditée avec additions, eut éga- 
lement un succès considérable et mérité; mais, natu- 
rellement, cette réfutation, toute solide qu'elle était 
dans Tensemble, et même bien écrite, ne pouvait em- 
pêcher le chef-d'œuvre littéraire de Pascal de se faire 
lire et de rester pour la masse des lecteurs superficiels 
l'expression de la vérité. La mention faite dans ces 
Entretiens d'une interprétation singulière du P. Noël 
Alexandre, dominicain, provoqua une vive attaque de 
celui-ci contre le P. Daniel. Il en résulta, entre les 
deux théologiens, un échange de lettres publiques; il y 
en eut dix du côté du second et autant ou plus du 
côté du premier, roulant principalement sur le paral- 
lèle de la doctrine des thomistes avec celle des jésuites, 
par rapport à la morale, en particulier leprobabilisme, 
et à la grâce. La controverse, commencée en 1696, fut 
arrêtée en 1697, sans être terminée, par Tautorité du 
chancelier. En 1704, il publia : Défense de saint Au- 
gustin contre un livre qui paroit depuis peu sous le 
nom de M. de Launoy, où Von veut faire passer ce 
saint Père pour un novateur, in-12, Paris, 1704. L'ou- 
vrage dont il s'agit était intitulé : La véritabh tradi- 
tion de VÉglise sur la prédestination et la grâce, 
Liège, 1702. Dans une critique du même ouvi*age, le 
P. Hyacinthe Serry, dominicain, ayant avancé que c% 
que Launoy avait dit de plus violent contre saint Au- 
gustin était tiré des théologiens jésuites, le P. Daniel 
prit encore la défense de ses confrères, d'abord dans 
une lettre au P. Cloche, général des dominicains, pu- 
bliée en 1705, puis dans trois lettres adressées au 
P. Serry, Paris, 1705 et 1706. En outre, il consacra à la 
question principale agitée dans ces polémiques un 
Traité théologique touchant l'efficacité de la grâce, 
où Von examine ce qui est de foy sur ce sujet et ce qui 
n'en est pas; ce qui est de saint Augustin et ce qui 
n'en est pas, in-12, Paris, 1705; nouvelle édition aug- 
mentée en deux tomes in-12, Paris, 1706. 11 publia 
aussi trois dissertations théologiques sur la nécessité 
morale et Vimpuissance morale par rapport aucc 
bonnes oeuvres, contre la théologie de Louis Habert, 
Paris, 1714. Enfin, il intervint également dans la que- 
relle relative aux rites chinois, par une Histoire apch- 
logétique de la conduite des jésuites de la Chine, 
adressée à Messieurs des Missions étrangères, in-8« et 
in-12, Paris, 1700. 



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DANIEL — DANIEL DE SAINT-SEVER 



106 



La plupart des ouvrages du P. Daniel, que nous ve- 
nons d'indiquer, et d'antres que nous omettons comme 
moins importants ou étrangers à la théologie, ont été 
réunis dans le Recueil de divers ouvrages philoso-*^ 
phiques, apologétiques et ci*iliqueSf 3 in-4», Paris, 
1724. On a prêté à la plume facile du P. Daniel divers 
autres écrits de circonstance, notamment le fameux 
Problème ecclésiastique proposé à 3f . l'abbé Boileau, 
de Varchevêché : à qui Von doit croire de messire 
Louis-Antoine de Noailles, évêque de C hâtons en 
i695 ou de messire Louis- Antoine de Noailles, arche- 
vêque de Paris en i696. Cette pièce méchante, qui 
parut en 1696, relevait la contradiction qu'il y avait 
entre Tapprobation donnée par Noailles, en 16Ô5, aux 
Réflexions morales sur le Nouveau Testament du 
P. Qnesnel, et la condamnation par le même, en 1696, 
de VExposition de la foi catholique touchant la 
grâce et la prédestination de Tabbé de Barcos, les 
deux ouvrages contenant la même doctrine (janséniste). 
Le Problème fut brûlé par la main du bourreau, à 
Paris, sur arrêt du parlement, et proscrit, à Rome, par 
le Saint-Office; Bossuet prit la peine d*en composer 
une réfutation, qui fut publiée après sa mort parQues- 
nel. Le P. Daniel, désigné comme auteur par la mali- 
gnité d'une partie du public, déclina sous serment la 
paternité de l'écrit par une lettre adressée à l'arche- 
vêque et qui fut imprimée. Mais la preuve de son inno- 
cence qui désarma le soupçonneux prélat, ce fut la 
découverte que fit la justice en examinant la corres- 
pondance saisie des jansénistes Quesnel, dom Gerbe- 
ron et dom Thierry de Viaixnes, arrêtés en 1703 : on y 
Topit en eflet que le Problème avait pris naissance 
dans la secte. Mémoires mss. du P,- Léonard de 
Sainte-CatheiHne au 27 septembre 1703, Bibliothèque 
nationale, ms. fr. 19211 ; Lettre de Vévêque d'Agen (Hé- 
bert) à M. de Pontchar train, 15 octobre 1711 (imprimée). 
Nous n'avons pas à entrer davantage dans la question 
de l'auteur de ce pamphlet; mais nous rappellerons 
que le regretté théologien dont le nom figure le pre- 
mier au frontispice de ce Dictionnaire, Tabbé Vacant, 
par des recherches originales, a rendu presque cer- 
taine l'attribution, déjà proposée' autrefois, à dom Hila- 
rion Monnler, bénédictin de la congrégation de Saint- 
Vanne, qui résidait en 1696 à Besançon. Revue des 
sciences ecclésicLStiques, 1890, t. i, p. 411-425; t. ii, 
p. 34-50, 131-150. 

P.Griffet. Avertissement en tète de l'édition qu'il a donnée 
de V Histoire de France du P. Daniel, 17 ln-4% Paris, 1755- 
1760, t. I, p. xviii-xxxrv; Moreri, Dictionnaire, 1755, t. iv; 
Micfaaod, Biographie universelle, t. x, art. par Walckenaer ; De 
Backer-Sommervogel, Bibliothèque de la C" de Jésu8,U ii, 
eol. 179M815; Hurter, Nomenclator. t. lu, col. 1042-1043, 216, 
1087. 1140; Reusch, Der Index, t. il, p. 488, 687, 688, 728, 
1211. 

Jos. Brucker. 
4. DANIEL DE LA VIERGE, carme belge, né en 
1615 à Hamme, en Flandre, profésà Gand en 1632. Reli- 
gieux exemplaire, théologien docte et prudent, travail- 
leur in&tigable, le Père Daniel de la Vierge occupa les 
diverses charges de son ordre, notamment celles de pro- 
vincial et de lecteur de théologie. Il remplit avec beau- 
coup d'exactitude tous les devoirs de son état, et il édi- 
fia le prochain par sa piété et par ses vertus, surtout 
par sa charité envers les malades. Il mourut saintement 
comme il avait vécu, le 21 octobre 1678. On a de lui : 
Vart de se bien confesse*^, in-12, Bruxelles, 1649; Intro- 
duciion à la confeêsion, in-12, Anvers, 1649; Vart de 
bien mourir, in-12, Bruxelles, 16 tô; La (iemon«(}*atùm 
de lavéritable Église, in-8*, Bruxelles, 1649. Ces ouvra- 
ges ont été publiés, ainsi que quelques autres encore, 
en langue flamande. Daniel de la Vierge fut surtout un 
défenseur ardent et éclairé des privilèges et des gloires 
de son ordre ainsi qu'en témoigne son grand ouvrage 



posthume, Spéculum carmelitanum, 4 in-fol., Anvers, 
1680. 

Cosme de Villlers^ Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752, 
t. I, col. 375; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris, 
1882, t. IX, p. 35. 

P Servais 

5. DANIEL DE SAINT- JOSEPH, né en 1601 à Saint- 
Malo, fit profession dans Tordre des carmes, en 1618, à 
Angers. Adepte fervent de la scolastique et théologien 
d'une doctrine pénétrante et sûre, il enseigna longtemps 
la théologie dans sa province de Tours et à Caen, puis 
à Rome. Il entreprit de ramener la Somme théologique 
de saini Thomas à une forme plus spécialement appro- 
priée à l'usage de ses élèves. Il ne put toutefois publier 
que le t. I de ses Disputationes in Sumpiam tlieologi- 
cam D. Thoniœ, in-fol., Caen, 1649, c'est-à-dire les cin- 
quante premières questions de la Somme, Nous avons 
encore de lui, outre des sermons d'une belle éloquence, 
Le théologien français, Sur le mystère de la sainte 
Trinité, in-4o, Paris, 1653. 

Cosme de Vllllers, Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752, 
1. 1, col. 371 ; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris, 
1832, t. IX, p. 32; Théophile Raynaud, ScapvÀare partheno- 
carmelUanum, Paris, 1654, p. 104. 

P. Servais. 

6. DANIEL DE SAINT-SEVER, de son nom de 
famille Campet, était prêtre et docteur en théologie, 
quand il revêtit l'habit des capucins. Pendant de lon- 
gues années il fut lecteur dans son ordre et à plusieurs 
reprises provincial d'Aquitaine. Il se signala surtout 
par son zèle pour la conversion des protestants, et on 
lui dut la création de missions de capucins dans le 
Béam à cet effet. Il nous est resté comme preuve de ce 
zèle les deux ouvrages suivants : La christomachie com- 
battue, où sont contenus les actes de la conférence 
faicte à Lectoure entre Fr. Daniel de S, Sever capu- 
cin et Savoys ministre de ladicte ville, touchant la 
descentede Jésus-Christ aux enfers : expliqués les prin- 
cipaux mystères de Vunion hypostatique du Verbe di- 
vin avec la nature humaine. De la gloire du paradis, 
des peines d'enfer et autres. Réfutés plusieurs blas- 
phèmes, erreurs, contradictions et hérésies nouvelles du 
susdict ministre et de son catéchisme, in-8o, Lyon, 
1611; Actes de la conférence tenue à Pau en Béam 
les 40, i3, i4 et i5 janviet' 1620 en présence de 
Monsieur Vévesque de Lascar, monsieur de la Force 
gouverneur pour le Roy en Béam, Messieurs du Con- 
seil et autres du pays qui y assistèrent. Entre le 
R. P. Daniel de S, Sever, provincial des Pères capu- 
cins de la province d'Aquitaine, et Paul Charles, soy- 
disant pasteur en VÉglise et professeur en théologie en 
Vacadémie royale d'Orthet. Touchant les traditions 
ecclésiastiques, les vénérables images, et la saincte 
communion sous une espèce, arec les notes qui con- 
tiennent une ample explication de ces trois points et 
autres controversés par les hérétiques de ce temps, 
in-8o, Toulouse, 1620. On lui attribue aussi une Épltre 
à Cosme Bardi, évéque de Carpentras et vice-légat 
d'Avignon, De collatione et disputatione cum Nemau- 
sensibus et Septimanis factionis calvinianœ, in-8», 
Avignon, 1625. Le P. Daniel mourut dans un naufrage 
sur la Garonne le 14 mai 16o0. Il laissait dans ses 
papiers un Commentaire sur Ézéchiel, que la pauvreté 
de ses confrères, et le manque de caractères arabes et 
hébraïques ne permit pas d'imprimer. 

Apollinaire de Valence, Bibliotheca fr. min. capuccinorum 
prov. Ocdtaniœet Aquitaniss, Nimes, 1894; Nicolas, Histoire 
de ^académie protestante de Montauban, 1885, p. 189 ; Léonce 
Couture, Deux controverses religieuses à Lectoure au com- 
mencement du xvir siècle, dans la Revue d: Aquitaine, t. ii, 

P. EDOUARD d'Alcnçon. 



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407 



DANSE 



108 



DANSE. — I. Considérée en elle-même. II. Dans 
ses circonstances. III. Dans son ensemble. IV. Régies 
pratiques pour le pasteur d'âmes, en dehors do con- 
fessionnal. V. Pour le confesseur, au for interne. 
VI. Conseils spéciaux pour les personnes adonnées à 
la dévotion. VII. Coopération aux danses. 

I. La danse considérée en elle-même. — On ne 
pourrait pas affirmer sans erreur que la danse, con- 
sidérée en elle-même, soit une chose intrinsèquement 
mauvaise. Elle n'est pas plus répréhensible, en soi, que 
la musique, la peinture, ou la poésie. Le langage arti- 
culé, soumis à des règles particulières de rythme, de 
mesure et de cadence, a donné naissance à la poésie ; 
la succession des sons suivant des lois analogues est 
devenue la musique; et, par une évolution semblable, 
le geste humain s'est transformé en mimique, puis en 
danse. Celle-ci est un assemblage varié de pas régle- 
mentés, de gestes, d'attitudes, d'allures, comme la mé- 
lodie et l'harmonie sont une combinaison variée de 
sons pris aux divers degrés de l'échelle musicale. Les 
arrêts, ou suspensions de mouvements, sont à la 
danse, ce que les silences, les soupirs et les pauses 
sont à la musique. Aussi les anciens, Plutarque entre 
autres, appelaient-ils la danse une musique ou poésie 
muette, et la musique, une danse parlante. 

Avant tout, la danse est un art, tendant à exprimer le 
beau à sa manière, et avec les moyens dont il dispose. 
Or, un art, quel qu'il soit, par cela qu'il tend à Tex- 
pression du beau, n'est pas mauvais intrinsèquement. 
Il ne devient mauvais que si on le fait servir au mal 
moral. 

Ces trois arts : poésie, musique et danse, ayant entre 
eux des analogies si profondes, se trouvent tout natu- 
rellement réunis dans la manifestation des sentiments 
de l'âme, arrivés à un certain degré d'intensité. Alors, 
tout le corps entre, pour ainsi dire, en vibration, pour 
se mettre à l'unisson de l'âme. Le langage ordinaire 
ne suffit plus : il en faut un autre plus imagé, plus co- 
loré, plus vif, plus idéal. La poésie elle-même ne ré- 
pond pas au but, si elle est récitée avec les intonations 
ordinaires, et l'homme, alors, ne se contente plus de 
parler : il chante. Et si le sentiment intérieur atteint 
un haut degré d'intensité, la musique elle-même, si 
elle reste seule, est impuissante à le traduire. Des mou- 
vements instinctifs du corps s'y joignent et l'accom- 
pagnent. L'homme ne tient plus en place : il marche, 
il saute, il va, il vient, gesticule, s'arrête, repart, 
tourne et retourne. Le corps entier coopère à l'expres- 
sion du sentiment qui remplit l'âme, et la met dans un 
état de surexcitation particulière. Il en est ainsi chez 
les enfants qui, si facilement, chantent, sautent et gam- 
badent. C'est pour ce motif probablement que le mot 
grec TratÇeiv, faire l'enfant, signifie aussi danser. 
Cf. Odyssée, VIII, n. 261 ; XXIII, 147; Hésiode, Bouclier 
d'Hercule, 277; Aristophane, Thesmophotnes, 1227. Ce 
phénomène se retrouve chez les peuples jeunes. On le 
constate aussi chez les peuples policés. La civilisation 
a réglementé cet instinct naturel : elle ne l'a point dé- 
truit. Elle l'a perfectionné en le disciplinant, et en le 
conformant aux règles du bon goût. La danse est de- 
venue un art très compliqué. Cette complication ne lui 
a pas fait perdre son caractère. Quoique exécutées 
d'après tous les préceptes de l'art chorégraphique, 
certaines danses restent pudiques et innocentes. 
D'autres, au contraire, dans lesquelles l'art a très peu 
de place, peuvent devenir extrêmement dangereuses, 
étant mises au service des passions. Elles sont loin de 
ne viser, alors, qu'à la pure expression esthétique du 
beau. Cf. Lucien, De saltalione, vu, xix; Herder, His- 
toire de la poésie des Hébreux, trad. de M™» la baronne 
de Carlowitz, in-8«, Paris, 1851, p. 445 sq. 

11 semble que, chez les peuples primitifs, comme chez 
les enfants, la danse a été le premier de tous les arts. 



Chez les Grecs, elle précéda certainement les représen- 
tations scéniques. Ce furent, d'abord, des danses raih- 
taires, animées et bruyantes, figurant des actions de 
guerre et les diverses péripéties des combats. Elles 
constituaient, avant tout, un exercice corporel, pour 
développer la force et l'agilité des muscles, une sorte 
de gymnastique en vue des luttes futures. Mais elles 
étaient aussi un divertissement, une fantasia, et, sous 
ce rapport, se rapprochaient plus de Tart. Telle fut la 
danse pyrrhique, inventée, dit-on, par Pyrrhus, fils 
d'Achille. Homère en fait souvent mention dans l'Iliade, 
par exemple, XVIII, 494, 604, et l'Odyssée, VIII, 256. 
Platon prit aussi la peine de la décrire. Xénophon rap- 
porte que les femmes elles-mêmes dansèrent parfois 
la pyrrhique pour amuser la galerie. Anahase, VI. 
Quand le théâtre se fonda, en Grèce, la danse y entra 
comme accessoire, pour ajouter aux charmes du spec- 
tacle. Puis, elle en arriva souvent à s'emparer complè- 
tement de la scène, comme si elle pouvait, à elle seule, 
représenter une action dramatique ou comique. 
Cf. Athénée, Dipnosophistes, xix, in-fol., Paris, 1606, 
p. 629-631. Ce que les syllabes longues et brèves étaient 
pour le poète; ce que, pour le peintre, étaient les 
couleurs de la palette; l'expression du visage, les gestes, 
les attitudes, les allures rapides ou lentes, passionnées 
ou calmes, le devinrent pour le danseur. Cf. Magnin, 
Origines du théâtre modeime, leçons prof essées en Sor- 
bonne, in-S», Paris, 1838, p. 87. 

Au temps même de leur civilisation la plus avancée, 
il n'y avait, chez les Grecs, aucune fête, ni aucune cé- 
rémonie religieuse, où la danse ne fût de mise. Les 
hommes et les femmes y prenaient part. C'étaient des 
évolutions multiples exécutées autour d'un autel et 
réglées par le chant et le son des instruments de mu- 
sique. Cf. Athénée, Dipnosophistes, p. 181; Pollux, 
Onomasticon, iv, 14. Quelquefois, ces danses sacrées 
cherchaient à représenter, en quelque façon, les aven- 
tures, ou les faits et gestes du dieu qu'on pensait ho- 
norer ainsi. Dans sa République, Platon voulait que 
la danse fût introduite, non seulement à titre de diver- 
tissement, mais comme moyen d'adoucir les mœurs, 
supposant que la grâce et l'élégance données par elle 
aux mouvements du corps, communiqueraient à l'es- 
prit de la rectitude et de la souplesse; aux actions, de 
l'urbanité. Platon, Lois, vu. Cf. Boccardo, Nuova en- 
ciclopedia italiana, 26 in-fol., Turin, 1888, t. vu, p. 120. 
Pour les anciens, tel corps, telle âme. Suivant eux, le 
corps étant bien conformé, l'âme devait l'être aussi : 
perfectionner le corps dans ses mouvements, c'était 
perfectionner l'âme dans ses facultés. Cf. Gronovius, 
TJiesaurus antiquitalum gr»carum,\^ in-fol., Leyde, 
1697-1702, t. VII, p. 173-220; Patin, Études sur les trcL- 
giques grecs, 4 in-12, Paris, 1857-1873, t. m, p. 420 sq. 
Les Grecs avaient été en cela précédés par les Égyptiens 
qui possédaient de nombreux collèges de musiciennes et 
de danseuses, pour le culte de leurs dieux. Cf. Maspero, 
Histoire ancienne des peuples de V Orient classique, 
3 in-8», Paris, 1895-1899, t. i, p. 126; t. ii, p. 220; 
Winer, Biblisches RealtiHJrlerbuch, in-4«, Leipzig, 
1833, p. 655. Il en était de même chez les Chananéens, 
pour leur dieu suprême Baal, et sa compagne Astarté. 
III Reg., xviii, 26-28; IV Reg., xxiii, 5; Soph., i, 4. 
Cf. G. J. Voss, De theologia gentili, 2 in-fol., Amster- 
dam, 1642, t. II, p. 3 sq.; Movers, Die Phônizier, 
3 in-8o, Berlin, 1841-1856, t. i, p. 385-498. 

La Bible fait, plusieurs fois, allusion aux danses des 
Hébreux, et, loin de les condamner indistinctement, 
elle les approuve, tantôt indirectement, tantôt d'une 
manière formelle. Les danses étaient chez eux non seu- 
lement un divertissement et l'expression d'une joie 
vive, mais souvent aussi une manifestation de la piété. 
Après le passage miraculeux de la mer Rouge, Moïse 
compose un cantique en l'honneur de Jéhovah, et le 



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109 



DANSE 



110 



chante avec les fils d'Israël. Exod., xv, 1-19. Pendant ce 
temps, la prophétessc Marie, sœur de Moïse et d*Âa- 
ron, se met à la tète des femmes d'Israël qui, s'accom- 
pagnant de divers instruments de musique, dansent et 
répètent de leur côté le même chant. Exod., xv, 20-2i. 
Plus tard, à la nouvelle que son père revient vainqueur 
du combat contre les Ammonites, la fille unique de 
Jepbté x-a â sa rencontre en dansant. Elle n*est pas 
seule, mais une foule de jeunes filles et de femmes 
la suivent en dansant avec elle. Jud., xi, 34. Les 
femmes d'Israël dansent également en signe de réjouis- 
sance, après que David a vaincu et tué le géant Go- 
liath. 1 Reg., XVIII, 6, 7; xxi, 12; xxix, 5. David lui- 
même, devenu roi, ne craint pas de se dépouiller des 
insignes de la royauté en présence de tout son peuple, 
et de danser, en signe de joie, devant Tarche sainte 
qu'il fait ramener, en grande pompe, de la maison 
d'Obédédom. II Reg., vi, 5, 12, 14; 1 Par., xiii, 8; xv, 
^. Sa femme, Michol, fille de Saûl, ayant regardé par 
la fenêtre, le vit danser et le méprisa dans son cœur. 
Gomme elle lui reprochait, dès sa rentrée au palais, de 
s'être ainsi déshonoré jusque devant les servantes de 
ses serviteurs, en dansant comme un homme du 
peuple, David lui répondit : ce Devant le Seigneur qui 
m'a choisi à la place de votre père et de toute sa race, je 
ne craindrai pas de danser et de me faire plus petit 
«ncore. J'en serai d'autant plus glorieux, même aux 
yeux des servantes dont vous parlez. % Michol, en puni- 
tion de sa moquerie déplacée, fut frappée de stérilité 
pour le reste de sa vie. II Reg., vi, 20-^. 

Par divers passages des psaumes, il est aisé de cons- 
tater que la danse, en plusieurs circonstances, faisait 
comme partie intégrante de la liturgie réglant les cé- 
rémonies du culte, dans le temple de Jérusalem. 
Ps. cxLix, 9; CL, 4. Cf. Eccle., m, 4; Jer., xxx, 4; 
Job, xxx, 11 ; Caut., vu, 1. L'Écriture ne blAme pas les 
Juifs d'avoir introduit les danses dans le culte du vrai 
Dieu, comme elles l'étaient, chez les païens, dans le 
culte de leurs fausses divinités. 

En beaucoup d'autres endroits, les saintes Écritures 
mentionnent, sans les condamner, les danses auxquelles 
se livraient, à titre de divertissement, les jeunes filles 
et les femmes d'Lsraël. Jud., xxi, 21, 23; Jer., xxxi, 
4, 13. Il est vrai que, le plus souvent, elles dansaient 
seules, et séparées des hommes ou des jeunes gens. 
Exod., XV, 20 sq.; Jud., xi, 34; xxi, 23; I Reg., xviii, 
6 sq.; XXIX, 5. 

Néanmoins, Tauteur de l'Ecclésiastique a une parole 
sévère contre les danses : Cutn taltatrice ne a$siduu$ 
9i8, nec audia$ illam, ne forte pereas inefficaciaillius, 
IX, 4. Toutefois, l'écrivain inspiré ne condamne pas ici 
la danse en elle-même. Il avertit seulement du danger 
qui peut s'y trouver, ne forte pereas, surtout si elle est 
fréquente, ne assiduui sis. Le contexte montre, en 
cotre, qu'il s'agit, dans ce passage, de ballerine, ou 
danseuse de profession, comme il ressort du verset 
précédent : Xe respicUu mulierem multivolam, une . 
femme aux mille volontés, c'est-à-dire une femme ca- 
pricieuse, volage, légère, une courtisane, comme on 
lit dans la version grecque, Yuvatxl êTatpiÇopiév^, une 
hétaïre; par crainte que tu ne tombes dans ses pièges, 
ne forte incidcu in laqueos illius. Eccli., IX, 3. C'est 
l'une de ces femmes que l'Écriture sainte nous repré- 
sente, ailleurs, uniquement occupées à perdre les âmes : 
mulier omatu nieretricio, prœparata âd capiendas ani- 
mai, gamUa et vaga, Prov., vu, 10. Il faut entendre dans 
le même sens le texte suivant : Pro eo quod elevatœ 
suHi filim Sion et ambulahant extento collo, et nutibus 
ûcuionmi ibant, ambulahant pedibus suis, et conipo- 
silo gradu incedebant. Is., m, 16. Le prophète parle 
des débordenaents des filles d'Israël, et les me- 
zuce de Ja punition due à toutes les fautes que leur 
rmité et leur légèreté font commettre. Voir Diction- 



naire de la Bible, t. ii, col. 1285-1289; Realencyclo- 
pâdie fûrprotestantiscfie Théologie und Kirche,*S* édit. 
1907, t. XIX, p. 378-380. 

Bien des fois, les Pères de l'Église s'élevèrent avec 
véhémence contre les danses. Saint Pierre Chrysologue, 
dans un discours public, va jusqu'à appeler les danseuses 
une véritable peste, sallatricum pestis, Serm., cxxvii, 
CLXXiv, P, L., t. LU, col. 452, 654. Il ne faudrait pas en 
conclure qu'ils ont condamné la danse en elle-même. 
Ils ont réprouvé les danses telles qu'elles se pratiquaient 
trop souvent à leur époque, danses lascives et dange- 
reuses que le paganisme expirant avait laissées, aux 
IV* et v« siècles, comme un ferment de corruption au 
sein de la société chrétienne. Cf. Ârnobe, Adversus 
génies, 1. VI, P. L., t. v, col. 1118; S. Ambroise, De 
Elia et jejunio, c. xii ; In Ps. XL, 24, P. L,, t. xiv, 
col. 711 sq., 1078; S. Jérôme, Epist,, LX, ad Heliodo- 
rum, P. L.,\. XXII, col. 601 sq.; S. Augustin, Confess., 
1. VI, c. VIII, P. L., t. XXXII, col. 726; De civitate Dei, 
1. II, c. IV, v, VIII ; 1. Vil, c. XXI, P. L., t. xli, 
col. 49 sq., 53 sq., 210 sq.; Monumenta Germaniœ 
histotnca, Auctores antiquissimi, 13 in-4», Berlin, 1877- 
1898, 1. 1, p. 92, 95-97; Seek, Geschichte des Untergan- 
ges der antiken Welt, 2 in-8s Berlin, 1897-1901, t. ii, 
p. 339, 456. Au dire des païens eux-mêmes, ces danses 
étaient d'une obscénité révoltante. Cf. Ammien Mar- 
cellin, Hist,, 1. XIV, c. v, vi. Cicéron, dans une de ses 
plaidoiries, avait reproché à Caton d'avoir traité Mu- 
rena de danseur, saltator, ce qui était, d'après lui, une 
sanglante injure,car, ajoutait-il, à moins d'être fou, un 
homme qui n'est pas ivre, ne danse jamais, nemo fere 
saltat sobrius, nisi forte insaniat. Cicéron, Pro Mu- 
rena, \i\. Cf. Suétone, Domit., viii; Horace, Od., xxi, 
11,12; xxxii, 1,2; Cornélius Nepos, xv, 1; Macrobe, 
Saturnales, m, 14; Lucien, De saltatione, xxii; Tacite, 
Annales, 1. XI. Voir Guillaume Vuillier, La danse, c. i, 
Les danses antiques, in-4o, Paris-Milan, 1899, p. 1-33. 
C'étaient de ces danses impudiques, comme elles 
avaient lieu à la suite des festins et des orgies, danses 
que, deux siècles avant Notre-Seigneur, les Grecs dé- 
générés avaient tenté d'introduire chez les Juifs, et qui 
furent en honneur à la cour des Hérodes. C'est par une 
de ces danses lascives, en effet, que Salomé, la 
fille d'Hérodiade, obtint d'Hérode charmé la tête de 
saint Jean-Baptiste. Les convives, échauffés par les 
abondantes libations de ce festin, eussent peu goûté 
une danse qui eût été simplement gracieuse. Il fallait 
que le roi Hérode fût bien peu maître de lui, pour pro- 
mettre aussi inconsidérément jusqu'à la moitié de son 
royaume. Marc, vi, 22-23. Les poses, délibérément 
provocatrices de la danseuse, étaient savamment cal- 
culées de manière à produire le plus de séduction pos- 
sible sur l'esprit fasciné des spectateurs. Cf. J.-J. Tis- 
sot. Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 2 in-fol., 
Tours, 1897, t. i, p. 169 sq. Dans les peintures retrou- 
vées à Hercula nu m et à Pompéi, et transportées, depuis, 
au musée de Naples, sont représentées bien des fois 
ces danses lubriques, en usage alors chez les Romains. 
Cf. G. Boissier, Promenades archéologiques, in-8», 
Paris, 1880; Jousset, Vltalie illustrée, in-fol., Paris, 
1906, p. 45 sq., 60-66. 

L'Église, dans ses conciles, s'est plus d'une fois oc- 
cupée des danses. Le concile de Laodicée (entre 343 et 
381) a porté ce canon, le 53« : « Que les chrétiens qui 
assistent aux noces ne doivent pas sauter ni danser, 
mais assister avec décence au repas ou au dîner, comme 
il convient à des chrétiens. » Hefele, Histoire des 
conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 1023. Le 
concile de Tolède, tenu en 589, a voulu extirper abso- 
lument de l'Espagne entière la coutume populaire de 
danser et de chanter des chants déshonnêtes aux fêtes 
des saints, en attendant le commencement des offices 
de l'Eglise, can. 23. Mansi, Concil, t. ix, col. 999. 



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m 



DANSE 



412 



Le concile in Trullo (692) a interdit les danses théâ- 
trales, sous peine de déposition pour les clercs et 
d'excommunication pour les laïques, can. M. Mansi, 
t. XI, col, 968. En 1209, un synode d'Avignon interdit 
de faire aucune danse théâtrale et obscène dans les 
églises aux vigiles des fêtes des saints, can. 17. Mansi, 
t. XXII, col. 791-792. Un synode, tenu à Paris en 1212 ou 
1213, décida que les évéques ne pouvaient pas permettre 
que Ton dansât dans les cimetières ou dans les lieux 
saints, quand même la coutume eût existé auparavant, 
part. IV, can. 18. Ibid., col. 813. Le synode provincial de 
Rouen, célébré en 1231, ordonne aux prêtres d'interdire 
sous peine d'excommunication les danses dans les églises 
et les cimetières, à l'occasion des noces ou des fêtes, et 
d'avertir qu'elles n'aient pas lieu même ailleurs, can. 14. 
Mansi, t. xxiii, col. 216. Dans ses statuts synodaux de 
1260, Tarchevéque de Bordeaux prohiba, sous peine 
d'anathème, les danses qu'il était d'usage d'organiser 
dans quelques églises de son diocèse le jour des saints 
Innocents, à cause des rixes et des troubles qu'elles pro- 
duisaient, a. 2. Jbid., col. 1033. Ces règlements n'ont 
pas été universels, et la plupart ne visaient que des cas 
particuliers, ^ans interdire les danses pour elles-mêmes. 
Comme les Pères de l'Église, les théologiens ne con- 
damnent pas la danse en elle-même. Saint Thomas . 
d'Âquin parle des danses en ces termes : Ludus cho- 
realis, secunduni se, non est malus ; sed secundum 
quod ordinatur diverso fine, et vestitur diversis cir- 
cumstantiis,potest esse actus virtutis, vel vitii. Quum 
enim impossibile est semper agere in vita activa et 
contemplativa, ideo oportet interdum gaudia curis 
interponet'e, ne animas nimiaseveritate frangatuv, et 
ut homo promptius vacet ad opéra virtutum. Et si tali 
fine fiât de ludis, est actus virtutis quœ dicitur eutra- 
petia, et potest esse meritorius si gratia informetur. 
In Isaiam, c. m. Opéra omnia, 34 in-4o, Paris, 1871- 
1880, t. XVIII, p. 696. Cf. S. Antonin, Summa theologiœ 
moralis, part. II, tit. vi, c. vi; Diana, tr. V, De scandalo, 
resol. XII, Opéra omnia, 9 in-fol., Lyon, 1667, t. vu, 
p.335;Tamburini, jETxp/icafio decalogi,\. VII, c. viii, i^7, 
n. 1, Opéra omnia, 2 in-fol., Venise, 1707, t. i, p. 206; 
Bonacina, De matrimonio, q. iv, p. ix, n. 24, Opéra 
omnia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322; Lacroix, 
Theologia moralis, 1. III, part. I, tr. IV, c. ii, dub. i, 
n. 887, 3 in-fol., Venise, 1740-1750, t. i, p. 197. Les 
Salmanticenses, à la question : An vidercy et c/wreas 
ducere publicas inter mares et fœminas, sit peccatum ? 
répondent : Dicendum quod choraizare non est illi- 
citum ex génère suo, et consequenter nec eas videre. Et 
ratio hujus est quia actus choraizandi ex se non est 
libidinis, sed lœtitiœ. Ergo non est damnandus. Cursus 
tfieologim moralis, tr. XXI, De primo prœcepto decor 
logi, c. VIII, p. V, § 2, n. 61 ; tr. XXVI, De sexto et 
nono decalogi prœcepto, c. m, p. i, n. 16, 17. 6 in-fol., 
Venise, 1728, t. v, p. 171; t. vi, p. 107. Choreœ secun- 
dum se non sunt malœ, dit saint Alphonse de Liguori, 
nec actus libidinis, sed lœtitiœ. Quando vèro sancli 
Patres eas interdum valde reprehendunt, loquuntur 
de turpibm et earum abusu. Theologia moralis, 1. IV, 
tr. IV, De sexto et nono prœcepto decalogi, c. i, 
dub. I, n. 429, 6 in-8o, Paris, 1845, t. ii, p. 239. La 
danse n'est point illicite de sa nature, dit le cardinal 
Gousset; on ne peut donc la condamner d'une manière 
absolue, comme si elle était essentiellement mauvaise. 
Tfiéologie morale. Traité du décalogue, VI« partie, 
c. i, n. 650, 2 in-8o, Paris, 1877, t. i, p. 295. Cf. Marc, 
Institutiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii, 
tr. VI, c. IV, § 11, n. 829, 2 in-8«, Lyon, 1885, t. i, 
p. 560. Choreœ, per se, etiam inter diversi sexus perso- 
nas, dit Ballerini, non sunt illicitœ, si fiant honesto 
modo. Ratio est quia choreœ per se indifférentes sunt, 
nec ulla lege prohibentur. Compendium theologiœ 
moralis, tr. Devirtuiibus, c. m, a. 2, § 3, sect. n, n. 242, 



2 in-8o, Rome, 1893, t. i, p. 212. Choreœ, etiam inter 
personas diversi sexus, non sunt per se malœ, fierique 
possunt honeste, imo et mefntorie, Palmieri, Opus 
theologicum morale in Busenbaum medullam, tr. VI, 
De prœceptis decalogi, sect. vi, De sexto et nono prœ- 
cepto, dub. I, n. 60, 8 in-8», Paris, 1893, t. ii, p. 697. 
Les théologiens sont donc unanimes à enseigner que 
la danse, en soi, n'est pas intrinsèquement mauvaise. Si 
les lois de la décence y sont gardées, il est impossible 
de la considérer comme une action libidineuse. C'est, 
en général, un signe de joie; saltatio équivaut alors à 
exultatio. Parfois, c'est un simple divertissement, qui 
non seulement est permis, mais qui peut même devenir 
méritoire dans l'ordre surnaturel. On se tromperait 
donc en jugeant a priori coupable de péché mortel une 
personne, poup le seul fait d'y avoir pris part. 

II. La danse considérée dans ses circonstances. — 
Il en serait différemment si la danse, en raison des 
circonstances qui l'entourent, devenait une occasion 
prochaine de péché, soit pour les personnes qui s'y 
livrent, soit pour celles qui ne font qu'y assister. Il y 
aurait alors obligation stricte de s'en abstenir. La solu- 
tion à donner aux cas pratiques dépend donc du plus 
ou moins de danger résultant des circonstances. 
Encore est-il indispensable d'examiner la probabilité 
de ce danger à un double point de vue : de la part de 
l'objet lui-même, et de la part du sujet. 

/. EX PARTE BEI, OU OBJECTI. — 1" Costume. — Utt 

des éléments à étudier, en premier lieu, pour juger de 
la moralité ou de l'immoralité d'une danse, est sans 
contredit le costume, vu les tentations innombrables 
auxquelles expose un costume indécent, et les péché» 
de regard ou de désir qu'il peut faire commettre. 
— 1. Nous ne signalerons ici que pour mémoire ces 
danses abominables que Ton nomme en Italie ballo 
angelico, et in quibus nuditas est totalis. Les danses 
de ce genre sont évidemment immorales, et nulle rai- 
son ne peut permettre de s'y adonner, ou seulement 
d'y assister comme simple spectateur. — 2. On doit en 
dire autant de celles où le costume est tellement 
inconvenant qu'il semble une provocation directe au 
mal. Certaines danseuses de théâtre, par exemple, ont 
un vêtement, il est vrai, mais choisi et fait de manière 
à exciter les passions plutôt qu'à les assoupir : étoile 
rose tendre ou jaune pâle, afin de la faire ressembler 
le plus possible à la couleur même de la chair, et 
tellement adhérent au corps qu'il en dessine nettement 
toutes les formes, ita ut oculis qtmsi perinde sit ac si 
nudœ aspiciantur. Cf. Lessius, De justitia et jure, 
1. IV, c. IV, dub. XIV, n. 112 : Hoc, dit-il, non tam est 
pulchritudinem ostendere, quam homines directe ad 
libidinem allicere, in-fol., Brescia, 1696, p. 655; Tam- 
burini, Explicalio decalogi, 1. VII, c. viii, § 8, n. 7, 
Opéra omnia, 2 in-fol., Venise, 1707, t. i, p. 206; Bona- 
cina, Tract, de matrimonio, q. iv, p. ix, n. 25, Opéra 
omnia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322. — 3. Dans 
cette catégorie de danses extrêmement dangereuses, en 
raison du costume adopté, il faut ranger, en général, 
les ballets d'opéras, où des troupes de danseuses- 
évoluent en costume plus que sommaire : corsage 
largement décolleté et laissant voir la plus grande 
partie de la poitrine; bras entièrement à découvert; 
jambes couvertes d'un maillot; pour unique robe, le 
tutu, ou jupe de gaze légère extrêmement courte, n'arri- 
vant pas même aux genoux, et qui, comme si elle était 
déjà trop longue, se relève comme d'elle-même, dans le- 
tourbillon rapide de la danse. Cf. Guillaume Vuillier, 
La danse, c. xi, La danse au théâtre, in-4», Paris, 
1899, p. 313^9. L'exhibition d'actrices en pareil accou- 
trement présente, indépendamment même de la danse, 
un grave danger pour la morale. La danse assurément 
augmente ce danger, mais ne le constitue pas positi- 
vement. Ces nudités ne s'étalent en pleine lumière que- 



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DANSE 



114 



poar attirer plus facilement, et maintenir davantage la 
&veur d*un public blasé par les jouissances malsaines, 
mais toujours avide de voluptés. Dans le but de faire 
affluer les spectateurs et d'augmenter ainsi leurs recettes, 
des imprésarios peu scrupuleux mettent en pratique le 
conseil donné au temps de la Régence par un ama- 
teur de scandales : « Afin de réussir dans votre entre- 
prise, allongez les ballets et raccourcissez les jupes. » 
Pour être vieux de deux siècles, cet infâme conseil n'a 
rien perdu de son écœurante actualité. Beaucoup de 
théâtres modernes avaient recours à ce moyen, malgré 
les timides et rares protestations de la censure officielle, 
qui s'alarmait parfois pour la pudeur publique. Comme 
tout périt sous le ridicule, surtout dans un certain 
monde, la censure officielle, de fait, a succombé sous les 
coups de ceux qu'elle visait, et qui, pour se moquer 
d'elle et la désarmer, rappelaient plaisamment l'Acadé- 
mie de morale. 

4. Dans la plupart des bals de société, dans les salons 
aristocratiques, comme dans les réunions mondaines 
d*un rang moins élevé, le décolletage des femmes est 
de mise, et souvent même de rigueur. C'est la toilette 
de soirée, exigée par le caprice de la mode ou la 
tyrannie des habitudes. Que cette coutume soit déplo- 
rable, il n*y a pas à en douter. On doit souhaiter 
qu'elle disparaisse, et, si Ton a quelque autorité dans 
de tels milieux, faire tous ses efforts pour que le remède 
soit apporté au mal. Mais, la coutume existant, coutume 
à laquelle pour certaines personnes du monde, du monde 
officiel surtout, il est si diflicile de se soustraire, doit- 
on condamner les dames qui, dans cette toilette, vont 
au bal ? Plusieurs auteurs n'hésitent pas à les condamner 
avec sévérité. Leur sentiment leur parait si justifié 
qu'ils croient dénuée de tout fondement l'opinion con- 
traire. Parmi ces moralistes rigides, il nous suffira de 
citer ici Roncaglia, Universa moralis theologia, tr. VI, 
De primo decalogiprœcepto, q. m. De charitate,c, vi, 
De scandale, q. Y, resp. 3, 2 in-fol., Venise, 1753, t. i, 
p. 184; Concina, Theologia chfHstiana dogmatico- 
moralis, 1. I, In decalogum, diss. iX, De scandale, 
c. IX, § 12, n. 2-9, 10 in-4<», Rome, 1755, t. ii, p. 154- 
157. D'après eux, ni les exigences de la mode, ni 
l'existence de la coutume n'excusent; et ils déclarent 
coupables de péché mortel les femmes qui s'y conforment, 
à cause des tentations graves dont elles sont volontaire- 
ment l'occasion pour ceux qui les voient ainsi décolletées. 
La contame, disent-ils, ne saurait rendre licite ce qui 
est intrinsèquement mauvais. 

Cependant, la plupart des auteurs sont d'avis que la 

coutume est une raison suffisante pour excuser ces 

femmes de péché mortel, à moins que le décolletage 

ne soit excessif et réellement provocateur. Cf. Navarre, 

Manuale confessariorum et pœnilentium, c. xxxui. 

De superbia, n. 19, in>4», Venise, 1616, p. 388;Lessius, 

De justitia et jure, 1. IV, c. iv, dub. xiv, n. 106-112, 

in-fol., Brescia, 1696, p. 654; Cajetan, In //•» II», 

q. CLXix, a. 2; Sylvius, In /i«« //■, q. CLXix, a. 2, 

4 in-fol., Anvers, 1667, t. m, p. 898; Salmanticenses, 

Cursus theologim moraiis, tr. X.XI, De primo decalogi 

prmcepto, c. viii, De vitiis charitati oppositis, p. v, 

fS 2, n. 61 ; tr. XX\1, De sexto et nono decalogi prœ- 

cepto, c. III, p. I, n. 16, 4», n. 18, t. v, p. 171 ; t. vi, p. 107 ; 

Bonacina, TraclcUus de matrinumio, q. ix, p. ix, 

n. 23, Opéra oninia, 3 in-fol., Venise, 1716, t. i, p. 322; 

Diana, tr. V, De scandalo, resol. xi, n. 3, Opéra omnia, 

9 iO'foL, Lyon, 1667, t. vu, p. 333; Sanchez, De sancto 

tnatrinionii sacramento, 1. IX, disp. XLVI, n. 25, 

3 la-fol., Lyon, 1637, t. m, p. 315; Tamburini, Expli- 

eatio decalogi, 1. "VII, c. viii, J| 8, n. 7, Opéra omnia, 

2 in-lbi., Venise, 1707, t. i, p. 206; S. Alphonse, 

Theologia moralis, l.III,tr.III, Déprmcepto chaHtatis, 

c n, dub. V, a. 2, n. 55, t. i, p. 343sq.; Marc, Institu- 

iUmes morales alphonsianœ, part. II, sect. i, tr. III, 



De charitate^ c. ii, a. 3, § 2, De scandalo, n. 513. t. i, 
p. 363; Ballerini, Compendium theologiss mo7'alis, 
tr. De virtutibus, c. m. De charitate, a. 2, § 3, 
p. i, sect. II, n. 239, t. i, p. 209; Berardi, De recidivis 
et occasionaiHis, tr. II, part. II, De occasionibus parti- 
cularibus qum ut plurimum sunt voluntariœ, a. 2, q. i, 
sect. III, n. 180-188, 2 in-8o, Rome, 1897, t. ii, p. 218- 
224; Lehmkuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II, 
divis. I, c. m, a. 2, § 1, n. 643, 2 in-8«, [Fribourg-en- 
Brisgau, 1902, t. i, p. 384. Aux raisons invoquées par 
les auteurs du sentiment opposé, ils répondent que la 
coutume assurément ne rend pas licite ce qui est 
intrinsèquement mauvais : par exemple, ce qui est 
contre le droit naturel; mais la question est précisé- 
ment da savoir si un pareil décolletage est mauvais 
intrinsèquement. Partes illas, dit Lessius, loc. cit., 
n. 112, p. 611, nec natura, aut pudor humanus postu- 
lat absolule tegi; et les Salmanticenses en donnent la 
raison : quia non sunt partes ad lasciviam vehemen- 
ter pi^ovocantesy tr. XXVI, c. m, p. i,n. 16, t. vi, p. 107. 
Ce décolletage n'est coupable qu'en raison du danger 
qu'il peut entraîner pour la chasteté. Or, comme le foit 
remarquer saint Alphonse, loc. cit., il est d'expérience 
que l'habitude de voir certains objets diminue de beau- 
coup la force de la concupiscence. Ainsi, ajoute le 
saint docteur, une femme donnera beaucoup plus de 
scandale, simplement en découvrant ses bras, là où ce 
n'est pas la coutume, qu'en montrant la partie supé- 
rieure de sa poitrine, si on y est habitué, quia^ dit-il, 
assuefactio efficit ut viri extali visu mimamoveantur 
ad concupiscentiam , prout constat ex experientia. Les 
auteurs récents s'appuient sur le même motif: quum 
a^sueta minus phantasiam excitent, Ballerini, loc. cit., 
n. 239, t. I, p. 209; ex consuetis non fit libido, nec 
passio. Berardi, loc. cit., n. 184, t. ii, p. 220. Il arrive 
donc, par le fait de l'habitude, que les hommes et même 
les jeunes gens fréquentant ces réunions, sont peu ou 
point choqués, ni excités, par ces toilettes légères et 
tapageuses. 

Que faut-il entendre par moderatam vel immodera- 
tam pectoris denudationem, la première étant jusqu'à 
un certain point excusable, tandis que la seconde ne 
l'est pas? Nul auteur ne s'est avisé de tracer une ligne 
de démarcation bien tranchée, par la raison bien simple 
que le degré de décolletage, que la coutume excuse de 
faute grave, dépend précisément de la coutume elle- 
même, qui varie considérablement suivant les contrées 
et les milieux. Sous ce rapport, il y a plus de liberté 
en Italie et dans les pays chauds qu'en Angleterre et 
dans les pays froids. Avec un corsage moins décolleté, 
une personne du nord peut bien plus scandaliser, 
qu'une femme du midi dont la poitrine serait plus à 
découvert. Quamquam communissima sit doctorum 
sententia, non esse damnandam de peccato mortali 
moderatam in mulieribus pectotns denudationem, 
ubi talis vigeat consuetudo, plerumque tamen cujus- 
modi sit modet^ata aut immoderata denudatio, ideo 
fartasse non dicunt quod varia pro vaHis locis con- 
suetudo essepossit. Ballerini, loc. cit., n. 239, in nota> 
t. I, p. 209. Lehmkuhl s'exprime de même : quœnam 
denudatio graviter peccaminosa dicidebeat, aconsue- 
tudine mullum pendet, loc. cit., n. 643, t. i, p. 384. 

En certains endroits la coutume est si invétérée, si 
forte et si impérieuse, qu'elle excuse non seulement de 
faute grave, mais aussi de péché véniel. Il en serait 
ainsi, par exemple, pour une femme du monde officiel 
et qui ne pourrait, sans de grands inconvénients, se 
singulariser. Cf. Berardi, De recidivis et occasionariis, 
loc. cit., n. 188, t. ii, p. 223. En pratique cependant, 
il semble presque toujours possible à une femme, par 
des ajustements, des dentelles, des rubans, ou orne- 
ments de ce genre, de diminuer le décolletage, de 
manière à le ramener aux limites de la modestie, sans 



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DANSE 



H6 



éveiller les susceptibilités de son entourage, et sans 
s'attirer les censures et la malveillance du milieu 
mondain que, vu son rang, elle est obligée de fré- 
quenter. 

Les nombreux auteurs précédemment cités et qui, 
dans une si large mesure, tiennent compte de la cou- 
tume comme circonstance atténuante, sont cependant 
unanimes à déclarer coupable de péché mortel une 
femme qui arriverait au bal ainsi décolletée, quand ce 
n'est pas l'habitude, ou qui ferait des efforts pour intro- 
duire une mode aussi dangereuse et aussi répréhen- 
sible. Sa présence exciterait certainement les passions 
mauvaises, et l'on ne pourrait plus, pour l'excuser, 
invoquer l'axiome : ex consuetit mm fit libido. Ce qui 
est extraordinaire, en effet, attire davantage l'attention, 
et provoque à un plus haut degré la concupiscence : 
insolita enim magis movent. Cf. Lessius, De justitia 
et jure, 1. IV, c. iv, dub. xiv, n. 112, p. 654; Tamburini, 
Eœplicatio decalogi, 1. VII, c. viii, § 8, n. 7, 1. 1, p. 207. 

5. Â la question du costume se rattache celle des 
bals masqués, ou travestis. Plusieurs auteurs les con- 
damnent a priori et très sévèrement, à cause du 
periculum peccandi, qui s'y trouve presque constam- 
ment, d'après eux. Cf. Gousset, Théologie mm^ale, 
Traité du décalogue, VI« partie, c. i, n. 651, 2«, t. i, 
p. 295. Masqués, les danseurs et danseuses peuvent 
plus facilement, sans riquer d'être reconnus, se donner 
des libertés qu'ils n'auraient pas osé prendre à visage 
découvert. Sous le masque donc se glissent quelquefois 
une intention plus mauvaise et un plus pressant danger. 
Est-il vrai cependant que les déguisements, sous lesquels 
se cachent danseurs et danseuses, sont toujours une 
occasion favorable à de plus grands, ou à de plus nom- 
breux désordres? Il en est souvent ainsi; ce serait une 
erreur de le nier ; mais cette règle est loin d'être sans 
exception. On a même prétendu, et non sans fondement, 
car l'expérience en fait foi, qu^il n'y a de danger, dans 
les bals masqués, que pour ceux ou celles qui l'y 
cherchent délibérément. Très souvent, en effet, non 
seulement la Hgure est cachée par le masque, et tout 
décolletage en est nécessairement banni ; mais même 
la taille la plus élégante est dissimulée sous un ample 
domino. La coquetterie ne subsiste que dans la chaus- 
sure. Un bas tricoté à jours, un soulier de soie ou de 
satin, sont le critérium, parfois bien trompeur, par 
lequel on cherche à deviner l'âge et les charmes de la 
personne ainsi travestie. Telle qui a déjà près de 
cinquante ans profite de ce subterfuge pour laisser 
croire qu'elle n'en a qu'une vingtaine. Pour elle, un 
bal ordinaire où elle paraîtrait ce qu'elle est réellement, 
ne présenterait aucun danger. Un bal masqué, au con- 
traire, peut illusionner son danseur, et l'illusionner 
elle-même. Si une passion de quelques heures naît de 
cette double illusion, c'est parce qu'elle a été volon- 
tairement provoquée, et que, d'une part, une ruse 
féminine, et, de l'autre, l'imagination, ont considéra- 
blement exagéré des attraits qui, en réalité, se rédui- 
saient à bien peu de chose, ou peut-être même n'exis- 
taient absolument pas. 

Si ce danger se rencontre, c'est surtout dans les bals 
masqués publics, où l'erreur est plus facile. Mais il 
se trouve plus rarement dans les bals travestis des sa- 
lons, ou des réunions de famille. C'est, alors, simple- 
ment un genre d'amusement particulier, qu'on ne doit 
pas, en général, considérer comme une excitation au 
mal. Ces travestissements, parfois bizarres, peuvent de- 
venir un danger, sans doute ; mais souvent, aussi, ils ne 
sont qu'une innocente récréation. Cf. Berardi, De reci- 
divis et occ<monaHi8, part. II, c. i, a. 1, q. i, sect. ii, 
n. 177, obj. 3*, t. ii, p. 213. 

2<» Actes : attouchements, rapprochements, enlace- 
ments. — Quand le genre de danse adoptée donne lieu 
à des gestes inconvenants, à des attouchements indis- 



crets, à des rapprochements trop intimes entre adultes 
des deux sexes, à des postures déshonnêtes, à des enla- 
cements ou embrassements, aniplexus, qui surexcitent 
les passions chamelles, il est évident que la danse, alors, 
ne reste plus dans les limites d'un simple amusement, 
mais qu'elle constitue, pour les danseurs et les dan- 
seuses, comme aussi pour les .spectateurs, un danger 
véritable et une occasion prochaine de péché. Ces 
danses ne sauraient donc, en aucune façon, ratione 
modi saltandi, être permises, ou tolérées. Mais quelles 
sont celles qui rentrent nettement dans cette catégorie 
de danses mauvaises et illicites? 

Pour répondre à cette question avec la précision dé- 
sirable, il n'est pas nécessaire de faire ici l'exposé dé- 
taillé de toutes les danses usitées de nos jours. Les an- 
ciens Grecs avaient plus de deux cents espèces de 
danses. Cf. Athénée, Dipnosophistes, xiv, p. 630. 
Sous ce rapport les peuples modernes ne sont pas 
moins riches. L'Angleterre, à elle seule, en avait plus 
de cinq cents, au début du xviip siècle. Cf. Dancing- 
Master, 2 in-S», Londres, 1716. Chaque nation, parfois 
chaque province, a eu, et a, souvent encore, ses danses 
favorites. Ces danses nationales et locales ont, bien des 
fois, franchi les frontières des contrées qui les virent 
naître. Transportées ailleurs, et plus ou moins modifiées 
par les caprices de la mode et l'influence des milieux, 
elles ont eu leur temps de vogue et d'éclat. Puis, elles 
ont décliné, et ont laissé la place à d'autres plus en 
faveur; mais, ordinairement, sans disparaître complè- 
tement, et en se fusionnant avec celles-ci, de façon à 
former peu à peu une infinité de variétés. Pour les dé- 
crire toutes, même d'une manière sommaire, il faudrait 
plusieurs volumes. Ce serait, en outre, absolument 
inutile pour le but que nous nous proposons. Au point 
de vue théologique, le seul que nous devions envisager 
ici, il suffit de les ranger en trois classes parfaitement 
distinctes : 1. les danses honnêtes; 2. les danses fran- 
chement mauvaises, par leur indécence et leur obscé- 
nité ; 3. les danses douteuses et dangereuses. Ce n'est 
que par rapport à ces dernières qu'il peut y avoir des 
difficultés pratiques à porter un jugement. Les pre- 
mières, en effet, sont évidemment permises, et honni 
soit qui mal y pense. Les secondes doivent être sévère- 
ment prohibées, sans exception possible. Mais les au- 
tres? Et celles-ci sont légion, car, entre les naïves 
rondes de l'enfance, ou les honnêtes divertissements en 
usage dans les familles qui se respectent, et les inven- 
tions lubriques des milieux interlopes, il y a place 
pour une série indéfinie de termes intermédiaires, se 
rapprochant plus ou moins de ces deux extrêmes si 
différents : la simple récréation, le jeu, le délassement, 
et la corruption savamment organisée et érigée en sys- 
tème. 

Parmi ces danses considérées comme douteuses, il 
y en a peu où le danseur ne soit amené à saisir la dan- 
seuse par la main. A moins qu'il n'y mette de la pas- 
sion, ou une intention mauvaise, cet acte n'est pas, en 
soi, peccamineux. Jn choreis auteni levitei* apprehen- 
dere manuni fœminœ, tel non erit culpa, vel ad sum- 
mum venialis. S. Alphonse, Theologia moralis, 1. IV, 
tr. IV, c. II, dub. II, n. 429, t. ii, p. 240. Cf. Salmanti- 
censes. Cursus theologiœ moralis, tr. XXVI, De sexto et 
nono decalogi prœcepto, c. m, p. i, n. 18, t. vi, p. 107. 

Mais certaines danses, très en vogue de nos jours, 
telles que la valse, la polka, la mazurka, la rédowa, la 
scottish, le galop, etc., sont bien plus osées et bien au- 
trement dangereuses. D'après les lois qui en régissent 
l'ordonnance, elles exigent, en effet, non seulement que 
le danseur tienne par la main la danseuse, et entrelace 
ses doigts avec les siens; mais qu'il s'approche de plus 
en plus d'elle, jusqu'à la saisir par la taille, l'enlacer 
dans ses bras, et la serrer sur sa poitrine. Quelquefois 
la tête de la danseuse se penche voluptueusement sur 



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DANSE 



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répaale de son cavalier, comme si elle s'abandonnait 
à lui. D'autres fois, surtout dans les danses à allure 
rapide, la danseuse est, à diverses reprises, soulevée 
par le danseur, ou bien elle saute en s'appuyant sur 
lui : tout cela, aux sons d'une musique enivrante ; dans 
on milieu saturé d'une douce chaleur, ou de parfums 
pénétrants; sous la vive lumière de lustres nombreux 
qui, par leur éclat, ajoutent encore à la fascination de 
cet ensemble, où tout semble réuni pour séduire les 
yeux et le cœur. 

Ces rapprochements, ces contacts et les dangers aux- 
quels ils donnent lieu, se produisent surtout dans ce 
qu'on appelle les danses tournantes. La forme type de 
celles-ci est la valse, en allemand Walzer, du verbe 
wâhen, tourner en cercle. Cette danse, l'une des plus 
fascinantes, était française depuis quatre cents ans, 
mais elle avait été un peu oubliée en France, quand 
elle y fut, comme une chose nouvelle, importée d'Alle- 
magne, en 1795. Cf. Castil-Blaze, L'académie de musi- 
que, n. 18, 2 in-«o, Paris, 1847-1856, t. ii, p. 71 ; Fétis, 
Dictionnaire de musique, v» Valse, 8 in-i®, Paris, 
1860-1865. C'est pour l'Allemagne la danse de prédilec- 
tion, et les compositeurs célèbres, Strauss, Farbach, 
Metra, ont écrit pour la valse des morceaux très re- 
marquables. La règle fondamentale de la valse est que 
chaque couple de danseurs, composé d'un cavalier et 
d'une dame, fait on tour sur lui-même et, par ces évo- 
lutions successives, décrit en tournoyant, en même 
temps que les autres couples, parfois fort nombreux, 
un cercle ou une ellipse, suivant la forme de la salle 
affectée au bal. Il y a plusieurs espèces de valses : les 
unes sont à allure plutôt modérée, et les autres à mou- 
vement rapide, selon que le mouvement du danseur 
est à trois ou à deux temps. 

La polka a été importée de Pologne en France, vers 
1845, ainsi que la mazurka qui est la danse nationale 
polonaise. Celle-ci est d'un mouvement un peu moins 
vif; mais la polka est une danse tournante à deux 
temps. Pendant les évolutions et durant tout le tour- 
billon de la danse, le cavalier passe son bras droit 
autour de la taille de la danseuse, dont le bras gauche 
repose sur l'épaule du cavalier. En même temps, celui-ci 
lui soutient la main droite dans sa main gauche, à la 
hauteur de la ceinture. La rédowa, danse bohème, 
est une sorte de valse, qui participe à la fois de la polka 
et de la mazurka. Cf. G. Vuillier, La danse, c. viii, La 
raUe et la polka; les bals publics, in-4», Paris-Milan, 
1899, p. 201-249. 

Comme son nom l'indique, la scottish est d'origine 
écossaise. Cette danse a beaucoup d'analogie avec la 
polka qu'elle a précédée en France, mais qui l'a de 
beaucoup éclipsée. Le mouvement de la scottish est plus 
lent, quoiqu'elle soit aussi et peut-être plus voluptueuse 
encore. 

Que ces rapprochements entre personnes de différents 
sexes, ces contacts, ces enlacements, tous ces ampleœus 
des danses tournantes soient très dangereux, puissent 
donner lieu souvent à de fortes tentations, et occasion- 
nent fréquemment des fautes graves, ce n'est que trop 
évident. Les gens du monde les moins suspects de scru- 
pules déplacés le reconnaissent eux-mêmes : 

Si vous n'avez jamais vu d'un œil de colère 
La valse impure, au vol lascif et circulaire, 
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs... 

Victor Hugo, Feuilles d* automne ^ 28. 
La valseuse se livre avec plus de langueur... 

A. de Musset, A la mi-carême, iv. 

D'autres, comme M. de Saint-Laurent, Quelques mots 
sur les danses modernes, ne craignent pas de dire que 
la valse et ses dérivés : polka, mazurka, scottish, etc., 
sont une c véritable excitation à la débauche, un pré- 
lude ou une réminiscence des plus coupables voluptés ». 



Revue des Deux Mondes, 1« novembre 1865, p. 204. 
Cf. Deschamps, Le mari au bal, 2 in-8«, Paris, 1846; 
De Concourt, Mystères des théâtres, in-8», Paris, 1853; 
La Société française pendant le Directoire, 2 in-8«>, 
Paris, 1864; M"»» de Bassonville, Le monde tel quHl est 
in-8«, Paris, 1853; La jeune fille chez tous les peuples, 
in-8o, Paris, 1861 ; Ventrée dans le monde, in-8o, Paris, 
1862. 

Qu'il en soit souvent ainsi, ce n'est malheureusement 
que trop vrai. Mais peut-on transformer ce verdict sé- 
vère en règle générale? Au point de vue théologique, 
y a-t-il là un acte essentiellement et intrinsèquement 
mauvais? En d'autres termes, parce qu'une personne a 
dansé une valse, une polka, ou une scottish, doit-on 
et peut-on, sans plus d'examen, la juger a priori cou- 
pable de péché mortel? Une affirmation d'une telle 
étendue et d'un pareil absolutisme serait certainement 
exagérée. Les ampleocus, dont il est ici question, ne sont 
pas toujours en soi, meiaphysice et Iheorice loquendo, 
mortellement coupables. Ils ne constituent une faute 
grave qu'en raison de la passion charnelle dont ils se- 
raient la manifestation, ou qu'en proportion du danger 
auquel ils exposent la vertu de ceux qui se les permet- 
tent. Si l'on suppose qu'il n'y ait pas de passion char- 
nelle, et cette supposition n'est pas chimérique, car il 
serait absurde de croire que toutes les personnes ame- 
nées, quelquefois par une rencontre fortuite, ou pour 
tout autre motif, à danser ensemble, s'aiment, par ce 
seul fait, d'un amour impur et passionné; si, en outre, 
les circonstances amoindrissent le péril qui natt d'ordi- 
naire de ces rapprochements, la faute sera d'autant di- 
minuée et pourra même totalement être évitée. Ces 
amplexus, faits par manière de jeu, ou par suite d'usages 
reçus auxquels il est parfois très difficile de se sous- 
traire, ne doivent donc pas être considérés comme ayant 
toujours pour premier mobile la passion. Dès lors, ils 
n'en sauraient avoir la malice, et ils sont loin de pré- 
senter l'extrême gravité que certains rigoristes préten- 
dent y trouver toujours. Le jeu, le divertissement, la 
récréation, disons même la légèreté, sont parfois une 
circonstance atténuante; les usages reçus en sont une 
également. Cette remarque contre laquelle beaucoup 
seraient portés peut-être à s'insurger, en la taxant, à 
première vue, de laxisme, est cependant très fondée 
en fait et en droit. Depuis longtemps, d'ailleurs, elle a 
été clairement formulée par les princes de la théologie. 
Multa si serio fièrent, dit l'angélique docteur, gravia 
peccata essent, quœ quidem joco facta, vel nulla, vel 
levia sunt... Aliqua enim sunt peccata propter solam 
intentionem {pravam) quam quidem intentionem ex- 
cludit ludus, cujus intentio ad delectationem (recréa- 
iionem) fertur.., et in talibus ludus excusât apeccato, 
velpeccatum diminuit. Sum. theol., lUl]^,q, clxviii, 
a. 3, ad 1"». Le jeu a pour intention première le diver- 
tissement, la récréation. Plus cette intention est vive, 
plus elle est prépondérante, et plus, dans les actes qui 
ne sont pas en soi intrinsèquement mauvais, elle écarte 
une intention vicieuse qui s'y glisserait peut-être et 
même très probablement, si l'esprit n'était pas si forte- 
ment distrait par une autre préoccupation : celle du 
divertissement lui-même. 

Quelques pages auparavant, saint Thomas était entré, 
à ce sujet, dans d'autres détails. S'étant posé la ques- 
tion : Uti^m in taclibus et osculis (inter virum et fœ- 
minam) consistât peccatum mortalefW répond: Oscu- 
lum, amplexus, vel tactus, secundum suam rationem, 
seu speciem suam, non nominant peccata mortalia; 
possunt enim hœc absque libidine fieri, vel propter 
consuetudinem patries, vel propter aliquam nécessita- 
tem, aut rationabilem causam. II* II*, q. CLiv, a. 2. 
Quand les usages reçus s'imposent comme une espèce 
de tyrannie, à laquelle on ne peut se soustraire, sans 
s'aliéner l'esprit de ceux avec qui on est cependant 



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DANSE 



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obligé de vivre ; et quand ces usages existent par rap- 
port à des actions qui sont dangereuses, il est vrai, 
mais qui ne sont peccamineuses que propter p^*avam 
intentionem; ces usages ne rentrent-ils pas alors dans 
ce que saint Thomas appelle consueludineni patriœ, ou 
aliquam necessitatem, ou encore rationabileni causant, 
qui justifie, jusqu'à un certain point, le concours qu'on 
y prèle, et, par là même, écarte un peu le danger? 
Cf. Sylvius, In 11^"^ II', q. CLiv, a. 4, concl. i, n, iv, 
t. III, p. 852-855. 

Les Salmanlicenses ont également traité tout au long 
cette question délicate. Cursus tfieologiœ moralis, 
tr. XXVI, De sexto et mono decalogi prœcepto, c. m, 
§ 1, n. 27; § 3, n. 3448, t. vi, p. 109-113 : St prœdicti 
tactus, oscula et amplexus fiant inter vU^m et fœmi- 
nam juxla morem patries... sunt honesta, n. 27, t. vi, 
p. 109; tactus et oscula et amplexus inter virum etfoenii- 
nam habita, dummodo non sint nimis turpes, tantum 
habent malitiam venialeni si fiant ex vanitate, aut le- 
vitale jocosa, et absque delectatione venerea, n. 36, 
p. 111 ; quod si plures hujusmodi tactus, absque neces- 
sitate admissi, conimuniter tanquam Icuciviet venerei 
ad mortale damnantur, nequaquam id habent ratione 
delectationis naluralis {id est pure sensibilis), prœcise 
secundum se spectatœ, sed quia raro in ea sistunt, ita 
ut non inférant supradictam conimotionem et délecta- 
tioneniveneream, velsalteni ejus pei*iculum, a quibus, 
non vero ab ipsa nalurali {sensibili) delectatione, soient 
etiam coniniunitef* tactus Icucivi et venerei nuncupari, 
indeque ad culpam imputari, n. 43, p. 112. Ils font 
ensuite cette remarque très judicieuse que*si, de leur 
essence et dans la généralité des cas, les oscula, tactus 
et amplexus étaient ordonnés ad venereani delectatio- 
nem, comme le prétendait Cajetan, jamais ils ne seraient 
faits sans péché, même quand ils ne sont employés 
que comme manifestation d'une amitié honnête, ou 
d'une affection très légitime. Alors, ils sont très permis, 
suivant saint Thomas lui-même et la très grande majo- 
rité des théologiens. La pensée de saint Thomas, con- 
tinuent les Salmanlicenses, est donc que ces actes ne 
sont de leur nature ni libidineux, ni péchés mortels ; 
mais cela dépend de la fin que se propose celui qui agit* 
et qui les ordonne à cette fin. S'il a l'intention de ne 
se procurer par eux qu'une délectation simplement sen- 
sible, et non voluptueuse et vénérienne, cette fin n'étant 
pas gravement coupable, on doit en conclure qu'il n'y 
a pas là de péché mortel : cum ordinet illa oscula et 
amplexus ad captandam delectationeni naturalem 
(mère sensibilem), et talis finis mortalis non sit, hinc 
est quod nec dicta oscula, tactus et amplexus, ob talem 
delectationeni tantum facta, et secluso periculo ulle- 
rioris venereœ delectationis, sint mortalia, n. 4i, t. vi, 
p. 112. 

Peu importe, objectait Cajetan, l'intention que se 
propose dans ces actes celui qui les fait. Cette inten- 
tion du sujet ne peut changer celle que ces actes ont 
comme d'eux-mêmes, et que la nature leur impose : 
semper enim inclinatio naturalis rerum ipsas conse- 
quitur. Or, ajoutait-il, delectatio naturalis, etiam 
mei*e sensibilis, secundum sensum tactus in osculis et 
aliis tactibus, ab ipsa natura directe ordinatur ad 
venerem et ad coitum. Ergo ab hoc ordine nequit ab 
opérante retrahi. Cf. op. cit., n. 39, t. vi, p. 111. 

Comment un esprit aussi subtil et délié que C^'etan 
est-il tombé dans une telle confusion, et en est-il venu 
au point de faire un pareil sophisme? Les Salmanti- 
censes lui répondirent avec raison ; Negamus antece- 
dens, loquendo de tactibus, osculis et amplexibus, ut 
sunt sensui tactus naturaliter delectabilia; et illud 
concedimus solum in quantum sunt venerea; quia, 
solum in quantum sunt libidinosa, illa ad coitum or- 
dinant natura et homines lascivi, ut experientia 
liquet; alii vero tactus solum ex fine operantis ordi- 



nanlur ad coitum ; non vei*o ex se, n. 46, p. 112. 

Ces auteurs font ensuite remarquer que cela est in- 
contestable en théorie, spéculative et metaphysice 
loquendo. En pratique cependant, vu la corruption de 
la nature humaine, et la force de la concupiscence qui 
entraîne vers les voluptés coupables, très souvent ces 
oscula et amplexus sont péchés mortels ; car il est 
presque impossible, tant la pente est glissante, que de 
la délectation purement sensible provenant ex osculis 
et amplexibus, on n'en arrive bientôt au désir et à la re- 
cherche de la délectation vénérienne ^ sunt enim hœc 
satis propinqua, et una delectcUio est via ad aliam. Vix 
enim erit homo qui virginem, ob delectationeni natura- 
lem àsculetur, quin transeat ad camalem, n. 48, t. vi, 
p. 113. Ces mêmes savants auteurs ont également appro- 
fondi cette question, et l'ont exposée avec de très amples 
développements, dans le traité XIII% De vitiis et pecca- 
tiSy disp. X, 1^ 1, n. 211-217, Cursus theologicus,2i in-8», 
Paris, 1876-1883, t. vu, p. 384-418. 

Saint Alphonse reconnaît aussi que la circonstance 
du jeu, comme aussi celle des habitudes reçues, sont 
des circonstances très atténuantes, au point de dimi- 
nuer la faute, et même parfois de la faire totalement 
disparaître : Si oscula, amplexus, compressiones 
manuum et similia non obscœna, fiant ex joco, levi- 
taie, petulantia, imo etiam sensualitate, sive affectu 
sensuali ac naturali {dummodo non cum delectatione 
venei*ea, et si praeter intentionem suboriatur, ea re- 
puisa, ac tune abstinendo ab illis), venialem culpam 
non excidit. Theolog. mo^xLl., 1. IV, Ir. IV, De sexto et 
nono prœcepto decalogi, c. ii, dub. i, n. 417, 418, t. ii, 
p. 233. Et plus loin, il ajoute : Licet, etiam prssvisa 
pollutione,... equitare..., etiam causa recreationis, et 
honestas choreas ducere, l. IV, tr. IV, n. 483, t. ii, p. 267. 

Dans son traité De recidivis et occasioncunis, Berardi 
explique comment les amplexus des danses tournantes, 
telles que la valse, la polka, la mazurka, etc., peuvent 
parfois n'être pas, en pratique, gravement coupables. 
A première vue, dit-il, on a peine à comprendre com- 
ment un jeune homme et une jeune fille si étroitement 
enlacés et pressés Fun contre l'autre, peuvent rester à 
l'abri de tentations graves et n'être pas exposés à y 
consentir. En fait, très souvent ils succombent par pen- 
sées impures et désirs mauvais. Cependant, il n'en est 
pas toujours ainsi. On le sait par l'aveu même des per- 
sonnes qui, après avoir fréquenté ces danses, sont reve- 
nues à de meilleurs sentiments. Conver^p, alors, et 
souhaitant de mettre ordre à leur con^ence, elles 
révèlent en toute franchise ce qui s'est passé en elles, 
à ces moments troublés de leur vie. D'une part, la vo- 
lonté de s'amuser, l'entraînement de la danse elle-même, 
l'agitation qui en résulte, la distraction, la fatigue, sont, 
bien des fois, un obstacle aux tentations et au soulève- 
ment des passions, ou contribuent à les apaiser plus 
vite. Fatigatio, tripudium, saltatio, cigitatio, dis- 
tixu;tio, de fatigatio, etc., malitise et Ubidini cuiitum 
prœcludunt, aut illam cito evanesc^re faciunt. En 
outre, celui qui danse dans une réunion choisie, ou 
dans un bal de société, doit apporter tous ses soins à 
danser suivant les règles de l'art. Il ne le pourrait, à 
moins d'être très habile, si son imagination poursui- 
vait, à ce moment, des rêves lascifs. Qui saltat atten- 
dere débet ad bene saltandum. Si quis enim malitia 
prœoccupetur libidinemque foveat, bene saltare mi- 
nime potest, maxime si saltandi artem non optime 
calleat. Audivi etiam virum dicentem quod impedi- 
mentum physicum haberetur; atque insuper ipse 
pudor efficit ut viri motus camales impedire sata- 
gant, ne turpiter commoti ab aliis conspiciantur , 
Audivi quoque fœminam dicentem quod foominm magis 
manuum constrictionibus quam amplexibus commo- 
ventur. Amplexus enim tanquam legem chorese cu:ci- 
piunt; manuum vero constnctiones tanquam signum 



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DANSE 



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anioris fiabent, Reapse dicit Descuret quod fœmina 
non conimovetur, nisi amet. Berardi, op, cit., part. Il, 
c. I, a. 1, q. I, n. 177, object. 2», 2 in-So, Rome, 1897, 
t II, p. 211 sq. 

La raison Urée de la difficulté de la danse, et invoquée 
par Berardi pour montrer que, bien des fois, le danger 
est moins grand qu'on ne le supposerait à première vue, 
paraîtra plus probante encore, si Ton réfléchit que la 
danse, telle qu'elle est pratiquée à notre époque, est un 
art qa*on doit apprendre si on veut le posséder, et où 
tous ne peuvent exceller, pas plus que dans la musique 
ou la peinture. M">« de Staël observait déjà que, de son 
temps, la danse était « remarquable par son élégance 
et la difficulté des pas ». Corinne, vi, 1, 2 in-S», Paris, 
1807. De nos jours, cet art est devenu si compliqué 
qn*il exige, pour y réussir, des exercices fréquents. Les 
danseuses de profession se fatiguent, chaque jour, pen- 
dant plusieurs heures, à répéter, devant leur psyché, 
les divers pas de la danse, pour se familiariser avec 
eux, et parvenir à les exécuter avec aisance, élégance 
et précision. Cf. M»» Bernay, La danse au théâtre, in-8«, 
Paris, 1890. Le musicien exerce ses doigts, en parcou- 
rant sans interruption le clavier de son instrument, de 
haut en bas et de bas en haut : il leur donne ainsi de 
la souplesse, de l'agilité et de la régularité. Le danseur 
ou la danseuse exercent leurs pieds, et mettent à ce 
travail autant ou même plus d'ardeur et de persévé- 
rance que le pianiste n'en apporte à l'exécution de ses 
interminables gammes. La polka, la mazurka, la ré- 
dowa, etc., sont toutes des danses tournantes, et des 
modifications de la valse; mais elles en diffèrent, et se 
distinguent aussi entre elles parla différence « du pas ». 
Le «pas de la valse » n'est pas celui de la polka, comme 
le pas de la rédowa n'est point celui de la scottish, etc. 
Le pas de la valse se compose de trois parties : un pas 
glissé, un assemblé, et un second pas glissé. En d'autres 
termes, le pietl qui a glissé d'abord se détache de l'autre 
qui glisse à son tour. Tout cela s'exécute en tournant. 
Dans la terminologie chorégraphique, un glissé est un 
pas de danse par lequel on passe le pied doucement devant 
soi, en touchant légèrement le plancher. « L'assemblé » 
est un pas de la danse par lequel se réunissent les deux 
pieds suivant la troisième position considérée comme 
la plus naturelle pour finir la danse. On entend par 
positions les différentes manières de poser les pieds 
l'un par rapport à l'autre. Il y en a cinq, suivant les 
règles de l'art^ Dans la première, les pieds sont dispo- 
sés en équerre, les deux talons se touchant. Dans la 
seconde, les pieds gardent la même situation respective, 
mais les talons sont écartés de la longueur du pied. La 
troisième, nommée aussi embolture, ramène un pied 
devant l'antre, mais croisé avec lui, au droit du coup 
de pied, les jambes étant serrées l'une contre l'autre. 
La quatrième position détache les deux pieds, et porte 
l'un d'eux en avant, à la distance de la longueur du 
pied. La cinquième, enfin, croise les pieds, en mettant 
la pointe de l'un au tah)n de l'autre. Ces cinq positions 
sont en usage en France depuis le xyiii« siècle. Elles 
sont fondées sur la nature elle-même, et réglées par 
rexpérience et le sens de l'esthétique. Mais il y a aussi 
de fausses positions, parce qu'elles sont, en quelque 
sorte, contre nature, et on ne doit jamais les employer 
dans les danses de salon. Elles servent, dans les danses 
de théâtre, pour produire quelquefois certains effets parti- 
culiers, comme serait, par exemple, celle des pieds tour- 
nés tous les deux du même côté, ou ayant les deux pointes 
l'une vers l'autre. Cf. Fertiault, Histoire anecdotique et 
pUioresque de la dame, in-12, Paris, 1854; Blasis et 
Lenudtre, La danse, in-12, Paris, 1875; A. Czerwinski, 
Brevier der Tanzkunst, in-8*, Leipzig, 1879; Zorn, 
Grammatik der Tanzkun$t, in-S», et 2 atlas in4<», Leip- 
zig, 1887. 
Le pas de la valse actuelle n'est pas toujours celui 



de la valse classique. Il consiste aussi à faire, en tour- 
nant, cinq glissés suivis d'un assemblé, dans les six 
temps qui forment deux mesures musicales. De cette 
façon, ce pas répond à deux temps, ou à deux pas de 
la valse classique. Pour le pas de polka, on frappe 
alternativement des deux pieds, trois temps sur quatre. 
Au quatrième temps, le pied reste levé, et c'est lui qui 
commence les frappés suivants. Le pas de mazurka 
comprend deux parties. Dans la première, c'est-à-dire 
pendant les Irois temps de la première mesure, un pied 
se pose en avant et l'autre le chasse; le même pied 
saute légèrement, et la jambe opposée se lève en 
arrière. Dans la deuxième partie du pas de mazurka, 
les deux pieds posent successivement à terre sans sau- 
ter, et marquent les trois temps de la mesure. 

Les attitudes et les mouvements, inspirés par l'art 
chorégraphique, ne sont exécutés parfaitement que par 
les danseurs ou danseuses de la scène, dont c'est la 
profession. 

11 est aisé de comprendre que l'attention nécessaire 
pour observer, aussi exactement que possible, toutes ces 
règles minutieuses et une foule d'autres, dont il est 
inutile de parler ici, soit pour le danseur et la dan- 
seuse, exposés aux regards malicieux des spectateurs, 
la cause d'une préoccupation qui diminue d'autant le 
danger provenant des rapprochements et des enlace- 
ments, que les danses exigent pour la plupart. Cf. Menes- 
trier. Des ballets anciens et modernes, in-12, Paris, 
1682; Rameau, Le maître ù danser, in-8«>, Paris, 1725; 
De Cahusac, Danse ancienne et modetme, ou Traité 
historique éke la danse, 3 in-12, Paris, 1754; Magny, 
Principes de chorégraphie, in-8», Paris, 1765; Compan, 
Dictionnaire de la danse, in-8«, Paris, 1803; Noverre, 
Lettres sur la danse, 2 in-8o, Paris, 1807 ; Baron, Lettres 
sur la danse ancienne et moderne, civile et théâtrale, 
2 in-8o, Bruxelles, 1825; Castil-Blaze, La danse et les 
ballets depuis Bacchus jusqu'à 3f»« Taglioni, in-12, 
Paris, 1832; Labat, Études sur V histoire de la musique, 
2 in-8o, Montauban, 1852; Lacroix, Ballets et masca- 
rades depuis Henri II J, 2 in-8», Genève, 1868; Escu- 
dier. Dictionnaire de musique, in-12, Paris, 1872; 
Gaston Vuillier, La danse, in-4», Paris-Milan, 1899. 

La danse appelée galop est une des plus dangereuses. 
Elle est originaire de Hongrie, est à deux temps et à 
mouvement très vif. Souvent elle sert de figure finale 
au quadrille. Dans celui-ci, un nombre pair de couples 
de danseurs et de danseuses exécutent des contre- 
danses, c'est-à-dire qu'un couple arrive au point 
occupé par le couple opposé, quand celui-ci le quitte. 
Cf. M™» de Genlis, Les mères tHvales, 4 in-12, Paris, 
1800, t. II, p. 45. C'est, en effet, l'essence de la contre- 
danse que des couples de danseurs, placés vis-à-vis, 
fassent, à l 'opposite les uns des autres, des pas et des 
figures semblables. Le nombre de couples n'est pas 
nécessairement quatre dans le quadrille; mais il peut 
être plus nombreux, car ce mot vient de l'italien qua- 
dnglia, corruption de squadriglia, escadrille, petite 
escadre, petite bande. Cf. G. Vuillier, La danse, cYiii, 
p. 214, 219, 223, 231; c. x, p. 293, 296. Dans le galop, 
qui trop souvent est le bouquet final de ces réjouis- 
sances, le cavalier tient de la main droite la danseuse 
par la taille, tandis que celle-ci s'appuie sur lui de la 
main gauche. Les deux mains se tiennent en avant. 
Tune l'autre. Le pas de galop est « une suite de chas- 
sés ». Le chassé consiste à ramener un pied derrière 
l'autre qu'on avance aussitôt, commequand les militaires 
changent de pied pour se mettre au pas. Ce mouvement 
ne doit pas prendre plus d'un temps, c'est-à-dire pas 
plus d'une demi-mesure. Cf. G. Vuillier, La danse, 
c. VIII, p. 203 sq., 209 sq. 

On se rend compte facilement par là du danger que 
présente le galop, au point de vue de la morale. Le pas 
de galop est une suite de chassés ou de sauts, là dame 



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123 



DANSE 



124 



ayant en avant le pied droit et le cavalier le pied gauche. 
Le pied de derrière chasse constamment le pied de 
devant. Le danseur et la danseuse se tenant, en outre, 
par la main, et étant presque l'un sur Tautre, tandis 
que se succèdent ces mouvements saccadés et rapides, 
il est difficile d'imaginer, propter seducentisiimas ap- 
proximationes pectoris ad pectut et vultu9 ad vulium, 
quelque chose déplus inconvenant et de plus troublant, 
autant pour les danseurs et les danseuses que pour les 
spectateurs. Il produit pour les uns et les autres une 
sorte d'enivrement passionné. De là ces vers de 
P. Lebrun : 

Si la valse s'emporte au galop favori, 

Plus aimé du valseur qu'agréable au mari... 

ÉpUres. Le roi de Grèce. 

Voici, d'autre part, la remarque faite à ce propos par 
Berardi : Propter saltationem Utam nimis concita- 
lam, mulieres, qiiamvis ubera satis vel etiam perfecte 
cooperta habeant, magnam nihilominus {his partikus 
nimium se agitantibus) maliliosorum oblutuum occa- 
aioneni viris prœbere possunt. Peccatum iitud (quod 
tamsn attenta etiam difficultate hune aspectuni evi- 
tandi, non prœpf*opere judicari débet mortale) corn- 
niitti potest, non solum ab ils qui saltant, sed etiam 
ab mis qui fœminas sattantes conspiciunt; multo 
magis quia interdum immodestia ad prœdicta non 
restringitur, $ed ad aliquid pejus extenditur. Au- 
divi qui dixit magis facile esse ut quis peccet choreas 
aspiciendo, qvam in ipsis choreis saltando; idque 
forsan verum est. In primo casu adest tota comm o- 
ditas considerandi, et libidinem fovendi; in secundo 
autem,agitatio, distractio et tHpudium minorem Hbi- 
dini adituni relinquunt. Adverti potest demum quod 
aspectus malitiosi, quamvis frequentiores sint in vi- 
ris, accidere possunt etiam in fœminis, ut pu ta, si 
ipsae, in juvenes turpiter commotos, oculos figeren t. 
De 7'ecidivis et occasionariis, part. II, c. i, a. 1, q. i, 
sect. II, n. 173, t. ii, p. 208 sq. 

La danse moderne appelée cancan est plus inconve- 
nante encore. Elle est souvent exécutée avec des sauts 
exagérés, accompagnés de gestes lascifs. Elle n'est 
dansée que dans les bals publics, et jamais dans un 
salon qui se respecte. Il peut en être égalemen t ainsi, 
en certains endroits, de la danse appelée cotillon, 
et dans laquelle un ou deux danseurs mènent le branle, 
c'est-à-dire conduisent tous les autres qui doivent répé- 
ter après eux ce qu'ont fait les premiers. Cf. Paris- 
Magazine, 3 mars 1867 ; G. Vuillier, La danse, c. x, 
p. 307-309. Le cake tvalk, qui a fait fureur dans tous 
les salons et qui est le quadrille américain, est aussi 
bien leste. 

3*> Le lieu. — L'endroit où se font les danses, comme 
aussi le milieu ambiant, sont des éléments à considérer, 
quand on veut juger sainement de la moralité d'une 
danse. Pour bien des motifs, les bals de campagne, 
d'auberges, de faubourgs, de barrières, paraissent plus 
dcuigereux que ceux de salons ou de sociétés. Il faut 
bien reconnaître, en effet, que la grossièreté des danses 
de campagne et de celles des gens de bas étage, ouvre 
la porte à toutes sortes d'abus et de désordres, tels que : 
paroles trop libres, gestes inconvenants, postures ris- 
quées, ou franchement déshonnêtes, embrassements 
passionnés faits en public, sans pudeur ni réserve. 
Quoique la corruption se cache aussi parfois sous les 
dehors de l'éducation la plus raffinée, il y a cependant, 
en général, plus de décence et de retenue dans les sa- 
lons. Une jeune fille n'y danse, d'ordinaire, qu'en pré- 
sence de ses parents. Ceux-ci sont plus ou moins vigi- 
lants; mais, enfin, ils sont là. 11 n'en est pas de même 
à la campagne, où les jeunes filles, beaucoup plus libres 
dans leurs allées et venues, échappent souvent à la sur- 
veillance de leurs père et mère. Dans les classes éle- 



vées de la société, une jeune fille ne pourrait, sans se 
déshonorer, aller seule au bal, ou en revenir de même 
ou bien y aller et en revenir en compagnie de quel- 
qu'un qui ne serait pas son très proche parent. Les 
sorties de ce genre sont moins rares chez les filles du 
peuple, qui, par suite, sont plus exposées à tomber 
dans une faute grave, ou à y faire tomber ceux qui, 
connaissant leurs habitudes, peuvent en profiter pour 
commettre plus facilement le mal. 

4« Le temps. — Quand les danses sont fréquentes et 
régulières, comme, par exemple, dans les campagnes, 
ou dans les petites villes, tous les dimanches et jours 
de fêtes, il est très rare qu'elles restent un simple 
amusement. Elles deviennent, au contraire, une occa- 
sion d'intimités et de rencontres pour des personnes 
de difl'érents sexes, qui trouvent ainsi le moyen de don- 
ner à leur passion un aliment dont elles sont toujours 
avides. On ne devrait pas porter un jugement aussi 
sévère sur les danses qui ne se présentent pas avec ce 
caractère de fréquence, de régularité et d'habitude, 
comme celles, par exemple, qu'on orgî^nise accidentel- 
lement dans un salon, à propos de circonstances spé- 
ciales : réjouissances de famille, signature d'un contrat, 
noce, baptême, etc. Ce n'est pas à dire que ces danses- 
là soient toujours innocentes. Elles gardent les nom- 
breux inconvénients inhérents à leur nature, et dont 
nous avons déjà parlé ; mais, du moins, elles n'ont pas 
ceux qui proviennent de l'habitude. La fréquence des 
mêmes occasions fait que la passion s'enfiamme, tandis 
que, par l'effet de la même cause, la pudeur, au con- 
traire, s'affaiblit, et l'horreur du mal disparaît de plus 
en plus de la conscience relâchée. 

Le carnaval est une époque où les danses sont parti- 
culièrement dangereuses, et donnent lieu aux plus 
graves désordres. Ces réjouissances bruyantes, lointain 
écho des saturnales païennes^ ne sont que pour trop 
d'âmes l'occasion de chutes déplorables. Cf. Berardi, 
Derecidivis et occasionariis, part. II, c. i, a. 4, De bac- 
chanalibus, t. ii, p. 235-238. 

La nuit également, le danger est plus grand que le 
jour. 

//. EX PABTE SUBJECTL — Ce u'est pas assez, en pra- 
tique, d'examiner quel danger présentent objectivement 
les danses, en raison des circonstances qui les entourent. 
Il faut aussi et surtout considérer quel est ce danger, 
par rapport aux personnes à l'égard desquelles on a 
une décision à prendre, ou à notifier. C'est par l'oubli 
trop fréquent de cette circonstance personnelle et 
essentielle, qu'on est exposé si souvent à se tromper et 
à tromper les autres. C'est pour cela aussi qu'il est si 
difficile, pour ne pas dire impossible, de donner, sur 
les danses, des règles générales, car chaque cas parti- 
culier comporte presque une solution dilTérente. 

A moins d'être formellement obscènes, en effet, les 
danses ne sont illicites qu'en raison du plus ou moins 
de danger qu'elles renferment, et qui les constitue une 
occasion prochaine ou éloignée de péché. Si, d'ordinaire, 
le péché les accompagne, de manière qu'il y ait entre 
elles et lui une connexion probable et presque certaine, 
le danger est prochain. Les danses d'un caractère lascif 
impliquent, pour le plus grand nombre des individus, 
un danger imminent, auquel, à moins d'un motif grave, 
on ne peut s'exposer, sans commettre une faute mor- 
telle contre la vertu de prudence. Dans d'autres danses 
pourtant, le danger prochain n'est pas à ce point absolu , 
et universel. Il peut n'être que relatif, pour quelques 
personnes, par exemple, à cause de leur impressionna- 
bilité, de leur tempérament, de leur fragilité ; en un 
mot, de leurs dispositions particulières qui leur font 
trouver une occasion fréquente de chute, là où une 
foule d'autres n'éprouvent aucune mauvaise impres- 
sion. 

Si une personne a péché gravement presque toutes 



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425 



DANSE 



426 



les fois qu'elle a assisté à une danse, celle-ci, serait- 
elle hoanêtei est évidemment pour cette personne une 
occasion prochaine de péché. Il est très probable qu'elle 
retombera dans la même faute, si elle s*expose encore 
au même danger. On ne peut donc l'absoudre, si elle 
n*y renonce, à moins que, ne pouvant, pour un motif 
grave, se dispenser d'y assister, elle ne s'efforce, par la 
vigilance, la prière et de sérieuses précautions, de 
rendre éloigné le danger qui pour elle est prochain. 
Réciproquement, ce qui objectivement parait être un 
danger prochain pour le plus grand nombre, comme, 
par exemple, les amplexus dont il a été question à 
propos de la valse, de la polka, de la mazurka, etc., 
en présente quelquefois très peu, ou même pas du 
tout, vu le tempérament des individus, ou l'éducation 
reçue dans le monde spécial auquel ils appartiennent, 
et par laquelle ils sont devenus, sous ce rapport, beau- 
coup moins impressionnables qu'ils ne l'eussent été, 
dans un autre milieu et avec une formation difl'érente. 
Comme il a été dit col. 124, les danses fréquentes 
excitent parfois les passions, en leur procurant les 
occasions périlleuses qui attisent la flamme impure et 
l'alimentent; mais, parfois aussi, cette fréquence produit 
l'effet contraire. L'accoutumance émousse la sensibilité. 
Il ne manque pas de gens blasés sur ce genre de di- 
vertissement, qui, étant devenu pour eux une chose 
ordinaire, n^éveille ni leurs sens, ni leur curiosité. Eœ 
asêuelU non fil pa5«io. Certaines personnes ne trouvent 
même, dans des danses assez risquées, qu'un véritable 
ennui. EUles ne s'y prêtent qu'à regret et avec dégoût, 
uniquement parce que telle est l'habitude tyrannique 
dans la sphère sociale, où, vu leur nom et leur rang, 
elles sont obligées de vivre. 

Pour apprécier le côté moral d'une danse, le théolo- 
gien, ou le prédicateur, aurait donc tort de se mettre 
simplement an point de vue de ses idées personnelles, 
on de celles du milieu dans lequel il a lui-même vécu. 
II ne doit pas, dans sa pensée, opposer les personnes 
nées et vivant dans un milieu mondain, aux âmes pri- 
vilégiées qui, dès leurs années les plus tendres, ont été 
cultivées comme des fleurs en serre. La comparaison 
serait assurément défavorable aux premières, mais ex- 
poserait aussi à les juger injustement. De ce qu'une 
âme ne vise pas à la perfection, et n'a pas une émi- 
nente vertu, il ne s'ensuit pas que tout soit péché en 
elle. Parce qu'elle s'ofi'usquera moins de certaines pa- 
roles, de certains aspects, ou de certains rapproche- 
ments, que ne le ferait une personne, dont l'innocence 
•'est toujours abritée derrière les murs d'une maison re- 
ligieuse, faut-il en conclure que sa conscience est com- 
plètement oblitérée, et qu'elle ne distingue plus le bien 
du mal? Cette conscience assurément est moins déli- 
cate que celle d'un prêtre habitué à la gravité et à la 
dignité de la vie sacerdotale, ou que celle d'une reli- 
gieuse vouée à la pratique des conseils évangéliques; 
mais, si cette conscience est moins ouverte aux attraits 
de la vertu, on ne peut pas dire pourtant qu'elle soit 
absolument faussée. Elle a un angle optique à elle pour 
voir et apprécier les choses. Aussi reste-t-elle parfois 
très calme, là où d'autres seraient profondément trou- 
blées. Il ne faut donc pas s'étonner, si les personnes du 
monde se font de la danse une idée toute différente de 
celle que s'en forment les âmes qui, avides de perfec- 
tion, fo/ent jusqu'à l'apparence du péché. La vue même 
rapide d'une de ces danses donnerait à ces âmes des 
inquiétudes de conscience; tandis que, très souvent, 
\es personnes du monde y assistent et y prennent part, 
sans en éCre émotionnées. C'est là un fait d'expérience, 
dont pourraient témoigner beaucoup de confesseurs 
ayant lai pratique du saint ministère, ou même simple- 
ment les prêtres un peu mêlés à la société laïque, et, 
dés lors, plus à même de la connaître et de l'apprécier. 
Pour jager des intentions des gens et des mobiles qui 



les font agir, il faut, en effet, pour un instant au 
moins, s'identifier avec eux, s'assimiler leurs pensées, 
et deviner ce qu'ils éprouvent. 

Ce n'est pas à dire que, pour savoir si une chose est 
bien ou mal en soi, un théologien de profession soit 
obligé de consulter les laïques et les gens d'un certain 
monde. Assurément ceux-ci, sur une foule de sujets, 
tels que le duel, le point d'honneur, etc., se font une 
théorie à part, et qu'on ne saurait approuver; mais, 
comme pour tout péché mortel, il faut, de la part du 
pécheur, advertance et volonté, on est bien obligé, pour 
juger du danger que, pour tel ou telle, une danse pré- 
sente, de leur demander quelle impression cette danse 
produit en eux. Sur ce point, en effet, eux seuls peu- 
vent répondre, car seuls ils savent ce qui se passe dans 
leur conscience. Comme c'est une question de fait, ce 
n'est point par des règles générales qu'on arrive à 
l'élucider; mais c*est par leur aveu. Qu'on ne dise pas 
qu'ils sont intéressés à tromper. Nous supposons les 
pénitents de bonne foi, et, à moins de preuve contraire, 
il faut les croire tels, quand ils viennent d'eux-mêmes 
réclamer les sacrements. C'est, d'ailleurs, un principe 
de saine théologie : Credendum est pœnitenti tam pro 
se quam contra se loquenti. 

Dans ses Avvertimenli per li confessori, § 19, ouvrage 
si précieux que l'Assemblée du clergé de France voulut 
le faire traduire et imprimer à ses frais, en 1655, saint 
Charles Borromée range les danses parmi les occasions 
relatives ou personnelles, et non parmi celles qui, 
étant absolues et naturelles, sont prochaines à l'égard 
de tous. Cf. Gousset, Théologie morale, Traité du sa- 
crement de pénitence, c. xi. Des devoirs du confesseur 
envers ceux qui sont dans l'occasion prochaine du pé- 
ché, n. 565, t. Il, p. 378. Ce dernier auteur fait, ailleurs, 
cette remarque importante : « Pour que la danse soit 
une occasion prochaine de péché mortel, il ne suffit 
pas qu'elle occasionne de mauvaises pensées, ou autres 
tentations, même toutes les fois qu'on y va; car on en 
éprouve partout, dans la solitude comme dans le monde. 4 
Théologie morale. Traité du décalogue, VI« partie, c. i, 
n. 651, t. I, p. 296. 

Sur ce même sujet du point de vue personnel aux 
danseurs, on ne lira pas sans profit ce passage d'un 
théologien autorisé : Quasnam sunt choreœ quœ, ra- 
tione modi libidinosi saltandi, valde periculosas sunt 
et prorsus prohibendœf Non facile in theoria statui 
potest, QutBstio enim intriccUissima est, et plerumque 
a variis circumstantiis pendet,,. Vix aut ne vix qui^ 
dem definiri potest a viro theologo, qui res istittsmodi 
nonnisi ex aliorum relatione novit, Etenim ut eœpe- 
rientia constat, referentes, diversimodepericuUs affecti, 
de mis diversimode judicant, Quod enim aliis summe 
periculosum videtur, aliis tolerabile apparet; neque 
saltationes etiam ejusdem generis sunt ejusdem péri- 
culi pro omnibus. Itaque nec ipsi viri qui mundanis 
recrealionibus prius vacarunt, et subinde statum cle- 
ricalem amplexati sunt, hac deresemperconveniunt, 
Generatim, ut periculosissimas habentur choreœ quœ 
valse et polka dicuntur; sedulo proinde videntur inter- 
dicendsB, Atlamen non desunt viri probi qui has ipsas 
saltationes dicant modo non adeo indecoro fieri posse, 
licet communiter valde periculosœ sint. Plerumque 
igitur ea quœ ad chof*eas spectant relativa sunt ad 
PRESENTES PERSONAS et modorum circumstantias. 
Unde, in praxi, in prïmis ad periculum personale 
pœnitentis attendendum est, atque ad rationes quas 
habere potest choreis assistendi. Gury, Casus conscien- 
tiœ. De virtutibus, cas. xxii, n. 233, 2in-8o, Paris, 1891, 
t. I, p. 100. Il n'est pas rare, ajoute le même auteur, 
de rencontrer des femmes et des jeunes filles qui, dans 
le bal, n'ont commis d'autre faute que quelques pen- 
sées de vanité. Il en est même qui ne pèchent aucune- 
ment. Op. cit., n. 234, 1. 1, p. 100; Compendium theo- 



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d27 



DANSE 



128 



logim moralis, tr. De virtulibus, c. m, a. 2, § 3, sect. ii, 
n. 243, t. I, p. 213. Cf. Berardi, De recidivis et occa- 
sionariis, part. II, c. i, n. 2, sect. i, n. 166; sect. ii, 
n. 477; sect. m, n. 188, t. ii, p. 203,211-212, 223 sq. 

III. La danse considérée dans son ensemble. — Ré- 
sumant les observations faites jusquMci, et n'en formant 
qu^un seul tout, nous pouvons conclure que : l^la danse 
en soi n*est pas immorale, ni toujours cause de péché, 
ni, par conséquent, illicite. 2® Per accidens, elle peut 
devenir dangereuse, dès lors, mauvaise et défendue. 
3<* Comme il faut, dans chaque cas particulier, apprécier 
les circonstances qui la rendent illicite, il est impossible 
a p}nori de formuler des règles générales et absolues; 
d'autant plus que les circonstances, qui vicient une 
action de soi indifférente, doivent, ici, ôtre étudiées 
plus encore ex parte tubjecti que ex parte rei, puisque 
ce qui est danger grave pour les uns, n'est, bien des fois, 
que danger éloigné pour les autres, ou môme ne l'est 
presque pas, ou pas du tout. 4o Dans la pratique, on 
constate que le per se est beaucoup plus rare que le 
per accidens. Les personnes qui pèchent à l'occasion 
de la danse, sont donc incomparablement plus nom- 
breuses que celles qui ne pèchent pas à son occasion. 
11 en est surtout ainsi aux époques où la foi diminue, et 
où les exercices de la piété chrétienne sont plus géné- 
ralement abandonnés. Les mœurs étant plus relâchées, 
il se produit, alors, dans les danses, de tels abus, et on 
y prend de si grandes libertés, qu'il est bien rare que 
la vertu n'y fasse pas naufrage, au moins par des péchés 
internes. Le per accidens devient ainsi presque la 
règle. 

Il n'en reste pas moins vrai, pourtant, que ce qui 
est accidentel, même un accidentel très souvent réalisé, 
n'est point, pour cela, essentiel, ni universel; et que 
l'on ne pourrait, a priori, porter une condamnation 
générale sur toutes les danses et sur tous les danseurs. 
C'est en ce sens qu'il faut entendre quelques auteurs 
affirmant que les danses modernes, telles que la valse, 
la polka, la mazurka, etc., sont impures per se, comme 
étant de leur nature la destruction de toute chasteté. 
Cf. Eschbach, Disputationes physiotogico-theologicœ, 
disp. V, c. m, a. 1, § 3, in-8», Rome, 1901, p. 524. Ces 
auteurs prennent évidemment l'expression per se dans 
le sens moral, et non dans l'acception métaphysique 
et absolue qu'elle a en philosophie. Pour le philosophe, 
en effet, le per se implique une nécessité essentielle, 
n'admettant aucune exception ; par conséquent, toujours 
absolument la même, dans tous les cas, quel qu'en soit 
le nombre. En morale, le per se n'a pas ce caractère 
d'universalité et de nécessité immuable, sans aucune 
sorte d'exception. Il est seulement l'équivalent des 
expressions telles que celles-ci : conimuniter, régula- 
riter, plerunique, ut plurimuni, etc. C'est une géné- 
ralité, une grande majorité, et même très grande, si 
Ton veut; mais ce n'est plus l'universalité absolue. La 
porte reste ouverte à quelques exceptions. Elles se pré- 
senteront plus ou moins nombreuses; peut-être même, 
de longtemps, elles ne se présenteront pas ; mais, enfin, 
elles sont toujours possibles; tandis qu'elles ne le sont 
pas du tout à l'égard du per se métaphysique. C'est là, 
entre les deux per se, une immense différence. N'y 
eùt-il qu'un cas sur mille, ou môme seulement sur 
cent mille, cela suffit pour que, le per se ayant en mo- 
rale un sens tout autre qu'en métaphysique, on ne 
puisse, en vertu de ce per se, porter sur les danses 
tournantes : valse, polka, etc., une condamnation uni- 
verselle et absolue. 

IV. Règles pratiques pour le pasteur d'ames en 
DEHORS DU CONFESSIONNAL. — En raison de ses fonctions 
et de la charge d'àmes qui lui incombe, un curé a bien 
le droit, et même le devoir, de prendre des mesures 
d'ordre général dans le but d'extirper de sa paroisse 
les abus qui s'y glissent, ou déjà y existent. Il ne doit 



pas oublier cependant, qu'il n'est pas, à proprement 
parler, un législateur ayant, au for externe, le pouvoir de 
faire et de promulguer des lois, obligeant en conscience 
en vertu de sa seule autorité. D'autre part, une mesure 
d'ordre général, par le fait qu'elle vise la population 
dans son ensemble, est chose extrêmement délicate, et, 
avant de s'y résoudre, il convient d'en prévoir avec soin 
les conséquences probables. Un sage administrateur ne 
prend pas une mesure qu'il prévoit devoir inutilement 
soulever des tempêtes. Les innovations disciplinaires 
sont grosses d'inconnu, surtout quand la matière est 
délicate et le terrain brûlant. Cf. Gousset, Théologie mo- 
rale, Traité du décalogue, VI« partie, c. i, n. 651, t. i, 
p. 295. 

Au sujet de ce que doit faire un curé contre la danse 
en usage dans sa paroisse, de vives discussions se sont 
élevées. Comme les inconvénients sont grands de part 
et d'autre, et que les sentiments opposés sont défendus 
avec conviction, et non sans de fortes raisons à l'appui, 
il sera toujours difficile, pour ne pas dire impossible, 
de trouver un moyen terme, et d'adopter une solution 
qui satisfasse chacun. Les uns, se fondant sur l'axiome 
qu'entre deux maux il faut choisir le moindre, se con- 
stituent les apôtres de la tolérance. Assurément il serait 
mieux, disent-ils, qu'on ne dansât pas; mais le mieux 
n'est pas de précepte, et, quelquefois, il est l'ennemi 
du bien. A quoi serviront des invectives publiques 
contre la danse? A cause des dangers qui ne s'y ren- 
contrent que trop, menacera-l-on de refuser l'absolution 
à toute personne qui aura dansé, à moins qu'elle ne 
promette sincèrement de ne pas recommencer à l'ave- 
nir? Cette promesse, si elle est faite, sera-t-elle sin- 
cère? Et, si on ne veut pas la faire, on continuera à 
danser; on ne se confessera plus, et Ton ne commu- 
niera plus. 

Ces sombres perspectives n'émeuvent guère les te- 
nants du parti contraire. Voyant, avant tout, la gravité 
du mal actuel et le pressant danger que courent les 
âmes, ils sont d'avis qu'il faut prendre des mesures 
énergiques ; menacer publiquement de refuser l'abso- 
lution à tout danseur et à toute danseuse, même si le 
nombre des Pâques doit en être notablement diminué. 
En ces matières, disent-ils, l'indulgence serait cou- 
pable. Elle n'aboutirait qu'à multiplier les sacrilèges. 
Mieux vaut délaisser la sainte table que de la profaner. 
A quoi bon céder au torrent de la coutume? Ne vaut- 
il pas mieux prendre les moyens d'endiguer ses fiols 
dévastateurs? Et puisque le danger ne menace pas seu- 
lement une paroisse, mais toutes les paroisses, les 
curés devraient unir leurs efforts, adopter une mesure 
identique, afin de combattre le mal partout où il 
exerce ses ravages, et d'y porter partout remède. Rien 
n'est plus préjudiciable aux âmes et ne les encourage 
autant à persister dans leurs errements funestes, comme 
la différence d'agir qu'ils remarquent entre les curés 
des diverses paroisses, où les abus sont pourtant les 
mêmes. L'indulgence des uns semble condamner, et, 
de fait, condamne le zèle des autres, qu'il rend, du 
moins, pratiquement inefficace. 

Les curés voisins peuvent prendre de concert cette 
mesure s'ils ont l'espoir fondé qu'elle produira de 
bons résultats, fera disparaître les désordres, ou empê- 
chera une danse plus dangereuse de s'introduire dans 
le pays. Mais si, parmi eux, quelques-uns sont d'un 
autre avis et ne croient pas la chose opportune, qui 
pouiTa les y forcer? Leurs confrères n'ont aucune au- 
torité sur eux. L'intervention de l'évêque serait alors 
nécessaire. Il est donc rare que des curés puissent, de 
leur propre initiative, adopter un plan d'ensemble. 

Reste l'action du curé dans les limites de sa paroisse. 
Une mesure générale et rigoureuse, outre qu'elle peut 
être inefficace, risque aussi parfois d'atteindre des inno— 
cents et de les exposer au danger de se perdre. Mena- 



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129 



DANSE 



130 



cer de refuser Tabsolution à tout danseur et à toute 
danseuse, n*est pas, sauf en des cas très rares, théolo- 
giquement soutenable. Pourquoi la refuserait-on à 
ceux ou à celles qui, en dansant, ne pèchent pas? 
Serait-ce parce que d'autres pèchent? Mais a-t-on le 
droit de punir quelqu'un des fautes d*autrui? N'est-ce 
pas une obligation grave de donner l'absolution à tout 
pénitent bien disposé, qui fait l'aveu de ses fautes? 
Pourrait-on, pour justiGer cette décision, s'appuyer sur 
le scandale donné, ou sur la coopération apportée par les 
danseurs innocents à la faute des autres? Mais croit-on 
que l'abstention de quelques danseurs supprimerait les 
bals? Kefuserait-on l'absolution à ceux qui ne pèchent 
pis, prœsumptione periculi? Mais cette présomption 
n'existe pas pour eux, puisque l'expérience a prouvé 
qu'ils ne pèchent pas, et qu'il n'y a pour eux aucun 
4ianger, du moins prochain. 

Cette menace de refus général d'absolution serait donc 
inutile, et la promulguer du haut de la chaire serait 
une grave imprudence. Sans convertir les coupables, 
elle ne punirait que les innocents. Elle serait donc 
plus nuisible qu'avantageuse. Le curé entrerait inutile- 
ment en conflit avec la majeure partie de sa population. 
Ce serait le plus souvent la ruine de son ministère, et 
l'impossibilité presque absolue de continuer le peu de 
bien qu'il pouvait accomplir encore. Cf. Ojetli, Synop- 
sis rerum moralium et juris pontificii, alphabelico 
ordine digesta, v© Choreœ, 2 in-i», Prato, 1905, t. i, 
p. 288. 

Mais il ne s'ensuit pas que le pasteur d'âmes soit, 
même au for externe, absolument désarmé contre un 
mal de cette nature. Il lui reste d'autres moyens qu'il 
doit employer. Il diminuera le mal, plus par son in- 
fluence personnelle, discrète et persévérante, que par 
de violentes diatribes du haut de la chaire ; il le diminuera 
pir des conversations particulières, et par son action 
sur les meilleures familles. Il le diminuera aussi, pour- 
vu qu'il n'y revienne pas trop souvent, ni avec un zèle 
outré, par des sermons, non pas comminatoires, mais 
persuasifs; en montrant les écuei's et prémunissant 
contre les périls; en conseillant aux pères et mères de 
fiamiJIe d'en détourner leurs enfants. Mais qu'il ne 
défende pas les divertissements honnêtes, et qu'il ne 
•condamne pas sans distinction toutes les danses, comme 
si la loi naturelle, divine ou ecclésiastique, les pro- 
hibait. 

L'Église, qui aurait le droit de faire une loi de ce 
genre, si elle le jugeait avantageux pour le bien des 
.âmes, n'en a promulgué aucune pour interdire, en 
général, la danse aux chrétiens. Le curé n'a donc pas 
le droit, en préchant contre les danses réputées mau- 
vaises, de laisser entendre qu'elles sont toutes condam- 
nables. Il commettrait une erreur théorique et une grave 
imprudence. On s'apercevrait vite, au détriment de sa 
légitime influence, de ses exagérations. 

Même pour les, danses de campagne, que l'on con- 
sidère généralement comme plus dangereuses, il y a 
lien à distinction. Des auteurs qu'on ne pourrait taxer 
-de laxisme, donnent aux curés ces conseils : Impru- 
-dénier prohibenlur mstici in diebus festis choral- 
zare : tum quia choraizare non est illicilum ex génère 
9uo; tum quia, cum his choreis sint assueti, si ab eis 
XLTceanlur, forte vacabunt otio, rixis, aut aliis ludis, 
■ex quibus respublica forte turbabitur ; tum denique 
quia, cum publiée fiant, non datur occasio in eis tur- 
piler saXlandi. Curandum tamen est ut in eis ab om. 
ni actu et motu turpi abstineantur. Salmanticenses, 
Cursus theologiœ moralis, tr. XXVI, De sexto et nono 
decalogi prmceplo,c, m, p. i, n. 48, t. vi, p. 107. 

Après avoir dit que les curés doivent s'eflbrcer de 
détourner les fidèles des danses dangereuses, Gury 
ajoute : Verum, si omnes choreas de medio tollere vel- 
Jent, tempus et oletim perderent, necnon multos ab 

met, DE THÉOL. CATIIOL. 



usu sacramentoruni retraherent. Caute igiiur in 
praxi procedenduni est, et inter duo mala minus 
eligendum. Casus conscientim, Devirtutibus, cas. xxii, 
n. 234, t. I, p. 100. 

Il convient aussi de conseiller aux jeunes gens et aux 
jeunes filles la fréquentation des sacrements et les 
exercices de piété; de créer des œuvres de préserva- 
tion et de persévérance : patronages, confréries, con- 
grégations, etc., et de les y enrôler. Cf. Marc, Instilu- 
iiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii, tr. VI, 
c. IV, § 2, n. 833, t. i, p. 562. 

Enfin, un curé ne négligera pas de recourir à Oieu 
par la prière. 

V. Règles pratiques pour le confesseur, au for 
INTERNE. — Au tribunal de la pénitence, le confesseur 
est juge en dernier ressort, puisque ses décisions ne 
relèvent que de Dieu et de sa conscience. Son in- 
fluence est bien plus grande que celle du prédicateur. 
II peut, par ses conseils et sa direction, persuader à 
plusieurs de ses pénitents de renoncer à ces divertis- 
sements. 

Ses décisions toutefois ne sauraient être dictées 
d'après une règle uniforme et inflexible. Elles varieront 
suivant les cas et les circonstances, suivant la docilité 
des personnes, et l'espérance plus ou moins fondée de 
leur amendement. Cf. Berardi, De recidivis et occasio- 
nariis, part. II, c. i, q. i, sect. il, n. 175-177, t. ii, 
p. 210. 

Si la danse est une occasion prochaine de péché, il 
refusera nécessairement l'absolution, à moins d'un 
vrai repentir et de la promesse sérieuse d'éviter, à 
l'avenir, une aussi dangereuse occasion. Toutefois, il 
serait imprudent et excessif de faire promettre l'absten- 
tion complète de la danse. Certaines danses ne présen- 
teront peut-être pas, plus tard, les dangers auxquels il 
s'agit d'obvier à ce moment. Les pénitents ne pourront 
peut-être pas toujours s'abstenir de danses auxquelles 
leur rang, leur position, ou l'ordre de leur père ou de 
leur mari, les obligeront de prendre part. S'ils pro- 
mettent sérieusement de ne participer qu'à des danses 
honnêtes, on devra les absoudre. Ce n'est point par 
une intransigeante sévérité qu'on pourra les gagner. 
Au lieu de les blâmer avec rudesse, il faut les re- 
prendre avec douceur. Cave,o conf essarte, ne severius 
cum psmitente agendo,nihil proficias, et ipse noceas. 
Obsecra igitur semper, non vero semper increpa op- 
portune et importune, Quod tibi suadebit bonuni 
spirituale pœnitentis, tu videbis. Non raro autem an- 
gustias circumdabunt te undique. Gury, Casus con- 
scentim. De virtutibus, cas. xxii, n. 234, t. i, p. KU^. 

Quand la danse n'est pas, pour le pénitent, une occa- 
sion prochaine de péché mortel, mais seulement une 
occasion éloignée, le confesseur doit donner l'absolu- 
tion, à moins que le motif d'un scandale probable 
n'impose au pénitent l'obligation de s'en abstenir, par 
charité pour le prochain. Cf. Berardi, De recidivis et 
occasionariis, part. II, c. i, q. i, sect. ii, n. 178, t. n, 
p. 215 sq. 

Dans les paroisses profondément chrétiennes, où la 
danse n'est pas en usage, le confesseur doit prendre 
les moyens les plus énergiques pour l'empêcher de s'y 
introduire. 11 peut, dans ce cas, se montrer plus 
sévère, et, par remède préventif, refuser l'absolution à 
toute personne qui danserait, et qui, par son exemple, 
contribuerait à implanter dans le pays une coutume 
aussi funeste. 

Que dire d'un confesseur qui, pour infliger un blâme 
public aux danseuses, renverrait leur communion pas- 
cale à une quinzaine de jours après Pâques? Si les 
pénitentes ne sont pas bien disposées, ce renvoi est évi- 
demment nécessaire ; mais si elles ont les dispositions 
requises pour recevoir l'absolution, le renvoi de la 
communion ne se justifie guère. Le désir d'établir une 



IV. 

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131 



DANSE 



132 



différence apparente entre les personnes qui dansent 
et celles qui ne dansent pas, ne semble pas un motif 
/Suffisant pour retarder ainsi l'accomplissement du 
devoir pascal. Cf. Gousset, Théologie morale, Traité 
du décalogue, Vl« partie, c. i, n. 65(>652, 1. 1, p. 295 sq.; 
Marc, Institutiones morales alphonsianss, part. II, 
sect. II, tr. VI, c. iv, § 11, n. 833, t. i, p. 563; Balle- 
rini, Compendium theologiœ mornlis, tr. De virtuti- 
bus, c. m, a. 2, § 3, sect. ii, n. 243-245, t. i, p. 213 sq. 

VI. Conseils spéciaux pour les personnes adon- 
nées A LA DÉVOTION. — 1® On ne saurait mieux faire 
que de leur répéter, avec saint François de Sales : c Les 
danses et les bals sont des choses indifférentes de leur 
nature; mais leur usage, tel qu'il est maintenant établi, 
est si déterminé au mal par toutes ses circonstances, 
qu'il porte de grands dangers pour l'âme... Je vous 
parle donc des bals, ô Philothée, comme les médecins 
parlent des champignons. Les meilleurs, disent-ils, ne 
valent rien, et je vous dis que les meilleurs bals ne 
sont guère bons. S'il faut manger des champignons, 
prenez garde qu'ils soient bien apprêtés, et mangez-en 
fort peu ; car, pour bien apprêtés qu'ils soient, leur 
malignité devient un vrai poison, dans la quantité. Si, 
par quelque occasion, dont vous ne puissiez absolu- 
ment pas vous dégager, il faut aller au bal, prenez 
garde que la danse y soit bien réglée en toutes ses cir- 
constances: pour la bonne intention, pour la modestie, 
pour la dignité et la bienséance; et dansez le moins 
que vous pourrez, de peur que votre cœur ne s'y affec- 
tionne. » Introduction à la vie dévote, III« partie, 
c. xxxm-xxxiv, in-46, Paris, 1852, p. 302. 

Ce n'est pas assez de conseiller aux personnes pieuses 
de danser peu, et peu souvent, et seulement quand une 
vraie raison leur en fait une obligation de convenance. 
Comme, même alors, les danses restent toujours un 
danger, sinon pour la vertu, du moins pour l'esprit de 
piété, il importe qu'elles prennent de grandes précau- 
tions. Après ces réunions, elles doivent s'efforcer de 
chasser au plus tôt la fâcheuse impression produite 
dans l'âme, et de sorlir de la langueur spirituelle, fruit 
naturel de la dissipation de l'esprit et de l'affaiblisse- 
ment de la volonté pour les choses divines. Voir les 
considérations que saint François de Sales conseillait 
de faire pour rendre à l'âme le calme intérieur et le 
goût de la piété. Cf. Esprit de saint François de Sales, 
in-16, Paris, 1904, p. 338 sq. ; Œuvres complètes, 
12 in-12, Paris, 1862, t. i, p. 198 sq.; t. ix, p. 555; t. x, 
p. 224, 383. 

2<> On voit combien se tromperait une personne fai- 
sait profession de piété, qui, s'approchant fréquem- 
ment de la table sainte, croirait pouvoir organiser des 
bals dits de charité, user de son influence pour qu'ils 
aient toute la solennité ou tout le concours possibles, 
et tâcherait d'y amener ses parentes et ses amies. En 
général, dans ces bals de charité, il n'y a de charité 
presque que le nom. Le profit qui en résulte pour les 
pauvres, une fois qu'on a prélevé les frais d'installa- 
tion, d'éclairage, etc., est peu considérable. Quand on 
veut réellement être charitable, on prend d'autres 
moyens. Ces réjouissances mondaines semblent plutôt 
une injure à la misère du pauvre. Ces bals restent des 
divertissements dangereux. Leur fréquentation, le zèle 
qu'on déploie pour leur organisation ou leur réussite, 
ne sont pas compatibles avec la vraie piété. 

3» Aux jeunes filles qui font partie d'une congréga- 
tion érigée dans la paroisse, en l'honneur de la sainte 
Vierge, on doit interdire la danse. Par le fait qu'elles 
entrent dans ces pieuses associations, elles veulent se 
distinguer des autres chrétiennes, et font profession 
spéciale des pratiques de dévotion. La défense de 
danser doit normalement êlre un article du règlement, 
dont la violation entraînerait exclusion. 
Convient-il de permettre quelquefois la danse aux I 



congréganistes, dans certaines circonstances, comme 
par exemple, à l'occasion d'une noce, ou de la fête pa- 
tronale, etc.? En principe, cela ne parait pas opportun, 
car c'est ouvrir la porte aux infractions qui tendront à 
se multiplier. Dans les paroisses chrétiennes où les 
danses sont rares, il vaut mieux restreindre le plus 
possible les exceptions. Dans les paroisses moins chré- 
tiennes où la danse est déjà en usage, il ne convient 
pas de la permettre officiellement, de temps en temps. 
Mais, si une trop grande sévérité devait détourner la 
plupart des jeunes filles de la congrégation, il serait 
mieux, ce semble, de tolérer de rares violations de cet 
article du règlement. Parfois, on pourrait utilement 
imposer une pénitence aux congréganistes désobéis- 
santes. Il serait imprudent de les éliminer uniquement 
pour ce motif. Enfin, pour corriger le mauvais effet 
produit par cette tolérance, on demanderait aux con- 
gréganistes les plus ferventes, ou les plus influentes, 
l'abstention complète de toute danse. Leur exemple 
compenserait la latitude laissée à quelques-unes oh 
duritiam cordis, 

¥ L'Église a édicté des mesures par rapport aux ecclé- 
siastiques, aux religieux, aux religieuses. Ces prohibi- 
tions se trouvent en divers endroits du Corpus juris 
canonici. Elles remontent à une haute antiquité, et, de- 
puis lors, ont été renouvelées bien des fois. Cf. Décret 
de Gratien, part. 1, dist. XXIV, can. 19, Preshyteri; 
part. III, De consecrat., dist. V, can. 27, Non oportet; 
Décrétai., 1. III, tit. i. De vita et honestate clericorum, 
can. 12, Cum decorem ; 1. III, tit. xxiii. De immunitate 
ecclesiarum; in VI®, can. 2, Decet; Clementin., 1. III, 
tit. X, De statu monachorum, can. 2, Attendentes ; 
itt. XIV, De celebratione missai^m, can. 1, Gravi. 

A propos de ce dernier texte, Tamburini, Explicatio 
decalogi, 1. VII, c. viii, § 7, De choreis, n. 5, t. i,p. 206, 
fait toutefois cette remarque : Per has pro/iibitiones 
non prohiberi puïo choreas absolute, sed immodestas 
impudicasque. Le passage de la Clémentine citée dit, 
en effet : Non verentur in ipsis ecclesiis eorumque 
cœmeteriis cJioreas facere dissolutas. Selon cet auteur, 
le mot dissolutas restreint certainement de beaucoup 
la défense : illud prohibitioneni certe permaxime lenit. 
De sorte que là aussi, selon lui, c*est d'après les cir- 
constances qu'il faut surtout apprécier la gravité de la 
faute : quare juxta majorem minoremque irreveren- 
tiam, secundi4m omnes circunistantias a prudenti ex- 
pendendam, et considerato scandalo, quod forte de- 
tur,.,, gravitatem levitatemque culpœ dimetire. 

Ces défenses ont acquis une nouvelle force par la 
mention qu'en a faite le concile de Trente, sess. xxii, 
c. 1, De refonn.; sess. xxiv, c. 12. Cf. Benoît XI V^ 
Instit., LXXVI, n. 6-10, Opéra omnia, 18 in-4o, Prato, 
1839-1847, t. X, p. 321-323; Ferraris, Prompta biblio- 
t/ieca, vo Clencus, a. 4, n. 6-10, 10 in-4o, Rome, 1784- 
1790, t. II, p. 202; Ojetti, Synopsis ret^um moralium 
et juris pontificii alphabetico ordine digesta, v® Clerici,. 
t. I, p. 331. 

Sur la plus ou moins grande liberté donnée, au sujet 
des danses, par les Églises luthérienne et calviniste ^ 
voir Ditchtenberger, Encyclopédie des sciences reli- 
gieuses, v« Danse, 13 in-40, Paris, 1877-1882, t. m 
p. 593. 

VII. La coopération aux danses. — 1» Sont indignes 
d'absolution les musiciens de profession qui donnent 
leur concours aux danses nocturnes et dangereuses,, 
d'où les jeunes gens et les jeunes filles reviennent en- 
suite péle-méle, comme il n'arrive que trop souvent 
dans les campagnes. Ils pèchent gravement en coopé- 
rant ainsi d'une façon prochaine à une foule de péchés 
mortels. Cependant, si ces danses ne présentaient pas 
un danger formel, si elles se faisaient en plein jour, et 
non d'une façon habituelle, mais dans des circonstances 
particulières, comme, par exemple, une fête patronale,. 



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133 



DANSE — DANSEURS 



134 



une ooce, une réjouissance de famille, etc., on devrait 
se montrer moins sévère a leur égard, à moins que 
ces musiciens n*y fissent entendre des airs lascifs et 
connus comme tels. Ce serait alors, de leur part, en 
effet, une vraie provocation au mal. 

^ La même solution, et avec une distinction iden- 
tique, s'applique à ceux qui, par leur argent, sou- 
tiennent les bals publics, en payant les musiciens. Si 
ces danses sont mauvaises, ou si, sans être directement 
déshonnétes, elles sont néanmoins dangereuses pour 
un bon nombre de ceux qui y prennent part, il n'est 
pas permis d*y coopérer par son argent. Si les danses 
sont rares et peu dangereuses, on doit néanmoins con- 
seiller aux paroissiens de n'y coopérer en aucune façon ; 
cependant, s'ils le faisaient dans ce dernier cas, on ne 
devrait pas leur refuser l'absolution, à moins que 
cette coopération ne tendit à introduire les danses dans 
le pays où elles ne sont pas en usage, ou à augmenter 
leur fréquence dans des proportions funestes. 

3» Ceux qui organisent les bals publics apportent une 
coop«^ration plus directe aux nombreux péchés qui s'y 
commettent. Ils doivent donc être traités avec plus de 
sévérité encore. 

4* Une solution analogue s'applique à ceux qui prê- 
tent, ou qui louent des immeubles, pour des danses mal- 
saines on dangereuses. C'est une coopération directe à 
un mal grave, et bien souvent cette coopération devient, 
en outre, un scandale public. En quelques rares cir- 
constances cependant, et s'il était avéré que les choses 
s'y passent honnêtement, on pourrait avec prudence les 
absoudre. AUamen non semperiis neganda esset ab$o- 
lutiOy ted êpeclandm 8unt circumstantiœ et niodus ordi- 
nariuê quo istœ choveœ fiunt. Ballerini, Compendium 
theologisRmorali8,ir,De virlutibus, c, m, §3, part. II, 
sect. Il, n. 256, t. i, p. 225. Cf. Ojetti, Synopsis rei*um 
moralium et juris pontificii, v» Cooperatio, 1. 1, p. 482. 

11 est impossible de fixer des règles générales pour la 
solution de ces divers cas de coopération aux danses. 
La décision de chaque cas particulier dépend du con- 
fesseur, qui est seul à même d'apprécier les circon- 
stances qui peuvent être si différentes : comme la proba- 
bilité des fautes qui se commettront, le degré de coopé- 
ration matérielle, les raisons plus ou moins pressantes 
qui sont de nature à l'excuser, m casu, etc. Cf. Lehm- 
kuhU TheoUtgia moralis, part. I, 1. II, divis. I, c. m, 
a. 2, § 1, n. 643, t. i, p. 385. 

1* S. Antonio, Summa theologiœ moralis, part III, til. vi, 
c n. De choreis ;TasDbwM, Explicatio decalogi, 1. VII, c. viii, 
i'S, Opéra omnia, 2 In-fol., Venise, 1707, t. i. p. 206 sq.; 
Booachuu De matrimonio, q. iv, p. ix, n. 24, Opéra omnia, 
3 in-fot. Venise, 1716, t. i, p. 322; Lacroix, Theologia moralis, 
I. tu, part- 1, tr. IV. c. u, dub. i, n. 887 sq., 3 in-fol., Venise, 
1748-1750, t. I, p. 197 ; Salmanticenses, Cursus theologiœ mora- 
lis, tr. XXI, De primo prtecepto decalogi, c. vni, p. v, § 2, 
n. 61 ; tr. XXVI, De sexto et nono decalogi prœccpto, c. iir, 
p, i. n. 16-17, 6 in-fol., Venise, 1728, t. v. p. 171 ; t. vi, p. 107; 
Benoa XIV, tnstitut. eccles., instLXXVI, De choreis; const. Nihil 
profecto, du 12 août 1742, % 4 ; const. Inter estera, du 1" jan- 
vier 1748, Opéra omnia, 18 in-4*. Prato, 1839-1847, t. x. p. 318- 
824; t. XV, p. 234; t. xvi, p. 319-323; Concina, Theologia chri- 
stiana dogmatico-moralis, I. VIU. In decalogum, dise. II, c. m, 
10 in-4*. Rome, 1755, t. iv, p. 244-205; Ferraris, Prompta bi- 
blidheca, r* Choreas; Uururia, n. 87, 17 in-4', Rome, 1785- 
1790; t Ji, p. 159; t. v, p. 133; S. Alphonse, Tfieologia moralis, 
1. IV, tr. IV, De sexto et nono prœcepto decalogi, c. i, dub. i, 
n. 429, 6 in-8-. Parts, 18fô, t. ii, p. 239 sq. 

2» Bonset, Histoire générale de la danse sacrée et profane, 
ses progrès et ses révolutions depuis son origine jusqu'à pré- 
sent, in-12, Paris, 1723; Feuillet, Chorégraphie, ou Vart d'écrire 
la danse par caractères, figures et signes démonstratifs, in-8*^ 
Paris, 1700; Magny, Principes de chorégraphie, In^*, Paris' 
1765; de rAoloaye, De la sallation théâtrale, in-8«, Paris, 1790; 
Noverre. Lettres siir les arts et sur la danse en particulier, 
2ia-8*, Paris, 1807 ; Ch. Magnîn, Origines du théâtre moderne, 
in-8*, Paris, 1838; Fertiault, Histoire aneedotique et pittores- 
que d^4a danse, in -16, Parie, 1854; CastU-Biaze, L'Académie 



de musique, 2 in-8% Paris, 1847-1856; Fétis, Dictionnaire de 
musique, 6 in-4*, Paris, 1860-1869 ; vicomte de Brieux Saint- 
Laurent, Quelques mots sur les danses modernes, 5* édit., 
Paris, 1868 ; Chouquet, Histoire de la musique dramatique, 
in-8', Paris, 1873; Boccardo, Feste, gluocht e spettacoli, in-8% 
Gènes, 1874 ; Gzerwinski, Brevier der Tanzkutist, in-8', Leip- 
zîg, 1879 ; Ludovic Celler, Les origines de l'opéra et le ballet de 
la reine, in-12, Paris, 1881 ; Pougin, Dictionnaire historique et 
pittoresque du théâtre et des arts qui s'y rattachent, v* Danse, 
in-4% Paris, 1885, p. 260 sq. ; Bœhme, Geschichte des Tantes in 
Deutschland, 2 in-8«, Leipzig, 1886; Laure Fonla, Orchésogra- 
phie, in-4*, Paris, 1888 ; Zom, Grammatik der Tanzkunst, in-8» et 
2 atlas in-4«, Leipzig, 1888 ; Blasis et Lemaïtre, La danse, in-12, 
Paris, 1890; M"* Bernay, La danse au théâtre, in-8% Paris, 1890 ; 
Institut de France, Dictionnaire de V Académie des beaux-arts, 
V Danse, 6 in-4', Paris, 1896, t. v, p. 86-90. ouvrage en cours 
de publication; G. Vuilller, La danse, {n-4*, Paris, Milan, 1899. 
3* Eula, Collectio casuum de re dogmatica, morali et litur- 
gica, in-8«, Montréal, 1875, p. 164-168 ; Gousset, Théologie mo- 
rale. Traité du décalogue, Vf part., c. i, n. 650-652; Traité du 
sacrement de pénitence, c xi, n. 566, 2 in-8*, Paris. 1877, t. i, 
p. 296 sq. ; t. n, p. 378 ; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences 
religieuses, v Danse, 13 in-4*, Paris, 1877-1882, t. m, p. 592 sq. : 
Marc, Institutiones morales alphonsianœ, part. II, sect. ii, tr. VI, 
S C, De choreis, n. 829-834, 2 in-8*, Lyon, 1885, t. i, p. 560-563; 
Gury, Caswi conscientiae. De virtutibus, cas. xxii-xxm, n. 233- 
238, 2 ln-8', Paris, 1891, 1. 1, p. 99-102 ; S. S. Nyssen. Un mot sur 
la danse, in-12, Lille, 1892; Ballerini, Compendium theologia 
moralis, tr. V, De virtutibus, c. îii, a. 2, § 3, sect. ii, n. 242- 
246, 2 in-8*, Rome, 1893, 1. 1, p. 212 sq. ; Palmieri, Opustheolo- 
gicum morale in Busenbaum medullam, tr. VI, De prseceptis 
decalogi, sect. vi. De sexto et nono prxcepto, dub. i, n. 60 sq., 
7 in-8*, Prato, 1893, t. ii, p. 697 sq. ; Berardi, De recidivis et 
occasionariis, part. II, c. i, a. 2, De choreis, 2 in-8», Faenza, 
1897, t. II, p. 202-227 ; Eschbach, Disputationes physiologico- 
theologiex, disp. V, c. m, a. 1, % 3, De choreis et saltationibus, 
in.8', Rome, 1901, p. 517-524 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, 
part. 1, 1. II, divis. I, c. m, a. 2, § 1, n. 643, 2 in-8', Fribourg-en- 
Brisgau, 1902, 1. 1. p. 384 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum moralium 
et juris pontificii alphabet ico ordine digesta, v'* Choreœ; Coo- 
peratio, 2 in-4*, Prato, 1905, t. i, p. 288, 482. 

T. Ortolan. 
DANSEURS, secte fanatique parue, en 1374, le long 
du Rhin, dans les Pays-Bas, particulièrement à Liège. 
Pour conniitre son origine, sa nature, son rôle, il 
faut consulter les divers chroniqueurs de Tépoque, 
ceux de Limbourg, de Cologne, de Trêves, de Belgi- 
que. Tous mentionnent l'apparition, en 1374, d'une 
secte d'hommes et de femmes, dite des danseurs, 
parce qu'une danse désordonnée et sans décence était 
le trait caractéristique de leurs mœurs. On la disait 
venue de la haute Allemagne, sans marquer autrement 
son origine; on signale sa présence à Aix-la-Chapelle, 
surtout à Liège et dans ses environs. D'après les An- 
nales Fossenses, dans Pertz, Monumenta Germanise 
historica, Hanovre, 1843, Scriplot*es, t. iv, p. 35, c'étaient 
des possédés qui se mettaient à danser partout, sur 
les places publiques, dans les maisons et jusque dans 
les églises, à la manière des fous furieux, et qui durent 
la plupart leur guérison aux exorcismes pratiqués sur 
eux par les prêtres de Liège. Pierre de Herenthal, 
dans Baluze, Vilse papatnim Avenionensium, Paris, 
1693, t. I, col. 483-486, nous donne quelques détails 
caractéristiques. Inopinément, sans tenir le moindre 
compte de la pudeur, à moitié vêtus, ils se donnaient 
la main, entraient en danse, bondissaient parce qu'ils 
se croyaient plongés dans un Heuve de sang, pronon- 
çaient des noms de démons tels que celui de Friskes, 
et, à la fin de leurs ébats chorégraphiques, demandaient 
à hauts et lugubres cris qu'on leur serrât fortement le 
ventre, sans quoi ils allaient expirer. Aux yeux du vul- 
gaire, un tel état ne pouvait provenir que de ce que le 
baptême leur avait été mal administré, notamment par 
des prêtres concubinaires; aussi le peuple, dans son 
irritation, forma-t-il le projet de tomber sur le clergé 
de Liège et d'en faire un massacre, mais il n'y donna 
pas suite, à cause des guèrisons opérées sur ces ma- 
lades par ce même clergé. 



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135 



DANSEURS 



13 



Beaucoup plus explicite encore est Radulphe de Rivo, 
doyen de Tongres, mort en 1483, au c. ix de ses 
Gesta pontificuni Leodietuium, que Chapeaville a in- 
séré el annoté dans ses Gesta pontif. Tongrensium, 
Trajectensium et Leodiensium, Liège, 1612-1616, t. m, 
p. 19-22. La secte, dit-il, vint de la haute Allemagne 
à Aix-la-Chapelle, puis à Utrecht, puis à Liège. Chaque 
jour survenaient de nouveaux danseurs, et leur mal 
devint contagieux. Car on vit une foule de gens, sains 
de corps et d'esprit, soudainement saisis par les dé- 
mons, se joindre à la danse. Quelle pouvait bien être 
la cause d'un si étrange phénomène? Les gens sensés 
la plaçaient dans Tignorance crasse des choses de la 
foi et des commandements divins, qui régnait à cette 
époque, mais, dans le peuple, plusieurs en rejetaient 
la faute sur la corruption du clergé, qui aurait dû mal 
conférer le baptême. Mais, observe Radulphe, pour 
prouver que la validité du baptême est indépendante 
de la dignité ou de Tindignité de ses ministres. Dieu 
fit aux prêtres séculiers de Liège la grâce, qu'il refusait 
aux religieux, de délivrer ces possédés au moyen des 
exorcismes. Entre autres faits, il rapporte ceux-ci. 
Dans l'église de Sainte-Croix, à Liège, le jour de la 
dédicace, pendant qu'on chantait les vêpres, le thuri- 
féraire se mit tout à coup à balancer l'encensoir d'une 
façon désordonnée, à danser et à prononcer en chan- 
tant des mots inconnus. Vainement on le prie de cesser; 
parmi les spectateurs étonnés, beaucoup se deman- 
daient s'il n'appartenait pas à la secte des danseurs. 
Récitez le Pater, lui dit un prêtre; il refuse. Récitez 
le Credo. Je crois au diable, répondit-il. Le prêtre alors 
de lui imposer l'étole, de l'exorciser et de délivrer ce 
malheureux qui se met aussitôt à réciter avec un 
grand sentiment de piété le Pater et le Credo. 

Autre fait. Vers la fête de la Toussaint, à Herstal, 
village voisin de Liège, hommes et femmes de la secte 
s'étaient réunis en grand nombre et avaient décidé d'en- 
vahir Liège et d'en massacrer les prélats, les chanoines, 
les curés et tout le clergé. Mais Dieu dissipe leur 
dessein; car, au moment de pénétrer dans la ville, 
d'honnêtes gens les conduisirent aux prêtres, qui les 
guérirent, à la grande confusion du démon et pour la 
plus grande gloire du clergé. Plusieurs furent menés 
à la chapelle de la sainte Vierge dans le cloître de 
Saint-Lambert, où le prêtre Louis Loves, inspiré par 
Dieu, imposa l'étole sur l'un d'eux, récita le commen- 
cement de l'Évangile selon saint Jean et le délivra 
ainsi de la servitude du démon ; il réussit de même pour 
neuf autres. Le bruit d'une telle guérison se répandit 
au loin, et d'autres danseurs, conduits au même en- 
droit, furent de même délivrés par la pratique des 
exorcismes et rendus à la santé. On en avait mené 
d'autres ailleurs, aux églises collégiales de Sainte-Croix 
et de Saint-Barthèlemy, aux églises paroissiales de 
Notre-Dame et de Saint-André, où tous les prêtres 
sans distinction eurent près d'eux le même succès. 

Dans la pratique des exorcismes, note Radulphe, 
c'était le plus souvent le commencement de l'Évan- 
gile selon saint Jean qu'on lisait, mais on empruntait 
aussi aux autres évangélistes les passages relatifs à 
la délivrance des possédés. Quand parfois la guérison 
tardait, on montrait au possédé l'hostie consacrée ou on 
la lui appliquait sur la tête. D'autres fois, on l'asper- 
geait d'eau bénite, on lui en faisait même boire, après 
quoi on pratiquait sur lui les rites de VExi, imniunde 
spiritus, de \ Epheta et de l'insufflation. 

Radulphe raconte encore qu'une jeune possédée, 
vainement exorcisée par plusieurs prêtres, fut conduite 
à Aix-la-Chapelle et y fut guérie par le prêtre Simon, 
qui la plongea dans l'eau bénite. Il y avait deux ans 
qu'elle était sous le joug du démon. Et le démon in- 
terrogé sur l'endroit où il se trouvait quand la jeune 
fille faisait sa communion pascale, répondit qu'il se 



réfugiait à la pointe des doigts du pied jusqu'à ce qi 
les espèces sacramentelles fussent consommées. Il d 
manda de pouvoir se retirer dans les bains de Carlsbai 
mais peu après, deux ou trois personnes s'y éla 
noyées, on attribua ce fâcheux accident à la présence < 
démon, et l'on ferma en conséquence les bains, et c 
bains étaient encore interdits au moment où écriv 
Radulphe. 

Ainsi combattue, cette secte qui, dans l'espace d' 
an, avait fait tant de victimes, fut enrayée; elle dispa 
peu à peu, les cas de possession de ce genre deven; 
de plus en plus rares. La bonne réputation du cle 
liégeois s'en accrut d'autant plus. Ce récit a manil 
tement le ton d'un apologiste du clergé. Aussi l'aul 
le termine-t-il par ces mots : c Loin de nous, 
espérons à la solide gloire de la vie future, de r 
laisser gonfier par les vaines louanges des homr 
N'oublions pas ces paroles du Christ : « Plusieurs 
t diront ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'est-ce 
« en votre nom que nous avons chassé les démons 
« n'avons-nous pas, en votre nom, fait beaucouj 
n miracles? Alors, je leur dirai hautement : Je ne 
« ai jamais connus. Retirez-vous de moi, ouvriers c 
« quité. » Matth., vu, 22-23. 

A ces renseignements fournis par Radulphe, Cbaj 
ville, dans ses annotations, p. 22-23, en ajoute d'au 
l'un qu'il emprunte, dit-il, au Magnum Chvon 
Belgicum, et qui se trouve coïncider textuelle 
avec ce que dit Pierre de Herenthal; trois autrei 
sont de Jean Stabulaus, de Corneille Zanfliet • 
Meyer. Mais tous ces témoignages ne nous appre 
rien de nouveau. Si l'on en croit au contraire Je 
Leyde, Chronic. Belgic., 1. XXXI, c. xxvi, dan 
Rerum Belgicaruni annales, t. i, p. 299, les dai 
d'Aix, d'Utrecht et de Liège poussaient en dans 
cri de : Gai, gai! D'après la Chronique de Co 
p. 247, ils criaient : e M. saint Jean, gai, gai! M 
Jean! » Ne serait-ce pas là une attribution en 
Car nous n'apercevons pas le moindre rapport 
la danse des danseurs de 1374, véritable cas de 
sion diabolique ou de pathologie, et la danse 
constance qui avait lieu, une fois l'an, autour du 
la Saint-Jean, pas plus du reste que nous n'en 
vrons un avec la danse de Saint- Gui. 

D'autre part, le dernier tiers du xiv« siècle 
assez d'hérétiques connus, de date ancienne ou i 
tels que les vaudois, les bèghards et les béguii 
turlupins el les lollards, contre lesquels Grég< 
dut prendre des mesures sévères en 1372 el e 
Baronius, Annales, an. 1372, n. 33; 1373, n. ' 
qu'il soit nécessaire de ranger parmi eux les d 
de Liège. Rien, en cfi*et, dans les documents de I 
ne montre en quoi pouvait bien consister leur 
Ils ne pratiquaient pas les sacrements, ils étai 
sédés du démon, ils se livraient à des danses fui 
d'où la décence était bannie et devenaient ai 
un exemple contagieux, une cause de troub] 
scandales. On les traita en conséquence cor 
possédés, et on leur appliqua les formules lit 
de l'exorcisme. Mais, d'hérésie, pas de trace 
jours, le caractère contagieux de leur danse 
ranger plutôt parmi les malades atteints d'I 
et c'est bien, somme toute, d'une maladie de 
que furent frappés les danseurs de Liège, coi 
du reste, de possession diabolique. Ils son 
rayer de la liste des hérésies. 

Outre les ouvrages cités dans le corps de l'article, voir 
Tanzwuth, eine VolkskrankheU im Mittelalter, B 
Die grossen VoUcskrankheiten des MitteUtlt., B< 
Frédéricq, Coirpus inquisit. Neerland., G and, 
p. 231 sq. ; Id., De secten der geeselaars et% der dai 
A'edertoncten,Bruxelle8, 1899; Baronius, Annales, ar 

G. Bare 



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137 



DANTYSZEK — DAON 



138 



DANTYSZEK Jean de CurlU (1485-1548), théo- 
logien, poète, canoniste et diplomate polonais. Évéque 
de Chelm en 1580, il s'opposa avec zèle à la diffusion 
du protestantisme. Il mourut à Heidelberg en 1548. On 
lui doit Tourrage suivant contre les protestants : 
Christiana de fide et sacranientis contra hœreticorum 
errores expUmatio, Cracovie, 1545. 

Czafdicki, De vita et carminibus Joannia de Curiis Dan- 
tisci, Breslau, 1855; Wisznîewski, Historya IHeratury pois- 
kiej, Cracovie» t. vi, p. 237-251 ; Encyclopedia powszechna, 
t VI, p. 783-785; Estrelcher, Bibliografla poUka, Cracovie, 
1897, t. XV, p. 37-42. 

A. Palmieri. 
DANZER Jacques, théologien allemand, né en 1743 
à Lengfeld, en Souabe* mort à Burgau le 4 septembre 
1796. Il entra dans Tordre bénédictin à Tabbaye d'Isny 
et fut professeur de théologie à l'université de Salz- 
boui^. Obligé en 1792 de se démettre de sa chaire à 
cause de son enseignement entaché de pélagianisme, 
il quitta Tordre bénédictin et fut nommé chanoine de 
Burgau. On a de cet auteur : Anleitung in die biblis- 
che Moral, in-8», Fi'ancfort, 1787; et 3 in-8o, Salzbourg, 
1903; Einfluss der Moral auf des Menschen Gluck, 
Salzbourg,1789; Ideen ûber die Hefomi in der Théolo- 
gie und besonders in der Dogmalik bei den Katholi- 
ken, Ulm, 1793; Der Geist Jesu-Chnsti und seiner 
Lehre, Fribourg, 1793. 

Hurter, \omenclator, 1890, t. m. col. 471 ; B. Mittermuller 
Die benedlctiner Univereitàt Salzbourg, dans Studien und 
Minheilungen aus dem Benediktiner-und dem Ciêtercien 
•er-Orden, 1884, t. i, p. 371. 

B. Heurtebize. 
DAON Roger-François naquit en 1679 à Bricque 
ville-en-Bessin, dans le diocèse de Baveux. Il entra 
dans la congrégation de Jésus et Marie, dite des eu- 
disles, le 29 septembre 1699, et après avoir achevé son 
temps de probation et ses études théologiques, il fut 
ordonné prêtre, puis incorporé à cet institut vers la fin 
de 1702. Il fut dès lors un religieux exemplaire. Un de 
ses premiers emplois fut celui de supérieur du 
petit séminaire de Rennes, où il fut envoyé en 1706. 
II serait plus juste d'appeler cette [maison Séminaire 
des pauvres clei*cs, cap les petits séminaires de ce 
temps étaient des établissements où recevaient pension 
gratuite les jeunes gens pauvres qui aspiraient au 
sacerdoce, et où ils faisaient successivement leurs cours 
d'humanités et de théologie, pour n*en sortir qu'après 
avoir reçu tous les saints ordres. Quant aux grands 
séminaires, ils se composaient de théologiens en état 
de payer leur pension, et surtout de clercs et de prêtres 
qui n'y résidaient que pendant un temps plus ou moins 
long fixé par Tévêque, pour se préparer aux ordinations 
et au saint ministère. A l'arrivée de M. Daon, le petit 
séminaire de Rennes n'avait que quelques années 
d'existence et ne comptait qu'une poignée de sémina- 
ristes vivant dans une extrême pauvreté, et logeant dans 
une partie du presbytère de Saint-Étienne attenant à 
Téglise de ce nom. Le nouveau supérieur se mit aussitôt 
en quête de ressources et sut en trouver. Avec l'agré- 
ment et le concours pécuniaire de Msi* de Lavardin, il 
acheta au faubourg Saint-Hélier un terrain avec une 
maison, où il transporta le séminaire dès 1707. L'année 
suivante, il y commença de nouvelles et importantes 
constructions, puis il arrondit la propriété; enfin il 
dota cet établissement. Le nombre des élèves dépassa 
bientôt la soixantaine, et la piété ne cessa d'y être très 
florissante. 

En 1719, M. Daon fut envoyé au séminaire d'Avranches 
pour y professer la théologie; et en 1727, il en fut 
nommé supérieur, et prit en même temps la charge de 
principal dn collège de cette ville, et celle de curé de 
.^'nt-Kartin-des-Champs, qui étaient unies au séminaire. 
U eut beaocoap à souffrir de la part d'une coterie 



janséniste, à la tête de laquelle se trouvait un grand- 
vicaire, nommé Gautier, qui faisait de fréquentes visites 
au séminaire et cherchait par tous les moyens à inoculer 
les doctrines de la secte aux ordinands. Daon ne cessa 
de réfuter hautement ces novateurs, s'appliquant à 
maintenir les séminaristes dans l'orthodoxie et à en- 
courager les prêtres de la ville qui restaient soumis à 
la bulle Unigenitus, et étaient de ce chef persécutés par 
Tirascible vicaire général. Celui-ci essaya maintes fois 
de le perdre dans l'esprit de Mo'' Leblanc, prélat faible 
qui craignait de déplaire au parti ; mais Tévêque garda 
une grande estime pour Daon, qu'il écoulait volontiers. 
Comme curé de Saint-Martin, le religieux fonda une 
école pour les filles de sa paroisse. 

En 1730, il fut envoyé à Senlis, pour y remplir les 
fonctions de supérieur et de préfet des ordinands. Il 
s'y concilia immédiatement la sympathie de tous les 
gens de bien, et en particulier de Mfl' Trudaine, qui le 
choisit pour confesseur. Il établit une conférence de 
morale, où près de vingt-cinq ecclésiastiques de la 
ville assistaient régulièrement. Chacun devait mettre 
par écrit ses avis, afin que le secrétaire pût en transcrire 
le résultat sur son registre. Par son zèle et la sagesse 
de son administration, le supérieur mérita l'estime et 
la confiance de tout le clergé de Senlis. 

Appelé à la supériorité du séminaire de Caen, en 1738, 
il gouvei-na aussi cette maison avec tant de prudence 
et de bonté que, plus de cinquante ans après sa mort, 
sa mémoire était encore en vénération dans toute la 
ville. Enfin, en 1744, Tévêque de Séez ayant donné la 
conduite de son séminaire aux eudistes, demanda 
Daon pour en être le premier supérieur. Il y conquit 
très promptement l'estime et Tafl"ection générales. Il y 
termina sa vie le 16 août 1749. 

Roger Daon n'avait pas le talent de la prédication. Il 
y suppléa en composant de nombreux ouvrages simples 
et pratiques, destinés à la sanctification du clergé et 
des âmes, et qui furent à leur manière une prédication 
excellente. Ils roulent presque tous sur des matières 
appartenant à la théologie morale dont il avait fait sa 
principale étude. Voici les titres de ceux qui ont été 
imprimés : l» Conduite des confesseurs dans le tribunas 
de la pénitence, selon les instructions de saint Charles 
Borwmée et de saint François de Sales, in-12, Paris, 
1738. Cet ouvrage, qui résume brièvement ce qu'un 
prêtre doit savoir pour administrer avec fruit le sacre- 
ment de pénitence, fut approuvé par un grand nombre 
d'évêques, et dès Tannée qui suivit son apparition, 
Mflf de Luynes, évoque de Baveux, le fit rééditer à ses 
frais et ordonna par mandement à tous ses prêtres d'en 
avoir un exemplaire. Il se répandit très rapidement et 
eut près de cent éditions. La 33« parut à Toulouse peu 
après la mort de l'auteur. Il s'en fit des traductions en 
latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais. 
On l'imprima encore à Toulouse, en 1820. Cet ouvrage 
déplut aux jansénistes, et les Nouvelles ecclésiastiques 
apprécièrent ainsi la 5« édition : « Il arrive souvent à 
l'auteur de prendre le mauvais parti dans les différents 
points de morale attaqués par les jésuites; par exemple, 
dans ce qu'il dit de la contrition, de la charité, des 
scrupuleux, du rapt de séduction, de la notoriété de 
fait, de l'accusation des fautes vénielles, de l'opinion 
du pénitent contraire à celle du confesseur, de l'aver- 
tissement à qui pèche matériellement, des habitudi- 
naires, de la stabilité de la justice chrétienne, de la 
fréquente communion, des dispenses de mariage, des 
moyens de perfection, de l'approbation des confesseurs. » 
Quoique d'une morale qui paraîtrait aujourd'hui un 
peu sévère, ce livre est d'une doctrine irréprochable; 
2o Conduite des âmes dans les voies du salut, pour 
servir de supplément à la conduite des confesseurs 
dans le tribunal de la pénitence, in-12, Paris, 1753. 
Ce voVume, qui ne parut qu'après la mort de l'auteur 



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139 



DAON — DAPONTÈS 



14 



est comme le t. ii de l'ouvrage précédent. L'auteur y 
indique la manière de diriger les enfants, les jeunes 
gens, les ignorants, les personnes mariées, les aspirants 
au sacerdoce, les religieux et religieuses, les soldats, 
les pauvres, etc. Cet ouvrage eut aussi de très nom- 
breuses éditions. Celle de 1829 fut revue par un pro- 
fesseur de théologie qui y ajouta des Avertissetnents 
aux confesseurs, et une Exhortation aux ecclésiastiques 
de s'appliquer à l'étude; 3° un recueil d'opuscules ren- 
ferme des Méthodes utiles aux ecclésiastiques, tou- 
chant la manière de bien faire le catéchisme, de prépa- 
rer les enfants à la confession, de leur faire renouveler 
publiquement les promesses du baptême et faire leur 
première communion, et d'administrer utilement le 
saint viatique et Textrôme-onction, in- 12, Caen, 173i; 
4» un autre recueil d'opuscules comprend aussi des 
Méthodes pour bien faire des conférences spirituelles, 
pour faire des prônes, pour les grands catéchismes, 
pour bien faire un sermon, pour expliquer les cérémo- 
nies du baptême en l'administrant, pour expliquer 
celles du mariage en l'administrant; et une méthode 
facile pour apprendre aux nouveaux prêtres à entendre 
utilement les confessions, in-12, Alençon, 1759; 5» Re- 
cueil d'instructions pour ceux qui se disposent à Vétat 
ecclésiastique, in-i2, Âlençon; c'est un catéchisme 
fort instructif pour les ordinands; 6« Introduction à 
l'amour de Dieu, tirée des Œuvres de saint François 
de Sales, in-12, s. 1. n. d.; 7» Pratique de la prépara- 
tion et action de grâces avant et après la sainte messe, 
in-12, Alençon, 4748; S» Instruction familière touchant 
les missions..., avec des exercices pour la confession 
générale et la sainte communion, in-12, s. 1. n. d.; 
9» Pratique du sacrement de V eucharistie, à l'usage 
des enfants qui font leur première communion, Caen, 
1740; lOo Règlement de vie pour un prêtre; devoirs 
des prêtres, etc. Beaucoup de ses ouvrages ont disparu 
ou sont très difliciles à retrouver aujourd'hui. Il n'y a 
à porter le nom de l'auteur que quelques-uns de ceux 
qui furent imprimés après sa mort. 

Outre les ouvrages qu'il composa lui-même, Daon fit 
aussi réimprimer, avec des additions et des notes, 
plusieurs opuscules théologiques et ascétiques de diffé- 
rents auteurs. Il choisissait toujours ceux qui lui 
paraissaient plus propres à inspirer, entretenir et for- 
tifier le goût d'une piété solide. On lui doit entre autres 
une édition du Contrat de l'homme avec Dieu par le 
saint baptême, l'un des ouvrages les plus estimés du 
Vénérable Père Eudes. 

Annales de la Congrégation de Jésus et 3fart>, pasàim; 
Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée (ai*t. de Besselièvre, 
ancien eudiste). 

J. Dauphin. 

D APHNOPATÈS Théodore, patrice et protoasecre- 
lis, vivait à Constantinople vers le milieu du x» siècle. 
H écrivit une histoire de son temps aujourd'hui perdue. 
On a publié de lui : 48 homélies composées d'extraits 
de saint Jean Chrysostome, P. G., t. lxiii, col. 567-902; 
un discours sur la translation à Constantinople d'une 
main de saint ,lean-Bapliste, P. G., t. cxi, col. 611-620 
(traduction latine seule); des lettres, dont une au pape 
Jean XI, au nom de Romain Lacapène, et une à Ânas- 
tase, métropolitain d'Héraclée, au sujet de la nomina- 
tion de Théophylacte comme patriarche. J. Sakkelion, 
dans AeXti'ov tÎ); îoropixvi; xat âôvoXoytxTj; âTaipfa; tt,; 
*EXXâfio;, t. I, p. 658 sq. ; t. ii, p. 395 sq. Signalons 
encore, outre des discours restés inédits, une vie de 
saint Théodore Studite, P. G., t. xcix, col. 413-232, 
attribuée tantôt à notre Théodore, tantôt à un certain 
Michel. S. Haidacher, Studien ûber Chrysostomus- 
Eklogen, Vienne, 1902, a recherché les sources des 
'ExXoYa\ de saint Jean Chrysostome : il a pu identifier 
cinq cents passages tirés d'homélies authentiques ou 
considérées comme telles par le compilateur; en outre, 



dans son avant-dernière homélie, Qaphnopatès cite li 
catéchèses xxii et xxiii de saint Cyrille de Jérusalei 

K. Krumbacher, Geschichte der byzantin. Litterati 
2» édit., Munich, 1897, p. 170, 459. 

S. PÉTRIDÈS. 
DAPONTÈS Constantin, qui prit en religion 
nom de Césaire, naquit en 1713 ou 4714 à Scopélos, 
son père gérait le consulat britannique. Après s'él 
initié dans sa patrie aux premiers éléments des scien( 
sous la direction de Hiérolhée le Moréote, moine c 
Ibères, il alla achever son instruction à Constantinop 
puis à Bucarest, et enfin à lassi, grâce à la protecti 
des princes Maurocordato, auprès desquels il rem{ 
diverses fonctions, jouant au factotum dans les Prie 
pautés. Dénoncé au grand-vizir pour ses malversatio 
il se retira en Crimée, d'où il crut pouvoir, en 1*3 
revenir à Constantinople. Jeté en prison, il n'obtint i 
élargissement, au bout de vingt mois, qu'en sacrifi 
toute sa fortune. Un mariage malheureux, contracta 
12 novembre 1749, acheva de le dégoûter du mon 
il se fit moine en 1753 dans l'Ile de Pipéri, se brou 
avec son supérieur au bout de quelque temps, e1 
retira finalement à l'Athos, au monastère de Xérop( 
mos, en 1757. C'est là qu'il mourut le 4 décembre 1 
laissant un héritage littéraire considérable. Beauc 
de ses ouvrages ne rentrent pas dans notre program 
Parmi ceux qui touchent à la théologie, nous citerc 
1<>les offices des saints Charalampos, Matrone et S( 
don, in-4o, Bucarest, 1736; 2<» l'office de saint Rhég 
de Scopélos, in-S», Venise, 1746; 3® le Miroir 
femmes, 2 in-8o, Leipzig, 1766, biographies édifia 
des femmes delà sainte Écriture, entremêlées de di| 
sions infinies; 4» r'EYxdXiciov Xoytxdv, recueil d'hyi 
en l'honneur de la sainte Vierge, in-4>, Venise, 1 
2e édit., Leipzig, 1836; 5« la Xç>ri<r:orfiitXy in-8«, Ve 
1770, recueil de recettes morales pour bien vivre en 
état; 6« Lettres contre l'orgueil et la vanité du s 
in-8». Vienne, 1776; 7» la TpiireCa 7tv6U|jLaTixTi, i 
Venise, 1778; 2« édil., ibid., 1780, recueil de q 
discours moraux suivis de documents relatifs ai 
nastère de Xéropotamos; 8-» Panégyriques de ( 
saints en vers, in-S", Venise, 1778; 9» Map^aptra 
xpiûiv Upap7>v, in-8», Venise, 1779, traduction ei 
vulgaire des principaux discours des saints Bas: 
Césarée, Grégoire de Nazianze et Jean Chrysos 
10« traduction des Dialogues de saint Grégoire le C 
in-8», Vienne, 1780; 11» 'E^riyr^at; tt); Oeiaç XetToj 
in-8o, Vienne, 1795, curieuse explication de la i 
Les ouvrages suivants sont plutôt historiques 
plus d'une question théologique s'y trouve in< 
ment traitée ; ils n'ont d'ailleurs vu le jour qu'à 
du dernier siècle : 12» Histoire des sultans, de M^ 
à Achmet, publiée par C. Sathas, Ribliotheca 
medii œvi, Venise, 1872, t. m, p. 1-70; 13* Cal 
historique de 1700 à 1781, publié par le même i 
ibid., p. 71-200; 14» Éphémérides Daces, publi< 
E. Legrand avec une traduction et un excellen 
mentaire historique, 3 in-S», Paris, 1883-1888; 1 
din des Grâces, publié presque simultanéme 
E. Legrand, dans le t. m de sa Bibliothèque g 
vulgaire, Paris, 1881, p. 1-232, et par G. So 
in-16, Athènes. 

Dapontès a laissé, en outre, plusieurs ouvrag 
nuscrils, dont les principaux sont une Géo{ 
historique,le ©iatpov ^aaiXixdv, recueil de panég 
et de cantiques, les "AvO/; voYjTd, sorte d'anthol 
l'Ancien Testament, le 4>avâpt y^vaixtôv, histc 
femmes célèbres du paganisme comme de Ta 
chrétienne, le Bioloç paaiXeiôiv, résunné de l 
byzantine, entremêlé, comme les autres ouvr; 
Oapontès, d'une foule de digressions souve 
curieuses, enfin des Hymnes et poésies diverse 
Sur tous ces ouvrages comme sur la vie même de le 



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141 



DARBOY 



142 



auteur, on lira avec fruit la notice placée par E. Legrand en 
(été du t. m des Éphémérides Daces, Paris, 1898, p. i-lxxvxi* 

L. Petit. 
DARBOY Q«orge«, archevêque de Paris, né à 
Fayls-Billot (Haule-Marne), le 16 janvier 1813, d'une 
famille modeste. Élève du petit séminaire de Langres 
en 1826, et du grand séminaire de 1831 à 1836, il fut 
ordonné prêtre le 17 décembre 1839 par Mo^ Parisis, 
qui le nomma vicaire à Saint-Dizier. Professeur au 
grand séminaire de Langres, de 1840 à 1845, il tra- 
duisit alors les œuvres attribuées à saint Oenys 
TAréopagite. Partisan résolu d'une authenticité que les 
critiques les moins suspects rejettent, l'abbé Darboy a 
déployé pour défendre sa thèse toutes les ressources 
d'un esprit que la controverse n'effrayait pas. Peut- 
être à cette date subissait-il trop l'influence d'opinions 
ambiantes; la France catholique renonçait alors au 
gallicanisme, et, par réaction contre le gallicanisme, 
on abandonnait volontiers, dans l'ordre même pure- 
ment historique, les thèses qu'avaient patronnées, au 
XVII* siècle, des critiques jansénistes ou gallicans. 
L'abbê Darboy quitta Langres pour Paris en 1845. 
Second aumônier du collège royal Henri-IV; maître de 
conférences à l'école des Carmes que Mo^ Affre venait 
d'ouvrir, il publia tour à tour les Femmes de la Bible 
(1846); les Saintes femmes; une Lettre à M. Vabbé 
Combalot, en réponse à ses detur lettres à J/fl"" Var^ 
chevêque de Paris (1851); une Nouvelle lettre à 
M. Vabbé Combalot en réponse à sa nouvelle attaque 
contre Nosseigneurs de Paris et d'Orléans ; Le Christ, 
les apôtres et les prophètes; Jérusalem et la 7 erre- 
Sainte (lfô2), que M. l'abbé Guillermin a spirituelle- 
ment nommé : k Voyage en Terre Sainte dans un 
fauteuil; b L'Imitation de Jésus-Christ, traduction 
nouvelle avec Réflexions, commentaire substantiel de 
ce livre admirable. De 1847 à 1855, l'abbé Darboy inséra 
aussi divers articles dans le Con^espondant. (Ce re- 
cueil, après la mort de Mo^ Darboy, a publié plusieurs 
lettres de lui.) Vicaire général de Paris, archidiacre de 
Saint-Denis, protonotaire apostolique, l'abbé Darboy 
publia, en 1856, la Statistique religieuse du diocèse de 
Paris, Après le meurtre de Mflf Sibour (3 janvier 1^7), 
il fut élu vicaire capitulaire du diocèse, fut maintenu 
dans l'administration par le cardinal Morlot, donna 
une nouvelle édition du Traité de l'administration 
temporelle des patxtisses, œuvre de Ms»- Affre; et, en 
1858, publia 2 in-8<>sousce litre : Saint Thomas Becket, 
archevêque de Cantorbéry et martyr, adaptation de 
l'ouvrage d'un ancien fellow de l'université d'Oxford, 
le docteur Gilles. L'abbé Darboy avait fait précéder cet 
ouvrage d'une Introduction dont l'irréprochable ortho- 
doxie défiait la critique la plus ombrageuse. Il prêcha 
aux Tuileries le carême de 1859; fut nommé à Tévêché 
de Nancy le 16 août de la même année, préconisé le 
26 septembre, et sacré à Notre-Dame de Paris, le 30 no- 
vembre, par le cardinal Morlot. Il ne devait que passer 
dans la capitale de la Lorraine; il y acheva le retour 
à la liturgie romaine, entrepris par son prédécesseur. 
Parmi les mandements de l'évêque de Nancy, nom- 
mons sa lettre du 4 avril 1860, sur la Nécessité de 
Véttide, qui accompagnait une ordonnance relative aux 
conférences ecclésiastiques et à l'examen des jeunes 
prêtres. Le cardinal Morlot, sur son lit de mort, avait 
<leniandë Mff^ Darboy pour successeur; le 10 janvier 
1863, un décret impérial présenta pour l'archevêché 
•de I^ris l'évêque de Nancy qui fut préconisé dans le 
consistoire du 16 mars 1863. Le 8 janvier 1864, l'empe- 
reur le désigna comme grand aumônier; et, par un 
décret du 5 octobre, l'appela au Sénat. Aux honneurs 
q;ai s'accumulaient sur sa tête, et auxquels seule 
manqua la pourpre romaine, l'archevêque de Paris 
répondit par une vie d'une correction sévère et d'un 
in/atigable labeur. Sa vocation, et aussi ses aptitudes 



et ses attraits, faisaient de lui un administrateur, un 
théologien, un apologiste. Préoccupé de la formation 
de la jeunesse cléricale, l'administrateur agrandit le 
petit séminaire de Notre-Dame des Champs, et releva 
le petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Il 
dota la Sorbonne théologique de professeurs éminents, 
et rétablit à Notre-Dame les conférences de l'Avent, 
confiées par lui à un orateur qui devait, hélas! trom- 
per bien des espérances, le P. Hyacinthe. Il consacra 
son église métropolitaine (31 mai 1864.) Il encouragea 
toutes les œuvres charitables, crèches, asiles, écoles 
chrétiennes, etc. Certains actes de l'administration de 
Mflf Darboy ont provoqué de légitimes critiques. 
Homme de gouvernement, l'archevêque de Paris re- 
doutait tous les obstacles que son action aurait pu 
rencontrer; de là son opposition, justifiée d'ailleurs 
par de graves autorités, à l'inamovibilité des desser- 
vants (séance du Sénat, 18 juin 1865); de là aussi, la 
répugnance qu'il éprouvait pour l'exercice de la juri- 
diction immédiate du pape dans les diocèses, et qui, 
après la visite indûment faite par ses délégués aux 
maisons des jésuites et des capucins, lui attira le bref 
sévère du 26 octobre 1865. Aux reproches du Saint- 
Père, Mor Darboy répondit d'une manière qu'on vou- 
drait plus respectueuse et moins chagrine. La Bévue 
d'histoire et de littérature religieuses, mai-juin 1907, 
p. 240-281, a publié les lettres, jusqu'alors inédites, de 
Mgr Darboy à Pie IX et au cardinal Antonelli. Ces 
erreurs de conduite s'expliquent par des erreurs théo- 
logiques. Au grand séminaire de Langres, l'abbé Dar- 
boy avait enseigné les doctrines romaines; l'archevêque 
de Paris paraissait s'en être dépris; et certes, il ne les 
professait plus, lorsqu'au Sénat, « dans un discours, il 
s'éleva contre les appels au saint-siège, et conclut à 
accorder quelque respect aux lois organiques. » 
Emile Ollivier, V Église et VÉtat au concile du Vati- 
can, c. V. Au concile du Vatican, Mor Darboy combattit 
la définition de l'infaillibilité pontificale dans un dis- 
cours d'une rare habileté. Il avait le droit de parler à 
ses collègues comme il le fit, le 20 mai 1870, à la 
55« congrégation générale; il eut le tort de s'adresser 
à l'empereur et de solliciter une intervention qui d'ail- 
leurs ne lui fut pas toujours accordée. « Je me demande, 
écrivait-il à Napoléon III le 26 janvier 1870, après 
s'être plaint du défaut de liberté du concile, si l'in- 
térêt général, l'intérêt de la société religieuse et civile, 
n'exige pas qu'on nous vienne en aide. Le gouverne- 
ment de l'empereur ne pourrait-il pas faire connaître 
au gouvernement pontifical les appréhensions que les 
débuts du concile causent même à des esprits sérieux 
et non prévenus, et lui laisser entrevoir les consé- 
quences possibles des tendances et des agissements 
signalés plus haut (dans cette même lettre)... Ce n'est 
pas moi, sans doute, qui conseillerais de prendre à 
l'égard du concile une attitude qui ne serait pas che- 
valeresque et désintéressée; cependant, je ne voudrais 
pas qu'un grand gouvernement comme celui de l'em- 
pereur exprimât une confiance et des espérances que 
l'avenir trahira peut-être. » Cité dans L'Église et l'État, 
c. VI. Et dans une lettre du 21 mai 1870, l'archevêque 
de Paris proposait à l'empereur de rappeler de Rome 
l'ambassadeur, le marquis de Banneville. D'après 
Ma»" Darboy, par cet acte, « le gouvernement... donnerait 
un appui moral à la minorité... et il contribuerait 
peut-être efficacement à faire retirer ou ajourner la 
question malheureuse qui inquiète et divise tout le 
monde... » L'Église et VÉtat, c. vu. On se méprendrait 
singulièrement si l'on attribuait ce très regrettable 
langage et les actes correspondants, à une foi anémiée, 
si je l'ose dire, par des préoccupations d'ordre poli- 
tique. Mflr Darboy avait pu dire un jour à l'évêque de 
Metz, U9r Dupont des Loges : « J'envie votre piété, 
mais pour ma foi, elle est intacte. » F. Klein, Vie de 



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443 



DARBOY — DARBY 



1 



3f3^ Dupont des Loges, L'avenip n'a point justifié les 
alarmes des inopportunistes de 1870, mais c'est en 
toute sincérité que rarchevêq.ue de Paris disait au 
concile : « Le remède proposé (la définition) contre 
les maux du siècle est manifestement inefficace; il est 
même à craindre qu'il ne nuise à beaucoup d'âmes. 
Le point de vue théologique n'est pas le seul à consi- 
dérer, nous devons tenir compte aussi de l'efTet sur la 
société civile... Presque tous ceux qui président en 
Europe aux destinées humaines nous chassent ou nous 
fuient. Dans ces poignantes angoisses de l'Église, quel 
remède offre-t-on au monde accablé? A ceux qui d'une 
épaule indocile secouent les charges imposées par les 
antiques et respectables coutumes de leurs pères, les 
auteurs du schéma (de Tinfaillibilité) imposent une 
charge que sa nouveauté rend aussi lourde qu'odieuse...» 
L'Église et VÉtat, c. vrii. Quand la congrégation géné- 
rale du 13 juillet 1870 eut montré comme inévitable 
aux évêques inopportunistes la définition tant redou- 
tée, Mflf Darboy écrivit le 16 juillet à Pie IX, pour 
demander qu'on fit au texte de la constitution deux 
modifications qui laissaient une porte ouverte au galli- 
canisme. Colleclio Lacencis, t. vu, col. 992. A cette con- 
dition, il promettait que la plupart des évêques oppo- 
sants donneraient leur adhésion au décret en session 
publique. Quand il n'eut plus l'espoir d'être écouté, il 
fut d'avis de ne point paraître à la séance conciliaire 
du 18 juillet; et son avis, combattu par Mfl' Haynald, 
archevêque de Colocza. par Mo»" Ginoulhiac, archevêque 
de Lyon, prévalut parmi les évêques de la minorité. 
« La piété et le respect filial, écrivaient-ils le 17 juil- 
let à Pie IX, ne nous permettent pas, dans une ques- 
tion qui touche de si près Votre Sainteté qu'on peut 
la considérer comme lui étant personnelle, de dire 
publiquement et à la face de notre Père : Non placet... » 
La définition une fois portée. Me' Darboy se soumit, 
comme d'ailleurs tous les évêques de la minorité. 
« Je m'en voudrais, dit-il au pape dans une lettre du 
2 mars 1871 (Paris, investi depuis septembre par les 
troupes allemandes, venait de se rouvrir), si je ne pre- 
nais occasion de la présente lettre pour vous déclarer 
que j'adhère purement et simplement au décret du 
18 juillet. Peut-être que cette déclaration paraîtra su- 
perflue après la note que j'ai eu l'honneur de remettre 
à Votre Sainteté le 16 juillet, de concert avec plusieurs 
de mes collègues; mais il suffit que la chose vous soit 
agréable, comme on me l'écrit, pour que je la fasse 
avec plaisir, surtout dans les circonstances que vous 
traversez. Votre Sainteté peut se rappeler que, dans 
cette note, nous exprimions l'espoir de réunir l'unani- 
mité des suflVages, si l'on adoptait deux ou trois correc- 
tions qui n'atteignaient pas le fond du décret, mais qui 
en adoucissaient la formule. C'est surtout la question 
d'opportunité qui nous tenait au cœur, ou plutôt à 
l'esprit, et la crainte, hélas î de voir les gouvernements 
se désintéresser des affaires de la papauté. Je sais bien 
que les hommes ne sont pas forts, ils viennent encore 
de le montrer, et que Dieu n'a pas besoin d'eux ; mais 
pourtant il s'en sert quelquefois. Enfin, c'est fait. » 

Chez l'archevêque de Paris, l'apologiste ne donne pas 
de prise à la critique. Sa fine intelligence avait discerné 
de bonne heure les problèmes qui tourmentent l'âme 
contemporaine; et ses Instructions pastorales sont une 
série de réponses à ces questions anxieuses. Indiquons 
les Instructions quadragésimales de 1868, 1869, 1870 et 
1871, qui constituent un traité complet de la vraie 
religion. Auparavant, dans son mandement pour le 
carême de 186i, sur la divinité de Jésus-Christ, l'ar- 
chevêque avait réfuté les audacieuses négations de la 
Vie de Jésus, publiée en 1863; il avait commenté à 
grands traits l'encyclique Quanta cura dans son Ins- 
truction pour le carême de 1865, de laquelle M»' Pie 
disait à Pie IX que rien de plus topique n'avait été 



écrit sur ce sujet (je tiens ce propos de l'abbé Delà 
à qui l'évêque de Poitiers l'avait rapporté). En mê 
temps qu'il répand la lumière. Ma»" Darboy recommai 
l'efTort et préconise la lutte. Dès Nancy, il écrivait 
mandement sur la direction et le gouvernement d( 
vie (1862); à Paris, entre autres mandements d'or 
essentiellement pratique, il en donnstit un d'une ha 
inspiration et, à certains endroits, d'une pénétrant 
sereine mélancolie sur le caractère et la portée d> 
vie humaine (novembre 1865). Son dernier manden 
de carême (15 février 1871) s'achève par de vigoui 
conseils. Mo"" Darboy écrivain, etaussi orateur, a été ap 
cié d'une manière, ce semble, définitive par M. Emile < 
vier : « Tout ce qu'il a dit ou écrit est d'un tour par 
' d'un souffle fort, haut, plein, d'une clarté transpare 
d'une dialectique animée, d'une justesse et d'un c 
de termes exquis. La grandeur de la pensée cou 
niquait à sa parole, malgré la faiblesse de ses mo 
physiques, une autorité triomphante : en l'écoutai 
se sentait élevé à la région supérieure de l'intelligi 
plus ferme et plus éclairé. Peu accessible aux entr 
ments de l'imagination, il n'en était que plus 1 
neux : le bois sec est celui qui produit les fiai 
vives. » V Église et VÉtat, c. v. 

Si désabusé qu'il parût des hommes et des cï 
et que nous le montre son buste, chef-d'œuvi 
Guillaume, M»»" Darboy professait à l'égard d 
contemporains un optimisme que l'expérience i 
pas entamé. « J'offre ma tête à qui en veut, disa 
Napoléon III un jour de 1868, mais à notre époq\ 
ne trouverait pas un bourreau. » (Je tiens ce 
du P. Adolphe Perraud, qui le tenait de l'arche 
lui-même.) La Commune donna un démenti 
optimisme. Averti à temps, il pouvait fuir : <f Je re 
dit-il, car je dois l'exemple à mes prêtres : ma fu 
rait d'ailleurs le signal d'un massacre gén^ 
L'archevêque fut arrêté dans son palais le 4 avril 
il fut enfermé à Mazas, où il demeura quara 
jours. D'inutiles démarches furent tentées aup 
M. Thiers pour obtenir l'échange de Ms^ Darboy 
Blanqui, retenu prisonnier à Versailles. L'arch 
do Paris fut transféré à la Roquette le 22 mai, 
condamné à mort par un simulacre de cour m 
et fusillé. Il tomba en pardonnant et en bénissa 
funérailles solennelles, décrétées par l'Assemb 
tionale, lui furent faites le 17 juin ; et au sei 
quarantaine, le P. Adolphe Perraud, de l'O 
prononça à Notre-Dame son oraison funèbre. 

Les Œuvres pastorales de M*' Darboy ont été 
2 in-8«, Paris, 1876. Oraison funèbre prononcée à NoI 
de Paris par le R. P. A. Perraud, de l'Oratoire (18 juin 
Oraison funèbre prononcée à la cathédrale de Nani 
R. P. Didon, O. P. (24 juin 1871) ; Lettre de M«' Foule 
Introduction aux œuvres pastorales, de M«' Foulon ; M 
Histoire de la vie et des œuvres de M*' Darboy, Pa 
Guillerrain, Vie de M" Darboy, avec lettre-préface par 
Paris, 1888; La vérité sur M" Darboy, Gien, 1889; 
M'' Darboy, esquisse familière, Paris, 1872; M«' F< 
intime et travaux littéraires de M** Darboy, Pai 
2* édition, sous le titre : Vie et œuvres, Langres et Ps 
E. de Mirecourt, M*' Darboy, in-32; Mile Grâce 
Afi' Darboy, souvenirs personnels, trad. de Tw 
Mlle O. de L.. in-16, 1872; Semaine religieuse c 
t. XXVI, p. 7; Captivité et mort de ^f*' Darboy en iS 
du Correspondant); L'épiscopat français depuis le i 
jusqu'à la séparation, Paris, 1907, p. 390-391, 463, 4 

A. Largi 

DARBY John Nelson, prédicant anglais 
(18 novembre 1800-29 avril 1882), naquit à Le 
parents irlandais, et fut élève de Trinity < 
Dublin. Ses études achevées, il embrassa la p 
d'avocat, qu'il abandonna ensuite pour la cl 
En 1825, il devenait diacre, et en 1826 i 
rÉglise établie. Il ne resta pas longtemps fidè 
Église. Elle était alors éprouvée par la déplo 



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145 



DARBY — DARVARIS 



146 



dance de Vércutianisnie, qui en foisait une simple 
institution d'État, en tout soumise au gouvernement. 
Plusieurs des anglicans les plus fervents avaient déjà 
fait schisme pour protester contre ces tendances pure- 
ment mondaines; John Walker, en 1804, avait ainsi 
fondé une secte séparée, les séparatistes ou walké- 
rites, qui avaient de nombreuses communautés en 
Irlande et dans l'Angleterre occidentale. Des i congré- 
gations » de ce genre furent'fondées, en particulier, en 
Irlande, par le dentiste Norris Groves et l'avocat Bellet. 
Tous deux furent les amis de Darby et eurent sur lui 
grande influence. Stokes, J. N. Darby y p. 5B7 sq. 

Le dernier coup fut porté à celui-ci par la vue de 
l'acharnement avec lequel l'archevêque anglican de 
Dublin, Maffee, et son clergé, s'opposaient, au nom de 
la raison d'Etat, au mouvement d'émancipation des ca- 
tholiques alors dirigé par O'Connell. Dès 1828, il semble 
avoir abandonné l'Eglise établie. Il est alors tout occupé 
de la pensée de l'avènement prochain du Christ, hanté 
de visions apocalyptiques, et Gnit par renoncer à toute 
idée d*une Eglise hiérarchique, pour ne voir dans le 
christianisme que la doctrine consignée dans l'Écriture 
sainte et interprétée par le sens propre de chaque 
baptisé. U vécut, en 1^, plusieurs mois sur le Calary 
Bog. dans une hutte de paysan, se livrant à toutes les 
pratiques ascétiques. Ainsi préparé à son rôle de réno- 
vateur, il alla étudier en Angleterre les communautés 
séparatistes, et fut très frappé de la ferveur qui régnait 
dans celle de Plymouth. La vue des Plymouth brethren 
fut pour lui une révélation; c'est sur leur modèle qu'il 
instituera dans le monde entier des fratomités. S'il fut 
donc le principal propagateur du mouvement séparatiste 
et individualiste connu sotis le nom de plymouthisme, 
il est fiiux que ce mouvement lui doive son existence; 
tout au contraire, les idées de Darby se précisèrent et 
s'affirmèrent dans la société des frères de Plymouth, 
Stokes, /. N. Darby, p. 5i4 sq.; Teulon, The histoiy, 
p. 8 sq. En 1831, Darby commence en Irlande, avec 
Bellet, c l'œuvre du Seigneur ». Groves est parti pour 
prêcher F Évangile aux musulmans de Perse et de Méso- 
potamie. Les prédicateurs ambulants ont un véritable 
succès, et détachent de l'Église établie nombre de ses 
plus fervents sectateurs. Les persécutions ne manquent 
pas; et en plus d'une ville, Darby et ses]compagnons sont 
expulsés et maltraités à l'instigation du clergé anglican. 

Les premières congrégations de frères de Plymouth 
ou darbystes n'ont aucune organisation, toute hiérar- 
chie étant pour elles une altération coupable de l'œuvre 
du Christ. Chaque dimanche les frères se réunissent 
pour la cène, repas commun de pain et de vin; on 
chante des cantiques; on fait des lectures de l'Écriture 
suivies de longs silences pendant lesquels chacun se 
livre à la méditation; puis tous ceux des frères qui 
sentent en eux l'Esprit peuvent librement dire ce qu'il 
leur inspire. Pas de symbole commun. Les frères se 
regardant comme c les saints des derniers temps » ne 
récitent pas l'oraison dominicale, parce que la parole : 
c Pardonnez-nous nos oflenses, » ne saurait avoir de 
sens pour eux. Le baptême n'est conféré aux enfants 
qu'à treize ou quatorze ans, après qu'ils ont été instruits 
des vérités du christianisme. L'avènement du Christ 
étant proche, et tout ici-bas devant bientôt finir, les 
frères ne cultivent pas les sciences et les arts, et se 
bornent à gagner le nécessaire pour leur subsistance 
de chaque jour; ils refusent, autant que possible, de 
prendre part à la vie politique et sociale de leurs con- 
citoyens, et même à leurs œuvres de charité. Dans cette 
ferveur des premiers temps, il y eut incontestablement 
de nobles exemples d'austérité, de détachement, de 
prière, donnés par les premiers darbystes. Stokes, John 
NeUon Darby, p. 544 sq.; Teulon, TAc Ai^tory, p. 22 sq.; 
Grant. The Plymouth brethren, p. 49 sq. 
Darby fat an intrépide voyageur, qui, jusqu'à ses 



dernières années, prêcha ses doctrines par le monde. 
Il parvint à implanter quelques communautés de frères 
parmi les calvinistes du sud de la France, et surtout 
dans la Suisse française et allemande, où le darbysme 
devint une secte assez puissante. Il parcourut, en prê- 
chant et instituant des congrégations, l'Italie du nord, 
l'Allemagne, les États-Unis, le Canada, et jusqu'à la Nou- 
velle-Zélande. Herzog, Les freines de Plymouth, p. 11 sq. 

Des schismes devaient naturellement se produire 
dans une secte où l'inspiration individuelle ne con- 
naissait aucune règle. Par une inconséquence, due 
sans doute à son éducation théologique anglicane, 
Darby prétendait imposer aux siens ses idées sur la 
trinité, l'incarnation et quelques autres dogmes. En 
1845, cette prétention produisit une grave scission. 
Deux des « frères » de Plymouth les plus fervents. 
Newton et Harris* ayant enseigné sur la personne du 
Christ des propositions que Darby trouva hétérodoxes, 
et refusant de se rétracter, leur maître les « livra à 
Satan », et leur refusa l'accès de ses assemblées; il y 
eut ainsi, à Plymouth même, et dans les autres villes 
où le plymouthisme avait des adhérents, deux catégories 
de frères, les exclusifs, exclusive brethren, groupés 
autour de Darby, et les ouverts, open ou loose bre- 
thren, qui suivaient Newton et Harris. Chacune de ces 
sectes rivales se fractionna bientôt en subdivisions 
distinctes. Loofs, i)ar6|/, p. 490 sq. ; Stokes, /. N. Darby, 
p. 551 sq. ; Carson, The hérésies, p. 159 sq. Darby passa 
ses dernières années au prieuré d'islington, consulté 
par ses adhérents du monde entier, et scrupuleusement 
obéi. Il mourut à Bournemouth le 29 avril 1882. 

Les darbystes ne publiant pas de statistiques, il est 
difficile de connaître leur nombre exact. .\ux États-Unis, 
ils comptaient, en 1890, 6661 « communiants ». En 
Angleterre et au Canada, ils sont beaucoup plus nom- 
breux. Au moment de la mort de Darby, on comptait 
750 congrégations» en Grande-Bretagne, pour les seuls 
exclusifs. Des traductions française et allemande de la 
Bible ont été faites, par les soins de Darby, à l'usage 
des frères, Carroll, The religions forces, p. 60 sq., 
181 sq.; Stokes, J. N. Darby, p. 552. 

I. Sources. — La publication des œuvres de Darby a com- 
mencé à Londres en 1866; 34 volumes ont déjà paru : The col» 
lected writings ofJ, N. Darby, 1866 sq. Un Index a paru à 
Londres en 1902. Ses LetU-es, de 1832 à 1882, ont été égale- 
ment éditées à Londres : Lettera of J. N. Darby, Londres, 
1886-1889. Gleanings from the writings ofJ.N. D., Londres, 
1898 ; Gleanings from the published letters ofJ. N. D., Londres, 
1896; Memoir ofA.N. N. Groves by his widow, Londres, 1869, 

II. Travaux. — J. H. Blunt, Dictionary ofsects, hérésies, etc., 
Londres, 1891 ; H. K. Carroll, The religions forces of the Uni- 
ted States, New-York, 1893; J. C. L. Carson, Ttie hérésies of 
the Plymouth brethren, Londres, 1883; E. Dennet, The Ply- 
mouth brethren, Londres, 1870 ; Estéoule, Le plymouthisme 
d^autrefois et le darbysme d'aujourd'hui, Paris, 1858; 
J. Grant, The Plymouth brethren, Londres, 1875; H. Groves, 
Darbyism, Its rise and development, Londres, 1866; J. J. Her- 
ïog, art Plymouthbrûder, dans Realencyklopàdie, 2* édit., 
t. XII, p. 72 sq. ; J. J. Herzog, Les frères de Plymouth et John 
Darby, Lausanne, 18i5 ; Loofs, art. J. N. Darby, dans Real" 
encyklopàdie, 3« édit., t. iv, p. 483 sq.; W. Reid, Plymouth 
brethrenism unveiled and refuted, Edimbourg, 1875; G. T. 
Stokes, J. N. Darby, dans Contemporary Heview, octobre 
1885, t. XLViii, p. 537 sq. ; J. S. Teulon, The history and teaching 
of the Plymouth brethren, Londres, s. d. (1883). 

J. DE LA Sf.RVIÈRE. 

DARVARIS Démétrius, auteur grec de la première 
moitié du dernier siècle, dont le nom, comme celui de 
Berquin en France, est resté populaire dans la jeunesse 
grecque. Né le 13/24 août 1757 au petit village deKlei- 
soura en Macédoine d'une famille de commerçants en 
bois (d*où le nom de Darvaris, marchand de bois), il 
se rendit en 1769 à Semlin, où son père avait établi une 
succursale. C'est là qu'il apprit l'allemand et le slave; 
il compléta son éducation d'abord à Kouma, puis à 



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147 



DARVARIS — DAUBERMESNIL 



Neusatz, enfin à Bucarest (1777-1780), et aux univer- 
sités allemandes de Halle et de Leipzig. Revenu à Sem- 
lin au mois d'août 1784, il y ouvrit une école qu'il di- 
rigea pendant sept ans consécutifs. Il fit de même à 
Vienne où il se rendit en 1794, à la demande de son 
frère Jean, dont les libéralités lui permirent d'imprimer 
les nombreux ouvrages qu'il avait composés pour ses 
élèves. Il mourut le 21 février/5 mars 1823, à Vienne, 
à l'âge de 65 ans et demi. De ses nombreux ouvrages, 
nous ne mentionnerons ici que ceux qui se rapportent 
à notre domaine : l» Mixpà xaTir,/y)<ji; rjoi (t-jvto|ioc 
èpOôSoÇo; ojioXoYia tti; àvotToXixr,; Exx).r,9ia( Tt5v rpatxtov 
t) *Pa>|jLaitDv, in-8«>. Vienne, 1791 : traduction du caté- 
chisme serbe approuvé par le synode de Karlovitz en 
1774; 2« XeipaYwY^a tlç Ttjv xaXoxàY«6(av, in-4«. 
Vienne, 1791; 3* *.\ffçaXr,; Qlr)y(a etç tyjv yvùxtiv tûv 
àvOpwTTwv, in-8o, ibid., 1795; 4« 'AXyiO^ç opb; ei; tyiv 
Evfiaijiovfav, in-8o, ibid., 1796; 5° Xpu<jo*jv èyxciXTciov, 
in-8», ibid., 1799, traduction de Cébès et d'Épictéte, 
suivie d'un Essai sur la providence, composé par Dar- 
varis; 6« Svvtoixoç lepdt loropta ty^; èxxXr,(Tia; ty); ita- 
XaiSc xa\ véac Ata^xTr;;, in-8o, ibid., 1800, traduit du 
russe ; 7» 'Ex/eip^fiiov ypiffiiavixdv, explication de la 
messe, de l'office, des sacrements, en un mot de 
tout ce qui touche au culte, in-8», ibid., 1803; 8° 'EititopiTj 
T7|ç UpScç i^Top^a; xri; éxxXT,ff^a; Tr,; TcaXatâ; xal véa; 
Aiad^xr,;, in-8», ibid., 1803; 9o MeYàXyj xaTQy3<'^« ^^<>' 
ôp6(55o^oc XP^*'^**^^'^^ fiifiaoxaXc'a ttjç àvatoXixf,; IxxXt,- 
(j^ac, traduction du russe, in-8«, ibid., 1804; lO» Ilaifia- 
YWYoç fjToi Tjôixol xavovec toû îîy,v, in-8*», ifeid., 1804; 
11® npo7rapa<TxeuT; eîç rr,v ôeoYvwarav Ôià t-^ç Bstopiocç Ttov 
ovTtov, in-8o, i6id., 1807; 12« Mr/pov Tcpoaeux'/îxàptov, 
suivi des offices liturgiques, in-8», ibid., 1818. C'est 
encore à la plume féconde de Darvaris qu'est due la 
traduction allemande de la trop fameuse lUrpa oxxvSdXou 
d'Élie Migniati, vigoureux pamphlet contre la primauté 
papale; cette traduction parut à Vienne en 1787. 
L'année précédente, avait également paru, mais en tra- 
duction slave, la Xprj<TTor,8£ia d'Antoine de Byzance. 
Plusieurs de ces volumes, en particulier les catéchismes, 
ont été réimprimés plusieurs fois. 

A. DémélraCOpOUlos, n^ov^j^xe» «al diop^ûaitç it; Tr.-^ Nio(\Xi]vtx>/./ 
4>aoXoTΫcv KwvircavTtvoy Eà6a, iQ-8*, Leipzig, 1871, p. 97-98; 'Exavof- 
9wff«t{ 9fa>.|&dTwv i:ap«tr,pv)ft(vT<itv îv rî^ N«oiXA.r,vtx^ 4»jXoXo7Îa to3 

K. EA8«. in-8% Trieste, 1872, p. 38-40. L'article de C. sâlhas, 
NiotXXiivixf] 4>iXoXoY(a, Alhènes, 1868, p. 564, est inexact et incom- 
plet. 

L. Petit. 
DAUBENTON ou DAUBENTONNE Jeanne, dite 
aussi Piéroime d'Aubenton, hérétique brûlée à Paris, 
le 5 juillet 1372. Née à Paris, à une date inconnue, dans 
le courant du xiv» siècle, Jeanne Daubenton se laissa 
séduire par la morale fort relâchée des turlupins. Voir 
ce mol. Elle s'unit à l'un d'eux, se mit à prêcher et 
devint Tun des principaux et des plus actifs propagan- 
distes de la secte. Les femmes, disait-elle, ont reçu de 
Dieu, aussi bien que les hommes, le don de la prédi- 
cation. Pour marcher sur les traces des apôtres, on 
doit aller pieds nus, à peine vêtu et vivre dans la pau- 
vreté. Une fois arrivé à un certain degré de perfection, 
tout est permis, on devient impeccable, et l'on peut se 
livrer, sans crainte du péché, à tous ses caprices, 
assouvir ses passions et satisfaire son corps. Des 
maximes aussi dépravées trouvèrent facilement un écho 
dans les bas fonds de la capitale et des environs. Les 
membres de la secte furent nombreux. Chacun se 
trouvant vile en état de perfection, ils agissaient en 
conséquence et ne reculaient devant aucune turpitude, 
même en public. Le débordement de leurs mœurs les 
rendait passibles des lois civiles. Mais ils avaient la 
prétention de mener une vie conforme à l'Évangile. 
L'autorité ecclésiastique dut intervenir. Grégoire XI 
excommunia les turlupins et invita les princes, notam- 



ment Charles V, roi de France, à réprimer de pai 
hérétiques. Voir la lettre du pape au roi, dans 6 
nius. Annales, an. 13T3, n. 19-20. Est-ce à la suit 
cette invitation que Jeanne fut arrêtée? Baro 
Taffirme, ibid., n. 21, et cite Gaguin. Jeanne, en ( 
fut jugée, convaincue d'hérésie, condamnée et li 
au bras séculier. Gaguin raconte. Annales Franco 
regum, Paris, 1521, p. clxiii, qu'on la brûla en | 
de Grève avec le cadavre de son compagnon. Geli 
en eflet, était mort en prison avant la sentence. Il 
été avec Jeanne l'un des principaux prédicateurs 
secte ; son corps fut conservé dans la chaux pei 
quinze jours et finalement brûlé avec Jeanne, q 
celle-ci dut monter sur le bûcher, le 5 juillet 1372 

Gaguin, Annales Francorum regum, Paris, 1521, p. c 
Baronius, Annales, an. 1373, p. 19-21; Prateolus, Ele 
hœreeium, Cologne. 1581, art. TurlupinsiDv Gange, Glosso 
\* Turlupins ; Migne, Dict. des hérésies; Nouvelle biog\ 
générale, Paris, 1855, t. xiii, p. 1C6-168. 

G. Bareille 

DAUBERMESNIL FrançoU-Antoine, homnr 
litique français, né à Salles (Tarn) en 1748, n 
Perpignan en 1802. Eiïvoyé par le départemental 
à la Convention, 1792, mais républicain mod 
démissionna en mai 1793; déjà pendant le pro 
roi, prétextant une maladie, il n'avait pas pris p 
vote. Un décret spécial du 24 thermidor an 111 ( 
1795) le rappela à la Convention; il fut alors ir 
du comité d'instruction publique. Il figura au: 
Cents, mais il en sortit en l'an V pour y rentrer 
YI, toujours comme représentant du Tarn. II { 
contre le 18 brumaire, aussi fut-il exclu du 
législatif par Bonaparte et même un moment exi 
la Charente- Inférieure. Sa mort suivit de près. I 
mesnil est surtout connu pour ses idées et se 
tives religieuses. Afin de se débarrasser de « la 
stition » et pour lutter contre le a péril prêt 
Convention et plus encore le Directoire tente 
fonder une religion civile, dans le cadre dé 
L'un des législateurs les plus zélés autour de c* 
fut Daubermesnil, comme le prouvent ses longs c 
sentimentaux et optimistes, aux Cinq-Cents. M 
vant lente et incomplète Taction des pouvoirs 
il essaya de lancer, de son initiative privée, leî 
lions religieuses et morales qu'il rêvait. Dans 
miers mois de l'an IV (1797), il faisait pa 
livre descendu du ciel {e cselx) descendit), dii 
graphe, sans nom d'auteur et avec ce titre : 
d'un manuscrit intitulé: « Le culte des Ador 
contenant des fragments de leurs différen 
sur l'institution du culte, les observances re 
V instruction, les préceptes et l'adoration, in- 
Ce livre, qui s'inspirait de Voltaire dans ses j 
sur les religions positives et de Rousseai 
construction de la religion nouvelle, prélen< 
ner sur la terre la seule religion vraie, la n 
turelle, celle des patriarches qui gouverna 
familles selon les lois de la conscience, sans 
sans mystères. Les dogmes que devaient 
Adorateurs étaient ainsi uniquement l'exi 
Dieu et l'immortalité de l'âme; les précej 
devaient observer énuméraient les devoir 
envers Dieu, envers le prochain, envers so 
envers la cité. La partie originale du livr 
l'organisation du culte. Il y a un culte pv 
culte privé. Le culte public se célèbre dan 
temple; l'année rituelle commence, connr 
républicaine, à l'équinoxe d'automne, et chî 
est l'occasion d'une grande fête commune 
Adorateurs. Il n'y a pas de prêtres à propren 
leur rôle est joué par des chefs de famille ^ 
année et qui revêtent un costume minv 
décrit et ridicule. Tous les neuf jours, liuil 



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149 



DAUBERMESNIL — DAUPHIN (DELFINI) 



150 



sécntifs étant consacrés aa travail , FAdorateur se rend 
aa temple avec sa famille. Les rites principaux sont 
l'entretien d*un feu sacré perpétuel dans Vasile, rite 
renouvelé de la religion des Guèbres, des danses 
saintes, des offrandes de froment ou de fruits, etc. Les 
funérailles sont entourées de cérémonies très longues 
et très compliquées. Deux jours par année sont con- 
sacrés à la célébration des mariages. Quant au culte 
domestique dont le prêtre est le chef de famille, il est 
de beaucoup le plus important. Le culte des Adorateurs 
eut même un commencement d'exécution. D'après 
Grégoire, Daubermesnil aurait fondé deux asiles, 
l'un â Gaillac. dans son pays natal, Tautre à Paris, 
rue du Bac. et ici Tassociation aurait réuni sept ou 
huit pères de famille. Bientôt les Adorateurs se confon- 
dirent avec les théophilanthropes dont Daubermesnil 
devint Tun des chefs. 

Gr^oire, Histoire des sectes religieuses, 2 in-8*, Paris, 1810 
^1814; 2* édil., 182S; Mathieu, La théophilanthropie et le 
cuUe décadaire, il96-i80l, in-8% Paris, 1903. 

G. Constantin. 

DAUDE Adrien, né le 9 novembre 1704 à Fritzlar, 
entra dans la Compagnie de Jésus â Mayence, le 28 sep- 
tembre 1722; depuis 1742, il professa les controverses 
et rhistoire a l'université de Wurzbourg, et mourut 
dans cette ville le 12 juin 1755. Il a publié, sur les ori- 
gines et les attributions des divers degrés de la hiérar- 
chie ecclésiastique, un ouvrage érudit]en deux parties, à 
la fois historique et théologique, dont voici le long titre : 
Majestas hierafchiœ ecclesiaslicœ a summi pontifias 
regali sacerdotio, ccwdinalium eminentissima purpura, 
patri€ircharitni, archiepiscoporuni, episcopo)*um sacra^ 
tiore principatu, prsRSuluni niinomni sublimi digni- 
iate,ecclesia9mrti cathedralium illuslrissinw splendore, 
collegiataruni insigni décore, parochialiuni pielate et 
zelo, totiusque venerabilis cleri pulcherrlmo ordineac 
disciplina conimendata, ex dogmatibus theologicis, 
sacris canonuni stalutis, historia ecclesiaslica et civili 
proposita. Pars /. — Majestas hierarchim ecclesiaslica 
a cleri regularïs inslituto, cœnobiiarum altissima 
contef}iplatione,ordinum monasticorum et militarium 
piissima actione, asceteriorum vitam mixtam profi- 
tentiuni ordinatissima charilale, necnon religionum 
votiva sanctimonia et admirabili varielate exomata, 
aucta et propagata, per lucubralionem historico-theo- 
logicani comnionstrata. Pars II, paru d'abord sous 
forme de dissertations académiques, in-i^, Wurzbourg, 
1745 et 1746; réimprimé en 2 in-4«, Bamberg, 1760. Le 
P. Daude a encore publié une histoire universelle « prag- 
matique 1, c'est-à-dire, comme il l'explique lui-même, 
spécialement composée en vue de l'utilité des théolo- 
giens : Historia universalis et pragmatica romani im- 
peini, regnorum, provinciarum, una cum insignioribus 
monunientis hierarchiœ ecclesiasticœ, ex probatis 
seriptoribus congesta, observationibus crilicis aucta, 
a^que ad theologiœ positivas, jurispinidenti» a^ philo- 
logie peculicureni usuni re/lexionibus dogmaticis et 
ckronologicis illustrala, 2 parties en 3 tomes in-i^i 
Wurzbourg, 1748-175i. Cette histoire va depuis le com- 
mencement du monde jusqu'à l'avènement de Charte- 
magne. 

De Backer et Sommervogel, Bibliothèque de la O* de Jésus, 
t-iî, col. 1835-1837; Hurler, Nomenclator, t. m, col. 1433-1434; 
Dohr, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, 1889, p. 86; 
AU4femeine deuUehe Biographie, t iv, p. 709-770. 

Jos. Brucker. 
DAUNOU Jean-Claude-François, né à Boulogne- 
sur-Mer, le 18 août 1761. Ses talents précoces portèrent 
ses maîtres, les oratoriens de sa ville natale, à l'attirer 
dans leur congrégation où il fut reçu en 1777, à 16 ans. 
Bientôt il devint, dés 1784, professeur de philosophie 
dans cette même maison de Boulogne, puis, en 1785, 
i Montmorency où il eut à enseigner la théologie, qui le 



passionnait alors, a-t-il témoigné plus tard. C'est là 
qu'il fut ordonné prêtre en 1787 et que le trouva encore 
la Révolution à laquelle il adhéra avec enthousiasme. 
On sait le rôle qu'il joua. Un moment vicaire métropo- 
litain de Paris, il cessa bientôt toutes fonctions sacer- 
dotales. Le reste de sa vie, laborieuse et honorable, mais 
tout à fait laïque, si l'on peut parler ainsi, ne nous appar- 
tient plus. A l'Oratoire, divers travaux littéraires l'avaient 
déjà fait remarquer et laissé pressentir ce qu'il serait un 
jour. Il mourut, le 20 juin 1840, garde général des Ar- 
chives nationales et pair de France. De toutes ses 
œuvres, nous n'avons à nommer ici que VEssai histo- 
rique sur la puissance temporelle des papes, que Na- 
poléon le chargea d'écrire lorsqu'il voulut abolir le 
gouvernement pontifical, et qui a eu quatre éditions, 
in-8o, Paris, 1810 (2 éditions); in-S», Paris, 1811 et 1818. 

Taillandier, Documents biographiques sur Daunou, Paris, 
1841, mais qu'il faut rectifier, pour la période oratorienne de sa 
vie, par mon Oratoire et la Révolution, Paris, 1883. Voir aussi 
Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 166-174 ; Feller, Bio- 
graphie universelle, Paris, 1848, t. m, p. 156 157. 

A. Ingold. 

DAUPHIN (DELFINI) Jean-Antoina, né à Pompo- 
nesco en Lombardie, fit ses premières études à Cré- 
mone et les compléta à l'université de Bologne. Il s'é- 
tait appliqué en particulier à l'étude du grec, de la mé- 
decine et des mathématiques; mais répondant à l'appel 
de Dieu, il entra chez les conventuels de Casalmaggiore. 
Religieux, son ardeur pour Tétude ne se ralentit pas : 
minuit était l'heure de son lever et, après la prière, il se 
mettait au travail ; l'on dit que ses confrères l'avaient à 
cause de cela surnommé fra Mezzanotte, Dans son or- 
dre il fut lecteur, régent des études à Padoue ; Bologne 
réclama son ancien élève et lui confia une chaire de 
métaphysique ainsi que la charge de régent du collège 
espagnol établi prés de celte université; on le trouve 
encore inquisiteur en Romagne et provincial de ses frè- 
res de la province de Bologne. Le P. Dauphin s'illustra 
en particulier dans les commissions préparatoires des 
sessions du concile de Trente, de 1;>46 à 1549. Le géné- 
ral des conventuels étant mort en juillet 1559, Pie IV 
nomma le P. Dauphin vicaire général, mais ce fut pour 
peu de temps, car suivant l'expression d'un de ses bio- 
graphes, il rendait son àme savante au créateur le 5 sep- 
tembre 1561, à Bologne, où il se trouvait en attendant 
de retourner prendre part aux travaux du concile de 
Trente. Nous avons de lui : De poteslate ecclesiaslica, 
in-8o, Venise, 1549; De cxdtu Dei et invocalione san- 
clorum, Bologne, 1549. Ces deux ouvrages réunis avec 
un troisième. De notis Ecclesim, formèrent VOpus exi- 
mium alque hac tempestale magnopere desidUgratum, 
universum fere negotiuni de Ecclesia inter patres or- 
Ihodoxos et protestantes controversum perspicua série 
complectens, in très libros optimo jure digestum, 
in-8«, Venise, 1552; Decausisetsignificationibusigne- 
arum flammarum, putot*is et sonitus qum nunc effi- 
duntur Cremonse, in-4o, Bologne, 1551 ; De salutari 
omnium rerum ac prœsertim hominum progressu 
libri V, adversus hœreticos, hoc est, de rerum eventu, 
de prœdestinatione, de onginali peccato, de libero 
arbitrio et de justificatione, in-fol., Camerino, 1553. 
On trouve souvent à la suite de cet ouvrage celui De 
matnmonio et cœlibatu libri II contra horum tem- 
porum impios et hœreticos homines, publié la même 
année au même lieu; Didactica methodus, seu de 
methodo in scientiis servanda, in-8«, Bologne, 1554; 
De adventu Jesu Chinsti Domini ac Dei noslH, in-12, 
Bologne, 1555; Dialectica, in-S», Bologne, 1555; De 
cœlestibus globis et motibus contra philosophorum et 
astrologorum sententiam pro veritate christiana, in-8<», 
Bologne, 1559; De tractandis in concilia œcumenicoet 
qualiter et in quem finem Patres ea disserere conve- 
niai libellus, in-S», Rome, 1561 ; cet opuscule a été réé- 



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151 



DAUPHIN (DELFINI) — DAVID 



dite à la fin des Apjmrahis dans la collection des con- 
ciles de Labbe. Le P. Dauphin laissait de nombreux 
manuscrits, en particulier une Expositio textus Aris- 
totelis in libruni Physxcoruni facta Patavii an, i543, 
demeurée inédite; il n'en fut pas de même des Coni- 
mentarii in Evangelium Joannis et Epistolani Pauli 
ad'Hehrœos a Fr. Cowttantio card. Sarnano expoUli 
et notis illustrati, in-8<», Rome, 1587. On lui attribue 
encore De divina pi'ovidentia libri très, in-S», Rome, 
1588. Il avait publié de son vivant un opuscule De nobi- 
litatead Fridericum Gonzagam, in-8«, Bolog^ne, s. d.» 
réimprimé avec un autre traité De varia provinciœ 
MarchisB nomenclalura brevis ac dilucida narratio, 
in-4o, Pérouse, 1590. 

Wadding, Scriptores ord. minorum, Rome, 1650; Franchini, 
Bibliosofla e memorie di scrittori conventuali, Modène, 1693, 
p. 291; Sbaralea, Supplementum et castigatio ad scriptores 
ord. minorum, Rome, 1806; Hurter, Nomenclator, 3* édit., Ins- 
pruck, 1906, t. ii, col. 1504-1506; Concilium Tridentinum. Dia- 
riorum, actorum, epistolarum, tractatuum nova coUcctio, 
Frîbourg-en-Brisgau, 1901, 1. 1, passim. 

P. Edouard d'Alençon. 

DAURE8 Louis, dominicain, naquit à Milhau 
(Aveyron) en 1655 de parents calvinistes. Il fut élevé 
dans la religion réformée et envoyé plus tard à Mont- 
pellier pour s'y préparer à devenir ministre un jour. 
Au contraire, il se convertit au catholicisme et de plus 
se fit recevoir au couvent des dominicains de cette 
ville. Nous ignorons la date exacte de cette conversion. 
En 1688, déjà prêtre, le maître général de l'ordre l'ins- 
titue sous-prieur du noviciat général de Paris, au fau- 
bourg Saint-Germain, le 6 janvier 1688. Reg, Litt. Pat, 
Mag. Gen. Fr, Ant. Cloche, 1686-1692, c. viii. L'année 
suivante, élu prieur du couvent de Rodez, il demanda 
et obtint du général de l'ordre la faculté de décliner 
cet office, afin de pouvoir s'adonner plus librement à la 
controverse avec les hérétiques. Beg. Epist. priv, ejus- 
dem M, Gen. Novit. Gen, Paris., 1686-1692, c. ii, 1689. 
Il passa presque toute sa vie à Paris, dans les fonctions 
de sous-prieur du noviciat général, où il mourut le 9 mai 
1728, âgé de 73 ans. Il fut un des premiers à s'occuper 
à Paris de l'œuvre des Repenties. Le premier établisse- 
ment, datant de 169i, se trouvait rue de l'Ourcine. 
Transféré ensuite au faubourg Saint-Germain, dans la 
rue Saint-Dominique, il fut de nouveau, le 14 août 1740, 
transféré près de la Barrière des Invalides et prit le nom 
de Sainte- Valérie. Cet établissement était placé sous le 
haut patronage du cardinal de Noailles. En 1689, le 
P. Daures publia : V Église protestante détruite par elle- 
mênie ou les calvinistes ramenés parleurs seuls pinn- 
cipes à la véHlahle foi, in-12, Paris. L'ouvrage était 
dédié à Bossuet dont V Histoire des variations avait paru 
l'année précédente. Bossuet, à son tour, écrivit à l'auteur 
pour l'engager à publier une autre édition, mais plus 
développée. Le temps manqua au P. Daures pour répon- 
dre à ce désir. D'après C.-L. Richard, l'abbé Bellet 
aurait préparé cette édition, en l'augmentant d'une no- 
lice sur la vie de l'auteur, avec le portrait en frontispice. 
Nous ne savons si cette édition parut jamais. 

Sources mss. — P. Mathieu Texte, Recueil de pièces, etc. 
[Extrait du livre mortuaire,., du noviciat général.,.], p. 375; 
Regést. Mag. Gêner. F. Ant. Cloche, i 686-i692 ; Supplementum 
historix reformationis Provinciœ Tolosanœ [ad monumenta 
conventus Tolosani, auct. J. Percln], Tab. Gen., l. V, c. lxxxiv. 

Imprimés. -- Quétif-Echard, Scriptores ordinis pratdicato- 
rum, t. II, p. 807; C.-L. Richard, Dictionnaire universel des 
sciences ecclésiastiques ; JaLillot, Recherches critiques, histo- 
riques, sur la ville de Paris, t. v, vingtième quartier, p. 50; 
Lebeuf-Cocheris, Histoire de la ville et de tout le diocèse de 
Paris, t. m, p. 265. 

R. COULON. 
DAVIAN08 Xavier- Émiie, né à Chio, d'une famille 
noble, étudia dans sa patrie chez les jésuites, puis à 
Padoue. Il enseigna ensuite la théologie en Crète. Après 



la prise de cette île par les Turcs, Davianos revin 
Italie et y exerça le ministère, en particulier à Bol 
où il fut aumônier de religieuses. Nommé évéqu 
Santorin, il mourut en se rendant à son poste, en 
ou 1688, à l'âge de 63 ans. Outre plusieurs ouv 
restés inédits, il composa pour ses religieuses un 
intitulé : Sact^ sponsa in thalamo suo, dont il n' 
temps de publier que la première partie. Tout ci 
nous savons de Davianos est dû à N. C. Papad 
Historia gymnasii Patavini, t. ii, p. 318. On sai 
cet auteur invente souvent les faits qu'il raconte, 
ne connaissons pas un seul exemplaire de Toi 
qu'il attribue à Davianos. 

S.PÉTRIDÈS 

1. DAVID Claude, bénédictin, né à Dijon en 
mort le 6 novembre 1705 dans l'abbaye duMas-Gi 
Il avait fait profession de la vie monastique c 
congrégation de Saint-Maur à l'abbaye de la Trii 
Vendôme. Il publia une Dissertation sur saint 
l'Aréopagite où Von fait voir que ce saint est ï 
des ouvrages qui portent son nom, in-8<», Pari! 
Pour dom Cl. David, saint Denis de Paris n'est p: 
rent de saint Denis, évéque d'Athènes. 

Dom P. Le Cerf, Bibliothèque historique des auteu 
congrégation de Saint-Maur, in-12, Paris, 1726, p. ' 
Tassin,] Histoire littéraire de la congr. de Sainl-Ma 
Paris, 1770, p. 201 ; [dom François,] Bibliothèque gén 
écrivains de l'ordre de Saint-Benoit, ln-8*, Bouillon, 
p. 206; Ch. de Lama, Bibliothèque des écrivains de l 
gation de Saint-Maur, in-12. Munich et Paris, 1882, p 

B.Heurteb 

2. DAVID-GEORGE (Joris, fils de Geor) 
Delft, en 1501 ou 1502, de son vrai nom Jean d< 
s'agrégea de bonne heure à la secte des anal 
puis essaya de concilier les différends qui partag 
hérétiques de la région, et finit par former un( 
nion à part dont il se fit le chef, se déclarant ui 
Messie, un 3« David, dont Jésus-Christ n'avail 
préparer les voies. Il permettait à ses partisan 
dans le faste et la volupté, sans se préoccupe 
trine. Poursuivi en Hollande, il se réfugia en M 
du landgrave de Hesse, puis à Bàle où il pri 
la défense de Serret. Dans l'intervalle, en 15 
publié son fameux Wonderboek, ou Livre nu 
réédité en 1551, que d'autres écrits non moin 
traités mystiques et lettres circulaires à ses 
suivirent. Sa doctrine est un mélange de cel 
ducéens, des adamites et des manichéens el 
en cet aphorisme : Le corps seul peut è 
l'âme jamais. Après sa mort arrivée le 25 ac 
doctrine fut condamnée comme hérétique p; 
site de Bâle, au mois d'avril 1559, et le 13 w 
les Bàlois le déterrèrent et le brûlèrent ave 
et son portrait au pied d'une potence. S< 
persistèrent longtemps encore en Hollande 
Holstein; ils furent condamnés parles svno 
lande en 1608 et en 1623. 

Mosheim, Histoire ecclésiastique ; Catrou, HisU 
tisme dans la religion protestante, t. ii ; Michau 
universelle, t. x, p. 186-188; Kirchenlearikon , t 
Realencyclopiidie, t. ix, p. 349-352. 

A. 

3. DAVID (Natchinsky) Daniel, écrivaii 
1720 dans le gouvernement de Poltava, él 
demie ecclésiastique de Kiev. Archimandr 
mène du monastère de Sloutzk en 1756, 
de l'Académie de Kiev (1758-1761) et moi 
1793. Il traduisit en latin et publia avec < 
taires les ouvrages suivants de Théophane 
célèbre théologien russe : l® Lucubt*atiot 
mi ac reve^^endissimi Theophanis F^rohoi 
primum in unum corpus collectas et in 
cem édites, Breslau, 1743; 2« Miscellccnei 



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153 



DAVID D'AUGSBOURG 



154 



teniporibu» antea édita nunc primum uno fasce com. 
prehensa conjunc Unique evulgata, ibid., 1745. 

Eugène (métropolite), Stovar iatoritchesk^fi o pisateliakh 
dukhovnago tchina, Saint-Pétersbourg, 1827, 1. 1, p. 104-106; 
Serebrennikov, Kiévskaia Akademia oploviny xvin vieka 
do preobrazoviiniia eia v i8i9 godu, Kiev, 1897; lablonowsky, 
Akademia kijowsko-mohilanska : zarys historyczny^ Craco- 
Tie. 1899-1900, p. 236; Russkii biographitcheskyi Slovar, leU. D, 
Salnt-Péterebourg. 1905, p. 7. 

A. Palmier I. 

4. DAVID Pierre, sur lequel les bibliographes fran- 
ciscains sont pauvres de renseignements, était cordelier 
de la province parisienne. Les titres seuls de ses ou- 
vrages fournissent quelques renseignements sur lui '- 
Summula Iraclatus de prmdestinatione ad mentem do- 
Claris subtilis, ejusque fidelissimi inlerprelis magislri 
Angeli a Monte Pitoso ord. FF. minoruni conventuor 
liuni. Hujus sumniulae veritateni docebat V. P.Petrus 
David, lector jubilatus et in conventu FF. minorum 
Sagiensium ptimatHus theologiœ prof essor, anno Do- 
mini 1646, in-8», s. l. n. d. Cet opuscule deviii-40 pages 
est dédié au duc de Luine par la Schola theologim Sa- 
giensis. On attribue aussi à David une Summula philoso- 
phiez ad mentem Scoti, Paris, 1649; OctatHi de Chvisti 
erga homines charilate in eucharistia; Octava de 
assumptione B. Mariœ Virginis figurata in quibus- 
dam mulieribus Veteris Testamenti, in-8«, Paris, 1653, 
lG6i; Le chemin de vérité qui conduit une âme dési- 
reuse de faire son salut à la perfection de la sainteté, 
in-8«, Paris, 1656; 2 in-12, 1661 ; Serniones adventus 
de adoptione filiorum Dei, in-S», Paris, 1663. 

SbajtJea, Supplementum et castigatio ad scriptores ord. 
minorum, Rome, 1808; Migne, Dictionnaire de bibliographie 
catholique, i. Il, col. 407, 808. 

P. EDOUARD d'Alençon. 

5. DAVID D'AUGSBOURG. - 1. Vie. II. Œuvres, 
m. Doctrine. 

I. Vie. — Né à Augsbourg dans les dernières années 
du xii« siècle ou les premières du xiii«, David, jeune 
encore, obéit à Tatlrait qui le poussait vers les ordres 
mendiants. Dès 1221, les frères mineurs sont à Ratis- 
bonne; dés 1226, ils y ont un couvent; et c'est là que 
David demande à prendre rang dans la milice nouvelle. 
Telles étaient son ardeur, son application, sa piété, sa 
¥ertu, et tels furent ses progrès dans la vie religieuse 
qu'il mérita bientôt de remplir la charge de maître des 
novices. Il Texerça d'abord à Ratisbonne ; et lorsque, 
en 1243, Tévéque d'Augsbourg, Sibot, offrit aux francis- 
cains un établissement, David rentra dans sa ville na- 
tale, toujours chargé de la formation des novices. Il 
s appliqua à ces fonctions avec succès ; ses dirigés en 
retirèrent des avantages si précieux qu'ils le prièrent de 
consigner par écrit les admirables leçons de son en- 
seignement oral. De là son Epistola ad novitios Ratis- 
honmdeeorum informatione, qui est, pour ainsi dire, 
la préface à sa double Formula novitiorum de exte- 
rîorw hominis reformatione, en 40 chapitres, et De 
inlerioris hominis reformatione, en 62 chapitres; de 
là aussi son De septem processibus religiosi, en 
42 chapitres, qui résume son enseignement en matière 
de formation religieuse. Mais la direction des novices 
fut loin d'absorber tout son temps et toute son activité. 
Car il prit part à Tévangélisation des milieux popu- 
laires avec Tun de ses disciples de la première heure, 
Berthold de Ratisbonne, son ami et son émule, devenu 
bientôt par son action oratoire un entraîneur de foules. 
Bien qu'il ne lui cédât pas en éloquence, il se fit son 
humble compagnon et son serviteur. Il fut avec lui 
Vnn des premiers en Allemagne qui rompirent avec 
i'osage traditionnel de la prédication en langue latine ; 
U lui préféra Tidiome national, quelque informe qu'il 
fût encore. Et laissant résolument de côté les divisions, 
les distinctions, les complications aussi pédantes que 



subtiles de la forme scolastique, il parla au peuple la 
langue du peuple, cherchant à frapper l'imagination, à 
toucher le cœur, à convaincre la raison, en exposant 
simplement l'Évangile et en dénonçant avec une vigueur 
tout apostolique les maux qui rongeaient la société. On 
ne peut regretter qu'une chose, c'est qu'il ne soit rien 
resté de cette prédication populaire, dont Trithème 
affirme avoir vu quelques sermons. De scriptoribus 
ecclesiasticis. David ne se contenta pas de prêcher : à 
l'apostolat par la parole, il joignit l'apostolat par la 
plume et composa plusieurs traités d'édification et de 
spiritualité. Il mourut à Augsbourg, le 15 novembre 1271. 
Wadding raconte, Scriptores ordinis wïinoi*ur)ï,2« édit., 
Rome, 1732, t. iv, p. 359, qu'il vécut saintement, que sa 
mort fut révélée à son ami Berthold, lequel, étant en 
chaire, l'annonça à ses auditeurs et se mit à réciter la 
strophe des confesseurs : Qui, pius, prudens, humilis, 
pudicus, etc. 

II. Œuvres. — Outre les traités, dont il a été ques- 
tion, et rédigés en latin en faveur de ses religieux, 
David d' Augsbourg a composé un traité intitulé : De 
inquisitione hœreticorum, publié par Preger dans les 
Abhandlungen der Mûnchener Akademie, 1879, t. xiv, 
p. 181 sq. Quelques-uns de ces traités ont été attribués 
à d'autres auteurs et insérés à tort dans les œuvres de 
saint Bernard ou de saint Bonaventure. C'est ainsi que 
la Formula novitiorum de exterioris hominis refoi*ma- 
tione porte, dans divers manuscrits, le nom de docteur 
séraphique et se trouve dans sa forme originale parmi 
les opuscules de saint Bernard avec ce titre : Opuscu- 
luni ad hœc vei*ba : Ad quid venisti f C'est précisément 
à cause de ces derniers mots que Vossius l'a attribué à 
saint Bernard. Il est à noter que ce traité, si on le prend 
tel qu'il se trouve dans le manuscrit de Munich 15312, 
diffère totalement par la forme de celui de l'édition 
d' Augsbourg, B. Fr. David de Augusta pia et devota 
opuscula, Augsbourg y 1596; d'autre part, il est identique 
à celui qui, dans les œuvres de saint Bonaventure, 
porte le titre de De institutione novitiorum, Lyon, 1668, 
t. vu, p. 613 sq. Il appartient à David, mais à vrai dire 
ce n'est pas à titre d'œuvre exclusivement personnelle 
et originale. David aurait utilisé une œuvre d'origine 
franciscaine, dont il aurait écrit la préface et dans 
laquelle il aurait inséré des citations patristiques. Par 
suite, si réellement David a composé personnellement 
une Formula, ce pourrait bien être celle qui commence 
au fol. 93 du manuscrit de Munich déjà cité. C'est un 
problème qui reste à résoudre. Quant aux deux autres 
traités, le De interioris hominis reformatione et le De 
septem processibus religiosi, bien qu'ils se trouvent 
parmi les œuvres de saint Bonaventure sous ce titre : 
De profectu religiosorum, ils sont à n'en point douter 
delà main de David, car ils offrent avec d'autres traités 
allemands, quisontauthentiquementde David, de nom- 
breux passages et des chapitres entiers étroitement 
apparentés et trahissant une origine identique. Albert 
le Grand a cité souvent mot à mot le De septem pro- 
cessibus religiosi, dans son traité De adhœrendo Deo, 
si ce traité est de lui. Les franciscains de Quarrach 
ont édité le De exterioris et interioris hominis compo- 
sitione secundum tHplicem stalum incipientium , pro- 
ficientium et perfectorum libri 1res, en 1899. D'autres 
œuvres de David existent encore en manuscrit et n'ont 
pas été publiées, par exemple, l'explication de la règle des 
franciscains du manuscrit de Munich 15312, fol. 266 sq. 
U est possible qu'un jour ou l'autre on vienne à décou- 
vrir quelques-uns de ses sermons. 

Actuellement, parmi les traités en langue allemande 
publiés sous son nom, Pfeiffer, Deutsche Mystiker, 
Leipzig, 1845, on compte les suivants : 1» Die sieben 
Vorregeln der Tugend; 2» Spiegel der Tugend; 3» Die 
vier Fittiche geistlicher Betrachtung; 4» Von der 
Anschauung Gottes; 5^ Von der Erkennlniss der Wahr- 



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155 



DAVID D'AUGSBOURG 



heit; 60 Von der unergrûndlichen Fulle Gotles; 7» Be 
trachtungen und Gebete; S^ Chrisli Leben unser Vor- 
bild; ^ Die Erlôsung dei Menschengeschlecht. Seuls, 
les deux premiers sont à retenir comme authentiques; 
tous les autres sont apocryphes, comme Ta démontré 
Preger, Geschichte der deutscke Mystiker, Leipzig, 
1874, t. I, p. 269 sq. D'un avis unanime. Die sieben 
Vorregeln der Tugend et Spiegel der Tugend sont re- 
gardés comme les a deux perles » de la littérature 
allemande à ses débuts. Pfeiffer en compare le style à 
une ilamme calme qui brilla d'un doux éclat, dont la 
chaleur pénétrante anima la piété, excita Tardeur, 
échauffa et enflamma le cœur. On a raison de vanter 
les services que David rendit à la langue allemande 
alors en formation ; mais ce qui intéresse le plus ici, 
c'est sa doctrine, dont de bons juges estiment qu'elle 
contient la « moelle de la perfection évangélique b, et 
lui mérite une place à côté de saint Augustin, de saint 
Bernard, de saint Bonaventure et de Gerson. 

III. Doctrine. — Devant l'impossibilité d'apprécier, 
faute de documents, la méthode et la valeur de l'orateur 
populaire que fut David, il faut se contenter d'étudier 
en lui l'auteur mystique, puisque c'est le titre qu'on lui 
donne, non sans raison. Sa lettre aux novices de Ratis- 
bonne nous apprend qu'il considère dans la religion 
deux choses : Vexercitium virtutis et Vaffectus intemm 
devotionis ; il les compare à Lia la féconde et à la belle 
Rachel. Nous dirions la vie pratique, représentée par 
Marthe, et la vie contemplative, personnifiée par Marie. 
Il est très certain que David apprécie hautement la vie 
contemplative, mais il appuie surtout sur la vie pra- 
tique. 

Les deux traités de la Formula noviliorum visent la 
réforme de l'homme, soit dans son extérieur, soit dans 
son intérieur. Ad quid veni s ti et pj^opterquid? demande- 
t-il dans le premier. Et il répond : pour Dieu et à cause 
de Dieu. Le devoir essentiel du novice est donc 
l'obéissance absolue à celui qui lui parle au nom de 
Dieu. Pour cela, il doit pratiquer une humilité totale 
qui se traduise dans le geste, le ton. la parole, l'attitude 
et tout l'extérieur, et un respect absolu des supérieurs 
jusqu'à s'interdire d'en dire ou d'en penser du mal et 
à ne pas tolérer qu'on en parle mal. David passe en- 
suite en revue tous les détails de la vie, soit à l'intérieur 
dans la communauté, soit au dehors du couvent; rien 
n'y manque. Au lever de nuit, un novice ne- doit pen- 
ser qu'à Dieu; au dortoir, au chœur, au chapitre, à 
table, à l'autel, quand il sert la messe, un novice doit 
avoir une bonne tenue, il doit pratiquer la coulpe, se 
confesser trois fois la semaine, c. xi, vaquer avec dili- 
gence au travail, aux occupations communes, aimer par 
dessus tout sa cellule, retenir sa langue, lire l'Écriture, 
méditer Jésus-Christ, « ce pur miroir, cet exemplaire 
parfait de haute sainteté, » c. xxxii, être avec ses frères 
toujours gracieux et avenant, éviter dans ses conversa- 
tions les paroles inutiles, s'entretenir de Dieu. Quant 
aux soins à donner aux âmes, il ne doit y songer qu'après 
avoir passé une première année à faire pénitence de 
ses péchés passés, une seconde année à perfectionner 
sa conversion, une troisième à persévérer dans le pro- 
grès réalisé, une quatrième à mépriser tout honneur ou 
toute louange qui viendrait des hommes, à ne recher. 
cher exclusivement que la gloire de Dieu et le salut 
des âmes. Au dehors du couvent, il doit donner partout 
et toujours le bon exemple, être fidèle aux heures 
canoniques, éviter les femmes, ne leur parler et n'agir 
avec elles que comme en présence de son supérieur ou 
de leur propre mari. 

Voilà pour la réforme extérieure ; voici pour la ré- 
forme intérieure. Il y a d'abord quatre précautions à 
prendre : Ne pas se dédire de la volonté qui a conduit 
au cloître et ne pas se refroidir de la première ferveur; 
persévérer toujours dans ces bonnes dispositions; ne 



pas juger témérairement les autres; ne pas se h 
dérouter par les épreuves ou les tentations. Quatre î 
de tentations : a came, a mundo, a diabolo, a 
Trois sortes de religieux : les bons, lesmeilleui 
très bons. Trois états : celui des commençants, 
des progressants, celui des parfaits. Trois puissai 
remplir de Dieu : la raison, la mémoire, la vc 
Trois orgueils à éviter : ne pas se plaire en soi 
préférer aux autres ; ne pas désirer plaire à autr 
pas chercher à être au-dessus des autres. Quatre c 
à combattre, parce qu'ils inclinent au mal : Tignc 
la concupiscence, la malice, l'infirmité. La fin 
traité de la réforme intérieure roule sur les a(î( 
spirituelles, le goût de la douceur intérieure, les n 
contre l'orgueil et les autres défauts. 

Le troisième traité, De septem processibm rc 
énumère et caractérise les six progrès de la vie 
le septième et dernier progrès est le propre de 
contemplative. Telle est bien la division signa 
la lettre aux novices de Ratisbonne. Mais on ^ 
Vexercitium virtutis a un développement plus c 
rable que Vaffectus interme deuo/ionij, sans dou 
que celui-ci n'est que l'aboulissement et le coi 
ment de celui-là; la féconde Lia occupe beauco 
David que la belle Rachel. Est-ce à dire que 
constitue plus particulièrement la vie mystique 
gligé? Loin de là. Les c. ix-xv du De interions 
refomiatione et les c. xxxv-xu du De septem 
sil^s en parlent avec assez de détails. Du re 
l'enseignement de David sur cette double réfon 
rieure et intérieure converge vers ce but. L' 
effet, c'est l'union de l'âme avec Dieu aussi éli 
possible et le repos suave dans la douce joie q 
suite. Hœc est, dit-il, honiinis in hac vita s 
perfectio ita uniri cum Deo, ut tota anima eu 
bus potentiis suis et viribus in Deum collecta 
spiritus cum Deo, ut nihil meminerit nisi De 
senliat vel intelligat nisi Deum.,. Imago eni 
his tribus potentiis ejus expressa consistit, vh 
ratione, memoria et voluntate, et quamdiu 
sunt ex toto Deo impressœ, non est anima d 
Forma enim animm Deus est, cui débet inipr 
sigillo sigillatum, c. xxxvi. Tout en traitant 
la vie mystique et en plaçant l'essence dans l 
l'âme avec Dieu par toutes ses puissances et s 
notamment par la raison, la mémoire et 1 
David n'oublie pas certains phénomènes, qui 
fois sujets à caution, tels que le jubilus, l'e 
spiritus, la liquefactio, etc., et qui revien 
cesse dans le langage des mystiques pour e? 
mystérieuses réalités; il porte sur eux un jug 
sain qui montre toute sa pensée. 

David est donc un mystique, si l'on veut 
met si haut l'idéal de la perfection chréti* 
c'est un mystique préoccupé avant tout des r 
tiques de la vie et en garde contre les illus 
dangers d'un mysticisme inconsistant et n 
avait l'expérience de la vie religieuse. A de 
humbles comme il les voulait, il pouvait 
recommander une douceur inaltérable de cai 
support patient des accusations injustes 
nieuses; car l'humilité ainsi pratiquée atti 
divine et mène droit à la charité, à la reine 
Mais il connaissait aussi son époque et e 
l'opinion alors générale, qui voyait dans le: 
des ennemis de l'Église et de la société, cor 
il ne suffisait pas de se mettre en garde 
fallait réduire à l'impuissance. De là, son 
de ton dans son De inquisitione hœreti 
parle comme ses contemporains, à cet âge 
il est permis de regretter que, par oubli de 
principes, il se soit montré si dur envers < 
et ces loups it>, qu'il faut traiter sans piti^ 



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157 



DAVID D'AUGSBOURG — DAVID DE DINAN 



158 



doit débarrasser la société à tout prix, à moins qu'ils 
ne viennent à résipiscence. 

B. Fr. David de Augusta, O. M., pia et devola opuscula, 
Auf^Murg, 1596; Bihliotheca maxima PcUrum, Cologne, 1618, 
t xiu, col. 413-479; P. L., t. CLXXXiv, col. 1189-1198; Wadding, 
Seriptores cn-dinis minorum, 2* édit., Rome, 1732, t. iv ; Tri- 
fhèmo, Scriptores ecclesiastici, cité daosIaBi&/tor/teea maxima 
Patrum; Pfeiffer, Deutêche Mystiker, Leipzig, 1845, t. i; DeuC- 
$che Mystiker, dans ZeiUchrifl fur deutachen AlterthumA9Ô3, 
L IX ; Prêter t Geschiehte der deutsche Myatiker, Leipzig, 1874, 
L I, p. 268 sq. ; Tractatus Fr. David de inquisitione haereti- 
eorumj dans les Abhandlungen der Munchener Akademie, 
1879, l. XIV, p. 181 sq. ; Denifle, dans Historisch-politisctie Elût- 
ter, t Lxxv, p. 672 sq. ; Kirchenlexikon, t. m, col. 1413-1417 ; 
Reatencyklopâdie, t. iv, p. 503-504; U. Chevalier, Répertoire. 
Bio-bibliographie, 2« ôdlt, 1. 1, col. 1555-1556. 

G. Bareille. 

6. DAVID DE DINAN (ou DE DINANT). - 1. Vie. 
U. Erreurs. 

I. Vie. — Ainsi nommé, selon Tusage, du lieu de son 
origine; mais est-ce Dinan en Bretagne ou Dinant, sur 
la Meuse, en Belgique ? On ne le sait pas, et on ignore 
la date exacte de sa naissance et de sa morl. Ce quMl y 
a de certain, c'est que son nom parait à côté de celui 
d'Âmaury de Bène, une première fois dans le jugement 
du concile de la province de Sens, tenu à Paris, en 
1210, et une seconde fois dans le règlement, donné en 
1215 par le légat du pape, Robert de Courçon, à l'univer- 
sité de Paris. Denifle, Charlularium univentit. Paris., 
Paris, 1889, t. i, p. 70, 79. Relativement à Âmaury, le 
concile parisien ordonne que ses restes seront exhu- 
més poar être jetés hors de la terre bénite, et que, dans 
toutes les églises de la province (ecclésiastique de Sens), 
sera promulguée la sentence d'excommunication portée 
contre cet hérétique; relativement à David, il ordonne 
que ses QuatemuH soient remis, avant la fête de Noël, 
à l'évéque de Paris, qui les brûlera, et que quiconque, 
après la dite fête, aurait retenu quelque exemplaire, 
sera tenu pour hérétique. De son côté, le légat ponti- 
fical interdit à l'université de Paris de lire les ouvrages 
de David de Dinan, d'Amaury de Chartres et de Mau- 
rice d'Espagne. 

II. Erreurs. — t» Condamnation de ses ouvrages. — 
L'interdiction prononcée par Robert de Courçon contre 
les ouvrages de David autorise à dire qu'on les regardait 
à tout le moins comme un danger pour l'enseignement. 
ContenaieJDt-ils aussi quelque hérésie? Elle n'en parle 
pas. Mais, à son défaut, la sentence du concile de Paris 
est assez explicite et permet de répondre affirmative- 
ment. Sans doute elle ne qualifie pas David d'héré- 
tique en ternaes exprès^ comme elle le fait pour Amaury 
de Chartres; mais, du moment qu'elle déclare que qui- 
conque détiendrait ses Quatemuli sera réputé héré- 
tique, c'est que la doctrine qui s'y trouve est regardée 
comme contraire à la foi et entachée d'hérésie. Pour 
en juger en connaissance de cause, nous n'avons plus 
ces QuatemuH, ni le De tomis, autre ouvrage de David ; 
ilsont disparu dans les flammes du bûcher. Et dés lors, 
si nous ne pouvons pas douter de l'hétérodoxie de 
David, il est malaisé de savoir en quoi consistait exac- 
tement son hérésie. 

2» Nature de êes en^eurs. — A coup sûr, son nom n'a 
pas été fortuitement rapproché de celui d'Amaury dans 
la même sentence de condamnation et d'interdiction ; 
mais encore est-il qu'un tel rapprochement ne con- 
stitue point par là même une présomption en faveur 
d'une relation étroite, encore moins d'une identité, 
entre sa doctrine et celle d'Amaur)'; sans quoi, nous 
aurions d'amples renseignements dans le résumé des 
erreurs dont furent convaincus les disciples d'Amaury, 
Denifle, Chart, univ. Paris., t. i, p. 70, et dans le récit 
du procès de 1210 fait par Guillaume le Breton, De 
ge$tts Phitippi Augusti, dans Rerum Gallic. serip- 
tores, t. XVII, p. 82-83, et par Césaire d'Heisterbach, 



Illmtr. mircu;. et historia memorabilis, 1. V, c. xxii. 
Cf. Chvonicon Laudunensis canonici, dans Heruni 
Gallic. seriptores, t. xviii, p. 715. Voir t. i, col. 937- 
938. Il faut donc chercher ailleurs; et sans les témoi- 
gnages concordants d'Albert le Grand et de saint Thomas 
d'Aquin, qui ont connu et combattu l'enseignement de 
David, nous en serions réduits aux conjectures. Mais, 
grâce à cette double source que rien ne peut faire 
suspecter, nous savons un peu à quoi nous en tenir : 
David de Dinan a professé un panthéisme matérialiste. 
3» Son ouvrage, De tomis, id est de divisionibus. — 
Cet ouvrage, dont parle Albert le Grand, Sum. theoL, 
part. I, tr. IV, q. xx, m. ii, rappelle par son titre le 
Ilept 9'j(j£t«>; [leptijioû de Jean Scot Érigène. Partant de 
ce principe que, dans l'ensemble des choses, chaque 
genre contient la matière des espèces qui lui sont 
subordonnées, il concluait que le genre suprême, le 
plus universel des genres, c'est-à-dire l'être, contient la 
matière de tout ce qui est, celle des corps, celle des 
âmes et celle des substances séparées; triple matière, 
distincte pour nous, mais qui se réduit à l'unité au sein 
de l'être, qui constitue l'êlre et est l'être même, c'est- 
à-dire Dieu. Dieu, c'est donc la matière de tous les 
êtres. Pour partir de ce principe et arriver à cette 
conclusion, David usait de raisonnements subtils et 
pleins d'équivoques, dont voici un échantillon tel qu'il 
est reproduit textuellement par Albert le Grand, loc. cit. 
«( L'intelligence conçoit à la fois Dieu et la matière. Or, 
l'intelligence ne comprend une chose qu'à la condition 
de s'assimiler à elle. II faut donc qu'elle s'assimile à 
Dieu, à la matière. Mais s'agit-il ici d'une identification 
complète ou d'une simple assimilation? Il ne saurait 
s'agir d'une pure assimilation, car une telle assimilation 
n'a lieu qu'au moyen d'une forme abstraite de l'objet 
intelligible, et ni la matière, ni Dieu, n'ont de forme. 
Si donc l'intelligence les conçoit, c'est parce qu'elle 
leur est identique. Donc l'intelligence, la matière et 
Dieu sont une même chose. » On pourrait encore citer 
d'autres arguments semblables, reproduits textuelle- 
ment par Albert le Grand; mais celui-ci suffit pour 
donner une idée du procédé dialecticien de David. Sa 
conclusion, toujours la même, c'est qu'il n'y a qu'une 
substance unique, qui est à la fois matière, intelli- 
gence et Dieu. 

Tel est le système de David de Dinan. Saint Thomas, 
qui le caractérise d'un mot assez dur, en le traitant 
d'insensé, va nous aider à le préciser. Ayant, en effet, 
à traiter la question de savoir si Dieu entre dans la 
composition des autres êtres, Sum. theol., I*, q. m, 
a. 8, il observe qu'il y a trois erreurs sur ce point. Les 
uns, dit-il, ont avancé, comme on le voit dans saint Au- 
gustin, De dv, Dei, 1. VII, c. vi, P. L.,t. xu, col. 199, 
que Dieu est Vdme du monde (Zenon, par exemple, et 
Varron directement visé par l'évéque d'Hippone et, au 
xiP siècle, Pierre Abélard, qui disait que l'Esprit-Saint 
est l'âme du monde, Denzinger, Enchindion, n. 312) ; 
les autres, comme Amaury de Chartres et ses disciples, 
ont affirmé que Dieu est le principe formel de toute 
chose; d'autres enfin, parmi lesquels David de Dinan, 
ont follement prétendu que Dieu ne diffère pas de la 
matière première : triple opinion, manifestement fausse, 
car Dieu ne peut entrer dans la composition d'aucune 
créature, ni comme principe formel, ni comme prin- 
cipe matériel. Et c'est ce que prouve le docteur angé- 
lique. Ailleurs, il s'était exprimé ainsi : « L'erreur de 
quelques anciens philosophes fut d'admettre une es- 
sence commune à Dieu et à toutes les choses. Ils sup- 
posaient, en effet, que toutes les choses sont un seul 
être et ne diffèrent, comme l'a dit Parménide, que par 
de simples apparences, au jugement de nos sens. Cette 
opinion des anciens philosophes a été suivie par quel- 
ques modernes, au nombre desquels on peut ranger 
David de Dinan. En effet, celui-ci partageait les choses 



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159 



DAVID DE DINAN — DEBONNAIRE 



1( 



en trois catégories, les corps, les âmes, les substances 
séparées. Il appelait Yle (vXv]) le premier indivisible qui 
est le fondement des corps, et Noym (vovc) ou esprit 
le premier indivisible qui est le fondement des âmes; 
quant au premier indivisible parmi les substances 
éternelles, il l'appelait Dieu ; et il disait que ces trois 
choses sont une seule et même chose, et, par suite, 
que toutes choses sont par essence un. » In IV Sent., 
1. II, dist. XVII, q. I, a. 1; Cont. gent., 1. I, c. xvii. 

40 Panthéisme matérialiste : ses fâcheuses consé- 
quences. — Ainsi donc David de Dinan a professé le 
panthéisme comme certains philosophes grecs et comme 
Amaury de Chartres, mais avec cette différence carac- 
téristique qu'au lieu de faire de Dieu, comme eux, soit 
rame du monde, soit le principe formel des êtres, il en 
a fait le principe matériel. Or, de quelque manière 
qu'on professe le panthéisme, les conséquences ne 
peuvent être que désastreuses au point de vue de la foi 
et des mœurs. Il n'est donc pas étonnant dès lors que 
David de Dinan ait été condamné par l'Église, au même 
titre qu'Amaury de Chartres. Les conséquences désas- 
treuses tirées pratiquement de l'enseignement d'Amaury 
par ses disciples, nous les connaissons : elles n'allaient 
à rien moins qu'a r-uiner de fond en comble la foi, la 
religion chrétienne, son culte, sa morale. Us préten- 
daient, en effet, que l'histoire du monde se partage en 
trois périodes successives, gouvernées chacune par 
l'une des trois personnes de la Trinité, à l'exclusion des 
deux autres. La première, le Père, s'était incarnée 
dans la personne d'Abraham, et régna par la loi écrite 
et le rituel mosaïque jusqu'au moment où le Fils, s'in- 
carnant dans la personne de Jésus, substitua l'Évan- 
gile, l'Église et les sacrements à la loi, à la synagogue et 
aux rites juifs. Mais, à son tour, le règne du Christ 
touchait à sa lin et devait faire place définitivement à 
l'économie nouvelle, celle du Saint-Esprit. Car désor- 
mais, pensaient-ils, c'est le Saint-Esprit qui s'incarne, 
non plus dans une personne isolée, mais en chacun de 
nous, et par là même nous libère vis-à-vis de l'Évangile, 
de l'Église, de son symbole, de ses commandements, 
de ses sacrements et de ses rites liturgiques. C'était, on 
le voit, sous couleur religieuse, secouer tout joug, pro- 
clamer l'indépendance et l'autonomie individuelle et, à 
vrai dire, supprimer non seulement le catholicisme, 
mais encore toute religion. 

D'aussi funestes conséquences découlaient logique- 
ment du système panthéistique de David de Dinan avec 
une note matérialiste plus accentuée encore. Que David 
les ait tirées lui-même dans ses écrits ou dans ses 
paroles, c'est ce qu'aucun renseignement contemporain 
n'autorise à penser. Mais elles étaient faciles à tirer, et 
il suffisait que ses principes les continssent pour que 
sa doctrine fût réprouvée et condamnée. On s'explique 
par là que ses Qtiafernu/i, notamment, aient été inter- 
dits : ils renfermaient en particulier l'hérésie du pan- 
théisme matérialiste. 

50 Source de ses erreurs. — Où donc David avait-il 
pu puiser un tel enseignement? La question, intéres- 
sante au point de vue de l'origine et de la filiation de 
son panthéisme, est assez difficile à résoudre d'une 
manière précise, et elle a exercé la sagacité investiga- 
trice desérudits. La simple juxtaposition de son nom à 
côté de celui d'Amaury et d'Aristote pourrait laisser 
croire à un rapport d'elîfet à cause; il n'en est rien, car, 
ainsi que nous venons de le voir, la pensée de David 
n'est à identifier ni avec celle des philosophes pan- 
théistes de l'antiquité grecque ou latine, ni avec celle 
d'Amaury de Chartres. On soupçonne bien ses attaches 
intellectuelles soit, par Amaury, avec Jean Scot Érigène, 
soit avec quelques œuvres d'Aristote connues alors par 
des traductions arabes, notamment avec celle d'un cer- 
tain Alexandre, ainsi que l'a cru Jourdain, Mémoires 
de V Académie des inscript, et belles-lettres, Paris, 1870, 



t. XXVI, p. 467-498, soit, comme le pense Hauréa 
ibid., 1879, t. xxix, p. 319-330, et Histoin de la phi 
Sophie scolastique, Paris, 1880, II* partie, t. i, p. I 
avec le De unitate et le De processione mundi, 
l'archidiacre de Ségovie, Dominique Gundisalvi, ( 
serait l'auteur du livre faussement attribué à Alexand 
soit enfin avec le Fons vitœ d'Avicebron, comme 
croit de Wulf, Histoire de la philosophie médiévt 
Paris, 1900, p. 225. Mais quoi qu'il en soit de la réa 
de ces attaches, et quelles que soient les influer 
qu'il a subies et les sources où il a puisé, il n'en r 
pas moins qu'il ne s'est pas laissé asservir, qu' 
voulu penser par lui-même et philosopher pour 
propre compte. Et il se trouve que sa philosophie 
un rationalisme intempérant et un assaut livré à l 
catholique. Par là, beaucoup plus encore que par 
panthéisme matérialiste, il a droit à être rangé p; 
les ancêtres des libres-penseurs des âges suivants 

Albert le Grand, Sum. theol., part. 1, tr. IV, q. xx, 1 
S. Thomas, Jn IV Sent., 1. II, dist. XVII, q. i, a. l;Cont.( 
1. 1, c. xvri ; Sum. theol., I', q. ni, a. 8 ; Guillaume Le Bret 
gestis Philippi Augusti, dans Rerum Gallic.8criptore8,l. 
p. 82-83 ; Chronicon Laudunensis canonici, ibid., t. 
p. 715; Martin de Pologne, Chronicon, Anvers, 1574; G 
d'Heisterbach, lUustr. mirac. et historia memorabilii 
c. XXII ; Triveth, Chronicon, dans le Spicilegium de d'A 
Paris, 1723, t. m; Prateolus, Elenchus hmres., Cologne, 
Du Boulay, Hist. univers, parisiensis, Paris, 1666, 
p. 678; Tbomasius, Origines historiée philosophicx et 
siasticm, Halle, 1699; Duplessis d'Argentré, CoUectio ja 
noviê erroribua, Paris, 1728, t. i, p. 132 sq.; Brucke 
critic. philosophiae, Leipzig, 1766, t. m, p. 692-695; Kr 
Dj genuina Amalrici a Bona ac Davidis de Dinan 
clrina, Giessen, 1842; Amalrich von Bena\und Da 
Dînant, dans Theologische Studien, 1847 ; Migne, B 
hérésies, t. i, p. 643-644; Morin, Diction, phil. théol. t 
1856, t. i, p. 758-766 ; Franck, Dictionnaire des sciena 
sophiques, Paris, 1885; Nouvelle biographie uni 
Paris, 1855; Hefele, Histoire des conciles, trad. franc 
1872, t. vm, p. 99 sq. ; Kirchenlexikon, t. m, col. 14 
Jourdain, Mémoire sur les sources philosophiques des 
d'Amaury de Chartres et de David de Dinan, dans 
moires de l'Institut impérial de France, Académie 
scriptionset belles-lettres, Paris, 1870, t. xxii, p. 467-i 
réau, Sur la vraie source des erreurs attribuées à Da 
Paris, 1879, t. xxix, p. 319-330; Histoire de la ph 
scolastique, Paris, 1880, II* partie, 1. 1, p. 73-82; Jundt 
du panthéisme populaire au moyen âge, Paris, 18" 
Ueber Amalrich von Bena und David von Dinant, e\ 
zur Geschichte der religiôsen Bewegungen in Fran 
Beginn des iS Jahrh., Villach, 1882; Denifle, Char 
univ. Parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 7(K74, 79; Re 
pàdie, t. m, p. 505-506; De Wulf, Histoire de la p 
médiévale, Louvain, Paris, 1900, p. 224-225 ; Chevali 
toire. Bio-bibliographie, 2* édit., t. 1, col. 1156-1157. 

G. Barei 
DEBONNAIRE, DE BONNAIRE Louis, pi 
logien, né à Ramerupt-sur-Aube, mort à Paris 
1752. Il appartint pendant quelques années à 
gation de l'Oratoire. Janséniste ardent, il î 
cependant contre les convulsionnaires. Il publ 
breux écrits dont beaucoup sont anonymes : 
tion de Jésus-Christ, traduction nouvelle a\ 
flexions et des prières, in-12 et in-18, Paris 
1719, ouvrage qui eut plusieurs éditions ; Pi 
la morale des jésuites et de celle des pa\ 
Troyes, 1726 ; Examens cnlique, physique e 
que des convulsions et des caractères d\ 
croit voir dans les accidents des convul 
3 parties in-4«, 1733; Les semaines évang 
contiennent des réflexions morales pour d 
2 in-8«, Paris, 1735; Traité historique et 
la fin du monde, de la venue d*Élie- et du 
Juifs, 3 in-12, Amsterdam, 1737-1738, ouvpî 
aussi à Tabbé Mignot; Les leçons cte la saç 
défauts des hommes, 3 in-12, La Haye, 1737- 
ticon ou la défense prétendue du sentirrien 



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d6i 



DEBONNAIRE — DÉCALOGUE 



162 



Pères fiepoussée, in-12, Rotterdam, 1740; Essai du nou- 
veau conte de ma mère VOie, ou les enluminures du 
jeu de la Constitution, in-8°, 1743; La religion chré- 
tienne méditée dans le véritable esprit de ses maximes, 
6 in-12, Paris, 1745 et 1784, en collaboration avec le 
P. Jard, doctrinaire ; La règle des devoirs que la na^ 
ture inspire à tous les hommes, 4 in-12, Paris, 1758; 
Lesprit des lois quintessencié, 2 in-12. On lui attribue 
les notes qui furent ajoutées à l'ouvrage de Tabbé Fleury : 
Discours sur la liberté de l Église gallicane, ainsi que 
celles qui accompagnent Tédilion de 1735 du livre d*Ar- 
nauld : Remarques sur les principales erreurs du livre 
intitulé : De r ancienne nouveauté de VÉcnture sainte. 
Louis Débonnaire passp en outre pour être l'auteur des 
écrits suivants : Chanson sur Vair des Pendus à ren- 
contre des Gensinistres; Lettre à Nicole sur son prin. 
cipe de la plus grande autorité visible, 1726; Obser- 
vations apologétiques de Vauteurdes Examens (1733); 
Lettres sceptiques; Réponse de V auteur des Trois 
Examens, 1734; Vespnt en convulsions; Lettre de 
fauteur des Trois Examens aux évêques de Senez et 
de Montpellier; Réponse raisonnée aux réflexions 
judicieuses de Delan; Jugement sommaire de la lettre 
de Vévêque de Senez; Trois réponses détaillées de 
Vauteur des Trois Examens à la lettre de M. de Senez. 

Quénrd, La France littéraire, in-8*, Paris, 1828, t. ii, 
p. «2; Xouvelles ecclésiastiques, 1733, p. 186; 1734, p. 9, 
177; 1736. p. 80, il8; 1736, p. 12, 130, 134, 160 ; 1737, p. 19, 179; 
1788, p. 13, 55; 1739, p. 102; Barbier, Dictionnaire des ano- 
nymes, 4 iii-8*, 1872-1879; Michaud, Biographie universelle, 
U X, p. 239-240; logold. Supplément à CEssai de bibliographie 
oratorienne; Groaley, Troyens illustres. • 

B. Heirtebize. 
^ DEBOR8-DE8DOIRE8 olivier (1650-1701), orato- 
rîen français, publia un opuscule intitulé : De la meil- 
leure manière de prêcher, in-i2, Paris, 1700, et le 
i« volume de La science du salut renfermée dans ces 
paroles : Il g a peu d'élus, ou traité dogmatique sur 
le nombre des élus, in-12, Rouen, 1701; le t. ii est resté 
manuscrit. 

BaUer^, Mémoires domestiques, t. m, p. 383-384. 

A. Ingold. 

DEBRECINU8 Jean, théologien hongrois du xyii* siè- 
cle, a publié : 1« Exercilationes scholasticœ de scientia 
Dei, in-12, Franeker, 1658; 2» Joannis Tfuiddm con- 
ciliatorium publicum, in-12, Ulrecht, 1658. 

Hœfer, Nouvelle biographie générale, t. xni, col. 292. 

E. Mangenot. 

DÉCALOGUE. Le nom singulier, 6 ou i^ SexàXoroc, 
usité dans la langue ecclésiastique pour désigner les 
dix commandements moraux, révélés par Dieu à Moïse, 
ne se rencontre pas dans la Bible. Il a cependant son 
fondement dans le Pentateuque, qui appelle ces dix 
préceptes r'-::^n r-'try, c les dix paroles » de Jéhovah, 

Exod., xxxrv, 28; Deut., iv, 13; x, 4, dans les Septante, 
oZ Una, Uyoi ou ?à lé%a pr.iiata. — I. Révélation divine. 
IL Classification et nature des préceptes. IIL Obliga- 
tion morale. IV. Place assignée dans l'instruction mo- 
rale des catéchumènes et des fidèles. V. Différences 
entre le décalogue mosaïque ou chrétien et les codes 
moraux non chrétiens. 

I. Réyélation divine. — 1» Circonstances de cette 
révélation. — Dieu lui-même a promulgué ces pré- 
ceptes du haut du Sinaî, en présence de tout Israël. 
Exod., XX, 1-17. Il le fit à haute voix, du milieu du feu 
et de la nuée, sans ajouter d'autres paroles en ce jour 
solennel, comme Moïse le rappelait plus tard aux 
Israélites. Dent., v, 22. Dieu les écrivit ensuite sur 
deux tables de pierre, qu'il remit à Moïse, durant son 
séjoor de 40 jours et de 40 nuits sur la montagne. 
Exod., XXIV, 12 ; xxxi, 18. Ces tables sont dites en ce 
dernier passage c les tables du témoignage j», parce 
qu'elles attestaient la volonté formelle de Dieu. Moïse 

DICT. DE THÉOL. Ci^THOL. 



les rapportait dans sa main, écrites des deux côtés; 
quand il vit les Israélites qui adoraient le veau d'or, il 
les brisa au pied de la montagne. Exod., xxxii, 15, 16, 
19. Lorsque Dieu, sur la prière de Moïse, consentit à 
renouveler l'alliance violée, il ordonna à Moïse de 
prendre deux tables, semblables aux premières, pour y 
écrire les dix paroles de l'alliance. Moïse les écrivit et 
les rapporta en descendant de la montagne. Exod., 
xxxiv, 1, 27-29. Elles étaient destinées à être placées 
dans l'arche. Exod., xxv, 16, 21. Cf. III Reg., viii, 9. 
Plus tard, Moïse rappelait tous ces faits aux Israélites. 
Deut., IV, 13; v,22; ix,8-17; x, 1-5. Ces dix prescriptions 
morales expriment les volontés divines sous forme de 
discours direct de Dieu à Israël. Toutes, sauf la dixième, 
sont renouvelées à l'état isolé en divers endroits de la 
législation mosaïque. Elles ne constituent pas cependant 
un choix de préceptes divins, elles forment plutôt un 
tout organique, comprenant des ordonnances positives 
ou des prohibitions, dont quelques-unes sont accompa- 
gnées de leurs motifs ou de leur sanction. On ignore de 
quelle manière les dix paroles étaient disposées sur les 
deux tables. Philon admettait cinq préceptes sur chaque 
table, et beaucoup de critiques modernes adoptent cette 
disposition, qui correspond, selon eux, à pieias et à 
probitas. R. Hanina ben Gamaliel acceptait la disposi- 
tion des préceptes sur les deux tables dans le même 
sens que Philon. Mais d'autres rabbins prétendaient 
qu'ils étaient en entier sur chaque table. R. Simon ben 
Yohaï disait même qu'ils se trouvaient deux fois sur 
chaque pierre, et R. Simaï pensait qu'ils étaient inscrits 
quatre fois, formant un total de 40 textes. Talmud de 
Jérusalem, traité Scheqalim,\iy 1, trad. Schwab, Paris, 
1882, t. v, p. 302. Saint Augustin a distingué trois pré- 
ceptes relatifs à Dieu et sept relatifs aux hommes. 

2« Théories des antiques modernes. — 1. Sur la 
forme pHmitive du décalogue. — Comme le texte du 
décalogue nous est parvenu au moins en deux recen- 
sions, qui sont d'accord pour l'ensemble et qui se 
trouvent, l'une dans l'écrit élohiste E, Exod., xx, 1-17, 
l'autre dans le deutéronomisle D, Deut., v, 6-18, on 
s'est demandé laquelle des deux était la plus originale 
et quelle pouvait bien avoir été la forme primitive du 
décalogue. Les principales divergences des deux recen- 
sions portent sur l'observance du sabbat et l'interdic- 
tion des mauvais désirs. Le motif d'observer le sabbat 
est fort différent : dans le Deutéronome, c'est un motif 
d'humanité, pour que le serviteur et la servante se 
reposent ce jour-là comme leur maître, au souvenir de 
la délivrance de la servitude d'Egypte, tandis que, dans 
l'élohiste, le motif allégué est la création du monde en 
six jours, suivie du repos divin. La disposition de la 
prohibition de la convoitise diffère ainsi : dans E, la 
femme fait partie de la maison ; dans D, elle en est 
distincte. On a remarqué, en outre, que le décalogue 
élohiste avait des expressions caractéristiques du Deu- 
téronome, et on en a oonclu ou bien qu'il avait été 
retouché par un écrivain deutéronomisle, qui revisait 
£, ou par un reviseur de JE, qui lui aurait donné sa 
place actuelle en tête du livre de l'alliance. Par suite, 
on le tient généralement comme plus pur et plus 
ancien que le décalogue deutéronomiste. 

Mais est-il le décalogue primitif? Suivant une hypo- 
thèse, émise par Ewald, le décalogue, à l'état originel, 
ne contenait que des préceptes divins, sans les motifs 
de les observer. Cette forme aurait été conservée dans 
les 1",6«, 7« et 8« commandements. Il faudrait donc ra- 
moner le 2« à ces mots : « Tu ne dois faire aucune 
image sculptée, » le 4«: « Souviens-toi du jour du sabbat 
que tu dois sanctifier, » le 5« : « Honore ton père et ta 
mère, » etc. Wellhausen, Die Composition des Hexa- 
teuchs, Berlin, 1889, p. 327-333, a cru retrouver dans 
le document jéhoviste J une première forme du déca- 
logue. Exod., xxxiv, li-26. Selon lui, le récit précédent 



IV. - 6 

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163 



DÉCALOGUE 



1-10, est parallèle à celui du c. xix, et raconte la pre- 
mière alliance conclue entre Dieu et Israël. C'est un 
rédacteur postérieur, celui de JE, qui a retouché le 
récit primitif, pour lui faire exprimer une réitération 
de l'alliance et une restitution des tables de la loi, bri- 
sées par Moïse. Le décalogue primitif est maintenant 
enfermé dans une édition augmentée. Réduit à douze 
ou à dix préceptes, il est surtout cultuel et ordonne la 
célébration des fêles. Kuenen a refusé de reconnaître 
ce décalogue, arbitrairement extrait d'un morceau 
législatif retouché et mêlé d'ordonnances du décalogue 
élohiste. D'autres critiques ont adopté les vues de 
Wellhausen, en les modifiant un peu. Le décalogue 
jéhoviste serait plus ancien que l'élohiste; il serait 
un compendium du culte et de la morale, pratiqués 
par Israël déjà établi au pays de Chanaan (Smend 
et Stade); il correspond à la réaction qui s'est pro- 
duite au temps d'Klie contre la religion chananéenne 
(Baentsch). Cependant M. Wildeboer, Die Lileraluv 
des A. T., 2« édit., Gœtlingue, 1905, p. 87-88, croit que 
ce décalogue rituel a été fait sur le modèle du déca- 
logue moral. Puisque le décalogue moral est rapporté 
à £2, Slaerk et Meisner ont recherché quel pouvait 
être le décalogue de E'. Le premier l'a retrouvé dans 
Exod., xxii, 27, 28; xxiii, 14-16, 10-12, et le second 
dans Exod., xxiir, 14-19. Ce sont là des fantaisies de 
critiques à la recherche d'opinions nouvelles. 

2. Sur Vovigine du décalogue moral. — H. L. Slrack, 
Einleitung in das A. T., 6« édit., Munich, 1906, p. 6i, 
tient ce décalogue pour le plus ancien et n'admet pas 
qu'il ait été remanié d'après le texte du Deutéronome. 
Son antiquité ressort de l'âge du contexte dont il fait 
partie. G. Wildeboer, op. cit., p. 17, est du môme 
avis; il admet toutefois des retouches postérieures du 
texte primitif. Il explique les différences des deux re- 
censions de l'Exode et du Deutéronome par deux 
transcriptions diverses de la tradition orale, les tables 
primitives étant perdues. Ces critiques admettent donc 
l'origine mosaïque du décalogue, ainsi que Franz De- 
litzsch, Dillmann, Lemme, Konig, Kittel et Driver. En 
1869, Nôldeke la tenait encore comme très probable. 
D'autres critiques, Kuenen, Wellhausen, Stade, Cornill, 
Smend, H. Schulz, Holzinger, Baentsch, etc., pensent 
que le décalogue moral rellète les idées et l'esprit des 
prophètes du vu* siècle. Les plus anciennes paroles 
qui, selon la tradition, résumaient l'alliance de Dieu 
avec les Israélites, concernaient exclusivement les 
observances cultuelles et les fêtes. Dans le décalogue 
moral, le culte est consciemment restreint à la seule 
observation du sabbat, qui n'a pu être établie qu'après 
rinstallation définitive d'Israël au pays de Chanaan. 
La défense absolue d*adorer les idoles n'a pu être por- 
tée qu'au cours du vii« siècle, puisque Jéhovah était 
honoré dans le royaume du nord sous l'image d'un 
veau. Ce sont les prophètes du vu* siècle qui, les pre- 
miers, ont prêché la religion morale, en la rattachant 
à la volonté divine. Dans des cercles dévoués à Jého- 
vah, on a donc réduit le culte moral à dix prescrip- 
tions de Dieu, conformément à l'ancienne morale de 
la tribu qu'on rattachait à Moïse et qui peut-être avait 
déjà été exprimée dans des formules brèves, dévelop- 
pées dans un sens nouveau. Holzinger considère la 
rédaction du décalogue moral comme une tentative de 
réformer la religion populaire pour la rendre conci- 
liable avec la théologie des prophètes. Exodus, Tu- 
bingue, 1900, p. 78. 

Il suffira de remarquer que ces théories des critiques 
reposent sur une reconstruction a pt^ri de l'ancienne 
religion d'Israël. C'est une pure supposition que le 
sabbat n'a pu être établi et observé que par une popu- 
lation sédentaire et que la prohibition d'adorer les 
idoles date du viP siècle, comme si le culte des veaux 
d'or à Béthel n'avait pas toujours été regardé comme 



idolâtre et schismalique. Quajnt aux divergence 
détails entre les deux recensions mosaïques du d 
logue, elles proviennent de deux causes, ou des fa 
de transcription des copistes, ou des modifical 
introduites par Moïsa lui-même dans son discour 
Deutéronome. Cf. F. de Hummelauer, Exodus ei 
t'i<ïci(»,Paris, 1897, p. 196-197; Deuteronomhim,V 
1901, p. 230. Rien ne s'oppose donc au mainlie 
l'origine mosaïque du décalogue et de sa révél 
divine au Sinaï par le ministère de Moïse. 

Lemme, Die religiotisgeschichlUche Bedeutwig des 
loge, Breslau, 1880; Baentsch, Das Bundesbuch, Halle, 
p. 92 sq. ; Id., Exodus, Levilicus, Numeri, Gœttingue, 
p. LU-LV, 178-179; Smend, Lehrbuch der altteataynein 
Jieligionsgeschichte, Fiibourg-en-Briegau, 1899, p. 2i 
H. Holzinger, Einleitung in den HextUeuch, Fribo 
Brisgau et Leipzig, 1893, p. 217-219; Meisner, Der D( 
Eine kritische Studie. l. Der Dekalog im HexateucU 
1893; Driver, Einleitung in die Literatur des alten 
ments, trad. Rothstein, Berlin, 1896, p. 33-36; Ed. Kcin 
Erklarung und Geschichte des Delcalogs, dans Ne\ 
chliche Zeitschrift, t. xii, p. 363-389; B. Stade, B\ 
Théologie des A. T., Tubingue. 1905, l. i, p. 36, 37, fl 
199, 248-250; L. Gautier, Introduction à V Ancien Tesi 
Lausanne, 1906, t. i, p. 144-148; E. Mangenot, Lmith 
mosaïque du Pentateuque, Paris, 1907, p. 68-69; ReaU 
pàdie, 3' édit., 1898, t. lu, p. 559-564. où on trouvera 
une bibliographie allemande plus complète. 

Sur le papyrus Nash du ir siècle de notre ère, qui i 
un texte hébreu du décalogue, antérieur au texte mas! 
et différent de ce texte aussi bien que de celui des LX!< 
Revue biblique, avril 1904, p. 242-250, et N. Peters, D\ 
Abschrift der zehn Gebote, der Papyrus Nash, Fril 
.Brisgau, 1905. 

E. Mancen* 

II. Classification et nature des prkcei 

DÉCALOGUE. — /. CLASSIFlCATloy. — 1° Receil, 

trois princifiales classifications. 



CLASSIKICATION 
DU TALMUD 

1. Domaine spécial 
de Jéhovah sur le 
peuple israéiite. 
Exod., XX, 2. 

2. Ck)mmandement 
d'adorer Jéhovah 
le seul vrai Dieu 
et de s'abstenir de 
tout culte des ido- 
les, 3-6. 

3. Défense de pren- 
dre le nom du Sei- 
gneur en vain, 7. 

4. Observation du 
sabbat, 8-11. 

5. Respect dû aux 
parents, 12. 

6. Interdiction du 
meurtre, 13. 

7. Interdiction de 
Tadultère, 14. 

8. Interdiction du 
vol. 15. 

9. Interdiction du 
faux témoignage, 
16. 

10. Interdiction de 
désirer les biens 
du prochain, 17. 



CLASSIFICATION 
DE PHILON 



CLASSIF 
AUtiUST 



1. Adoration du seul 1. Adorât 
vrai Dieu. Excd., vrai Dl 
XX, 3. 

2. Interdiction du 2. Défens 
culte des idoles, dre ei 
4-6. nom di 



3. Défense de pren- 
dre le nom du Sei- 
gneur en vain, 7. 

4. Observation du 
sabbat. 

5 Respect dû aux 
parents. 

6. Interdiction de 
l'adultère ou du 
meurtre. 

7. Interdiction 
meurtre ou 
l'adultère. 

8. Interdiction 
vol. 

9. Interdiction 



du 
de 



du 



du 

faux témoignage. 

10. Interdiction de 
désirer la femme 
et les biens du 
prochain. 



3. Obse 
sabbal 

4. Resp 
paren 

5. Inte 
meuri 

6. Inte 
ladul 

7. Inl< 
vol. 

8. Int 
faux 

9. Déf 
rer 
proc 

10. D^ 
sire 
pro< 



2« Examen critique. -- 1. Au point de v 
— a) On ne peut considérer Exod., xx, \ 
Dominus Deus luus qui eduxi te de ierrct 
domo servilutis, comme un précepte di 
une simple affirmation préliminaire de 
législateur, Tautorité toute spéciale de Jéhi 



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165 



DÉCALOGUE 



166 



peuple qu'il a lai-méme délivré de TÉgypte. — b) On 
ne peut distinguer deux préceptes dans Exod., xx, 3-6. 
L'interdiction du culte des idoles n*est que l'aspect né- 
gatif du précepte d'adorer le seul vrai Dieu. Ce ne 
peut donc être un commandement spécial. — c) Le dé- 
doublement du précepte interdisant la convoitise n'est 
expressément indiqué ni par Exod., xx, 17, ni par 
Deut., V, 21. Saint Augustin appuyait l'affirmation d'un 
double précepte dans Exod., xx, 17, sur la version des 
Septante où uxoreni proximi lui est mentionné en 
premier lieu et d'une manière distincte. Quœsliones in 
Ueptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L., t. xxxiv, col. 621. 
Mais rien n'autorise à considérer la leçon des Septante 
comme vraie. Le texte du Deutéronome, il est vrai, met 
en relief non concupisces uxorern proximi tui, mais 
sans rindiquer expressément comme précepte distinct. 
Mais si l'on compare ces deux textes avec les deux pré- 
ceptes distincts condamnant l'adultère et le vol, Exod., 
XX, 14, 15, on est en droit de conclure que Tinterdiction 
du désir, comme celle de l'acte lui-même, procède d'un 
double précepte; car il y a identification morale entre 
le désir et l'acte. 

2. La tradition juive ne parait fournir aucun témoi- 
gnage décisif. Tandis que le targum du pseudo-Jona- 
than sur le Pentateuque et le Talmud de Jérusalem, 
traité des Berakholh, i, n. 8, trad. Schwab, Paris, 1871, 
t. I, p. 18-19, donnent la première classification en ré- 
duisant le lO précepte à la seule convoitise de la maison 
du prochain, sans aucune mention de la femme du 
prochain, Philon, Quis sit reruni divinarum hœres, 
édil. Mangey, p. 496-497; De decalogo, p. 188-189, 
soutenu par Joséphe, Ant. jud., 1. III, c. iv, Genève, 
1634, p. 78 sq., défend la deuxième classification et la 
Massore soutient la troisième classification. 

3. La tradition chrétienne comprend deux périodes : 
avant et après saint Augustin. — a) Dans la période 
antérieure à saint Augustin, l'enseignement du déca- 
logue n'occupant pas de place spéciale dans l'instruc- 
tion des catéchumènes ou des fidèles, l'on ne rencontre 
que de rares allusions à une classification complète des 
dix préceptes; et les quelques essais que l'on rencontre 
s'inspirent surtout de Philon. Théophile d'Antioche men- 
tionne cinq des commandements concernant les devoirs 
envers le prochain ; le précepte interdisant la convoitise 
est unique comme chez Philon. Ad Autolycum, 1. II, 
n. S, P, G., t. VI, col. 1108. Tertullien s'exprime de 
même, Adver sus Marcioneni, 1. II, c. xvii; Adversus 
Judmos, c. II, P. L., t. II, col. 3(fâ, 599. Clément d'Alexan- 
drie paraît suivre entièrement Philon, Strom., VI, 
c. XVI, P, G,, t. IX, col. 361 sq.,ce qui lui est d'ailleurs 
habituel sur beaucoup de points. Origènè se borne à 
indiquer et à commenter brièvement le premier com- 
mandement, non ei*unt tibi alii dit prœter me, et le 
second, non faciès tibi idolum neque ullam similitu- 
dinem, en donnant pour unique raison de cette distinc 
tîon que l'on ne peut autrement maintenir la vérité du 
décalogue ou Texistence des dix commandements : 
Hsecomnia siniul nonnulli putant esse unum manda- 
tum, Quod si ita ptUetur, non complebitur decem nu- 
merus mandalot^m. Et ubi jam erit decalogi veHtasf 
In Exod,, homil. viii, n. 2, P. G., t. xii, col. 351. 
Saint Grégoire de Nazianze, dans son poème théologi- 
que sur le décalogue, mentionne les dix préceptes selon 
TordredePhilon, P. G.,t. xxxvii,col.476sq. SaintCyrille 
d'Alexandrie met cette computation sur les lèvres de 
Julien l'Apostat. Cont, Julian., 1. V, P. G., t. lxxvi, 
col. 733. La même énumération se rencontre chez l'au- 
teur de la Synopsis Scriptursa sacrx, rangée parmi 
lesceuvres de saint Athanase, jp. G., t. xxviii, col. 297, 
dans les commentaires sur les Épitres de saint Paul 
de TAmbrosiaster, à la suite des œuvres de saint Am- 
broise, In Eph,, vi, 2, P, L., t. xvn, col. 399, et par- 
tiellement du moins chez Cassien, Collât,, 1. VIII, 



c. xxiii, P, L,, t. XLix, col. 764. Saint Jérôme com- 
mentent Osée, X, 10, P, L., t. XXV, col. 908, distingue, 
en passant, le précepte de l'Exode, xx, 2, du suivant, 
3-6. Le même saint docteur, expliquant Eph., vi, 2, 
Honora patrem tuum et matrem tuam, quod est man- 
datum in promissione, indique incidemment que ce 
commandement est le cinquième du décalogue, les 
deux premiers étant : non enmt tibi dii alii prœter me 
et non fades tibi idolum, Comment, in Epist. ad 
Eph., 1. m, c. VI, P. L., t. xxvi, col. 537; ce qui cor- 
respond à la classification de Philon. Voir aussi 
pseudo-Chrysostome, In Matth., homil. xxxiii, P. G., 
t. Lvi, col. 877. 

Ainsi, en rc^sumé, les témoignages favorables à l'opi- 
nion de Philon dans les quatre premiers siècles ne sont 
guère que des allusions passagères, desquelles on ne 
peut déduire un consentement patrislique suffisant 
pour rendre notre adhésion obligatoire. 

b) Saint Augustin donne toutes ses préférences à la 
troisième classification assignant aux devoirs envers 
Dieu les trois premiers commandements et aux devoirs 
envers le prochain les sept autres. Saint Augustin 
s'appuie principalement sur l'autorité de l'Écriture et 
sur la haute convenance de la distinction de trois 
commandements pour exprimer nos obligations envers 
les trois personnes divines. Serm., ix, c. v; ccl, n. 3, 
P. L., t. xxxviii, col. 79 sq., 1165 sq.; Quœsliones in 
Heptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L., t. xxxiv, col. 620 sq. 
Observons toutefois qu'Augustin varie habituellement 
la formule de ces dix commandements, bien qu'il 
suive toujours le même ordre dans leur énumération. 
Paul Rentschka, Die Dekalogkatechese des heiligen 
Augustinus, Kempten, 1905, p. 127 sq. 

c) La classification soutenue par saint Augustin fut 
presque unanimement admise après lui. Nous citerons 
particulièrement : le pseudo-Jérôme, Breviarium in 
Psalmcs, Ps. xxxii, 2, P. L., t. xxvi, col. 915; S. Isi- 
dore de Séville, Quœstiones in Velus Testamentum, 
In Exodum, c. xxix, P. L., t. lxxxiii, col. 301 sq.; 
l'auteur du De psalmorum libro exegesis, P. L., 
t. xciii, col. 431 sq.; Alcuin, De decem verbis legis seu 
brevis exposilio decalogi, P. L., t. c, col. 567 sq.; 
Hugues de Saint-Victor, Institutiones in decalogum 
legis dominicœ, c. m, P. L., t. clxxvi, col. 14 sq.; 
Pierre Lombard, Sent., 1. III, dist. XXXVII, P. L., 
t. xcii, col. 831 sq.; Alexandre de Halès, Summa théo- 
logie, part. III, q. xxix, m. i, a. 2 sq., Cologne, 1622, 
t. m, p. 203 sq.; S. Thomas, Sum. theol., I« II», q. c, 
a. 4 sq.; Opusc, m. De lege amoris et de decem prœ- 
ceptis, dans Opéra omnia, Paris, 1884, t. xxvii, p. lii- 
170; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXXVII, 
a. 2, Quaracchi, 1887, t. m, p. 821 sq.; Duns Scot, 
In IV Sent., 1. III, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m, 
p. 338 sq., et tous les commentateurs de Pierre Lombard 
et de saint Thomas. 

L'ordre du Talmud fut adopté au moyen âge par 
Georges le Syncelle, Chronographia, édit. Dindorf, 
Bonn, 1829, t. i, p. 246 sq., et par Cedrenus, Hist, 
compendium, 1. I, P. G., t. cxxi, col. 164 sq. Celui de 
Philon se retrouve chez Sulpice Sévère, Hist,, P. L., 
t. XX, col. 105, et chez Zonaras, Annal., I, 66, P. G., 
t. cxxxiv, col. 93. Le décalogue anglo-saxon du roi 
Alfred (après 871) modifie l'ordre des commandements 
à partir du 6« : 6, vol; 7, adultère; 9, biens du pro- 
chain; 10, pas de dieux d'or et d'argent. J. Schilter, 
Thésaurus anliquitalum teutonicainim, in-fol., Ulm, 
1728, t. i, appendice, p. 76-77. Une poésie rythmée du 
moyen âge, sur le décalogue, suit cet ordre : 3. hon- 
neur à rendre aux parents; 4. amour du prochain; 
5. meurtre; 6. adultère; 7. vol; 8. faux témoignage; 
9. désir de la femme du prochain ; 10. désir des biens 
du prochain. Ibid., p. 77-79. 

Dans les catéchismes du xiii* siècle, la division 



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167 



DÉCALOGUE 



augustinienne des dix préceptes fnt généralement 
adoptée. Elle se trouve dans le Sfeeulum Ecclesite de 
saint Edmond de Cantorbéry, c. xi, dans Bibliot?ieca 
maxima Patrum, Lyon, 1677, t. xxv, p. 320, et dans 
le DoctHnal de sapience, Troyes, 1745, p. 34-44. 
Au xv« siècle, elle est suivie dans VABC des simples 
gens de Gerson, dans le Liber Jesu Christi, si sou- 
vent reproduit et dans le Manuale curatorum et dans 
le Compost et Kalendriei' des bergiers ; la défense du 
vol est au 6« rang et précède la prohibition de la luxure. 
Cette dernière disposition se trouve aussi dans un déca- 
logue provençal, édité par K. Bartsch, Denkmàler der 
provenzalischer Litleratur, in-S», Stuttgart, 1856, p. 306. 
Uaccord n'était pas universel au xvi« siècle, et les 
réformateurs ont adopté des usages différents. Luther 
et les luthériens, aussi bien que les catholiques, ont 
suivi la division augustinienne; Calvin, les réformés, 
les sociniens et les anglicans, comme les grecs-unis 
modernes, celle de Philon. Les catéchismes catholiques 
du XV» siècle et des siècles suivants reproduisent les 
commandements de Dieu en bouts-rimés à peu près 
semblables à ceux qui sont encore en usage parmi 
nous. Dans le pénitenciel de Milan, dressé par saint 
Charles Borromée et publié dans les Acta Ecclesiœ 
Mediolanensis, part. IV, le 6« commandement du déca- 
logue est relatif au vol, et le 7« à l'impureté. Ce péni- 
tenciel est reproduit par Mu"" Schraitz, Die Bussbïicher 
und die Bussdisciplin der Kivche, Mayence, 1883, t. i, 
p. 809-832. Cf. F. de Hummelauer, Exodus et Leviti- 
cxis, Paris, 1897, p. 197-198. 

d) L'Église catholique, bien qu'elle n'ait rien défini 
en cette matière, suit de fait la classification augusti- 
nienne, comme l'indiquent tous les catéchismes 
approuvés dans l'Église et spécialement le catéchisme 
du concile de Trente, approuvé par l'Église pour 
l'enseignement public des fidèles. 

Conclusion. — La classification augustinienne, impli- 
citement contenue dans les textes bibliques, non con- 
tredite par l'ensemble de la tradition juive, à peu près 
unanimement acceptée dans l'Église catholique depuis 
l'époque de saint Augustin et tacitement approuvée 
par l'autorité de l'Église dans l'enseignement universel 
des fidèles et des pasteurs, doit être pratiquement 
admise par tous les catholiques. 

//. yATURE DES PRÉCEPTES DU DÉCALOGUE, — 1° Ces 

préceptes sont en eux-mêmes naturels, à l'exception 
du troisième précepte à la fois naturel et positif : pré- 
cepte naturel dans son fondement en tant qu'il prescrit 
de consacrer au service divin un temps dont la durée 
et la fréquence restent indéterminées, S. Thomas, 
Sum. theol, II* II», q. cxxii, a. 4, ad l"»; précepte 
divin positif, mais cérémonial et limité à l'ancienne loi, 
pour la détermination particulière du temps et du 
mode à observer dans le service divin. 

Au ii« siècle, saint Irénée parle des préceptes natu- 
rels de la loi, déjà observés avant la loi par tous les 
justes et qui n'ont pas été abrogés par Jésus-Christ, 
mais simplement agrandis et pleinement réalisés; pré- 
ceptes vraiment communs à l'une et l'autre alliance. 
Cont. hœr., 1. IV, c. xiii, P. G,, t. vu, col. 1006 sq., 
1018. Selon Tertullien, les préceptes mosaïques, avant 
d'être écrits sur des tables de pierre, étaient naturelle- 
ment connus. Adversus Judœos, c. ii, P. L., t. ii, 
col. 600. Saint Augustin affirme que la loi, avant d'être 
inscrite sur les tables du Sinaï, était gravée dans les 
cxBurs des hommes, bien que de fait on ne l'y eût 
point lue. Enarratio in Ps. Lvii, n. 1, P. L., t. xxxvi, 
col. 673 sq. Même enseignement au moins implicite 
chez saint Ambroise, In Ps. Lxr, n. 33, P. L., t. xvi, 
col. 1180, chez saint Léon le Grand, Serm., xvii, n. 1, 
P. L., t. Liv, col. 180, et saint Grégoire le Grand, In 
Ezech., l. II, homil. iv, n. 9, P. L., t. lxxvi, col. 979, 
affirmant l'identité des préceptes moraux de l'ancienne 



loi avec ceux de la nouvelle loi, idcniitë qui ne ] 
avoir d'autre base que leur appartenance r. la loi n 
relie. 

Au XII* siècle, Hugues de Saint-Victor s'inspin 
cette même doctrine, quand il conclut que les 
préceptes de la seconde table sont une simple exp 
tion de ces deux principes fondamentaux de h 
naturelle : il faut faire le bien et éviter le mal. Dt 
cramentis, l. II, part. XII, c. v, P. L, t. cl 
col. 352. Cependant au siècle suivant, Alexa 
de Halès est arrêté par cette apparente diffici 
comment concilier le caractère naturel des préc 
moraux de la loi mosaïque avec le fait de leur r^ 
tion? Sur quoi il décide que les principes génë 
donnant naissance aux préceptes du décalogue, a 
tiennent à la loi naturelle, tandis que leurs co 
sions particulières constituent les préceptes mosai 
Sunima theologiœ, part. III, q. xxix, m. i, Col 
1622, t. III, p. 191 sq. 

En réponse à cette même difficulté, saint II 
établit que tous les préceptes moraux de l'ancier 
appartiennent à la loi naturelle, mais de difTé 
manières. Plusieurs sont en eux-mêmes imm 
ment saisis par toute raison humaine et apparti( 
absolument à la loi naturelle : tels sont les pn 
d'honorer son père et sa mère, de ne point tuer 
point voler. D'autres, exigeant une étude plus 
tieuse, sont connus seulement par les homm* 
truits dans les sciences morales ; ils appartiens 
loi naturelle de telle sorte qu'il faut, pour les coi 
être instruit par les savants; telles sont beauc 
conclusions éloignées de la loi naturelle. Il ei 
des préceptes pour la connaissance desquels la 
humaine a besoin d'être aidée par l'enseig 
divin, comme non fades tibi sculptibile neque 
similitudinem ; non assumes nomen Dei tui 
num, Sum. theol., I* II», q. c, a. 1 ; mais ils reî 
eux-mêmes préceptes naturels. Suivant saint 13 
ture, c'est de la loi naturelle que jaillit Tobliga 
commandements du décalogue; la loi mosaïque 
plement mis en lumière celte obligation obscu 
le péché. /n IV Sent., 1. III, dist. XXX VII, a. 
Quaracchi, 1887, t. m, p. 819 sq. Vers la même 
Duns Scot émet l'idée que les commandemei 
seconde table n'appartiennent point à la loi na 
cause des dispenses divines dont ils sont parfoi 
leur obligation, au lieu d'être strictement im[ 
la loi naturelle, a seulement une très grande 
mité avec ses invariables et nécessaires prin 
lVSent.,\. III, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m. 
Les théologiens postérieurs au xiv« siècle 
presque unanimement la doctrine et le langag 
Thomas et de saint Bonaventure. Nous citer 
cipalement Denys le chartreux. In IV Sen 
dist. XXXVII, q. ii, Venise, 1584, t. m, p. 30 
jetan, In /■«" ll'^, q. c, a. 8; Dominique Sol< 
titia et jure, I. H, q. m, a. 1, Venise, 1589, i 
Azpicuelta, Enchiridion sive manuale confei 
etpsenitentium, c. xi, n. 2, Rome, 1590, p. 1 
(tl613), In IV Sent., 1. IH, dist. XXXVIl, 
nise, 1748, t. iv, p. 216 sq. ; Suarez (f 1617), J 
\. II, c. XV, n. 16 sq.; Sylvius (tl649), In /«« 
a. 1, Anvers, 1714, t. ii, p. 586 sq. ; Gonet, J 
tr. VI, disp. XII, a. 1, Anvers, 1744, t. m, j 
théologiens de Salamanque, Cursus theoU^gi 
tr. XXI, c. I, n. 14 ; Gotti, In /■" 77», tr. V, q. i 
Venise, 1750, t. n, p. 242. 

2» Ces préceptes, en eux-mêmes naturels, 
fait révélés à l'humanité pécheresse qui 
n'en eût point possédé une connai.ssance 
plète et assez certaine pour en iaire la règl* 
morale : Explicatio enim plenaria mande 
calogi opportuna fuit secundum statum pe 



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DÉCALOGUE 



170 



ter ohscurationeni luminis rationis et propter obli- 
qtuilioneni volunlatis. S. Bonaventure, In IV Sent., 
i. IV, dist. XXXVII, a. 1, q. m, Quaracchi, 1887, t. m, 
p. 819 sq. 

3» Cette divine manifestation des préceptes naturels 
du décalogue, en confirmant simplement leur obliga- 
tion eœ lege naturali, n'y ajoute, croyons-nous, aucune 
nouvelle obligation ex divina lege positiva, l^a suppo- 
sition d'une telle obligation n*a aucun fondement ni 
dans les Pères ni dans les théologiens du moyen âge. 
Elle est même nettement écartée par saint Thomas et 
saint Bonaventure. Saint Thomas, parlant des préceptes 
naturels pour la connaissance desquels la raison hu- 
maine est aidée par renseignement divin, suppose que 
cet enseignement, tout en les manifestant et en les 
confirmant, ne modifie point leur nature. Sum. theol., 
I* II", q. c, a. 1. Saint Bonaventure dit très explicite- 
ment que la révélation divine ne fait que mettre en 
pleine lumière l'obligation imposée par la loi naturelle. 
Loc. cU. Tel est aussi le plus souvent le langage formel 
des théologiens précédemment cités. Ceux qui s'ex- 
priment différemment comme les Salmanticenses, 
Cui*si4S theologiœ moralis, tr. XXI, c. i, n. 13, doivent 
s'entendre uniquement d'une divine confirmation du 
précepte naturel prononcée au Sinaï et de nouveau 
répétée par Jésus-Christ. Matth., xix, 17 sq.; Marc, x, 
19 sq. ; Luc, xvni, 20 sq. ; Joa., xiv, 15. 

4» En affirmant que les préceptes même naturels du 
décalogue ont été agrandis et perfectionnés par la loi 
nouvelle, plusieurs Pères des premiers siècles ont sim- 
plement signifié que Jésus-Christ par son enseigne- 
ment a réproavé les étroites interprétations juives qui 
défiguraient les préceptes du décalogue et que, par sa 
grâce on par une plus abondante diffusion de la cha- 
rité, il a aidé à la pleine observance de ces comman- 
dements. C'est l'enseignement de saint Irénée réfutant 
Terreur gnostique qui attribuait l'ancienne loi à un 
ange mauvais. Conf. /ubj'., l.IV,c ii, n.6; c xii,n.3sq., 
P. G., t. VII, col. 978, 1005 sq. TertuUien montre aussi 
que Jésus a ajouté à la loi enjnterdisant, non seulement 
l'accomplissement effectif du mal, mais encore l'affec- 
tion ou le simple désir, selon Matth., v, 27 sq. Le pœ- 
nitentia, c. m, P. L., 1. 1, col. 1232. Suivant saint Gré- 
goire de Nazianze, tandis que l'ancienne loi défendait 
seulement raccomplissementdu péché, la loi chrétienne 
interdit même la cause du péché. La loi réprouvait 
seulement Tadultère, Jésus-Christ condamne tout désir 
et tout regard accompagné de désir ou y excitant. La 
loi défendait le meurtre; aux chrétiens il est interdit 
de rendre les coups et il est commandé de tendre la 
joue à qui les frappe. La loi condamnait le parjure ; 
on nous défend tout jurement, quel qu'il soit. Orat., 
XLV, in sanctufii pascha, c. xvii, P. G., t. xxxvr, 
col. 6*7. 

Saint Âmbroise paraît être le premier qui ait nette- 
ment indiqué l'identité des préceptes naturels du déca- 
logue sous l'ancienne et sous la nouvelle loi. Selon lui, 
la parole de Dieu a exprimé le même enseignement 
dans la loi et dans l'évangile. Ce qui n'avait pas été 
•compris sous l'ancienne alliance l'a été sous la nouvelle, 
car Jésus-Christ a ouvert l'oreille humaine à la con- 
naissance de la vérité. Enan^atio in Ps. LXi, n. 33 sq., 
P. L., t. XIV, col. 1180. 

Saint Augustin, suivant peut-être cette pensée de 
saint Ambroise, montre que les étroites interprétations 
données au décalogue par les Juifs ne lui avaient ja- 
mais appartenu. Le 5* précepte condamne non seule- 
ment le meurtre, mais encore l'outrage et la colère. 
Matth., V, 21, 22. L* 6« commandement réprouve avec 
i'adaltère tout dés'r mauvais. Matth., v, 27, 28. Le 
commandement de l'amour du prochain n'exclut point 
"DOS ennemis de la commune charité: odens inimicuni 
iuum, Lev., xix, 1S, doit s'entendre des fautes et des 



iniquités de nos ennemis et non de leur personne. 
Contra Faiistum manichœum, 1. XIX, c. xix sq., P. L., 
t. XLii, col. 359 sq. Augustin montre encore que la 
grâce, plus abondamment communiquée sous la nou- 
velle alliance, facilite l'observance du double précepte 
de la charité dans lequel se résument tous les com- 
mandements. Par l'action de cette grâce le décalogue 
est comme gravé dans l'âme sanctifiée. De spiHtu et 
littera, c. xiv sq., P. L., t. XLiv, col. 215 sq. ; Contra 
duos epistolas pelagianortim, l. III, c. iv, col. 594. Le 
concept d'Augustin reste définitivement après lui chez 
les Pères et chez les théologiens subséquents. 

5« Les préceptes naturels du décalogue supposent ou 
contiennent toutes les obligations imposées par la loi 
naturelle. C'est l'enseignament de saint Thomas, 
Sum. theol., 1* II*, q. c, a. 3, 11, et de tous les théo- 
logiens. — 1. Ces préceptes présupposent nécessaire- 
ment : a) comme principes logiquement antérieurs aux 
devoirs tracés par le décalogue : l'obligation de la loi 
naturelle et les premiers principes moraux sur les- 
quels elle repose, ainsi que les obligations fondamen- 
tales de charité envers Dieu et envers le prochain; 
b) comme couronnement surnaturel de ces obligations, 
par le fait de l'élévation de l'homme à l'état surnatu- 
rel, les devoirs imposés par la foi, l'espérance et la 
charité surnaturelle envers Dieu, devoirs comprenant 
en réalité l'ensemble de toutes nos obligations surna- 
turelles. — 2. Les préceptes du décalogue contiennent 
au moins implicitement toutes les conclusions déduites 
de la loi naturelle d'une manière plus ou moins immé- 
diate, même celles dont la connnaissance est parfois 
restée assez imparfaite chez les théologiens. S. Tiiomas, 
Sum. theol., î" II», q. c, a. 3, 11. En ce double sens, 
le décalogue est vraiment le résumé de toutes nos obli- 
gations morales. Catechismus concilii Tridentini, 
part. III, c. I, n.l. 

6« Le décalogue, tant sous l'ancienne que sous la 
nouvelle loi, se résume justement dans le double pré- 
cepte de la charité envers Dieu et envers le prochain. 
In his duobus mandatis universa lex pendet et pro- 
phètes. Matth., xxii, 40. Ces deux commandements 
sont des principes évidents à la raison et à la foi, des- 
quels se déduisent comme autant de conclusions toutes 
les obligations du décalogue. S. Thomas, Sum. theol., 
!• II», q. c, a. 3, ad l»™. 

III. Obligation morale. — 1® L'obligation imposée 
par les préceptes naturels du décalogue est, comme 
celle de tous les commandements de la loi naturelle, 
toujours nécessaire, toujours soustraite à toute vraie 
dispense. Ce que l'on dénomme parfois dispense ou 
exception n'est qu'une juste interprétation d'un cas 
auquel la loi, à cause de circonstances spéciales, ne 
s'applique réellement point. S. Thomas, Sum. theol., 
I» II», q. G, a. 8. Voir Loi naturelle. 

2o Cette obligation, en elle-même toute naturelle, 
rentre dans l'ensemble des devoirs chrétiens, parce 
que Jésus-Christ l'a positivement confirmée par son 
autorité, Matth., xix, 17 sq.; Marc,x,19sq.;Luc, xviii, 
20 sq., ou parce que la loi surnaturelle, loin de suppri- 
mer les prescriptions ou interdictions naturelles, les 
suppose et les confirme en les orientant vers la fin sur- 
naturelle. Bouquillon, Theohgia moralis fundameH' 
talis, 3« édit., Bruges, 1903, p. 258. D'ailleurs, dans 
l'ordre actuel de la providence, ces préceptes essen- 
tiellement naturels entraînent indirectement de graves 
obligations surnaturelles. Au reste, le concile de 
Trente a porté anathème contre les antinomistes du 
xvi« siècle prétendant que les dix préceptes du décalogue 
ne concernent aucunement les chrétiens. Sess. VI, 
can. 19. 

30 L'obligation imposée par les préceptes naturels du 
décalogue est grave de sa nature. Envers Dieu, ces pré- 
ceptes ne peuvent être enfreints sans que soit aussi 



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171 



DÉCALOGUE 



] 



violée la vertu de charité, violation de soi toujours 
grave, puisque sans la charité notre fin surnaturelle 
ne peut être obtenue. Vis-à-vis de notre prochain, 
toutes les prescriptions du décalogue se résument dans 
la justice, S. Thomas, Sum. theoL, 1* !!«, q. c, a. 2, 
qui par elle-même oblige toujours gravement dès qu'il 
s'agit d'un bien notable du prochain. II* 11^, q. Lxvi, 
a. 6. Cependant la transgression peut être accidentel- 
lement vénielle par défaut de matière notable ou par 
manque de délibération ou d'advertance surCsante. 
Azpicuelta, Enchb*idion sive manuale confessariorum 
et pœnitenlium, c. xi, n. 4, Rome, 1590, p. 82 sq.; 
Salmanticenses, Cursus thcologias inoralis, tr. XXI, 
c. I, n. 15. 

4o L'obligation est accomplie parla simple réalisation 
de ce qui est exigé. Il n'est point nécessaire d'afjir par 
motif de charité, sauf quand la charité est vraiment 
commandée ou indispensable pour réaliser le com- 
mandement. S. Thomas, Sum. theol.,!» II«, q. c, a. 10; 
S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXX VII, 
a. 1, q. II, Quaracchi, 1887, t. m, p. 816 sq. 

IV. Place dans l'instruction morale des catéchu- 
mènes ET DES FIDÈLES. — On a indiqué aux articles 
Catéchèse et Catéchisme la forme que revêtit au cours 
des siècles l'instruction des catéchumènes et des fidèles. 
Il nous reste à y assigner la place occupée par le déca- 
logue. 

lo Jusqu'à saint Augustin vers la fin du iv« siècle, les 
documents que nous avons sur les catéchèses nous 
autorisent à affirmer que l'instruction morale des caté- 
chumènes était habituellement donnée sous la forme de 
l'enseignement des deux voies : voie de la vie, marquée 
par le double précepte de l'amour de Dieu et du pro- 
chain, se résumant dans le commandement général : 
omnia qumcumque non vis tibi fieri, nec tu alleri 
facias, et voie de la mort où s'engagent ceux qui se 
rendent coupables des péchés indiqués comme étant 
dignes de ce châtiment. C'est le seul enseignement 
indiqué par la Didachà qui nous offre le modèle des 
catéchèses des premiers siècles. Doctrina du^decim apo- 
stolonim, Funk, Patres apostolici, 2» édit., Tubingue, 
1901, t. I, p. 2 sq. Quelques autres documents qui 
reflètent l'enseignement donné aux païens de cette 
époque pour les engager à se faire chrétiens, comme 
la !'*« Apologie de saint Justin et le Pédagogue de Clé- 
ment d'Alexandrie, mentionnent particulièrement les 
préceptes nouveaux donnés par Jésus-Christ et groupés 
dans le sermon sur la montagne, ou le double com- 
mandement de la charité envers Dieu et envers le 
prochain. ApoL, i, n. 14 sq., P. G., t. vi, col. 348 sq.; 
Clément d'Alexandrie, Pœdagogus, 1. III, P. G., 
t. viii, col. 660 sq. Quant aux préceptes du décalogue 
considérés isolément ou dans leur ensemble, on les 
cite assez rarement; et quand on les cite, c'est plutôt 
avec une intention apologétique ou dans le but de faire 
ressortir la supériorité de la loi chrétienne. Ainsi saint 
Irénée justifie ces préceptes contre les erreurs gnos- 
tiques attribuant l'ancienne loi à un ange mauvais. 
Cont. hœr., 1. IV, c. il, n. 6; c. xii, n. 3 sq.; c. xiii, 
n. 1 sq.; c. xv, n. 1 sq.; c. xvi, n. 3 sq. P. G., t. vu, 
col. 978, 1005-1010, iai2-1014, 1017-1019. TertuUien in- 
dique incidemment que Jésus-Christ a ajouté à la loi 
en défendant non seulement l'exécution du mal, mais 
encore l'affection ou le simple désir. De pœnitentia, 
c. III, P. L., t. I, col. 1232. Saint Grégoire deNazianze 
montre que les préceptes du décalogue ont été perfec- 
tionnés par Jésus-Christ dans la réprobation portée 
contre les étroites interprétations des Juifs. Orat., 
XLV, i?e sanctum pascha, c. xvii, P. G., t. xxxvi, 
col. 647. Saint Ambroise se contente d'affirmer qu'une 
meilleure connaissance des devoirs du décalogue nous 
a été donnée par Jésus-Christ. Enarratio in Ps. lxi, 
n. 33 sq., P. L., t. xiv, col. 1180. 



Cette attitude vis-à-vis du décalogue était motivée 
la nécessité de distinguer nettement la loi chrélie 
de la loi juive, surtout en face des étroites interpr 
tions habituelles des Juifs et de l'abrogation du préc 
sabbatique désormais remplacé par le précepte d( 
nical. 

2^ Vers la fm du iv* siècle, saint Augustin doni 
premier an décalogue une place prépondérante < 
l'enseignement moral des catéchèses. Il fut amei 
cette conclusion par la nécessité de prémunir les 
chumènes contre les erreurs manichéennes attrib 
le décalogue au mauvais principe, tandis que la 
velle loi était seule considérée comme provenar 
Dieu lui-même. A rencontre de ces assertions, Ai 
tin montre dans ses catéchèses la véritable origir 
décalogue et son importance capitale dans la vie 
tienne. Le décalogue provient intégralement du 
véritable. Il est une prolection contre les er 
manichéennes, car les trois premiers préceptes, c 
mant nos devoirs envers Dieu le Père, envers J 
Christ et envers le Saint-Esprit, réprouvent fon 
ment les fausses doctrines sur les trois personn( 
vines. Le décalogue est une règle sûre, car il a toi 
condamné ce que condamne la loi nouvelle, affe 
mauvaises et désirs coupables. Il se résume just 
et pour tous les temps dans le double précepte 
charité envers Dieu et envers le prochain, car, 
l'observance de cette double charité, les devoirs « 
Dieu et envers le prochain sont intégralement re 
selon le témoignage de saint Paul : plenitudo • 
legis est caritas. Rom., xiii, 10. Contra Fa 
nianichewni,\. XV, c. ivsq.; 1. XIX, c. xviii sq., 
t. XLii, col. 306 sq., 359 sq. L'âme animée d< 
charité est comme une lyre exécutant en l'honn 
divin Maître l'hymne suave des dix commande 
Deus canticuni novtim cantabo tibi, in ps 
deceni chordarum psallam tibi. Ps. CXL[II,9. Set 
c. V sq., P. L., t. XXXVIII, col. 79 sq. Le décale 
encore cet adversaire qui contredit ce que nous 
et avec lequel nous avons à nous entendre si i 
voulons pas être livrés au juge pour l'éterne 
ment. Matth., v, 25, col. 76 sq. Les sermons < 
tiques où Augustin développe cet enseignement 
décalogue sont principalement les sermons > 
XXXIII et cix, P. L., t. xxxvni, col. 67 sq., 
207 sq., 636 sq. Quelques années plus tard, à 
dirige encore l'enseignement de la catéchcst 
les erreurs pélagiennes sur le décalogue. A 
contre, il insiste sur ce que la connaissance 
ceptes divins, loin de suffire au salut, est se 
une préparation à la grâce et que leur accompli 
ne peut être réalisé que par cette grâce. Serni., 
ccxLix, CCL, ccLi, col. 1158 sq. Cf. P. Rentscl 
Dekalogkatechese des heil.Augustinus, KempI 

3« Du v« au ix« siècle, l'enseignement d*Augus 
décalogue est reproduit par les Pères et les thé 
notamment par Isidore de Séville, Quœstiones 
Testamenltim, In Exodum, c. xxix, P, L., t 
col. 301 sq., et par l'auteur du De psalniot 
exegesis, ouvrage rangé parmi les œuvres de sï 
P. L., t. xciii, col. 481 sq. Mais nous ne poss 
cun document catéchétique de cette époque 
quelque attestation d'instruction spéciale sui 
logue. On sait d'ailleurs que la catéchèse c 
bien réduite, en dehors des pays de mission c 
vaillait à la conversion des païens, et que l'éc 
catéchèses de mission n'est point parvenu jus 

4® A partir du ix« siècle, les dix commî 
prennent place en divers endroits dans le p 
du catéchisme destiné à l'instruction des en 
celle des fidèles. Un décalogue anglo-saxon si 
face aux Leges du roi Alfred, qui monta si 
en 871. J. Schilter, Thesaw^us antiquitatu: 



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173 



DÉCALOGUE 



174 



cai'um, in-fol., Ulm,1728, l. i, appendice iMonumenta 
catechetica, p. 76-77. J.-G. Eccard, Incerli nionachi 
Weissenburgensis catechesis theotisca, Hanovre, 1713, 
p. 201-202, a publié une version saxonne 1res ancienne 
du décalogue, dans laquelle les commandements ne 
sont pas numérotés. Voir l. ii, col. 1898. L'influence de 
saint Augustin sur rinlerprêtation catéchélique du dé- 
calogue se fait sentir jusqu'au milieu du xii« siècle. 

5« Au XIII* siècle, l'enseignement du décalogue est 
partout introduit dans l'enseignement catéchétique, et 
garde désormais sans conteste cette importante posi- 
tion. Voir t. Il, col. 1899 sq. 

C'est au XV* siècle qu'on prit l'habitude d'exprimer 
les préceptes du décalogue en formules faciles à rete- 
nir et bientôt en bouts- rimes. Dans 1'^ B C des simples 
gens, Gerson avait réduit les dix commandements de la 
loi à ces phrases courtes et bien frappées : 

Tu n'adoreras non les ydoles ni plusieurs dieux. 

Tu ne prenras point lo nom de Dieu en vain. 

Tu garderas les dimanches et fêles commandées. 

Tu honoreras ton père et ta môre. 

Tu ne seras point meurtrier. 

Tu ne seras point luxurieux. 

Tu ne seras point larron. 

Tu ne porteras point faux témoignage. 

Tu ne désireras point la femme d'autruy. 

Tu ne convoiteras point les biens d'aub-uy. 

Ms. 066 delà Bibliothèque Mazarine, fol. 130 recto. 

M. Hezard, Histoire du catéchisme, Paris, 1900, 
p. 450-i5^1, a publié des tercets sur chaque commande- 
ment de Dieu, qu'il a extraits de VJnstruction desctirez, 
éditée à Bordeaux en 1601. Des bouts-rimés, semblables 
à ceux que nous récitons encore, se trouvent dans le 
Li6er Jesu Christi pro simplicibiis, si souvent repro- 
duit (voir t. II, col. 19(B), notamment dans le Compost 
et Kalendtner des bergiers (voir ibid., col. 1904). Voici 
une de ces formules, dont le texte présente presque 
toujours quelques variantes : 

Ung seul Dieu tu adoreras, 
et aymeras parfaitement. 
Dieu en vain ne jureras, 
nautr^ chose pareillement. 
Les dimanches tu garderas, 
en servant Dieu dévotement. 
Père et mère honoreras, 
affm que vives longuement. 
Homicide point ne feras, 
de fait ne voluntairement. 
Lavoir daultruy tu nembleras, 
ne retiendras à escient. 
Luxurieux point ne seras, 
<le fait ne de consentement. 
Faulx témoignage ne diras, 
ne mentiras aucunement. 
Lœuvre de chair ne désireras, 
<^>ue en mariage seulement. 
Bien daultruy ne convoiteras, 
ï*our le garder injustement. 

yanuale seu ititructorium curaloïntm, Lyon, 13 fé- 
vrier 1505, fol. Lxxxiii (reproduisant le texte du Liber 
Jesu Christi). 

Cai. Acbelis, Der Dekalog als katechetisches Lehrbuch, Gies- 
«eo. 1905; Goal, Geschichte der Katechese im Abendlande vom 
Yerfalte des Katechumenats bis zum Ende des Mittelalters, 
Kempten, 1880; J. Geflfcken, Der Bildercatechismus des 
15 Jahrkunderta und die catechetischen Haupstùcke in dte- 
ser Zeit bis auf Luther, Leipzig, 1855, t. i (exclusivement sur 
tee commandements de Dieu). 

V. Différences entre le décalogue mosaïque ou 

CHRÉTIEN ET LES CODES MORAUX NON CHRÉTIENS. — Parmi 

les codes moraux des religions non chrétiennes et des 
systèmes philosophiques qui ignorent le décalogue, 
nous considérerons principalement celui du boud- 
dhisme regardé conrnne la religion la moins défec- 
tueuse dans ses prescriptions morales, et le code mo- 



ral du stoïcisme, le moins répréhensible parmi les 
systèmes moraux du philosophisme antique. Nous nous 
bornerons à établir le contraste entre ces codes mo- 
raux et le décalogue au double point de vue de Tauto- 
rité morale et de l'influence sur le bien matériel des 
individus et des sociétés. 

l" AutoHté morale. — i. Le décalogue, avec les prin- 
cipes moraux qu'il suppose et les conclusions qu'il 
contient virtuellement, présente un code moral bien 
défini et bien complet, renfermant tous les devoirs de 
l'homme dans l'ordre naturel et contenant en germe 
toutes les obligations surnaturelles, dès lors que la ré- 
vélation surnaturelle est manifestée. Il se présente avec 
le rayonnement d'une autorité divine clairement dé- 
montrée qui lui assure sur les consciences individuelles 
et sur la conscience publique une efficacité souveraine, 
aidée d'ailleurs par la double sanction éternelle atta- 
chée par le divin législateur à l'observance ou à la vio- 
lation de cette loi. 

2. Le système moral bouddhique, ne contenant aucune 
affirmation doctrinale sur Dieu et faisant abstraction 
de toute idée dogmatique ou métaphysique, ne possède 
aucune base doctrinale sur laquelle il puisse asseoir 
son autorité morale. Tout se résume finalement dans 
l'amour de soi avec l'exclusive préoccupation d'aboutir 
au nirvana théoriquement représenté par les docu- 
ments les plus authentiques comme la complète ces- 
sation de toute douleur. Il ne peut non plus y avoir 
aucune sanction efficace, le nirvana avec son carac- 
tère purement négatif et son implicite négation de 
toute survivance de l'âme ne pouvant répondre à l'idée 
d'une sanction morale. D'ailleurs, des dix commande- 
ments de la Dhamma ou loi bouddhique, cinq concer- 
nent exclusivement les moines, l'interdiction des re- 
pas aux heures non réglementaires, la participation 
aux plaisirs mondains, la parure et les parfums, les lits 
moelleux et la réception de l'argent, et les cinq autres, 
ne tuer aucun être vivant, ne pas voler, ne pas com- 
mettre d'adultère, ne pas mentir, ne pas boire de 
boissons enivrantes, sont plutôt recommandés qu'im- 
posés aux laïques. En réalité, toute la vertu du laïque se 
mesure exclusivement à sa libéralité envers les moines, 
comme tout son espoir est de se rendre apte à être 
moine dans une métempsycose prochaine pour abou- 
tir ainsi finalement au nirvana. Oldenberg, Buddha, 
sein Leben, seine Lehre, seine Gemeinde, 3« édit., 
Berlin, 1897, p. 333 sq., 436 sq.; Chantepie de la Saus- 
saye. Manuel d'histoire des 7'eligions, trad. Hubert et 
Lévy, Paris, 1904, p. 387 sq., 395 sq. ; de Broglie, Pro- 
blèmes et conclusions de V histoire des religions, 
2« édit., Paris, 1886, p. 175 sq. ; Aiken, The Dhamma 
of Gotama the Buddha, Boston, 1900. p. 313 sq. 

3. Le code moral du stoïcisme, malgré son appa- 
rence ascétique, est dépourvu d'autorité. C'est une con- 
struction artificielle de la raison, manquant d'autorité 
législative et de sanction par l'exclusion de Dieu, con- 
séquence nécessaire du panthéisme stoïcien. D'ailleurs, 
le code stoïcien n'a pu se défendre de nombreuses et 
graves erreurs parmi lesquelles le suicide, et il n'a 
jamais exercé une réelle influence morale sur les in- 
dividus ou sur les sociétés, en dehors d'un cercle philo- 
sophique très restreint. Chollet, La morale stoïcienne, 
Paris, 1898, p. 73 sq., 94 sq.; Gaston Boissier, La reli- 
gion romaine d'Auguste aux Antonins, Paris, 1892, 
t. Il, p. 36 sq. 

2® Influence sur le bien matériel des individus et 
des sociétés. — 1. Pour le décalogue, cette salutaire 
influence est démontrée par l'observation constante des 
faits individuels et sociaux. C'est la conclusion de Le 
Play, déduite d'une rigoureuse investigation, que les 
populations qui respectent le mieux les commandements 
du décalogue sont précisément celles qui jouissent au 
plus haut degré du bien-être, de la stabilité et de 



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175 



DÉCALOGUE — DECHAMPS 



1' 



l'harmonie. L'organisation du travail selon la cou- 
tunie des ateliers et la loi du décalogue, 3« édit., Tours, 
1871, p. 16; La réforme sociale en France déduite de 
Vohservaliûn comparée des peuples européens, b^ édit., 
Paris, 1874, t. m, p. 291. C'est, d'ailleurs, une vérité 
souvent démontrée par les apologistes chrétiens que 
le décalogue aide au bien matériel des individus et des 
sociétés en maintenant inviolablement les véritables 
droits de l'homme et en favorisant Téclosion des vertus 
morales qui, au témoignage de saint Thomas, De regi- 
mine principum, 1. I, c. xv, sont l'élément principal 
du bonheur matériel individuel et social. Cardinal Pie, 
Lettre synodale portant promulgation du décret du 
concile provincial tenu à Poitiers en janvier 1868, 
Œuvres, Paris, 1876, t. vi, p. 351 sq.; Mo»" Dupanloup, 
Lettre pastorale du 20 octobre i873. 

2. Les codes moraux du bouddhisme et du stoïcisme 
n'ont point exercé cette salutaire influence, soit parce 
qu'ils n'ont pu aider à Téclosion des vertus morales 
sans lesquelles il ne peut y avoir de vrai bonheur indi- 
viduel ou social, soit parce qu'ils n'ont eu à peu près 
aucune prise sur la grande masse de la population là 
où ils ont été en vogue. Il est, d'ailleurs, bien avéré 
que les principes mêmes du bouddhisme, en détournant 
de tout travail les moines et même les laïques, de- 
vaient, dans la mesure où on les appliquait effective- 
ment, nuire à la civilisation matérielle. De Broglie, 
op. cit., p. 200; Hardy, Der Buddhismus nach àlteren 
Pdli'Werken, Munster, 1890, p. 139 sq. ; Âiken, op. cit., 
p. 317 sq. 

S. Théophite d'Antioche, Ad Autolycum, l. II, n. 35, P. G., 
t. VI, col. 1108 ; S. Irénée, Cont. hœr., I. IV, c. ii, n. 6; c. xii, 
n. 3 sq. ; c. xui et xvi, P. G., t. vu, col. 978, 1005 sq., 1018; 
TertuUien, Adversus Marcionem, 1. II, c. xvii; Adversité Ju- 
dœos, c. II, P. L., t. II, col. 305, 599 sq. ; Clément d'Alexandrie, 
Strom., VI, c. xvi, P. G., t. ix, col. 361 sq.; Origène, In 
Exodum, homil. viii, n. 2, P. G., t. xii, col. 351; pseudo- 
Athanase, Synopsis Scripturœ sacrœ, P. G., t. xxviii,col.297; 
S. Grégoire de Nazianze dans son poème tbéologique sur le dé- 
calogue, P. G., t. xxxvii, col. 476 sq. ; S. Ambroise, /n P«. lai, 
n. 33, P. L., t. XVI, col. 1180; Ambrosiaster, Comment, in Epi- 
stolas S. Pauli, In Eph., vi, 2, P. L., t. xvii, col. 399 ; S. Au- 
gustin, Quœstiones in Heptateuchum, 1. II, c. lxxi, P. L., 
t. xxxiv, col. 620 sq. ; Serm., viii, ix, xxxiii, cix, ccxLviii, 
ccxLix-ccLl, P. L., t. xxxviii, col. 67 sq., 75 sq., 207 sq., 
636 sq., 1158 sq. ; Enarratlo in Ps. lvu, n. 1 ; /n Ps. lxi, n. 33sq., 
P. L., t. XXXVI, col. 673 sq., 1180 ; Contra Faustum mani- 
chaeum, l. XV, c. iv sq. ; 1. XIX, c. xviii sq., P. L., t. xui, 
col. 306 sq., 359 sq.; De spiritu et litteî'a, c. xiv sq., P. L., 
t. XLiv, col. 215 sq.; Contra duas epistolas pelagianorum, 
I. IIÎ, c. IV, col. 954; S. Jérôme. Commentaria in Epist. ad 
Eph., 1. III, c. VI, P. L., t. XXVI, col. 537; S. Léon le Grand, 
Serm., xvii, n. 1; xx, c. i; lxiii, c. v; xcii, c. i, P. L.,i. uv, 
col. 180,188 sq., 356, 453; S. Grégoire le Grand, Homiliœ in 
Ezechielem, l. II, homil. iv, n. 9, P. L., t. lxxvi, col. 979; 
S. Isidore de Séville, Quœstiones in Vêtus Testamentum, In 
Exodum, c. XXIX, P. L., t. lxxxiii, col. 301 sq.; pseudo-Béde, 
De psalmorum libro exegesis, P. L., t. xciu, col. 431 sq.; 
Alcuin, De decem verbis legis seu brevis expositio decalogi, 
P. L., t. c, col. 567 sq. ; S. Pierre Damien, Opusc, xliv, De 
decem Mgypti plagie atque decalogo, P. L., t. cxlv, 
col. 685 sq. ; Hugues de Saint- Victor, Instituliones in decalogum 
legis dominicœ, P. L., t. clxxvi, col. 9sq.; De sacramentis, 
1. II, part. XII, c. V, col. 352 ; Pierre Lombard, Sent., 1. Ill' 
dist. XXXVII, P. L., t. xcii, col. 831 sq. ; Alexandre de Halès, 
Summa theologise, part. III, q. xxix, Cologne, 1622, t m, 
p. 197 sq. ; S. Thomas, Sum. theoL, I« II", q. c ; S. Bonaventure, 
/n iVScnf.,1. III, dist. XXXVII. Quaracchi, 1887, t. ili,p.812sq.; 
Duns Scot,/n IV Sent., 1. IIÎ, dist. XXXVII, Venise, 1680, t. m. 
p. 336 sq.; Richard de Middlelown, In IV Sent,, 1. ni, 
dist. XXXVII, Brescia, 1591. t. m, p. 441 sq. ; Denys le char- 
treux, In IV Sent., L lU, dist. XXXVII, q. ii, Venise, 1584, 
t. m, p. 308 sq. ; Cajetan, In /•■ //-, q. c; Dominique Soto, De 
justitia et jure, 1. III, q. m, Venise, 1589, p. 100 sq. ; Azpicuelta, 
Enchiridion sive manuale confessariorum et pamitentium, 
CXI, n. 2 sq., Rome, 1590, p. 82 sq.; Estius, In IV Sent., 
1. m, dist. XXXVn, p. m, Venise, -1748, t. iv, p. 216 sq.; Sua- 
rez, De legibus, 1. II, c.xv, n. 16 sq.; Sylvius, In I" II', q. c, 



Anvers. 1714, t ii,p. 586 sq. ; Gonet, In P- //", tr. Vl.disp.^ 
a. 1, Anvers. 1744, t. m, p. 517; Salmanticenses, Curèus th 
logim moralis, tr. XXI, c. i, n. 14; Gotti, In /•■ //*, tr. 
q. m, dub. v, Venise, 1750, t. ii, p. 242; Miiller, Tlieologiai 
ralis, 7' édit., Vienne, 189i, t. i, p. 162 sq. ; Bouquillon, Thec 
gia moralis fuudamentalis, 3' édit., Bruges, 1903, p. 260 i 
Paul Rentschka, Die Dekalogkatechese des heiligen Augu 
nus, Kempten, 1905; Kirchenlexikon, 2* édit., Leipzig, li 
t. III, col. 1423-1430. 

E. DUBUNCHY. 

1. DECHAMPS ou AGARD DE CHAM 
Etienne, né à Bourges, le 9 septembre 1613, ei 
dans la Compagnie de Jésus à Paris en 1630; prof( 
la rhétorique à Caen, la philosophie et la théoU 
à Paris; il remplit les principales charges de son or 
en France ; confesseur du grand Condé dans les d 
dernières années de sa vie, il aida le héros à moi 
en chrétien (1686); lui-même mourut à La Flèche 
31 juillet 1701. Le P. Dechamps fut un des premiei 
des plus vigoureux adversaires du jansénisme, 
coup d'essai, déjà très remarqué, fut Defensio cens 
sacrœ facultatis Pansiensis latœ xx viijunii anni m. 
seu disputatio theologica de libero arhitino, 
evincitur mérita ah sacra facullate hsRreseos il 
natam esse propositionem hanc : Libéria^ et neces. 
eidem conveniunl respeclu ejusdem, et sola viole 
répugnât libei*lati hominis naturali. Auctore An) 
Ricardo theologo, in-8o, Paris, 1645. La censure 
il s'agit dans cet ouvrage venait. d'être tirée de Vi 
par le P. Petau et critiquée par un janséniste anon 
Le P. Dechamps la défendit en combattant surtc 
théorie de Jansénius sur le libre arbitre, de laq 
dérivent ses erreurs. Cet ouvrage avait déjà eu 
éditions à Paris et avait été reproduit en Belg 
quand Libert Fromond, un des deux éditeur 
VAugustinus, essaya de le réfuter, sous le pseudo 
de Vincentius Lenis. Les deux réponses que lui 
P. Dechamps se retrouvent, avec d'autres addi 
dans la 5« édition de sa Disputatio theologica de i 
arbitrio, Cologne, 1650. En même temps, pour 
battre plus efficacement la propagande de la se< 
P. Dechamps donnait en français un abrégé de ce 
sous le titre : Le secret du jansénisme descouv 
refuté par un docteur catholique, in- 12, Paris ; 2« 
1651; 3« édit., avec des réflexions sur la respon 
jansénistes, 1653. Enfin les cinq propositions ex 
de VAugustinus, dénoncées au saint-siège par 1< 
ques français, ayant été condamnées, après det 
d'examen, par le pape Innocent X, le 31 mai 1 
P. Dechamps publia presque aussitôt le grand o 
qu'il préparait depuis longtemps pour justifier 1 
tence prévue : De haeresi janseniana, ab apo 
sede merito proscripta, libri très. Opus an te 
novem sub Antonii Ricardi nomine inchoatuni, 
Paris, 1654, avec dédicace à Innocent X. L'aute 
sente avec raison cette publication comme la s 
son traité théologique sur le libre arbitre. C 
avait fait en 1645 pour la doctrine de Jansénius 
liberté, résumée dans la 3« des 5 proposition 
faisait maintenant, suivant la même méthode, j 
cinq erreurs condamnées, montrant que Janséi 
avait puisées chez les hérétiques et les ré fut 
l'autorité de toute la tradition catholique, en ] 
lier par l'enseignement de saint Augustin, 
nouvelle hérésie cherchait à se couvrir. Après 
de l'auteur, le P. Etienne Souciet en donna ui 
velle édition, corrigée et augmentée d'après le 
crit autographe du P. Dechamps, in-fol., Pari 
Les Provinciales devaient aussi mettre en mou v« 
plume de ce savant controversiste. Pascal et se 
tateur Wendrock-Nicole représentent constam 
probabilisme, qu'ils accusent, d'ailleurs injustei 
tant de méfaits, comme une doctrine propre aux 
à peu près exclusivement; c'est à cette fauss 



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DECHAMPS 



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s'attaque le P. Dechamps dans : QuœsUo facti, Utrum 
tkeologorttm SocietatU Jesu propriœ sint istse senten- 
tim duœ : Prima, ex duabus opinionibus probabilibiis 
fiowtmus sequi minus tulam, secunda, ex duabus 
ojnnionibtis pt'obabilibus licitum est amplecti minus 
probabileni, in-4*, Paris, 1659. Il répond à la question 
en nommant plus de 90 auteurs graves, évêques, docteurs 
de Paris, thomistes, religieui de divers ordres, qui ont 
professé le pirobabilisme, et plusieurs Tayant fait avant 
qu'il existât des jésuites ; il montre encore que ceux-ci 
ont contribué le plus à fixer les conditions du proba- 
bilisme légitime, et que quelques-uns d'entre eux ont 
même combattu le système. Dans la 4* édition de sa tra- 
duction latine annotée des Provinciales, in-8», Cologne, 
1665, p. 547-573, Nicole a inséré une réplique, intitulée : 
Appendix prima ad dissertaiioneni de probabilitate 
adversus libellum Slephani Des-Champs, jesuitss, in 
Claromontano Patnsiensi collegio primarii theologim 
professoris. Le P. Dechamps fut ramené à la polémique 
contre le jansénisme par le fameux P. Quesnel. Celui- 
ci avait publié, sous le pseudonyme Germain, Tradi- 
tion de VÉglise romaine sur la prédestination des 
s(ûnts et sur la grâce efficace, 2 in-12, Cologne, 1687, 
en s'eûbrçant de trouver au jansénisme un appui dans 
la tradition catholique. Le P. Dechamps y opposa : 
Tradition de VÉglise catholique et de la fausse Église 
des hérétiques du dernier siècle sur la doctrine de 
Jansénius, touchant le libre arbitre et la grâce, in-8«, 
Paris, 16SS : c'est le Secret du jansénisme, revu et 
augmenté. Alors Germain-Quesnel ajouta un 3« volume 
à sa Tr<idiiion pour réfuter la Tradition du P. De- 
champs, qa'il prétend « convaincre d'ignorance, de 
fanssetez et de calomnies >, Cologne, 1690. Quesnel 
avait déjà traité de calomnie le Secret du jansénisme 
dans son Apologie historique de deux censures de 
Louoain et de Douai sur la matièi^e de la grâce, publiée 
sous le pseudonyme de Géry, in-12, Cologne, 1688; le 
P. Dechamps lui répondit par quelques pages intitulées : 
Défense du secret du jansénisme contre Vescrit de 
M. Géry, in-i2, Paris, 1690; réédité avec la Tradition 
de VÉglise catholique, in-S», Lyon, 1711. En 1664, le 
P. Dechamps avait eu à soutenir une correspondance 
sur les questions de la grâce et de la liberté avec le 
prince de Conti, frère du grand Condé. Ce prince, 
destiné d'abord à l'état ecclésiastique, avait suivi les 
cours de théologie du collège des jésuites, dit collège 
de Clermont, à Paris; il avait même soutenu en Sor- 
bonne des thèses sur la grâce, que le P. Dechamps 
Tavait aidé à préparer. Il parait que plus tard il eut 
des difHcultés contre la doctrine moliniste qu'on lui 
avait enseignée et qu'il avait défendue; il les proposa 
donc à son ancien répétiteur, dans neuf lettres aux- 
quelles ce dernier répondit. Vingt-sept ans après, le 
prince étant mort, cette correspondance, tombée aux 
mains des jansénistes, fut publiée par le P. Quesnel 
sous le titre : Lettres du prince de Conti ou Vaccord 
du libre arbitre avec la grâce de Jésus-Chinst enseigné 
par son Alt. Sérénissime au P. De Champs, jésuite, 
ci-dev€uit premier professeur en théologie, recteur 
du collège de Paris, trois fois provincial et mainte' 
nant supérieur de la maison professe, avec plusieurs 
autres pièces sur la même matière, in-12, Cologne, 
1689. Le P. Souciet, éditeur du De hœresi janseniana, 
assure que ces lettres ne se sont pas retrouvées dans 
les papiers laissés par le P. Dechamps et tient pour 
vraisemblable que les objections du prince ont été fort 
retouchées par l'éditeur janséniste. 

Mémoires de Trévoux, février 1702, p. 168 ; Et. Souciet, De 
rita, morte et operibus R. P. Stephani de Champs^ en tète de 
rédittoQ de De hœresi janseniana, 1728. fol. A:-( 1 ; De Backer- 
Sommervogel, Bibliothèque de la O' de Jésus, t. ii, col. 1863- 
1W9; Hurter, NoTnenclator, L n, col. 746-751 ; Histoire gêné- 
*^àe du jansénisme par M. Vabhé *" [dom 6erï>eroD. janséniste], 



5 ln-12, Amsterdam, 1701. t. i, p. 295, 339, 415, 442; t. n, 
p. 272, 323; t. ni, p. 131, 345, 504, etc. ; Moréri, 1759, t. m, p. 456. 

Jos. Brucker. 

2. DECHAMPS Victor-Auguste-lsidore, arche- 
vêque de Malines et cardinal. — l. Vie. II. Œuvres. 
IIL Doctrine. 

L Vie. — Né le 6 décembre 1810 à Melle, près de 
Gand, d'Adrien-Joseph Dechamps et d'Alexandrine de 
Nuit, élève d'abord du collège que dirigeait son père, 
puis fixé avec lui au château de Scailmont dans le 
Hainaut, il étudia le droit â Bruxelles, et, de concert 
avec son frère Adolphe, le futur ministre d'État, débuta 
en 1830 dans le journalisme catholique. En octobre 
1832, Victor Dechamps entra au grand séminaire de 
Tournai, suivit à Malines des cours supérieurs de théo- 
logie, et, le 4 novembre 1834, fut ordonné prêtre par le 
cardinal Sterckx. Le 21 août 1835, il était admis au 
noviciat des rédemptoristes, à Saint-Trond. Il y fit sa 
profession religieuse le 13 juin 1830; fut chargé du 
cours d'Écriture sainte et de la préfecture des étudiants 
au scolasticat de Wittem dans le Limbourg hollandais 
(1836-1840); fut tour à tour recteur de la maison de 
Liège (1842), de celle de Tournai (1849), et enfin, pro- 
vincial des neuf couvents de sa congrégation qui for- 
maient la province de Belgique (1851). En même temps, 
tout entier à sa vocation d'apôtre, il prêchait en Bel- 
gique et ailleurs des sermons qui lui valurent une juste 
célébrité. En octobre 1850, il prononça à Sainte-Gudule 
de Bruxelles l'oraison funèbre de la première reine 
des Belges, Louise d'Orléans, dont les enfants étaient 
confiés à sa direction. Parmi les convertis de sa parole, 
nommons le général de Lamoricière. Apôtre, le P. De- 
champs était aussi un apologiste, et il publia divers 
ouvrages que nous nous bornons à nommer, et que 
nous apprécierons plus loin : Le libre examen de la 
venté de la foi. Entreliens sur la démonstration catho- 
lique de la vérité chrétienne (1857); La divinité de Jé- 
sus-Christ, ou Le Christ et les antechrists dans les 
Écritures, V histoire et la conscience (1858) ; La ques- 
tion religieuse résolue par les faits, ou de la certitude 
en matière de religion (1860); Lettres théologiques 
sur la démonstration de la foi (1861). 

Le P. Dechamps avait pu décliner, en 1852, l'offre de 
l'évêché de Liège; et, en 1865, celle du rectorat de 
l'université catholique de Louvain. Au mois de septem- 
bre de cette année, il fut désigné par Pie IX pour le 
siège de Namur, d'où il fut transféré, en décembre 
1867, à l'archevêché de Malines. A Namur et à Malines, 
Mo»" Dechamps déploya un zèle infatigable pour la dé- 
fense des droits de l'Église menacés par le libéralisme 
sectaire, et pour le progrès de toutes les œuvres catho- 
liques. 

Au concile du Vatican (1869-1870), l'archevêque de 
Malines eut une situation prépondérante. A la congré- 
gation générale du 14 décembre 1869, il avait été élu, 
le treizième, membre de la députalion de fide chargée 
de recevoir les scliemata proposés au concile ; quelques 
jours plus lard, il fut nommé par Pie IX membre de 
la congrégation qui devait étudier les postulata et 
éclairer le pape à leur sujet. Le 8 janvier 1870, il parla 
sur la constitution Dei Filius que l'on préparait; son 
discours, non plus que les autres, n'a pas encore été 
publié. Dans la séance du 11 janvier, Ms»- Dechamps 
fut désigné par le cardinal Bilio, avecM»' Pie et l'évêque 
de Paderborn, Mflr Martin, pour élaborer un nouveau 
schéma ; mais l'archevêque de Malines et l'évêque de 
Poitiers s'en remirent pour ce travail aux soins de 
l'évêque de Paderborn. On en a fait la remarque, la 
constitution Dei Filius, promulguée 10*24 avril 1870, a 
consacré l'idée maîtresse de l'apologétique de Ms"" De- 
champs : le grand fait de l'Église, toujours subsistant, 
est un perpétuel et puissant motif de crédibilité. 

L'archevêque de Malines prit aussi une part impor- 



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DECHAMPS 



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tante à la rédaction de la constitution Pastor œtomus. 
Persuadé que la doctrine gallicane, formulée après le 
concile de Trente dans la déclaration de 1682, ne pour- 
rait échapper à l'examen et à la censure du concile 
du Vatican, il était intervenu dans les controverses 
soulevées par l'annonce et par les premiers actes 
de l'assemblée œcuménique. Il avait publié un opuscule : 
L'infaiUibililé et le concile général, étude de science 
religieuse à Vusage des gens du monde, juin 1869, qui 
lui valut une lettre laudalive de Pie IX et qui fut tra- 
duite en allemand par Heinrich. Le 8 juillet 1869, il 
avait écrit à un laïque pour démontrer l'opportunité 
de la définition dogmatique de rinfaillibilité pontificale. 
Il répondit aux Obse)*valions de Me Dupanloup, à l'ou- 
vrage de Mor Maret, Du concile œcuménique et de la 
paix religieuse, et aux quatre lettres du P. Gratn-, 
Md^l'évêque d'Orléans et k^^ V archevêque de Malines, 
Paris, 1870. La discussion du schéma de l'infaillibilité 
se poursuivit, dans trente-sept congrégations, du 13 mai 
au 16 juillet 1870. Dans celle du 17 mai,Mfl'^ Dechamps, 
au nom de la députation de fide, dont il était membre, 
répondit aux difficultés alléguées par les orateurs de 
l'opposition. 

De retour de Rome, l'archevêque de Malines, tou- 
jours attentif aux périls et aux souffrances de l'Église, 
signa le premier une lettre adressée par l'épiscopat 
belge aux évéques allemands victimes des persécutions 
du Knlturkampf (octobre 1872) ; dans une lettre d'octo- 
bre 1873, il porta jusqu'à l'empereur Guillaume d'élo- 
quentes réclamations. Devenu, en mars 1875, cardinal 
du titre de Saint-Bernard-aux-Thermes, il entra, en 
février 1878, au conclave qui suivit la mort de Pie IX, 
et ce fut lui qui, comme vérificateur du scrutin, an- 
nonça à ses collègues l'élection de Léon XIII. Les 
dernières années du cardinal furent en grande partie 
occupées par des controverses et par des explications 
sur la question du libéralisme. Trois lettres à un pu- 
bliciste, qui lui méritèrent les éloges du souverain 
pontife; et par des luttes sans trêve contre la législation 
scolaire de 1879, laquelle, méconnaissant la foi du peu- 
ple belge et l'esprit même de la constitution, tendait à 
déchristianiser l'enfance. D'autres soucis lui vinrent 
des accusations injustes et des révélations indiscrètes 
du monomane évêque de Tournai, Ms"" Dumont, que 
Léon 'XIII fut contraint de déposer (1880). Parmi des 
travaux ininterrompus, ses forces déclinaient, et le 
28 septembre 1883, le cardinal expira saintement à 
Malines, dans la soixante-treizième année de son âge. 
II. Œuvres. — Le P. Dechamps a beaucoup écrit; 
ses Œuvres complètes ont été publiées en 17 volumes 
à Malines. Les t. i, iv, vu, xvi, contiennent les œuvres 
apologétiques : Entretiens sur la démonstration catho- 
lique de la vérité chrétienne, traduits en allemand par 
Heinrich; La divinité de Jésus-ChHst; La question 
religieuse résolue par les faits ; Lettres- philosophiques 
et théologiques ; Pie IX et les erreurs de son temps. 
Aux t. v et viii appartiennent des œuvres et des opus- 
cules de piété ou de zèle : La nouvelle Eve, -Saint Vin- 
cent de Paul et la plus grande de ses œuvres: Aver- 
tissement aux familles chrétiennes, etc. Les Œuvres 
oratoires et pastorales remplissent les t. x-xiv. Le 
cardinal était persuadé que ses Instructions pastorales 
feraient encore du bien après sa mort; aussi, aux der- 
niers jours de sa vie, en dressa-t-il une liste détaillée 
d'après les matières. Les opuscules, contenus dans les 
t. VI, IX, XV, concernent la doctrine de l'infaillibilité 
pontificale, visent le libéralisme et la franc-maçonnerie. 
Le t. XVII contient des lettres diverses. Une partie des 
Œuvres oratoires du P. Dechamps avait paru dans les 
Orateurs sacrés de Migne, Paris, 1856, t. lxxxvi, 
col. 667-754. La brochure : L'infaillibilité et le concile 
général^ est reproduite par Mo»- Cecconi, Storia del 
concilio ecumenico Vaticano, Rome, 1878, part. I, t. ii. 



p. 743-847, et la lettre à un laïque. Jbid., p. 849-854. 
m. Doctrine. — Le P. Dechamps. penseur, ascète, 
orateur, n'était pas un érudit, et son biographe, le 
P. Saintrin, en convient sans peine. Il allègue, à l'ap- 
pui de sa thèse, saint Augustin, saint François de 
Sales, Bossuet, Pascal, Fénelon ; il cite souvent deux 
théologiens, Dens qu'il avait étudié au séminaire, Lie- 
berroann qu'il expliqua plus lard à ses scolastiques; il 
invoque la haute autorité de saint Thomas ; mais les 
auteurs qu'il parait posséder le mieux, c'est saint Al- 
phonse de Liguori et Joseph de Maistre. C'est sans 
doute le P. Dechamps que visait Charles de Rémusat, 
d'ailleurs très récusable, quand il écrivait : « Je pour- 
rais citer un auteur de l'esprit le plus élevé et le plus 
conciliant qui ne s'est pas aperçu, dans un ouvrage 
récent et distingué, qu'en prenant M. de Maistre pour 
un des grands philosophes de son parti, il semblait cher- 
cher la discorde éternelle et recommencer la guerre de 
principes. » Du traditionalisme, dans la Revue des 
dettx mondes, 15 mai 1857. 

Muni de ces ressources, dont il fit constamment un 
habile usage, et d'une pensée méditative affinée par 
l'expérience, le P. Dechamps a-t-il été en apologé- 
tique un novateur ? Certes, il ne songeait pas à l'être. 
« 11 suffit de lire les Entretiens, a-t-il écrit, pour être 
persuadé que, Dieu aidant, je ne serai jamais de ceux 
qui prétendent à Vinouï en théologie. » Troisième 
lettre théologique, p. 87. En un certain sens, il a ce- 
pendant été novateur, car il a rassemblé, précisé, coor- 
donné des éléments que lui fournissait la tradition la 
plus vénérable, et dont les manuels classiques n'étaient 
pas dépourvus. En quoi consiste donc l'apologétique du 
P. Dechamps? Elle se résume dans l'épigraphe des En- 
tretiens : « 11 n'y a que deux faits à vérifier, l'un en 
vous, l'autre hors de vous ; ils se recherchent pour s'em- 
brasser, et de tous les deux, le témoin c'est vous-même. » 
Le fait intérieur, c'est le besoin de l'âme qui appelle, sans 
pouvoir se la donner elle-même, une réponse au pro- 
blème de son origine et de sa destinée; le fait exté- 
rieur, c'est la réponse que, par l'organe de l'Église, 
Dieu donne à celte question. Ajoutons, et ce point est 
capital dans la thèse de l'apologiste, que l'Église est 
elle-même un motif de crédibilité qui a se distingue de 
tous les autres en ce sens qu'il est présent, vivant et 
parlant, par conséquent en ce qu'Use manifeste et s'ex- 
plique lui-même.-n Cinquième lettre théologique, p. 159. 
« Telle est, a écrit le prince Albert de Broglie, Coites- 
pondant du 25 avril 1857, la vive et ingénieuse dé- 
monstration du P. Dechamps. C'est son développe 
ment favori ; il y trouve le moyen de faire disparaître 
tous les livres, toutes les recherches, toutes les dis- 
putes, de tout réduire au contact direct de l'âme et de 
la vérité, » de la vérité transmise aux hommes par 
Vautorité divine enseignante, ajoute le P. Dechamps, 
qui cite ce passage. Deuxième lettre théologique, p. 12. 
Des critiques d'ordre divers ont été adressées à ce 
système. Du fait que l'âme humaine appelle, postule, 
si l'on veut, une réponse à la question de son origine 
et de sa destinée, peut-on rigoureusement conclure 
que Dieu la lui a donnée, et la lui a donnée sous la 
forme d'une révélation positive et d'une Église infail- 
lible? Le prétendre serait grave, a-t-on dit, car on 
ferait ainsi d'un don purement gratuit une exigence de 
notre nature. Sans le vouloir, ne renouvellerait-on pas 
une des thèses de Baius? Le P. Dechamps s'en est 
expliqué de manière à écarter tout soupçon d'hétéro- 
doxie. Il a reconnu hautement qu'une convenance, pro- 
venant de l'ordre établi par Dieu môme, ne constituera 
jamais une exigence; que, d'ailleurs, la première par- 
tie de sa thèse (l'existence du fait intérieur), purement 
préparatoire, fût-elle même contestée, n'infirme point 
la seconde (l'existence du fait extérieur). Le plus grave 
comme le plus modéré de ses critiques théologiens 



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181 



DECHAMPS 



DECISION 



182 



S est déclare satisfait, or Nous sommes d*accord, a dit 
le R. P. Matignon, sur deui points, à savoir : !<> que 
la correspondance, qui existe entre les aspirations na- 
turelles ou surnaturelles de Tâme humaine et les 
réponses divines que la religion leur apporte, ne con- 
stitue pas par elle-même une preuve absolue et invin- 
cible, mais bien une preuve de sentiment et une indi- 
cation providentielle de la vérité; 2» que la véritable 
démonstration chrétienne, la seule rigoureuse et absolue, 
est la démonstration objective, c'est-à-dire celle que 
fournit le grand fait extérieur que Dieu a mis sous 
nos yeux : Jésus-Christ, avec son caractère, sa doctrine, 
ses miracles, l'Église avec les conditions surnaturelles 
de son existence, de son établissement, de sa du- 
rée, etc. • Études religieuses, avril 1864, p. 127. 

Sur nn autre point encore, relevant moins stricte- 
ment de la théologie que de l'expérience, une critique, 
disons au moins une difficulté, a été posée au P. De- 
champs. Q Dans notre humble opinion, disait le 
prince Albert de Broglie, loc. cit., la preuve de la foi 
chrétienne que le nouvel apologiste nous développe 
avec une chaleur entraînante et contagieuse, est moins 
une démonstration proprement dite que la vive des- 
cription d'un fait. C'est la peinture historique de la 
manière dont, le plus souvent, sous l'influence de la 
grâce, une âme se convertit à la foi ; ce n'est pas préci- 
sément l'arme dont elle peut se servir pour fortifier 
en elle-même contre les désirs, les tentations, les 
objections, cette foi encore chancelante. C'est l'histoire 
de la conversion des âmes : ce n'est point proprement 
la preuve de la vérité. C'est ainsi qu'on prend pied à 
terre : ce n'est pas tout à fait ainsi qu'on peut y creu- 
ser un port et y élever des digues. » 

M. de Broglie n'a pas été le seul à exprimer de telles 
réserves. M. l'abbé Mallet, qui croit reconnaître et qui 
salue dans la méthode apologétique du P. Dechamps 
comme un premier essai de l'apologétique de ïimma- 
nence, a cependant écrit que * celte méthode ne sau- 
rait prétendre à être complète en soi et explicitement 
suffîsante ; elle ne vaut jamais, ajoute-t-il, que par un 
recours implicite aux préambules rationnels et aux 
fondements historiques de la foi catholique. » L'œuvre 
du cardinal Dechamps, dans les Annales de philoso- 
phie chrétienne, mars 1907, p. 575. Ces préambules 
rationnels, ces fondements historiques, le concile du 
Vatican les a aus?i indiqués, car outre qu'il revendique 
pour la raison le droit de se prouver l'existence et les 
attributs de Dieu, il rappelle ces faits divins, prophé- 
ties et miracles, qui sont des signes très certains de la 
ré\élation. Const. Dei Filius, c. ii, De fide. Le P. De- 
cliacnps n'a pas ignoré la valeur probante de ces mani- 
festations divines; mais son attrait, l'expérience des 
âmes, particulièrement l'expérience d'âmes revenues 
du protestantisme à la vraie foi, lui suggéraient l'em- 
ploi prédominant, j'ai presque dit exclusif, de l'argu- 
ment fourni par le grand fait de l'Église. Cependant, 
quelle que soit son excellence intrinsèque, cet argu- 
ment D*a pas sur toutes les âmes une égale efficacité. 
Certains esprits qu'inquiètent des difficultés critiques, 
exégétiques, historiques, s'engagent, pour les résoudre, 
dans une voie de laborieuses recherches. L'Église, qui 
recommande la route où s'est complu le P. Dechamps, 
ne décourage pas ces efforts; elle en espère même le 
succès, pourvu qu'ils soient conduits avec une sage 
méthode et une sincérité parfaite. 

Dechamps, Œuvres complètes; R. P. Henri Salntrin, Vie du 
cardinal Dechamps, Tournai, 1884; M" Van Weddlngen, lievue 
g^nérate de Bruxelles, t. xxxiv (1881); Léon Bossu, Notice sur 
le» Œuvres complètes du cardinal Dechamps, Louvain, 1879 ; 
Ami de la religion, art. des 11, 13, 20 février, 17 et 20 avril 
16S6. qui sont de Tabbé Cognât; Union du 8 juillet 1859; Le 
Christ et les Antechrists (art. d'A. Largent); Kirchenlexikon , 
t m, col. 14354437 ; Hurter, Nomenclator, t. m, col. 1197 ; 



Annales de philosophie chrétienne, octobre 1905, février, 
mars 1906, mars 1907 : L'œuvre du cardinal Dechamps (art. de 
M. Tabbé F. Mallet). 

A. Largent. 

DÉCHAUSSÉS. Dieu dit à Moïse : c Ote tes san- 
dales de tes pieds, » Exod., m, 5, et à Josué : « Ote ta 
chaussure de tes pieds. » Jos., v, 16. De même, Isaïe 
reçut l'ordre de Jéhovah de marcherdéchaussé. Is.,xx, 
2. Prenant ces textes pour un ordre général, quelques 
chrétiens bornés s'étaient mis à marcher toujours nu- 
pieds. Saint Augustin, sans nous dire d'où étaient ces 
chrétiens et sans ajouter d'autres détails, les traite 
d'hérétiques, non point parce qu'en agissant ainsi 
ils se mortifiaient, mais parce qu'ils entendaient de 
travers ces passages de l'Écriture. Hœr., lxviii, /*. L., 
t. XLii, col. 42. C'est entendre le mot hérésie dans un 
sens beaucoup trop large; il aurait suffi, semble-t-il, 
de ranger ces déchaussés parmi les simples d'esprit ou 
les originaux. 

G. Bareille. 

DÉCISION. Comme dans le langage ordinaire, ce 
mot peut être employé en droit canonique dans 
l'acception générique d'un acte par lequel une auto- 
rité quelconque (administrative, judiciaire, doctrinale) 
prend parti dans une affaire, après examen. C'est en 
ce sens qu'on parle des décisions des Congrégations 
romaines, d'un conseil épiscopal, etc. On pourrait qua- 
lifier de la même façon l'acte d'un confesseur refusant 
l'absolution. Quiconque a juridiction peut être amené 
à prendre ainsi des décisions au sens large. 

Mais l'expression présente à l'esprit du canoniste un 
sens plus précis et désigne dans la masse des actes de 
l'autorité ecclésiastique une catégorie très spéciale qui 
n'a son équivalent dans aucune législation civile. Le 
type en est la décision de la Rote, imitée ensuite par la 
Chambre apostolique et par la Signature de justice. 
En étudiant la première, nous aurons fixé le lecteur sur 
toutes les autres espèces. — L Ce qu'est une décision 
de la Rote. IL Utilité pratique de la décision. III. Ori- 
gine de cette procédure. IV. Recueils des décisions de 
la Rote. 

I. Ce qu'est une décision de la Rote. — On peut la 
définir : « Un acte extrajudiciaire formulant et moti- 
vant, avant sentence, l'avis du tribunal sur le point en 
litige. >) 

C'est un acte extrajudiciaire ; aussi le document où il 
est exprimé n'est-il pas rédigé par un notaire, mais par 
le juge rapporteur, par le ponent, auditeur de Rote à 
qui l'instruction de l'affaire avait été confiée, et qui, 
l'ayant rapportée devant le twmum (voir Rote), a 
recueilli les votes de ses collègues après discussion. En 
quittant l'audience, chacun des quatre auditeurs com- 
posant le twmum laisse par écrit son votum motivé, à 
l'auditeur ponent. Ce dernier est le mieux renseigné 
déjà, puisque : !<> il a été désigné dès le commencement 
par commission papale poursuivre l'affaire; 2'> il a fait 
ou fait faire toutes les enquêtes nécessaires; 3<> il a en- 
tendu contradictoi rement les parties ef rédigé avec elles 
le questionnaire (dubium) auquel doit répondre la sen- 
tence. C'est lui qui rédige la décision en se servant des 
notes laissées par ses collègues et des souvenirs qui lui 
sont restés de l'audience. La décision porte en tête le 
nom du ponent qui en est le rédacteur, puis le litre de 
la cause, et la date, par exemple : 

R. P. D. URSINO 

Romana Census 

Veneris, 23 februarii, 1685. 

Après un court préambule (que les collecteurs de 
décisions de la Rote font précéder d'un sommaire), le 
ponent indique l'objet du litige en reproduisant le du- 
bium que suit la réponse de la Rote, par simple affir- 
mation ou négation. Viennent ensuite les motifs de la 



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1«3 



DÉCISION 



184 



décision. Le ponent présente, dans un ordre métho- 
dique, tous les arguments de fait et de droit qui ont 
été invoqués par ses confrères aussi bien dans les vota 
opposés à la conclusion adoptée par la majorité que 
dans ceux qui lui sont conformes. Après chaque argu- 
ment en faveur de la thèse qui a triomphé, le ponent 
expose les exceptions invoquées par les adversaires et 
les raisons pour lesquelles la majorité ne s'y est pas 
arrêtée. 11 n'omet, autant que possible, aucun détail, 
en sorte que la physionomie complète des débats est 
reflétée par la partie du document qui vient après 
renoncé de la solution adoptée. Le compte-rendu des 
débats est suivi de formules assez variées, par exemple : 
Domini ex rationibus in supra scripta decisione fue- 
runt in voto, ou encore : Et ita utraque parte infor- 
mante oninibtisque Doniinis de ordine Sanctissinii 
suffragantibus decisum fuit... Et ita N, tantum infor- 
mante résolu tum fuit. 

Ce compte rendu de la discussion suit dans la rédac- 
tion de la décision la réponse de la Rote pour l'expli- 
quer, au lieu de la précéder pour la préparer comme 
le font les considérants des sentences de nos tribu- 
naux civils. C'est une première différence. II faut re- 
marquer aussi que le style des décisions de la Rote est 
plus varié; le ponent n'est pas embarrassé dans l'ex- 
pression de sa pensée par le cadre obligatoire des 
attendu que, 'considérant que, vu, etc. 11 peut faire 
des citations, donner des références aux auteurs et n'a 
d'autre souci que de résumer complètement les débats, 
de veiller à être clair et précis. 

Les décisions rendues ainsi par la Rote sont innom- 
brables, car il est d'usage, à ce tribunal, de faire pré- 
céder toute sentence, même celles que nous appelle- 
rions jugements préparatoires, jugements avant faire 
droit, de documents de ce genre. Reaucoup sont donc 
sans aucun intérêt, mais beaucoup aussi sont d'une très 
grande importance, soit à cause de la gravité deTafiaire 
traitée, soit à cause de la compétence du ponent qui l'a 
résumée et expliquée. Certaines décisions ont, à cause 
de leurs rédacteurs, une autorité incontestée. Les déci- 
sions coram Merlino ou coram Bicchio, c'est-à-dire ré- 
digées par Merlin ou Ricchio après des discussions 
auxquelles ils avaient assisté comme ponent», sont de ce 
nombre. 

Les Congrégations romaines ne donnant jamais les 
considérants de sentences, il se trouve que, maintenant 
encore, les décisions de la Rote constituent la source prin- 
cipale de renseignements sur la jurisprudence de la 
cour romaine. Et cependant il faut remarquer que la 
solution placée en tête de la décision n'est pas plus un 
jugement que la décision n'est un acte judiciaire. C'est 
ce qui donne à la décision de la Rote son caractère tout 
spécial et la distingue le plus profondément de tout 
autre document émanant des tribunaux civils ou ecclé- 
siastiques, anciens ou modernes. 

Il faut, pour terminer le procès, que la Rote inter- 
vienne à nouveau, mettant le ponent en demeure de 
transformer en sentence judiciaire la solution adoptée. 

II. Utilité pratique de la décision. — Si la sen- 
tence conforme n'intervient pas immédiatement après 
la rédaction de la décision, c'est que la procédure de la 
Rote prescrit de communiquer d'abord aux parties le 
document qui exprime si parfaitement l'opinion du tri- 
bunal sur leur affaire. Les intéressés, mis ainsi en pré- 
sence de l'avis motivé de leurs juges, peuvent éviter la 
sentence qui les menace, en terminant leur différend à 
l'amiable, ou demander que l'affiaire soit remise en dis- 
cussion, tel point de fait ou tel argument de droit ne 
leur paraissant pas avoir été mis suffisamment en 
lumière. Cette procédure spéciale permet donc au plai- 
deur imprudent d'éviter l'humiliation d'une condam- 
nation et aux juges le désagrément de porter trop hâti- 
vement un jugement qui pourrait être ensuite attaqué. 



S'il n'y a pas conciliation entre les intéressés, la 
partie victorieuse demande que la Rote émette le décret 
prescrivant au ponent de transformer la décision en 
sentence ; la partie menacée peut de son côté deman- 
der le benefîcium nov» audientiœ sous prétexte que les 
juges n'ont pas été suffisamment documentés. Les juges 
informés par le ponent des désirs des parties rendent 
un décret de nouvelle audience ou au contraire de trans- 
formation de la décision en sentence. 

III. Origine de cette procédure. — Le souci de 
concilier les plaideurs et de ne formuler une sentence 
souvent irréparable qu'après s'être entouré de toutes les 
sûretés et après avoir entendu les observations des 
parties explique la permanence de cette procédure 
longue et compliquée. Mais ce qui en explique l'ori- 
gine, c'est l'histoire même de la formation de la Rote. 

Les auditeurs du Sacré Palais ou de la Rote n'étaient 
au commencement que les rapporteurs des causes qui 
devaient être jugées en consistoire sous la présidence 
du pape; ils n'avaient donc à formuler que des décisions 
motivées des consultations, n'ayant pas le caractère de 
sentences judiciaires, ces dernières étaient réservées 
aux cardinaux et en dernière analyse au pape. N'étant 
pas juges, ils pouvaient fort bien communiquer aux 
intéressés, pour recevoir leurs observations et pour ame- 
ner une conciliation ou pour prévenir des malentendus, 
le document extrajudiciaire qu'ils avaient préparé dans 
le but d'éclairer la religion des juges. Les longueurs 
qui en résultaient n'étaient rien à côté des avantages 
qu'y trouvait la bonne administration de la justice. 

Mais un jour les auditeurs de la Rote devinrent juges. 
Ce fut devant ses collègues et non plus devant le con- 
sistoire que le ponent fit son rapport ; le nouveau tri- 
bunal garda la pratique qui lui avait paru équitable au 
temps où il n'était qu'une chambre de consultation, et 
il s'astreignit à communiquer sa décision comme par 
le passé, avant de remonter sur le siège pour jouer le 
rôle de juge par le prononcé de la sentence. 

Le procédé avait paru si équitable que le tribunal de 
la Chambre apostolique (tribunal de droit commun) et 
celui de la Signature de justice (cour de cassation et 
tribunal des conflits) avaient adopté sur ce point la pra- 
tique de la Rote. 

Aucune de ces trois sources de décisions n existe plus. 
La Rote ne se survit à elle-même que comme une 
chambre de consultation annexée à la S. C. des Rites 
pour les procès de béatification et de canonisation et 
ne s'occupe plus du contentieux qui a été petit à petit 
absorbé par les Congrégations romaines. Or ces der- 
nières, qui ont plein pouvoir pour juger, non seulement 
selon la rigueur du droit, mais aussi selon l'équité, 
revêtues qu'elles sont de la puissance même du prince, 
ne motivent pas leurs sentences. 

IV. Recueils des décisions de la Rote. — Dès le 
XIV» siècle, les décisions les plus importantes ont été 
recueillies dans des collections manuscrites; il n'existe 
guère de grande bibliothèque qui ne possède un codex 
de cette espèce. La collection manuscrite qui s'arrête à 
Tannée 1376 était célèbre entre toutes, et les anciens 
canonistes la citent sous le titre de antiquœ decisiones. 

Comme éditions imprimées citons parmi les autres, par 
ordre de date : DecisicSnes Rotœ, coUectore de llobosch, 
in-fol., Rome, 1742; Rebuffi Decisiones Rotœ antiquœ 
et antiquiores, Lyon, 1555; cette collection suit l'ordre 
des Décrétales. Sous ce nom de Decisiones Rotœ ou de 
Decisiones Sacri Palatii, on a les collections d'Achille 
et César de Grassis, 1601, Mohedanus, 1603, Rellemere, 
Cassiodore, Capella Tholosana, Beninlandi, de 1613 à 
1618, Beltraminus, 1630, Othobonus, 1657. 

Le grand effort pour réunir en un tout les décisions 
de la Rote a été fait par Farinacci qui, après avoir 
donné à Cologne en 1619 deux volumes intitulés : Sanctœ 
Rotœ decisionum selectarum partes II, n'a pas moins 



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DÉCISION — DÉCLARATION DE 1682 



186 



de 25 in-fol. de décisions de la Rote dans ses œuvres 
complètes, Venise, 1716. Les t. xxvi-xxix ont été ajou- 
tés en 1734 à Venise et le nombre total s'élève à qua- 
rante, t. xxx-XL, Rome, 1751-1763. Enfin on trouve par- 
fois deux volumes de supplément qui conduisent jus- 
qu'en 1792. Au cours de cette publication avaient paru : 
Sacrœ Rotw romanœ decisiones, Venise, 1707, en 
appendice au Theatrum veritatU etjuns de De Luca, 
4 in-fol. ; Sacrœ Rotœ romanœ decisioneSf 5 tomes en 
6 in-fol., Rome, 1728; 2 vol. d'index, le tout par Moli- 
nes, doyen de la Rote ; Decisiones Rotœ romanœ recen- 
tiares in compendium redactœ, 6 in-fol., Venise, 1754; 
Decisiones Rotœ ronianœ coram cardinali Rezzonico 
nuperrime ex originalibus depromptœ, 2 in-fol., 
Rome, 1760; Patrizi, Decisiones Sacrœ Rotœ, Rome, 
1832, est on abrégé. 

P. FOURNERET. 

DÉCLARATION ou LES QUATRE ARTICLES 
DE 1682, déclaration solennelle par laquelle une 
assemblée d'évéques et de prêtres, affirmant représenter 
le clergé de France, et réunie sur Tordre de Louis XIV, 
en lutte avec le saint-siège, prétendit définir les doc- 
trines de l'Église gallicane touchant la primauté de 
juridiction et d'enseignement du souverain pontife. — 
I. Les origines. La régale. H. L'intervention de l'épis- 
copat gallican. La lettre de 1680 et la petite assemblée 
de 1681. III L'assemblée de 1682. IV. Les quatre articles. 
V. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693. VI. Les 
quatre articles de 1715 à 1870. 

I. Les origines. La régale. — La crise de 1682 
marque le point extrême du conflit élevé entre la 
monarchie française et la papauté depuis Charles VU 
et même depuis Philippe le Bel, touchant les rapports 
et les limites des deux puissances, et nullement résolu 
par le concordat de 1516. Le conflit s'est aggravé, 
d'un côté, avec l'affirmation plus hardie des doctrines 
ultramontaines et l'effort tenté par la papauté durant la 
Ligue, pour restaurer la puissance romaine, cf. de 
l'Épinois, La ligue et les papes, in-8o, Paris, 1886, 
d*un autre, avec la constitution de la monarchie abso- 
lue qui veut dominer l'Église comme tout le reste, et 
avec la théorie du droit divin qui fait du roi l'élu de 
Dieu aussi bien que le pape. Les rois sont poussés ou 
soutenus dans leurs prétentions par le parlement ou 
par le clergé. Les légistes du parlement leur fournissent, 
érigés en maximes d'État, les principes les plus intran- 
sigeants du réalisme; ce sont les maximes gallicanes, 
les libertés de l'Église gallicane, Pierre Pithou les a 
codifiées en 1594. L'épiscopat gallican soutient, lui 
aussi, ces libertés, mais avec moins d'intransigeance : 
il les interprète à sa façon; jaloux de son indépendance 
menacée par; « les prétentions de Rome », soutenant 
Vépiscopalisme, c'est-à-dire la doctrine de l'institution 
divine des évéques et même la supériorité de l'Église 
réunie en concile sur le pape, tout en reconnaissant la 
primauté romaine, il s'appuie sur le roi qui le nomme 
d'ailleurs, pour lutter contre les doctrines ultramon- 
taines. Tant que le pape et le roi y mirent quelque 
bonne volonté, les choses n'allèrent point aux extrêmes. 
Mais la seconde moitié du xvii* siècle mit aux prises 
Louis XIV et Innocent XI, un roi et un pape peu dis- 
posés aux concessions. Louis XIV ne pouvait s'expliquer 
t qu'il existât d'autres droits que lès siens, ou du moins, 
des droits contre les siens »; il avait « la vive persua- 
sion de la sainteté et presque de l'inraillibilité de sa 
mission »; puis, il était t le gallicanisme vivant, agis- 
sant, militant, triomphant ». Hanotaux, Recueil des 
imtructions données aux ambassadeurs. Rome, t. i, 
préfoce. Aucun contre-poids, ni du côté des événe- 
ments : il n'a pas encore connu la défaite, ni du côté des 
hommes : il n'a pas encore connu, pour ainsi dire, 
d'opposition. D'ailleurs, ses ministres, Colbert entre 
autres, le poussent aux mesures extrêmes vis-à-vis de 



Rome. Innocent XI, élevé au pontificat en 1676, était un 
pape austère qui avait, à Rome même, déclaré la guerre 
aux abus les plus invétérés, comme le népotisme, très 
attaché aux principes, qui déclarait que « lorsqu'il 
s'agit de conscience, il faut satisfaire à Dieu et à son 
devoir, et après, laisser à Dieu le soin de calculer ce 
qui pouvait arriver ». A Rome d'ailleurs, où l'on avait 
beaucoup à se plaindre de Louis XIV, il y avait un parti 
antifrançais très actif, qui ne fut pas sans influence 
sur l'esprit du pape. L'occasion de la crise fut une 
question de moindre importance, mais mal posée, la 
question de la régale, qui allait devenir « une grande 
question de politique générale », Roussel. On appelait 
régale le droit que prétendait le roi de percevoir les 
revenus des évêchés vacants et de nommer aux bénéfices 
qui en dépendaient. Ce droit, affirmaient les légistes, 
appartenait au souverain en vertu de sa couronne et de 
son domaine éminent sur les biens-fonds du royaume : 
il était donc indépendant des règlements ecclésiastiques, 
antérieur à tous les canons et universel. Ce droit, affir- 
mait le clergé, est un droit spirituel; le roi ne peut 
l'exercer que par une pure concession de l'Église et 
dans les limites fixées par l'Église. En fait, le 1I« concile 
de Lyon (1274) avait autorisé le droit de régale dans les 
évêchés où il existait alors, mais il avait interdit de 
l'étendre; et un certain nombre de diocèses de France, 
notamment des quatre provinces du Midi, Languedoc, 
Guyenne, Provence et Dauphiné, avaient échappé à ce 
droit. Or, en 1608, à propos de l'évêché de Belley, le 
parlement de Paris proclama tout évêché soumis' à la 
régale par le fait qu'il rentre dans le domaine du roi. 
Le clergé protesta. L'afl'aire dura plus de soixante ans; 
enfin, le 16 février 1673, Louis XIV tranchait la question 
en sa faveur. Un édit déclarait que le droit de régale 
appartenait au roi dans tous les évêchés du royaume, 
à l'exception a de ceux qui en étaient exempts à titre 
onéreux ». Cet édit avait un efl'et rétroactif : les évêques 
des diocèses jusque-là exempts étaient tenus de faire 
enregistrer leur serment de fidélité à la Cour des 
comptes de Paris et d'obtenir d'elle des lettres de main- 
levée pour leurs revenus, dans les six mois. Passé ce 
délai, la régale serait considérée comme ouverte dans 
les églises des prélats qui n'auraient pas accompli cette 
formalité. En 1675, un nouvel édit complétait le précé- 
dent. Pratiquement, cette extension de la régale était de 
peu d'importance : jusqu'en 1641, les revenus des 
évêchés vacants étaient attribués à la Sainte-Chapelle ; 
depuis, ils étaient restitués aux nouveaux titulaires 
sauf un tiers employé à secourir les protestants con- 
vertis; puis, Louis XIV pourvoyait très vite aux vacances; 
enfin, l'on a calculé que pour les diocèses des quatre 
provinces du Midi ainsi atteintes, le roi nommait à dix 
postes au plus par an. Cf. M. Dubruel, Innocent XI 
et l'extension de la régale d'après la cofrespondance 
-du cardinal Cibo avec Léopold /«»•, dans la Revue des 
questions histongues, l" janvier 1907. Rome se tut en 
1673 et en 1675. L'épiscopat gallican fît de même : les 
évêques atteints se soumirent, ou après avoir adressé 
au roi des remontrances respectueuses, ainsi Sevin de 
Cahors, ou après avoir inséré des protestations dans 
leurs archives, ou pour la plupart^sans mot dire. Seuls, 
Pavillon, évèque d'Alet, et Caulet, évéque de Pamiers, 
qu'il entraîna, refusèrent de se soumettre; ils allèrent 
jusqu'à défendre à leurs chapitres de recevoir les réga- 
liens et à excommunier ceux-ci. Leurs ordonnances 
furent cassées par le vicaire général du cardinal de 
Bonzi, archevêque de Narbonne et métropolitain d'Alet, 
et par Joseph de Montpezat, archevêque de Toulouse 
et métropolitain de Pamiers. Les deux sentences étaient 
irrégulières, car les parties n'avaient pas été entendues; 
les deux évêques en appelèrent au pape. Le pape accepta 
cet appel, régulier d'ailleurs. Pavillon et Caulet étaient 
deux jansénistes : par certains côtés, l'aflaire apparaîtra 



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DÉCLARATION DE 1682 



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encore bientôt comme un conflit entre jansénistes, in- 
triguant à Rome avec l'appui de la faction hostile à la 
France, et jésuites intriguant à Paris par l'intermédiaire 
du P. La Chaise et poursuivant la destruction de deux 
foyers de l'hérésie janséniste. Le 8 décembre 1677, mou- 
rail Pavillon : toute la lutte se concentra autour de 
Caulet et devint l'affaire de Pamiers. La question de la 
régale occupa le premier plan de 1677 à 1681. 11 y eut 
une première phase assez calme. Innocent XI, « qui 
apprit à la fois l'existence du droit de régale, l'exten- 
sion décrétée par Louis XIV et la prohibition portée 
par le 12* canon du II« concile de Lyon, » semble ne 
pas vouloir pousser les choses à l'extrême et Louis XIV, 
d'abord surpris d'une résistance d'ailleurs tardive à un 
droit qu'il juge incontestable, parait vouloir gagner du 
temps et attendre un pape plus facile. Le 42 mars 1778, 
un premier bref exprime au roi une protestation paci- 
fique. Louis XIV répond en manifestant sa surprise au 
nonce, puis dans une lettre datée de juillet au pape lui- 
même. En janvier 1679, nouveau bref, daté du 21 sep- 
tembre 1678 : le pape y démontre les inconvénients de 
l'ingérence des officiers royaux dans les affaires spiri- 
tuelles. Le roi ne répond point. Dès lors le pape accen- 
tue les démonstrations : il avait adressé le 4 janvier 
1677 un bref à Caulet pour l'assurer de sa protection, le 
18 un bref de blâme à l'archevêque de Toulouse; le 
2 août, il envoyait un second bref à Caulet et surtout 
le 29 décembre il adressait à Louis XIV un troisième 
bref : celte fois, il menaçait. Il avait même préparé, 
avec l'aide d'une congrégation spécialement composée 
dans ce but, une constitution apostolique qui eût con- 
damné solennellement la régale : il n'osa pas encore. 
Toutefois Louis XIV prit peur; il réunit plusieurs 
conseils : on lui parla d'un concile national; on lui dit 
qu'il pourrait feindre d'ignorer le bref; c'est alors qu'il 
s'arrêta à ce troisième parti : gagner du temps pour 
attendre la disparition d'un pape déjà âgé et usé. 

Par une lettre du l" juillet 1680, il fit donc annoncer 
au pape l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire, le 
cardinal .d'Estrées, dont le frère, le duc, était ambassa- 
deur à Rome depuis 1672, qui avait déjà rempli à Rome 
plusieurs missions et que le pape, dans un bref du 
28 février 1680 adressé au cardinal lui-même, avait 
manifesté le désir de voir chargé de cette mission con- 
ciliatrice. D'Estrées avait pour instruction de ne rien 
céder et de faire traîner les affaires en longueur; il 
n'arriva d'ailleurs que longtemps après son voyage 
annoncé. 

Dans l'intervalle, Louis XIV avait complété son plan 
d'action. 

Sur la régale, voir Andraul, Traité de l'origine de la régale, 
ln-4% Paris, 1708; Fleury, Institution au droit ecclésiastique, 
2 in-12, Paris, 1687 ; Philipps, Dos Regalienrecht in Frank- 
reich, in-8% Halle, 1873; Viollet, Précis de l'histoire du droit 
français, 4 in-8', Paris, 1884. 

IL L'intervention de l'épiscopat gallican. La 

LETTRE DE 1680 ET LA PETITE ASSEMBLÉE DE 1681. — 

Tandis que la lettre du l^i* juillet remplissait d'espé- 
rance Innocent XI qui en écrivait à Caulet dès le 7, 
Louis XIV imaginait une manœuvre que Napoléon de- 
vait reprendre contre Pie VII : faire approuver par 
l'épiscopat gallican ses mesures et son attitude, pour 
rendre le pape plus facile. Peut-être voulait-il aussi 
rassurer par là sur son orthodoxie ses sujets plus ou 
moins avertis des menaces du pape. Une assemblée or- 
dinaire du clergé de France se tenait alors justement 
à Saint-Germain (25 mai-5 juillet); le 10 juillet, alors 
que les députés attendaient d'être reçus par le roi en 
audience de congé, leur président Harlay de Champ- 
vallon, archevêque de Paris depuis 1672, gallican 
convaincu, serviteur dévoué du roi et presque ennemi 
personnel du pape, surprit d*eux une lettre de protes- 
tation au roi contre le bref du 29 décembre, qui fut 



imprimée, après quelques corrections de détail, sous 
ce titre : Lettre éante au roi par nos seigneurs les 
archevêques, évêques et autres ecclésiastiques députés 
du clergé de France assemblés à Saint-Gemiain-en- 
Laye, sur le dernier bref du pape au sujet de la 
régale. Les évêques, sans vouloir juger du fond de 
l'aflaire, protestent contre les menaces que contient le 
bref, contre « cette procédure extraordinaire qui, bien 
loin de soutenir l'honneur de la religion et la gloire 
du saint-siège, serait capable de les diminuer », contre 
les manœuvres de « quelques esprits brouillons » qui 
« font tous leurs efforts pour exciter la mésintelligence 
entre le sacerdoce et la royauté dans un temps où ils n'eu- 
rent jamais plus de sujet d'être unis par la protection 
que vous donnez à la foi, disaient-ils au roi, à la disci- 
pline ecclésiastique et à l'extirpation des hérésies et des 
nouveautés ». Enfin, ils affirment être a si étroitement 
attachés d à un roi « qui surpasse par son zèle et par 
son autorité tous ceux qui ont été devant lui », que 
« rien n'est capable de les en séparer ». Cette lettre ne 
parait pas avoir ému Innocent XI. Mais il ne tarda pas 
à comprendre qu'il n'avait rien à attendre de la mis- 
sion du cardinal ; puis, les mesures de rigueur conti- 
nuaient à Pamiers, où éclatait le schisme de Pamiers, 
car le diocèse eut pour un moment deux chefs. Le 
7 août 1680, était mort Caulet. Les chanoines légitimes 
choisirent pour vicaire capitulaire l'archidiacre d'Au- 
barède, mais dès le 22, il était arrêté et relégué à Jar- 
geau, puis à Caen. Un second, le P. Rech, eut le même 
sort; le troisième, le P. Certes, sut se cacher. Cepen- 
dant le métropolitain nommait à deux reprises un vi- 
caire capitulaire parmi les régalistes, soit franchement, 
soit après une feinte destinée à donner une apparence 
canonique à la seconde nomination. Cerles protestait 
et en appelait au pape. Là-dessus, sur l'ordre du chan- 
celier LeTellier, le parlement de Toulouse condamnait 
Cerles à avoir la tête tranchée, 16 avril 1681, et il était 
exécuté en effigie à Toulouse et à Pamiers. Au même 
moment, 14 janvier 1681, le parlement ordonnait sous 
un prétexte financier, en réalité contre le pape, la fer- 
meture du monastère de Charonne. Le roi, avec le 
concours de l'archevêque de Paris, y avait nommé et 
installé en 1677 une abbesse, au mépris de tout droit 
et de toute règle. Les religieuses en avaient appelé au 
pape, qui avait annulé la nomination faite, blâmé l'ar- 
chevêque et ordonné aux religieuses de procéder aux 
élections voulues par leurs règles, 7 août 1679. Inno- 
cent XI répondit à toutes ces mesures par une double 
série de démarches : il continua à négocier; il priait 
le roi de négocier à Paris par l'intermédiaire de 
l'évêque de Grenoble, Camus; mais en même tetnps, il 
montra qu'il ne céderait rien sur les principes : le 
18 décembre 1680, il condamnait comme renfermant 
une doctrine « schismatique, approchant de l'hérésie, 
et injurieuse au saint-siège » un livre de l'abbé Gerbais 
docteur de Sorbonne, agent de Colbert. Ce livre inti- 
tulé : De causis majoHbus, soutenait les théories galli- 
canes les plus avancées et les plus opposées aux droits 
du saint-siège. Puis en janvier 1681, un bref excommu- 
niait le vicaire capitulaire nommé à Pamiers par l'ar- 
chevêque de Toulouse, indirectement frappé. Louis XIV 
refusa de négocier par l'intermédiaire de Camus quUl 
savait hostile à la régale, sous prétexte que ce serait 
faire injure ao cardinal. 

Cependant, son dessein apparent d'opposer au pape 
le clergé de France sembla se dessiner alors. 11 eut ici 
deux auxiliaires, Harlay de Champ vallon, prêt à tout, 
peut-on croire, et l'archevêque de Reims, Le Tellier, 
qui nourrit, avec son père le chancelier, et même 
Bossuet, le désir d'un accommodement avec Home, dont 
le soin serait remis au clergé. Harlay et lui provo- 
quèrent d'abord la Petite assemblée de i68i. Ce fut la 
réunion des prélats alors présents à Paris. Il y en eut 52 



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189 



DÉCLARATION DE 1682 



190 



f qui ne résidaient pas ». Le président fut llarlay. L'as- 
semblée tint une première séance le 19 mars : on y 
détermina les questions à traiter et six commissaires 
qui furent chargés de préparer les décisions; deux 
autres séances eurent lieu les l^* et 2 mai. Mais l'assem- 
blée ne décida rien, bien que les prélats se plaignissent 
de quelques façons d'agir du pape à leur égard et des 
violations que le pape avait faites^du concordat dans ses 
procédures touchant les affaires de Charonne et de Pa- 
mJers. Klle se contenta de demander au roi sous l'im- 
pulsion de Le Tellier un concile national ou une assem- 
blée du clergé qui déciderait. Voici comment Fleury 
résume les actes de la Petite assemblée : 

c M. de Paris nomma six commissaires pour exami- 
ner les affaires avec lui, savoir, les archevêques de 
Reims, d'Embrun... Le l*»" mai, Mo»- l'archevêque de 
Reims, chef de la commission, lut son rapport à 
l'assemblée : !<> sur la régale, où il conclut que les 
évéques de France ont eu raison de se soumettre aux 
déclarations de 1673 et 1675, pour le bien de la paix. — 
2« Sur les livres de Gerbais et de David. Sur le premier, 
on lut un avis des commissaires qui Vapprouve et 
ordonne néanmoins que quelques expressions seraient 
corrigées. Sur le second, dont on s'était plaint à l'as- 
semblée, comme contniire aux droits des évêques, on 
lut une explication de l'auteur. — 3® Sur l'affaire de 
Charonne. Sans entrer au fond, l'archevêque de Reims 
blâme la conduite de la cour de Rome et la forme de 
procéder sans entendre M. de Paris. — 4» Sur l'affaire 
de Pamiers. Il conclut de même, s'attachant à la 
forme et soutenant que l'ordre de la juridiction ecclé- 
siastique, les libertés gallicanes sont violées par ces 
brefs; que les évéques ne tiennent point leur juridic- 
tion immédiate du pape, et que le concordat n'est point 
une grâce. Conclusion générale : demander au roi un 
concile général national ou assemblée générale du 
clergé et cependant publier le procès-verbal de celle-cî. 
— En conséquence, le 2 de mai, l'assemblée résolut de 
demander au roi un concile national ou une assemblée 
générale du clergé, composée de deux députés du pre- 
mier ordre et de deux du second de chaque province, 
qui n'auraient en cette assemblée que voix consulta- 
tive, et le reste, suivant l'avis des commissaires. » 

IIL L'assemblée de 1682. — Telle fut l'origine de 
l'assemblée dite de 1682. Le roi écarta l'idée d'un con- 
cile national : il voulait une manifestation unanime de 
son épiscopat, et si certain qu'il fût après tant d'expé- 
riences de la docilité des évéques, il pouvait craindre 
que sur la question des rapports avec Rome, dans un 
concile où tons eussent figuré de droit, il ne se trouvât 
quelques opposants. Puis un concile aboutit à des dé- 
cisions dogmatiques, sans valeur sans doute si elles 
n'ont pas l'approbation du saint-siège, mais telles que 
c une désapprobation eût mis l'Église de France dans 
la nécessité immédiate ou de se déjuger ou de se pré- 
cipiter dans le schisme « (Loyson). H se décida donc 
pour une « assemblée générale extraordinaire repré- 
sentant le concile. • Cette assemblée devait différer des 
assemblées quinquennales ou ordinaires dans les- 
quelles les représentants élus du clergé traitaient des 
intérêts de Tordre, en ce qu'elle était convoquée en 
dehors des intervalles fixés, qu'elle était appelée à 
s'occuper de questions exclusivement spirituelles, que, 
en conséquence, comme cela eût été dans un concile, 
les députés du second ordre n'avaient que voix consul- 
tative et que, enOn, l'on y vit les représentants des con- 
quêtes récentes et pays d'obédience. Cette assemblée, 
nullement canonique, ne pouvait donc porter aucune 
(décision ayant une valeur doctrinale et canonique. Elle 
tentera la chose cependant. 

1' Convocation. — Elle fut convoquée pour le !«»• oc- 
tobre 1681, le 16 juin, par une circulaire envoyée à tous 
les métropolitiins du royaume, sauf aux métropolitains 



de Besançon et de Cambrai, auxquels le roi adressa le 
16 juillet une circulaire spéciale. Il y disait que, « dans 
une occasion où il s'agissait de matières purement 
spirituelles, à la décision desquelles tous les évêques 
de son royaume avaient un égal intérêt, il estimait 
nécessaire d'y faire venir les députés des provinces, 
tant de l'ancien clergé de France qui se trouvent ordi- 
nairement aux assemblées tenues pour alTaires tem- 
porelles, que des provinces nouvellement conquises. » 
2« Élections et procuration. — Cette assemblée fut- 
elle vraiment représentative du clergé gallican? 
Louis XIV, qui surveillait toujours de près les élections 
aux assemblées ordinaires du clergé, intervint cette fois 
avec activité dans la composition des assemblées pro- 
vinciales et plus activement encore dans le choix des 
députés. S'il voulait une démonstration éclatante en sa 
faveur, il ne voulait pas cependant, bien qu'il eût 
prononcé le mot de schisme, d'hommes à l'initiative 
peu mesurée, qui, au lieu d'aider aux négociations, 
eussent tout compromis. L'assemblée comprit 36 mem- 
bres du haut clergé, 9 archevêques et 27 évéques dont 
26 seulement siégèrent, l'évêque de Viviers ayant été 
retenu dans son diocèse par ses infirmités. .\ux 36 
membres du bas-clergé élus il faut ajouter les deux 
agents généraux du clergé, Desmarets et Bazin de Be- 
Fons. Tous les élus du haut-clergé dont deux portent 
le nom de Colbert, qui s'appellent Le Tellier, Phélip- 
paux de la Vrillière, Chavigny, etc., sont profondément 
pénétrés des doctrines du gallicanisme épiscopal et 
jaloux vis-à-vis de Rome de leurs privilèges. Il y a 
cependant parmi eux un groupe plus avancé nettement 
hostile à Rome; le type est Harlay; du groupe plus 
modéré le type est Bossuet; entre les deux louvoient 
des hommes comme le très intelligent archevêque de 
Reims, Le Tellier. Tous aussi ont le culte du roi, l'élu 
de Dieu, le vainqueur de l'Europe; tous lui doivent 
quelque chose et d'abord leur élévation à l'épiscopat. 
Seul, ofTre des garanties d'indépendance et n'est pas 
imbu des doctrines gallicanes, étant d'une autre origine 
que les concordataires, l'archevêque de Cambrai, 
Théodore de Brias. Quant aux représentants du bas- 
clergé, leurs doctrines sont les mêmes que celles du 
haut-clergé : parmi eux figure même Gerbais; peut-être 
même leur zèle est-il plus grand, ajanl davantage à 
obtenir. Nulle part d'ailleurs ces élections ne provo- 
quèrent de difficultés. Ces difficultés vinrent plutôt du 
projet de procuration uniforme envoyé par les agents 
généraux du clergé et qu'avait dressé, dans la Petite 
assemblée, une commission présidée par l'archevêque 
Harlay. C'était le programme plus ou moins précis de 
ce qui allait être fait, programme déjà connu par le 
procès-verbal de la Petite assemblée qui avait été en- 
voyé à tous les prélats du royaume. Il ne fallait pas 
que l'on put objecter, dans l'assemblée ou au dehors, 
le défaut de pouvoirs chez les députés. Les assemblées 
provinciales donnaient à leurs représentants le pouvoir 
« de se transporter en la dite ville de Paris... et là, dé- 
libérer en la manière contenue dans la résolution des 
dites assemblées (de mars et mai 1681) des moyens de 
pacifier les diff'érends qui sont, touchant la régale, entre 
notre Saint-Père le pape d'une part et le roi notre sire 
de l'autre, consentir tous les actes qu'ils estimeront 
nécessaires... pour les terminer, et iceux signer aux 
clauses et aux conditions que l'assemblée avisera bon 
être ; comme aussi leur donnent charge et commande- 
ment exprès d'employer toutes les voies convenables 
pour réparer les contraventions qui ont été commises 
par la cour de Rome aux décrets du concordat de causis 
et de frivolis appellationibus, dans les alTaires de Cha- 
ronne, de Pamiers et de Toulouse et autres qui seraient 
survenues ou pourraient survenir; conserver la juridic- 
tion des ordinaires du royaume et les degrés d'icelle en 
la forme réglée par le concordat; faire qu'en cas d'appel 



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191 



DÉCLARATION DE 1682 



192 



à Rome le pape députe des commissaires en France 
pour le juger; procurer par toutes' sortes de voies dues 
et raisonnables, la conservation des maximes et liber- 
tés de rÉglise gallicane, et généralement prendre à la 
pluralité des voix, toutes les résolutions, et passer, 
pour les causes ci-dessus expliquées, tous les actes qui 
seront requis, encore qu'il y eût chose qui demandât 
un mandement plus spécial que celui contenu en ces 
présentes... ». 

Il y eut des protestations sur le rôle purement con- 
sultatif fixé pour les premières lignes de cette procu- 
ration au clergé de second ordre ; il y en eut, et aussi 
des modiûcations, portant sur les questions elles-mêmes. 
Elles vinrent surtout de Besançon et d'Âix. A Aix, le 
cardinal Grimaldi hésita même à convoquer rassemblée 
de sa province. 

3® Constitution. — L'assemblée se réunit le 30 oc- 
tobre aux Augustins. Elle choisit : pour présidents, 
l'archevêque de Paris désigné par sa situation, son âge 
et la faveur royale (Louis XIV avait écarté de l'assem- 
blée les archevêques plus âgés que Harlay et qui 
eussent pu lui disputer la présidence), et l'archevêque 
de Reims désigné par Harlay ; pour promoteurs, Ché- 
ron et Coquelin, et pour secrétaires, Mancroix et 
Courcier, tous quatre de second ordre. Le dimanche 
9 novembre, à la messe du Saint-Elsprit, Bossuet pro- 
nonça son fameux discours sur l'unité de l'Église. Sur 
le rôle de Bossuet dans rassemblée de 1682, voir t. ii, 
col. 1063. 

4» Les actes de rassemblée. — Il fut d'abord question 
de la régale. < L'assemblée ne fut pas toute servile, » 
Lavisse. Colbert et d'autres gallicans avancés avaient 
conseillé au roi de signiGer simplement ses volontés à 
l'assemblée dont le rôle eût été de prendre simplement 
acte. Les choses ne se passèrent pas ainsi. L'assemblée 
délibéra et elle ne reconnut pas simplement le droit 
que prétendait le roi. Une commission dite de la régale 
fut nommée. Le 11 décembre, son rapporteur. Le 
Tellier, proposait et l'assemblée acceptait cette tran- 
saction : elle consentait à l'extension de la régale telle 
que l'avait proclamée l'édit de 1673, mais le roi s'enga- 
geait à soumettre ses nominations en régale « aux 
bénéfices ayant charge d'âmes » à l'approbation de 
l'autorité ecclésiastique. Le rapporteur ne se pronon- 
çait pas sur le fond de la question : implicitement 
même, il affirmait le droit de l'Église; mais il partait 
de ce principe que «t les maximes des parlements étant 
invincibles dans l'esprit de nos magistrats », il im- 
portait « de chercher sur ce fondement les tempé- 
raments nécessaires pour ne point porter aux extrémi- 
tés une matière si contentieuse ». Cf. Bossuet,LeWrer/r, 
édit. Lâchât. Le 19 décembre, Harlay et Le Tellier 
proposèrent au roi ce plan d accommodement; le roi 
nomma une commission qui examina la question, du 
20 décembre 1681 au 11 janvier 1682; la commission 
fut partagée, mais le roi .donna son approbation à un 
arrangement probablement concerté à l'avance entre lui 
et les présidents de l'assemblée et cet édit royal, donné 
à Saint-Germain en Laye et enregistré au parlement 
le 24 janvier 1682, fit de l'arrangement une loi d'État : 

Avons par ce présent édit perpétuel et irrévocable, dit, statué 
et ordonné : ...Que nul ne puisse être pourvu dans toutes les 
églises cathédrales et collégiales de notre royaume, par Nous et 
nos successeurs, des doyennés et autres bénéfices ayant charge 
d'Âmes, qui pourront vaquer en régale, ni des arcbfdiaconex, 
théologalles, pénitenceries et autres bénéfices, dont les titulaires 
ont droit particulièi-ement, et en leur nom, d'exercer quelque juri- 
diction et fonction spirituelle et ecclésiastique, s'il n'a l'âge, les 
degrés et autres capacités prescrites par les saints canons et par 
nos ordonnances. Voulons que ceux qui seront pourvus par nous 
de ces bénéfices se présentent aux vicaires généraux établis par 
les chapitres, si les églises sont encore vacantes, ou aux prélats, 
s'il y en a eu de pourvus, pour en obtenir l'approbation et mis- 
sion canonique, avant que de pouvoir faire aucune fonction... 



Le 3 février 1682, l'assemblée donnait son solennel 
Acte de consentement du clergé à l'extension de la 
régale ainsi définie. Puis, le même jour, elle en écri- 
vit au pape, c espérant », disait l'acte de consentement, 
que notre Très Saint-Père le pape voulant bien entrer 
dans le véritable intérêt de nos Églises... et se laissant 
toucher aux motifs qui nous ont inspiré cette conduite, 
donnera sa bénédiction apostolique à cet ouvrage de 
paix et de charité, x En d'autre temps, un autre pape 
eût pu accepter cette transaction, mais, en l'état de la 
question, Innocent XI ne pouvait y songer. La question 
avait été posée sur le terrain des principes : on oppo- 
sait l'indépendance du roi à l'indépendance de l'Église; 
d'autre part, le pape s'était trop nettement prononcé. 
Il mit à répondre un retard qui blessa l'assemblée, fut 
pour quelque chose dans la déclaration du 19 mars, et 
irrita le roi qui apportait dans ses relations avec Rome 
« une majesté continuellement en éveil et continuelle- 
ment froissée. » Hanotaux. Enfin, il répondit par le 
hrefPaterwe caritati, daté du 11 avril 1682, mais remis 
et lu seulement à l'assemblée au commencement de mai. 
Après avoir reproché aux évêques de n'avoir agi que 
sous l'empire de la crainte et d'avoir cédé sur une 
question « qui non seulement renverse la discipline de 
l'Église, mais expose l'intégrité de la foi, comme le 
prouvent les expressions mêmes des décrets royaux 
attribuant au prince le droit de conférer les bénéfices... 
comme étant un apanage qui date, pour le roi, de 
l'époque où la couronne a été placée sur sa tête », il 
continue en ces termes : c Nous n'avons pu lire sans 
un frémissement d'horreur cette partie de votre lettre 
où, déclarant renoncer à votre droit, vous l'avez cédé 
au monarque : comme si vous étiez, non les simples 
gardiens, mais les arbitres suprêmes des Églises qui 
vous furent confiées... C'est pourquoi nous improuvons, 
cassons et annulons tout ce qui s'est fait dans cette 
assemblée relativement à la régale, ainsi que tout ce 
qui a suivi cette disposition et tout ce qui pourrait 
être attenté désormais. Nous déclarons tous ces actes 
nuls et de nul efl'et, quoique étant déjà par eux-mêmes 
d'une nullité manifeste... » 

Dans l'intervalle, l'assemblée avait jugé contre le 
pape les affaires de Charonne, de Pamiers et de Tou- 
louse et surtout rédigé les quatre articles qui sont du 
19 mars, antérieurs ainsi au bref du 11 avril sur lequel 
ils ont influé, quoiqu'ils n'y soient pas mentionnés. 

b^ La fin de Vassemblée, — Le bref Patemss caritati 
irrita profondément l'assemblée, et comme il était 
connu, elle voulut se disculper devant l'opinion. Elle 
signa le 6 mai un acte bien regrettable qui porte en tête 
le mot de Protestatio\Gérin). Cet acte commence ainsi : 
Ecclesia gallicana suis se régit legibus, propriasque 
consuetudines inviolate custodit, quibxAs Gallicani pon- 
tifices majores nostri nulla definitione, nulla aucto- 
Htate derogatum esse voluerunt. L'assemblée voulait 
l'envoyer à tous les évêques et ecclésiastiques de France 
avec une lettre que Bossuet rédigea et où « il était 
impossible qu'il ne laissât pas percer une vertueuse 
sensibilité, en repoussant les accusations si graves 
qu'un pape avait portées au tribunal du public contre 
l'Église d'une grande nation. » Cette lettre ne fut pa» 
envoyée. Louis XIV ne laissa pas à l'assemblée le temps 
d'en prendre connaissance : le 9 mai, il suspendait 
ses séances, à la grande surprise des évêques. Mais- 
Louis XiV ne voulait pas amener le pape aux mesures 
extrêmes. Le 29 juin, il ajournait au l*"- novembre 
cette assemblée devenue dangereuse : en attendant, les 
évêques devaient se rendre dans leurs, diocèses. Le 
l*»" juillet, ils tinrent leur dernière séance et prirent 
une délibération où il était dit que l'assemblée < ne 
s'abstient de prendre une résolution sur le bref que 
Sa Sainteté lui a écrit en réponse à sa lettre du 3 fé- 
vrier dernier que pour obéir au roi et pour l'amour de 



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193 



DÉCLARATION DE 1682 



194 



la paix, puisque rien ne lui serait plus facile que de 
justifier sa conduite par des moyens invincibles. » 
Louis XIV poussa plus loin encore la prudence : s*il 
protesta contre le bref du 11 avril, ce fut secrètement, 
le 1^ août, auprès du parlement; puis il fit entendre 
c qu'il ne jugeait pas encore à propos qu*on rendit 
public et qu'on imprimât le procès- verbal de rassemblée 
de 1682. » Bossuet. Il ne fut même pas déposé aux 
archives du clergé. La paix n'était point faite cependant, 
mais à la régale succédait au premier plan la question 
des * quatre articles ». Bossuet avait rédigé et I assem- 
blée s'apprêtait à voter un décret condamnant un cer- 
tain nombre de propositions morales prohabilistes, La 
lettre royale du 29 juin empêcha la discussion et le 
vole. Le tra\*ail sera repris par l'assemblée ordinaire 
de 1700. 

IV. Les quatre articles. — 1^ Les précédents. — En 
1663, durant le conflit que provoqua l'affaire du 20 août 
1662 ou de la garde corse, Louis XIV, qui voulait déjà 
prendre sur Rome c l'ascendant de la crainte », Hano- 
laux, avait usé entre autres d'une déclaration doctri- 
nale sur les pouvoirs du pape. Mais il l'avait demandée 
à la faculté de théologie de Paris, qui le 8 mai présen- 
tait à Louis XIV, conduite par Hardouin de Péréfise, 
archevêque de Paris, proviseur de Sorbonne, les six 
propositions suivantes ou propositions de Sorbonne, 
qui développent avec plus ou moins d'embarras les 
deux maximes fondamentales du gallicanisme : « Le roi 
de France n'a pas de supérieur sur terre ; le pape est 
inférieur à l'Église même en concile, » et qui seront le 
point de départ des quatre articles : 

1. Non esse doctrinam fa- 1. Ce n'est point la doctrine 
cuttatis quod summos pontifex de la faculté (de théologie de 
aljquani în temporalia régis Parla) que le pape ait aucune 
cfaristianissimi auctoritatem ha- autorité sur le temporel du roi 
beat ; imo facottatem semper très chréUen ; au contraire, elle 
obsUliase etiam iis qui indi- atoujours résisté, même à ceux 
rectam tantummodo esse illam qui n'ont voulu lui attribuer 
auctoritatem vohierunt qu'une puissance indirecte. 

2. Esse doctrinam facultetis 2. C'est la doctrine de la 
ejufidem. quod rex christiania- faculté que le roi très chrétien 
simos nullum omnino cognos- ne reconnaît et n'a d'autre su- 
cit Dec babet in temporalibus périeur au temporel que Dieu 
euperiorem, praeter Deum, seul, que c'est son ancienne 
eamqoe suam esse antiquam doctrine de laquelle elle ne se 
doctrinam e qua nunquam re- départira pas. 

cessuraest. 

3. Doctrinam faculUtis esse 3. C'est la doctrine de la fa- 
quod sobditj fidem et olaedien- culte que les sujets du roi très 
tiam régi cfaristianissimi ita chrétien lui doivent tellement 
debent, ut ab lis nuUo prae- la fidélité et l'obéissance qu'ils 
teztn diapensari possint. ne peuvent en être dispensés 

sous quelque prétexte que ce 
soit. 

4. Doctrinam facultatls esse 4. La faculté n'approuve point 
non probare nec unquam pro- et elle n'a jamais approuvé au- 
baase propoaîtiones uUaa régis cune proposition contraire à 
cfaristianiflaimi auctoritati, aut l'autorité du roi très chrétien, 
gennanis Ecdeslœ gaUicanœ aux véritables libertés de 
13)ertatibufi et recepUs in regno l'Église gallicane et aux canons 
canonibus contrarias; verbi reçus dans le royaume, par 
gratla. qood summus pontifex exemple, que le pape puisse 
poasit deponere episcopos ad- déposer les évèques contre la 
verK» eosdem canones. disposiUon des mêmes canons. 

5. Doctrinam (acultatis non 5. Ce n'est pas la doctrine 
esse qood summus pontifex sit de la faculté que le pape soit 
Mpra oondlium œcumenlcum. au-dessus du concile général. 

6. Non case doctrinam vei 6. Ce n'est pas la doctrine de 
dofma {acultatis, quod summus la faculté que le pape soit in- 
pk«tiféx,nnlioaccedenteEccle- faillible, lorsqu'il n'intervient 
Bis oonsensu. sit infallibilis. aucun consentement de l'Église. 

Ces six articles avaient été enregistrés par le parle- . 
ment de Paris et par tous les autres, et une déclaration 
royale du 5 août 1663 fit défense d'enseigner dans le 
rojaume une doctrine contraire à ces six articles. 

2* Les discussions, — Comment l'assemblée de 1682 
fot-elle amenée é reprendre ce travail? Si haute que 

DlCr. DE THÉOL. CATHOL. 



fût l'autorité de la faculté de théologie, elle ne l'était 
pas assez pour qtie ses décisions s'imposassent aux 
consciences ; les six propositions d'ailleurs avec leur 
forme négative ou 'leurs formules restrictives n'étaient 
ni assez nettes ni assez précises. C'est ce qu'indiqua le 
promoteur Cocquelin, quand il introduisit la question 
le 26 novembre devant l'assemblée : « Lorsque ces 
articles parurent, disait-il, plusieurs personnes habiles 
crurent que l'on pouvait en exprimer quelques-uns 
d'une manière plus précise et plus positive. Ajoutez à 
ces articles ce que vous jugerez à propos; et, pour lais- 
ser à la postérité un monument précis et constant de 
la doctrine de l'Église gallicane dans une matière qui 
ne peut être trop nettement expliquée, changez ce qui 
n'est qu'une simple déclaration d'un jugement doclri^ 
nal de la faculté de théologie, en une décision de l'Église 
gallicane, qui tienne lieu de chose jugée au moins pour 
toute la France. » 

Que la question de la puissance du pape vis-à-vis du 
roi et vis-à-vis de l'épiscopat fût reprise, c'était dans la 
logique de l'état de guerre où l'on se trouvait et aussi 
dans la logique des choses : elle faisait le fond de toutes 
les querelles élevées. Qu'elle fût définitivement tran- 
chée, beaucoup le désiraient : les uns, comme l'arche- 
vêque de Reims, qui avait eu l'initiative de l'assemblée, 
afin d'empêcher désormais ces odieux conflits; les au- 
tres, comme Colbert et l'archevêque Harlay ou le P. La 
Chaise, plus ou moins personnellement hostiles au 
pape, pour fortifier l'autorité du roi et en finir avec 
Rome. Ce fut sous ces influences que le promoteur 
introduisit la question à l'assemblée qui nommait le 
même jour une commission pour les six articles de 
Sorbonne, 

Cette commission comprit 12 membres, dont Harlay, 
président, l'évêque de Tournai, de Choiseul-Praslin, 
rapporteur, Le Tellier et Bossuet. Bossuet voulut d'abord 
limiter la tâche de la commission au maintien du 
statu quo : dans l'état présent des choses, il jugeait 
inopportun de décider dans une matière aussi délicate. 
Il gagna même à ses idées Choiseul-Praslin, puis Le 
Tellier; mais Colbert et Harlay veillaient. Louis XIV 
voulut que l'on décidât. Bossuet essaya de gagner du 
temps ; il proposa < d'examiner toute la tradition » ; 
mais Louis XIV demanda une décision rapide, apparem- 
ment irrité du silence que gardait le pape sur ses con- 
cessions relatives à la régale et sur la lettre des évèques 
du 3 février. Le rapporteur Choiseul-Praslin dut donc 
dresser des propositions : il s'en tira « mal et scolasti- 
quemeut ». Émery. Il affirmait entre autres !que le 
saint-siège et le pape peuvent tomber dans l'hérésie. 
11 fut vigoureusement combattu par Bossuet qui soute- 
nait, lui, l'indéfectibilité du siège de Pierre. Bossuet 
l'emporta; l'évêque de Tournai renonça à la rédaction 
des articles; la commission en chargea Bossuet. Ce fut 
néanmoins Choiseul-Praslin qui en resta le rapporteur 
devant l'assemblée et les soutint le 17 mars. Cf. Des- 
mons, Gilbert de Choiseul, évêque de Tournai, Tour- 
nai, 1907. Les quatre articles sont-ils tels que Bossuet 
les avait rédigés? Les historiens discutent. Cf. Gérin, 
Recherches sur l'Assemblée de i682, 2« édit., p. 343, 
et Loyson, V Assemblée de i682, p. 351, note. En tous 
cas, ils entraînèrent bien des discussions au sein de la 
commission. « Assemblées chez l'archevêque de Paris, 
dit Fleury, où propositions examinées. Disputes. On 
voulait y faire mention des appellations au concile. 
Évêque de Meaux résista : ont été nommément condam- 
nées par des bulles de Pie II et Jules II : engagés à 
Rome à les condamner, ne reculent jamais. Ne donner 
prise à blâmer nos propositions. » Nouveaux opuscules, 
p. 210 sq. La déclaration fut souscrite le 19 mars par 
tous les membres présents à l'assemblée, 34 archevê- 
ques et évèques, 35 ecclésiastiques du second rang et 
les 2 agents généraux du clergé. L'archevêque de Cam- 



IV. - 7 

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195 



DÉCLARATION DE 4682 



brai, après avoir fait remarquer qu'il avait été nourri 
« dans des maximes opposées à celles de TÉglise de 
France », signa les quatre articles « d'autant plus volon- 
tiers qu'on ne prétendait pas en faire une décision de 
toi, mais seulement en adopter l'opinion ». Bossuet eût 
voulu ne publier les quatre articles qu'accompagnés 
d'une sorte d'apologie qu'il avait déjà préparée et où il 
avait prétendu réunir les meilleures preuves des doc- 
trines gallicanes; mais Harlay s'y opposa, probablement 
pour ne pas provoquer des controverses. Cf. Bausset, 
Histoire de Bossuet, 1. VI. L'assemblée se contenu 
d'adresser avec les quatre articles à tous les évéques 
de France une lettre également datée du 19 mars et 
que rédigea Cboiseul-Praslin. Il y dit l'inspiration à 
laquelle les députés ont obéi : le maintien de l'unilé 
catholique et de la paix, le désir « de rappeler à l'esprit 
des fidèles le souvenir des règles anciennes, à l'abri 
desquelles toute l'Église gallicane... fût tellement en 
sûreté que jamais personne... ne pût passer les bornes 
que nos pères ont posées et qu'ainsi la vérité, mise 
dans son jour, nous mît elle-même à couvert de tout 
danger de division », le désir aussi de faire comprendre 
aux dissidents combien Font injustes leurs attaques 
contre l'Église romaine; il y explique les principes 
sur lesquels reposent les quatre articles; il conclut 
enfin par cette demande qui est le but de la lettre : 
« Nous conjurons votre charité et votre piété, comme 
les Pères*du I»"" concile de Constanlinople conjuraient 
autrefois les évoques du concile romain, en leur en- 
voyant les actes de ce concile, de confirmer par vos 
suffrages tout ce que nous avons déterminé pour assurer 
à jamais la paix de l'Église de France, et de donner 
vos soins afin que la doctrine que nous avons jugée, 
d'on commun consentement, devoir être publiée, soit 
reçue dans vos églises et dans vos universités et les 
écoles qui sont de votre juridiction, ou établies dans vos 
diocèses, et qu'il ne s'y enseigne jamais rien de con- 
traire. Il arrivera, par cette conduite, que, de même que 
le concile de Constantinople est devenu universel et 
«ecuménique par l'acquiescement des Pères du concile 
de Home, notre assemblée deviendra aussi par votre 
nnanimité un concile national de tout le royaume, et 
qoe les articles de doctrine que nous vous envoyons 
seront des canons de toute l'Église gallicane, respec- 
tables aux fidèles et dignes de l'immortalité. » 

9^ Le texte. — Il fut rédigé en latin, comme, du reste, 
h lettre du 19 mars aux évéques et la lettre sur le bref 
dn il avril : 



Qeri gallicani de ecclesia- 
■tica potestate dedaratio die 19 
martiil682. 

Eksclesiœ gallicans décréta 
et Ubertates a majoribus no- 
stria tanto studio propugnatas, 
eorumque fundameota, sacris 
canoBibus et Patrum traditione 
nlxa, mulii diruere moliuntur, 
■ac deaunt qui earum obtentu 
prinatam B. Pétri ejusque suc- 
ceasorum Romanorum ponti- 
ficum a Chrlsto Institutum. 
lisque debitam ab omnibus 
durfstianis obedientiam, sedis 
■postoHcœ, In qua fides praedi- 
eatur et unitas servatur Eccle- 
si», reverendam omnibus gen* 
tibus majestatem imminuere 
ion vareantur . Hœretici quoque 
■ihil protermlttunt quo eam 
poteatatem, qua pax Rcdesise 
eontinetur, invidiosam et gra- 
rem regibus et populis osten- 
i«fit, iiaque fraudibus simplices 
animas ab Ecclesiad matris 
Christique adeo communione 



Déclaration du clergé de 
France sur la puissance ecclé- 
siastique du 19 mars 1682. 

Plusieurs s'efforcent de ren- 
verser les décrets de l'Église 
gallicane, ses libertés qu'ont 
soutenues avec tant de zèle nos 
ancêtres, et leurs fondements, 
appuyés sur les saints canons 
et la tradition des Pères. 11 en 
est aussi qui sous le prétexte 
de ces libertés ne craignent 
pas de porter atteinte A la pri- 
mauté de saint Pierre et des 
pontifes romains, ses succes- 
seurs, institués par Jésus- 
Christ, à Tobéissance qui leur 
est due par tous les chrétiens 
et à la majesté, si vénérable 
aux yeux de toutes les nations, 
du siège apostolique, où s'en- 
seigne la foi et se conserve 
l'unité de l'Église. Les héréti- 
ques, d'autre part, n'omettent 
rien pour présenter cette puis- 
sance, qui renferme la paix de 
l'Église comme insupportable 



dissocient. Quœ ut incommoda 
propulsemus. Nos, archiepis- 
copi et episcopi, Parisiis manda- 
to régis congregati, Ecclesiam 
gallicanam représentantes, una 
cum œteris ecclesiasticis vins 
nobiscum deputatis, diligenti 
tractatu babito, htec sancienda 
et declaranda esse diximus : 



I. Beato Petro ejusque suc- 
cessoribus Christi vicariis ip- 
sique Kcclesiœ rerum spiritua- 
iium et ad œtemam salutem 
pertinentium, non autem ci- 
vilium ac temporalium, a Deo 
traditam potestatem, dicente 
Domino : Regnum meum non 
est de hoc mundo; et ite- 
mm : Reddite ergo quae sunt 
Cafsaris Cœsari, et qum sunt 
Dei Deo ; ac deinde stare apo- 
stolicum illud : Omnis anima 
potestatibus rublimioribus 
subdita ait : non est enim po- 
testas nisi a Deo : qu» autem 
sunt, a Deo ordinatm sunt. 
Itaque qui potestati resistU 
Dei ordinationiresistit. Reges 
ergo et principes in temporaii- 
bus nulli ecclesiasticœ potestati 
Dei ordinatione subjici, neque 
auctoritate davium Ecclesiœ, 
directe vel indirecte deponi, 
aut iilorum subditos eximi a 
flde atque obedientia, ac prœ- 
stito fidelitatis sacramento solvi 
posse, eamque sententiam pu- 
biicœ tranquiilitati necessariam, 
nec minus Ecclesiœ quam im- 
perio utilem, ut verbo Dei, Pa- 
trum tradition! et sanctorum 
exemplis consonam omnino rc- 
tinendam. 



II. Sic autem inesse aposto- 
licae sedi ad Pétri successori- 
bu8 Cbristi vicariis rerum spi- 
ritualium plenam potestatem, 
ut simul vaieant atque immota 
consistant sanctœ œcumenicœ 
synodi Constant iensis a sede 
apostolica comprobata, ipsoquc 
Romanorum pontidcum ac to- 
tius Ecclesise usu conOrmata, 
atque ab Ecdesia gallicaoa 
perpétua religione custodita 
décréta de auctoritate cond- 
llorum generalium qiiîe ses- 
sione quarta et quinta continen- 
tur, nec probari a gallicana 
Ecciesia, qui eorum décrète- 
rum quasi dubise sint auctori- 
tatis ac minus approbata, robur 
infringant, aut ad solum schis- 
matls tempus concilii dicta 
detorqueant. 



196 

aux rois et aux peuples, et pour 
séparer par ces artiOces les 
Ames simples de la communion 
de l'Église et de Jésus-Christ 
C'est dans ie dessein de remé- 
dier à de tels inconvénients que 
nous, archevêques et évéques, 
assemblés à Paris par ordre du 
roi, avec les autres députés qui 
représentent l'Église gallicane, 
avons jugé convenable, après 
une mûre délil)ération, d'éta- 
blir et de dédarer : 

I. Que saint Pierre et ses 
successeurs, vicaires de Jésus- 
Christ, et que toute l'Église 
même n'ont reçu de puissance 
* de Dieu que sur les choses spir 
rituelles et qui concernent le 
salut, et non pointsur les choses 
temporelles et civiles, Jésus- 
Christ nous apprenant lui-même 
que son royaume n'est point 
de ce monde; et en un autre 
endroit, qu'il faut rendre à 
César ce qui est ù César et à 
Dieu ce qui est à Dieu; et 
qu'ainsi ce précepte de l'apôtre 
saint Paul ne peut être en rien 
altéré ou ébranlé : Que toute 
personne soit soumise aux 
puissances supérieures, car 
il n'y a point de puissance 
qui ne vienne de Dieu, et 
c'est lui qui ordonne celles qui 
sont sur la terre : celui donc 
qui s'oppose auœ puissances 
résiste à tordre de Dieu. Nous 
déclarons en conséquence que 
les rois et les souverains ne 
sont soumise aucune puissance 
ecdésiastique par l'ordre de 
Dieu dans les choses tempo- 
relles: qu'ils ne peuvent être 
déposés directement ou indi- 
rectement par l'autorité des 
chefe de l'^Jglise; que leurs su- 
jets ne peuvent être dispensés 
de la soumission et de l'obéis- 
sance qu'ils leur doivent ou rc • 
levés du serment de Odélité, et 
que cette doctrine, nécessaire 
pour la tranquillité publique et 
non moins utile à l'Église qu*à 
l'État, doit être invidablement 
suivie, comme conforme à la 
parole de Dieu, à la tradition 
des Pères et aux exemples des 
saints. 

H. Que la plénitude de 
puissance que le saint-siège 
aposlotique et les successeurs 
de saint Pierre, vicaires de 
Jésus-Christ, ont sur les choses 
spirituelles, est telle que les 
décrets du saint concile œcu- 
ménique de Constance, dans 
les sessions IV» et V», approu- 
vés par le saint-siège aposto- 
lique, conOrmés par la pra- 
tique de toute l'Eglise et des 
pontifes romains, observés re- 
ligieusement par toute rÉffllse 
gallicane, demeurent dans 
toute leur force et vertu, cl 
que l'Église de France n'ap- 
prouve pas l'opinion de ceux 
qui donnent atteinte à ces dé- 
crets ou qui les affaiblissent 
en disant que leur autorité 
n'est pas établie, qu'ils ne sont 



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197 



DÉCLARATION DE 1682 



198 



m. Hinc apostolicœ pote- 
sUUs usam moderandum per 
casones Spiritus Dei conditos 
et totitiâ mundi reverentia 
conaecratoB : valere etiam re- 
galas, mores et Instituta a 
regno et Ecclesia gallicana re- 
cepta, Patrumque tenninos 
manere inconcussos; atqae id 
pertinere ad ampli tadinem 
apostolicœ sedis, ut statuta et 
coDsoetodines tantse sedis et 
Ecdesiamm consensione for- 
mats^ propriam stabilitatem 
obtineant. 



IV. In Ûdei quoque quaesUo- 
nibos prœcipnas summi pon- 
tifieis eose partes, ejusque dé- 
créta ad omnes et siogulas Ee- 
desias pertinere, nec tamen 
irrefoniud}ile esse judicium, 
nisi Eccleslae consensus acccs- 
serit 

Quae accepta a Patribus ad 
omnes Ecdesias gallieanas 
atqœ episcopos in Spiritu 
Sancto aoctore présidentes, 
mittenda decrevimus, ut idip- 
sam dicamus omnes, si musqué 
in eodem et in eadem sen- 
tentia. 



point approuvés ou quMls ne 
regardent que le temps de 
schisme. 

m. Qu'ainsi Tusage de la 
puissance apostolique doit être 
réglé suivant les canons faits 
par l'Esprit de Dieu et consa- 
crés par le respect général, 
que les règles, les mœurs et 
les constitutions reçues dans le 
royaume doivent être mainte- 
nues et les bornes posées par 
nos pères demeurer inébran- 
lables; quH est même de la 
grandeur du saint-siège apos- 
tolique que les lois et coutumes, 
établies du consentement de ce 
siège respectable et des égli- 
ses, subsistent invariablement. 

IV. Que, quoique le pape ait 
la principale part dans les 
questions de foi et que ses 
décrets regardent toutes les 
Églises, chaque Église en par- 
ticulier, son jugement n'est 
pourtant pas irréformable, h 
moins que le consentement de 
l'Église n'intervienne. 

Ce sont là les maximes que 
nous avons reçues de nos 
pères, nous avons arrêté de 
les envoyer à toutes les Églises 
de France et aux évêques qui 
y président par l'autorité du 
SaintrEsprit, afin que nous 
disions tous la même chose, 
que nous soyons tous dans 
les mêmes sentiments et que 
nous suivions tous la même 
doctrine. 



4» Valeur doctrinale. — Dans Tétat présent de la 
doctrine et depuis le concile da Vatican, il est impos- 
sible de soutenir la déclaration de 1682, sans hérésie, 
non en raison du l*** article auquel on ne saurait oppo- 
ser une décision de foi, cf. Léon XIII, encyclique /m- 
nwrtale Dei, mais en raison des trois autres. Mais 
quelle fut en 1682 la valeur doctrinale des quatre arti- 
cles? L'assemblée de 1682 n*étant pas canonique ne 
pouvait rendre de décisions canoniques, à supposer 
même, ce qui ne fut pas, que tous les évêques fran- 
çais eussent manifesté une approbation formelle. Elle 
a^-ait si bien compris cette faiblesse qu'elle essaya 
d'obtenir cette approbation pour étayer son œuvre. Les 
quatre articles étaient d'ailleurs en opposition avec la 
doctrine commune de TÉglise, avec les convictions de 
beaucoup de sujets de Louis XIV, ultramontains, ou 
habitués à respecter la liberté en matières controver- 
sées, et même avec l'attitude ou les décisions anté- 
rieures du clergé gallican. Ainsi il faut remarquer, 
tur le i» article : il est la consécration d'un article 
fondamental du gallicanisme parlementaire, dont les 
légistes tiraient les conséquences les plus graves : 
le roi ne peut être excommunié pour le fait de sa 
charge; il peut convoquer des conciles nationaux et 
provinciaux et, avec leur concours, il peut porter des 
lois et règlements sur Tordre et la discipline ecclésias- 
tiques; les bul1e.s du pape ne s'exécutent pas en France 
sans la permission de Tautorité temporelle, le roi est 
seul juge en France, etc. ; et c'est à soutenir cette tra- 
dition des légistes que Bossuet apporte les textes de 
rÉvangile; il est exactement cet article du Tiers de 
nie de France que le Tiers-État voulut mettre en tête 
de son cahier général aux États-Généraux de 1614 et 
aanoel le clergé s'opposa avec tant d'énergie : « Le roi 
sera supplié de faire arrêter en l'assemblée de ses États, 



pour loi fondamentale du royaume..., que, comme il est 
reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne 
que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle 
qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun 
droit sur son royaume, pour en priver les personnes 
sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs 
sujets de la fidélité ou obéissance qu'ils lui doivent, 
pour quelque cause ou prétexte que ce soit. Que tous 
les sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, 
tiendront cette loi pour sainte et véritable... laquelle 
sera jurée et signée dorénavant par tous les bénéGciers 
et officiers du royaume. Tous précepteurs, régents, 
docteurs, prédicateurs seront tenus de l'enseigner et 
publier. » — Sur le 2* article :\\ repose sur une erreur : 
les décrets des sessions IV« et V« du concile de Constance 
qui proclament au moins indirectement la sui>ériorité 
des conciles œcuméniques sur les papes, n'ont été ni 
approuvés par les papes, ni confirmés par la pratique 
de toute l'Église, et il était en opposition avec la croyance 
commune. Voir t. in, col. 1292. — Sur le 3* article : sa 
rédaction est fort vague; il affirme d'abord que les 
papes doivent diriger TÉglise d'après les canons : ils 
ne l'ont jamais nié, mais il l'affirme comme une con- 
séquence de l'article 2«, c'est-à-dire, d'après une théo- 
rie attribuée à Gerson, comme une conséquence de ce 
fait que les canons émanent d'une puissance supérieure, 
celle des évêques réunis en concile. Cet article prétend 
aussi lier le pape « par les libertés de l'Église galli- 
cane », théorie dangereuse, puisque sous ces mots pou- 
vaient bien être entendus, malgré les dénégations des 
évêques, les 83 articles de Pierre Pithou, et qu'à tout 
le moins elle amenait l'Église gallicane à ne reconnaî- 
tre entre elle et le pape d'autre juge qu'elle-même. 
Enfin, on a pu voir aussi dans cet article une volonté 
d'opposer aux canons des anciens conciles la disci- 
pline actuelle de l'Église, distinction derrière laquelle 
se sont abrités tous les schismaliques, par exemple, les 
constitutionnels. — Sur le 4* article, qui est peu clair — 
car qu'est-ce que cette « part principale » qu'a le pape 
dans les questions de foi? sous quelle forme devra se 
donner c le consentement de l'Église »? ~ et qui nie 
l'infaillibilité du pape. < Cet article, contraire à l'ensei- 
gnement de saint Bernard et de saint Thomas d'Aquin, 
était de plus opposé aux définitions données par les 
conciles œcuméniques de Lyon (1245) et de Florence 
(1439), et, ce qui est plus piquant, aux déclarations faites 
en 1625 et 1653 par deux assemblées générales du clergé 
de France lui-même. » Chénon, dans VHistoire gêné' 
rate de La visse et Hambaud, t. vi, p. 257. Et Pierre de 
Marca, archevêque de Paris, écrivait en 1660 : « L'infail- 
libilité du pape est enseignée en Espagne, en Italie et 
dans tous les pays du monde chrétien, si bien que le 
sentiment contraire, professé par les docteurs de 
Paris, doit être classé parmi les opinions simplement 
tolérées. » Cité dans le t. xxvi des Œuvres de Bossuet, 
édit. Vives, p. 21, note. 

5» La déclaration de i082, loi d'État. — Le 20 mars 
1682, par un édit enregistré au parlement le 23, 
Louis XIV faisait de la déclaration du clergé une loi 
d'État, sur la demande même de l'assemblée. Il y était 
dit: 

1. Défendons à tous nos sujets et aux étrangers étant dans 
notre royaume, séculiers et réguliers de quelque ordre, congré- 
gation et société qu'ils soient, d'enseigner dans leurs maisons, 
collèges et séminaires, ou d'écrire aucune chose contraire à la 
doctrine contenue en icelle. 

2. Ordonnons que ceux qui seront dorénavant choisis pour 
enseigner la théologie dans tous les collèges de chaque université, 
soit qu'ils soient séculiers ou réguliers, souscriront ladite décla- 
ration aux greffes des facultés de théologie, avant de pouvoir 
faire cette fonction dans les collèges, ou les maisons séculières 
et régulières, quMls se soumettront à enseigner la doctrine qui y 
est expliquée, et que les syndics des facultés de théologie pré- 
senteront aux ordinaires des lieux et à nos procureurs généraux 



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199 



DÉCLARATION DE 1682 



200 



des copies desdites soumissions, signées par les greffiers des 
dites facultés. 

3. Que dans tous les collèges et maisons desdites universités, 
où il y aura plusieurs professeurs, soit qu'ils soient réguliers ou 
séculiers, l'un d'eux sera chargé tous les ans d'enseigner la 
doctrine contenue en ladite déclaration ; et dans les collèges où 
il n'y aura qu'un seul professeur, il sera obligé de l'enseigner, 
l'une des trois années consécutives. 

4. Enjoignons aux syndics des facultés de théologie de pré- 
senter tous les ans, avant l'ouverture des leçons, aux archevê- 
ques et évèques des villes où elles sont établies, et d'envoyer à 
nos procureurs généraux les noms des professeurs qui seront 
chargés d'enseigner ladite doctrine et auxdits professeurs de 
représenter auxdits prélats et auxdits procureurs généraux les 
écrits qu'ils dicteront à leurs écoliers, lorsqu'ils leur ordonne- 
ront de le faire. 

5. Voulons qu'aucun bachelier, soit séculier ou régulier, ne 
puisse être dorénavant licencié tant en théologie qu'en droit ca- 
non, ni être reçu docteur qu'après avoir soutenu ladite doctrine 
dans une de ses thèses, dont il fera apparoir à ceux qui ont 
droit de conférer ces degrés dans les universités. 

6. Ebchortons, et néanmoins enjoignons à tous les archevêques 
et évèques de notre royaume... d'employer leur autorité pour 
faire enseigner dans l'étendue de leurs diocèses la doctrine con- 
tenue dans ladite déclaration faite par lesdits députés du clergé. 

7. Ordonnons aux doyens et syndics des facultés de théologie 
de tenir la main à l'exécution des présentes..., etc. 

Cet édit ratifiait toute une série de demandes du 
clergé relatives à la déclaration, sauf celle-ci : c Que 
le serment que les bacheliers de théologie font à Paris 
au commencement de tous leurs actes, dans lequel on 
a introduit, depuis quarante ou cinquante ans, Tallé- 
gation de ne rien dire qui soit contraire aux décrets et 
constitutions des papes sans restriction, sera réformé 
et que pour cet efTet, on ajoutera à la fin de ce ser- 
ment : Décrets et constitutions des papes acceptés par 
l'Église. » Cette clause aurait eu, à tout le moins, le 
danger d'infirmer les condamnations des jansénistes, 
de provoquer une opposition violente de la part de la 
faculté de théologie et de montrer ainsi que l'unité doc- 
trinale de l'Église gallicane n'était point complète. 

Le parlement à qui l'édit du 20 mars accordait un 
droit de contrôle sur l'enseignement des facultés de 
théologie, collèges et maisons dépendant de l'univer- 
sité, et dont la déclaration consacrait certains principes, 
enregistra l'édit royal sans opposition, le 23 mars. Il y 
eut bien une protestation du procureur général Harlay; 
mais ce fut pour faire remarquer que l'indépendance 
de la couronne n'avait pas besoin d'être confirmée par 
une décision de la puissance spirituelle et pour re- 
gretter que le clergé n'eût pas infligé, dans le l«r article 
de sa déclaration, une censure directe à « ce qui s'y 
trouve opposé ». 

60 L'opposition. — La faculté de théologie de Paris, 
qui était une puissance dogmatique rivale du concile 
national, n'accepta pas facilement les quatre articles et 
l'cdit du 20 mars. Il y avait à cela des raisons d'ordre 
différent : elle prétendait bien n'être pas tenue d'assu- 
jettir son enseignement aux décisions d'une assemblée 
du clergé, et surtout ne pas relever du parlement; 
puis un certain nombre de ses docteurs avaient des 
tendances ultramontaines et la doctrine énoncée tou- 
chant rinfaillibilité pontificale la choquait spécialement. 
Cf. Cauchie, Le gallicanisme en Sorbonne, dans la 
Revue d'histoire ecclésiastique, Louvain, t. m et iv 
(1902-1904). Ce fut seulement le 16 juin que fut obtenue 
de haute lutte, pour ainsi dire, par la cour alliée au 
parlement, l'enregistrement par la faculté de théologie 
des quatre articles et de l'édit complémentaire. La cour 
prit même des mesures de rigueur contre les plus 
récalcitrants. L'université de Douai, au centre de pays 
récemment annexés, disait au roi « la grande aversion 
de tous ses fidèles sujets, qui sont dans ces pays réunis 
à sa couronne, de la déclaration du clergé de France, 
qui regarde la puissance ecclésiastique ». L'historien de 
Bossuet signale que, dès 1683, « on vit éclore une foule 



d'écrivains qui crurent s'illustrer en se livrant aux plus 
violentes déclarations contre l'Église gallicane. » Et il 
signale, d'après la préface mise par Bossuet à sa Défense 
de la déclaration : i^ deux écrits émanés de l'université 
de Louvain, intitulés l'un : Ad illustrissimos et reveren- 
dissimos Galliœ episcopos disquisitio theologico-juri^ 
dica super Declaralione cleri gallicani facta Parisiis 
i9 martii i682; l'autre : DoctHna quam de primalu, 
auctoritate et infallibilitate Ronianorum pontificuni 
tradiderunt Lovanienses sacrœ theologim magistri, 
ac professores tam veteres quam recentiores, etc., 
Declcwationi cleri gallicani de ecclesiastica potesiate 
nuper editœ opposita; 2^ la censure portée par l'ar- 
chevêque de Gran ou Strigonie, primat de Hongrie, 
Georges Szelepsemi, en son nom et .'au nom de tous 
ses collègues dans l'épiscopat, « avec les abbés, les pré- 
posés, les chapitres, et avec un grand nombre de pro- 
fesseurs de théologie, hommes éminents dans la con- 
naissance des saints canons. » Il dit que les quatre 
articles sont « des propositions choquantes pour les 
oreilles chrétiennes et à tous égards détestables », que 
a condamnent et réfutent assez la tradition constante 
des saints Pères, les décrets des conciles œcuméniques 
et les témoignages formels de la parole de Dieu », et 
après les avoir condamnés et proscrits, il défend à tous 
les fidèles « de les lire, tenir et encore bien plus de les 
enseigner », en attendant le jugement définitif du saint- 
siège; 3» un traité in-fol. du savant cardinal d'Âguirre 
intitulé : Defensio cathedras sancti Pétri cuiversus De- 
clarationenx noniine illustrissimi cleH gallicani edi- 
tam Parisiis, etc. Ces attaques furent telles que Bos- 
suet, se sentant atteint, crut bon de défendre son œuvre 
et entreprit une Défense de la déclaration. Il la ter- 
mina en 1685. Les circonstances ne lui permirent pas 
de la publier : Louis XIV ne voulait pas aigrir sa que- 
relle avec Rome. Cependant du dehors les attaques 
contre les quatre articles continuaient : entre autres 
de 1693 à 1695, Roccaberti, archevêque de Valence, pu- 
bliait contre la déclaration 3 in-fol. sous ce titre : De 
Romani pontificis auctoritate, que soulignèrent encore 
les louanges adressées à l'auteur par Innocent XII. 
Bossuet, dans un Mémoire au roi, demanda la suppres- 
sion en France des ouvrages de Roccaberti, ce que le 
parlement accorda dans un arrêt du 20 décembre 1695. 
Puis il reprit sa Défense de la déclaration, pour la 
remanier, afin de la mettre au point en face des nou- 
veaux critiques et aussi y introduire les changements 
qu'exigeaient les circonstances, principalement celle-ci : / 
qu'une trêve venait d'être signée entre Louis XIV et le ' 
saint-siège et que Louis XIV avait promis de ne plus \ 
rappeler les quatre articles. Bossuet, entre autres choses,, 
modifia le titre et à la place de Defensio declarationis^ 
cleri gallicani, il mit : Gallia orthodoxa sive vindicim 
scholm Parisiensis totiusque cleri gallicani. Malgré 
tout, le livre ne parut qu'après sa mort. Une première 
édition, faite à Tinsu de Bossuet, évéque de Troyes,. 
héritier des manuscrits de son oncle, contient la pre- 
mière rédaction de l'ouvrage, celle au jtilre : Defensia 
declarationis quam de potesiate ecclesiasHca sanant 
clerus gallicanus i9 martii 1682 ab III. et Rev. J, JS. 
Bossuet, 2 in-4o, Luxembourg, 1730; Bâle, 1730. Une 
traduction française des six premiers livres environ 
parut en 1735 sous la signature de Buffard. Une se— 
conde édition, entreprise par l'abbé Leroy sur les naa- 
nuscrits de la seconde rédaction, parut seulement 
après la mort de Bossuet, évéque de Troyes, avec ce 
titre : Defensio declarationis conventus clei'i gallicani 
an. 1682 de ecclesiastica potesiate, 2 in-4% Amsterdam 
(Paris), 1745. Une traduction française, faite par Leroy 
en 3 in-i», parut la même année à Amsterdam (Paris) ; 
elle fut réimprimée en 1774 et alors dédiée à Montazet,. 
archevêque de Lyon, sous ce titre : Défense de la JD^- 
claration... traduite en français avec des notes histo- 



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201 



DÉCLARATION DE 1682 



202 



riqtte$, critiques, ihéologiques et une Dissertation 
réfutant les qtiatre toniesin^'* du' cardinal Orsi, 2 in-i», 
Paris, 1774. D'autres éditions ont paru depuis. Orsi 
avait publié, en 1740 et 1741, deux ouvrages intitulés : 
De Homani pontificis auctoritate..» et De Romani 
pontificis infallibilitate. 

V. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693. 
— 1» Innocent XL — Quant à Innocent XI, il se tut 
d'abord, il attendait son heure. Il c a compris qu'il 
fallait en. finir et il a engagé un combat dont il doit 
sortir vainqueur. » Hanotaux. Il ne fulmina pas contre 
les qtiatre articles, mais il eut recours à une arme que 
lui fournissait le concordat; il refusa d'accorder la con- 
firmation canonique à ceux des ecclésiastiques nommés 
par le roi à des évéchés et qui avaient pris part à l'assem- 
blée de 1682. Il le dit dès octobre 1682, à propos de la 
nomination par Louis XIV des abbés de Camps et de 
Maupeou aux évéchés de Pamiers et de Castres. 
Louis XIV déclan ;alors, sur les conseils du cardinal 
d'Estrées, qu'il ne demanderait plus aucune confirma- 
tion [canonique jusqu'à ce que ces deux personnages 
fassent agréés, et il continua à désigner aux évéchés 
vacants soit des membres de l'assemblée soit d'autres. 
Il espérait que la crainte de voir un grand nombre 
<l'égllses sans pasteurs légitimes triompherait du pape, 
mais Innocent XI ne se laissa pas intimider, et en 1^7, 
le Mémoire du roi pour servir d'insti^uction au sieur 
de Lavardin portait : « Il y a déjà trente-trois diocèses 
qui languissent sans évoques. » On essaya |de pourvoir 
à 1 administration des diocèses par toutes sortes d'expé- 
dients; les nouveaux élus étaient par exemple nommés 
vicaires capitulaires par les chapitres des diocèses 
Tacants par la mort du titulaire, ou bien, en cas de 
translation, vicaires généraux de leurs prédécesseurs 
dans les diocèses que ceux-ci abandonnaient. 

Néanmoins, la situation était insupportable. Louis XIV 
essaya encore de négocier, mais la menace à la bouche. 
« La cour de Rome, disaient ses Instructions à Lavar- 
din, désigné, en 1687, pour remplacer à Rome le duc 
d'Eslrées mort cette même année, contrevient au concor- 
dat par ses refus qui sont notoirement injustes. Le 
pape, par sa contravention au concordat, est déchu de 
ce que le concordat lui accorde. » En conséquence, 
« Sa Bfajesté sera obligée de permettre à ses parlements 
de prendre dans les conciles catholiques, apostoliques et 
romains le remède » au mal, et ce remède sera celui-ci : 
Les parlements, après avoir déclaré qu'il y a abus dans 
ces refus du pape « comme étant contraires au concor- 
dat et aux lois du royaume ]», s'appuyant sur « les an- 
ciens conciles de France et d'Espagne où l'on voit que 
le roi nommait, le peuple et le clergé élisaient, le mé- 
tropolitain confirmait et ensuite l'évéque était sacré par 
trois évèques au moins de la même province dont était 
t'évéché vacant i, le concordat n'ayant fait que < trans- 
férer au pape le droit de confirmation » du métropoli- 
tain et c cette translation devenant caduque » par le 
refus du pape, e supplieront i le roi de demander la 
confirmation au métropolitain, c sans tirer à consé- 
quence pour l'avenir, quand il plaira à notre Saint- 
Père le pape d'exécuter le concordat, i Mais la menace 
se brisait sar Innocent XI. Lavardin était l'homme le 
moins fait ponr réussir ici et tout se compliquait de 
l'affaire des franchises. Ce fut un échec complet. Il 
fallut bien que Louis XIV allât plus loin. Non seule- 
ment il annonçait qu'il pourrait bien prendre la me- 
sure ordinaire en pareille occurrence, l'occupation 
d^ Avignon, mais, le 31 décembre 1687, Louvois donnait 
Tordre de préparer une expédition contre Rome, et le 
23 janvier 1688 l'avocat général Talon annonçait l'appel 
au futur concile, « parce que non seulement les déci- 
nons des papes, mais leur personne même, quand ils 
manquent à leur devoir dans, le gouvernement de 
VÉgiise, est soumise à la correction et à la réformation 



du concile général en ce qui regarde tant la foi que la 
discipline. » 

Mais en juin 1688 mourait l'électeur de Cologne. 
Louis XIV voulait lui faire donner comme successeur 
le coadjuteur, le cardinal de Furstemberg. Cela dépen- 
dait du pape : de là, la mission secrète de Chamlay, 
mais Innocent XI refusa de recevoir cet envoyé, juil- 
let 1682. Alors ce fut la guerre ouverte; en septembre, 
le 6, un manifeste du roi contre le pape, sous la forme 
d'une lettre adressée au cardinal d'Estrées, était envoyé 
à Rome et bientôt publié partout; le 13, l'ordre était 
donné d'occuper Avignon et le Comtat Venaissin; enfin, 
le 24, le roi donnait ordre au procureur général d'in- 
terjeter appel au futur concile de toutes les procédures 
faites ou à faire par le pape contre lui, et l'acte d'appel 
fut dressé le 27. On demandait à Louis XIV d'aller 
plus loin, d'assembler les notables, de convoquer un 
concile national. Il s'arrêta aussitôt qu'il s'aperçut qu'on 
le poussait dans la voie du schisme. Mais déjà il 
était puni : ce n'était point à son candidat que le pape 
avait donné l'archevêché de Cologne et c'était à ce mo- 
ment, 1688, un échec gros de conséquences. En même 
temps, le pape faisait répandre un mémoire justificatif 
écrit en italien et traduit en français sous ce titre : 
Réflexions pour 'servir de réponse sur la lettre en 
forme de manifeste que M. le cardinal d'Estrées 
distribue. 

2® Alexandre Vlll. — Cependant Innocent XI mour- 
rait le 11 août 1689. Son successeur Alexandre VIII, 
6 octobre 1689, donna quelques marques de bienveil- 
lance au représentant de Louis XIV au conclave, le 
duc de Chaulnes. Aussitôt Louis XIV entra dans la voie 
des concessions; il restitua Avignon et céda sur la 
question des franchises. En retour, Alexandre VIII se 
montra prêt à accorder les bulles toujours refusées 
par Innocent XI aux anciens nlembres de l'assemblée 
de 1682, s'ils consentaient à une rétractation ou plus 
exactement à cette déclaration qu'ils n'avaient préten- 
du émettre touchant la puissance pontificale qu'une 
opinion personnelle. La négociation, pénible pour l'or- 
gueil de Louis XIV, n'avait pas abouti, lorsque mou- 
rut Alexandre VIII, i" février 1691. Mais deux jours 
avant de mourir il accomplissait deux grands actes : 
1<» il publiait la constitution Inter muUipHces qu'il 
avait écrite dès le 4 avril 1690, première année de son 
pontificat, et dans laquelle, après avoir rappelé les cen- 
sures portées par la lettre du 11 avril 1682 sur les actes 
de l'assemblée du clergé français, il ajoute : « Voulant 
en outre par les présentes qu'on regarde pour bien 
et suffisamment exprimés et insérés ici de mot à mot 
et très exactement spécifiés selon toute leur teneur les 
actes de l'assemblée de 1682... nous déclarons de notre 
propre mouvement et de science certaine, après mûre 
délibération et en vertu de la plénitude de l'autorité 
apostolique, que toutes les dispositions en général et 
individuellement qui ont été faites dans la susdite 
assemblée du clergé de France de 1682, tant touchant 
l'extension du droit de régale que touchant la décla- 
ration sur la puissance ecclésiastique et les quatre pro- 
positions y contenues, avec tous les mandats, arrêts... 
édits, décrets, faits et publiés par des personnes quel- 
conques, soit ecclésiastiques, soit laïques... nous décla- 
rons que toutes ces choses ont été, de plein droit, 
nulles, invalides, illusoires, pleinement et entièrement 
destituées de force et d'effet dès le principe, qu'elles le 
sont encore et le seront à perpétuité et que personne 
n'est tenu de les observer ou d'observer quelqu'une 
d'elles, fussent-elles même munies du sceau du ser- 
ment... Et néanmoins pour plus grande précaution.., 
et en vertu de la plénitude de pouvoir comme dessus, 
nous improuvons, cassons, invalidons et annulons, et 
nous dépouillons pleinement de toute force et eflet les 
actes et dispositions susdites... ^ Cette constitution ne 



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DÉCLARATION DE 1682 



204 



condamnait pas directement, il faut le remarquer, le 
fond même, la doctrine des quatre articles. Elle annu- 
lait seulement les actes d'un pouvoir judiciaire et civil 
incompétent dans les questions spirituelles et surtout 
d'une assemblée ecclésiastique inhabile à décider 
n'étant pas canoniqne et ayant sacrifié « les droits des 
Églises de France, du souverain pontife et de l'Église 
universelle. » Les gallicans ne s'en émurent pas 
moins : ils se sentaient atteints; c on ne se rassura 
qu'en inventant l'expédient de dire que cette pièce 
marquait trop la faiblesse d'esprit d'un mourant et 
présentait trop de défauts pour être approuvée par le 
sacré collège, » Gaillardin; 2» une lettre au roi de 
France où il le suppliait de veiller à ce que cette con- 
stitution Inter multiplices fût acceptée et mise à exé- 
cution dans tout le royaume et de mettre ainsi fin à 
cette querelle funeste. 

3» Innocent XIL Pacification, 1693. — Un progrès 
avait été fait sous le règne d'Alexandre VIII. Tandis 
qu'Innocent XI refusait purement et simplement des 
bulles aux membres de l'assemblée, Alexandre VIII 
avait admis — les autres évéques nommés n'étaient pas en 
![uestion — la possibilité de donner des bulles à ces per- 
sonnages compromis, à la condition que le roi retirât 
»on édit du 20 mars et qu'eux-mêmes signassent une 
rétractation sur la formule de laquelle on commença 
de discuter. Innocent XII reprit les négociations où 
elles en étaient. Elles durèrent deux ans. Par orgueil, 
le roi eût bien voulu ne pas céder, puis, il lui en coû- 
tait de laisser traiter en coupables des hommes qui 
avaient cru servir ses intérêts. On discuta longtemps 
les termes de la rétractation. Mais l'horizon politique, 
malgré de réels succès militaires, s'assombrissait ; la 
religion souffrait de la situation dans plus de quarante 
diocèses et c'était une singulière contradiction que le 
roi, qui préparait la révocation de l'édit de Nantes, fût 
en révolte ouverte contre le chef de l'Église. Le 14 sep- 
tembre 1693 donc, il écrivait au pape : « Je suis bien 
aise de faire savoir à Votre Sainteté, que j'ai donné les 
ordres nécessaires pour que les choses contenues dans 
mon édit du 22 mars 1682, touchant la déclaration faite 
par le clergé de France, à qui les conjonctures passées 
m'avaient obligé, ne soient pas observées. » Ce n'était 
point là une rétractation de principes, mais la suspen- 
sion de l'exécution d'un édit. Quant aux évêques nom- 
més depuis 1682, leur rétractation portait pour chacun : 
« Nous professons et nous déclarons que nous sommes 
extrêmement fâchés, et au delà de tout ce qu'on peut 
dire, de ce qui s'est fait dans l'assemblée susdite (de 
1682), qui a souverainement déplu à Votre Sainteté et 
à ses prédécesseurs. Ainsi tout ce qui a pu être or- 
donné dans cette assemblée contre la puissance ecclé- 
siastique et l'autorité pontificale, nous le tenons et 
nous déclarons qu'on doit le tenir pour non ordonné. 
De pi as nous tenons pour non délibéré, tout ce qu'on 
a pu avoir pensé y avoir été délibéré au préjudice des 
églises; notre intention n'a pas été de décider quelque 
chose contre les droits de nos églises. y> Louis XIV tint 
parole en ce qui concerna l'enseignement de la décla- 
ration; malgré cela et si plus tard il sollicita du pape, 
comme d'une autorité dernière infaillible, la bulle Uni- 
genitus, il n'en demeura pas moins pénétré des doc- 
trines gallicanes comme le prouve son grand édit de 
1695 sur la juridiction ecclésiastique. En tout cas, les 
parlements continuèrent à faire état de la déclaration 
de 1682. 

VI. Les quatre articles de 1715 À 1870. — La dé- 
claration de 1682 disparut comme le gallicanisme à 
l'état de doctrine — non à l'état de tendance — avec 
les décrets du concile du Vatican. 

Le régalisme et l'épiscopalisme, qui en étaient le fond, 
reçurent un coup violent de la Révolution avec la 
constitution civile qui en est le triomphe et qui mon- 



tra à quels excès ces deux doctrines peuvent conduire, 
avec les actes de l'autorité de Pie VII déposant les 
évéques et remaniant l'Église de France au moment du 
concordat. De 1715 à 1789, les parlements, dont le 
gallicanisme s'était pour ainsi dire fortifié de jansé- 
nisme, furent les défenseurs ardents de la déclaration 
de 1682. En 1766, sous le ministère Choiseul, Louis XV 
ordonna que les quatre articles de 1682 fussent de 
nouveau enseignés dans les séminaires et ils le furent 
en effet jusqu'à la Révolution. Mais ces articles s'étaient 
également répandus au dehors et le synode de Pistoie 
en 1786 osa les soutenir et les insérer dans son décret 
delà foi. Le 28 août 179i, Pie VI condamnait le synode, 
le décret et l'usage fait de la déclaration de 1682, dans 
la bulle Auctorem fidei : « L'on ne doit pas passer sous 
silence, y disait-il, cette insigne et frauduleuse témé- 
rité du synode, qui non seulement a osé prodiguer les 
plus grands éloges à la déclaration de l'assemblée 
gallicane de 1682, depuis longtemps improuvée par le 
siège apostolique, mais qui s'est permis, pour lui donner 
plus d'autorité, de la renfermer insidieusement dans 
un décret intitulé De la foi, d'adopter ouvertement les 
articles qu'elle contient et de mettre le sceau, par la 
profession publique et solennelle de ces articles, à tout 
ce que renferment les différentes parties de ce décret... 
c'est pourquoi nous réprouvons et condamnons l'adop- 
tion récente et accompagnée de tant de vices qui en a 
été faite dans le synode, comme téméraire, scandaleuse.. . 
et... comme grandement injurieuse à ce siège apos- 
tolique. » 

On a vu à l'article Concordat, t. m, col. 760 sq., 
comment Bonaparte essaya de faire revivre dans les 
articles organiques, avec toutes les libertés gallicanes, 
l'enseignement des quatre articles et comment, dans 
ses luttes avec le pape, il essaya de l'amener à accepter 
les quatre articles et 'pour ainsi dire à leur prêter 
serment. Avec la Restauration les choses tombèrent 
dans l'oubli, mais en 1824, sous le ministère Villèle, 
un décret royal ordonna de reprendre dans les sémi- 
naires l'enseignement des quatre articles. Cette ordon- 
nance provoqua les colères de bon nombre d'évèques. 
Voir Clermont-Tonnerre, t. m, col. 236. Mais dans 
cette période, le plus redoutable adversaire de la décla- 
ration de 1682 fut Lamennais, en particulier dans son 
livre. De la religion considérée dans ses rapports avec 
Vordre politique et civil, in-8o, Paris, 1826. On deman- 
dait dès lors aux professeurs nouveaux, que les évêques 
nommaient dans leurs séminaires, de signer l'engage- 
ment d'enseigner les quatre articles. La tactique géné- 
rale fut de ne pas répondre à cette mise en demeure 
et le gouvernement n'insistait pas. On cessa sous le 
second empire de faire cette demande. Les luttes entre 
ultramontains et gallicans recommencèrent avec inten- 
sité autour du Manuel de droit ecclésiMtique français 
de Dupin aine, en 1814, et plus tard à propos du concile 
du Vatican. 

Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires 
du clergé de France, dans les Mémoires du clergé, 12 in-fol., 
Paris, 1716; Collection des procès-verbaux des assemblées 
générales du clergé de France depuis i560 jusqu'à présent, 
9 in-fol., Paris, 1767-1780; Cherâbiol, Magnum buUarium 
romanum, 19tom. en 12 vol., Luxembourg, 1727^742; Men- 
tion, Documents relatifs aux rapports du clergé avec lapa* 
pauté de 1682 à iliô, ia-8*, Paria, 1893; Berthier, Innocenta 
P. P. XI epistolm ad principes, etc., Rome, 1889 sq. ; Dep- 
ping, Correspondance administrative, t. iv ; Clément, Lettres, 
instructions et mémoiresde Colbert, 7 vol. en 10 tom. in-4*, Paris, 
1861-1865; Hanotaux, Rome, dans le Recueil des instructions 
données aux ambassadeurs de France, Paria, 1888, 1. 1; Pierre 
Pithou, Les libertés de V Église gallicane, in-4*, Paris, 15^4^; 
Pierre Dupuy, Traité des droits et libertés de f Église gallicane, 
3 in-fol., Paris, 1639, 16&1, 1731 ; Guy Coquelle. Traité des liber- 
tés de V Église gallicane, 2 in-fol., Bordeaux, 1703; Durand de 
Maillane, Les libertés de VÉgUse gallicane, 5 in-4*, Lyon, 1771 ; 
EUies du Pin, De potestate ecclesiastica et temporali sive de- 



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205 



DECLARATION DE 1682 — DÉCRÉTALES 



206 



claratio cleri gallicani, in-4*, Mayence, 1788; Isambert, Recueil 
deê anciennes lois françaises de 420 à il 89, 29 in-8% Paris, 1822- 
1827; les Lettres et mémoires du temps, notamment les Lettres 
de Bossuet dans ses Œuvres, édit. Lâchât, 31 in-8*, Paris, 1875, 
t. xxvi-xxx ; le P. Rapin, Mémoires, édit. Aubineau, 3 in-8', 
Paris, 186& ; Lcdieu. Mémoires, édit. Guettée, 4 in-8-, Paris, 
1866; Legendre, Mémoires, édit Roux, in-8*, Paris, 1863; Joseph 
de Maistre, Du pape, in-8% Paris, 1819 ; De VÉglise gallicane, 
iih8*, Paris, 1821 ; Grégoire, Essai historique sur les libertés 
de rÉglise gallicane, In*8', Paris, 1818 ; Bausset, Histoire de 
Bossuet, 4 in-S", Versailles, 1814-1819; Oesmarals, Histoire des 
démêlés de la cour de France avec la cour de Rome, in-4*, 
PiMTs, 1706; Tabaraud, Histoire critique de Rassemblée géné- 
rale du clei'gé de France en i682, in-8% Paris, 1826; Gérin, 
Recherches historiques sur l'assemblée du clergé de i68S, 
iii-8', Paris, 1869; 2* édit., 1877; Le pape Alexandre VI II et 
Louis XIV, in-8*, Paris, 1870; Loyson, VAssemblée générale 
du clergé de France de 1682, in^*, Paris, 1870 ; Michaud, 
Louis X/Vet Innocent XI, 4 in-8*, Paris, 1882-1883; Guamacci, 
Vitse et res gestœ Romanorum pontificum et cardinalium a 
Clémente X usque ad Clementem X/, 2 in-fol., Rome, 1751 ; 
Buonamici, De vita et rébus gestis Innocenta XI, Rome, 1776; 
Ranke, Die rdmischen Pàpste in den lelzten vier Jahrhunder- 
ten, 3 in-8% Berlin, 1836, t. m; aéraent. Histoire de Colbert, 
2 in-8-, Paris, 1874; Rousset, Histoire de Louvois, 4 in-8*, 
Paris, 1863; Voltaire, U siècle de Louis XIV, in-12, Berlin, 
1"^; Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV, 5 in-8*, Paris, 
1871-1875 ; le t. vi de Y Histoire générale, publiée sous la direc- 
tion de MM. Lavisse et Rambaud; le t. vu de l'Histoire de 
France, publiée sous la direction de M. Lavisse, et en général 
les Histoires de Louis XIV. 

C. Constantin. 
i» DÉCRET. En matière ecclésiastique, le mot 
décret a conservé un sens très général qu'il a perdu 
depuis plus d'un siècle dans le langage des juristes. 
Ces derniers remploient exclusivement pour dési- 
gner certains actes du pouvoir exécutif, par opposition 
aux actes législatifs et aux sentences judiciaires. Or, 
en droit canonique, le décret est, au contraire, soit 
un acte législatif, soit un acte judiciaire. Les niolu 
proprio, rescrits, induits, etc., constitueraient plutôt 
la catégorie des actes adminisUrdlifs auxquels on réserve 
en droit français le nom de décret. L'assimilation n'est 
d'ailleurs pas possible d'une manière absolument exacte, 
la séparation des pouvoirs n'existant pas dans lès curies 
eccJésiasliques. 

La loi ecclésiastique, quel que soit le législateur, 
concile général, pape, évéque, se présente toujours 
comme un décret. Les lois promulguées par le concile 
de Trente sont des décrets, celles que le pape promulgue 
soit par lui-même au point de vue doctrinal, soit par 
les Congrégations romaines, Saint-Office, S. C. du 
Concile, des Évéques et Réguliers, [des Rites, etc., au 
point de vae disciplinaire, sont des décrets. Une ordon- 
nance d'un évéque ou d'un prélat régulier, si elle a 
force de loi, constitue un décret. Les règlements ou 
statuts des chapitres généraux des ordres religieux sont 
aussi des décrets quand ils ont force de loi, de même 
pour les statuts des chapitres séculiers. 

Au point de vue judiciaire, on appelle décret tout 
jugement qui n'est pas le jugement définitif : précepte 
du juge destiné à pourvoir au provisoire, à organiser 
l'instance, à déclarer close l'enquête et à en permettre 
la communication aux parties intéressées (publication de 
l'enquête). Dans l'ancien droit français, certains juge- 
ments préliminaires rendus contre un accusé, pour le 
taire comparaître, pour vendre ses biens, etc., portaient 
ainsi le nom de décrets. Le droit ecclésiastique a con- 
servé l'usage du mot décret là où les jurisconsultes 
modernes se servent des termes : jugement avant faire 
^^^ jugement interlocutoire, préparatoire, provisoire, 
jugements sur requête, ordonnances de référé, etc. 

P. FOURNERET. 

2. DÉCRETS. I^e mot a été employé au moyen âge 
dans le sens de collection de textes canoniques, et il 
«^applique encore dans ce sens par antonomase au 
décret de Gratien (voir Gratien), qui constitue la 



première partie du Corpus juris canonici, Parmi les 
compilations canoniques qui furent faites au nombre de 
quarante environ, depuis le ix« siècle jusqu'au temps 
de Gratien, deux très importantes portent le nom de 
Décret. Elles sont l'œuvre de Burchard de Worras et 
d'Yves de Chartres. 

lo Les vingt livres de Burchard, évéque de Worms. 
Cette vaste compilation, composée entre 1012 et 1023 
(Decrelum magnum Décréter um volunien)^ s'appela 
au moyen âge le Brocard, par corruption du nom de 
son auteur. L'ouvrage dépend de Réginon. On y trouve 
des règles de droit sous une forme énergique, concise, 
facile â retenir (brocards). C'est d'ailleurs une com- 
pilation générale de science ecclésiastique destinée à 
l'instruction pratique des clercs du diocèse de Worms, 
plutôt qu'une collection proprement canonique. Voici 
les matières des vingt livres du décret de Burchard : 
]. I, le pape, le patriarche, le métropolitain, l'évêque, 
le synode, le juge; 1. II, le clergé; l. III, les églises et 
les dimes; 1. IV-XIV, les sacrements; 1. XV, les devoirs 
des laïques; l. XVI-XVIII, les délits et les peines; 
1. XIX, corrector ou medicus, est un pénitentiel; le 
l. XX, De contemplatione, est un traité de philosophie 
et de théologie. Burchard a utilisé sans discernement 
les apocryphes d'Isidore Mercator, ainsi que les faux 
capitulaires de Benoit Lévite. Ce défaut de critique est 
d'autant plus dangereux pour le lecteur moderne qu'il 
n'existe pas d'édition critique du décret de Burchard 
de Worms. On doit reconnaître que cet auteur, malgré 
ses imperfections, a ouvert la voie à Gratien sur un 
point très important, en travaillant à résoudre les anti- 
nomies des textes canoniques, concordanlla discordan- 
lium canonum. Ce fut, avant le Décret de Gratien, le 
manuel canonique le plus répandu. 

2o Le décret d'Yves de Chartres (f 1117) semble 
avoir été un travail préparatoire à la Panormie. C'est 
une compilation assez peu ordonnée des documents 
disciplinaires recueillis jusque-là par différents auteurs. 
L'ouvrage dépend surtout de Burchard de Worms. Ce 
qui en fait l'intérêt est l'introduction d'un certain 
nombre de lois tirées des compilations de Justinien, 
dans un document antérieur aux grands travaux de 
l'école de Bologne sur le droit romain. Voir Yves de 
Chartres. 

On trouve le décret de Burchard de Worms dans une édition de 
Paris, 1540, reproduite P. L., t. cxl, col. 537-4020 sq. Une autre 
édition a été donnée à Cologne en 1548. Le 1. XIX-, qui contient 
un traité pour l'administration de la pénitence, a été réimprimé 
par Wasserschleben, Bûssordnungen der abendlàndischen 
Kirche, 1851, p. 624. Il existe un manuscrit contemporain de 
Burchard à la bibliothèque de l'université de Fribourg-en-Bris- 
gau. Cf. Ph. Schneider, Die Lehre von den Kirchenrechtsquel- 
len, § 29, Ratisbonne, 1892. 

Le décret d'Yves de Chartres se trouve dans les Opéra 
omnia, édités à Paris en 1647 par le génovefain Fronto. Malgré 
son titre, cet in-folio ne contient pas la Panormie. Migne a repro- 
duit le décret et la Panormie, P. L., t. cuci, col. 47-1022. 
Cf. ibid,, col. XLIX-Lxvviii, 41-47. Voir aussi A. Theiner, Ueber 
Iv(fs vermeintliches Décret, Mayence, 1832; P. Foumier, Les 
collections canoniques attribuées à Yves de Chartres, dans 
Bibliothèque de Vécole des chartes, 1896 et 1897. 

P. FoURNERET. 

1. DÉCRÉTALES. — L Définition et divers sens du 
mot. IL Recueils ou collections. III. Ces collections, 
sources théologiques. 

I. Définition et divers sens du mot. — On nomme 
décrétâtes (decretale comtituium, decretalis epistola) 
des ordonnances ou constitutions des papes, ayant une 
portée générale soit pour l'Église entière, soit au 
moins pour une de ses parties notables, une ou plu- 
sieurs provinces ecclésiastiques. Dans le langage com- 
mun des canonistes, on donne le nom de constitution 
ou décret aux ordonnances faites motu proprio, et 
l'on réserve celui de décré taies aux ordonnances 
d'ordre général faites en réponse à des demandes ou 



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207 



DÉCRÉTALES 



208 



consultations, le nom de rescrit désigne les constitu- 
tions ayant pour objet des personnes privées ou des 
Cl uses d'ordre parliculier. Les termes huile ou bref 
indiquent seulement la forme extérieure dans laquelle 
sont envoyés les lettres, décrélales, rescrits, etc. Voir 
ces mots. 

A l'origine, le terme décrétale avait un sens plus 
étendu : il ne désignait pas seulement les ordonnances 
d3s papes, mais encore celles des évéques. Il avait aussi 
des synonymes, comme constilutum, auctoritas. Maas- 
sen, Geschichte der Quellen und der Literalur des 
kanonischen Rechts, p. 228. 

Le premier document, semble-t-il, où le moidécrétale 
paraisse avec le sens que nous lui donnons, pour dé- 
signer les ordonnances des papes, est la lettre du 
pape Sirice à Tévêque Himerius de Tarra^one, où il 
dit : ad servandos canones et tenenda decretalia 
consliluta magis ac magis incilamus, Maassen, 
op. cit., p. 230. 

En tin le mot a reçu dans la suite un nouveau sens : 
il désigne parfois le recueil lui-même des décrétales. 
IL Recueils ou collections. — l® Antérieurs à Gror 
tien, — Provenant du chef suprême de l'Église, les 
décrétales des papes avaient une très grande importance, 
et les mêmes cas se représentant plus ou moins iden- 
tiques partout et donnant lieu aux mêmes difficultés, 
les réponses pontificales étaient souvent communiquées 
d'église à église. Bientôt on jugea utile d'en faire des 
collections ou recueils aussi complets que possible. ' 

De ces collections, les unes générales, les autres par- 
ticulières, quelques-unes sont à peine connues, d'autres 
ont été célèbres. Voir l'historique dans Maassen, 
op. cit. Nous citerons seulement celle de Denys le Petit, 
avec ses formes ou ses modifications postérieures, la 
collection de Quesnel, VHispana, celle des Fausses 
Décrétales; on en trouvera une liste, pour celles qui ont 
paru avant le milieu du ix« siècle par exemple, dans 
Maassen, op. cit. À partir de cette date, les collections 
qui étaient plutôt disposées dans l'ordre chronologique, 
prennent un ordre systématique, par matières, et visent 
à devenir de plus en plus complètes. On cite parmi 
elles la Collectio Anselmo dedicata, celle de Réginon 
de Prùm; le Decretum de Burchard de Worms et 
celui d'Yves de Chartres, voir Décrets, col. 206, la 
Collectio Anselmi, celles du cardinal Deusdedit, de 
Bonizon, celle de Saragosse, le Polycarpus, etc. Tontes 
furent dépassées et remplacées par celle de Gratien : 
Concordia discordantiuni canonum, plus lard commu- 
nément nommée le Décret. Voir Gratien. 

2® Postérieurs à Gratien. — 1. Antérieurs à Gré- 
goire IX. — Le Decretum de Gratien exerça dans le 
domaine des études canoniques une influence féconde, 
et ce renouveau eut pour conséquence naturelle des 
discussions de cas plus juridiques, plus cohérentes, 
des appels au pape plus nombreux. En même temps, 
et pour d'autres causes encore, le pouvoir des papes 
était appelé à s'exercer davantage; quand ces papes 
étaient des hommes et des canonistes comme Alexan- 
dre III et Innocent III, leurs décrétales, s'élevant au- 
dessus du cas terre à terre qu'on leur avait présenté, 
avaient une portée plus haute et pour ainsi dire univer- 
selle, elles étaient plus demandées; aussi le registre 
d'Alexandre III, par exemple, ne contient pas moins 
de 3939 numéros et celui d'Innocent III plus de 5000. 
D'autre part, les deux conciles de Latran de 1179 et de 
1215 prirent des décisions très importantes et d'une 
fréquente utilité pratique. Il faudrait s'étonner si ces 
textes n'eussent pas été recueillis et ajoutés au Décret. 
La première collection que l'on adjoignit ainsi au 
Dea'etuni fiit VAppendix concilii Lateranensis. Divi»- 
sée en 50 parties (jjartes) et 537 chapitres, et mise au 
point grâce à plusieurs recensions successives, elle 
contient, avec les statuts de Latran (1179), d'autres 



pièces, par exemple des décrétales des papes, des 
canons de conciles, tels que celui de Tours de 1163. 
Elle fut imitée par d'autres collections moins connues : 
la Collectio Bambergensis, la Collectio Lipsiensis, la 
Collectio Casselana, distribuées toutes en division à 
deux degrés : partes, libri ou tituli et capita. 

Une nouvelle collection, plus méthodique, fut faite 
par un des canonistes les plus célèbres de l'époque, 
Bernard de Pavie (Bernardus Papiensis ou simple- 
ment Papiensis). Nommée d'abord, Breviarium extrava- 
gantium, ou par son auteur, Libellus extravagantium 
et ailleurs Décrétâtes et extravagantia {Vaganti^i [dé- 
créta] extra [Decretum]), elle est désignée plus com- 
munément aujourd'hui sous le nom de Compilatio i*. 
Le dessein du compilateur était, comme celui de ses 
devanciers, de compléter Gratien. Mais ce qui le distingue 
d'eux tous et lui donne une importance hors de pair, 
c'est l'ordre dans lequel il distribua sa matière : il la 
répartit en une division à trois degrés : livres, titres, 
chapitres. Les livres étaient au nombre de cinq dont 
la Glose exprima l'ordre et l'objet dans l'hexamètre 
bien connu : 

Judex, judicium, clerus, connubia (sponsalia), crimen ; 

le I*»" traitant de la personne et des devoirs du juge, le 
II« du jugement et de la procédure, le I1I« de l'état des 
clercs et des moines, le IV» du mariage, le V« des 
crimes et délits. Dans ces cinq livres on avait réuni, 
sous 152 titres, 932 chapitres. Malgré cette masse de 
documents, la compilation restait dans des limites con- 
venables : l'auteur, afin d'alléger son œuvre, avait fait 
des coupures dans les documents très nombreux, pa- 
tristiques, conciliaires, etc., dont il s'était servi : il n'en 
insérait que la partie qu'il jugeait nécessaire, en omet- 
tant tout le reste ; les omissions étaient indiquées par le 
renvoi : et infra. La collection parut après 1191, 
lorsque Bernard avait déjà échangé la prévôté de Pavie 
contre l'évéché de Faenza. 

Nous nous sommes un peu étendu sur cette compi- 
lation, à cause de l'influence prépondérante qu'elle 
exerça sur les suivantes et en particulier sur celle de 
Grégoire IX. Quoiqu'elle ne fût qu'une œuvre privée 
et sans caractère officiel, elle servit de texte pour les 
leçons et fut commentée par les maîtres qui l'entou- 
rèrent de gloses. Aussi, de ce jour, les canonistes, 
jusque-là nommés décrétistes, reçurent parfois le nom 
de décrétalistes.Ldi citation des textes, quand on y ren- 
voyait, se faisait en indiquant le chapitre, suivi du mot 
Extra ou simplement X et de l'énoncé du titre. 

L'exemple de Bernard fut imité. Ses successeurs 
continuèrent son œuvre en colUgeant les textes qui lui 
avaient échappé en même temps que les décrétales 
nouvelles et l'on eut, dans l'ordre chronologique, les 
Compilationes II h, //*, IV» et V\ pour ne mentionner 
que celles-là. Deux d'entre elles eurent un caractère 
officiel, la Conipilatio III», envoyée par Innocent III lui- 
même à l'université de Bologne, afin qu'elle servit tam 
in judiciis quant in scholis, bulle Devotionis vestrœ 
(28 décembre 1210), et la Conipilatio F», envoyée aussi 
par Honorius III à l'illustre canoniste Tancrède, alors 
archidiacre de Bologne, avec l'ordre quatenus eis so- 
lemniter publicatis, absque ullo scrupulo dubitatio- 
nis utaris, et ab aliis recipi fadas, tam in judiciis 
quam in scholis. Bulle Novm causarum, de 1226 ou 
1227. Toutes ces collections étaient faites sur le modèle 
de celle de Bernard de Pavie. 

L'un des motifs qui avaient poussé Innocent III à 
donner sa compilation et à l'envoyer à l'université de 
Bologne, c'était d'exclure une compilation faite par 
Bernard de Compostelle qui contenait des décrétales 
rejetées par la curie romaine. Mais toutes les difficultés 
n'étaient pas exclues de ce fait. Grégoire IX a marqué 
lui-même en termes concis les défauts de toutes ces 



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DÉCKÉTALES 



210 



collections qui se succédaient sans se remplacer abso- 
lument : rincommodité d'avoir recours à plusieurs 
ouvrages à la fois trop semblables (par l'accumulation 
des mêmes textes) et trop divers (par l'insertion de 
textes parfois contradictoires); d'où résultait l'incerti- 
tude sur la valeur juridique des sentences portées 
d'après ces décré taies. 

2. Leê Décrétâtes de Grégoire IX. — A peine monté 
sur le trône pontifical où son grand âge ne permettait 
pas au pape octogénaire l'espoir de longues années, 
Grégoire IX voulut porter remède à ces défauts et 
mettre dans cette confusion un peu d'unité. En 1230, 
il chargea son chapelain et pénitencier, le dominicain 
Raymond de Pennafort, déjà renommé comme doclor 
decretorum, de faire une nouvelle collection destinée à 
remplacer toutes les autres. Non seulement on obtien- 
drait l'unité matérielle en remplaçant les Quinque 
conipilationes par une seule, mais on lui donnerait 
l'unité intérieure d'une procédure logique et cohérente, 
soit en supprimant les textes anciens, soit même en 
les modifiant, et le tout serait mis au point par l'inser- 
tion des nouvelles décrétâtes parues. 

Raymond se mit à l'œuvre aussitôt. ÂÛn de ne pas 
troubler des habitudes reçues, il conserva, des compi- 
lations existantes, tout ce qui pouvait être maintenu, 
le cadre, la division en cinq livres subdivisés en titres 
et en chapitres. Plus encore, il admit dans la sienne 
tous Jes titres de la Conipitatio 1\ 10 de la 11\ 17 de 
la 111^, i de la /F«; il n'en ajouta que cinq nouveaux. 
Le total donnait 185 titres divisés en 1971 chapitres, des- 
quels 1766 venaient des compilations précédentes ; 196 
étaient l'apport du pape régnant, et 65 d'entre eux, com- 
posés sur la demande de Raymond, avaient pour but 
de trancher les questions controversées. Comme ses pré- 
décesseurs, et en particulier Bernard de Pavie, l'auteur 
avait visé à la brièveté et omis tout ce qui ne lui pa- 
raissait pas nécessaire à la solution (entre autres l'ex- 
posé du cas qui avait été soumis au pape, les species 
facli) ; les passages omis sont connus sous le nom de 
partes dccisss et ils sont indiqués, comme dans Ber- 
nard, par le renvoi : et infra. 

Raymond de Pennafort n'avait pas visé à faire une 
<euvre originale. En prenant les textes connus, il ne 
remonta pas aux sources et se contenta de les insérer 
comme les donnaient les Quinque conipilationes. Ces 
textes provenaient de la sainte Écriture, des canons 
des apôtres, des conciles, depuis celui de Sardique 
jusqu'au IV* de Latran (1215), des décrétâtes pontifi- 
cales, depuis Boniface I*** jusqu'à Grégoire IX, des 
Pères de l'Église, des ordines romani, des pénitentiels, 
des lois civiles ; quelques Fausses Décrétâtes alors re- 
çues y entrèrent aussi. Â l'intérieur de chaque titre il 
disposait ordinairement les chapitres dans l'ordre 
chronologique, ce qui existait déjà, au moins en par- 
tie, dans quelques-unes des compilations précédentes, 
par exemple celle de Bernard. Mais, comme ses de- 
vanciers aussi, il ne se priva pas de mettre en mor- 
ceaux des constitutions pontificales afin de répartir ces 
pièces dans les divers titres ou chapitres où elles pou- 
vaient être utiles : c'est ainsi que l'on voit la constitu- 
tion Pastoralis officii d'Innocent III divisée en treize 
morceaux. Mieux encore, non content des décisions 
nouvelles qu'il obtenait du pape afin de trancher cer- 
taines difQcullés, il employait d'autres moyens que 
nous trouverions aujourd'hui moins acceptables, 
mais que les anciens, Justinien, par exemple, avaient 
admis, comme les modifications de textes ou des 
interpolations. 

Le nouveau compilateur mena son œuvre avec une 
grande activité. Dans le bref espace de quatre ans, la 
nouvelle collection était achevée. La bulle Rex pacifi- 
eus (insérée dans toutes les éditions en tête des décré- 
4ales] du 5 septembre 1234, envoyée de Spolète aux 



universités de Paris et de Bologne, donnait à l'œuvre 
de Raymond de Pennafort le caractère d'une collection 
ofQcielle : elle seule serait enseignée dans les écoles et 
employée dans les cours ecclésiastiques, et il était in- 
terdit d'en faire une nouvelle sans l'autorisation du 
saint-siège : Volantes igitur, ut hoc tantuni compila^ 
tione universi utantur in judiciis et in scholis, di- 
strictius prohibenius, ne quis prmsumat aliam facere, 
absque auctoritate sedis apostolicœ speciali. 

Le pape fut obéi. La nouvelle collection, que l'on 
nommait, à défaut d'un titre officiel donné par le pon- 
tife, tantôt Pentateuchus, tantôt et plus communément 
Extravagantium liber, servit de texte à l'enseignement 
des écoles et fut l'objet de gloses et commentaires dé- 
signés sous le nom de SunimsB, Distinctiones, Notabi- 
lia, Casus, MargaHtœ. Ces gloses furent nombreuses 
et plusieurs très renommées, parmi lesquelles on peut 
mentionner VApparatus d'Innocent IV, la Summa 
d'Henri de Suse plus connu sous le nom de son titre 
cardinalice Hostiensis, la Glossa ordinaria complétée 
et achevée par Johannes Ândreae, les Lecturm de 
Panormitanus. 

On a dit plus haut que la collection avait une valeur 
de collection officielle. Les textes qu'elle contenait, 
quelle qu'en fût l'origine ou l'authenticité historique, 
avaient, de par la volonté du pape, force de loi. Le 
législateur donnait ainsi une authenticité à tout ce que 
contenaient les cinq livres. Même, on pouvait désor- 
mais invoquer comme lois non seulement le texte de 
chaque chapitre, mais celui des titres dont l'énoncé 
donnait un sens complet, ceux-ci par exemple : Ut 
lite non contestata non procedatur ad testium re- 
ceplionem vel ad sententiam definitivam, l. Il, 
lit. VI ; Ne sede vacante aliquid innovetur, 1. III, tit. ix ; 
De niagistris, et ne aliquid exigaturpro licenlia do^ 
cen(ii,\. V, tit. v; De simonia, et ne aliquid prospiHtua- 
libus exigatur vel promittatur, 1. V, tit. m. Par là, 
cette collection se distinguait nettement de celle de 
Gratien, par exemple, où les textes n'avaient originai- 
rement d'autre valeur juridique que celle de la source 
authentique. 

Par contre, rien n'était changé, naturellement, à la 
valeur historique des documents cités : la volonté du 
pape ne pouvait faire que les pièces apocryphes, s'il 
s'en rencontrait, ne demeurassent pas apocryphes his- 
toriquement. 

Quant à la manière de citer, on appliqua aux Décré- 
tâtes de Grégoire IX le mode usité pour les compilations 
antérieures et que réclamait le titre môme d'Extrava- 
gantes qu'on lui donna longtemps : on renvoyait aux 
textes en citant le numéro d'ordre et les premiers mots 
du chapitre, ou Tun ou l'autre seulement, suivi des 
initiales Extra ou bien X, du numéro du livre et du 
titre ou de son numéro d'ordre dans le livre; ainsi, 
par exemple, le c. Omnis utriusque sexus du IV« con- 
cile de Latran sur la confession annuelle et la commu- 
nion pascale était indiqué : c. 12, Omnis tUriusque 
sexus, ou c. 12, ou c. Omnis utriusque sexus, X, De 
pamitentiis et remissionibus, ou bien X, V, xxxviii. 
Une œuvre destinée ainsi à l'usage quotidien eut, dès 
l'invention de l'imprimerie, des éditions nombreuses : 
on en a compté plus de quarante depuis 1473, date de 
la première, jusqu'à l'an 1500. En 1580, le texte souvent 
corrompu, fut soumis à une revision officielle, par les 
ordres de Grégoire XIII ; le pontife en confia la charge 
aux Correctores romani, Franciscus Pegna et Sixtus 
Fabri, qui venaient de remplir le même office pour le 
Décret de Gratien : deux ans après, en 1582, l'édition 
corrigée paraissait sous le titre : Decretales D, Grego- 
rii IX suse integritati unàcumglossis restitutœ. Quelques 
années auparavant (1570), Le Conte (Contins) publiait 
à Anvers une édition dans laquelle il avait réintégré à 
leur place les partes decisœ.  partir de 1661, la plupart 



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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) 



212 



des éditions bâloises du Corpus juris donnèrent ces 
partes decisœ, mais en les renvoyant à la fin de chaque 
chapitre; toutefois ce ne Tut que dans l'édition de 
J. H. Bôhmer (1747) que l'on vit se faire jour la pens<^e 
de remonter aux sources afin de restituer leur texte au- 
thentique; rédition de Richter (1839) apporta de nou- 
vel les améliorations; l'édition de Friedberg (1881) semble 
seule donner enfîn satisfaction aux exigences de la cri- 
tique. 

3. Les collections postérieures à Grégoire IX, — 
Après la bulle Rex pacificus, le rôle de la papauté con- 
tinua de grandir et son influence de s*étendre; les nom- 
breuses décrétales, données en réponse aux questions 
posées de toute part, furent recueillies encore plus fidèle- 
ment. On peut lire dans Schulte la liste de ces collec- 
tions; plusieurs d'entre elles eurent un caractère offi- 
ciel, comme celle d'Innocent IV dont les textes étaient 
destinés à être insérés dans la compilation de Grégoire IX : 
elle fut envoyée, elle aussi, aux universités de Paris et 
de Bologne avec l'ordre de s'en servir à l'exclusion de 
toute autre; ainsi encore celle de Grégoire X, envoyée 
avec les mêmes prescriptions aux universités de Paris, 
Bologne et Padoue; celle de Nicolas III, adressée à 
l'université de Paris. 

Les mêmes difficultés, qui avaient rendu nécessaire 
la compilation de Raymond de Pennafort après les col- 
lections officielles d'Innocent III et d'Honorius III, ins- 
pirèrent à Boniface VIII de publier un nouveau recueil 
qui dispensât des précédents. Il en confia la préparation 
à trois canonistes, un Italien, Richard de Sienne, et deux 
Français, Guillaume de Mandagout et Bérengcr Frédoul ; 
l'œuvre nouvelle reçut le nom de Sexte, Voir ce mot. 

A son tour, Clément V estima utile de continuer 
l'œuvre de son prédécesseur. Il fit réunir ses décré- 
tais et les décisions du concile de Vienne. La collec- 
tion ne parut toutefois qu'après sa mort, par les soins 
de Jean XXII son successeur. Voir Clément V, t. m, 
col. 68. 

Pour les Extravagantes communes et celles de 
Jean XXII, voir Extravagantes. 

Nous terminerons par quelques indications sur deux 
collections sans valeur officielle et néanmoins intéres- 
santes, qui portent toutes deux le même titre : Liber 
septimus Decretalium, La première fut une œuvre pri- 
vée : c'est le Liber septimus du canoniste lyonnais 
Pierre Matthieu, qui y réunit les décrétales des papes, 
à partir de Sixte IV, auquel s'arrêtaient les Extrava- 
gantes communes, jusqu'à Sixte-Quint. Elle parut à 
Lyon en 1590. Divisée comme les précédentes en livres, 
titres et chapitres, elle est annexée à la suite des autres 
dans presque toutes les éditions du Co;*pte« juris depuis 
1590. Voir t. ii, col. 1245-1216. La deuxième collection, 
entreprise sur l'ordre de Grégoire XIII et confiée par 
Sixte V au cardinal Pinelli, était destinée à devenir 
officielle. Clément VIII, qui y avait travaillé étant car- 
dinal, voulait en faire un recueil semblable à ceux de 
Grégoire IX, Boniface VIII, etc. Mais diverses considé- 
rations empêchèrent de lui donner la promulgation 
nécessaire, celle-ci en particulier, que la nouvelle col- 
lection serait sans doute l'objet de gloses et de com- 
mentaires comme les précédentes; or, comme elle 
contenait les décrets du concile de Trente, la publica- 
tion de ces gloses serait en contradiction avec la bulle 
Benediclus Deus, qui interdit aux particuliers in décréta 
concilii comnientarios et interpretationes suas edere. 
Aussi le volume imprimé en 1598 ne reçut aucune publi- 
cité, et il était à peu près inconnu, lorsque Franz 
Sentis l'édita de nouveau en 1870 sous ce titre : Cle- 
nientis papm VIII Dea^etales qwe vulgo nuncupautur 
liber septimus Decretalium. 

III. Ces collections, sources théologiques. — Bien 
qu'elles soient de leur nature collections canoniques, les 
décrétales intéressent les théologiens, soit parce qu'elles 



contiennent plusieurs textes dogmatiques des conciles, 
en particulier dans le titre De summa THnitate et 
fide catholica, qui ouvre la série des textes, soit par 
suite de l'union qui existe naturellement entre les appli- 
cations de la loi canonique et les principes dogma- 
tiques qui l'inspirent. 

La bibliographie des Décrétales est très nombreuse ; on noen- 
tionnera ici seulement les ouvrages modernes les plus utiles : 
A. Theiner, Disquisitiones criticm, Rome, 1836 ; Phillipe, Kir- 
chenrecht, t. iv ; Maassen, GeschicfUe der Quellen und der 
Literatur des kanonischen Rechts, Gratz, 1870, 1. 1 ; Laspeyres, 
Bemardi Papiensis,Faventini episcopi summa Decretalium, 
Ratisbonne, 1860; Aem. Friedberg, Prolegomena, dans son 
édition du Corptis juris, t. ii; Id., Quinque compilationea 
antiquœ necnon coUectio canonum Lipsiensis, Leipzig, 1882 ; 
Fr. Schuke, Die Geschichte der Quellen und Literatur des 
canonischen Rechts, Stuttgart, 1875, t. i et ii; Fr. Laurin, 
Introductio in Corpus juris canouici, Fribourg-en-Brisgau, 
1889; A. Tardif, Histoire des sources du droit canonique, 1887; 
P. Schneider, Die Lehre von den Kirchenrechtsquellnfiy 
2* édit., Ratisbonne, 1892. 

A. Villien. 

2. DÉCRÉTALES (LES FAUSSES). - I. Nom. 
II. Division, m. Date de la collection. IV. But. V. Patrie. 
VI. Influence sur la discipline ecclésiastique. 

I. Nom. — On donne le nom de Fausses Décrétales 
à une collection canonique, divisée en trois parties, 
contenant des décrétales des papes et des canons des 
conciles, qui parut vers le milieu du ix« siècle. 

On la qualifle aussi de pseudo-Isidorienne, parce que 
le compilateur s'attribue le nom d'Isidore. Sa préface, 
en efTet, commence par ces mots : Isidorus Mercalor 
servus Christi, et le titre qui la précède est ordinaire- 
ment : Incipit prmfatio SASCTt isidori libri hujus. 
Le nom d'Isidore a été pris en souvenir de saint Isi- 
dore de Séville, la nouvelle collection se présentant 
comme une édition améliorée et augmentée d'une col- 
lection plus ancienne de décrétales et de conciles, dite 
Hispana, mise naturellement sous le patronage du plus 
célèbre des évéques d'Espagne dans les siècles p.'issés, 
saint Isidore de Séville. Quant au nom de Mercalof* — 
on trouve parfois Peccator, ou même Mercatus — 
viendrait, dit M. Paul Fournier, après Ilinschius, c de 
l'utilisation faite par Isidore de deux passages de Ma- 
rins Mercator. » Etude sur les Fausses Décrétâtes, dans 
la Revue d'histoire ecclésiastique, 1906, p. 34, note. 

II. Division. — La collection se divise, comme nous 
l'avons dit, en trois parties. 

La I'* contient : !<> la préface du pseudo-Isidore, des- 
tinée à recommander son livre; 2° deux lettres apo- 
cryphes, l'une de l'évéque Aurelius de Carthage au pape 
Damase pour lui demander le recueil des décrétales 
des papes qui l'ont précédé, l'autre, la prétendue 
réponse de Damase; 3» VOrdo de celebrando concilio, 
édition d'une pièce authentique, le canon 4 du IV* con- 
cile de Tolède augmentée de prières; 4^ une table des 
canons des apôtres, des décrétales des papes jusqu*è 
Melchiade et l'indication des conciles : Èreviariuni 
canonum apostolorum etpnmorum a sanclo Clémente 
usquead sanctum Silveslrum alque diversorum conci- 
lionim..,; 5» une lettre (fabriquée aussi) de saint Jé- 
rôme au pape Damase, pour demander le récit des faits 
et gestes des premiers papes ; 6° les canons des apôtres, 
au nombre de cinquante; ?<> soixante lettres ou décré- 
tâtes apocryphes des papes, de saint Clément à saint 
Melchiade, toutes fabriquées par le pseudo-Isidore, à 
l'exception des deux lettres de Clément ad Jacobuni 
fratrem Domini : la première vient d'une source 
grecque et fut traduite en latin par Ruûn, le compila- 
teur n'a pu s'empêcher d'y joindre un complément; 
la deuxième se trouve également dans les collections 
antérieures, le pseudo-Isidore l'a complétée aussi à sa 
fantaisie. 

La II* partie contient les textes d'un certain nombre 



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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) 



214 



de conciles précédés de quelques nouvelles pièces apo- 
cryphes, qui sont : 1« une brève dissertation deprimi- 
tiva Ecclesia et synodo Nicœna, composée par le 
pseudo-Isidore ; 2<> Vexerupîar constiluU domni Con- 
stantini imperatoris, contenant en particulier la fa- 
meuse donation de Ck>n8tantin, antérieure de plus d'un 
demi-siècle à l'éditeur de la compilation; 3» quelques 
lignes seulement, empruntées kVHispana, sous le titre : 
Quo tenipore aclum sU Nicamum concilium; 4^ une 
pttefatio Nicœni concHii, qui se lit déjà, à Tezception 
de quelques passages que le prétendu Isidore prit dans 
Ruftn, dans une collection antérieure dite collection de 
Quesnel, du nom de son premier éditeur; &> une autre 
et courte préface en cinq distiques, tirée, celle-ci, de la 
collection Dionysio-Hadriana; viennent enfin tous les 
conciles de la Colleclio Hispana, auxquels on a ajouté, 
à la suite du IV* concile de Tolède, les autres du V* au 
XIII*. L'ensemble est authentique à quelques exceptions 
près. Ces exceptions sont : a] VEpUtola formata 
Attici episcopi Conslantinopolitani, empruntée proba- 
blement à VHi9pana, insérée après les conciles grecs ; 
b) VEpistola Âurelii Mizaniique, insérée après les 
titres des canons du I*' concile de Carthage, tirée de 
la collection de Quesnel; c) l'interpolation du mot 
chorepUcopos dans les premières lignes et les derniers 
mots du canon 7 du II* concile de Séville, interpola- 
tion qui parait bien être du pseudo-Isidore. 

La III* partie reprend les décrétales des papes : 
Item incipiunt capitula Decretalium venerabilium 
apostolicorum sanctœ RamaruB sedis Ecclesiœ, à 
Timage de ce qui formait la seconde partie de la col- 
lection Hispana, et comprend les décrétales des papes, 
de saint Silvestreà saint Grégoire le Grand, avec quel- 
ques décrets de Grégoire II. De cette longue série de 
textes, un tiers environ est apocryphe; mais il n'entre 
pas dans le plan de ce dictionnaire d'en exposer le 
long et minutieux détail : on le trouvera dans l'édition 
qu'a faite de toute la collection P. Hinschius. Tout ce 
qu'il convient de dire, c'est que les treize premières 
décrétales, jusqu'au pape Damase, sont apocryphes ; 
apocryphes aussi en entier celles d'Ânastase I*r, Sixte III, 
Jean J*', Félix IV, Boniface II, Jean II, Agapit, Silvére, 
Pelage I", Jean III, Benoit K, Pelage II ; apocryphes en* 
partie celles de Damase, Léon le Grand, Symmaque, 
Vigile et Grégoire le Grand. Nous ne pouvons pas 
entrer non plus dans le détail des classes et des sous- 
classes de manuscrits que Hinschius a reconnues et 
entre lesquelles il répartit les diverses éditions non im- 
primées qui nous sont parvenues. 

III. Date de la collection. — La question que nous 
devrions logiquement examiner serait celle-ci : quel 
est l'auteur de cette compilation? Avouons tout de 
suite qu'on l'ignore, que les identifications proposées 
reposent trop sur de pures hypothèses et que leurs 
auiears ne les émettent qu'avec la plus extrême réserve. 
Aussi s'est-on attaché surtout à fixer la date de l'œu vre 
et le but que le compilateur a poursuivi. 

Le recueil n'est pas daté. On peut néanmoins serrer 
d'assez près l'époque précise où il parut, c II est cer- 
tain, dit M. P. Fournier, op. cit,, p. 302, que Loup, 
abbé de Ferrières, cite une décision des Fausses Décré- 
tâtes, attribuée au pseudo-Melchiade, dans une lettre 
on dans un projet de lettre adressé en 858 au pape 
Nicolas I***. Il est non moins certain que plusieurs 
textes des Fausses Décrétales sont cités dans la lettre 
8\Tiodale écrite en 857 au nom du roi Charles le Chauve 
par le concile de Qnierzy. » Il y a plus. Une citation 
indubitable des Fausses Décrétales se trouve dans les 
statuts donnés par Hincmar de Reims à son diocèse et 
promulgés le 1*^ novembre 852. Les efforts que cer- 
tains auteurs ont faits pour détacher des statuts la cita- 
tion empruntée au pseudo-Isidore n'ont pas été couron- 
nés de succès et la date du l"" novembre 852 reste una- 



nimement acceptée. La collection était donc certaine- 
ment compilée avant cette date. L'était-elle depuis 
longtemps? Il est plus malaisé de fixer la date précise ; 
mais on peut affirmer qu'elle est postérieure aux capi- 
tulaires de Benoit Lévite. De l'avis commun des histo- 
riens, les Fausses Décrétales dépendent de ces pseudo- 
capitulaires; or les capitulaires ont paru certainement 
après la mort d'Otgar de Mayence, survenue le 21 avril 
847 : Benoit Lévite parle d'Otgar comme étant déjà 
mort : 

Autcario demum, quem tune Moguntia summum 
Pontificem tenuit, prœcipiente plo. 

Le 21 avril 8i7 et le 1*^ novembre 852 sont donc les 
deux dates extrêmes entre lesquelles doit se placer la 
compilation des Fausses Décrétales. Un autre argu- 
ment, développé par quelques auteurs, est d'une valeur 
trop discutée pour que nous croyions utile de le repro- 
duire dans un exposé sommaire. 

IV. But. — On a discuté beaucoup autrefois sur le but 
que se proposait le compilateur ou l'artisan de tant 
de pièces apocryphes ou falsifiées. A l'époque des luttes 
ardentes du protestantisme, du gallicanisme ou du jo- 
séphisme contre Rome, on affirmait volontiers, parmi 
les hétérodoxes de toute couleur, que le pseudo-Isidore 
avait eu pour but de favoriser la suprématie du pape et 
d'exagérer ses pouvoirs. C'était l'opinion des David 
Blondel, Gibert, de Marca, Doujat, van Espen, Febronius, 
Eichhom, Theioer. Elle a perdu aujourd'hui toute 
créance chez les savants, à quelque foi rsligieuse qu'ils 
appartiennent. D'autres attribuent au faussaire des 
vues particulières plus restreintes, par exemple le réta- 
blissement d'Ebbon sur le siège de Reims, la création 
d'un siège primatial à Reims ou à Mayence, le souci 
d'assurer la sécurité de certains prélats menacés d'une 
déposition imminente (Aldric du Mans ou même Otgar 
de Mayence). D'autres enfin pensent que ce n'est pas 
dans des vues aussi mesquines et de simple intérêt parti- 
culier que le faussaire a pu rassembler une telle quan- 
tité de matériaux : la petite cause qu'il eût prétendu 
défendre par là en eût été écrasée. 

Le but que poursuit l'auteur doit ressortir des textes 
mêmes qu'il a amoncelés et fabriqués. On ne le décou- 
vrira que difficilement dans les textes authentiques ou 
autres qu'il a en commun avec les collections anté- 
rieures; on le trouvera plutôt dans les pièces qu'il a 
lui-même fabriquées ou retouchées. C'est donc par 
l'étude des apocryphes que nous pourrons discerner le 
but poursuivi. Et encore, parmi les pièces fabriquées, 
n'attachons pas une importance excessive à celles qui 
ont pour dessein de combler les lacunes du Liber poti- 
tificalU, souvent exploité par lui, en forgeant des déci- 
sions qui correspondent au récit de ces annales ponti- 
ficales. 

Il est une idée sur laquelle le pseudo-Isidore insiste 
à cent reprises. C'est elle qu'il a en vue quand il fait 
remarquer que c'est chose grave que d'accuser un 
supérieur; qu'il faut de nombreuses conditions pour 
qu'un accusateur mérite d'être entendu ; que les laïcs 
ne doivent accuser ni les clercs ni, à plus forte raison, 
les évêques; que dans un procès contre les clercs le 
seul tribunal compétent est le tribunal ecclésiastique ; 
que le juge des évêques ce ne sont pas les laïcs, fussent- 
ils princes, mais le métropolitain ou le primat assisté 
d'au moins douze suffragants; que ce juge même ne 
pourra jamais déposer un évêque sans en avoir référé 
au pape seul compétent à celle fin, et que tout évêque 
accusé ou condamné peut toujours en appeler au pape. 
C'est à elle qu'il pense quand il rappelle avec quel soin 
minutieux on doit suivre, dans Tacte même du procès, 
les règles de la justice, ne juger aucun absent, ne pas 
infliger à l'accusé de vexations inutiles, lui restituer 
préalablement ce qui lui aurait été enlevé; quand il 



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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) 



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affirme que, rnémé condamné, l'accusé pourra, sa pé- 
nitence accomplie, rentrer dans Texercice de son mi- 
nistère ecclésiastique ou du moins bénéHcier d'une 
translation. C'est elle encore qui l'inspire quand il 
exige des témoins invoqués pour confirmer une accu- 
sation contre un évéque les mômes garanties qu'on 
demandée un accusateur; qu'on ne tienne compte que 
des aveux faits librement et sur les faits personnels à 
celui qui avoue, tout écrit extorqué par violence ou 
par fraude devant être considéré comme nul ; que l'ac- 
cusé ait les plus grandes facilités pour recueillir ses 
moyens de défense et les faire valoir. 

L'indépendance réclamée pour les causes judiciaires 
de l'Église, des clercs et des évéques, le pseudo-Isidore 
la réclame aussi pour soustraire aux convoitises des 
laïcs, ou même de certains clercs, les biens ecclésias- 
tiques, garantie de liberté pour le pouvoir spirituel; il 
sanctionne même ses réclamations par la menace ou la 
réalisation de peines graves, comme l'excommunication, 
contre ceux qui auraient empiété sur les droits de 
l'Église. Et si, afin d'assurer celte indépendance des 
personnes et des biens ecclésiastiques, le pseudo-Isi- 
dore se tourne si franchement vers Rome à laquelle il 
reconnaît, mieux qu'on n'avait fait jusque-là, le pouvoir 
suprême, c'est qu'une église particulière, comme toute 
partie divisée, ne peut trouver un appui efficace que 
dans son centre. 

II ne suffit même pas à l'Église d'échapper à l'asser- 
vissement extérieur. Il faut éviter aussi le péril de la 
désorganisation intérieure ; et le plus sûr moyen d'y 
parvenir, c'est de fortifier de plus en plus les cadres de 
sa constitution. Au degré inférieur, la subordination du 
curé, chef de sa paroisse, a l'évêque, chef du diocèse, 
comme les soixante-douze disciples furent soumis aux 
apôtres. Au dessus des curés, et sans aucun intermé- 
diaire, l'évêque élu par le clergé et le peuple, avec la 
présence effective ou tout au moins le consentement du 
métropolitain et des comprovinciaux. Le compilateur 
insiste sur cette thèse, qu'il ne doit y avoir qu'un 
évêque par civilas ou district, et que cet évêque sera 
consacré par trois évêques de la province. Par là, se- 
ront exclus les chorévéques destinés à décharger de 
leurs soucis les évêques oisifs : ordonnés en général 
par un seul évêque et sans titre épiscopal, ces choré- 
véques sont considérés comme de simples prêtres. Au 
contraire, l'évêque d'un diocèse qui a gardé l'ampleur 
des civUates antiques, c'est la colonne qui soutient le 
diocèse et qu'il est dangereux d'ébranler. La constitu- 
tion du diocèse est donc monarchique : celle de la 
province est oligarchique; le métropolitain n'en est pas 
le souverain absolu, il n'est que le président d'une 
oligarchie formée par les dix ou douze suffragants réu- 
nis en concile provincial. 

On voit très bien que la place laissée au primat ou 
au patriarche national dans cette organisation est très 
restreinte : primat ou patriarche n'ont qu'une vaine 
apparence de vie et de pouvoir. 

Que le but poursuivi par le pseudo-Isidore soit bien 
celui que l'on vient d'indiquer, c'est-à-dire donner 
une assise plus forte au pouvoir de l'évêque, garantir 
son siège, la liberté de son ministère, son avenir, ses 
biens, en un mot assurer l'indépendance de l'église 
diocésaine contre les violences de laïcs puissants et la 
faiblesse des comprovinciaux apeurés ou jaloux, tout le 
prouve, depuis la préface où le compilateur dit qu'il 
publie sa collection afin que les évêques ses Collègues 
ne soient plus tourmentés par les méchants, jusqu'au 
nombre même des canons (70) qu'il a fabriqués afin de 
garantir les évêques contre les accusations injustes. 

V. Patrie. — C'est de toute cette histoire le point sur 
lequel les discussions ont été le plus vives et l'accord 
le plus malaisé. Il n'est guère de pays chrétien pour 
lequel on n'ait revendiqué le douteux honneur d'avoir 



donné naissance à la compilation. Les uns, et ce furent 
les contemporains, trompés par le nom et les récits 
d'Isidore, crurent que la collection venait d'Espagne. 
Cette opinion, abandonnée depuis quatre siècles au 
moins, n'a plus trouvé dans les temps modernes qu'un 
seul partisan : l'abbé P. S. Blanc, Histoire ecclésiastique, 
leçon 103, 1867, t. ii, p. 196. La collection vient si peu 
d'Espagne qu'on n'a pu découvrir dans ce pays aucun ma- 
nuscrit des Fausses Décrétâtes du ix« au xiii» siècle ; 
l'on a même pu dire qu'avant la découverte de l'impri- 
merie l'œuvre du pseudo-Isidore y était restée inconnue. 

D'autres, plus nombreux, ont prétendu que l'œuvre fut 
fabriquée à Rome. Ce sont les mêmes qui, ne voulant 
remarquer dans la collection que les passages favorables 
au pape, s*en allaient répétant : Is fecit cui pi'odest. 
Les autres arguments qu'ils invoquaient n'ont pas la 
valeur qu'ils leur attribuaient : de la dépendance du 
pseudo-Isidore avec les capitula Angilramni on ne 
peut rien conclure, car on ignore la patrie des capitula, 
et la dépendance, facile à constater, avec le Liber pon- 
tificalis, ne prouve pas davantage, ce dernier ouvrage 
se trouvant non seulement à Rome, mais dans les prin- 
cipales églises et abbayes de France. 

Nul aujourd'hui ne cherche plus la patrie du pseudo- 
Isidore en Espagne ni à Rome, ni même en dehors de 
l'empire carolingien. D'une part, en effet, le compila- 
teur s'est servi, avec VHispana, de deux collections 
ayant des attaches particulières avec la France: la 
Dionysio-Hadriana, envoyée par le pape Adrien à 
Charlemagne, et la Quesnelliana, d'origine gallo- 
romaine. Il est évident, d'autre part, que si le pseudo- 
Isidore a poursuivi un but, et le but que l'on vient de 
marquer, il a dû le faire en vue d'un pays déterminé, 
où la situation de l'Église était précisément celle à la- 
quelle les pièces fabriquées pouvaient porter remède; 
en vue d'un pays où les évêques étaient en butte aux 
persécutions des laïcs puissants, où ni leur personne, 
ni l'exercice de leur ministère, ni l'indépendance de 
leurs biens n'étaient assurés, où l'on avait des exemples 
tout récents d'évêques accusés et déposés sans avoir 
pu se défendre. Enfin, les meilleurs et les plus anciens 
manuscrits de la collection, même le Vaticanus 630, 
* l'un des plus intéressants, sont d'origine franque. 
C'est donc l'empire franc qui est la patrie du pseudo- 
Isidore. Mais si l'unanimité s'est faite sur cette conclu- 
sion, elle ne l'est pas sur la province de l'empire franc 
où se trouvait l'atelier du faussaire. Les uns cherchent 
cet atelier dans la province de Mayence, d'autres dans 
celle de Reims, d'autres dans celle de Tours. 

lo Province de Mayence. — Elle eut des partisans 
nombreux dont le crédit est aujourd'hui très diminué. 
Voici les arguments que l'on fait valoir en sa faveur : 
1. la parenté des Fausses Décrétâtes avec les capitu- 
laires de Benoit Lévite qui se donne comme diacre de 
Mayence; 2. le grand parti que le compilateur a tiré de 
la correspondance de saint Boniface, évêque de Mayence ; 
3. la conformité de vues entre les évêques de Mayence 
qui désiraient vivement ressaisir les pouvoirs variés et 
nombreux de saint Boniface, en particulier garder un 
nombreux cortège de suffragants, et le pseudo-Isidore 
qui requiert pour le siège métropolitain une ville an- 
cienne et une douzaine au moins de suffragants : or, 
depuis la mort de son fondateur, la métropole de 
Mayence se voyait morcelée de plus en plus. C'était, 
Hincmar l'atteste, une opinion reçue dans la seconde 
moitié du ix« siècle, que la compilation venait de 
Mayence. Telle est la thèse de Blasco, de Marca, 
Baluze, Knusl, Wasserschleben, Gôcke, Pitra, Denzin- 
ger. 

On a répondu que ces arguments n'ont pas toute la 
valeur que ces historiens leur attribuent; car, 1. nous 
ne savons rien de la patrie ni de la personne de Benoit 
Lévite, et l'inscription à Otgar et à Mayence parait bien 



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DÉCRÈTALES (LES FAUSSES) 



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être une supercherie ; 2. Otgar en faveur de qui, suivant 
les protagonistes de la thèse, la compilation aurait été 
feite, était mort avant l'apparition des Fausses Décré- 
tales; 3. on ne voit pasqu'il fût spécialement question, à 
Mayence, de luttes contre les chorévéques; 4. Rhaban 
Maur, successeur d*Otgar sur le siège de Mayence, ne cite 
jamais les Fausses Décrétales même après que Hincmar 
s'en fut servi; 5. les larges extraits de la correspondance 
de saint Boniface ne sont pas dans les manuscrits dq 
type primitif de la compilation. 

2« Province de Reims. — La province de Reims a, 
de son côté, de nombreux partisans. Quelques-uns ont 
poussé leurs déductions assez profondément pour 
croire qu'ils pouvaient indiquer jusqu'à l'auteur pro- 
bable de la collection ; les uns, lé clerc Vulfade, adver- 
saire d'Hincmar, les autres, Ebbon, l'ancien archevêque 
et compétiteur du nouveau titulaire. C'est l'opinion de 
maîtres comme Weizsâcker, Roth, Dove, von Noorden, 
Hinschius, Friedberg, Lurz, A. Tardif, Ph. Schneider, 
F. Lot, £. Lesne. Voici leurs principaux arguments : 
1. il y eut à Reims une question des chorévéques, 
et Hincmar (845-882) se montra peu favorable à leur 
institution; 2. il s'occupa tout particulièrement de 
rentrer en possession des biens enlevés à son église 
pendant la vacance qui suivit la déposition d'Ebbon; 
3. c'est là que s'était produit, durant la première moi- 
tié du IX* siècle, l'un des plus violents parmi les con- 
flits auxquels prétendait remédier la nouvelle compila- 
tion ; le procès d'Ebbon, archevêque de Reims, déposé, 
puis replacé sur son siège, puis déposé de nouveau, 
toujours sous la pression de mouvements politiques, 
sans qu'on lui laissât parfois la liberté de se défendre, 
et que Ton avait réduit quelque temps à la commu- 
nion laïque; 4. c'est à Reims que l'on rencontre les 
premières citations dûment const; tées des Fausses 
Décrétales. 

On a répondu à ces divers arguments : i. Peu im- 
porte qu'il y eût à Reims une question des chorévéques 
et que Hincmar leur fût opposé : ce n'est certainement 
pas Hincmar qui avait besoin des Fausses Décrétales 
dans sa défense contre Ebbon et ce n'est ni par lui ni 
par ses ordres que l'œuvre Ait compilée; 2. ce n'est 
pas seulement à Reims, c'est partout dans l'empire, 
qu'à la suite des guerres de Louis le Pieux contre ses 
enfants, les églises furent pillées ou dépouillées; 
3. il y eut, en effet, à Reims, des luttes particulière- 
ment vives à l'occasion d'Ebbon, surtout en 835 et 840. 
Mais, à partir de l'élection d'Hincmar, une accalmie 
s'était foite, complète, pendant la période 847-851; 
est-il vraisemblable que Vulfade et ses amis aient con- 
sacré leurs loisirs à se munir de documents pour une 
cause qui n'était plus en discussion, surtout au mo- 
ment où leur ancien évêque, Ebbon, atteignait la vieil- 
lesse et se rapppochait à grands pas de la tombe — 
Ebbon mourut en 851 — et eux-mêmes, les clercs or- 
donnés par Ebbon, n'avaient plus d'autre ressource 
que la clémence d'Hincmar? 4. Enfin, si l'on voit, à 
l'occasion du procès soulevé entre Hincmar et ces 
clercs, mettre au jour diverses pièces apocryphes appa- 
rentées aux Fausses Décrétales, soit dans la NatTatio 
clericot^ni ReniensiunXy soit dans VÂpologeticum 
Ebbcnis, ce fait n'a pas toute la signification que 
d'aucuns lui attribuent, car ces citations sont indubi- 
tablement postérieures à celles faites par Hincmar, et 
l'on ne comprendrait absolument pas que, fin, soup- 
çonneux et pénétrant, toujours très informé de ce qui 
se passait dans son diocèse, Hincmar ait ignoré que 
la compilation qu'il citait eût été fabriquée dans son 
diocèse, presque sous ses yeux, contre lui, par ses 
inférieurs et ses adversaires. 

3» Province de Tours, — En présence des difficultés 
que soulèvent les attributions précédentes, quelques 
critiques ont cherché la patrie du pseudo-Isidore dans 



la province de Tours. — 1. La situation de cette province, 
vers le milieu du ix« siècle, fut, en effet, des 
plus douloureuses. Â la suite de la révolte de la Bre- 
tagne sous Noménoé, on vit des évêques poursuivis et 
condamnés par des tribunaux laïcs, sans avoir pu se 
défendre, chassés de leurs sièges, leurs églises pillées 
et dépouillées de tous biens; on vit la province de 
Tours démembrée contre tout droit, le titre de métro- 
pole accordé à une bourgade obscure et sans histoire, 
les quatre évêques poursuivis par le roi breton, livrés 
au tribunal séculier, pieds et poings liés, menacés de 
mort s'ils n'avouaient les crimes qu'on leur imputait, 
chassés, errants, misérables, sans aucun espoir de re- 
monter sur leurs sièges, car la discipline, contre la- 
quelle le pseudo-Isidore protestait, prétendait leur inter- 
dire le bénéfice de toute translation ; c'est dans la 
Bretagne révoltée que l'on voit le plus fréquemment 
les évêques consacrés par un seul évêque ; au lieu de la 
paroisse normale desservie par un curé soumis à 
l'évêque sans intermédiaire, on y voit, à la tête des 
paroisses, des moines soumis, non à l'évêque chef du 
diocèse, mais à l'abbé du monastère d'où ils sortent. 
Bref, la situation des églises bretonnes est bien celle 
que le pseudo-Isidore condamne et veut réformer. — 
2. L'Église du Mans était particulièrement exposée aux 
incursions des Bretons : Noménoé occupa même la 
ville du Mans en 850; l'évêque, Âldric, avait donc lieu 
de craindre le sort qui avait été infligé quelques an- 
nées auparavant à ses collègues de la Bretagne propre- 
ment dite, d'autant plus qu'il avait été chassé déjà une 
fois de son siège. — 3. Il y a une parenté indéniable entre 
les Fausses Décrétales et plusieurs textes originaires 
du pays manceau : a) par exemple avec la bulle apo- 
cryphe par laquelle le pape Grégoire IV est censé faire 
observer, le 8 janvier 835, que, si Âldric est accusé, il 
pourra toujours en appeler au saint-siège; or il parait 
bien évident que nul, en dehors de la province de 
Tours, ne s'inquiétait à ce point d' Aldric; b) les mêmes 
idées avec les mêmes phrases caractéristiques, qui 
les expriment dans les Fausses Décrétales, reparaissent 
souvent dans un prétendu Memoriale d'Âldric, inséré 
dans les Gesta Aldnci, et qui n'a aucun intérêt en dehors 
du diocèse du Mans; c)non seulement on rencontre les 
mêmes idées et les mêmes phrases, mais aussi le 
même souci d'attribuer ses dires à des papes des pre- 
miers siècles. Telle est l'hypothèse entrevue par 
Hinschius, développée par Langen (qui pensa pouvoir 
affirmer que le père de la compilation était Loup, 
abbé de Ferrières, opinion restée sans écho), enfin 
par Simson qui fixa le lieu d'origine au Mans. Simson 
fut suivi par Ma»" Duchesne, MM. P. Viollet, J. Havet, 
P. Fournier, Ph. Schneider (art. Pseudo-Isidor, dans 
Kirchenlexikon, 2« édit.), Dôllinger. Aujourd'hui on 
attribuerait la rédaction au diacre Léotald. 

Nous devons reconnaître que si le débat parait bien 
circonscrit entre la province de Reims et celle de 
Tours, que si chacune a des partisans sérieux et bien 
informés, que si l'opinion qui tient pour la province 
de Tours parait aujourd'hui plus favorisée, il est pour- 
tant impossible de faire en faveur de l'une une dé- 
monstration qui exclue toute probabilité pour l'autre. 

VI. Influence sur la disopline ecclésiastique. -- 
Une question plus importante pour nous est celle-ci : 
Quelle influence les Fausses Décrétales ont-elles 
exercée sur la discipline ecclésiastique, soit dans le 
monde franc, soit à Rome? 

lo Dans le monde franc, — Elles y ont exercé une 
influence considérable. On a vu la collection citée par 
Hincmar dès le mois de novembre 852. Les textes 
pseudo-isidoriens sont invoqués encore : a) par le même 
Hincmar de Reims dans le De divortio Lotharii et 
Teutbe.gm, le Pro Ecclesi» libertalum defensione, 
le Mémoire à Charles le Chauve sur la saisie des biens 



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219 



DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) 



220 



de rÉglise de Laon, VOpusculum 55 capitum conlra 
Hincnmi^m Laudunensem ; h) par Hincmar de Laon 
dans sa lutte contre son oncle de Reims, depuis VEpi- 
stola /* ad Hincmat^um Renienseni, en 869, jusqu'au 
concile de Fismes, en 881; t) par les conciles de 
Quierzy (857), Fismes (881), Cologne (887), Mayence 
(888), MeU (889) où l'on s'occupe des chorévêques, 
Tribur (895), Trosley (909); d) par les collections de 
Rëginon de Prûm et Bupchard de Worms. Elles ont 
ainsi pi^nétré dans la pratique quotidienne des Églises 
franques. e) En Italie, un des textes [apocryphes est 
cité par Jean Diacre dans sa vie du pape Grégoire le 
Grand ; d'autres sont invoqués par Âuxilius, dans son 
De oi*dinationibu$ a Fomwso fapa factis; par le 
pseudo-Luitprand qui emprunte au pseudo- Isidore 
presque tout ce qui, dans son De pontificum Roma- 
norum vitis, concerne les papes antérieurs à Damase ; 
par Atton de Verceil, Rathier de Vérone. 

2o A Rome et sur Vensemble du monde catholique. 
— Sur ce point on a entendu les affirmations les plus 
vives et les plus contradictoires. Les uns prétendent 
que l'influence pseudo-isidorienne fut considérable, 
d'autres qu'elle fut nulle; les de Marca, Fleury, Cous- 
tanl, Van Espen, lui imputant beaucoup dans les 
maux de l'Église, dans l'afTaiblissement du pouvoir du 
métropolitain et du concile provincial, en un mot l'es- 
timant une plaie irréparable pour la discipline ecclé- 
siastique; les Febronius, les Dôllinger, etc., l'accusant 
d'avoir bouleversé la constitution de l'Église et créé la 
monarchie papale. Voici la réalité : les papes ont gardé 
pendant deux siècles, vis-à-vis des Fausses Décrétâtes, 
une prudente réserve. 

Nicolas h' a certainement connu, non seulement 
l'existence des Fausses Décrétales, mais un certain 
nombre de textes tirés de cette compilation. En eflet, 
on lui a cité les textes de décrétales contenues dans 
le pseudo-Isidore et attribuées à des papes martyrs, 
textes qui n'étaient pas dans le Codex canontim, et 
dont, pour ce motif, on contestait la valeur ; il a répondu, 
en visant au moins à deux reprises des décrétales de 
papes martyrs, que les décrétales ont toutes la même 
force, qu'elles soient ou non dans le Codex canonum. 

Ces textes ont-ils exercé une influence sur lui? Une 
influence littérale, se manifestant par le choix des ex- 
pressions ou métaphores employées dans sa correspon- 
dance? Oui. Voir des exemples dans l'étude citée déjà 
de M. Fournier, Revue d'histoire ecclésiastique, 1907, 
p. 24-25. Une influence sur les idées, ce qui serait de 
plus grande importance? Plusieurs l'affirment; mais 
ils ne font pas la preuve, par exemple, qu'une 
modification importante se serait produite, à la suite 
du procès de 865 entre Rothade et Hincmar, dans la 
pensée de Nicolas sur son rôle de pape. S'agit-il de 
son pouvoir législatif suprême, sans partage avec 
l'épiscopat, et de la supériorité du pape sur les con- 
ciles? Nicolas en pensait avant 864 ce qu'en pensaient 
depuis longtemps les papes comme Gélase, Pelage \*^y 
ce que reconnaissait, par exemple, Cassiodore, ce 
qu'il en pensa lui-même après. S'agit-il du pouvoir de 
juge suprême qui permet au souverain pontife de por- 
ter une sentence sur tous les fidèles et de n'être jugé 
lui-même par personne? La théorie, affirmée dès le 
temps d'Innocent I<"" et de Gélase, était communément 
acceptée avant Nicolas. S'agit-il du pouvoir reconnu 
au pape seul de déposer les évêques? Que le pape fût 
compétent, Hincmar le reconnaît. Qu'il le fût même 
quand la cause est portée devant l'autorité métropoli- 
taine ou primatiale? En 858, dans l'aflaire d'Hermann, 
évêque de Nevers, le métropolitain de Sens recourt au 
pape comme au juge naturel de la cause, et Nicolas le 
prend ainsi, dès l'origine de son pontificat, avant 
d'avoir connu les Fausses Décrétâtes ; de même fait-il 
pour les évêques bretons, vers 862; pour les évêques 



grecs déposés parce qu'ils avaient refusé de suivre le 
parti de Photius; pour l'aflaire de Robert, du Mans; 
pour le commencement de celle de Rothade, où, dôs 
868, avant qu'on lui ait parlé des Fausses Décrétales, 
il décide que les douze membres du concile provincial 
ne pourront prononcer en dernier ressort sans l'inter- 
vention du pape. Soit parce qu'il lui appartient de 
confirmer les décisions des conciles, soit parce que 
les causes majeures relèvent de lui, Nicolas revendique 
le dernier mot sur les procès de déposition des 
évêques; il se réserve même le droit de trancher la 
cause définitivement sans l'intervention de l'épiscopat 
régional, et cela dès 863. Après 864, on ne constate 
sur ces divers points, à l'occasion du procès de Rothade, 
aucune difiérence de procédé. Nous devons toutefois 
reconnaître que dans une circonstance, dans la lettre 
qu'il écrit aux évêques francs pour leur notifier leréta- 
blissementde Rothade, Nicolas insiste tout particulière- 
ment sur la notion des negotia majora qui est un ar- 
gument familier à la collection isidorienne, que, de 
plus, il se fonde principalement sur les Décrétales 
considérées comme une masse dont il n'exclut pas les 
apocryphes Isidoriens, et que ces textes ont amené le 
pape à accentuer davantage l'argumentation qu'il tirait 
des décrets de ses prédécesseurs. P. Fournier, op. cit., 
p. 39. La restitutio spoUatof*um est un des grands 
principes invoqués par le pseudo-Isidore; mais Vcmtio 
ou Vexceptio spolii est bien antérieure. On a reconnu 
que, avant le ix« siècle, le principe de Vexceptio spolii 
a pris, dans le droit canonique, la valeur d'une règle 
juridique fondée sur la coutume, et l'application de ce 
principe à la cause de Rothade ne présente rien de 
bien neuf. Tout ce que l'on y peut trouver de pseudo- 
isidorien, c'est : 1« qu'un des fondements de Vexceptio 
spolii serait la préoccupation de permettre à l'accusé 
de combattre son accusateur à armes égales; 2» il 
trouve bon que l'accusé, une fois rétabli dans ses fonc- 
tions, ait quelque répit avant de soutenir le procès ; 
3o Nicolas ne manque pas, avec Isidore, de faire ol>- 
sener à l'empereur grec Michel que la restitution 
d'Ignace sur le siège de Constantinople est fondée sur 
les lois impériales. Bref, c le principe de Vexceptio 
spolii, plus solidement fondé, a été plus fréquemment 
impliqué selon des règles plus précises ; ce parait bien 
être un efl'et de l'influence des textes isidoriens. » 
P. Fournier, op. cit., p. 44. Nicolas n'a pas snbi 
d'autre influence des Fausses Décrétales ni dans la 
discipline concernant les clercs lapsi, ni pour la trans- 
lation des évêques, ni même dans la citation des textes 
communs à la collection isidorienne et aux autres col- 
lections; il les donne toujours, quand Isidore les cite 
à faux, d'après leur véritable auteur. 

Sous les papes suivants, on trouve, d'Adrien II, une 
citation du pseudo-Ântéros, en 871, dans la lettre 
adressée aux évêques du concile de Douzy, à propos de 
la translation de Tévêque Actard à Tours; peut-être 
deux phrases sur la primatie de l'Église romaine, n'ap- 
portant d'ailleurs rien de nouveau, dans un concile 
romain tenu vers l'époque du pape Jean VIII; deux 
citations sans importance et même douteuses du 
pseudo-Isidore dans Etienne V, qui ne parait pas au 
surplus avoir grande confiance dans les Fausses Décré- 
tales. Dans tout le x« siècle, on rencontre deux ou 
peut-être trois citations de la même collection; tandis 
que, en dehors de la chancellerie pontificale, les apo- 
cryphes isidoriens s'accumulent dans les collections 
italiennes où iront les chercher les réformateurs du 
xi« siècle. 

Telle fut la situation, à Rome, jusqu'au jour où un 
pape, venu d'un pays dans lequel les Fausses Décrétales 
étaient reçues sans hésitation, les cita comme les 
citaient partout les canonistes. De les voir entrer dans 
les lettres pontificales ne pouvait étonner beaucoup les 



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DÉCRÉTALES (LES FAUSSES) — DÉFAUTS 



222 



juristes. D'ailleurs, rextrérae modération avec laquelle 
les textes isidoriens furent cités par la chancellerie 
pontiGcale, même après la mort de Léon IX, laisse 
deviner la résistance de la vieille école romaine qui ne 
les pratiquait pas. Pour la réforme menée si rudement 
par Grégoire Vil, les textes des Fausses Décrétales 
farent plus fréquemment employés; ils étaient, dit 
M. Fournier, c un véhicule commode pour plusieurs 
des idées maîtresses sur lesquelles est fondée l'œuvre 
entreprise à cette époque par la papauté, i ibid., p. 56, 
et ils furent cités de la meilleure foi du monde. 

Mais déjà Tère de la contradiction allait s'ouvrir 
pour la célèbre collection, et les gens d'Église n'y 
farent pas étrangers ni simples spectateurs. Ce furent 
des catholiques incontestés, Pierre Comestor, au 
XII» siècle, chancelier de l'université de Paris, atta- 
quant l'authenticité de VEpistola Clen^entis ad Jaco- 
bum fratreni Doniini; Crodefroid de Viterbe, doutant 
de la lèpre de Constantin; Etienne de Tournai et 
d'autres encore, qui discutèrent les premiers les 
Fausses Décrétales. Ils précédèrent dans cette voie les 
hétérodoxes Marsile de Padoue, Wiclef (plus nuisible 
qu'utile à cause de ses exagérations). Ce fut un autre 
catholique, et des plus grands, Nicolas de Cusa, qui, 
peu après 1430, donna l'impulsion définitive à la cri- 
tique : il rejetait deux lettres d'Anaclet, attaquait la 
donation de Constantin, élevait des doutes sur les 
EpUtoUe Clementis, dont Torquemada rejetait nette- 
ment ia première. Quand, un siècle après, commença 
l'assaut donné par les protestants, ceux-ci ne furent 
jamais seuls à la besogne. Après le calviniste du Mou- 
lin vinrent les catholiques Georges Cassandre et Antoine 
le Comte que les centuriateurs de Magdebourg se bor- 
nèrent à copier. Pendant quelque temps, il est vrai, 
des catholiques : le jésuite Torrès, le franciscain 
Malvasia, le cardinal d'Aguirre lui-même, se firent les 
champions chevaleresques du pseudo-llsidore contre 
les centuriateurs luthériens et le calviniste David 
Blondel, mais d'autres catholiques, l'Espagnol Anto- 
nius Augustinus, archevêque de Tarragone, Baronius, 
Bellarmin, du Perron, Labbe, Sirmond, de Marca, 
Baiuze, Pdpebrock, Noris, Noël Alexandre, luttaient 
contre les apocry plies, avec les Van Espen, les frères 
Ballerini, Blasco et Zaccaria. Si, au xix« siècle encore, 
le faussaire trouva des défenseurs dans Dumont et l'abbé 
Darras, l'unanimité des savants, sans aucune distinc- 
tion de patrie ou de religion, proteste contre le mal- 
heureux succès de cette déplorable fourberie. 

On ne peut avoir la prétention de donner une bibliographie com- 
plète. On Indiquera seulement les ouvragée lee plus considérables 
dans les divers sens. 

I. ÉomoNs. — La meilleure est celle de P. Hinschius, DecrC' 
tata pêeudo-itidorianm et capitula Angilramni, in-4*, Leip- 
zig, 1863, précédée d'une importante et copieuse préface de 238 
pages, où want étudiées toutes les questions concernant la tradi- 
tion manuscrite, lea sources, l'époque de la composition, la pa- 
trie, le Irot et le nom de l'auteur. L'édition donnée par Migne. 
P.L.,L cxxx, est celle de Merlin, 1523. 

IL Dissertations ou cx>mmentaires. — David Blondel, 
Pteudo-Isidoruê et Turrianus vaputantea, Genève, 1620; 
Bonaventure Malvasia, Nunlius veritatis D. Blondello mitsu», 
Rome, 1635 ; de Marca, De concordia sacerdotii et imperii, 1. III, 
c V ; Heory, ^ Discoure sur fhiêtoire ecclésiastique; Van 
Espen, Dissertcaio de coUectione Isidori vulgo Mercatoris, 
dans Commentarius in jus novum canonic, Louvain, 1753, 
Opéra, t. m ; Febronius, De statu Ecclesise, c. m, S 9; c. vu, 
I 2, Bouillon, 1765; Zaccaria, Antifebronio, dis. III, c. iv, 
C^iéne, 1770. 

Plaçant la compilation des Fausses Décrétales : -- 1* & Rome : 
Eichborn, DeuUehe Staats-und Rechtsgeschichte, Gôttingue, 
1808 sq. ; Kirchenrecht, 1831, 1 1; Anton. Theiner, De pseudo-isU 
icTiana cancnum coUectione, Breslau, 1827; — 2*& Mayence : 
BaOenalCJér. et P.), De anliquis collectionibus et collectoribus 
emnonum, c vi« ad 8—, dans Opéra S. Leonis, Venise, 1757, 
t in; P. L., t. Lvi; Blaaco, De coUectione canon. Isid. Merca- 



tor. commentar., Naples, 1760; Knust, De fontibus et consilio 
paeudo-isidorianm collectionis, Gœttingue, 1832; Wasserschle 
ben, Beitràge zur Geschichte der falsch. Decretalen, Breslau, 
1844; Id., Pseudoisidor, dans Bealencyclopàdie de Herzog; 
Id., Ueber das Vaterland der falsch. Décret., âsnB Sybels hist. 
Zeitschrift, 1890; Hefele, Ueber den gegenwàrtlgen Stand der- 
pseudo-isidorischen Frage, dans Tûbing. Theol. Quartalseh., 
1847; Gfrôrer, Ueber Aller, Ursprung, Zweck der Décrétai, 
des falsch. Isidor, Frlbourg-en-Brisgau, 1848 ; Gôcke, De excep- 
tione spolii, Berlin, 1858; Denzinger, Préface à Tédition des 
Fausses Décrétales dans P. L., t. cxxx; Pitra, Analecta novis- 
aima Spicilegii Solesmensis, 1885, 1. 1, p. 91-103; — 3» à Reims: 
Weizsàcker, Die pseudo-isidorische Frage, dans Sybels histor. 
Zeitschrift, t. m; Id., /fmcmarund Pseudoisidor, dans Niedn. 
Zeitschrift fur hist. Theol., 1858; Roth, Pseudoisidor, dans 
Zeitsch. fur Recht-Geschichte, t. v (1866); K. von Noorden, Ebo, 
Hincmar und Pseudoisidor, dans Sybels hist. Zeitsch., t. vu 
(1862) ; P. Hinscbius, op. cit., prœf., p. ccviii ; Lurz, Ueber 
die Heimat Pseudoisidors, 1898; Ad. Tardif, Histoire des 
sources du droit canonique, 1887; Ph. Schneider, Die Lehre 
von den Kirchenrechtsquellen, 1892; F. Lot, Études sur le 
règne de Hugues Capet, 1903; Id., La question des Fausses 
Décrétales, dans la Revue historique, 1907, n. 4, t. xciv; 
Friedberg, Lehrbuch des kanonischen. Rechts; E. Lesne, La 
hiérarchie épiscopale... en Gaule et Germanie, 1905; Id., Hinc- 
mar et l'empereur Lothaire, dans la Revue des questions histo- 
riques, 1905, t Lxxviii; Seckel, Pseudoisidor, dans Realency' 
clopàdie de Hauck ; — 4* dans la province de Tours : Slmson, Die 
Entstehung der pseudo-isidorischen Fàlschungen in Le 
Mans, 1886; Id., Pseudoisidor und die Geschichte der Bischôfe 
Le Mans, dans Zeitsch. r^tr kanonisches Recht, 1886; M*' Du- 
chesne. Bulletin critique, 1886, p. 445 ; J. Ifavet, Chartes de 
Saint-Calais, dans Bibliothèque de VÉcole des chartes, 1887, 
t. XLviii ; P. VioUet, Bibliothèque de FÉcole des chartes, t. xux 
(1888); Id., Hist. du droit civil français ; Ph. Schneider, qui 
inclinait d'atiord vers l'origine rémoise, opine pour l'opinion de 
Simson dans Pseudo-isidor , Kirchenlexikon, 2' édit. ; Dôllinger, 
Zeitsch. fur Kirchen-Geschichte, L xii; P. Fournier, La question 
des Fausses Décrétales, dans Nouvelle revue historique de 
droit français et étranger, 1887, 1888; Id., Congrès scientifique 
international des catholiques, 1888, t. ii; Id., Une forme 
particulière des Fausses Décrétales, dans Bibliothèque de 
VÉcole des chartes, t. xux ; Id., Étude sur les Fausses Décré- 
tales (dont nous nous sommes souvent inspiré) dans la Revue 
d'histoire ecclésiastique de Louvain, 1906-1907, et tiré à part, 
in-8\ 1907. (X Ul. Chevalier, Répertoire. Bio-Bibliographie, 
2* édiL, Paris, 1905, 1. 1, col. 2281-2282. 

A. ViLLIEN. 
DÉFAUTS. - I. Oéfinition. II. Division. 
L Définition. — Le mot défaut, du latin de/icere, 
faillir, manquer, ou de fallere, tromper, manquer, 
signifie le manque, ou la privation d'une perfection, 
ou qualité nécessaire, dont Tabsence rend une chose 
imparfaite, irrégulière, incorrecte ou incomplète. 

Dans le langage ordinaire, défaut est souvent syno- 
nyme d'imperfection, ou de vice. Ces trois mots néan- 
moins expriment des concepts fort diflTércnts. Les im- 
perfections ne se remarquent, en général, que dans les 
objets excellents par ailleurs; tandis qu'elles dispa- 
raissent sous les défauts plus saillants, qui se ren- 
contrent, parfois, si nombreux, dans les êtres communs 
et ordinaires. L'imparfait, en effet, est ce qui laisse 
quelque peu à désirer, pour pouvoir être considéré 
comme un modèle. Il n'est encore ni fini, ni terminé, 
ni achevé, quoiqu'il s'élève déjà bien au-dessus du 
niveau moyen. Mais le défectueux reste bien inférieur 
à ce qui est simplement imparfait. Non seulement il 
n'est pas accompli en son genre, mais il défaille, il 
tombeau-dessous de ce qu'il devrait être. Au physique, 
par exemple, c'est la privation d'un membre, ou d'un 
organe des sens, une irrégularité, une difformité corpo- 
relle, une lésion organique. Au moral, c'est une lacune 
dans le jugement, ou dans le caractère, ou encore une 
faiblesse d'esprit. 

On a dit, en ce sens, que les gens de bien n'avaient 
que des imperfections, tandis que tous les autres ont 
des défauts. Massillon a établi la même distinction 
dans ce passage : « Les imperfections des gens de bien 
devraient vous trouver plus indulgents, car seuls ils 



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DÉFAUTS 



224 



vous épargnent, cachent vos vices, adoucissent vos dé- 
fauts, excusent vos fautes. » 

Les défauts rendent souvent insupportable celui qui 
les a. Ils lui attirent l'aversion et ^parfois même le 
mépris. Les imperfections ne produisent jamais un ré- 
sultat pareil. Tout au plus empêchent-elles, ou dimi- 
nuent-elles Tadmiration que susciteraient ses autres 
qualités. Sans imperfections, les personnes ou les objets 
sont admirables; sans défauts, ils ne sont que ce qu'ils 
doivent être. L'imperfection est donc comme un dimi- 
nutif du défaut. 

Le vice, au contraire, en est plutôt un augmentatif. 
C'est plus qu'une privation, petite ou grande, comme 
le sont l'imperfection et le défaut : c'est une déprava- 
tion, un principe mauvais, capable de tout corrompre, 
et qui atteint l'être jusque dans ses profondeurs. Si 
l'on réussit, sans trop de peine parfois, à suppléer à 
ce qui manque, ou à combler une lacune, il est bien 
autrement difficile de détruire un vice enraciné dans 
l'intime de l'être. Celui qui a des défauts est trop sou- 
vent insupportable; mais celui qui a des vices peut 
devenir dangereux. Les défauts sont plutôt dans l'esprit; 
les vices, dans le cœur et dans la volonté. 

Un exemple fera mieux saisir ces différences. Le 
laisser-aller dans le maintien est une imperfection; 
l'inégalité d'humeur, la puérilité, la timidité se 
rangent parmi les défauts; la paresse, le mensonge, la 
luxure, la cruauté sont des vices. 

a. S. Thomas, Jn IV Sent., 1. II, dist. VH, q. i; 1. IV, dist. II, 
q. I, a. 1 ; Sum. theol., I', q. XM, a. 4, ad 2- ; q. XLix, a. 4 ; II' II", 
q. xxxiii, a. 4, ad 3—; Quœst. disp., De malo, q. xvi, a. 5; De 
veritate, q. ix, a. 3; Poujol, Dictionnaire des facultés intel- 
lectuelles et affectives de l'âme, in-4% Paris, 1863, Introduc- 
tion, p. 119 sq.; Lafaye, Dictionnaire des synonymes, 4* édit., 
2 iii-4% Paris, 1872, t. l, q. 680 sq., 763 sq. 

IL Division. — Saint Thomas, Sum. theol., III», 
q. xiv-xv; Compendium theologiœ, c. ccxxxiv, indique 
comment les défauts sont susceptibles d'être classifiés. 
11 les divise en deux grandes catégories, chacune d'elles 
comprenant une subdivision semblable. 

/. DÉFAUTS CORPORELS. — !<> Affectant la nature 
humaine dans $a généralité, soit parce que cette 
nature, comme toute nature créée, est essentiellement 
limitée en elle-même; soit parce qu'ils sont une suite 
afflictive du péché originel. Parmi eux, il faut signaler 
principalement la passibilité, c'est-à-dire l'assujettisse- 
ment à la faim, à la soif, à la fatigue, aux maladies, à 
la mort. Ces défauts corporels, communs à tous, revêtent 
maintenant la forme de pénalités; néanmoins, si, dans 
l'état d'innocence, l'homme en était exempt, ce n'était 
pas en vertu d'un privilège inhérent à sa nature, mais 
à cause d'un don, ou secours préternaturel, provenant 
de la libéralité de Dieu. Cf. S. Jean Damascène, De fide 
orthodoxa,\. III, c. xx, P. G., t. xciv, col. 1082; S. Thomas, 
Sum. theol., III», q. xiv, a. 4; Billot, De Verbe incarnate, 
part. I, c. II, § 3, thés, xxiii, in-8«, Rome, 1904, p. 254 sq. 

2» Affectant certains individus plutôt que d'au- 
tres. — Ces défauts corporels tiennent alors à des 
causes particulières ou sont la conséquence d'accidents 
fortuits. Par exemple : la cécité, la surdité, le mutisme, 
diverses maladies, les vices de conformation et d'orga- 
nisation, etc. Cf. S. Thomas, loc. cit. 

II. DÉFAUTS MORAUX. — On retrouve ici la même dis- 
tinction que précédemment. — 1» Défauts moraui. 
communs à tous les hommes, soit à cause de l'imper- 
fection essentielle de la nature humaine, soit à cause 
du péché originel. Ils se ramènent à trois classes : 
une pour l'intelligence : l'ignorance ; deux pour la vo- 
lonté : l'inclination au mal, et la difficulté pour le bien. 
Cf. S. Thomas, loc. cit. 

2» Défauts moraux affectant certains individus 
plutôt que d'autres. — Ces défauts moraux sont très 
nombreux. On n'en a pas encore fait un classement lo- 



gique. Nous indiquerons seulement ceux qui se ren- 
contrent le plus souvent. 

1. Le manque de jugement on de bon sens. — C'est 
une véritable infirmité spirituelle, source d'une infinité 
de misères pour celui qui en est atteint, comme pour 
ceux qui l'entourent, ou qui sont obligés d'avoir de 
fréquents rapports avec lui. Ce mal est, en général, 
incurable. La vertu peut s'acquérir, avec des efforts et 
de la persévérance : le bon sens, ou le jugement, jamais. 
Cf. S'» Thérèse, Chemin de la perfection, c. xiv. 

2. La vanité et la suffisance. — Ceux qui ont ces 
défauts se rendent vite insupportables et ridicules. 
Afin de s'élever au-dessus des autres, ils mettent de 
l'affectation en tout : paroles, actes, manières, etc. Ce 
pédantisme, loin de leur attirer des éloges, provoque 
le mépris, et leur attire les traits mordants de la satire. 
Ils font parade de connaissances ou d'avantages qu'ils 
n'ont pas, et, si, par cet étalage emprunté, ils s'illu- 
sionnent eux-mêmes, ils ne trompent pas ceux qu'ils 
prétendent ainsi éblouir. Dans son langage imagé, saint 
François de Sales les appelle des «c boutiques de va- 
nité ». Entretiens spirituels, c. xvii, Œuvres com- 
plètes, 12 in-12, Paris, 1862, t. m, p. 510sq. 

3. La fierté. — Ce défaut a beaucoup de relation 
avec le précédent; mais il a, cependant, quelque chose 
de moins méprisable, car il ne va pas sans une cer- 
taine grandeur et une certaine dignité. 

4. La violence et le penchant à la vengeance. — 
Malgré les analogies qu'ils présentent entre eux, ces 
défauts peuvent exister, l'un sans l'autre. Toute per- 
sonne violente n'est pas pour cela rancunière, ou vin- 
dicative. La violence passe, parfois, comme une tem- 
pête qui accumule ruines sur ruines, mais qui ne dure 
pas. La rancune, ou l'esprit de vengeance, poursuit 
plus froidement son but. Aussi, dans bien des cas« 
est-elle plus i:edoutable que la violence elle-même. 
Celle-ci, malgré ses écarts accidentels, n'est pas incom- 
patible avec un certain fond de bonté. 

5. La dureté du cœur. — C'est une des formes les 
plus ordinaires de l'égoïsme. Elle rend insensible aux 
souffrances d'autrui, et porte même à y applaudir, 
comme si l'on jouissait davantage de son propre bon- 
heur, en voyant des malheureux. Elle peut aller jusqu'à 
pousser à faire le mal, pour le seul plaisir de faire 
souffrir. C'est alors une sorte d'instinct mauvais, et 
quasi-bestial. 

6. Le trop d'empressement. — C'est une agitation 
fébrile dénotant un manque d'équilibre entre les di- 
verses facultés. L'activité n'est plus réglée par la rai- 
son, et si elle déploie de l'énergie, c'est de l'énergie 
oisense. Elle se dépense en une foule d'occupations 
sans but sérieux et non méritoires, qui aboutissent, en 
somme, à une perte de temps. Souvent, en effet, on perd 
plus de temps à faire des choses inutiles qu'à ne rien 
faire du tout. Cf. Faber, Progrès de l'âme dans la vie 
spiHtuelle, c. xii, in-12, Paris, 1856, p. 289-292. 

7. La légèreté. — Elle est un grand obstacle à la 
réfiexion, aux études sérieuses, à la suite dans les idées 
ou dans les actes, à la persévérance dans les résolutions 
prises. Elle produit l'inégalité d'humeur. Parfois, elle 
dégénère en étourderie et en puérilité, qui continuent, 
dans l'adolescence et jusque dans l'âge mûr, les futi- 
lités de l'enfance. Dans les conversations, elle se mani- 
feste par le récit d'une masse de détails des plus insi- 
pides, racontés en un babil interminable. Gaite inanité 
de langage répond bien au vide de cet esprit dans lequel 
les pensées les plus disparates se succèdent avec une 
étonnante rapidité et disparaissent de même. Ce flux 
de paroles n'apporte à ceux qui sont obligés de le 
subir, que lassitude et ennui. Les occupations d^une 
personne légère de caractère présentent la même em- 
preinte générale de futilité. Quelquefois aussi, cette 
extrême mobilité de pensées est la suite morbide d*un 



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225 



DEFAUTS 



22b 



état pathologique spécial. La cure, alors, est plutôt du 
ressort de la médecine que de Tascétique ou de la 
morale. Cf. Axenfeld etHuchard, Traité des névroses, 
1. III, c. V, § 2, in-8«, Paris, 1883, p. 958 sq. ; Ribot, 
Les nicUcuiies de la volonté, in-8«>, Paris, 189(5, p. 112. 

8. La singularité. — C'est la source intarissable de 
bizarreries et de caprices de tout genre. Elle est sus- 
ceptible de se montrer de mille manières et à tout 
propos : dans les tendances, dans les paroles, dans les 
actes, dans Tensemble de la conduite, et jusque dans 
la dévotion. Elle est, alors, Teffet de l'amour-propre, 
ou delà sottise, ou bien une tentation de l'esprit malin. 

9. Vinclination à la mélancolie, au chagrin, à la 
tristesse. — Voilà encore un de ces défauts qui font le 
malheur, et de la personne qui les a, et de celles qui 
vivent auprès d'elle. Il est, en outre, pour la vraie 
piété, un obstacle déjà signalé par saint Paul. II Cor., 
IX, 7. De plus, il mène rapidement à l'abattement et au 
découragement. Par suite, il rend difficile, pour ne pas 
dire impossible, l'acquisition de la vertu. Cf. Faber, 
Progrès de l'dme dans la vie spirituelle, c. ii, vu, 
XII, p. 16-19, 108-110, 283-287; Ribet, L'ascétique chré- 
tienne, c. II, § 5, in-8*, Paris, 1905, p. 8. 

10. La pusillanimité et Vinquiétude. — Par 'ce dé- 
faut, on se trouble, à chaque instant, pour de petites 
choses c[ui n'en valent pas la peine. Il en résulte une 
agitation presque continuelle, qui, dans la vie ordi- 
naire, se traduit par l'irrésolution, et, dans la vie sur- 
naturelle, par les scrupules, cause inépuisable de 
tourments pour les âmes qui en sont atteintes, et 
pour leurs supérieurs, directeurs ou confesseurs. Cf. 
S. François de Sales, Entretiens spiintuels, c. xvii. 
Œuvres complètes, t. m, p. 514 sq. ; Scaramelli, 
Guide ascétique, traité II«, a.ll,c. i-iii, 4 in-S», Paris, 
1885, t. Il, p. 358-383. 

H. La dissimulation, ou le penchant au déguise- 
ment et à la duplicité, — C'est l'esprit de mensonge, 
ennemi de toute candeur et de toute franchise. Dans 
la plus tendre jeunesse il se manifeste dès les pre- 
mières lueurs de la raison, et s'il n'est combattu de 
bonne heure, il se perpétue à travers tous les âges. Il 
engendre Thypocrisie. 

12. La prodigalité. — P^Ue consiste à dépenser, à 
pleines mains, et sans motifs justifiés, l'argent que l'on 
possède, ou à laisser détériorer, par négligence ou par 
caprice, les objets que l'on a à son usage. Ce défaut pro- 
vient de la vanité, tout autant que de la paresse. Par 
la prodigalité en cherche à paraître riche ou généreux, 
ou bien Ton veut s'éviter le soin, considéré comme 
ennuyeux, de veiller à ses dépenses, et d'en tenir un 
compte exact. Il en résulte, d'abord, du désordre; puis 
du mécontentement et du malaise; enfin, trop souvent, 
une ruine complète. Cf. Palmieri, Opus theologicum 
morale in Busenbaum medullam, tr. IV, c. m, 
dub. vil, 7 in-8o, Prato, 1889-1893, 1. 1, p. 574. 

13. La sensualité, — Il y en a trois espèces : celle 
de l'esprit, celle du cœur, et celle du corps. — a) La 
première incline l'âme à penser surtout aux choses qui 
lui plaisent. La mémoire ne revient que sur les souve- 
nirs agréables, et T imagination crée sans cesse des chi- 
mères, auxquelles elle s'arrête avec délices. Si on lit 
un auteur, c'est surtout pour ses mérites secondaires, 
comme le style, par exemple, ou le genre du sujet traité, 
dans lequel T utile tient beaucoup moins de place que 
Tagréable. — 6) La sensualité du cœur est la source 
des affections tendres, fondées surtout sur les qualités 
extérieures : traits du visage, fraîcheur du teint, élégance 
des manières, douceur de la voix, etc. Cf. S. François 
de Sales, Entretiens spitntuels, c. xvii. Œuvres corn- 
plètes, t. m, p. 516 sq.; Scaramelli, Guide ascé- 
tique, traité II«, a. 9, c. ii-iv, t. ii, p. 295-311. — c) La 
sensualité corporelle pousse aux désordres de la chair. 
Elle se trahit dans la pose, dans la démarche, dans la 

DICr. DE THÉOL. CATHOL. 



recherche du bien-être et de la nourriture, dans l'abus 
du sommeil et du repos trop prolongé, dans les ré- 
pugnances exagérées pour tout ce qui gène : fatigue, 
intempéries des saisons, froid, chaleur, travail, etc. 
C'est un état de mollesse qui affaiblit le caractère, et 
produit un obstacle souvent insurmontable à toute vie 
chrétienne, ou simplement sérieuse. Cf. Ribet, L'ascé- 
tique chrétienne, c. xiii, p. 115-133. 

14. Lindulgence, ou le trop de tendresse pour soi. — 
Ce défaut a bien des accointances avec le précédent, 
quoiqu'il ne revête pas le même caractère de gravité. Il 
n'est, le plus souvent, qu'une grande faiblesse de la vo- 
lonté, s'arrétant devant le moindre obstacle, mais ne 
portant pas néanmoins, directement, aux désordres 
moraux, comme le fait la sensualité. C'est cependant 
un vrai danger, car, en empêchant l'âme de marcher 
sur le chemin de la vertu, il la laisse presque entière- 
ment désarmée contre les assauts de l'ennemi, toujours 
prêta tenter de l'entraîner aux abîmes. Cf. S. François 
de Sales, Entretiens spirituels, c. xiv, xvii, Œuvres 
complètes, t. m, p. 455-472, 517 sq.; Faber, Progrès 
de Vdme dans la vie spirituelle, c. vu, p. 111 sq. 

15. L'indolence. — Ce défaut conduit promptement 
à la paresse et à la lâcheté. Il paralyse jusqu'à l'action 
même de la grâce. Dans le monde spirituel, on peut la 
comparer à ce qu'est la force d'inertie, dans le monde 
des corps. Sur un caractère indolent le zèle le plus 
ardent n'a presque- aucune prise. L'indolent, en effet, 
vit dans une sorte d'apathie morale, qui est comme son 
atmosphère naturelle. Son esprit est noyé dans le 
vague, et il s'y complaît. Il ne connaît donc même pas 
son mal. Pour le connaître, il aurait dû s'étudier, et 
cela demande un effort, dont il est incapable. Si on 
veut l'aider dans ce travail, il s'y refuse; et si on essaie 
de lui révéler le mal qui le mine, il ne comprend rien 
à ce qu'on lui en dit. Celte apathie morale est l'oppo.sé 
de toute énergie, par conséquent de toute vertu, et. 
a fortiori, de ioute vie surnaturelle. Par le désœuvre- 
ment habituel qu'elle produit, elle est, comme l'oisiveté 
et la paresse, la mère de tous les vices. Pour ne pas 
mourir d'ennui, il faut à l'être 'inoccupé des divertis- 
sements frivoles, des plaisirs toujours renouvelés, des 
émotions factices ou coupables. L'indolence Ténerve 
donc de plus en plus, et consume, en peu de temps, le 
peu de vigueur qui lui restait. Cf. Faber, Progrès de 
Vdme dans la vie spirituelle, c. iii-xiv, p. 115 sq., 
277-301. 

II existe une foule d'autres défauts moraux, dont il est 
souvent fait mention dans les ouvrages de morale et 
d'ascétisme. La liste en serait longue. Mais il faut re- 
marquer que beaucoup sont presque synonymes, ou 
n'indiquent que des variétés d'une même espèce. Il est, 
en outre, facile de les ramener tous à Tun de ceux dont 
nous avons traité, en particulier, dans cet article. 

S. François de Sales, Entretiens spirituels aux filles de la 
Visitation, c. xiv-xvii. Œuvres complètes, 12 lii-12, Paris, 
1862, t. lu, p. 455-517; Scaramelli, Guide ascétique, traité 11% 
a. 9, c. ii-iv; a. 11, c. i-iii, 4 in-8', Paris, 1882, t. ii, p. 296-311, 
358-383; Faber, Progrès de l'âme dans la vie spirituelle, c. ii, 
vu, xiv, in-12, Paris, 1856, p. 15-34, 103-120, 277-301 ; Poujol, 
Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de Vâme, 
in-4*, Paris, 1863; FrédauU, Traité d'anthropologie physiolo- 
gique et philosophique, 1. III, c. m, §3; I. V, c.i-vi, in-8% 
Paris, 1863, p. 425 sq., 490 sq., 615-701 ; Giraud, De l'esprit et 
de la vie de sacrifice dans l'état religietuv, 1, II, c. xi-xii, 
ln-12, Grenoble, 1877, p. 177-195 ; Maudsiey, Pathologie de Vesprit, 
c. vu, in-8», Paris, 1883, p. 346 sq.; Meynerl, Psychiatrie, 
in-8% Vienne, 1890; Ribot, Les maladies de la volonté, in-8% 
Paris, 1896; Pesch, Psychologiaanthropologica, 1. II, disp. III, 
sect. IV ; 1. III, disp. I, sect. inv, in-8', Fribourg-en-Brisgau, 
1898, p. 301 sq., 399-430; Ribet, L'ascétique chrétienne, c. i, xni, 
xix, ln-8% Paris, 1905, p. 8, 115-133, 189-207; cardinal Mercier, 
Psychologie, part. IIP, c. i, a. 2, sect. ii, États anormaux, ou 
maladies de la volonté^ 2 in-4% Louvain, 1905, t. ii, p. 234 sq. 

T. Ortolan. 



IV. -8 

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227 



DÉFENSE DE SOI 



228 



DÉFENSE DE SOI. Le droit que nous avons sur 
notre vie, sur notre corps, sur tous les biens qui nous 
appartiennent légitimement implique comme consé- 
quence nécessaire le droit de nous défendre contre toute 
attaque injuste menaçant cette vie, ce corps et ces 
biens. Posséder légitimement un bien, c'est avoir le 
droit de le garder, et sans la faculté de le défendre 
contre un injuste agresseur, ce droit ne serait qu'une 
chimère. Nul d'ailleurs ne conteste ce principe ni en 
théorie ni en pratique et toutes les législations l'ont 
admis. Cf. Décret. Gregor. IX, 1. V, tit. xii, De honii- 
cidio; Code pénal français, a. 328. 

Si le principe est évident, l'application en est déli- 
cate, car il n'est pas permis, même pour raison de 
légitime défense, de devenir injuste agresseur. D'où : 
I. Nature du droit de légitime défense. II. Règles à 
suivre dans l'usage de ce droit. III. Application des 
principes aux cas les plus importants. 

I. Nature du droit de légitime défense. — Comme 
le note justement de Lugo, le droit de légitime défense 
n'a point pour objet de réparer le dommage déjà causé 
ni de punir la faute commise, mais d'empêcher que le 
tort ne soit fait. Conséquemment, en cas de légitime 
défense, on peut agir dés que l'adversaire attaque; 
mais il n'est point permis d'ajouter à la défense ce qui 
constituerait le châtiment ou la réparation. Et d'autre 
part, dès que l'attaque a réellement cessé d'exister, le 
droit de se défendre cesse ipso facto. 

II. Règles à suivre dans l'usage de ce droit. — 
1» Règles générales. — Il n'est pas permis, même pour 
se défendre, d'accomplir un acte intrinsèquement mau- 
vais. Il n'est pas permis de se défendre dans une 
société organisée, comme on pourrait le faire en dehors 
de toute organisation sociale et de s'arroger des droits 
sagement réservés aux tribunaux, 

2<» Règles parliculières. — 1. Il n'est permis de se 
défendre que lorsque l'agression est injuste. Si la per- 
sonne dont l'acte nous fait tort est daas son droit, la 
résignation s'impose et la violence serait injuste. C'est 
le cas du criminel justement condamné à l'égard de 
ses bourreaux et de ses gardiens. Mais dès que l'agres- 
sion est injuste, ne fut-ce que matériellement, le droit 
de se défendre existe. Ce droit, en effet, ne dépend 
pas de la culpabilité de l'agresseur, mais uniquement 
du caractère objectif de son acte. Il est donc permis 
de se défendre contre les attaques d'un homme ivre et 
d'un fou. — 2. Les moyens employés pour empêcher 
l'agression ne doivent pas dépasser les limites néces- 
saires à la défense. Donc l'emploi de moyens violents 
est interdit quand les autres suffisent. S'ti suffît, pour 
échapper au meurtre dont on est menacé, de fuir ou 
de se cacher, on n'a pas le droit de tuer. Toutefois, si 
l'agression devient plus violente, la défense peut devenir 
plus énergique et se développer parallèlement à l'attaque. 
L'emploi de moyens inutiles à la défense et dont le 
but unique serait de nuire à l'adversaire, reste illicite. 
— 3. Il faut tenir compte de la valeur du bien menacé 
et ne point le défendre en iniligeant à son adversaire 
un dommage sans proportion avec le tort qu'il veut 
causer. La vie d'un homme, régulièrement parlant, 
vaut plus qu'une pièce d'or. Je n'ai donc pas le droit de 
tuer le voleur pour sauver les vingt francs qu'il me 
prend. 

III. Applications principales. — 1» La vie est injus- 
tement menacée. — Si je ne puis échapper autrement, 
j'ai le droit de tuer l'ennemi qui m'attaque. Cette con- 
clusion n'est pas contestée malgré certains textes em- 
barrassants de saint Augustin, De libero arbitrio, 1. I, 
c. v, n. 11, P. L., t. xxxii,col. 1227 : Quomodo possum 
ai^bilraH carere islos libidine, qui pro iis rébus (se, 
vita, liberlate, pudicilia) digladiantur quas possunt 
amiltere inviti: aut si non possunt, quid opus est 
pro his usque ad hominis necem progredi ? et Epist., 



XLVii, ad Publicolam, n. 5, P. L., t. xxxiii, col. 186: 
De occidendis hominibus ne ab eis quisque occidatur, 
non mihi placet consilium, nisi forte sit miles aut 
publica functione teneatur...; de saint Ambroise, De 
officiis, 1. III, c. IV, n. 27, P, L., t. xvi, col. 153 : Non 
videtur quod vir christianus et justus et sapiens quœ- 
rere sibi vitam aliéna morte debeal; de saint Bernard, 
De prsecepto et dispensât., c. vi, n. 13, P. L., t. clxxxii, 
col. 869, qui considère comme coupables d'homicide 
et ceux qui tuent pour voler et ceux qui tuent pour 
sauver leur vie. Quelques théologiens rigoristes ont 
seuls combattu l'opinion commune. La charité, disaient- 
ils, nous oblige à préférer le salut éternel du prochain 
à notre vie. Or, c'est le contraire que l'on fait évidem- 
ment en tuant un injuste agresseur. Carrière, De ju- 
stitia et jure, n. 786, cite comme ayant adopté ce senti- 
ment Henri de Saint-Ignace, Piette, Gibert de Vérone 
et de Pompignan, archevêque de Vienne. Mais il est 
facile de répondre à l'argument qu'ils avancent, en rap- 
pelant que la charité ne nous oblige pas à ce sacrifice 
héroïque, s'il n'est pas absolument nécessaire. Or, 
dans l'hypothèse, il ne l'est pas : que l'injuste agresseur 
cesse d'attaquer, on n'aura plus le droit de se défendre 
et il sera libre de songer au salut de son âme. 

Il semble à saint Thomas, Sum. theoL, !!« 1I«, 
q. LXiv, a. 7, que, même en cas de légitime défense, on 
ne peut qu'indirectement vouloir la mort de l'injuste 
agresseur à cause du précepte : non occides. On aurait 
simplement le droit de se défendre au risque de tuer 
l'adversaire. On n'aurait pas le droit de vouloir direc- 
tement lui infliger un coup mortel. Ce sentiment est 
communément abandonné. Car si j'ai réellement le 
droit de tuer qui veut me perdre, j'ai le droit de vouloir 
directement sa mort. Le précepte : non occides ne va 
pas sans les exceptions nécessaires. 

2o Si la vie nest pas en danger, mais seulement 
Vintégrité matérielle ou morale du corps. — 1. L'ad- 
versaire ne cherche qu'à blesser ou à mutiler. On 
peut rendre coup pour coup, mais est-il permis de se 
débarrasser -de l'adversaire en le tuant? S'il n'est pas 
possible de s'en débarrasser autrement, oui. Je ne suis 
pas tenu de me condamner à la perte d'un membre 
ou à de graves blessures pour épargner la vie de qui 
m'attaque contre tout droit. Il ne peut s'en prendre 
qu'à lui s'il lui arrive malheur. — 2. L'honneur d'une 
femme est un bien de premier ordre qui peut juste- 
ment se comparer à -la vie et se défendre par les mêmes 
moyens. Aussi, d'après le sentiment commun des 
théologiens, une femme, vierge ou non, mariée ou non, 
à qui l'on voudrait faire violence, a-t-elle le droit, 
s'il le faut, de tuer l'impudique agresseur. S. Antonin, 
Summa, part. Il, tit. v, c. vi; Lessius, De justitia, 1. II, 
c. IX, n. 76; S. Liguori, Theol. moralis, 1. 111, n. 386. 
L'opinion contraire soutenue par Steyaert, Juenin, 
Billuart et quelques autres que cite, en les approuvant, 
Carrière, op. cit., n. 800, s'appuyait sur l'autorité 
de saint Augustin, loc. cit., et sur l'argument suivant : 
l'acte de violence commis contre une femme peut être 
envisagé soit comme lui ôtant un bien naturel, soit 
comme la blessant dans sa vertu. Or l'intégrité dont 
on la dépouille n'a point la valeur de la vie. La vertu 
n'est point atteinte si la femme fait son devoir en ré- 
sistant de toutes ses forces et en refusant tout consen- 
tement interne à l'acte accompli. Aucune raison par 
conséquent de tuer. Mais si la vertu n'est pas néces- 
sairement atteinte, elle est du moins en un grand danger 
dont il faut tenir compte. D'autre part, l'honneur de 
la femme est certainement un bien de premier ordre. 
S'il n'est pas absolument équivalent à la vie, il vient 
immédiatement après. La charité n'oblige pas, en pa- 
reil cas, à sacrifîer son intérêt à celui d'autrui. 

3® Les biens de la fortune. — Les défendre contre les 
voleurs est un droit que personne ne conteste. Ce droit 



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229 



DÉFENSE DE SOI — DEFORIS 



230 



va-t-il jus:{u'â permettre de tuer le voleur? L'opinion 
communissinia le concède, mais à une double condi- 
tion : 1. que les biens enlevés soient d'une valeur con- 
sidérable; 2. qu'il n'y ait pas d'autre moyen de les 
défendre ou de les recouvrer. La charité^ en effet, ne 
nous oblige pas de préférer à des biens de cette sorte 
la vie d'un voleur ; le bien public ne demande pas non 
plus qu'on laisse faire. Mais il est évident que l'emploi 
de ce moyen extrême n'est licite que s'il s'agit d'objets 
ou de biens de grande valeur. Quelle est cette valeur? 
On ne peut la déterminer par des chiffres. Il faut tenir 
compte de la valeur relative et de la valeur absolue de 
l'objet. En tout cas, il n'est pas permis régulièrement 
de tuer un homme dès qu'une seule pièce d'or est en 
danger. C'est le sens de la 31* des propositions con- 
damnées le 2 mars 1679, par Innocent XI. A fortiori, 
n'est-il pas permis de sauvegarder par un meurtre 
l'héritage qu'on espère, ni de tuer celui qui refuse de 
nous délivrer un legs auquel nous avons droit. Dans 
ce double cas, le moyen violent dépasse la mesure ou 
n'est pas nécessaire; donc il faut le rejeter. C'est le 
sens des' propositions 32« et 33fi condamnées par le même 
pape. Denzinger, Enchiridion, n. 1048-1050. 

Dans un synode tenu à Constantinople en 1153 sous 
le patriarche Constantin Chiiarenus, on a discuté 
quelle pénitence ecclésiastique on devait imposer à 
ceux qui.tuaient un voleur à qui ils auraient pu échapper 
par la fuite. Quelques-uns voulaient qu'ils fussent 
punis comme homicides, car le voleur tué aifrait pu 
se convertir, s'il avait vécu, et que, par suite, on ne 
leur appliquât plus les anciens canons. Ceux-ci décla- 
raient qu'il n'y avait pas de crime si on n'avait pas pu 
fuir. Si le voleur avait eu recours à la violence et si en 
se défendant on l'avait tué, il n'y avait pas lieu à infli- 
ger aucune pénitence ecclésiastique; il faudrait plutôt 
récompenser l'homicide qui a ainsi procuré le bien 
public. Le concile, réformant l'ancienne discipline, dé- 
cida que, dans ce cas, on devait, au point de vue 
ecclésiastique, punir comme homicides ceux qui s'étaient 
défendus de la sorte, et que, s'ils a\'aient pu fuir, la 
pénitence soit augmentée. De droit naturel, l'ancienne 
distinction ne devait pas être rejetée. Tout ceci concer- 
nait les laïques. Quant aux clercs homicides, qu'ils eus- 
sent tué des ennemis, ou des voleurs,'ou d'autres per- 
sonnes, il n'y a pas de distinction à faire ; ils seront 
toujours déposés. Mansi, Concil., t. xxi, col. 833, 836. 

Le voleur qui s'enfuit en emportant l'objet dérobé 
peut être traité comme le voleur au moment du vol. 
Mais avant d'en venir au fait, il est juste qu'on l'aver- 
tisse, de vive voix ou autrement, qu'il connaisse le 
danger qu'il court. Autrement, on risquerait d'employer 
inutilement un moyen violent. 

Si le voleur recourt à la violence pour s'emparer 
d'un objet de peu de valeur, il est permis de repousser 
la force par la force. Si la querelle s'envenime et que 
le voleur vienne à blesser ou à menacer de mort, la 
victime a le droit de se déiendre comme il a été in- 
diqué plus haut. C'est le summum jus dont il vaudrait 
peut-être mieux ne pas user. 

Fagnan, le P. Ballerini, Carrière et quelques autres 
théologiens, s'écartant dans cette question de l'opinion 
commune, ont soutenu qu'il n'est jamais permis de tuer 
un homme qui ne fait que voler. L'assemblée du clergé 
de France avait, en 1700, condamné la proposition sui- 
vante : Xon soluni vitam, sed etiani bona teniporalia 
quorum jaciura esset damnum gravissimum, licilum 
est defensione ocdsiva defendere, comme contraire au 
précepte divin et aux obligations qu'impose la charité. 
Pour défendre cette opinion, on alléguait : 1. le pas- 
sage deFExode, xxv, 2, qui déclare permis de tuer celui 
qui vole la nuit et non celui qui vole le jour, parce 
que du premier on ne sait s'il vient pour voler ou tuer; 
sU ne rient que pour voler il est interdit de le tuer. 



! — 2. Il est déraisonnable de sacrifier la vie d'un homme 
pour un bien périssable, dont la perte n'est pas irrépa- 
rable. Ces arguments n'ôtent point leur valeur aux rai- 
sons de la première opinion; ils prouvent seulement 
qu'il ne faut en user qu'avec une extrême réserve. 

4» L'honneur et la réputation, — Il est permis de 
s'opposer, par un emploi modéré de la force, aux 
voies de fait injurieuses et aux paroles outrageantes. 
Mais si, pour empêcher l'injure, il faut recourir à l'ho- 
micide, en a-t-on le droit? Diana, Lessius, Hurtado 
l'ont admis pour le cas où l'insulte serait sanglante et 
atteindrait un personnage élevé en dignité. Mais cette 
opinion, remarque saint Liguori, ne doit passer en 
pratique qu'avec une extrême réserve. Elle se soutien- 
drait plus facilement si, d'une part, la personne outragée 
est de celles qui ne peuvent laisser passer l'insulte sans 
se déshonorer et si, d'autre part, l'insulteur, passant 
des paroles aux actes, en vient à menacer son ennemi 
de mutilation ou de mort. En ce cas, l'insulté se dé- 
fendrait plutôt contre la violence que contre l'injure. 
Mais, si l'on excepte ce cas, le recours au meurtre 
comme moyen d'écarter l'injure est illicite, soit parce 
qu'il n'y a pas de proportion entre le mal de l'injure 
et celui de l'homicide, soit parce qu'on arrive au but 
aussi sûrement et aussi facilement par d'autres 
moyens sans danger. 

Un sentiment trop vif de l'honneur a fait dévier sur 
ce point, au xvi« et au xvii» siècle, quelques théolo- 
giens dont les propositions scandalisaient le domini- 
cain Mayol, Summa doclHnm moralis circa X decalogi 
prascepta, V""» pnrcept., q. i, a. 6, § 4 : Prm horrore.». 
decidit calamus, tremunt viscera..,, dum considero 
opinionum portenta execratione digna quitus novelli 
probabilitalum patroni istud strictissimum de non oc- 
cidendo prœceptum laxare in Jiac parte moliunlur. 
Selon les uns, dit-il, on peut tuerje calomniateur, non 
seulement quand il attaque, mais dès qu'il menace; 
selon les autres, il est licite de tuer un insulteur, même 
quand il a cessé d'insulter ; d'autres permettent en prin- 
cipe de tuer tout insulteur ou tout calomniateur qui 
fait un tort grave. Les critiques de Pascal, v//« Provin- 
ciale, ont été provoquées par des propositions de ce 
genre, ou trop larges, ou formulées d'une façon trop 
générale. Voir par exemple Lessius, De juslitia, 1. II, 
c. IX, dub. XII, n. 77 et 79. 

Les principes indiqués plus haut s'appliquent dans 
toutes les classes de la société. On ne fait aucune ex- 
ception même pour les personnes constituées en di- 
gnité qui n'ont pas le droit de tuer pour échapper à la 
calomnie et aux injures, ni le droit de calomnier pour 
échapper à une accusation vraie ou fausse. Alexandre Vil 
et Innocent XI ont condamné les propositions qui le 
soutenaient. Prop. 17, 18, et prop. 30, 43 et 44. Den- 
zinger, n. 988, 989, et 1047, 1060, 1061. A fortiori, 
est-il interdit de recourir à l'homicide par avortement 
pour, échapper au déshonneur ou même à la mort. 
Prop. 34. Denzinger, n. ICfôl. 

V. Oblet. 

DEFORIS Jean-Pierre, bénédictin de la congréga- 
tion de Saint-Maur, né à Montbrizon en 1732, guillotiné 
à Paris le 25 juin 1794. Ayant fait profession à Saint- 
Allire de Clermont, le 28 août 1753, il fut un des pre- 
miers collaborateurs chargés de l'édition des conciles 
des Gaules, dont un volume seulement fut publié; mais 
il renonça bientôt à ce genre d'études pour se livrer à la 
défense de la religion attaquée par les incrédules. Au 
moment de la Révolution, il fut accusé d'être favorable 
à la Constitution civile du clergé et môme d'avoir con- 
tribué à sa rédaction. Il repoussa vivement cette accu- 
sation dans une Lettre à Vauleur de la Gazette de Paris, 
in-8o de 28 p. A la suite de celte publication, il fut 
arrêté et enfermé à la Force, puis au Luxembourg et 
à la Conciergerie. Traduit devant le tribunal révolution- 



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231 



DEFORIS — DÉISME 



232 



naire, il fut condamné à mort. Il ne cessa d'offrir les 
consolations de la religion à ses compagnons de capti- 
vité et de supplice, et pour les assister jusqu^au bout, 
demanda comme une faveur d'être exécuté le dernier. 
Dom Deforis travailla à une édition des œuvres de 
Bossuet dont les notes et manuscrits avaient été dépo- 
sés au monastère des Blancs- Manteaux par les héritiers 
de l'illustre évéque. Ce travail avait été commencé par 
l'abbé Lequeux et par dom de Ck)niac. L'édition devait 
avoir 30 volumes. Dom Deforis l'annonça par un Prospec- 
tus de la nouvelle édition des œuvres de Messire J. Bé- 
nigne Bossuet, évêque de Meaux, in-4o, Paris, 1769. 
Quinze volumes furent publiés par les soins de dom 
Deforis qui s'était surtout occupé des œuvres inédites 
de l'évéque de Meaux ; mais les notes et préfaces dont 
il accompagna le texte soulevèrent de vives protesta- 
tions de la part de l'Assemblée du clergé qui pria le 
garde des sceaux d'ordonner que les œuvres de Bossuet 
fussent publiées sans commentaires. Le libraire Lamy 
continua l'édition qui demeura inachevée : Œuvres de 
Messire Jacques- Bénigne Bossuet, nouvelle édition 
enrichie d'ouvrages de l'auteur non encore impnmés> 
18 ln-4<», Paris, 1772-1788. Dom Deforis donna une édi- 
tion séparée des Semions et oraisons funèbres de 
M. Bossuet, 6 in-4o, ou 17 in-12, Paris, 1772-1790. Il est 
en outre auteur des ouvrages suivants : Réfutation d'un 
nouvel ouvrage deJ.-J. Rousseau intittdé : Emile ou 
de Véducation, in-S», Paris, 1762 ; La divinité de la reli- 
gion chrétienne vengée des sophismes de J.-J. Rousseau, 
2 in-12, Paris, 1763 ; Préservatif pour les fidèles contre 
les sophismes et les impiétés des incrédules oii Von 
développe les principales preuves de la religion et où 
Von détruit les objections formées contre elle, avec 
une réponse à la lettre de J.-J. Rousseau à M. de Beau- 
mont, archevêque de Paris, 2 in-12, 1764; Réclama- 
tion des religieux bénédictins des Blancs-Manteaux 
contre la requête des religieux de Saint-Get^iain-des 
Prés, in-4o, Paris, 1765; L'importance et l'étendue des 
obligations de la vie monastique, son utilité dans 
VÉglise et dans VÉtat pour servir de préservatif aux 
moines et de réponse aux ennemis de l'ordre monas- 
tique, 2 in-12, Paris, 1768 : ces deux derniers ouvrages 
se retrouvent dans Mémoires pour les ordres religieux 
contre l£S principes de la Commission établie en il68, 
in-12, Paris, 1785; Exposition de la doctrine de VÉglise 
sur les vertus chrétiennes contre les articles que 
M. l'évéque du Mans a fait signer aux Pères de l'Ora- 
toire et Examen de la lettre apologétique du P. du Vet*- 
dier, assistant du Père général de l'Oratoire au sujet 
de ce qui s'est pcusé entre les supérieurs majeurs de 
cette congrégation et M. V évêque du Mans dans l'af- 
faire du professeur du Mans, in-12, en France, 1775, 
pamphlet très violent contre l'Oratoire et Mu»" de Gri- 
maldi, évéque du Mans ; Plan de réforme motivé, pré- 
senté aux États-Généraux par les fidèles citoyens de 
la bonne ville de Pans, 3 in-8% Paris, 1787, 1788, 1789. 

Dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint- 
Maur, iii-4', Paris, 1770, p. 763-765 ; Qiiérard, La France litté- 
raire, iii-8% Paris, t. ii, p. 421 ; Picot, Mémoires pour servir 
à l'histoire ecclésiastique pendant le xvm* siècle» 3* édit., Pa- 
ris, 1865, t. v, p. 139; de Lama, Bibliothèque des écrivains de 
la congrégation de Saint-Maur, in-12, Paris et Munich, 1882, 
p. 212; Revue Bossuet, 1900, p. 58, 113; 1905, p. 66, 549; Le- 
vesque, Bossuet et Deforis : une esquisse de sermon, dans Revue 
Bossuet, 1906, p. 250-258; tWd., p. 312 314; Supplément V, 
25 juin 1907, p. 67-73 ; Berlière, Nouveau supplément à Vhistoire 
littéraire des bénédictins de Saint-Maur, 1. 1, p. 150-152. 

B. Heurtebize. 

DÉGRADATION. Voir Déposition. 

DEGRÉS. Voir Grades. 

DEHARBE Joseph, né à Strasbourg en Alsace, le 
1» avril 1800, entra dans la Compagnie de Jésus à Brig 



(Valais), le 20 septembre 1817; professa la rhétorique 
et prêcha avec succès en Suisse et en Allemagne. 
L'exercice du saint ministère lui fit comprendre la 
nécessité d'un nouveau catéchisme populaire. Il en 
forma le plan suivant les besoins nouveaux qu'il con- 
statait, tout en se tenant le plus près possible des meil- 
leurs modèles antérieurs, spécialement du B. P. Cani- 
sius, dont le catéchisme avait obtenu une si vaste dif- 
fusion et fait tant de bien. Voir t. ii, col. 1524-1526. Il 
arriva à l'exécution, tandis qu'il résidait à Lucerne en 
Suisse, et publia, en 1847, à Ratisbonne, son premier 
Katholischer Katechismus, en quatre éditions, diffé- 
rant par le développement, pour les enfants des écoles 
de tout degré, pour les jeunes gens et les adultes. En 
1853, lesévéques de Bavière, désireux de réaliser dans 
leurs diocèses l'uniGcation des catéchismes, mesure à 
laquelle s'était déjà montrée favorable l'assemblée gé- 
nérale de l'épiscopat allemand à Wurzbourg, en 1848, 
demandèrent le concours du P. Deharbe. Celui-ci avait 
déjà réimprimé une douzaine de fois son travail suc- 
cessivement perfectionné; il en publia, la même 
année 1853, une nouvelle édition, que tous les prélats 
bavarois adoptèrent. Voir t. ii, col. 1956. Le P. Deharbe 
a de même approprié son œuvre, avec de légères modi- 
fications, à l'usage de plusieurs autres diocèses, et elle 
est devenue le catéchisme diocésain de la plus grande 
partie de l'Allemagne. Il en a été fait éga||3ment des 
traductions en anglais, en croate, en danois, en espa- 
gnol, en français, en hongrois, en italien, en polonais, 
en portugais, en suédois, en tchèque et même en 
mahratte. Outre les textes destinés à être appris par 
les enfants, le P. Deharbe a composé des explications 
populaires de son catéchisme, à l'usage des catéchistes 
et des familles; elles ont paru sous différents titres, 
en deux, trois et cinq in-8o. Divers auteurs ont égale- 
ment commenté à leur manière son excellent manuel. 
Le P. Deharbe a encore publié un volume sur la na- 
ture de la charité parfaite : Die vollkommene Liebe 
Gottes in ihrem Gegensatze zur unvollkommenen und 
in ihrer Anwendung auf die vollkommene und unvoll- 
kommene Reue, dargestellt nach der Lehre des heil. 
Thomas von Aquin, und fur katechetische Vortràge 
gemeinfasslich erklàrl. Nebst einigen Erlàuterun- 
gen zum Einverstàndnisse in der Katechismussache, 
in-8°, Ratisbonne, 1856. Il termina sa vie bien remplie, 
le 8 novembre 1871, à Maria-Laach. 

Sur les innombrables édItioDs du catéchisme de Deharbe, 
voir De Backer-SommervogeU Bibliothèque delà O* de Jésus, 
t. u, col. 1875-1884; t. IX, col. 182-184. Pour l'appréciation,, 
F. X. Thalhofer, Entwickelung des katholischen Katechismus 
in Deutschland von Canisius bis Deharbe, Fribourg-en-Bris- 
gau, 1899; Knecht, dans le Kirchenlexikon, t. vu, col. 310; 
Hurter, Nomenclator, t. ni, col. 1222-1223. 

Jos. Brucker. 

DÉISME. — I. Notion. II. Essais de classification . 
III. Apparition du mot. IV. Le déisme en Angleterre. 
V. Le déisme en France. VI. Le déisme en Allemagne. 
VII. Doctrine catholique opposée au déisme. 

I. Notion. — Ce mot est loin d'avoir une significa- 
tion unique et facilement définissable. Son acception 
usuelle ne répond nullement au sens étymologique. 
Si nous ne consultons que l'étymologie, déisme et 
théisme sont deux termes parfaitement synonymes : 
ils expriment l'un et l'autre simplement la croyance 
en Dieu, le contraire de l'athéisme; ils ne différent que 
par leur dérivation immédiate, qui rattache le premier 
au latin Deus, et le second, au grec Bedc* De fait, dans 
beaucoup de livres du xviii» siècle et du commence- 
ment du xix«, on les rencontre employés indiffère m« 
ment. Voltaire se vante d'être théiste et ne se déferà<i 
point d'être déiste. C'est que, dans sa pensée, ces deux. 
qualificatifs se valent : ils indiquent également a ne 
religion sans dogmes révélés et sans culte autre que^ 



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m 



DÉISME 



234 



c (aire le bien », c'est-à-dire le fond commun de toutes 
les religions, l'assentiment purement rationaliste à 
fl l'existence d*un être suprême, puissant et juste. » 
Aussi de même que, pour lui, « le déisme est la reli- 
gion d'Adam, de Sem et de Noé, » parce « qu'en tout 
genre on commence par le simple, ensuite vient le 
composé », de même il dit du théiste {Dictionnaire 
philosophique, à ce mot), que < sa religion est la plus 
ancienne et la plus étendue, car l'adoration simple 
d'an Dieu a précédé tous les systèmes du monde. » 

Mais, dès longtemps, l'usage, quem pênes arbitrium 
est, et fus et nomia loquendi, a introduit entre ces 
deux mots une distinction capitale : il a sanctionné et 
développé le côté affirmatif de l'un et le côté exclusif 
de l'autre; dans le théisme, il a accentué l'idée qu'im- 
plique la racine, et il a amené le déisme à signifier 
surtout la négation de quelque chose qui la dépasse; 
ici, l'attention se porte moins sur ce que le vocable 
énonce que sur ce qu'il ne dit pas et suppose absent. 
Aujourd'hui, le théisme est une théorie qui comporte 
l'existence d'un Dieu personnel, créateur et providence; 
il s'oppose non seulement à l'athéisme, négation de 
Dieu, et aa panthéisme, négation de la personnalité 
divine, mais aussi au déisme. Celui-ci désigne tout 
système qui, un Dieu personnel supposé, rejette l'un 
ou Tautre de ses attributs positifs et tout au moins son 
action révélatrice. C'est bien assurément cet aspect 
négatif que Bossuet avait en vue et dont il signalait, 
avec son coup d'œil génial et sa logique impitoyable, 
Vaïiations, Y, les conséquences extrêmes, quand il 
appelait le déisme « un athéisme déguisé. » 

II. Essais de classification. — Selon qu'il pousse 
Texclusion plus ou moins loin, le déisme se présente 
à nous avec des différences très notables. Au commen- 
cement du xviii« siècle, le théologien anglais Clarke, 
A démonstration of the being and attributes of God, 
Londres, 1704-1706, traduit par Ricotier, Amsterdam, 
1721, t. II, c. II, distinguait quatre classes de déistes. 
Les uns, disait-il, reconnaissent un Dieu sans provi- 
dence aucune, complètement étranger et indifférent aux 
actions des hommes et aux phénomènes du monde, 
moteor intelligent, qui, après avoir tiré l'univers du 
chaos, c a tout laissé à l'aventure, sans vue ni direction 
particulière, au hasard de ce qui pourrait arriver. » 
D autres s'élèvent jusqu'à l'idée d'une providence, mais 
d'une providence qui gouverne simplement les phéno- 
mènes de l'univers matériel. Au demeurant, ils ren- 
versent toutes les bases de la morale et, a fortiori, de 
la croyance à une vie future; « ils ne voient nulle dif-' 
férence entre le bien et le mal; » c'est là chose dont 
Dieu, d'après eux, ne se met pas en peine, de sorte que 
les lois établies par les hommes, source unique et 
arbitraire de nos concepts d'honnêteté, d'obligation, de 
Caute, de mérite et de démérite, sont aussi par consé- 
quent la seule norme régulatrice de nos actes. Il est 
des déistes d'une troisième nuance, qui, tout en admet- 
tant certains attributs moraux de Dieu et en particulier 
sa providence et ses volontés intimées à toutes les 
créatures raisonnables, refusent de croire à l'immorta- 
lité de l'a me, ainsi qu'aux peines et récompenses d'une 
autre vie. Enfin, à la quatrième classe appartiennent ceux 
qui i ont à tous égards des idées saines et justes de 
Dieu et de ses attributs », qui donc acceptent toutes 
les vérités de la religion naturelle, y compris le dogme 
de la vie future, et ne rejettent que le principe de l'au- 
torité et de la révélation. Ceux-ci sont, au jugement de 
Clarke, c les seuls véritables déistes et les seuls qui 
méritent qu'on entre en discussion avec eux pour les 
convaincre de la vérité de la religion chrétienne. » 
Malheureusement, ajoute-t-il, tout porte à croire « que 
parmi les déistes modernes, il n'y en a que peu ou 
point de cette espèce. Car la moindre attention aux 
conséquences de ces principes conduirait infaillible- 



ment des gens comme ceux que je viens de dépeindre à 
embrasser le christianisme. » 

La classification de Clarke n'a guère été admise telle 
quelle. Kant, fort arbitrairement du reste, simplifie la 
question en opposant sans plus le déisme au théisme 
de la manière suivante : le théiste est, selon lui, le 
partisan de la religion naturelle; il conçoit Dieu, par 
analogie avec l'homme et d'après les données de l'expé- 
rience, comme un être libre et intelligent, auteur et 
providence du monde. Le déiste s'en tient à la théologie 
rationnelle transcendantale, « pensant Dieu d'après des 
concepts purs et vides d'intuition, comme être premier 
et cause du monde, » il ne va pas au delà d'une force 
infinie, inhérente à la matière et cause aveugle de tous 
les phénomènes de la nature. Le déisme, dans ce sens, 
ne serait plus qu'une forme du matérialisme et se con- 
fondrait avec la doctrine de certains physiciens de l'an- 
tiquité, par exemple celle de Straton de Lampsaque. 
Rien ne justifie pareille restriction. Aussi bien, à nous 
en rapporter à l'usage le plus général, à considérer les 
penseurs qu'on s'accorde communément à ranger sous 
l'étiquette de déistes, il semble à la fois plus logique et 
plus commode d'y distinguer trois catégories ou trois 
degrés, suivant qu'admettant Dieu comme créateur ou 
au moins ordonnateur du monde, ils nient d'ailleurs 
soit seulement la révélation et l'Église, soit en outre la 
vie future, soit même la providence. En étudiant les 
origines et la marche du déisme, surtout du déisme 
anglais, il est facile d'y relever ces différentes formes. 
On les y rencontre se développant dans l'ordre que 
nous venons d'indiquer, c'est-à-dire se rapprochant de 
plus en plus de la négation totale, de l'athéisme. 

III. Apparition du mot. — Historiquement, le déisme 
s'offre d'abord à nous avec une acception purement 
théologique. Ce mot, inconnu de l'antiquité et du moyen 
âge, a servi primitivement à désigner les sociniens ou 
nouveaux ariens, qui niaient la divinité de Jésus-Christ. 
Dans la suite, on l'a étendu à tous ceux qui se déclarent 
partisans de la religion naturelle, mais hostiles à tout 
surnaturel et à tout mystère. Des adversaires du chris- 
tianisme nous apparaissent pour la première fois sous 
le nom de déistes vers le milieu du xvi* siècle, en Italie et 
en France. C'est du moins ce qui résulte du témoignage 
d'un théologien calviniste, assez estimé parmi les siens, 
Viret, dans un livre publié en 1563 et portant le titre 
d'Instruction chrétienne. Cet auteur caractérise ainsi les 
nouveaux sectaires : «c Ils reconnaissent Dieu, mais n'ad- 
mettent pas Jésus-Christ. L'enseignement des apôtres 
et des évangélistes est pour eux pure fable et rêverie. » 

IV. Le déisme en Angleterre. — Mais si le nom est 
né sur le continent, c'est en Angleterre que nous voyons, 
dans la seconde moitié du même siècle, la doctrine 
prendre consistance et commencera se répandre. Plu- 
sieurs circonstances locales lui furent favorables : elle 
bénéficia d'un fort courant d'opposition à l'Église établie, 
qui régnait parmi les sectes dissidentes, et surtout de 
la réaction très compréhensible provoquée par la préten- 
tion de l'épiscopat anglican d'imposer l'adhésion absolue 
aux trente-neuf articles, contrairement au principe 
fondamental du protestantisme, qui permet à chacun 
la libre interprétation de la Bible. A ces causes il faut 
ajouter l'action parallèle de la philosophie inaugurée 
par Bacon de Vérulam (f 1626), et conduisant de l'em- 
pirisme au sensualisme d'abord, au scepticisme et à 
l'athéisme ensuite. 

On trouvera à l'article Christianisme rationnel, t. ii, 
col. 2415-2417, une substantielle esquisse du déisme 
anglais, avec l'énumération des principaux noms et des 
principaux ouvrages par lesquels il est représenté. 
De la comparaison attentive de ces éléments une con- 
clusion se dégage, qui s'impose avec toute la force de 
l'évidence : c'est que, là déjà, le déisme, assez réservé, 
assez conservateur à ses débuts, dégénère rapidement 



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235 



DÉISME 



236 



et tombe de négation en négation. Pour Herbert de 
Cherbury (1581-1648), la religion naturelle, en tant 
que noyau doctrinal commun à tous les systèmes reli- 
gieux et condition suffisante du salut, comprenait cinq 
propositions de certitude rationnelle : l^il y aun Dieu; 
2o il a droit à notre culte; S* la piété et la vertu sont 
les parties essentielles de ce culte; 4« chacun doit se 
repentir de ses Tantes, et à celui qui se repent Dieu 
pardonne; 5<* il y a, soit dans cette vie, soit dans une 
vie à venir, des récompenses pour les bons et des peines 
réservées aux méchants. Mais bientôt nous voyons les 
successeurs de Cherbury et les héritiers de ses prin- 
cipes, notamment Collins (1676.1729), Chubb (1679-1747), 
Bolingbroke (1672-1751), nier ou révoquer en doute et 
la providence divine et la vie future. « Dieu, écrit 
Chubb, est un être qui n'a pas à s'occuper du bien ou 
du mal qui se fait parmi les hommes. La providence 
ne s'inquiète pas de savoir si quelques individus 
vivent dans une situation heureuse, d'autres dans la 
misère; cela ne la regarde pas. » Il se moque du raison- 
nement qui de l'inégalité imméritée des conditions hu- 
maines conclut à une compensation à venir et à la 
nécessité d'une existence ultra-terrestre. Il compare le 
sort des fils d'Adam à celui des chevaux, dont les desti- 
nées et les emplois sont si divers, sans que les moins 
favorisés puissent attendre un dédommagement quel- 
conque. Bien que ces passages, d'une brutale franchise, 
semblent contredits par d'autres, il est clair du moins 
que l'auteur n'avait sur rien une conviction ferme et 
arrêtée; aussi déclarait-il insuffisantes les raisons qui 
militent en faveur de la survivance de l'àme au corps. 
Avec Bolingbroke, sceptique, léger, railleur, se défen- 
dant du reste d'être athée, le respect de la religion, 
même naturelle, a disparu : comme Machiavel, Boling- 
broke ne voit en toute religion qu'un instrumenlum 
regni, un expédient politique pour gouverner la multi- 
tude naïve et ignorante. Après cela, il ne manquait plus 
au déisme que de renier ou de battre en brèche l'idée 
même qui en est le premier fondement, l'idée d'un 
être suprême. C'est ce qu'il allait réaliser sans tarder, 
par la plume de Henri Dodwell le jeune, dans Le 
christianisme dépouf'vu de preuves, 1743, et surtout 
par celle de Henri Hume (1711-1776), qui, sur les ruines 
du principe de causalité, fonde définitivement le scep- 
ticisme religieux, en même temps que le scepticisme 
philosophique, a Quelle est la fin de l'homme? Est-il 
né pour le bonheur ou pour la vertu ? pour cette vie 
ou pour une vie future? pour lui-même ou pour son au- 
teur? Questions tout à fait insolubles, » dit Hume. Et 
il ajoute que • c'est une succession d'impressions qui 
seule constitue l'esprit », et que notre persuasion de 
l'existence de Dieu repose uniquement sur « un instinct » 
ou « préjugé naturel ». Ainsi, d'étape en étape, le déisme 
d'Herbert de Cherbury finissait par sombrer dans la 
négation des principes les plus clairs et les plus essen- 
tiels, de ces principes qui, comme celui de la relation 
de la cause et de TeO'et, sont le fond même de l'intelli- 
gence humaine. 

Malgré le nombre, la qualité et l'ardeur de ses cham- 
pions, le déisme, en Angleterre, n'avait point réussi à 
pénétrer fortement l'esprit public. Les attaques contre 
le christianisme et les mystères qu'il impose à la foi, 
contre l'inspiration de ses livres sacrés, contre ses 
miracles et ses prophéties, qu'on déclarait impossibles, 
recevables seulement comme des allégories, radicale- 
ment dénués de valeur probante, n'avaient pas encore 
atteint profondément les masses croyantes. Taine l'a 
constaté en termes dignes d'être remarqués. « En vain, 
dit-il. Histoire de la littérature anglaise, 1863, t. m, 
p. 60-61, au commencement du siècle, les libres - 
penseurs s'élèvent; quarante ans plus tard, ils sont 
noyés dans l'oubli. Le déisme et l'athéisme ne sont ici 
qu'une éruption passagère. Les professeurs d'irréligion 



rencontrent des adversaires plus forts qu'eux. Les chefs 
de la philosophie expérimentale, les plus doctes et les 
plus accrédités parmi les érudits du siècle, les écri- 
vains les plus spirituels, les plus aimés et les plus 
habiles, toute l'autorité de la science et du génie s'em- 
ploie à les abattre. Les réfutations surabondent. Et ces 
apologies sont solides, capables de convaincre un 
esprit libéral, infaillibles pour convaincre un esprit 
moral. » Ceux qui prétendaient abolir la religion du 
Christ ont présumé de l'efficacité de leurs moyens. 
« Quand ils seraient dix fois plus nombreux, ils n'en 
viendraient pas à bout; car ils n'ont pas de doctrine 
qu'ils puissent mettre à sa place.» La résistance fut donc 
énergique, et l'avantage demeura aux défenseurs de la 
bonne cause, avec cette restriction, que plusieurs 
d'entre eux, par une tactique mal entendue, firent au 
rationalisme des concessions déplorables, qui, à la 
longue, devaient devenir funestes. 

V. Le déisme en France. — Mais si les théories déistes 
n'eurent de l'autre côté de la Manche qu'une vogue tem- 
poraire et relativement restreinte, tln'enfutpasde même 
en deçà. Herbert et Shaflesbury avaient puisé beaucoup 
de leurs erreurs en France ou chez des écrivains fran- 
çais : elles revinrent à leur pays d'origine, notablement 
grossies et développées. Ceux qui contribuèrent prin- 
cipalement à les accréditer furent Voltaire, Jean-Jacques 
Rousseau et le groupe des ephilosophes» encyclopédistes. 

Voltaire (1694-1778) était entré, vers 1715, en relations 
d'amitié avec Bolingbroke, exilé alors sur le continent; 
il avait ensuite passé trois ans auprès de lui dans la 
Grande-Bretagne. C'est ainsi qu'il noua connaissance 
avec les déistes anglais et se mita leur école. De retour 
dans sa patrie, non seulement il s'appliqua à y accli- 
mater leurs idées, mais il fit traduire et répandre un 
grand nombre des écrits de Blount, Toland, Collins, 
Woolston, Chubb, Bolingbroke, Hume. Plusieurs de 
ces traductions parurent en Hollande; on imprima les 
autres en France, souvent avec la connivence des 
autorités civiles, en mettant faussement sur le titre les 
noms de Londres ou d'Amsterdam. Une partie fut 
insérée, sous forme d'articles, dans V Encyclopédie 
méthodique. Les voies avaient été ouvertes à la propa- 
gande antireligieuse par les désordres et la licenee 
effrénée qui marquèrent la régence du duc d'Orléans, 
pendant la minorité de Louis XV (1714-1723). C'est 
alors que les productions des déistes commencèrent à 
circuler sournoisement à Paris et dans les provinces. 
Le cardinal de Fleury atteste le fait et le déplore, 
lorsqu'il dit : « A cette époque, une multitude de livres 
impies passèrent la mer, et la France en fut inondée; 
ou plutôt, tous ceux qui avaient parmi nous la préten- 
tion d'être des esprits forts en furent empoisonnés. » 
Mais le principal semeur des idées nouvelles fut Vol- 
taire lui-même. Tout l'avait préparé à ce rôle, tout 
concourait à l'y rendre redoutable : sa formation intel- 
lectuelle, résultat combiné de ses rapports personnels 
avec l'Angleterre et de son admiration pour Locke, 
qu'il proclamait le penseur le plus illustre, le plus pro- 
fond des métaphysiciens; son grand talent d'écrivain ; 
son érudition, aussi étendue et variée que superficielle ; 
sa facilité à s'assimiler les conceptions et à exploiter à 
son profit les travaux d'autrui; son esprit railleur et 
caustique, habitué et expert à tout tourner en ridicule ; 
la rage qu'il nourrissait contre le christianisme et qui 
lui inspirait ces sinistres paroles : « Je voudrais que vous 
écrasassiez l'infâme...; mon aversion pour cet infâme 
ne fait que croître et embellir...; courez tous sus à 
l'infâme habilement, ^ Lettres de 1760 et 1761, Œuvrer, 
édit. Houssiaux-Didot, t. x, p. 560; t. xii, p. 128, 187; 
labsence complète de scrupules dans le choix des 
moyens; la foule d'adulateurs et de coopérateurs que 
lui avait attirés sa renommée, cultivée par lui-même 
avec une rare intelligence; enfin, l'âge avancé jusqu'où 



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DEISME 



238 



il parvint el jusqu'où il prolongea une activité étonnante 
il mourut en 1778, dans sa 84^ année. Il avait produit 
plus de soixante-dix volumes. Dans tout cela du reste 
le bagage philosophique ou théologique est d'une pau- 
vreté insigne. Il se réduit à un sensualisme déiste, 
accompagné de tendances matérialistes. Tandis quei 
d'une part, Tauteur reconnaît un Oieu, que parfois il 
dit juste et puissant, il enseigne, d'autre part, que l'exis- 
tence du mal est inconciliable avec la bonté et la sagesse 
divines. Quelquefois il exalte l'âme humaine dont il 
vante la dignité et la noblesse; mais, en même temps, 
il incline à croire qu'elle est une « abstraction réalisée », 
et il n*est point convaincu de sa spiritualité, car « ce 
je ne sais quoi qu'on appelle matière peut aussi bien 
penser que ce je ne sais quoi qu'on appelle esprit. » 
Rien d'étonnant, après cela, qu'il lui arrive de se contre- 
dire aussi sur la liberté, jusqu'à la nier: « Je veux né- 
cessairement ce que je veux; autrement je voudrais sans 
raison, sans cause, ce qui est impossible. » Dans sa 
guerre sans trêve contre le christianisme, si, pour les 
idées, il est ordinairement tributaire de Locke et des 
Anglais, il ne fait souvent sur le terrain de l'érudition, 
que reproduire en t>on français les arguments de Bayle, 
sauf à les assaisonner de ses plaisanteries et de ses 
sarcasmes habituels. Le Dictionnaire historique et cri- 
tique du célèbre sceptique lui est un arsenal, une mine, 
où il puisera à pleines mains jusqu'à son dernier jour. 
Plas sérieux de ton que Voltaire, mais tout aussi rem- 
pli de contradictions, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) 
mérite de figurer à côté de lui comme apôtre du déisme. 
Lui aussi doit beaucoup à Locke. Laissons de côté, si 
Ton veut, ses théories politiques et sociales, développées 
dans son Discours sur Vorigine et les fondements de 
VinégcUi lé parmi les hommes, 1758, et dans son Contrat 
social, 1762. Elles ont fait presque autant de mal à 
l'Église qu'à l'État, parce qu'elles sont toutes impré- 
gnées de ce principe, qu' « une société de vrais chré- 
tiens ne serait plus une société d'hommes ». Quanta 
l'ensemble de ses idées religieuses, il l'expose princi- 
palement dans la Profession de foi du vicaire savoyard, 
qui sert de préface à son Emile, roman d'éducation. Il 
ramène la religion naturelle, la seule admissible, à trois 
vérités : I» l'existence d'un être suprême, dont la volonté 
c meut le monde et anime la nature », mais dont il est 
impossible de savoir s'il est créateur ; 2» l'existence 
d'une matière régie par des lois fixes et constantes; 
3» l'existence dans l'homme d'une âme immatérielle et 
libre. Mais cette âme est-elle immortelle? On ne peut 
oi l'affirmer ni le nier avec certitude ; toutefois l'affir- 
mative est plus probable. Que s'il faut admettre une 
autre vie, il y a encore lieu de douter de l'éternité des 
peines, et ici c'est vers la négative que tout doit nous 
faire pencher. 

A la suite de Voltaire et de Rousseau nous devons 
mentionner le groupe des écrivains soi-disant « philo- 
sophes » par excellence, qu'on a qualifiés de a minis- 
tres du roi Voltaire », et qui en réalité lui formaient 
comme une cour et lui furent des auxiliaires précieux. 
Mais désormais le maître en impiété sera distancé par 
ses disciples, dont plusieurs défendront ouvertement 
l'athéisme ou le matérialisme. La fameuse Encyclo- 
pédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et des 
arts, 1751-1777, fut comme l'incarnation et l'un des 
premiers résultats de leurs eflbrts combinés. On sait 
assez que le but de cet énorme recueil était de répandre 
dans toutes les classes de la société l'incrédulité et le 
mépris à l'endroit du christianisme, de ses fidèles et de 
ses institutions. Sans parler de Voltaire et des fonda- 
teurs immédiats de l'entreprise, qui sont Diderot (1713- 
178i) et d'Alerabert (1717-1783), on peut citer comme 
collaborateurs : Maupertuis (1698-1759), l'abbé Raynal 
(1713-1796), Grimm (1723-1807), La Mettrie (1709-1751), 
d'Argens (1704-1771), Toussaint (1715-1772), Helvétius 



(1715-1771), d'Holbach (1723-1789), Robinet (1735-1820), 
Naigeon (1738-1810), Condorcet (1743-1794). Nommons 
encore Montesquieu (1689-1755), Saint-Lambert (1716- 
1803) et Volney (1755-1820), qui contribuèrent à sou- 
tenir et à vulgariser les idées de V Encyclopédie, le 
premier par ses Lettres persanes, le second par son 
Catéchisme universel, et le dernier par ses Ruines de 
Palmyre; mais ajoutons que Montesquieu désavoua 
plus tard ses sarcasmes contre le christianisme. 

Parmi tous ces noms, trois méritent d'être spéciale- 
ment remarqués : Diderot, d'Holbach et La Mettrie. 
Diderot fut le véritable centre, l'àme, non seulement 
de V Encyclopédie, mais encore d'un ouvrage athée sur 
le Système de la nature, 1770, et de plusieurs écrits 
conçus dans un esprit identique. Il représente ainsi, 
dans la seconde période du xvni« siècle, le passage du 
déisme à la négation de la divinité. Mais il est éclipsé 
sur ce point par l'auteur même du Système delà na- 
ture, le baron d'Holbach. Celui-ci professe sans am- 
bages le pur athéisme, proposé plutôt timidement et 
avec réserve par Diderot, Naigeon et plusieurs autres. 
11 est aussi, est-il besoin de le dire? matérialiste; pour 
lui, si la divinité n'est qu'un produit de l'ignorance, la 
matière, unique réalité, est éternelle et nécessaire; elle 
se meut par sa propre énergie; matière et force ou 
mouvement, telle est la cause intégrale, telle l'explica- 
tion suffisante de tous les phénomènes. Avant d'Hol- 
bach, La Mettrie avait défendu le matérialisme le plus 
cynique dans son Histoire naturelle de l'âme, 1745, dans 
son Homme-plante, il ^, et surtout dans son Homme- 
machine, 1748. Ce dernier livre, dont le titre seul 
nous révèle la thèse fondamentale, se présente comme 
une application du mécanisme cartésien. 

On voit maintenant, sans que nous y insistions, où 
en était arrivée, par la force logique des choses et des 
idées, la libre-pensée déiste, au déclin du xviip siècle. 
Le spiritualisme rationaliste qui a refleuri et jeté un 
certain éclat en France sous la restauration, la monar- 
chie de juillet et le second empire, n'était au fond qu'une 
résurrection du déisme ; car il en a repris le principe 
fondamental, à savoir l'adoption de la raison comme 
guide exclusif de l'homme et comme mesure de toute 
vérité. On n'ignore pas que sa cause a été soutenue par 
des esprits très distingués et que de leurs études sont 
sortis plusieurs ouvrages remarquables. Mais ni les 
nobles intentions ni le talent de ses défenseurs n'ont 
pu le soustraire à cette déchéance fatale qui guette tout 
système s'arrêtant obstinément à mi-chemin de la vérité. 
Résumons en quelques lignes cette récente expérience. 
Les tendances sensualistes et matérialistes de la fin 
du xviip siècle se prolongèrent dans les premières 
années du xix«. C'est Royer-Collard (1763-1845) et sur- 
tout Maine de Biran (1766-1824) qui, partis tous deux 
des principes de la philosophie écossaise, donnèrent le 
signal de la réaction spiritualiste. Cousin vint ensuite 
(1792-1867), qui prit vite la tête du mouvement, mais 
ne sut, enchaîné qu'il était à sa méthode éclectique, 
ni suivre une direction constante, ni se garder des 
influences du panthéisme allemand. Vers le début de 
sa carrière enseignante, il affirmait l'unité absolue de 
substance, l'identité du fini et de l'infini, le développe- 
ment nécessaire de Dieu dans le monde et par le 
monde. A partir de 1833, sa pensée semble parcourir 
une seconde étape, où nous le voyons atténuer et reje- 
ter partiellement ses affirmations panthéistes. Au sur- 
plus, son spiritualisme demeurera toujours un spiri- 
tualisme essentiellement rationaliste, un spiritualisme 
qui commence par repousser aptnori le surnaturel, qui 
de plus nie, sans aucun examen, les caractères divins 
du christianisme comme religion positive, qui affirme 
enfin l'indépendance absolue de la philosophie à l'égard 
de l'Évangile, de la raison humaine à l'égard de la 
raison divine. 



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DÉISME 



240 



Nombreux ont été les disciples de Cousin, et plu- 
sieurs surent donner au spiritualisme une attitude plus 
fière, une forme plus épurée. Pour ne point parler ici 
de Jouffroy (1796-1842), âme inquiète, ballottée entre 
la foi clirétienne de son enfance et les lueurs du ratio- 
nalisme, aboutissant finalement au métempsycosisme, 
il en est d'autres, dont l'activité fut moins indécise et 
plus féconde. Tel Jules Simon {1814-1896), dont les 
livres sur Le devoir et La religion naturelle contiennent 
bien des pages qu'un chrétien peut lire avec fruit et 
édification. A remarquer cette définition, relativement 
complète, qu'il donne de la religion naturelle : « Un 
Dieu tout-puissant et immuable, qui a créé le monde 
et qui le gouverne par des lois générales; une vie à 
venir qui remplira toutes les promesses de celle-ci et 
en réparera toutes les injustices : voilà le dogme; un 
cœur rempli de l'amour de Dieu et de l'amour Ide 
l'humanité, une volonté ferme d'accomplir le devoir et 
de servir les vues de la providence en faisant le bien, 
voilà la prière, voilà le précepte. » L'idée de Dieu 
d'E. Caro (1826-1887) est une autre production de la 
même école. L'auteur y affirme sa croyance non seule- 
ment à un esprit souverain, mais aussi à la liberté et 
à l'immortalité de l'âme; il y salue en Dieu « l'acte pur, 
l'acte éternel de la pensée, première cause et réalité 
suprême >, un être non immanent au monde, un « père 
aimant ». Edmond Saisset (1814-1863) appartient aussi 
à la lignée intellectuelle de Cousin. II a formulé de sa 
propre doctrine un résumé qui, abstraction faite des 
opinions secondaires, reflète bien la physionomie 
générale du spiritualisme éclectique : a En matière de 
choses surnaturelles, j'admets l'existence de Dieu et de 
la providence ; en matière de miracles, j'admets le mi- 
racle éternel et perpétuel de la création ; en matière de 
révélation, j'admets que Dieu se révèle par les lois de 
la nature et qu'il fait briller .son intelligence, sa puis- 
sance, sa justice et sa bonté. Je n'admets ni plus ni 
moins. » 

Les écrivains que j'ai nommés ne sont pas restés iso- 
lés; Ils ont eu des collaborateurs et des émules. Mais 
aujourd'hui leurs héritiers ou continuateurs doctri- 
naux se font de plus en plus rares. D'ailleurs, dans 
leurs rangs mêmes des défections ont eu lieu. Ainsi 
M. Paul Janet, qui avait longtemps partagé leurs vues, 
s'est récemment rallié à une sorte de panthéisme par- 
ticulier, qu'avec d'autres il appelle le « panenthéisme ». 
Depuis nombre d'années déjà, le spiritualisme officiel, 
universitaire, a visiblement cédé le pas, soit au criti- 
clsme néo-kantien de Taine, Renan et Vacherot, soit 
au positivisme de Comte et de Littré et au matérialisme, 
qui en est la prolongation naturelle. C'est une nouvelle 
application de la loi de décadence fatale. 

Faut-il s'étonner de cette dégénérescence universelle 
du déisme, sous quelque forme et avec quelque art 
qu'il nous ait été présenté? Nullement. Les hésitations 
et compromissions de ses tenants, la faiblesse et l'indé- 
cision de leurs arguments expliquent ce fait. Puis, 
pour qui voudra y regarder de près, n'est-il pas clair 
que la plupart des difficultés qu'ils opposent au spiri- 
tualisme chrétien se retournent contre eux, contre ceux 
d'entre eux surtout qui admettent une vraie providence? 
Les objections de principe alléguées par eux sont prin- 
cipalement les suivantes : le christianisme blesse la 
raison en lui imposant des mystères; il nous présente 
d'une façon enfantine et antiscientifique les rapports ' 
de Dieu et du monde, en faisant intervenir la provi- 
dence dans la nature, pour déranger, par des miracles, 
l'ordre qu'elle y a établi; il partage le monde en pri- 
vilégiés et en déshérités, puisque beaucoup d'hommes 
n'arrivent ni ne peuvent arriver à la connaissance de 
la révélation chrétienne, et il prête ainsi à Dieu, 
oomme à un roi capricieux, des partialités indignes de 
sa justice; enfin, comble de l'absurde, il suppose que 



l'Être immuable se laisse fléchir par la prière jusqu'à 
changer ses résolutions éternelles. Mais ceux qui 
raisonnent de la sorte se combattent eux-mêmes et 
fournissent des armes à leurs adversaires panthéistes 
et matérialistes. Les notions qu'ils attaquent font partie 
intégrante de toute théorie spirituaJiste. L'idée du 
mystère, d'abord, est inséparable de la croyance en un 
Dieu véritable : la création du monde par un Dieu qui 
se suffit est un mystère; la coexistence de l'étemel 
qui ne dure pas et du successif qui dure est un mys- 
tère; la coexistence de la liberté humaine et de la 
prescience divine est un mystère; et tous ces mystères 
sont contenus dans le mystère unique, total, néces- 
saire qui enveloppe les rapports du fini et de l'infini. 
L'histoire de la philosophie moderne et contemporaine 
nous atteste que le mystère delà création est la grande 
tentation qui pousse aux erreurs panthéistes les esprits 
trop faibles pour lui résister. L'idée du miracle s'im- 
pose aussi au philosophe spiritualiste ; car la possibilité 
du miracle résulte logiquement de la liberté divine et 
de la providence. L'idée du privilège n'est pas moins 
philosophique; car le privilège, comme on l'appelle, 
c'est-à-dire l'inégalité et la hiérarchie sont la loi visi- 
ble du monde, la condition de son harmonie et de sa 
beauté. Enfin, le spiritualiste, qui croit en Dieu et aux 
rapports de la créature raisonnable avec lui, peut-il 
exclure a priori l'idée de la prière ? La prière est la 
manifestation naturelle et nécessaire du besoin et du 
sentiment religieux, fait universel qu'on peut essayer 
d'expliquer, mais qu'on n'a pas le droit de nier ou de 
condamner. 

Du reste, quand un rationaliste reproche au Dieu 
des chrétiens d'avoir des volontés changeantes et ar- 
bitraires, de n'être qu'un homme idéalisé, parce qu'il 
fait des miracles, parce qu'il répand librement et 
inégalement ses grâces, parce qu'il daigne exaucer nos 
prières, il est remarquable que ce langage ne dififère 
en rien de celui des panthéistes attaquant la notion du 
Dieu personnel, libre et créateur. C'est Saisset lui- 
même qui l'atteste, lorsqu'il met dans la bouche des 
hégéliens à l'adresse des spiritualistes séparés ces 
paroles : « Quoi! vous en êtes encore au Dieu personnel, 
à ce Dieu concentré dans sa perfection solitaire, qui 
sort un jour, on ne sait pourquoi, de son éternité 
bienheureuse pour créer l'univers!... Convenez-en de 
bonne foi : votre Dieu personnel est un être déter- 
miné, particulier, plus puissant et plus intelligent que 
les hommes, mais de la même espèce, en un mot, un 
homme idéalisé. » 

VL Le déisme en Allemagne. — Les idées du déisme 
d'outre-Manche, qui, transportées en France, y firent 
tant de mal, n'épargnèrent pas l'Allemagne. Nous y 
voyons poindre leur influence néfaste vers 1740, au 
moment où Frédéric II, a le roi philosophe », montait 
sur le trône. Jusque-là les productions de la libre 
pensée anglaise n'avaient guère attiré l'attention que 
des historiens et des polémistes. Mais en cette année, 
ChHstianity as old as the création, or the Gospel, a 
republication of the Religion of Sature, de Tindal, fut 
traduit par Jean-Laurent Schmidt, l'un des membres 
les plus connus de 1 école philosophique de Wolf. Ce 
Schmidt, admirateur fanatique du maître, était le 
même qui, six ans auparavant, avait lancé la fameuse 
Bible de Wertheim, dans laquelle à tous les termes 
figurés ou dogmatiques du texte il substituait des 
expressions wolfiennes. Le rationalisme de Wolf était 
tout indiqué pour devenir l'auxiliaire et l'introducteur 
du déisme en Allemagne, puisque, comme lui, il posait 
en principe que la religion naturelle est immuable 
et qu'une révélation non seulement ne pourrait la 
contredire, mais devrait s'y accommoder. J. W. Hecker 
publiait à Berlin, en 1752, Die Religion der Vernunft, 
quintessence germanisée des écrits similaires de la 



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DEISME 



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Grande-Bretagne. Ea 1754, Samuel Reimarus (1694- 
1165) mettait au jour, comme un avant-coureur des 
audaces inouïes qui lui ont valu une triste célébrité 
posthume, ses Abhandlungen von den vomehmsten 
Wahrheiten der natûrlichen Beligion. II y établissait 
que la vraie religion doit être cherchée et étudiée dans 
le cœur humain et dans la nature autant que dans le 
catéchisme. En 1759, Semler (1725-1791) écrivait que 
fl la plus grande partie de la Bible n*esl qu'une répéti- 
tion de la religion naturelle ». On peut se rendre 
compte de la vogue considérable du déisme à cette 
époque par la multitude de livres ou de brochures qui 
paraissent pour Tappuyer et le réfuter, et dont on 
trouvera Ténumération dans Lechler, Geschichte des 
englischen Deismus, Stuttgart, 1841, p. 450-451; par 
rimportance que leur accordent les recueils savants, 
et aussi par les leçons faites dans les universités 
contre la diffusion de l'incrédulité. Thorschmid, Ver- 
stich einer Freydenker-Bibliothek, 1765, Vorrede, 
rapporte que, pendant la guerre de sept ans, les offi- 
ciers supérieurs lisaient avec avidité les ouvrages de 
Collins et de Tindal. Il en avait lui-même été témoin. 
Lankhard, dans son autobiographie, raconte avec en- 
thousiasme le plaisir qu'il eut à dévorer Le chris- 
tianitme aussi ancien que le monde, de Tindal, et 
comment il y puisa la conviction absolue, « que les 
mystères ne peuvent pas être l'objet de la foi; que ni 
Jésus ni les apôtres n'ont rien enseigné de pareil, mais 
seulement la religion naturelle, embellie çà et là par 
quelques images et métaphores orientales ; que ce sont 
ces images qui ont été transformées plus lard en mys- 
tères. » 

L'exemple et les encouragements à peine déguisés 
de Frédéric II ne contribuèrent pas peu à rdb forcer le 
courant rationaliste. Ajoutez à cela le sensualisme de 
Locke, qui agit en Allemagne comme il avait agi en 
Angleterre. Les chefs du rationalisme d'outre-Rhin, 
Baumgarten (1706-1757), Semler (1725-1791), J.-Augusle 
Ernest! (1707-1781), J.-David Michaelis (1717-1791), ne 
parlent de Locke qu'avec vénération. Baumgarten en 
particulier s'appliqua à populariser ses écrits et ceux 
des autres déistes anglais, et il mit au service de ce des- 
sein la puissante influence qu'il exerçait sur toutes les 
contrées de langue allemande par ses Nachrichten von 
der Hallischen BihXiolhek, Halle, 1748-1751, et ses 
Nachrichten von merkwûrdigen Bftchem, Halle, 
1752-1757. 

Il n'est pas jusqu'aux réfutations anglaises du déisme, 
cpii, traduites en allemand, n'aient, comme le remar- 
quait déjà Ernesti, aidé à la pénétration des idées 
qu'elles prétendaient combattre, parce qu'elles fai- 
saient trop de concessions à l'erreur. Ceci est d'autant 
moins étonnant que plusieurs des traducteurs, tels 
Zollikofer, Rôsselt, Spalding, Jérusalem, glissaient eux- 
mêmes sur la pente des idées nouvelles. Tous ces dé- 
tails expliquent et justifient cette réflexion de Tholuck, 
Vemïischte Schriften, 1839, t. i, p. 24 : « Il vaudrait 
la peine de recueillir les idées des déistes anglais en 
critique, en exégèse, sur le dogme, la morale et l'his- 
toire ecclésiastique; on se convaincrait ainsi bien vite 
qu'il y a très peu d'opinions rationalistes qui appar- 
tiennent exclusivement à notre époque. » 

Le mouvement que je viens d'esquisser avait, en 
Allemagne, admirablement préparé les voies à l'im- 
piété brutale appuyée sur la négation radicale. Lessing 
•(172^1781) devait être dans ce pays, à peu près comme 
Voltaire en France, l'initiateur et le porte-étendard de 
Tune et de l'autre. Il ouvrit bientôt les hostilités, par 
la publication des Fragments de WolfenbiUlel, 1774- 
ilis. On sait que les Fragments d'un inconnu, dont 
l'auteur, fort bien connu de l'éditeur, était Samuel 
Reimarus, poussaient l'audace et la folie jusqu'à ne 
«oir dans Jésus, le fondateur du christianisme, qu'un 



vil imposteur. Et cette énormilé était présentée comme 
le fruit spontané et naturel de la libre pensée, puisque 
Reimarus avait donné à son manuscrit le titre d'ilpo- 
logie pour les adorateurs de Dieu selon la raison. Le 
torrent des négations à outrance était désormais dé- 
chaîné, et rien, en dehors de la foi chrétienne, ne pou- 
vait plus l'arrêter. Vainement, quelques années plus 
tard, le génie de Kant, dans Die Religion innerhalb der 
Grenzen der blossen Vemunft, 1793, semble vouloir 
remonter un peu le courant et revenir à la conception 
déiste. Le kantisme tout entier servit bientôt de base 
ou de prétexte aux théories panthéistiques de Fichte, 
de Schelling, de Hegel; le déisme germanique était 
absorbé par le panthéisme. 

Aujourd'hui, c'en est fait du déisme comme école 
doctrinale distincte. Il est vrai que la franc-maçonne- 
rie moderne pourrait partiellement être considérée 
comme une représentante attardée du principe déiste : 
elle affirme, du moins dans certains pays, l'existence 
d'un Dieu qui ne se soucie pas de troubler pour 
rhomme les jouissances de la vie et à qui il est par- 
faitement indifl'érent qu'on l'honore ou qu'on ne l'ho- 
nore point. Mais, à l'exception peut-être de quelques 
cénacles fermés ou de rares et singulières indivi- 
dualités, on voit par ce qui précède que, partout où il 
a sévi, le rationalisme déiste a acco mpli son évolution 
d'une manière assez uniforme : son point d'aboutisse- 
ment plus ou moins rapide, mais inévitable, a été ou 
le panthéisme ou l'athéisme, et souvent celui-ci par 
celui-là. 

VII. Doctrine catholique opposée au déisme. — 
Après cet exposé, il serait superflu de mettre en relief 
chacun des points qui, dans les différentes formes du 
déisme, vont directement à rencontre du dogme ca- 
tholique. Ils seront repris et envisagés séparément dans 
d'autres articles de ce Dictionnaire. Voir notamment 
les mots Inspiration, Miracle, Mystère, Prophétie, 
RÉVÉLATION, Surnaturel. Notons seulement ici que 
plusieurs des erreurs principales du système ont été 
solennellement condamnées, et les vérités opposées, 
solennellement affirmées par le concile du Vatican, 
soit dans les quatre chapitres de la constitution Dei 
Filius, soit dans les canons qui y sont annexés. 

Ainsi, les canons 2« et 3« De revelatione définissent, 
avec la possibilité et l'utilité de l'ordre surnaturel en 
général, la possibilité et l'utilité de la révélation. 
Can. 2. Si guis diœerit péri non posse, aut non expe- 
dire, ut per révéla tioneni divinani homo de Deo 
cultuque ei exhibendo edoceatur, anathema sit, 
Can. 3. Si quis dixerit hominem ad cognitionem et 
perfectionem quae naturalem superet divinitus evehi 
non posse, sed ex seipso ad omnis tandem veri et boni 
possessionem jugi profectu pertingere posse ac debere, 
anathema sit. Le 4» définit le caractère inspiré des 
Livres saints : Si quis sacrss SciHpturm libros intégras 
cum omnibus suis partibus, prout illos sancla Triden- 
tina synodus recensuit, pro sax;ris et canonicis non 
susceperit, aut eos divinitus inspiratos esse negaverit, 
anathema sit. 

De même, les quatre premiers canons dogmatiques 
De fide définissent la dépendance essentielle de la rai- 
son humaine à l'égard de Dieu et par conséquent le 
caractère obligatoire de la foi; la notion propre de 
l'assentiment de foi, en tant qu'il se distingue de l'assen- 
timent rationnel; la nécessité et la valeur des critères 
extérieurs de la révélation; la possibilité des miracles 
et leur valeur comme critères du fait de la révélation. 
Can. 1. Si quis dixerit ixttionem humanam Ha inde- 
pendentem esse, ut fides ei a Deo imperari non possit, 
anathema sit, — 2. Si quis dixerit fidem divinam a na- 
turali de Deo et rébus moralibus scientia non distin- 
gui, ac propterea ad fidem divinam non requiri ut 
revelata veritas propter auctoritatem Dei revelantis 



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243 



DÉISME — DELBECQUE 



244 



a^edatur,anathema »i^ —3. Si qui* dixerit revelatio- 
nem divinam extetmis signis credibilem fieri non 
posse, ideoque sola interna uniuscu jusque experientia 
aut inspiratione privala homines ad fidem nioveri 
debere, anathema sit. — 4. Si quis dixerit niiracula 
nulla fieri posse, proindeque omnes de iis narrationes, 
etiani in sacra Scriptura contentas, inter fabulas vel 
niythos ablegandas esse, aut miracula certo cognosci 
nunquani posse, nec iw divinam religionis christianœ 
origineni rite probari, anathenia sit, 

EnOn, des deux premiers canons De fide et ratione, 
Fun définit l'existence des mystères proprement dits, et 
l'autre, l'obligation pour la science humaine de ne 
point heurter les données de la révélation. Can. 1. Si 
quis dixerit in revelatione divina nulla vera et pro- 
pine dicta mysteria contineri, sed universa fidei dog- 
niata posse per i*ationem rite excultani e naturalibus 
principiis ifutelligi et demonstrari,unathema sit.— 
2. Si quis dixerit disciplinas hunianas ea cum liber- 
tate traclandas esse, ut earuni assertiones, etsi doc- 
trines revelalm adversentur, tanquam verœ relinen, 
neque ab Ecclesia proscribi possint, anathenia sit. 

Outre divers ouvrages cités dans le cours de cet article, et les 
écrits mêmes des déistes, on pounti consulter : 

Sur le déisme et les déistes en général, A. Saintes, Histoire 
du rationalisme, Paris, 1841; L. Noack, Die Freidenker, oder 
die Reprâsentanten der religiôsen Aufklàrung in England, 
Frankreich und Deutschland, Berne, 1853-1855; Trlnius. Frei- 
denker- Lexikon, Leipzig, 175Ô; H. v. Bu8che,D/e freie reli- 
giôse Aufklàrung, ihre Geschichte, ihre Hàupter, Darmstadt, 
1846; Ch. de Rémusat, Philosophie religieuse : de la théologie 
naturelle en France et en Angleterre, Paris, 1864; Franck, 
Dictionnaire des sciences philosophiques, Paris, 1875, v» Déis- 
me; VIgoui-oux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 
Paris, 1886, t. n ; G onialety Histoire de la philosophie, traid. de 
Pascal, Paris, 1891, t. m et iv; Bergier, Le déisme réfuté par 
lui-même, Paris, 1770, et Dictionnaire de théologie, 2- édit., 
Lille, 1830. 

Sur le déisme anglais, Leland, A view ofthe principal de is- 
tical writers that hâve appeared in England, Dublin, 1754. 
trad. allemande de Schmidt et Meyenberg, Hanovre, 1755; 
Lechler, Geschichte des englischen Deismus, Stuttgart, 1841 ; 
Taine, Histoire de la littérature anglaise, Paris, 1863; Leslie 
Stephen, History of english thoughtin the eighteenthcentury, 
Londres, 1876; Ch. de Rémusat, L'Angleterre au xvur siècle : 
études et portraits, Paris, 1856; Sayous, Les déistes anglais et 
le christianisme, rationaliste, Paris, 1882; Ed. Engel. Ge- 
schichte der englischen Litteratur (L iv, de Geschichte der 
Weltlitteratur), Leipzig, 1884; L. Garrau, La philosophie reli- 
gieuse en Angleterre depuis Locke jusqu'à nos jours, Paris, 
1888; Tabaraud, Histoire du philosophisme anglais, 2 in-8». 
Paris, 1806. 

Sur les déistes français, La Harpe, Cours de littérature. 
De la philosophie du xvur siècle, Paris, 1835, t. xvi-xvii, 
xvni ; VlUemain, Cours de littérature française. Tableau du 
xvin* siècle, Bruxelles, 1840; Amédée de Margerie, Théodicée, 
3' édit., Paris, 1874, 1. 1. 

Sur les déistes allemands, Vigouroux, La Bible elles décou- 
vertes modernes, 6* édit.. Paris, 1896, 1. 1 : Esquisse du ratio- 
nalisme biblique en Allemagne. 

J. FORGET. 

DELAMETDE BU88Y Adrien-Augustin, né dans 
le Beauvaisis vers 1621 d'une illustre famille alliée à 
celle de Retz. Après son doctorat en Sorhonne, 1650, 
il s'attacha au cardinal de Retz, son parent, et le suivit 
pendant quelques années dans sa vie errante. Revenu 
ensuite à Paris, à la Sorbonne, il y mena une vie édi- 
fiante, consacrée aux études et à diverses bonnes œu- 
vres, notamment l'assistance des condamnés au dernier 
supplice. Il mourut en 1691. Ses Résolutions de cas de 
conscience ont été imprimées avec celles de Fromageau 
en 1724; puis avec celles de son ami Sainte-Beuve, à la 
suite du Dictionnaire de Pontas, 5 in-fol., 1732. 

Feller, Biographie universelle, Paris, 1848, t. m, p. 176. 

A. Ingold. 

DELAN François Hyacinthe, théologien janséniste, 
né à Paris en 1672, mort â Rouen en 1754. Il fit son 



séminaire à Saint-Magloire et se fit recevoir docteur en 
Sorbonne. Ms"* Colbert, archevêque de Rouen, l'attira 
près de lui et le fit son théologal. Dans son enseigne- 
ment il se montra toujours l'ennemi des jésuites. Par- 
tisan des jansénistes, il signa le fameux Cas de con- 
science, et pour ce fait, fut exilé à Périgueux, d'où il 
revint après avoir rétracté .sa signature. Il fut appelant 
de la bulle Unigenilus, mais se déclara contre les con- 
vulsionnaires. En 1717, il fut nommé coadjuteur du 
principal du collège du Plessis. Il obtint une chaire de 
théologie en Sorbonne dont il fut privé en 1729. Parmi 
les écrits de ce polémiste nous mentionnerons : Ré- 
ponse au Plan général de Vœuvre des convulsioTis , 
in-4o, 1733, l'auteur du Plan général était Louis-Adrien 
Lepaige; Dissertation tfiéologique adressée à un 
laïque contre les convulsions, in-8«, 1733; Défense de 
la Dissertation, 1734, en réponse à des remarques de 
L.-A. Lepaige; Défense de la consultation signée par 
trente docteurs de la faculté de Paris contre les con- 
vulsions, in-4o; Lettres théologiques contre certains 
écrivains censurés par M, de Senez; Réflexions judi- 
cieuses sur les Nouvelles ecclésiastiques de il 36 à 
il 31, in-4®; Défense de la différence des vertus théolo- 
gales d* espérance et de charité, in-4«, 1744; Lettres 
pour la défense de Vautonté et de la doctrine die l'Église 
contre quelques nouveaux théologiens, in-i«; L'usure 
condamnée par le droit naturel, in-12, Paris, 1753. 

Nouvelles ecclésiastiques du 11 décembre 1755; Quérard, La 
France littéraire, t. n, p. 436. 

B. Heurtebize. 

DÉLATION. La délation est la manifestation des actes, 
des sentiments, des pensées d'autrui, faite dans le but 
d'attirer sur la personne dénoncée la colère ou l'hostilité 
de la pers'onne à qui l'on dénonce. La médisance, la 
calomnie, la violation des secrets que l'on devrait res- 
pecter, sont les armes ordinaires du délateur. La déla- 
tion est donc une médisance, une calomnie, une viola- 
tion du secret, que complique, au point de vue moral, 
la malice spéciale de la haine qui l'inspire et du but 
que l'on cherche. C'est donc une faute doublement 
contraire à la charilé et à la justice. Sa gravité, dépen- 
dant de l'acte qui la constitue ou du but poursuivi, se 
jugera d'après les règles générales qui permettent d'ap- 
précier la malice de la médisance, de la calomnie, de 
la révélation des secrets, et d'après les principes qui 
déterminent la gravité des manquements à la charité. 
Si le délateur arrive à son but et fait au prochain le tort 
qu'il désire, il est tenu à la réparation comme tous ceux 
qui ont porté préjudice aux intérêts d'autrui. 

La délation diffère de la dénonciation. Voir ce mot. 

V. Oblet. 

DELBECQUE ou D'ELBECQUE Norbert, domi- 
nicain, né à Braine-le-Comte (Brabant méridional) en 
1651. Il prit l'habit de l'ordre dans le couvent de cette 
ville ; il étudia les lettres à Lierre, puis la théologie à 
Louvain. Licencié, il part à Rome continuer ses études. 
De retour en Belgique en 1693, il est fait maître des 
étudiants au studiitm de Douai. Maître en théologie, 
il est envoyé par le général de son ordre à l'abbaye de 
chanoines-réguliers de Saint-Augustin de Herzogen- 
raid, dans le Limbourg. En 1700, appelé à Rome en 
qualité de socius du général, il fait partie du collège 
des théologiens de la Casanate. Il revint en Belgique 
en 1707, avec les fonctions de regens primarius à la 
faculté de théologie de Louvain (1708). Il exerça cette 
charge jusqu'en 1712. Élu prieur du couvent de Namur, 
il y mourut le 14 novembre 1714. Tous les écrits de 
Delbecque se rapportent aux disputes du temps. On a 
de lui : lo De adverlantia ad peccandum necessaria, 
in-S», Liège, 1696; c'était la réponse a la fameuse thèse 
De peccato philosophico, soutenue au mois de juin 1686 
au collège des jésuites de Dijon et condamnée par 
Alexandre VIII, le jeudi 2i août 1690, en deux proposi- 



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DELBECQUE — DÉLECTATION MOROSE 



246 



lions; S^ Dissolutio sctiemalis Wyckiani biparliti de 
prtedestinatione, in-12, Anvers, 1708; 3« Thèses de locis 
theologicis iUustratœ, etc. [8 mars 1710|, in-8®, Lou- 
vain, 1710; 4« De inconcussa SS. Augustini et Thoniœ 
doctrina atque irrefragabili auctoritale in maleria 
prœsertim de gratia, etc., in-8», Louvain , 1711 ; 
ïfi Thèses theologicsRdexmpedxmentxsmatrimonu,\n'Vi^ 
Loarain, 1710; 6« Vindicise gratis divinœ adversus 
twvo^antiqtios ejvs impugnatores ad menteni gemini 
EcclesuB solis SS, Aurelii Augustini et Thomœ Aqui- 
natis, in-8», Bruxelles, 1711; 7« Thèses polemicœ de 
justificatione et merito, etc., in-8«, Louvain, 1712; 
S» Appendix cul thèses polemicas de justificatione et 
merito, etc., in-S», Louvain, 1712. Delbecque s'occupa 
aussi d^éditions ou de rééditions d'ouvrages théologi- 
ques. Citons : l» Eximii D, Francisci Silvii a Brania 
coniitii fidelissimi S. Thomm Aquinatis interpretis 
opéra, 6 in-fol., Anvers, 1698; les deux premiers tomes 
contiennent : Silvii optiscula de primo motore, de statu 
hominis post peccatum, orationes theologicœ contro- 
persiœ fidei, resolutiones varim. Item commentaHa 
in Genesim et Exodum jam antea édita, tum ejus- 
denx comnxentai*ia in Leviticumet Numéros nunc ptn^ 
mum édita; les quatre derniers tomes 'contiennent les 
Commentaria in universam S. Thomas Summam; 
2» K. A, P. F. Natalis Alexandre S, T. M, Theologia 
nxoralis in compendium redacta, Rome; S" Historia 
congregationum de auxiliis divinœ gratiœ sub summis 
pontificibus Clémente Vlll et Paulo V, auctore 
D. A. P. Jacobo Hiacintho Se»Ti/ 5. T. M^ Editio 
altéra auctior, in-fol., Anvers, 1709. EnOn le P. Del- 
becque avait entrepris sur les mss. une réédition de 
saint Thomas : Summa S, Thomas de Aquino ad anti- 
guiores codices mss. recognita. L'impression de cet ou- 
vrage fut presque aussitôt abandonnée que commencée. 

Ecbard, Scriptores ordinis prsRdicatorum, t. ii, p. 788 ; Rei- 
chert, Acta capilulorum generalium ordinis prœd., 1903, 
t. viu« p. 332 ; de Jonghe, Belgium dominicanum, 1719, p. 367- 
368. 

R. Ck)ULON. 

DÉLECTATION MOROSE. - L Nature. II. Malice. 
IIL Cas particuliers. 

L Nature. — La délectation morose, disent commu- 
nément les théologiens, consiste à se complaire volon- 
tairement dans un objet mauvais auquel on pense, sans 
intention d'ailleurs de traduire cette pensée en acte. 
Dans le langage des fidèles, la délectation morose ré- 
pond aux péchés par pensée. 

1* La délectation morose est essentiellement un acte 
de la volonté libre, acte de complaisance et non point 
de désir, comme l'explique Sanchez, Opus morale, 
1. 1, c. II, n. 1 : on peut vouloir, dit-il, ou bien se 
procurer une chose qui plaît, et alors il y a volonté 
efficace, ou bien se complaire dans cette chose , sans 
désirer se la procurer, et c'est là ce qu'on appelle dé- 
lectation morose. Ce nom ne signifie pas qu'il faille un 
certain temps (mora) pour que cette délectation existe; 
comme pour les autres péchés, un instant suffit; mais 
il indique que la volonté y conFent pleinement et li- 
brement. La délectation morose, dit plus explicitement 
saint Thomas, Sum, theol., II» II», q. lxxiv, a. 6, 
ad 3'", est ainsi appelée parce que la raison délibérante 
(ce qui suppose l'advertance du sujet et la connaissance 
de la malice de l'objet), au lieu de repousser immédia- 
tement, comme il le faudrait, l'objet mauvais dont la 
pensée se présente à elle, s'y arrête (immoratur)^ le 
retient et s'y attache librement. Il suit de là que la délecta- 
tion morose est tout à fait distincte de la délectation pure- 
ment sensible, si l'on appelle ainsi celle dont l'appétit 
inférieur ou sensitif est le siège. Il est vrai que le plus 
souvent b délectation sensible accompagne la délecta- 
tion morose, mais il est aisé de voir que, même dans 
cet circonstances, les deux sortes de délectation ne se 



confondent aucunement. Tantôt, en effet, la délectation 
sensible, suscitée dans l'appétit inférieur par les sens 
ou par l'imagination, se répercute, vu l'identité du 
sujet sentant et pensant, dans la partie rationnelle de 
l'homme et le sollicite au mal ; or, jusque-là et tant 
que la volonté n'a pas librement consenti, il n'y a point 
de délectation morose. Tantôt, au contraire, l'homme, 
en excitant lui-même ses passions, provoque volontai- 
rement la délectation sensible, S. Thomas, ibid., a. 6; 
ici encore, il n'y a pas de confusion possible, puisque 
la délectation sensible est alors un effet directement 
voulu de la délectation morose. Tout ceci s'applique 
à toutes les passions de l'homme comme à tous les 
genres de délectation sensible, quoique les théologiens 
se soient généralement bornés à envisager, à la suite 
de saint Thomas, le cas particulier où la délectation 
morose est jointe à la délectation propre à la concupis- 
cence charnelle, parce que ce cas est de beaucoup le plus 
fréquent. Suarez, De peccatis, disp. V, sect. vir, a. 1. 

2» En soi, le surnom de morose pourrait désigner 
aussi bien la délectation volontaire dont l'objet est bon 
que celle dont l'objet est mauvais, mais, en fait et par 
définition, c'est uniquement à cette dernière que 
ce surnom s'applique. Or, cet objet peut être présent 
à l'homme et agir sur lui de deux différentes façons : 
1. extérieurement, c'est-à-dire lorsqu'il impressionne 
les sens extérieurs et détermine ainsi la délectation 
sensible correspondante ; dans ce cas, si la volonté est 
consentante, il y a péché extérieur, par regards, par 
action, etc., mais non par délectation morose; 2. inté- 
rieurement, c'est-à-dire lorsque la délectation sensible 
est provoquée non plus de l'intérieur, par l'objet lui- 
même, mais par son image ou son idée, comme il a été 
dit ci-dessus. C'est seulement dans ce cas qu'il y a dé- 
lectation morose, le consentement de la volonté à la 
délectation sensible ainsi produite étant toujours suppo- 
sé. La délectation morose est donc un péché purement 
intérieur. 

3« On a déjà vu ci-dessus comment la délectation 
morose diffère du désir. On se l'explique mieux encore 
si l'on observe que le désir meut la volonté vers un 
objet convoité, tandis qu'au contraire la délectation 
morose fixe la volonté sur l'objet intérieurement pré- 
sent qui cause la délectation à laquelle elle consent. 
Le désir est donc essentiellement relatif au présent, 
tandis que la délectation morose se rapporte au présent 
ou même, sous un certain sens, au passé. Il est logi- 
que, en effet, de rattacher à la délectation morose, car 
elle en contient tous les éléments, ce que les théolo- 
giens appellent la joie, c'est-à-dire l'acte de se réjouir 
volontairement du souvenir d'un péché autrefois com- 
mis. Néanmoins, de la délectation morose on passe fa- 
cilement au désir et à l'acte extérieur qui est le terme 
du désir, car, selon la remarque de saint Thomas, De 
veHtate, q. xv, a. 2, celui qui consent à la délectation 
sensible, en vient facilement à vouloir l'acte lui-même 
afin de jouir plus parfaitement de celte délectation. 
Voir Désir. 

II. Malice. — l» Le consentement à la délectation 
de la pensée, née d'un objet mauvais intérieurement 
présent, est-il vraiment un péché, ou, du moins, s'il y 
a péché, n'est-il pas simplement véniel? Quelques-uns, 
répond saint Thomas, Sum. theol., I» II», q. lxxiv, 
a. 8, ont soutenu que ce consentement est seulement 
une faute vénielle; d'autres, dont l'opinion est plus 
commune et plus vraisemblable, ont dit qu'il est une 
faute mortelle (étant supposé, naturellement, que l'objet 
de la délectation soit gravement mauvais). Puis, le 
saint docteur montre comment la question proposée 
peut se comprendre de deux façons différentes : au 
premier sens, il n'y a point de délectation morose et 
le consentement est licite ou, s'il y a faute, elle n'est 
que vénielle; au second sens, il y a délectation morose 



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247 



DÉLECTATION MOROSE 



248 



et, en matière grave, la faute est toujours mortelle, de 
sorte que chacune des deux opinions contient une part de 
vérité. De son côté, Suarez, De peccatis, disp. V, 
sect. VII, n. 6, déclare que la première opinion (en 
tant qu'elle s'appliquerait à la délectation morose) n*a 
pour elle aucune probabilité et a contre elle l'unani- 
mité des théologiens, attendu qu'elle autorise les pas- 
sions et conduit les âmes à leur perte. 

2o L'explication donnée par saint Thomas, De vert- 
tate, q. xv, a. 4, peut se résumer comme il suit. 
1. Toute délectation est la conséquence d'un acte; ainsi, 
de même que l'acte de la fornication produit une dé- 
lectation sensible, la pensée de la fornication engendre 
une certaine délectation intérieure. Or, celle-ci peut 
être de deux espèces, car on peut se délecter ou de 
la pensée que l'on a, eu tant qu'elle est un exercice intel- 
lectuel, ou de la fornication à laquelle on pense. Cette 
distinction est manifeste, lorsqu'il ne s'agit pas de péchés 
charnels, mais s'il est question de ceux-ci, elle est 
moins apparente, vu que, par suite du dérèglement de 
notre nature, dès que l'on pense à ces c))oses, elles 
mettent la concupiscence en mouvement. Il n'en est 
pas moins vrai que la délectation intellectuelle qui suit 
la pensée, en tant que pensée, n'est pas du tout du 
même genre que la délectation sensible causée par 
l'acte extérieur, objet de cette pensée. C'est pourquoi 
«e délecter intellectuellement, au sens qui vient d'être 
dit, n'est pas en soi une faute mortelle : ainsi, on ne 
pèche aucunement quand on étudie des matières dange- 
reuses en vue d'un but utile, tel que celui de la prédi- 
cation, de la confession, etc., et, lors même qu'on l'au- 
rait recherchée, uniquement par curiosité, la délectation 
intellectuelle ne serait qu'un péché véniel. — 2. Il en 
est autrement de celui qui, pensant à un acte grave- 
ment mauvais, par exemple, à la fornication, se dé- 
lecte de la fornication elle-même, car alors la délecta- 
tion à laquelle il consent est de même nature que 
celle qui résulterait de l'acte même delà fornication et, 
par suite, elle tombe sous la même défense. Du reste, 
lorsqu'on se délecte, bien qu'en pensée seulement, d'un 
acte mauvais, cela vient de l'inclination que l'on a pour 
cet acte; consentir à cette délectation, c'est donc 
consentir à cette inclination, autrement dit, c'est ap- 
prouver l'acte auquel cette inclination porte; consé- 
quemment, si l'acte est gravement mauvais, le consen- 
tement en question sera également un péché mortel. 
Ces divers arguments de saint Thomas se retrouvent 
chez tous les maîtres de la théologie. Voir Ballerini, 
Opus morale, tr. IV, n. 93 sq. — 3. Il a été dit plus 
haut que la délectation intellectuelle n'est pas en soi 
une faute mortelle ; mais il n'en est plus ainsi, lorsque 
le sujet est exposé au danger prochain de consentir à 
la délectation sensible qui natt spontanément de la 
pensée de certains actes mauvais. Dans ce cas, se dé- 
lecter intellectuellement, même pour un motif légi- 
time, de la pensée d'actes gravement mauvais, serait 
une faute grave, puisque ce serait s'exposer gravement 
au danger de pécher mortellement. 

3® Mais alors, comment distinguer le cas où le sujet 
se délecte, non pas seulement de sa pensée, mais bien de 
l'acte mauvais auquel il pense? On a vu ci-dessus que, 
d'après saint Thomas, celte distinction est difficile à faire 
lorsque l'objet est du domaine de la concupiscence 
charnelle; aussi, tout en posant à ce sujet certaines 
règles pratiques, les théologiens ont soin de déclarer 
qu'aucune n'est infaillible. Ces règles se résument à 
considérer, conformément à l'enseignement de saint 
Thomas, Sum, theoL, I» II», q. lxxiv, a. 6, l'intention 
et l'inclination du sujet. Cf. Suarez, Depeccatis, disp. V, 
flect. VII, a. 8. — 1. L'intention : ainsi, lorsqu'on entre- 
tient la pensée d'un acte mauvais, si c'est pour un bon 
motif, surtout pour un motif professionnel, il est bien 
probable que le plaisir que l'on y prend est dû à la pensée 



seule ; au contraire, si le motif est mauvais ou s'il est 
inexistant, on sera fondé à croire que le plaisir ressenti 
provient de l'objet mauvais. Cependant cette règle est 
sujette à erreur. Il n'est pas toujours permis de s'occu- 
per, même pour un bon motif, des choses en question, 
puisqu'il faut en outre, sous peine de faute grave, que 
l'on ne courre pas le danger de consentir au plaisir 
mauvais dont la tentation se fait si facilement sentir 
dès que l'on s'occupe de ces choses. D'autre part, celui 
qui s'occupe de ces choses pour un motif répréhensible, 
tel que la vanité, le désœuvrement, la curiosité, commet 
sans doute une faute, mais elle n'est, en soi, que 
vénielle. — 2. L'inclination : par exemple, chez les 
habitués de la luxure, la délectation consciente éprou- 
vée en présence d'une pensée déshonnête doit, jusqu'à 
preuve du contraire, être présumée de mauvais aloi. 

4° Il arrive que l'objet mauvais se présente sous des 
dehors dont la perfection artistique, l'ingéniosité, la 
singularité, etc., arrêtent la pensée, sans qu'elle se 
porte, du moins volontairement, sur l'objet lui-même. 
Il s'agira par exemple de peintures ou de statues 
remarquables au point de vue artistique, mais qui 
offensent la pudeur; de romans, pièces de théâtre et 
autres écrits contenant des pages licencieuses, mais 
d'une belle forme littéraire ; de faits divers relatant des 
crimes perpétrés d'une façon curieuse; de fautes qui 
présentent certains détails amusants, etc.; est-il permis 
de prendre plaisir à ces accessoires, nonobstant la 
malice de l'objet principal ? Cela est permis sans aucun 
doute, mais à la condition expresse que l'on n'ait pas 
l'intention de provoquer par ce moyen la délectation 
illicite qui viendrait de l'objet lui-même et qu'il n'y 
ait point de danger prochain que l'on consente à cette 
délectation au cas où elle se produirait sans qu'on l'ait 
voulu. La portée de ces restrictions est générale; 
toutefois, elles visent particulièrement, par les raisons 
déjà dites, la délectation sensible propre à la concupis- 
cence charnelle et, à ce point de vue, elles sont de la 
plus grande importance. Pour les bien interpréter, il 
fiautse référer aux règles ci-dessus exposées, car elles 
sont entièrement applicables ici. Deux points cependant 
sont à noter : 1. A cette question : comment reconnaître 
quand le sujet se délecte non de la beauté, etc., de la 
forme, mais du fond déshonnête qu'elle recouvre? beau- 
coup de théologiens, cf. Salmanticenses, tr. XX, c. xiii, 
n. ^, répondent qu'il en est ainsi quand, à égalité de 
perfection de la forme, le sujet prend plus de plaisir 
aux choses qui excitent la concupiscence qu'à celles 
qui sont parfaitement honnêtes. Mais Ballerini, Opus 
morale, tr. IV, c. i, n. lOi, pense avec raison que cette 
règle souffre des exceptions. De ce que, par exemple, 
le sujet lit avec plus de plaisir, parmi les productions 
littéraires, celles qui sont risquées, on peut sans doute 
inférer qu'il éprouve un penchant pour les choses qui 
délectent l'appétit inférieur, penchant naturel à l'homme 
déchu, mais cela ne suftit point à établir que chez le 
sujet ce penchant est délibéré et par suite coupable. 
La seule conclusion légitime est que le sujet ressent, 
au cours de sa lecture, deux délectations différentes 
qui sont sans rapport l'une avec l'autre; l'une, de na- 
ture esthétique, due à la beauté de la forme et dont il 
jouit de son plein gré et fort licitement, l'autre, due 
au fond déshonnête et à laquelle il reste libre de ne 
pas consentir, nonobstant le penchant indélibéré qu'il 
a pour elle. •— 2. Au sujet du danger de consentir à la 
délectation née de l'objet mauvais dont on goûte la 
forme, il est à remarquer que pour apprécier saine- 
ment la gravité de ce danger, il faut tenir grand compte 
de la susceptibilité du sujet. Il suffit souvent de très 
peu de chose pour créer un danger grave à des jeunes 
gens, à des sujets adonnés à la luxure ou dont le pen- 
chant à ce vice est secondé par un tempérament tr^s 
impressionnable ; au contraire, il est des personnes qui 



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249 



DÉLECTATION MOROSE — DÉLÉGATION 



250 



en raison de leur Age, ou d'une vertu longtemps 
exercée, ou d'un tempérament peu excitable, sont 
réfractaires là où quantité d'autres succombent. 
Cf. Salmanticenses, tr. XXVI, c. vu, n. 40. Néanmoins 
il reste vrai que, pour la généralité des sujets, le péril 
varie beaucoup selon la nature de l'objet. Cf. Salman- 
ticenses, Cursus théologiens, tr. XIV, disp. X, n. 274. 

5^ D'après ce qui précède, se délecter volontairement, 
bien que d'une façon purement intérieure, d'un acte 
mauvais, est un péché de même nature que si l'on 
commettait l'acte lui-même. — 1. Il ne suffit donc pas, 
quand on a péché mortellement par délectation morose^ 
de s'accuser en confession d'avoir consenti à une mau- 
vaise pensée, mais il faut encore déclarer la nature 
spécifique de cette pensée ainsi que toutes les circon- 
stances que l'on serait obligé de confesser si l'acte 
extérieur avait été réellement commis. Si donc, pour 
reprendre l'exemple choisi par saint Thomas, il y a eu 
délectation morose en matière de fornication, c'est ce 
genre de péché, bien que commis en pensée seulement, 
que l'on devra accuser. On devra de même déclarer toutes 
les circonstances numériques ou spécifiques de ce péché ; 
donc, si la personne qui s'est délectée intérieurement 
de la fornication était liée par le vœu de chasteté, elle 
aurait à s'accuser de la violation de son vœu ; pareille- 
ment, si la pensée de fornication à laquelle elle a 
consenti avait visé expressément une personne mariée, 
la circonstance d'adultère ne devrait pas être omise en 
confession. S. Alphonse, Theol. nwr., 1. V, n. 15 et 28. 
Mais il est clair que l'obligation de confesser les cir- 
constances inhérentes à l'objet de la pensée n'existe 
que pour celles auxquelles le sujet a expressément 
pensé et voulu consentir, puisque c'est sur celles-là 
seulement que la délectation morose a porté. De Lugo, 
De psenilentia, disp. XVI, n. 363 sq. — 2. Toutefois, en 
cette matière, il y a loin de la théorie à la pratique. 
Le grand nombre des fidèles confond les diverses sortes 
de péchés intérieurs, et, à plus forte raison, les diffé- 
rentes espèces de mauvaises pensées, de sorte qu'en 
fait, l'obligation de confesser les circonstances spéci- 
fiques n'existe pas et que les interrogations du confes- 
seur seraient sans utilité, ou même, en matière déli- 
cate, ne seraient pas sans danger. Berardi, Praods con- 
feuarii, t. ii, n. 52 sq. On ne peut guère apprendre à 
ces pénitents qu'à distinguer les mauvaises pensées 
des mauvais désirs et obtenir d'eux qu'ils accusent s'ils 
y ont consenti et combien de fois. Génicot, TheoL mor. 
institut., tr. IV, n. 175. 

&> La malice de la délectation morose provient donc 
de ce qu'il n'est pas plus permis de prendre plai- 
sir au mal en y pensant qu'en le faisant. Ce principe 
est absolument vrai des objets ou actes qui sont intrin- 
sèquement mauvais, c'est-à-dire opposés au droit natu- 
rel, mais il ne s'étend pas aux choses ou actions qui 
ne sont mauvaises que parce qu'une loi positive les 
défend. La raison de cette différence est que la loi 
positive ne réglemente que l'acte extérieur; d'où il suit 
que la délectation intérieure, permise quand elle porte 
sur une action non opposée à la loi naturelle, reste 
permise quand même cette action serait défendue par 
une loi positive, à moins cependant qu'on ne se délecte 
de cette action présisément parce qu'elle est défendue. 
Cette dernière restriction est évidemment logique, car 
la délectation porterait alors sur un objet intrinsèque- 
ment mauvais, sur la violation de la loi. Cette doctrine 
est commune parmi les théologiens. S. Alphonse, Theol. 
mor., 1. V, n. 27. Le précepte de l'abstinence offre une 
application classique de cette observation. Il est inter- 
dit d'user à certains jours d'aliments gras, mais il n'est 
nullement défendu de se délecter ces jours-là en pen- 
sant au plaisir que l'on aurait à user de ces aliments, 
s'ils étaient permis. Il n'y aurait péché que si on se 
délectait à la pensée d'user de ces aliments précisé- 



ment en un jour prohibé parce que ce serait du fruit 
défendu. Laymann, 1. VIII, t. i, n. 114 sq. 

III. Cas particuliers. — l^ Est-il permis de se ré- 
jouir du bien qui est résulté d'un acte mauvais? Oui, 
disent les théologiens, pouvu qu'on ne se réjouisse 
pas aussi de la cause mauvaise d'où ce bien est sorti. 
Sous cette réserve, en effet, la délectation a unique- 
ment le bien pour objet. C'est ainsi que nous nous 
réjouissons de la mort de Jésus-Christ, tout en détes- 
tant le déicide. 

2» N'est-il jamais permis de se réjouir d'un péché 
d'où un effet bon est sorti? Non, cela n'est jamais per- 
mis, quand même ce serait uniquement à cause du bon 
effet qui est résulté de ce pâché, car se réjouir du 
péché, c'est l'approuver. Il n'est donc pas permis de se 
réjouir de ce qu'Adam a péché, si grand que soit le 
bien qui s'en est suivi ; mais cela n'empêche pas que 
l'Église puisse dire de ce même péché : heureuse 
faute qui a mérité d'avoir un si grand rédempteur! 
attendu que l'Église se réjouit ici non de ce que la 
faute a eu lieu, mais de ce que cette faute ayant eu 
lieu (ce qu'elle déplore) il en est résulté un si heu- 
reux effet. Cf. Lessius, De justitia et jure, 1. IV, c. m, 
n. 194. 

3o Peut-on licitement se réjouir d'un acte mauvais 
qui cependant n'a pas été un péché par suite de la non- 
advertance, de l'ignorance, etc., du sujet, quand un bon 
effet est résulté de cet acte? De l'avis de tous les mora- 
listes, on ne peut jamais se réjouir de cet acte en lui- 
même, car, bien qu'il n'y ait pas eu péché, Tacte pris 
en lui-même n'en reste pas moins objectivement 
mauvais. Mais, disent entre autres Suarez, De peccatis, 
disp. V, sect. vu, n. 14, et Lessius, loc, cit., il est par- 
fois permis de se réjouir de cet acte en tant qu'il a eu 
lieu et même de le désirer entant que cause d'un effet 
qui n'a rien de condamnable en soi. Saint Alphonse, 
Theol. mor., 1. V, n. 20, est d'un avis opposé. Toutefois, 
plusieurs des auteurs cités par lui ne parlent que du 
cas où l'on se réjouirait de l'acte considéré en lui- 
même; quant à la proposition 15« condamnée par 
Innocent XI, Denzinger, n. 1039, elle n'a pas la por- 
tée que lui attribue saint Alphonse. Nous avons dit 
qu'il est parfois, donc non pas toujours, permis de se 
réjouir à cause de ses bonnes conséquences d'un acte 
mauvais qui n'a pas eu lieu, sans qu'il y ait péché. 
Cela cesse d'être permis lorsqu'il s'agit d'un mal subi 
par le prochain et qui, selon l'ordre de la charité, 
l'emporte sur le bien qui en est résulté. C'est précisé- 
ment en ce sens que doit s'expliquer la condamnation 
de la proposition 15« mentionnée ci-dessus. Cette pro- 
position disait : « Il est permis à un fils qui, étant en 
état d'ivresse, a tué son père, de se réjouir de ce par- 
ricide à cause du gros héritage qu'il a recueilli. » 
Cette proposition a été justement proscrite, parce que, 
eu égard à l'ordre de la charité, il n'était pas permis 
au fils de préférer l'héritage à la vie de son père. 
Ballerini, Opus morale, tr. IV, n. 129. 

S. Thomas, Sum. theol., l' II-, q. xxxi, lxxtv ; U' II", q. cliv, 
a. 4; q. clxxx, a. 7; De veritate, q. xv, a. 4; Sanchez, In de- 
calog., I. I, c. II ; Suarez, De peccatis, disp. V, sect. vu ; Lay- 
mann, Theol. moralis, 1. VIII ; Lessius, De justitia et jure, 

I. IV, c. m; Lugo, De psenitentia, disp. XVI; Salmanticenses, 
Cursus theol. dogm. et moralis, tr. XX, c. xiti ; S. Alphonse, 
Theologia moralis, 1. V, n. 12-30; Ballerini, Opus morale, 
tr. IV, c. I, dub. III. 

H. MOUREAU. 
DÉLÉGATION. — I. Notion et différentes espèces. 

II. Principes généraux. 

I. Notion et différentes espèces. — 1® Notion. — 
La délégation (legare, envoyer, de, de) est l'action de 
déléguer. Or déléguer, en général, veut dire commettre 
quelqu'un avec pouvoir d'agir au nom d'un autre. Au 
sens strict, la délégation est un acte de juridiction 
par lequel est confiée à quelqu'un une part d'autorité 



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251 



DELEGATION 



252 



qui doit être exercée, non point à titre propre et per- 
sonnel, mais au nom du déléguant, et en vertu même 
de la commission dont elle émane. 

La juridiction déléguée est opposée à la juridiction 
ordinaire qui, elle, ne découle point d'une commission 
transitoire, ri commissionis, mais, au contraire, 
appartient à quelqu'un en propre, à titre ordinaire et 
permanent, et en vertu de la charge, vi muneris, à 
laquelle elle est de droit attachée. 

Le délégué diflëre du légat et aussi du simple exé- 
cuteur. En effet, le légat (voir ce mot) acquiert son 
pouvoir à titre ordinaire, et en vertu de son office, 
quoiqu'il doive toujours l'exercer au nom de celui qui 
l'envoie, c'est-à-dire, dans l'espèce, au nom du souve- 
rain pontife. Le simple exécuteur (voir ce mot) est ce- 
lui qui pourvoit, auprès des parties intéressées, à l'ap- 
plication d'une grâce déjà faite, ou d'une sentence déjà 
prononcée, sans avoir à exercer une juridiction propre- 
ment dite sur le fond de la cause qui lui est confiée, 
c'est-à-dire à décréter si, par elle-même, l'affaire en 
question est, oui ou non, conforme au droit. Cepen- 
dant, il peut arriver que l'exécuteur, avant de procurer 
l'exécution de la grâce déjà accordée, ou de la sen- 
tence fondamentale déjà rendue, soit chargé de con- 
naître et même de juger s'il y a lieu de procéder ou de 
surseoir à cette exécution; dans ce cas, l'exécuteur 
est appelé mixte, executor mixtu9 : telle est le plus 
souvent, on le sait, la condition des ordinaires qui 
sont chargés par le Saint-Siège de procéder à l'exé- 
cution des rescrits et lettres apostoliques, par exemple, 
pour les dispenses matrimoniales, avec la clause : 
cognita vejHtate precum. Voir Empêchements de ma- 
riage. 

Quant au délégué lui-même, il est investi d'une ju- 
ridiction véritable sur la cause tout entière qui lui est 
commissionnée; toutefois, il ne peut se prévaloir de 
son autorité à titre ordinaire et personnel, mais seule- 
ment en vertu et dans les limites du mandat qu'il a reçu. 

Le délégué, lorsque le droit n'y met pas obstacle, 
peut à son tour commettre quelqu'un pour le rem- 
placer, en tout ou en partie, dans le mandat qui lui a 
été confié. C'est ce qu'on appelle la sous-délégation 
qui n'est pas autre chose qu'une délégation médiate. 

Voir les Décrétallstes dans leurs commentaires du 1. I, 
tit. XXIX, De offlcio et potestate judicis d^legati, spécialement; 
De Angelis, n. 3 sq.; Santi, n. 2 sq.; Sebastianelli, De personis, 
part I, c. II, n. 99 aq. 

2« Espèces, — On distingue plusieurs espèces de 
délégation. — 1. La délégation peut être faite par le 
droit, delegatio a jure, ou par l'homme, delegatio ab 
homine, selon qu'elle émane directement des disposi- 
tions du droit commun, ou immédiatement de la volonté 
d'un homme qui jouit de la juridiction ordinaire et est 
autorisé par le droit à en confier l'exercice à une autre 
personne. C'est ainsi qu'il existe plusieurs exemples 
de délégations accordées par le droit aux évêques qui 
procèdent alors comme délégués du siège apostolique, 
tanqtMm sedis apostolicœ delegati : tel est le pouvoir 
délégué aux évêques par le concile de Trente, sess. xxi, 
c. 4 et 5, De reform., touchant le démembrement des 
paroisses ou leur union avec d'autres bénéfices, et 
sess. V, c. 1 ; sess. vi, c. "2, De reform., décret con- 
firmé par la constitution Romanos pontifices du 8 mai 
1881, à l'égard de religieux qui jouissent du privilège 
de l'exemption. Notons en passant que l'effet juridique 
de cette délégation accordée par le droit aux évêques 
tanquam sedis apostolicœ delegati, est qu'on ne peut, 
dans tous ces cas, interjeter appel de la sentence de 
l'évêque au tribunal du métropolitain, mais seulement 
au souverain pontife lui-même. A noter aussi que sou- 
vent, par exemple dans les décrets du concile de Trente, 
sess. XXI, c. 4; sess. xxii, c. 10; sess. vi, c. 4, De 



reform., le pouvoir délégué aux évêques ne vient que 
s'adjoindre, pour l'appuyer, au pouvoir ordinaire exis- 
tant déjà sur le même objet; la clause porte alors eliar}2, 
qui plus est, tanquam sedis apostolicœ delegati, et, 
dans ce cas, l'évêque peut aussi bien procéder en 
vertu de son pouvoir ordinaire qu'au nom de la délé- 
gation qui lui a été octroyée. Cependant, en entrant 
en action, l'évêque doit 8i};nifier de quel pouvoir il 
entend user, et, s'il ne fait qu'exercer son pouvoir 
ordinaire, l'instance en appel s'adressera au métropo- 
litain; si, au contraire, il agit en vertu de sa déléga- 
tion, le recours pourra exister seulement auprès du 
souverain pontife. Cf. Santi, loc. cit., n. 3; Sebastia- 
nelli, lac, cit., n. 100. 

2. La délégation peut être expresse ou tacite et 
présumée. Elle est expresse, si elle est formellement 
comprise dans les dispositions du droit ou dans le man- 
dat spécial du déléguant. Telle est, à titre d'exemple, la 
délégation du pouvoir de dispenser dont jouissent les 
évêques, touchant certains empêchements de mariage 
(voir Empêchements de mariage), en vertu du concile 
de Trente, sess. xxiv, c. 1, De reform. mairim., et du 
décret de Léon XIII, du 20 février 1888; expresse aussi 
est la délégation accordée aux évêques à propos des 
empêchements de mariage par les divers induits 
apostoliques valables pour un an, trois ans, cinq ans. 
La délégation est tacite ou présumée, lorsqu'elle est 
basée sur une interprétation légitime du silence du 
déléguant en véritable consentement, ou sur une 
présomption juridique de ce consentement, étant don- 
nées certaines conditions et circonstances bien définies. 
Telle est la délégation du pouvoir de dispenser accordée 
aux évêques pour les empêchements prohibants du 
mariage que le Saint-Siège ne s'est point réservés, pour 
les empêchements douteux en fait, dubio facti, et 
pour les empêchements occultes, lorsque se trouvent 
à la fois réunies certaines circonstances qui, connues 
du souverain pontife, feraient que celui-ci accorderait 
certainement aux évêques la faculté de dispenser. Voir 
Empêchements de mariage. 

Cf. De Justis, De dispensationibus matrimonialibus, 1. II, 
c. II, n. 92; Reiffenstuel, Append, ad l. IV, de disp. matrint. 
n. 43 sq., 59 sq. ; Pyrrhus Corradus, Praxis dispîerwUionum 
apoêtolicarum, 1. VIII, c. ix, n. 40; Benoit XIV, De synodo 
diœcesana, 1. IX, n. 2. 

3. La délégation peut être octroyée à quelqu'un soit 
en raison de la dignité dont il est revêtu ou de la 

.charge qu'il occupe, tntione dignitatis vel of/icii, 
par exemple à l'évêque de Troyes, episcopo Trecensi, 
soit d'une manière personnelle, avec la désignation 
expresse de son nom, sans que par ailleurs il soit tenu 
compte de la dignité ou de la charge qu'il peut occu- 
per, ratiàne personœ. Dans ce second cas, le déléguant 
est censé s'être laissé guider dans son choix par les 
qualités personnelles du délégué, electa industria per^ 
sonœ. 

4. La délégation peut être faite soit pour toutes les 
causes, ad universitatem causat^m, au moins dans un 
certain genre, par exemple, pour les causes bénéfi- 
ciales, soit seulement pour une ou plusieurs causes 
particulières bien déterminées, cui unum negotium. 

5. Enfin la délégation peut être accordée à une seule 
ou à plusieurs personnes, et, dans ce dernier cas, la 
commission peut être faite de deux manières, ou bien 
de façon solidaire, in solidum, en sorte qu'il suffise 
qu'un seul des délégués opère pour que tous les autres 
se trouvent par le fait même engagés, ou bien simple- 
ment et en société, simpliciter, coltegialiter, en sorte 
qu'il soit nécessaire que tous les délégués procèdent 
ensemble par une action commune, pour que l'exercice 
du pouvoir délégué soit juridiquement valable. Cf. lit, 
cit.. De of/icio judicis delegati, c. 21. 



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253 



DÉLÉGATION 



254 



II. Principes oênéraux. — !• Concession du pouvoir 
délégué. — l. Qui peut déléguer 9 — Peuvent déléguer 
tous ceux qui possèdent la juridiction ordinaire, à moins 
qu'il ne s'agisse de causes exceptées par le droit. Tel 
est le principe' consacré par Boniface VIII, 1. 1, tit. xvi, 
Deofficio ordinarii, c. 6, in 6<>, où il est dit que Tévéque, 
jouissant de la juridiction ordinaire dans tout son 
diocèse, peut y exercer partout son pouvoir judiciaire, 
et, d'une manière générale, tout ce qui regarde son 
propre office, aussi bien par un autre que par lui- 
même : Quum cpiscopus in tota sua diœcesi juridictio- 
nem ordinariani noscatur habere, dubium non exi- 
stit, quin in quolibet loco ipsius diœcesis non exempto 
per se vel per alium possit pro tribunali sedere,.. 
necnon et cetera, qum ad ipsius spectant officxum, 
libère exercere. Le même pape confirme ce décret dans 
les régies du droit, in G», lxviii, Potes t quis per alium 
quod potest facere per seifisum, et ibid., Lxxii : Qui 
facit per alium, est perinde ac si facial pet* seipsum. 

Cependant le droit vient parfois faire exception à ce 
principe, et exiger, en certains cas, que l'ordinaire 
s'acquitte par lui-même de son oflice. Un exemple nous 
en est fourni par le concile de Trente, sess. xxiv, c. 6, 
De refomi., lequel, tout en accordant aux évéques le 
poufoir d'absoudre, soit par eux-mêmes, soit par leur 
vicaire spécialement délégué à cet effet, de tous les cas 
occultes, même réservés au souverain pontife, excepte 
le cas d'bërésie, où il leur impose de ne donner l'abso- 
lution que par eux-mêmes, et non par un délégué. En 
outre, l'ordinaire ne saurait déléguer son pouvoir tout 
entier, sans le consentement du supérieur, inconsulto 
principe; car il semblerait alors résilier sa propre 
charge, et en constituer une nouvelle, chose qu'il ne 
pourrait faire sans l'autorité du supérieur. L. penult. 
Digeste, tit. De officia prsesidis, 

2. Qui peut sùus-déléguer? — Peuvent sous-déléguer, 
d'abord, les délégués du prince, ou magistrat suprême, 
delegati a principe, soit, dans le for ecclésiastique, les 
délégués du souverain pontife. Ainsi le rappelle Gré- 
goire IX, dans un décret qui explique en même temps 
la raison du principe, tit. De officio jud, deL, c. 43 : 
Quoniani apostolica sedes intendit providere negotiis, 
et non personis, quibus eadem committuntur, sijudex 
tertius, licet ex officio noslro, vel de assensu partiuni 
pro communi a nobis datus eisdem, alii delegaverit 
vices suas, quum delegato a principe id concedatur a 
jure, delegatio valebit ipsitis. Cependant exception 
doit être faite lorsque le délégué a été personnellement 
choisi pour lui-même, electa induslna personm : de 
ceci il faut chercher la preuve, d'abord dans la teneur 
même du rescrit de délégation, lorsque par exemple, 
on y rencontre les expressions per teipsum, persona- 
Uter exequaris, etc., et quelquefois aussi dans la na- 
ture de la cause qui a été confiée, savoir, lorsque 
celle-ci est d'une gravité ou d'une difBcullé telle qu'elle 
ne saurait être convenablement expédiée sinon par le 
délégué lui-même, d'où résulte une présomption de 
droit, prœsumptio juris, que la délégation revêt un 
caractère tout personnel. C'est en ce sens que le pape 
Alexandre lil répondait à l'evêque de Londres, tit. cit., 
c 3 : Si pro debilitate tua vet pro qualibet alia 
gravi causa vel necessitate tractandis causis, qum tibi 
a sede apostolica committuntur, interesse non poteris, 
liberum tibi Ht personis disci*etis et idoneis vices tiMS 
conimittere, ita tamen, quod, si res tanti est, te consu- 
1ère debeant, nisi forte causse, ita graves sint, quod 
sine prgpsentia tua non possint commode temiinari. 
On doit en dire autant lorsque le pouvoir délégué con- 
cerne la simple exécution d'une grâce déjà accordée, 
ou d'une cause d'ailleurs jugée : car, dans l'hypothèse, 
le déléguant est censé avoir eu égard surtout aux apti- 
tudes personnelles du délégué, tit. cit., c. 43, § 2. 

Toutefois, si le délégué était exécuteur mixte, il pour- 



rait sous-déléguer la mission de reconnaître au préala- 
ble l'exactitude du fait visé dans V espèce, ut de veritate 
rerum expositarum cognoscat, mais devrait toujours 
procéder personnellement à l'exécution même du 
rescrit apostolique. Cf. Santi, loc. cit., n. 9. 

Peuvent encore sous-déléguer ceux qui sont délégués, 
même par un ordinaire de rang inférieur, pour tout 
un ensemble de causes, ad universitatem causarum, 
parce que, dans ce cas, le pouvoir délégué est inter- 
prété, d'après l'opinion commune des juristes, comme 
une sorte de pouvoir ordinaire, potestas quasi ordina- 
ria. Cf. Glossa in 1. II, tit. xxxiii, De appellalionibus, 
c. 62. 

Enfin peuvent sous-déléguer tous les délégués qui 
en ont reçu l'expresse autorisation; car alors cette fa- 
culté de sous-déléguer doit être appréciée comme un 
nouvel élément compris dans la commission du délé- 
guant. Cf. Glossa, loc. cit. 

3. Qui peut être délégué? — Peuvent être délégués 
tous ceux qui sont aptes à exercer la juridiction ecclé- 
siastique, et qui possèdent à cet effet toutes les qualités 
requises par le droit. Cf. 1. II, tit. i, Dejudiciis, c. 2; 
tit. cit.. De officio judicis delegati, c. 41. Cependant, 
celui qui n'est point soumis à l'autorité de l'ordinaire, 
tout en pouvant être délégué par lui, ne saurait être 
contraint d'accepter sa délégation; car, selon l'axiome 
du droit, il n'y a point lieu d'obéir à celui qui exerce 
la juridiction hors.de son territoire, extra lerrilorium 
jus dicenli non pareatur impune, Sext., 1. I, tit. ii. 
De constitutionibus, c. 2. Mais il faudrait en juger 
autrement s'il s'agissait de quelqu'un qui fut sujet d« 
l'ordinaire déléguant, sauf à voir sans aucun effet, chez 
celui-ci, le pouvoir de déléguer; dans ce cas, le délé- 
guant pourrait exercer les contraintes que le droit met 
à sa disposition, tit. cit., De officio judicis delegati, 
c. 28. 

Il faut observer que le délégué du souverain pontife ^ 
doit être revêtu d'une dignité ecclésiastique, ou bien 
en possession d'une charge ou d'un canonicat dans 
une église cathédrale; telle est la portée du Sexti, 
1. I, c. il, tit. III, De resciHptis, qui veut pouvoir éta- 
blir ainsi une présomption de science et de capacité 
chez le délégué du siège apostolique. Ces conditions 
s'appliquent-elles également au sous-délégué? L'opinion 
contraire a prévalu. Cf. Santi, loc. cit., n. 14. Quoi 
qu'il en soit, pour obtenir chez les délégués du siège 
apostolique, les garanties convenables de science et de 
capacité, le 'concile de Trente, sess. xxv, c. 10, De 
reform., a renouvelé et précisé le décret déjà cité de 
Boniface VIII, De rescriptis, c. 2, en statuant que, 
dans les synodes provinciaux ou diocésains, quatre 
personnes au moins, par diocèse, possédant les quali- 
tés requises par Boniface VIII et d'ailleurs toutes les 
aptitudes nécessaires, soient désignées, avec leurs 
noms transmis aussitôt au souverain pontife, pour être 
chargées de connaître et de définir les causes que 
pourraient leur confier le siège apostolique, les nonces 
ou les légats apostoliques, en sorte que toutes déléga- 
tions de ce genre, faites à d'autres juges, seraient tenues 
pour subreptices. Ces personnes portent le nom de 
juges synodaux. A son tour, Benoit XIV est venu con- 
firmer, en les développant, ces décrets de Boniface VUI 
et du concile de^Trente, dans la constitution Quamvis 
paternm, du 26 août 1741. Mais la pratique actuelle du 
saint-siège enlève beaucoup de son intérêt à cette insti- 
tution; car les causes déférées au souverain pontife 
sont régulièrement expédiées par les Congrégations 
romaines, en sorte que les délégations propremen 
dites extra urbem sont devenues peu fréquentes; 
quant à l'exécution des lettres et rescrits apostoliques, 
elle est confiée directement aux ordinaires des dio- 
cèses qui doivent se conformer exactement aux clauses 
y mentionnées. 



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255 



DÉLÉGATION 



256 



2« Exercice du pouvoir délégué, — L'exercice du 
pouvoir délégué esl soumis à diverses conditions, en 
raison même de son origine, qui est une simple com- 
mission, émanant de l'autorité du déléguant, et tou- 
jours sous sa dépendance. Ces conditions, les voici : 

1 . Le délégué ne doit en aucune manière s'immiscer 
dans la cause qui lui a été confiée, avant d'avoir eu 
communication officielle de son mandat de délégation, 
encore qu'il puisse savoir, de science privée, que la 
délégation est déjà pour lui un fait acquis. S. Péni- 
tencerie, 15 janvier 1894. Ainsi, en particulier, serait 
invalide la dispense matrimoniale exécutée par l'or- 
dinaire, au nom du souverain pontife, alors qu'il 
aurait eu connaissance de sa délégation, par exemple, 
avec le secours du télégraphe, sans que lui fussent 
encore parvenues les lettres authentiques de sa com- 
mission. Voir Empêchements de mariage. Cependant 
cette transmission télégraphique pourrait sufGre si 
elle émanait officiellement du saint-siège. Voir la dé- 
cision du Saint-Office, 14 août 1892. D'où il suit que la 
translation du pouvoir délégué court non à partir du 
temps de la concession elle-même, ex lempore daim, 
mais seulement à dater de l'époque de la présentation 
du rescrit de délégation, ex lempore prœsenlalœ. La 
raison est que, la délégation conférant au délégué 
l'exercice d'un pouvoir public, seul un mandat officiel 
et public peut faire foi en la matière, 1. Il, t. xxviii, 
De appellat., c. 12; 1. I, tit. m, c. 1, Extrav. conim. 

2. Le délégué, avant de procéder à l'exécution de son 
mandat, doit montrer à l'ordinaire du ,lieu le rescrit 
de la délégation, et, s'il s'agit d'une cause judiciaire, 
il doit également le présenter aux parties contentieuses. 
Car la délégation est un fait qui ne saurait être pré- 
sumé, mais qui doit être prouvé, tit. cit., De officia 
judicis delegali, c. 31.^ 

3. Le délégué doit observer la teneur et les limites 
de son mandat, soit quant à l'extension des pouvoirs, 
soit quant au mode de procédure, en sorte que tout ce 
qui est fait par le délégué en dehors de sa commission 
fcst nul de plein droit; en outre, s'il faut que l'accom- 
plissement de certaines conditions précède l'exécution 
finale du rescrit de délégation, rescrit de grâce, restTÎp' 
lum gratiœ, ou rescrit de justice, reso'iplum jusliliœ, 
par exemple à propos des dispenses matrimoniales (voir 
EMPÈaiEHENTS DE MARIAGE), OU des absolutions dans le 
sacrement de pénitence (voir Juridiction), le délégué 
est obligé d'y pourvoir avec diligence, c. xxxii, tit. cit.. 
De officio judicis delegali. La raison de cette loi est 
que tout le pouvoir du délégué dépend de la commis- 
sion qui en est la mesure et la raison d'être. Cepen- 
dant, il ne faudrait pas entendre ce principe avec une 
interprétation trop rigoureuse; car, quoique non com- 
prises expressément dans le mandat de délégation, 
doivent être présumées en faire partie les choses acces- 
soires, intimement connexes, avec la cause principale, 
lorsque celle-ci ne saurait être convenablement expé- 
diée sans la mise en œuvre de celles-là ; ainsi dans une 
cause judiciaire, le délégué est censé muni, par le fait 
de sa délégation principale, du pouvoir d'user de quel- 
que contrainte envers les parties rebelles, comme aussi 
d'admettre les preuves du demandeur, et les excep- 
tions raisonnables du défendeur, tit. cit., De officia 
judiciz delegali f c. 13. Voir JuGEMENf . 

En dehors des principes généraux que nous venons 
d'énoncer, il importe de préciser quel est l'exercice 
du pouvoir délégué, dans le cas spécial où la délégation 
est faite, non plus à une seule personne, mais à plu- 
sieurs à la fois. Ce cas a été prévu par le pape Célestin III, 
tit. cit.. De officio judicis delegali, c. 21 : Jlla quippe 
fuil anliqua sedis aposlolicm provisio, ul hujusmodi 
causaient recogniliones duobus quam uni, tribus 
quani duobus libenlius delegarel, cum (sicul canones , 
altestanlur) integrum sit judicium, quod plurimorum 



senlentiis confirmatur. Cf. c. ii, xvi, xxii, xxiii, du 
même titre. Or, nous le savons, celte délégation peut 
se présenter de deux manières : ou bien les délégués 
reçoivent leur mandat de façon solidaire, in solidum, 
ou bien ils sont constitués simplement et en société, 
collegialilei\ Les délégués sont constitués in soliduni 
lorsque tous, ou deux seulement, ou même l'un d'entre 
eux, peuvent se charger de l'exécution du mandat de 
délégation, ul omnes aut duo aul unus eorum, man- 
daluni aposlolicum exquanlur. Or Boni face VIII 
explique, Sext., c. viii du titre cité, la procédure que 
ces délégués doivent adopter : ipsorum quilibel in- 
functum polest libère adimplere mandalum. Porro 
uno eorum negoliuni inchoanle conimissum, alii 
nequibunl se ullerius intromillere de eodeni, nisi vel 
infirniilale vel alia jusla causa illuni conlingerel itn- 
peditn, aut si nollel, vel nialiliose in eo procedere 
recusaret. Ainsi donc, lorsque tous les délégués, ou 
plusieurs, entament la cause confiée, il n'appartient 
plus à l'un d'entre eux de pouvoir seul la poursuivre et 
la définir. Si, au contraire, l'un des délégués a com- 
mencé à s'immiscer dans l'afi'aîre, à l'exclusion des 
autres, c'est à lui seul qu'il incombe de la continuer et 
de la terminer, excepté pourtant si un empêchement lé- 
gitime vient paralyser son action, ou encore s'il se refuse 
malicieusement à poursuivre la procédure. Quant à la 
délégation simple de plusieurs personnes en société, 
collégialité r, elle peut se faire à son tour de deux 
manières. Il arrive d'abord que la délégation, sans 
qu'il soit fait mention d'aucune clause par ailleurs, 
est accordée seulement avec l'obligation pour tous 
les délégués associés de ne pouvoir procéder les uns 
à l'exclusion des autres ; en ce cas, lorsque l'un des 
délégués est retenu par quelque empêchement, les 
autres se trouvent dans l'impossibilité de poursuivre 
validement l'exécution de leur mandat, car, ainsi que 
l'observe le c. 16 du titre cil^, De officio judicis dele- 
gali, «( si une cause est confiée à deux personnes (ou à 
un plus grand nombre), la sentence d'une seule d'entre 
elles ne saurait être valide, cum causa duobus corn- 
mittilur, scntenlia unius non tenet, t Le second cas 
se vérifie lorsqu'au principe expliqué plus haut vient 
s'adjoindre cette cause spéciale que, si tous les délé- 
gués ne peuvent être présents, deux ou trois jugent la 
cause et l'exécutent, quod, si omnes interesse nequeant, 
duo vel très causant cognoscant et exequantur. Cette 
clause est établie pour que la délégation ne devienne 
pas inutile par le seul fait qu'un ou deux des délégués 
sont empêchés de se présenter ou bien encore s'y 
refusent délibérément. Toutefois, cet empêchement et 
ce refus doivent être prouvés ou par un envoyé, ou par 
des lettres, ou de quelque autre manière qui soit cano- 
nique. Cf. c. 21 du titre cité. 

3» Cessation du pouvoir délégué, — Le pouvoir dé- 
légué peut cesser d'exister pour diverses causes, 
savoir : 1. La mort du délégué; à moins qu'il n'ait été 
expressément stipulé dans le mandat, que le pouvoir 
doit passer aux héritiers, ou encore à moins que la 
délégation n'ait été faite principalement en raison de 
la dignité ou de la charge elle-même qui est transmise 
tout entière aux successeurs, c. 14 du titre cité. — 
2. La mort du déléguant, si la cause est restée encore 
intacte, re adhuc intégra, c. 30 du titre cité. La 
raison est que le délégué n'exerce pas son pouvoir en 
son propre nom, ;ure proprio, mais seulement au nom 
du déléguant, ex mandato alterius, dont la mort enlève 
nécessairement son principe à la délégation; cepen- 
dant, lorsque le délégué a déjà commencé d'expédier ht 
cause qui lui avait été confiée, il l'a rendue sienne, et 
il se voit ainsi continuer son autorité, au nom du 
droit et pour le bien public, nonobstant la mort du 
déléguant. — 3. La révocation, soit expresse, soit tacite, 
du mandat de délégation, pourvu toujours que la 



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257 



DÉLÉGATION — DÉLIT 



258 



cause n'ait pas encore été juridiqaement entamée, re 
adhuc intégra, I. I, ,tit. m, De rescriptis, c. 24. — 
4. L'accomplissement du mandat, en sorte que la cause 
soit complètement finie. Or, en matière judiciaire, le 
mandat est censé se prolonger jusqu'à Teiécution de la 
sentence, c. 9 du titre cité : ex quo judex delegattu 
per se vel per alium, sententiam exequi niandavit 
vel niandari prascepit, ejus auctonlas et jurisdictio 
cetstU; quia semel est officio suo functus. — 5. L'expi- 
ration du temps fixé dans le mandat de délégation, à 
moins que les parties intéressées ne consentent à pro- 
roger les pouvoirs du délégué, chose qui pourtant doit 
être Élite avant le terme de l'époque préfixée, in tem- 
pore utili, c. 4 du titre cité; 1. II, tiL xxviii, De 
appellat., c. 12. — 6. La renonciation légitime du man- 
dat, de la part du délégué; ou encore une sous-déléga- 
tion de la commission tout entière qu'on pourrait in- 
terpréter comme une -abdication de l'office délégué 
lui-même, c. vi du titre cité, in 6». — 7. Enfin, la récu- 
sation légitime de la personne du délégué, pour des 
motifs canoniques de suspicion (voir Jugement) ; et tant 
que cette cause de suspicion n'est pas encore jugée, 
les pouvoirs du délégué restent suspendus, aussi bien 
que son droit de sous-déléguer, c. v du titre cité , in 6«. 
Cf. Lega, De judiciis ecclesiasiicis, part. I, § 3. 

Ljeorenius, Forum ecclesicuticum, 1. I, tit. xxix, Venise, 
1729; Reifliei»ttieU Jus canonicum universum, I. I, tit. xxix, 
Anvers, 1755; Schraalzgmeber, Jus ecclesicutticum universum, 
1. I, tit. XXIX» IngoLstadt, 1726; Plrhing, Ju3 canonicum, 1. I, 
CiL XXIX ; Dilingen, 1722; Fagnan, Commentaria \in I lib, 
DecretaHum, tit xxix, Besançon, ilW; De Justis, De dispen- 
saiionibuê matrimonialibus, passim, Lucques, 1726 ; Pyrrhus 
Cocrados, Praxis dispensationum apostolicarum, passim, 
VeniBe, 1735; De Angelis, Prœlectiones juris canoniciy 1. I, 
tit. XXIX, Rome, 1847 ; SanlU^Praeleetionea juris canonici, 1. I, 
tit. XXIX, Ratisbonne, 1898; Lega, De judiciis ecclesiasiicis, 
1. 1, part. I, S 3, Rome, 1905; Sebastianelli, De personis eccle- 
sioêtieis, part I, c. n, Rome, 1896. 

E. Valton. 

DELFAU François, bénédictin de la congrégation 
de Saint-Maur, né en 1637 à Montel en Auvergne, mort 
le 13 octobre 1676. Il fit profession à l'abbaye de Saint- 
Âllyre de Clermont le 1 mai 1656. Ses supérieurs le 
chargèrent de préparer une nouvelle édition des œuvres 
de saint Augustin. Il se mil avec ardeur au travail et 
put bientôt l'annoncer en publiant le Prospectus des 
oeuvres de saint Atigustin, Paris, 1671. Deux ans plus 
tard parut : L'abbé coniniendataire où Vinjuslice des 
commendes est condamnée par la loi de Dieu, par les 
décrets des papes et parles ordonnances pragmatiques 
et concordais des rois de France, par le sieur Desbois- 
franc, docteur en l'un et Vautre dt^oit, in-12, Cologne, 
1673. On ne tarda pas à savoir que dom Delfau était 
l'auteur de cet ouvrage imprimé en réalité à Compiè- 
gne. et une lettre de cachet l'exila à l'abbaye de Saint- 
Mahéen Basse-Bretagne. Dom Blampin fut alors chargé 
de continuer les travaux de l'édition des œuvres de 
saint Augustin. Dom Delfau périt dans un naufrage en 
se rendant à Brest pour prêcher le panégyrique de sainte 
Thérèse. Il avait encore publié : Réponse au livre inti- 
tulé : Vabbé coniniendataire et réfutation de celte ré- 
ponse par une lettre de M. Schouten à Vauteur contre 
les commendcUaires et le mauvais usage qu'ils fai- 
saient de leurs bénéfices, in-12, Cologne (Compiègne), 
1673. La deuxième partie de L'abbé coniniendataire, 
parue en lfô4 sous le nom du sieur de Froidmont, est 
de dom Gerberon. On doit encore à dom Delfau : Libri 
de îmitatione Jesu Christi Johanni Gerseni abbali 
ord. S. Benedicti iteruni asserti, maxime ex fide mss, 
exempUurium, in-8», Paris, 1673, 1674, 1712. Une Apo- 
logie du cardinal de Furstemberg, parue en 1674 et 
quelquefois attribuée à dom Delfau, est en réalité de dom 
Gouitiin. 

Dom F. Le Cerf, Bibliothèque historique et critique des 

OlCr. DB THtoL. CATHOL. 



auteurs de la congrégation de Saint-Maur, in-12, La Haye, 1726, 
p. 80-87 ; [dom Tassin,] Hist. littéraire de la congrégation de 
Saint-Maur, in-4', Paris, 1770, p. 78; Ziegelhauer, Historia rei 
literariœ ord. S. Benedicti, t. m, p. 395; t. iv, p. 109, 245, 
616, 711 ; [dom François,] Bibliothèque générale des écrivains 
de l'ordre de S. Benoit, t. i, p. 241 ; Ch. de Lama, Bibliothèque 
des écrivains de la congrégation de Saint-Maur, in-12, Munich 
et Paris, 1882, p. 48; Kirchenlexikon, t. iir, col. 1488-1489; 
A. Ingold, Histoire de Fédition bénédictine de saint Augustin, 
Paris, 1903, p. 29-34. 

B. Heirtebize. 
DELFINO César-Pierre-Michel, né à Parme, acquit 
quelque renom dans les belles-lettres et l'astronomio 
et fut docteur en médecine. S'étant rendu en Hongrie, 
il fut le médecin du roi Ferdinand. En Angleterre, où 
il passa ensuite, on l'accusa calomnieusement d'héré- 
sie. Il revint en Italie, et Pie V lui fit bon accueil. Il 
mourut en 1566. On a de lui : l» De summo roniani 
ponti/icis primatu et de ipsius temporali ditione de- 
nionstratio, in-4o, Venise, 1547; 2<' De proportione papœ 
ad concilitim et de utroque ejusdem principatu cer- 
tissima et novissima decisio, in-4o, Parme, 1550; elle 
a été reproduite par Bocaberti, Bibliotheca pontificia, 
t. VII, p. 8-26; 3» Mariados l. III, chant en l'honneur 
de la sainte Vierge, 1537, etc. 

Affo, Meniorie degli scrittori e letterati Parmigiani, t. iv, 
p. 95-107; Hurter, Nomenclator, 3* édit, Inspruck, 1907, t. m, 
COL40. 

E. ManGENOT. 

DÉLIT. — I. Notion. II. Division. 

I. Notion. — Le délit est la violation extérieure et 
coupable d'une loi humaine, ecclésiastique ou civile. 
Cf. D'Ânnibale, Sumniula theologisB moralis, part. I, 
tr. VI, tit. I, a. 1, n. 296-299, 3 in-S^, Rome, 1839-1892, 
t. I, p. 278-294; Tilloy, Traité théorique et pratique de 
droit canonique, 1. II, lit. iv, c. i, § 1, 2 in-8«>, Paris, 
1895, t. II, p. 269 sq.; Ojetti, Synopsis rerum mord' 
lium et juris pontificii, alphabelico ordine digesta, 
yf^Delictum, 2 in-4o, Prato, 1905, t. i, p. 532. 

Dans le langage ordinaire, délit et crime sont consi- 
dérés comme synonymes. Il en est quelquefois égale- 
ment ainsi, dans le droit civil, où, par exemple, l'ex- 
pression « corps du délit d signifie l'action même du 
crime, par opposition aux circonstances qui raccom- 
pagnent. Mais, dans le droit canonique, plus souvent 
encore, ces deux termes sont pris l'un pour l'autre, 
quoique le mot crime soit réservé, de préférence, dans 
bien des cas, pour désigner les infractions les plus 
graves : celles, par exemple, qui sont directement contre 
Dieu, contre le bien général de la société, ou contre la 
vie et l'honneur du prochain. Voir Crime, t. m, col. 2325, 

Le délit est donc comme un diminutif de crime. Ce 
concept correspond assez logiquement au sens étymo- 
logique du mot, qui vient de delinquere, délaisser, 
abandonner, manquer : ce qui indique une déviation, 
un écart du droit chemin, un éloignement de l'exac- 
titude, plutôt qu'une vraie révolte contre le législateur, 
ou une atteinte formelle portée à l'ordre social. C'est 
pour ce motif que plusieurs auteurs ont simplement 
défini le délit: la violation d'une loi pénale. Cf. Vin- 
nius Ârnoldus, ïnstitutiones Justiniani cum notis, 1. IV, 
tit. IV, in-12, Amsterdam, 1669; 2 in-12, Paris, 1800; 
D'Ânnibale, Summula théologies moralis, loc. cit., 
n. 296, t. I, p. 278; Ojetti, Synopsis ret*um moralium 
et juris pontificii, t. i, p. 532. Néanmoins, le mot délit 
comprend aussi la violation des lois humaines obligeant 
en conscience. 

Il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impos- 
sible, de tracer, entre les faits répréhensibles appelés 
crimes ou délits, une ligne de démarcation qui les par- 
tage en deux classes bien tranchées, le même fait pou- 
vant être crime oudélit, suivant les circonstances. Préci- 
ser où finit le délit et où commence le crime, est un de 
ces problèmes que les criminalistes ont en vain essayé 



IV. - 9 

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259 



DÉLIT 



260 



de résoudre. La législation moderne, pas plus que 
l'ancienne, ne renferme une déûnition adéquate de ces 
deux termes. Le droit français, par exemple, en éta- 
blissant trois catégories d'infractions aux lois : crimes, 
délits, contraventions, les distingue, non par la gravité 
des faits eux-mêmes, mais par la différence des peines 
encourues. L'infraction punie par les peines de simple 
police est une contravention; celle qui expose aux 
peines correctionnelles est un délit; celle, endn, qui 
entraîne une peine afllictive ou infamante est un crime. 
Code pénal français, a. i. 

Plusieurs auteurs ayant cru apercevoir dans cette 
classification une véritable définition des infractions 
légales, l'ont très vivement attaquée. Nest-il pas illo- 
gique, disent-ils, de classer les violations de la loi, non 
d'après leur gravité intrinsèque, ou celle qui découle 
des circonstances dont elles sont entourées, mais d'après 
la peine encourue, et suivant les tribunaux appelés à 
en connaître? D'autres voient là un véritable mépris de 
la dignité humaine, et une tendance au despotisme, car 
il sufGrait à un tyran de décréter une peine afQictive 
ou infamante contre un fait quelconque, pour que celui- 
ci devint légalement un crime. Cf. Rossi, Traité de 
droit pénal, 3 in-8«, Paris, 1825, t. i, p. 240 sq.; 
Boitard, Code d'instt^clion cnminelle, in-8«, Paris, 
1837; Mel Isidore, llnuovo codice pénale italiano, 1. I, 
tit. i,a. 1, in-4o, Rome, 1890, p. 24-28. 

Ces reproches seraient justifiés, si le législateur avait 
réellement voulu par ce moyen donner une définition 
juridique des diverses catégories dUnfractions pos- 
sibles. Mais telle ne semble pas avoir été son intention. 
Au contraire, il parait plutôt s'être préoccupé d'éluder 
la difficulté. En effet, il évite avec soin d'attacher, 
a priori, à un fait quelconque la qualification de 
crime, et de déclarer ensuite passible d'une peine 
afflictive ou infamante celui qui le commettrait. Son 
procédé est tout autre. Passant en revue les divers 
faits susceptibles d'être punis, il fixe pour chacun 
d'eux une peine proportionnée à leur gravité. Puis, 
dans le but de simplifier le langage juridique, et afin 
de fournir une règle pratique aux magistrats, il divise 
ces peines en trois grandes catégories, d'après leur 
degré. En outre, comme un rapport constant doit 
exister entre le châtiment et la faute, il affirme que 
ces trois catégories de peines correspondent à trois 
catégories de faits répréhensibles, et à chacune d'elles 
il impose un nom spécial. Les infractions punies, à 
cause de leur perversité plus grande, par les peines 
les plus sévères, sont, par lui, appelées crimes; les 
autres qui tiennent le milieu dans l'échelle des moyens 
de répression, sont les délits; enfin, les plus légères 
sont les contraventions. Mais il n'y a là que trois caté- 
gories purement nominales, sans aucune prétention à 
une définition strictement philosophique. Ainsi le fait 
délictueux n'est pas défini par la pénalité. Celle-ci 
ne sert pas de base à une définition théorique et scien- 
tifique; elle est seulement le fondement d'une règle 
pratique, claire, invariable et sûre, servant aux magis- 
trats à déterminer, avec plus de facilité, la compétence 
des tribunaux. Cf. Chauveau et Hélie, Théorie du code 
pétial, 6 in-8», Paris, 1853, t. i, p. 34; Ortolan, Élé- 
ments de droit pénal, leçons professées à la faculté de 
droit de Paris, 2 in-8o, Paris, 1854-1856, t. i, p. 282 ; 
Berlauld, Cours de code pénal, in-8«, Paris, 1873, 
p. 116 sq. 

Les explications, présentées à ce sujet par les défen- 
seurs du code, n'ont pas empêché beaucoup d'autres 
juristes de trouver fort défectueuse la rédaction de ce 
premier article, qui, pour être compris, n'exige rien 
moins que la connaissance complète de tous les autres 
articles dont le code pénal est composé. Or, c'est là 
assurément un grave défaut. Une loi, comme une défi- 
nition, doit se suffire à elle-même. 



Ces discussions montrent combien il serait difficile 
de donner du délit une définition abstraite, philoso- 
phique et juridique. Inconnue dans l'ancien droit 
romain et dans le droit civil moderne, elle existe 
moins encore dans le droit canonique, où les mots 
délit et crime sont pris indifféremment l'un pour 
l'autre, autant par le texte officiel du Corpus jw^ ca- 
nonici, que par les canonistes les plus autorisés. Chez 
ceux-ci, cependant, on constate, en plus d'un endroit, 
la tendance à se servir du mot crime, plutôt que de 
celui de délit pour désigner les fautes les plus graves. 
Cf. Leurenius, Forum ecclesiasticum, in quo jus ca- 
nonicum explanatur, 1. V, tit. i, in-fol., Venise, 1729, 
t. 1, p. 1 sq.; Reifîenstuel, Jus canonicum universunx, 
1. V, tit. I, 6 in-fol., Venise, 1730-1735, t. v, p. 1 sq.; 
Gonzalez, Commenlaria perpétua in singulos textus 
quinque lihrorum Decrelalium Gregorii IX, 1. V, 
tit. xxiii, c. mi; tit. xxvi, c. i, 5 in-fol., Venise, 1735, 
t. V, p. 275 sq., 285; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasti- 
cum universum, 1. V, part. I, tit. i, n. 1-15, 6 in-4», 
Rome, 1843-1815, t. v a, p. 1 sq. ; Zallinger, Insti- 
tutiones furis ecclesiastici ordine Decretalium, 1. V, 
tit. I, § 1-15, 5 in-8«, Rome, 1823, t. v, p. 1-16; De 
Ângelis, Prœlectiones juris canonici ad methodum 
Decretalium, 1. V, tit. i, 4 in-8o, Rome, 1887-1891, 
t. IV, p. 9sq.; Wernz, Jus Decretalium, 1. V, De jure 
cnminali, part. II, sect. i, §4-5; part. III, sect. i, c. i- 
VII ; sect. Il, c. i-iii, 5 in-8o, Rome, 1898-1907, t. v, 
p. 167-177, 393-650. 

II. Division. — Comme les crimes, les délits se 
divisent en plusieurs classes, en raison : 1^ de leur 
objet; 2o des personnes qui les commettent; 3<' du for 
ou tribunal dont ils relèvent; 4» de leur notoriété. 
Voir Crime, t. m, col. 2326. 

Outre ces divisions, l'ancien droit admettait le quasi- 
délit. Celui-ci 86 distingue du délit proprement dit, en 
ce qu'il exclut l'intention de nuire, et n'est que le résul- 
tat d'une imprudence, ou d'une négligence, mais, néan- 
moins, non totalement excusable. Cette distinction est 
restée dans la plupart des droits modernes. Cf. Code 
civil français, a. 1382 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum niora- 
Hum et juris pontifœii, v® Delictum, t. i, p. 533. 

Fagnan, Commentait in quinque libres Decretalium, 
5 In-fol., Venise, 1697, t. v, p. 6, 13, 91, 152, 169, 185, 304, 374 sq.. 
611, 621, 649; Vinnius Arnoldus, Institution es Justiniani cum 
notis, 1. IV, tit. I, IV, ln-12, Amsterdam, 1669; 2 ln-12, Paris, 
1800; Gonzalez, Commentaria perpétua in singulos textus 
quinque Hbroinim Decretalium Gregorii IX, 1. 1, tit. xi, c. iv, 
n. 8; tit. xxix, c. xxvii. n. 10; tit. xxxi, c. ii, n. 8; 1. II, lit. i. 
c. X, n. 10-18; tit. xxiv, c. xii, n. 1 ; 1. III, tit. i, c. vm-ix, xiv ; 
1. IV, tit. XVII ; t. V, tit x, n. 1 ; lit. xxiii. c. i-ii;tll. xxvi, c. i, 
5 in-fol., Venise, 1737, 1. 1, p. 308, 490, 528 ; l. il, p. 27-30. 401 ; 
l. m, p. 20 sq., 31; t. iv, p. 166; l. v, p. 166, 275 sq., 285; 
Schmaûgrueber, Jus ecclesiasticum universum^ 1. V, tit. i, x, 
xxiii, XXIV, xxxvii, 6 ln-4% Rome, 1843-1845, t v a, p. 1 sq., 
373 sq.. 829; t. v h, p. 1 sq., 227 sq. ; Beccarla, Traité des 
délits et des peines, U*aduil par Morellet, in-12. Parla, 1766; 
par Hélie, in-12, Paris, 1871 ; Muyart de Vouglas, Les lois cri- 
minelles de France dans leur ordre naturel, in-fol., Paris, 
1780, p. 41 sq. ; Benlham, Traité de législation civile et pénale, 
3 in-8*, Paris, 1820, l. ii, p. 240 ; Zallinger, Institutiones juris 
ecclesiastici ordine Deci^etalium, 1. V, lit. i, % 1-19, 5 ln-8% 
Rome, 1823, t. v, p. 1-20 ; Rossi, Traité de droit pénal, 3 in-8«, 
Paris, 1825, 1. 1, p. 248 sq. ; t. il, p. 94 ; Rauter, Traité théorique 
et pratique de droit criminel, 2 in-8% Paris, 1836, 1. 1, p. 118 sq., 
169 sq.; t. ii, p. 2, 110; Boitard, Code d'instruction criminelle, 
ln-8% Paris, 1837, p. 22 sq. ; Ortolan, Éléments de droit pénal, 
leçons professées à la faculté de droit de Paris, 2 in-8% Paris, 
1854-1856, t. i, p. 242 sq., 279, 282 sq. ; Démangeât, Cours élé- 
mentaire de droit romain, 2 in-8% Paris, 1864-1866, t. li, 
p. 432 sq.; Blanche, Études pratiques sur le code pénal, 7 
in-8\ Paris, 1861-1872, t i, p. 2 sq. ; Le SeUyer, Traité de la 
criminalité, 2 ln-8*, Paris, 1867-1871 ; Mûnchen, Das canonis- 
che Gerichtsverfahrem und Strafrecht, 2 ln-8% Cologne. 1865, 
t. II, p. 101 sq., 262 sq. ; Berlauldt, Cours de code pénal, in-8«, 
Palis, 1873, p. 118 sq., 192 sq., 530; Chauveau et Hélie, Théorie 
du code pénal, 6 in-8', Paris, 1873, t. i, p. 34; t. n, p.5 sq. ; 



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961 



DELIT — DEL RIO 



262 



De ADi^ellâ, Prmlectiones juris catwnici ad methodum Deere- 
taUum, l. V. Ut. i, xxili sq., 4 in-8', Rome, 1887-1892, t. iv,p.9sq., 
297 sq.; D'Annibale. Summula theologix moralis, part.I,tr. VI, 
UL l,a. 1, n. 296-299, 3.in-8% Rome, 1889-1892, t. i, p. 278-284; 
Mel Isidore. Il nuovo codice pénale italiano, 1. I, lit. i, a. 1, 
iii-4-, Rome, 1899, p. 24-28; Tilloy, Traité théorique et pratique 
de droU canonique, 1. 11. t. iv, c. l, § 1-5, t. il, p. 269-281; 
Santj, Prmlectiones juris canonici j uxta ordinem Decretalium 
Gregorii JX, I. V, tit. v, 5 ln-8% Ratisbonne, 1898, t. v,p. 5 sq. ; 
Vidal, Droit criminel, in-8-, Paris, 1901, p. 86 sq.; OjetU, 
Synopsis rerum moralium et juris pontificii, alphabetico 
ordine digesta, v Delictum, 2 ln-4*, Pralo, 1906, 1. 1, p. 532 sq.; 
Dallos, Dictionnaire pratique de droit, v'* Crimes et délits, 
Délit, In-fol., Paris, 1905, p. 395 sq., 419 8q.;Garraud, Précis 
de droit criminel, ln-8-, Paris, 1907, p. 60 sq., 128, 446, 368; 
Wernz, Jus Decretalium, 1. V, De jure criminaU, part. II, 
6&A. I, S 4^; part, III, secl. i, c. i-vii; sect. n, c. i-iii, 5 in-4', 
Rome, 1808-1907, t. v, p. 167-177, 893-650. 

T. Ortoian. 
DELMARE Paul-Mapoel, né à Gènes en 1734 de 
parents israélites, s'occupa du commerce de son père 
jusqu'à 17 ans. L*abbé Franzoni l'instruisit dans le ca- 
tholicisme et le baptisa en 1753 sous les prénoms de 
Paul-Marcel. Le nouveau converti commença alors ses 
études au collège de Gènes; il les continua à Rome, où 
il reçut la prêtrise en 1758. 11 s'attacha à une commu- 
Dauté de prêtres génois et se livra avec eux à Rome à 
la prédication et au ministère. En 1783, il fut appelé 
comme professeur de théologie à Sienne. Il y prit part 
à une controverse relative à la communication des 
Arméniens unis et non-unis pour les baptêmes, les 
mariages et les funérailles. En 1783, parut à Venise 
noe dissertation italienne, qu'on attribuait au jésuite 
dalmate Martinovich, et dans laquelle l'auteur préten- 
dait que cette communication m sacris et l'assistance 
à la messe des non-unis étaient tolérées par le saint- 
siège. Le marquis de Serpos, banquier arménien, qui 
habitait Venise, présenta cet écrit à la Propagande. La 
faculté de théologie de Sienne censura cette disserta- 
tion, le 15 décembre 1784, et elle décida que les Armé- 
niens unis pouvaient bien, pour la célébration de 
leurs fêtes, se conformer au calendrier des schisma- 
tiques. mais non assister à leurs cérémonies religieuses. 
On attribua la rédaction de cette censure à Delmare. 
Dominique Stratico, dominicain et évêque de Cresina 
en Dalmatie, publia à Sienne un Examen théologique 
de la censure. Delmare répliqua par une brochure 
italienne, intitulée : Principes théologiques pour ser- 
vir de préservatif contre les en^eurs de VExamen, 
in-8», *^ienne, 1786. Delmare passait pour être favorable 
au parti janséniste, répandu en Italie. Il avait collaboré 
i l'édition faite à Gênes en 1779 de VEducazione ed 
istruzione cristiana, ossia catechisnw univcrfa/ô, 3 vol., 
de Gourlin, ouvrage qui fut mis à l'Index par décret du 
20 janvier 1783. Delmare défendit ce catéchisme en six 
lettres, assez aigres. En 1789, il devint professeur 
d'Écriture sainte à Pise, et publia : Prœlectiones de 
lods theologids Senis habilœ. Cet ouvrage fut mis à 
l'Index, le 9 décembre 1793, et condamné par le Saint- 
Office, le 5 mars 1795. Delmare n'assista pas au synode 
de PisCoie, et n'écrivit pas en sa faveur, comme l'a 
prétendu Grégoire. Le 5 novembre 1817, il adressa à 
rarcheréqne de Pise une déclaration, par laquelle il se 
soumettait aux décrets de l'Index et du Saint-Office 
ainsi qu'aux constitutions et décisions dogmatiques des 
papes, révoquant tout ce qu'il aurait dit et écrit de con- 
traire. Cette déclaration fut envoyée à Rome, et le car- 
dinal Fontana en félicita l'auteur. Delmare rompit toute 
relation avec les jansénistes, et notamment avec l'abbé 
Clément. Il mourut le 17 février 1824, dans sa 90* année. 

Mener, Mémoires de religion (extrait dans YAmi de la 
reUgion, t. XLili, p. 238); Ami de lareligion, n. du 12 juin 1822, 
t. xxxu; Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecdésias- 
tiquependant le svm* siècle, Z' édit., Paris, 1855,t. v,p. 203-206. 

E. Mangenot. 



DEL RIO MaKIn-Antoine, théologien, jurisconsulte, 
philologue et historien, naquit à Anvers le 17 mai 1551. 
Enfant précoce et studieux, il étudia au collège de Lierre, 
alors florissant, les langues classiques qu'il posséda 
parfaitement, ainsi que l'hébreu etlechaldéen. Il parlait 
aussi, disent les biographes, avec une égale facilité le 
flamand, l'allemand, l'espagnol, l'italien et le français. 
A Paris, au collège des trois langues ou collège de France, 
il eut pour maître d'éloquence Denys Lambin, et au 
collège de Clermont pour professeur de philosophie 
Maldonat, déjà célèbre. Élève de l'université de Douai 
que Philippe II venait de fonder, puis de l'université 
de Louvain où il gagna l'aflection de Juste Lipse, il se 
passionna pour les travaux d'érudition. Juste Lipse 
cite avec admiration ce fait que le jeune étudiant avait 
étudié et annoté plus de onze cents auteurs. Bachelier 
en droit civil dès 1570, il publia aussitôt des notes sur 
Solin, sur Claudien et sur Sénèque le Tragique, qui 
attirèrent sur lui l'attention des humanistes. Docteur en 
droit de l'université de Salamanque, en 1574, il fut 
nommé presque aussitôt, parle roi d'Espagne, membre 
du conseil de Brabant, où sa science profonde du droit 
lui mérita d'être promu, à peine âgé de 28 ans, aux 
fonctions de vice-chancelier et de procureur général. 
A la mort de don Juan d'Autriche, dégoûté de plus en 
plus du monde, il envoya au roi sa démission de toutes 
ses charges et entra dans la Compagnie de Jésus, le 
9 mai 15^), à Valladolid. Après avoir étudié la philoso- 
phie, la théologie et l'Écriture sainte à Louvain et à 
Mayence, il fut nommé professeur de théologie à l'uni- 
versité de Douai, puis chargé du cours de philosophie 
morale au collège de Liège. C'est de là qu'il entretint 
une active correspondance avec Juste-Lipse, alors à 
Leyde, et qu'il parvint à convertir son illustre ami au 
catholicisme. Les lettres de Del Rio à Juste Lipse ont 
été insérées par Burmann dans son Sylloge epislola- 
rum a viHs iUustrifms scriplarum, Leyde, 1727, t. i, 
p. 501-552. Nommé professeur d'Écriture sainte à Gratz 
en Styrie, où une université venait de s'ouvrir, il prend 
la route de Mayence et trouve le temps d'éditer dans 
celte ville les Blnigmata de saint Aldhelme. A Gratz, il 
commence par se faire recevoir docteur en théologie et 
ouvre aussitôt son cours d'exégèse qui lui attire, avec 
un glorieux renom, la faveur croissante des archiducs 
d'Autriche. Après avoir édité son commentaire sur le 
Cantique des cantiques, il est appelé à Salamanque 
comme professeur d'exégèse, puis envoyé de nouveau 
en Belgique, où il arriva gravement malade. Il mourut 
à Louvain le 19 octobre 1608. Ses divers commentaires 
des Livres sacrés eurent de son temps une grande célé- 
brité. Citons : 1® In Canticum canlicorum Salomonis 
commentarius litteralis et catena mystica, Ingolstadt, 
1604; Paris, 1608; Lyon, 1611 ; 2» Commentarius litte- 
ralis in Threnos Jeremias, Lyon, 1608; 3^ Pharvs sacrsR 
Sapientia* seu conwientarii seu glossœ littérales in 
Genesim, Lyon, 1608; 4o Adagalia sacra V. et N, T., 
Lyon, IfrlO. La théologie mariale lui est redevable d'un 
important ouvrage de polémique elde piété : Opusma- 
rianum, Lyon, 1607. Mais ce fut son traité sur la magie 
et les sorts qui valut à Del Rio la part la plus grande, 
non point la meilleure toutefois, de sa célébrité : Dis- 
quisitionum magicarum l. VI, Mayence, 1593, 1600, 
1603, 1606, 1624; Louvain, 1599, 1601 ; Lyon, 1608, 1612; 
Cologne, 1633, 1657, 1679; Venise, 1746, etc., ouvrage 
où l'érudition l'emporte sur la critique, mais qui devint 
alors le manuel de tous les jurisconsultes. Del Rio prend 
soin d'avertir ses lecteurs que tous les faits étranges 
qu'il rapporte sur la foi d'autrui ne méritent pas une 
égale créance, mais que ce serait la marque d'une 
coupable légèreté de les rejeter tous. Au reste, les re- 
proches adressés par la critique protestante à la naïve 
crédulité du P. Del Rio, s'appliquent plus justement 
encore aux auteurs protestants de celte époque, qui ont 



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263 



DEL RIO — DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE 



264 



soulevé si violemment les passions populaires dans les 
questions de sorcellerie. Il convient d'ajouter à tous 
ces travaux les éditions des œuvres poétiques de saint 
Orient et de saint Aldhelme : S. Orienti episcopi 
Illiberitani Conimonitorium, Anvers, 1600; Sala- 
manque, 1604; Wittemberg, 1796 ; dom Martène a donné 
de ces œuvres une édition plus complète et plus correcte ; 
5. Aîdhelrni prisci occidentaliuni Saxot^m episcopi 
poetica nonnulla, Mayence, 1601. 

La vie de Martin-Antoine Del Rio a été écrite par le P. Ros- 
weyde (et non par le P. Suys, sur lequel hésite Sommervogel, 
t. V, col. 1904) sous le pseudonyme de Herman Langeveld, 
Anvers, 1609. Dans la Collection de Mémoires relatifs à l'his- 
toire de Belgique, se trouve une excellente notice due à H. De* 
vigne, éditeur des Mémoires de Martin-Antoine Del Rio sur 
les troubles des Pays-Bas durant Vadministralion de don 
Juan d:Autriche (1576-1578), 3 in-8\ Bruxelles, 1869-1871. On 
peut voir encore Bayle, Réponse aux questions d'un provin- 
cial, t. III, p. 235-238; (de Reiffenberg), De Justi Lipsii vita et 
scriptis. Bruxelles, 1823. Pour les écrite, Sommervogel, Biblio- 
thèque delà O' de Jésus, t. v, col. 1894-1905; Hurler, Nomen- 
clator,t I. p. 191-194; Kirchenlexikon, t. m. 

P. Bernard. 

DÉMÉTRAC0P0UL08 Andponic, Tun des meil- 
leurs théologiens de la Grèce moderne. Né à Calavryta, 
dans le Péloponnèse, en 1825, Démétracopoulos alla 
achever ses études en Allemagne, où, depuis 1857, il se 
fixa définitivement comme curé de l'église grecque de 
Leipzig. Nommé, en 1869, docteur honoraire de l'uni- 
versité de Leipzig, il mourut d'une bronchite, le 21 oc- 
tobre 1872, au retour d*un voyage d'exploration en 
Orient. Paléographe distingué, il attacha son nom à un 
bon nombre d'éditions à'anecdota. On a de lui : 
1<* NtxoXâou iTCiaxoTTO-j MeOcovyj; Xi^oi ôuo xaxà tt.ç 
alpéa'ftb); tôv Xsy^vtojv ttjv auri^ptov ûnep fjpiwv Ouo^av 
jiTl rj Tpio-ynoffTàTo) ôe^TTiTt itpoTaxÔrjvai, àXXà tô) 7caTp\ 
Ii^vto), in-8o, Leipzig, 1865; 2» 'ExxXYî<iia<yTtxri * pi6Xio- 
6i^x7) èpinepiéxo^^'A èXXr,vwv 6eoX(iY<i>v (Tj^YpaiAfiaxa, in-8<», 
Leipzig, 1866, t. i; ce t. i, le seul qui ait paru, contient 
des traités inédits de Zacharie de Mitylène, Nicétas Sté- 
thatos, Jean de Phourna, Eustrate de Nicée, Nicolas 
de Méthone, Nicéphore Blemmide, Georges Acropolite ; 
3» 'latop^a Toû <Tyt<T|iiaTo; ty^; Xanvcxf,; exxXyicta; àirb 
Tf^ç Ôp0oô6^o'j éXXYjvtxYi;, Leipzig, 1867; 4» E-jy£v(ou tov 
BouXYapBw; TrpaypiaTct'a Trepl Mouaix^;, Trieste, 1868 (ex- 
trait de la Néa *H{jL|pa); 5» NaôavarjX Xuy.a toO 'Mtf 
vafou l^x^i^^hifi'^i iiepi toû TrpwTetoy toO IlâTra, Leipzig, 
1869; l'éditeur n'a pas connu l'excellente réfutation 
en trois langues qu'a donnée de ce pamphlet le conven- 
tuel Egidius a Cesaro dans ses Apologiœ in Catalatinon 
Nathanaelis Xhichae Atheniensis, Venise, 1678 ; 6» Aox^ 
{iiov Tcepl TOV pîou xai twv avyfpo:\i.\LOL'tùy Mr,Tpoçàvouç 
Tou KpiTOKOiiXoy îraTptàp)^ou 'AXe^avôpeta;, in-8o 
Leipzig, 1870; 7o IIpoaÔTixai xa\ ÔiopÔwaei; €{;tyiv NeoeX- 
XrjvixTjv ^iXoXoy^av KwvcTavT^vou Saôa, in-8», Leipzig, 
1871 ;8o 'ETTavopôwffsi; <r9aX(id(xci)v 7rapaTr,py)Ô£VTa)v rv 
Tr NeoEXXr)vix>5 ^iXoXoyta toj K. Sâôx, in-8o, Trieste, 
1872; 90 'Op6o5oî:o; *ÉXXà; r.Tot Trept rôiv Ypa^/av- 
TOïv xarà Aat^voiv xal «ep\ auyypajjifjLdtT&jv aCtôv, in-80, 
Leipzig, 1872. Bien que dirigés contre les Latins et 
animés de )a passion habituelle aux Grecs en ces ma- 
tières, ces divers ouvrages sont des plus utiles à con- 
sulter, car l'information de l'auteur est généralement 
sûre. L. Petit. 

1. DEMETRIUS Chomatianus, archevêque d'Achrida 
et canoniste grec du xiip siècle. De sa vie même, on ne 
sait que fort peu de chose. Chartophylax de l'archevêque 
d'Achrida, il devint titulaire de ce siège en 1216 ou 
1217. Il l'occupait encore en 1234 ou 1235 : cette date 
nous est fournie par la consultation qu 'il eut à donner 
dans un long procès d'héritage engagé devant le métro- 
politain de Thessalonique. Pitra, Analecta sacra et 
classica, t. vu, col. 455. Parmi les principaux actes de 



son administration, il faut citer, à cause de leur excep- 
tionnelle importance, sa lettre à saint Sabas, l'arche- 
vêque de Serbie, sur la juridiction respective des deux 
Églises d'Achrida etd'Ipek, en mai 1220; le couronne- 
ment du despote Théodore Ducas l'Ange au printemps 
de 1223, et la correspondance avec le patriarche de 
Nicée Germain II au sujet de l'ordination de l'évêque 
de Servia, acte tenu pour anticanonique par le patriar- 
che de Nicée : cet échange de lettres aigres-douces 
eut lieu vers 1233, lors de la mission en Épire de 
l'exarque patriarcal Christophore d'Ancyre. Au reste, 
si les lettres du prélat d'Achrida ne sont pas toutes 
datées, elles présentent toutes un intérêt capital tant 
pour l'histoire de l'époque que pour la connaissance 
du droit canonique byzantin, dont Chomatianus est 
l'un des meilleurs représentants. Elles ont été éditées 
pour la première fois par le cardinal Pitra, d'après le 
manuscrit 62 de la bibliothèque de Munich, dans le 
t. VII de ses Analecta sacra et classica Spicilegio So- 
lesniensi parata, in-8«', Paris, 1891 . 

M. Drinov^, Sur certains travaux de Démétrius Chomatia- 
nus comme documents historiques (en russe), Vtz. Vremen- 
nik, t I, p. 319-340; t. 11, p. l-2a; A. Mompherratos, ibid., 
t II, p. 426-438; J. Palmov, Christianskoé Chténié, 1891. fasc. 
3-4; 1892, fasc. 5-6; D. Ruzic, Die Bedeutung des Demetrios 
Chomatianos fur die Gtiindungsgeschichte der serbischen 
Autokephalkirche, in-8% léna, 1893. 

L. Petit. 

2. DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE, apologiste grec 
du x« siècle. De sa vie nous ne savons que deux choses, 
qu'il fut métropolitain de Cyzique, et qu'à la demande 
de Constantin Porphyrogénète (912-959), fils de Léon 
le Sage (886-911), il composa un petit traité sur les 
erreurs des Jacobites et des Chatzitzariens ou Armé- 
niens, dont l'origine a fort tourmenté les éditeurs. 
Publié une première fois en latin par Possevin dans 
son Apparatus, p. 100, et reproduit par la Biblio- 
thèque des Pères de Lyon, t. xii, p. 813, il fut édité 
en grec et en latin par Combefis dans son Aticlariuni 
novum, t. Il, p. 261, comme une œuvre anonyme; ce 
ne fut qu'après coup, par l'inspection d'un manuscrit 
palatin, que l'érudit dominicain découvrit le véritable 
auteur et signala sa méprise dans une note à son édi- 
tion. Cela n'empêcha pas Galland, sur la foi de je ne 
sais quelle autorité, d'attribuer l'opuscule à Philippe 
le Solitaire, qui écrivait sous Alexis Comnène (lO&l- 
1118) ; et, chose surprenante, c'est sous le nom de Phi- 
lippe le Solitaire que l'opuscule se trouve dans Migne, 
P. G., t. cxxvii, col. 879-902. Il est vrai que la se- 
conde partie du traité, la Narratio de rébus Amieniœ, 
est reproduite une seconde fois par Migne, sous le 
nom d'Isaac l'Arménien, au t. cxxxii, col. 1237-1257; 
mais il se pourrait que cette partie de l'ouvrage ne fût 
pas de Démétrius, question qu'une nouvelle enquête à 
travers les manuscrits permettrait seule de trancher. 
Si cette partie est du métropolitain de Cyzique, com- 
ment expliquer qu'il ait arrêté sa liste des catholicos 
d'Arménie à Isaac III Tsoraporélsi (677-703), à moins 
qu'il ne se soit contenté de copier sans plus son pré- 
décesseur dans la matière. Quoi qu'il en soit de la 
Narratio de rébus Arnumiœ, il est certain que le traité 
contre les Jacobites est bien de Démétrius, au témoi- 
gnage d'un grand nombre de manuscrits, par exemple, 
VAthous 927, 3666, 3758, 4501 ; le Vaticanus Palatinus 
356, le Scorialensis R. L 15; le Constanlinopolitanus 
Sancti'Sepulcri 391, le Mosquensis 319 et 323. Dans 
la plupart d'entre eux, l'ouvrage s'ouvre par une 
épltre dédicatoire encore inédite à l'empereur Con- 
stantin. 

Quelques critiques, comme Lequien et récemment 
encore l'auteur du Répertoire des sources historiques 
du moyen dge, Bio-bibliographie, 2« édit., Paris, 1904, 
1. 1, col. 1166, identifient le controversiste dont il vient 



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265 



DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE — DÉMISSION 



266 



d*étre question avec Démétrius le Syncelle, qui fut 
également métropolitain de Cyzique : c*est une méprise 
évidente. Le premier a vécu, on Ta vu, sous Cons> 
tantin Vil Porphyrogénète, tandis que le second 
n'occupa le siège de Cyzique qu'un siècle plus tard, 
sons Romain III Argyre (I028103i) et Michel IV le 
Paphlagonien (10344041). On a de ce second Démétrius 
une intéressante contemplation, (teXérY], sur les empê- 
chements au mariage, Leunclavius, Jus gresco-roma- 
nuni, t. I, p. 397-406; P. G., t. cxix, col. 1097-1116; 
Rhalli-Potli, Syntagma, t. v, p. 35i-366; et une ré- 
ponse canonique sur les degrés d*aCHnité entre trois 
familles. Leunclavius, loc. cit., p. 406-406; P. G., loc, 
cit., col. 1116-1120; Rhalli-Polli, loc. cit., p. 366-368. 
Cest sans doute de lui que proviennent encore trois 
ooartes dissertations contenues dans le Mediolanensis 
682, fol. 367-375. Le curopalate Jean Sky1itzès,au début 
de son histoire, indique parmi ses sources une chro- 
nique aujourd'hui perdue d'un Démétrius de Cyzique, 
qu'il faut identifier avec le second et non avec le pre- 
mier des deux métropolitains de ce nom. K. Krumba- 
cher, Geschichte der byzantinischen Litteratur, ^2^ édïi.^ 
p. 399, avoue ne rien savoir de ce Démétrius. On sait 
pourtant qu'au mois de- janvier 1028, Démétrius, déjà 
métropolitain, faisait partie du synode de Constanti- 
nople, P. G., t. cxix, col. 837; qu'en l'an 1037, il in- 
trigua avec quelques-uns de ses collègues pour ren- 
Terser Je patriarche Alexis et mettre à sa place l'eii- 
nuque Jean, frère de l'empereur Michel. P. G., t. cxxii, 
col. 2i9. Ces dates, absolument certaines, ont bien leur 
importance. Rappelons encore un autre détail : dès 
son avènement à l'empire, Romain Argyre, qui avait 
notre Démétrius en grande estime, lui conféra, ainsi 
qu'à deux autres de ses collègues, le titre de synceile. 
Cela eut lieu peu avant le 25 mai 1029, car Sainte-. 
Sophie fut témoin ce jour* là, à l'occasion de la Pente- 
côte, d'une petite querelle de préséance, les métropoli- 
tains du sy-node refusant de céder aux nouveaux 
dignitaires la place d'honneur. P. G., t. cxxii, 
col. 217, 220. 

L. Petit. 
3. DÉMÉTRIUS DE LAMPE, hérétique du 
XII* siècle, originaire de la petite ville de Lampe, dans 
la Phrygie du sud-ouest, près de la ville actuelle de 
Sondourlou ; il avait rempli en Europe, spécialement en 
Allemagne, plusieurs ambassades importantes, quand, 
au retour de l'une d'elles, il se mit à reprocher publi- 
quement aux Occidentaux leur doctrine sur le Fils de 
Dieu, qu'ils tenaient tout à la fois, disait-il, pour égal 
et inférieur au Père. Ce fut un grand scandale chez les 
docteurs de Byzance de voir un homme étranger au 
clergé oser émettre une opinion théologique. Le débat 
soulevé par Démétrius n'en fut pas moins passionnant : 
clercs, moines, laïques, empereur, portefaix, tout le 
monde s'en mêla. Ù s*agissait surtout de savoir quel 
sens il convenait d'attribuer à la parole évangélique : 
Mon Ph^ est plus grand que moi. C'était renouveler 
la rieille discussion des ariens. Après de vains eiforls 
poar ramener Démétrius dans le droit chemin, l'em- 
pereur Manuel Comnène, qui avait dés le début pris 
la direction du débat, soumit la question au synode qui 
l'examina en plusieurs séances, mars et avril 1166. 
Le 4 avril, l'empereur sanctionna par un édit solennel 
la sentence synodale; mais tout ne fut point fini avec 
cette promulgation. Durant quatre ans encore, la dis- 
cussion continua d'agiter les esprits. Chose curieuse, 
tandis que nous possédons des renseignements assez 
abondants sur les partisans principaux de Démétrius, 
nous n'avons sur lui aucune donnée précise, hormis 
les quelques indications fournies par 1 historien Cin- 
name, 1. VI, n. 2, P. G., t. cxxxiii, col. 616-624. De 
Tourrage composé par l'hérétique pour défendre son 
système, il n'est rien resté, pas même le titre. Nous 



nous permettons, pour finir, de renvoyer le lecteur à 
l'étude que nous avons donnée ailleurs sur cette 
curieuse, mais futile controverse. Voir nos Documents 
inédits sur le concile de iiôô et ses derniet^s adver- 
saires, dans les Vizantiskii Vremennik de Saint- 
Pétersbourg, 1904, t. XI, p. 465-493. 

L. Petit. 

DEMI8IAN08 Jean, né à Zante ou peut-être à 
Céphalonie, fit ses études au collège Saint-Âthanase à 
Rome de 1588 à 1595 et y professa le grec pendant trois 
ans. Après avoir pris à Padoue le grade de docteur, il 
dirigea une école à Zante et y prêcha avec succès le 
catholicisme, ce qui lui attira une violente persécution. 
Il revint à Rome où il fut un des familiers du cardinal 
Octave Bandini et bibliothécaire du cardinal François 
Sforza. Les ducs de Mantoue l'envoyèrent à Paris où il 
mourut en 1610. Nous n'avons de lui que deux lettres 
et quelques poésies. 

E.Legrand, Bibliographie hellénique au xvn* siècle, t. in, 
p. 180-184. 

S. PéTRIDÈS. 

DÉMISSION (dimissio, resignatio, renuntiatio^ 
ejuratio). C'est l'acte par lequel on fait abandon d'un 
bénéfice, dignité, fonction, administration, etc., entre 
les mains du supérieur légitime qui l'accepte. — I. Ex- 
plication de la définition. II. Qui peut démissionner? 
III. Quelles causes justifient la démission? IV. La dé- 
mission peut-elle être conditionnelle? V. Peut-on 
reprendre sa démission? 

I. Explication de la définition. — 1« Abandon. — 
L'abandon doit être volontaire. Extorqué par la force 
ou même simplement par la crainte, il pourrait donner 
lieu à une exception quod metus causa que le juge 
devrait admettre. 

2o D'un bénéfice. — Les anciens auteurs ne parlaient 
en cette matière que des bénéfices, mais l'état actuel 
de l'Église oblige à envisager d'autres cas de démission 
et à régler des espèces beaucoup plus importantes au 
bien public que les résignations des bénéfices simples 
de Tancien régime. 

3» Entre les mains du supérieur légitime qui Vac- 
cepte. — Le supérieur légitime dont il est ici question 
est le pape, quand il s'agit de la dignité épiscopale. Les 
prétentions en sens contraire de Napoléon l*^ n'ont 
pas été admises par le Saint-Siège. Voir d'Haussonville, 
L'Église romaine et le premier empire, Paris, 1868, 
t. VI. Un arrêt du parlement du 28 mars 1765 et aupa- 
ravant un arrêt du conseil du roi du 26 avril 1657 
avaient reconnu le droit exclusif du pape. On en fit 
état contre les prétentions de Charles X en 1828. 
Cf. Prompsault, Dictionnaire de droit et de jurispru- 
dence en matière ecclésiastique, édit. Migne, 1849, 
t. II, col. .52, 53. Pour les autres bénéfices, le principe 
est que : Qui potest con ferre beneficium, etiam ejus 
renuntiationem acceptare valeat. La règle n'est cepen- 
dant pas sans quelques exceptions. Si plusieurs per- 
sonnes ou corps concourent à la collation d'un bénéfice, 
l'acceptation de la démission doit émaner de ces difl'é- 
rentes sources de collation. Tel est le cas d'une élec- 
tion suivie de la confirmation par le supérieur, tel est 
encore celui de la présentation par un patron suivie 
de l'institution par l'autorité ecclésiastique. Mais il 
faut noter qu'un laïque, quelle que soit sa dignité, ne 
peut être considéré comme le supérieur ecclésiastique 
d'un clerc et que, par suite, malgré le droit de patro- 
nage dont il pourrait être honoré, il n'a pas qualité 
pour intervenir dans l'acceptation de la démission du 
titulaire d'un bénéfice. Ceci s'applique même aux rois 
et aux empereurs ayant droit de patronage, sauf s'ils 
ont reçu sur ce point spécial un privilège apostolique. 
Dans l'état actuel de l'Église de France, on voit que 
toutes les fonctions ecclésiastiques, offices ou bénéfices, 
étant conférées librement par l'évêque, c'est lui seul 



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267 



DÉMISSION 



268 



qui a qualité pour recevoir et accepter les démissions. 
Recevoir les démissions n'est pas plus de la compé- 
tence du vicaire général que faire les nominations. Ces 
actes sont au nombre des actes de juridiction qile 
Tévéque est supposé s'être réservés en donnant des 
lettres de grand-vicaire. Il faudrait qu'il y fût fait une 
mention expresse de ces pouvoirs pour que le vicaire 
général les eût. Il faut appliquer au chapitre cathedrm 
sede vacante le principe général qu'il ne peut accepter 
les démissions que pour les fonctions qu'il peut confé- 
rer. Il peut conférer seul alors les bénéfices qui, en 
temps ordinaire, sont à la fois de sa collation et de celle 
de l'évéque; si donc le titulaire d'un de ces bénéfices 
offre sa démission, le chapitre pourra l'accepter. Mais 
pour ceux que l'évéque confère seul, le chapitre, ne 
pouvant pas les conférer sede vacante, ne pourra non 
plus recevoir la démission des titulaires. 

Chaque fois que l'abandon volontaire se produit, 
accepté par le supérieur légitime, il y a démission. Mais 
cette renonciation peut se réaliser sans avoir été for- 
mulée en termes exprès, à plus forte raison sans avoir 
été rédigée par écrit. Il y a de nombreux cas de démis- 
sion tacite. Le cas le plus fréquent, et pour ainsi dire 
le seul pratique à notre époque, est l'acceptation d'un 
bénéfice incompatible avec celui dont on est titulaire. 
Un curé renonce à sa cure par le fait qu'il en accepte 
une autre, les fonctions de vicaire général ou un évê- 
ché. Le fait d'avoir seulement pris l'habit religieux, 
sans avoir réservé son bénéûce, constitue aussi un cas 
de renonciation tacite. 

L'acceptation de la démission par le supérieur est 
nécessaire pour que le bénéficier soit délié de ses obli- 
gations. Il peut être contraint par les censures à ne 
pas .déserter le poste qui lui avait été confié, ou à y 
revenir. Sans doute, c'est un principe que chacun peut 
renoncer à son droit, mais à condition de ne pas nuire 
à autrui en négligeant un devoir corrélatif de ce droit. 

A cause du lien tout spécial qui rattache l'évéque à 
son Église, lien assimilé à un mariage spirituel, une 
pareille désertion serait particulièrement grave. L'évé- 
que ne peut donc jamais abandonner son siège sans la 
permission expresse du souverain pontife, et cela même 
pour entrer en religion, malgré les facilités spéciales 
que la loi reconnaît aux autres bénéficiers dans ce cas 
exceptionnel. 

Le c. Licet, 18, De regularibus, III, xxxi, reconnaît 
en effet aux bénéficiers le droit d'entrer en religion con- 
tre la volonté de l'évéque. La conséquence logique 
serait qu'il ne soit pas nécessaire de lui demander à 
proprement parler une acceptation de démission qu'il 
ne peut refuser sans se mettre en opposition avec les 
canons. Mais encore faut-il se souvenir de l'obéis-sance 
promise à l'évéque au jour de l'ordination, de la né- 
cessité où l'évéque va se trouver de pourvoir au 
remplacemenl. On demandera donc à l'évéque soit de 
réserver le bénéfice pendant le temps du noviciat, ce 
qui est le droit commun, c. iv, De regularibus, III, 
XIV, in 6o, soit d'accepter la démission. Le départ du 
bénéficier pour un ordre religieux, effectué sans que 
l'évéque ait été mis à même de manifester sa volonté, 
pourrait exposer le bénéficier à se voir rappelé, s'il 
était prouvé que son départ porle un préjudice grave à 
l'église. De plus, la seule prise d'habit, effectuée dans 
ces conditions, équivaut à une démission tacite et si le 
novice ne persévérait pas dans sa vocation, il trouve- 
rait, en rentrant dans le monde, son bénéfice occupé 
par un autre. 

Voilà pour les bénéfices proprement dits. Mais que 
faut-il penser des autres fonctions ecclésiastiques con- 
fiées par l'évéque à un prêtre : cures amovibles, 
aumôneries, vicariats, elc? Les textes du droit, rédigés 
dans le style d'une autre époque, ne parlent que des 
bénéfices, mais les mêmes raisons demandent que les 



démissions soient régies, en matière de simples offices, 
par les mêmes règles. Aussi la S. C. du Concile a-t- 
elle, en ces derniers temps, répondu dans le sens de la 
législation bénéficiaire à des questions posées par les 
ordinaires de Toulouse et de Parme. L'archevêque de 
Toulouse demandait : i^ An parochis amovibilibus ii- 
ceat eo quod non habeant bénéficia veri nominis (le 
bénéfice étant perpétuel par définition), sine ordinarii 
iicentia, parochiis suis renuntiare f 2'> An episcopo 
liceat, ex obedientiœ prœcepto, adhibitis etiani, si 
opus sit, censuris, eos cogère ut in munere persistant f 
La S. C. du Concile a répondu le 9 mai 18i4 : Ad 
i«>», négative; ad !?"•", affirmative. L'évéque de 
Parme a provoqué une réponse plus générale en expo- 
sant des espèces plus variées : !• Utrum liceat sacer- 
dotibus, qui bénéficia veri nominis non pollent^ et 
speciatim vicariis curatis, economis et capellanis, 
derelinquere officia ab episcopo illis commissa, non 
obtenta prius ejus Iicentia? 2» An ex prmcepto obe- 
dientiœ, adhibitis etiam, si opus fuerit, censuris, 
episcopus jus habeat eos cogendi ut persistant in sua 
officio, saltem usquedum ipsis providere valeat per 
idoneum successorem f La S. C. du Concile a répondu 
le 11 janvier 1886 : Ad i»™, prout exponitur, néga- 
tive; ad 5«", affirmative, quoties ex officii dimis- 
sione grave detrimenlum curm animai*ufi\ sit ob- 
ventut*um. Est tamen episcopi sollicite providere de 
idoneo successore, prœserlim cum, rationabili de 
causa, dimissio expostulatur. 

II. Qui peut démissionner ? — La règle est que tout 
bénéficier peut démissionner et qu'on peut démission- 
ner de tout bénéfice. On peut même renoncer à la pa- 
pauté, et il y en a un illustre exemple. Il y a cependant 
quelques restrictions à ce droit, fondées sur l'ordre 
public. 

La principale provient de la bulle de Pie V, Quanta 
Ecclesiœ, n. 58, du 3 avril 1568, où le § 3 interdit à tout 
clerc constitué dans les ordres majeurs de résigner son 
bénéfice ou son office, s'il n'a par ailleurs de quoi sub- 
venir à sa subsistance. Le concile de Trente avait déjà 
obéi à une préoccupation analogue, sess. xxi, c. 2, 
De reform., en déclarant nulle la résignation du bé- 
néfice qui avait servi de titre au moment de l'ordina- 
tion. Pour qu'une semblable démission puisse avoir 
son effet, il faut que : 1« le démissionnaire ait déclaré 
qu'il s*agit de son titre d'ordination ; 2o qu'il soit établi 
qu'il a par ailleurs de quoi se suffire. 

Ne parlons que pour mémoire du cas, autrefois cé- 
lèbre, mais peu pratique de nos jours et dans notre pays, 
prévu par la règle 19^ de la Chancellerie, appelée vul- 
gairement la règle de viginti. Elle s'exprime ainsi : 
Si quis in infirmilate constitutus resignaverit,,. ali- 
quod beneficium.., sive simplicitei\.. et postea infra 
viginti dies,.. de ipsa infirmitate discesserit..,, colla- 
tio... sit nulla et beneficium ..,per obitum censeatur 
vacare, 

III. Quelles causes justifient la démission? — 
Puisque le supérieur doit intervenir pour accepter ou re- 
fuser la démission, sur quoi devra-t-il appuyer sa déci- 
sion? Il n'a pas le droit d'accepter la démission, si elle 
n'est pas justifiée par une cause juste et prévue par le 
droit. La rubrique du c.lO, De renunciatione,a}ïx Décré- 
tales de Grégoire IX, formule les cas légitimant la dé- 
mission des évêques en deux vers latins : 

Debilis, Ignarus, maie conscius, irregularis, 

Quem maia plebs odit, dans scandala : cedere posait. 

Le lien qui rattache les bénéficiers inférieurs à leurs 
postes étant bien moins étroit que le mariage spirituel 
contracté par l'évéque avec son Église, les six raisons 
qui justifient la démission épiscopale, seront sufllsantes 
et même surabondantes parfois pour que l'évéque 
puisse accepter la démission d'un bénéficier. 



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DÉMISSION 



270 



h LHncapacité physique, provenant de la vieillesse ou 
de la maladie, n'est jamais une raison suffisante pour 
priver quelqu'un de son bénéfice, même en assurant 
par ailleurs sa subsistance, mais elle peut être une rai- 
son d'accepter la démission librement offerte. Bien que 
le moyen canonique, qui consiste à laisser à un impotent 
son bénéfice et ses revenus en l'obligeant seulement à 
payer la portion congrue à un vicaire,pourvoie suffisam- 
ment au bien général, on conçoit que le bénéficier, 
devenu incapable de remplir toutes ses fonctions, pré- 
fère démissionner. Son infirmité justifiera l'acceptation 
de révèque, ou du pape, s'il s'agit d'un évéque infirme. 

2« L'ignorance. — Cette cause ne peut plus guère se 
réaliser chez les évéques. II n'y a pas pour eux d'obli- 
gation de posséder la science éminente, la science 
compétente suffit, et s'ils ne l'avaient pas, ou bien ils 
n'auraient pas été promus, ou bien il y aurait lieu non 
pas à accepter leur démission, mais à les déposer. Fa- 
gnan, CommenL in c. ix de renuntiatione, n. 59. 
Mais ce qui ne se réalise plus chez les évéques pour- 
rait se rencontrer chez un curé, surtout là où la loi du 
concours n'est pas appliquée, et l'évéque pourrait y 
trouver une cause suffisante d'accepter une démission. 

3» McUe conscius. — Par là il faut entendre une faute 
tellement grave que, même après en avoir fait pénitence, 
le bénéficier se trouverait dans l'impossibilité morale 
de remplir sa charge avec fruit. 

4» L'irrégularité. — Elle a pour effet de rendre 
inhabile à recevoir un bénéfice, mais elle ne prive pas 
ip$o jure du bénéfice qu'on possédait au moment où 
on en a été frappé. Cependant il est naturel qu'on ac- 
cepte la démission offerte par un irrégulier. 

5* La haine du peuple pour son pasteur, qu'elle 
soit d'ailleurs justifiée ou non, l'empêche de remplir 
utilement ses fonctions, met parfois sa vie en péril ou 
lai rend impossible la résidence nécessaire. Elle peut 
donc être une cause suffisante d'accepter la démission. 

6» Le scandale. — Si le scandale est grave et que 
seul le départ du bénéficier puisse, le faire cesser, ce 
dernier pourra être tenu en conscience à démissionner, 
même s'il est évéque. Â plus forte raison, pourra-t-on 
accepter la démission d'un bénéficier inférieur pour 
une raison analogue. 

IV. LiL DÉMISSION PEDT-ELLE ÊTRE CONDITIONNELLE? — 

Que faut-il penser des renonciations conditionnelles si 
fréquentes autrefois? La seule allusion à ces pratiques 
éveille le souvenir de pactes simoniaques que l'Église a 
dû réprouver. Une réglementation sévère domine la 
matière et nous allons l'indiquer brièvement. 

Il y a simonie, de droit naturel, quand il y a pacte 
poar céder une chose spirituelle ou une chose annexée 
â une chose spirituelle, contre un avantage d'ordre 
temporel. Céder dans ces conditions un bénéfice, chose 
qui, malgré son aspect temporel, est intimement unie 
à une fonction ecclésiastique, chose essentiellement 
spirituelle et dont les avantages matériels ne sont que 
l'accessoire, constitue le crime de simonie. Mais 
parfois, ob prsMumptiofiem periculi, l'Église interdit 
la cession d'une chose spirituelle même contre une 
chose spirituelle, ou d'une chose temporelle contre 
une autre chose temporelle. Ce sont les cas de simonie 
ecclésiastique, cas limités par le droit, constituant de$ 
exceptions et qui par suite sont de stricte interprétation. 

Or les démissions conditionnelles ont nécessité de la 
part de la loi ecclésiastique des réglementations qui 
sont justifiées par des préoccupations de ce genre. Elles 
portent sur les démissions en faveur d'autrui, soit que 
celui qui bénéficiera de la démission se démette de son 
côté d'un bénéfice en faveur de celui qui lui a résigné 
le sien (c'est le cas de permutation), soit que le démis- 
sionnaire en faveur d'autrui ne reçoive aucun autre 
bénéfice en échange, soit qu'il y ait pacte, de quelque 
nature qu'il soit, au sujet des bénéfices. La démission 



conditionnelle n'est pas absolument impossible, mais 
très strictement réglementée, comme nous le verrons 
tout à l'heure. Mais toutes les prescriptions de la loi 
canonique fussent-elles observées, qu'il faudrait encore 
prendre garde à ne pas tomber dans la simonie au sens 
strict. Donc, jamais une démission ne doit avoir pour 
condition une somme d'argent à verser au démission- 
naire, même sous prétexte de le faire rentrer dans les 
frais qu'a pu entraîner pour lui autrefois son entrée en 
fonction. Il ne sera même pas permis au démissionnaire 
sous condition, de convenir que les frais entraînés par 
la démission elle-même doivent être à la charge de celui 
qui doit en bénéficier. Illicite aussi serait la condition 
que celui qui reçoit le bénéfice résigné devra le rendre 
plus tard au démissionnaire ou à une personne de son 
choix ou réserver à quelqu'un les fruits en tout ou en 
partie. Ce serait la simonie confidentielle. 

En plus de cela, tout pacte entre particuliers sur la 
matière des bénéfices étant interdit par le droit positif 
ecclésiastique, c. 8, Décrétales, De pactis, I, xxxv, les 
démissions conditionnelles ne peuvent avoir lieu que 
dans les formes suivantes : 

10 Pour les permutations. — Elles sont légitimes, si 
elles sont faites par l'autorité de l'évéque, et pour une 
juste cause dont il est juge. La démission en vue de la 
permutation devra se présenter sous la forme suivante : 
Le bénéficier remettra sa démission entre les mains de 
l'évéque en exprimant la condition qu'il ne se démet 
qu'en vue d'acquérir tel autre bénéfice, L'évéque jugera 
s'il doit l'accepter dans ces conditions. S'il ne l'accepte 
pas, la démission ne produit aucun effet, puisqu'elle 
était liée à la réalisation de la condition. S'il l'accepte, 
la collation, que l'évéque ferait à tout autre que le titu- 
laire du bénéfice attendu en échange, serait nulle. L'autre 
permutant procède de la même façon. Les deux bénéfices 
étant ainsi remis entre les mains de l'évéque, c'est 
lui, et non les intéressés, qui exécute la permutation 
par le moyen d'une nouvelle collation de chacun des 
bénéfices. La juste cause sera tirée de l'utilité de 
l'église ou même de la simple convenance des permu- 
tants, pourvu qu'elle ne soit pas en opposition avec le 
bien public. Les deux collations doivent se faire en 
même temps, et l'évéque, soit pour l'acceptation des 
démissions, soit pour la nouvelle collation, doit respec- 
ter les droits des tiers (électeurs, patrons), comme il a 
été expliqué plus haut, col. 266. 

11 est clair que la loi ecclésiastique autorisant les 
permutations, ceux qui veulent user de ce droit ont la 
faculté de se faire à l'avance les ouvertures nécessaires. 
Il leur est interdit seulement par les canons de faire la 
permutation de leur autorité privée, et par la loi natu- 
relle de faire des conventions pécuniaire?. Ils expriment 
à l'évéque leur désir mutuel, donnent leurs démissions 
conditionnelles, et s'en remettent ensuite au jugement 
du supérieur, qui est placé dans l'alternative de refuser 
les deux démissions en toute liberté ou de faire la per- 
mutation. 

2o Pour les résignations in fa vorem tertii. — C'est 
l'intervention du pape qui est nécessaire, parce que de 
telles résignations sont interdites par le droit général 
de l'Église, dont seul le souverain pontife peut dispen- 
ser. Cf. Reiffenstuel, Comment, de renuntiatione, 
n. 105 sq. L'opinion commune est même que, faites par 
la seule autorité de l'ordinaire, elles revêtiraient un 
caractère simoniaque. Tout au plus peut-on, en rési- 
gnant son bénéfice, sa cure, par exemple, recommander 
à l'évéque un candidat à la succession. Ce dernier pourra 
être nommé, si l'évéque le veut, mais ce n'est pas un 
cas de démission conditionnelle, le collateur a toute 
liberté. 

3«> Pour les démissions sous condition de réserve d'utie 
pension sur le bénéfice. — L'évéque peut de son auto- 
rité privée, et pour des raisons graves, grever le titulaire 



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271 



DEMISSION 



DEMOCRATIE 



272 



d'un bénéfice, et cela de son consentement, d'une pen- 
sion au proflt de son prédécesseur. La raison grave sera, 
par exemple, Tinfirmité du prédécesseur, le bien de la 
paix troublée jusque-là par des procès, etc. Mais de 
l'avis commun des canonistes, son pouvoir ne va pas 
jusqu'à grever le bénéfice lui-niênie, et l'obligation, 
personnelle à celui qui l'a consentie, meurt avec lui. Si 
la cause subsiste à la mort du grevé, Tévéque pourra 
demander au successeur de se lier à nouveau par une 
obligation toujours personnelle. Mais le titre: Ut bé- 
néficia ecclesiasiica sine diminulione confet^antur, 
1. III,. XII, ne peut subir d'exception que par la volonté 
du pape. 

Ce pouvoir si réduit, l'évêque pourra en user en fa- 
veur d'un démissionnaire, cela va sans dire, mais le 
principe qu'on ne doit faire aucun pacte sur le béné- 
fice domine la matière, c. 8, ;Décrélales, De pacliSj I, 
XXXV. Le démissionnaire pourra donc seulement, en 
donnant sa démission pu7^e et simple, prier Tévéque 
d'user de son droit en sa faveur. Il pourra même lui 
désigner tel ou tel quUl sait disposé à accepter le béné- 
fice en se chargeant personnellement de la pension; 
mais à cela se bornera le rôle du démissionnaire. 

V. Peut-on reprendre sa démission?— Qui jurisuo 
renuntiavit, nonpotestposteaad illud redire. Ce prin- 
cipe s'applique, dans l'espèce qui nous occupe, avec une 
rigueur particulière, au moins quand le supérieur a 
accepté la démission. En effet, ce dernier n'a donné son 
consentement que pour des motifs graves qui peuvent 
tous se ramener au bien général de l'Église ou au pro- 
pre salut du démissionnaire qui a cru de son devoir 
de ne pas garder une responsabilité trop lourde. Un 
démissionnaire, qui reprendrait sa démission acceptée, 
commettrait un acte déraisonnable et pourrait être con- 
traint par toutes les voies de droit à laisser la place à 
son successeur. Mais si la démission n'avait pas encore 
eu son plein effet par l'acceptation du supérieur, le 
démissionnaire pourrait revenir sur sa décision. En 
tous cas, on peut être promu à nouveau à un poste dont 
on s'était d'abord démis. Mais les auteurs notent que si 
la démission avait été acceptée, on prend rang par 
ancienneté du jour de la nouvelle promotion. 

Les commentateurs des Décrétales : Fagnan, Reiffenstuel, etc., 
traitent cette matière au titre De renwttiatione, qui est le ix' 
dul. I". Au Sexte, c'est au même livre le titre vir, dont le i" cha- 
pitre, rédigé par Boniface vm, traite de la démission du souve- 
rain pontife. Voir aussi la bulle de saint Pie V, du 1" avril 1568. 
Quanta Ecclesiœ dans le Bullarium de Lyon, t. ii, p. 252; 
Ferraris, Prompta bibliotheca, etc. En celle matière, la disci- 
pline n'a pas changé et les anciens auteurs se trouvent au 
point. Nous avons signalé dans rartlcle la jurisprudence de la S. 
G. du Concile qui assimile en cette matière les offices et fonctions 
aux bénéfices proprement dits. 

P. FOURNERET. 

DÉMOCRATIE. — L Le double sens du terme : 
le régime politique, le mouvement social. II. La com- 
pétence des théologiens au sujet de la démocratie. 
III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de la 
démocratie au xiii» siècle. IV. Savonarole : le problème 
pratique de la démocratie à Florence, au xv« siècle. 
Y. La légitimité de la démocratie, d'après renseigne- 
ment commun des théologiens. VI. Le mouvement 
démocratique aux temps modernes. VII. De Pie VII 
à Grégoire XVI : condamnation réitérée des menées 
révolutionnaires. VIII. Pie IX : la souveraineté du 
nombre et de la force matérielle, condamnée par le 
Syllabus. IX. Léon XIII : la démocratie politique re- 
connue parmi les formes de gouvernement que l'Église 
peut accepter. X. L'éducation morale de la démocra- 
tie; problèmes connexes. XI. L'encyclique De condi- 
tione opificum et la démocratie comme mouvement 
social. XII. L'encyclique Graves de communi et la 
démocratie chrétienne. XIII. Pie X : l'encyclique Pas- 
cendi et la démocratie dans l'Église. 



I. Le double sens du terme : le régime politique; 
LE [mouvement social. — 1« Le régime politique. — 
Dans l'usage courant, le terme démocratie éveille 
d'abord l'idée d'un peuple qui se gouverne lui-même. 
C'est le sens voulu par l'étymologie. C'est le sens con- 
sacré par l'opposition classique de la démocratie, gou- 
vernement de la multitude, à l'aristocratie, gouverne- 
ment de l'élite en petit nombre, et à la monarchie, 
gouvernement d'un seul. Platon, Bépublique, 1. 1, c. vm. 
Le politique ; Ansioiet PolitiquCy 1. II, c. iv, v; Polybe, 
Histoire générale, 1. VI, c. m; Cicéron, La République, 
l. I, c. XXIX, XLv; 1. II, c. XXIX, xxxix; S. Thomas, 
Sum. theoL, I»II«, q. cv, a. 1; Machiavel, Discours sur 
les Décades de Tite Live, 1. 1, c. ii ; Montesquieu, Esprit 
des lois,\. I, c. ii; Rousseau, Contrat social, 1. III, c. m, 
x; Fonsegrive, La crise sociale, Paris, 1901, p. 438, 
440; Gayraud, [Les démocrates chrétiens, Paris, 1899, 
p. 4; Ch. Antoine, S. J., Cours d'économie sociale, 
Paris, 1899, p. 248; sir Henry Sumner Maine, Essais 
sur le gouvernement populaire, Paris, 1887, p. 90. 

Mais que, signifie exactement le mot peuple dans 
cette définition nominale de la démocratie? Dans un 
sens large et fondamental, c'est une multitude, com- 
posée de familles et d'autres groupes, unifiée par de 
communs intérêts et de communes lois. S. Augustin, 
d'après Cicéron, De civitate Dei, 1. II, c. xxi; 1. XIX, 
c. XXI, P. L., t. XLi, col. 66, 648. Mais, tandis que cer- 
taines sociétés se maintiennent dans une sensible éga- 
lité des conditions et des fortunes, soit par suite des 
ressources modiques du lieu, soit par suite de travaux 
faciles, art pastoral et culture rudimentaire, d'autres 
sociétés, mieux pourvues de ressources locales ou plus 
laborieuses, se distinguent en classes : les ouvriers et 
les patrons, les pauvres et les riches, les gens à Taise 
et les opulents, les petits et grands propriétaires. L'éga- 
lité et l'uniformité des conditions se maintiennent 
facilement dans les sociétés simples, vivant de récoltes 
spontanées, de culture extensive, de petite fabrication 
ménagère ; mais elles font place à de croissantes iné- 
galités dans tout milieu qui exige un travail intense, 
E. Demolins, Comment les sociétés compliquées sont 
issues des sociétés simples, dans La science sociale, 
1886, t. i, p. 486, 520; Id., Les commencements de la 
culture, ibid., 1886, t. ii, p. 413, 432. C'est par l'effet 
de ces causes, que, chez les Grecs, le terme Stîplo;, et, 
chez les Latins, populus, reçurent une acception parti- 
culière nouvelle. Les patriciens, grands propriétaires 
fonciers ou commerçants enrichis, se distinguèrent de 
la masse ouvrière et pauvre, spécialement nommée le 
peuple. C'est en ce sens que le protocole disait : Sena- 
tus populusque romanus. C'est en ce sens que Plliade 
oppose le î-î^îio; aux rois et aux chefs. Iliad., II, 188, 
198; Odys,, VIII, 157. Les politiques disaient, à peu 
près comme à Rome, f, pou>ti xai 6 Sîmoç ; comme enfin 
ce sont les travailleurs manuels qui forment la grande 
majorité des sociétés, et que les classes riches, les 
aristocraties, les gouvernants, échappent de par leur 
condition à la nécessité du travail manuel, peuple se 
dit plus spécialement encore au sens restreint de la 
classe ouvrière. 

Est-ce du peuple-ouvrier, de la multitude sans for- 
tune, ou bien du peuple en totalité que l'on entend 
parler en disant que le peuple gouverne dans la démo- 
cratie? 

Chez les anciens, ce n'était absolument ni de l'un ni 
de l'autre; car les démocraties classiques de la Grèce 
excluaient de tout droit politique diverses catégories de 
travailleurs manuels : les esclaves ruraux et domes- 
tiques; les périoèques de la Crète, les métèques de 
l'Âttique, les [poénestes de Thessalie, les hilotes de 
Sparte. C'étaient des paysans attachés à la glèbe, des 
serfs ou des demi-serfs de la terre. Aristote, Poli- 
tique, 1. II, c. VI, § 2, 3. C'est que l'État grec, la cité^ 



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DÉMOCRATIE 



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se composait d'une ville, soit militarisée comme à 
Sparte, soit plus généralement enrichie par le com- 
merce de terre et de mer. Les bourgeois possédaient 
en outre des propriétés dans la banlieue, cultivées en 
régie par les types de serfs énumérés plus haut. Par 
la richesse, Thabileté dans les affaires, la culture de 
Tesprit, la pratique des sports et de Téquitation, le 
prestige des assemblées délibérantes, la bourgeoisie en 
corps dominait les paysans de la banlieue, comme les 
artisans de la ville. Gabriel d'Àzambuja, La (xrèce 
ancienne, Paris, 1906; Le Play, La réfoi^ie sociale, 
c. LXii, § 13. De cette situation de fait, Âristote extraira 
sa théorie du citoyen, qui sera vraiment Tidéal grec : 
un bourgeois assez honnête et assez lettré pour faire 
toup à tour acte de gouvernant et de gouverné, de juge 
et de justiciable; assez riche, pour ne dépendre de 
personne et posséder tous les loisirs que réclament 
les assemblées de râyopà et de la pouXiQ. « Dans une 
cité bien constituée, les citoyens ne doivent point avoir 
à s'occuper des premières nécessités de la vie : c'est 
un point que tout le monde accorde; le mode seul 
d'exécution offre des difGcultés. » Aristote, Politique, 
1. III, c. III, §1, 3. De par cette exclusion, si rigoureuse 
en principe, une démocratie grecque se ramenait dans 
la réalité à une bourgeoisie privilégiée. Étant données 
la facilité de vivre sur les rivages de TÂrchipel et sous 
le ciel méditerranéen, la frugalité d'une race contente 
avec quelques sardines, quelques olives, quelques 
lignes, sans grands besoins de chauffage ni de vête- 
ments, beaucoup de citoyens peu fortunés vivaient à 
l'aise. Alors, au lieu de l'oligarchie des riches ou de 
Paristocratie des anciennes familles, une quasi-démo- 
cratie se constituait, par l'accession au pouvoir de la 
masse plus humble. Mais, en regard des cent mille es- 
claves ou métèques de l'Âttique, les six mille citoyens 
de la démocratie athénienne restaient, dans le fait, une 
simple oligarchie. 

C'est dans un sens tout différent que, de nos jours, 
on entend la démocratie. Tandis que la pratique du 
commerce, la richesse, la civilisation urbaine inspi- 
raient naturellement aux Grecs le mépris du travail 
manuel, de l'artisan et du paysan, TÉvangile et 
l'Église en ont prêché et inculqué le respect, au nom 
de la fraternité humaine en Dieu et de la loi morale 
du travail. Les races du Nord et du Centre de l'Eu- 
rope étaient d'ailleurs mieux prêtes que les races mé- 
diterranéennes, à entendre cet enseignement : l'amol- 
lissante douceur de vivre énerve souvent ces dernières, 
par les caresses du soleil et les dons spontanés du 
sol; mais, au contraire, les climats froids et tempérés, 
les terrains pauvres, la productivité plus incertaine de 
l'Earope centrale ou septentrionale enseignent rigou- 
reusement la nécessité et le prix du travail. Surélevées 
par le christianisme, ces influences du lieu et du mé- 
tier ont déshabitué l'Européen moderne de regarder 
l'ouvrier comme moins homme, d'abord, et ensuite 
moins citoyen que le bourgeois ou le noble. C'est du 
peuple en totalité, que l'on parle depuis longtemps en 
France, quand on dit le peuple, au point de vue poli- 
tique. Aux États-Généraux de 1483-1484, Philippe Pot, 
représentant de la noblesse de Bourgogne, disait : 
« Un état ou un gouvernement quelconque est la chose 
publique, et la chose publique e.st la chose du peuple; 
quand je dis le peuple, j'entends parler de la collec- 
tion ou de la totalité des citoyens, et dans cette tota- 
lité, sont compris les princes du sang eux-mêmes 
comme chefs de la noblesse. » Recueil des anciennes 
lois françaises, t. xi, cité par le R. P. Maumus, L'Église 
et la France moderne, p. 201. 

Tel est, logiquement, le sens entendu, lorsque, de 
nos jours, on déGnit la démocratie par l'accession du 
peuple au pouvoir : ainsi le pensent les philosophes 
qui définissent les termes. D'après M. Goblot, Vocabu- 



laire philosophique, Paris, 1901, démocratie veut dire : 
« État social où le pouvoir politique est exercé par le 
corps social tout entier, sans distinction de caste ni de 
classe. » Les politiques en tombent d'accord. M. Charles 
Benoist disait à la Chambre des députés, le 6 mars 1908 : 
« La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par 
le peuple et non pas le gouvernement d'une partie du 
peuple par une autre. » Cf. Fonsegrive,La cHse sociale, 
p. 438, 440. 

Tel est le sens actuel du mot démocratie; mais 
l'idée qu'il éveille chez nous correspond -elle aussi 
bien à quelque chose de réel? Des théologiens et des 
philosophes, comme le cardinal Zigliara, Summa phi- 
losophica, t. m. De auctoriiate sociali, § 7; des poli- 
tiques, comme M. de Lamarzelle, relèvent une « fla- 
grante contradiction » entre les nécessités réelles du 
gouvernement et la notion de peuple gouvernant : le 
commandement et l'obéissance, l'action subie et l'action 
exercée ne peuvent se trouver dans le même sujet. Il 
faut qu'à la masse dirigée, une organisation des diri- 
geants se superpose, sous peine d'anarchie. De Lamar- 
zelle, Démocratie politique, démocratie sociale, dé- 
mocratie chrétienne, Paris, s. d., p. 2, 3. Visiblement 
impressionné par des vues du même ordre, M. G. Cle- 
menceau regarde le peuple comme une « masse flot- 
tante », qui ne se mène pas, mais qu'on mène : « En 
réalité, ce qu'on entend par démocratie dans le lan- 
gage courant, c'est Vaccrcissement fatal, profitable, 
mais incohérent des minorités gouvernantes. » Le 
Grand Pan, p. 316, 317. 

Il y a une part de vérité dans ces considérations, 
mais aussi une part d'erreur. Elles sont trop générales, 
trop absolues, pour s'appliquer exactement à tous les 
modes possibles de gouvernement direct ou indirect 
par le peuple; aussi, nous ne signalons ici de telles 
appréciations que pour rappeler le danger particulier 
des généralités oratoires ou dialectiques, dans une 
matière aussi complexe et aussi variable que la vie 
sociale. L'observation des types concrets de gouverne- 
ment qualifiés démocratie nous dira seule dans quelle 
mesure la multitude arrive ou non à se gouverner elle- 
même. La connaissance réelle et scientifique de la 
démocratie est à ce prix. 

i»"" cas : le gouvernement direct par le peuple en 
assemblée générale. — Ce type se réalise tout près de 
nous, depuis bien des siècles, dans un certain nombre 
de cantons suisses. « D'après la constitution d'Âppen- 
zel (Rhodes intérieures), qui se retrouve, à peu de 
chose près, dans les cantons de Rhodes extérieures, 
de Claris, d'Uri, des deux Unterwalden, le pouvoir 
souverain — sous réserve des droits de l'assemblée 
fédérale — est exercé par les citoyens du canton réunis 
en assemblée générale : Landsgemeinde. Un Grand 
Conseil, élu par la Landsgemeinde, est chargé de 
préparer les lois. Le pouvoir exécutif est confié à un 
Conseil d'État, nommé par l'assemblée; le Landam- 
man, qui fait partie de ce conseil, est le chef du pou- 
voir exécutif. La puissance souveraine repose donc 
essentiellement dans le peuple. Il se donne sa consti- 
tution, vote ses lois, nomme ses autorités, ses fonc- 
tionnaires et ses juges. » Il approuve ou censure les 
comptes de l'administration financière. Robert Pinot, 
La démocratie actuelle en Suisse, dans La science 
sociale, Paris, 1891, t. xi, p. 184, 186. Voici donc le 
gouvernement du peuple par lui-même : 1® dans le 
vote ou le rejet des lois que lui préparent des manda- 
taires particuliers; 2* dans le contrôle financier de 
ceux-ci; 3® dans leur nomination. Ces actes de souve- 
raineté s'accomplissent collectivement, à la magorité 
des voix, à intervalles périodiques. Dans le train quo- 
tidien de la vie, chacun retourne à ses affaires; il re- 
devient simple citoyen, pour obéir aux magistrats, 
payer les taxes, observer les lois. Nous ne trouvons là 



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DÉMOCRATIE 



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aucune trace de a la flagrante contradiction » alléguée 
tout à l'heure : les citoyens ne sont pas gouvernants et 
gouvernés dans le même instant, sous le même rap- 
port, pour le même objet. Von Hertling, Denwcrazie, 
dans SUiatslexicon, 2«édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, 
col. 1335-1338. 

Mais aussi bien, ce gouvernement direct par le 
peuple ne saurait être qu'intermittent; chacun se doit 
à son gagne-pain, à sa famille, à ses intérêts dans la 
vie quotidienne. Nécessairement, Texécution quoti- 
dienne des lois, l'administration des personnes et des 
deniers publics, la préparation des textes législatifs, la 
police, réclament des fonctionnaires, des spécialistes, 
des magistrats. La masse du peuple doit s'en remettre 
de ces soins et de ces charges à une minorité diri- 
geante. Mais il la nomme et il la contrôle en assemblée 
générale : il retient donc son éminente souveraineté, 
bien qu'il transfère diverses juridictions qu'il ne sau- 
rait exercer. Ainsi, le gouvernement du peuple par le 
peuple existe; et il mélange aussi bien l'exercice di- 
rect du pouvoir par la multitude et son investiture à 
des autorités. 

Mais il y faut des conditions particulières : 1« un < 
étroit territoire et une population peu nombreuse, 
afin que la totalité des citoyens puisse aisément se 
transporter à l'assemblée générale, et y entendre les 
rapports, les propositions, et y compter ses voles. Ro- 
bert Pinot, loc. cit., p. 187. 2® Il faut aussi Végale pos- 
sibilité pour les citoyens de se prononcer en connais- 
sance de cause sur les candidats, les projets de loi et 
les comptes. Cette possibilité n'existe que dans un état 
social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà 
pourquoi la démocratie directe est de temps immé- 
morial le régime de cantons forestiers, pastoraux, 
dont les vallées renferment peu d'industrie, pas de 
grand commerce, avec une population de paysans sen- 
siblement égaux entre eux. Les intérêts cantonaux ne 
sont en réalité que des intérêts intercommunaux. 
Dans ces milieux, « la démocratie surgit de la nature 
de l'homme et des choses. » Le Play, La réforme 
sociale en France, Tours, 1887, t. m, p. 308. 3» La 
démocratie directe exige enfin chez ses participants un 
sérieux amour du bien commun, s'inspirant de la jus- 
tice, de la fraternité et du goût de la paix. « Elle fait 
naître toujours la prospérité, si le peuple, soumis à 
la loi de Dieu, s'accorde à conférer le pouvoir aux 
autorités naturelles, » c'est-à-dire aux plus capables et 
aux plus dignes. Le Play, loc. cit. Et aussi bien les 
montagnards suisses sont-ils profondément honnêtes 
et sauvegardés dans leur honnêteté par une religion 
convaincue et grave. Robert Pinot, loc, cit. 

Ainsi, le gouvernement direct du peuple par le 
peuple se réalise dans les petits États de vie simple, de 
médiocres affaires et de haute moralité. Il s'adjoint 
aussi bien une minorité de délégués ou de manda- 
taires. 

2« cas, — L'adjonction de cette minorité devient plus 
nécessaire encore, et sa fonction plus considérable, dés 
que la population devient plus dense, avec une vie plus 
compliquée, dans un pays devenu plus riche, par la 
culture, l'industrie et le commerce. Des intérêts plus 
nombreux et plus délicats sont à ménager, à promou- 
voir, à défendre; et leur discussion technique ou pru- 
dentielle dépasse les loisirs comme les capacités de la 
masse. Elle ne les connaît plus par elle-même que 
très en gros. C'est par l'effet de ces causes, que, dans 
les cantons de Berne, Fcibourg, Bâle, Genève, Zurich, 
des représentants assemblés se substituent à l'assem- 
blée générale. A Berne, le pouvoir législatif en entier 
appartient à un Grand Conseil, pour quatre ans aussi, 
et que préside un magistrat annuel. Mais cette part 
faite à la nécessité de spécialistes gouvernants, le 
peuple garde le contrôle des lois par voie de référen- 



dum : c'est le vote suprême sur leur rejet ou leur 
adoption. Grâce à la clause, introduite dans toutes les 
constitutions cantonales ou fédérales, le peuple suisse 
conserve le droit d'annuler purement et simplement 
les lois de ses représentants qui ne lui plaisent pas. 
Robert Pinot, loc. cit., p. 191 sq. Ces modifications 
nouvelles du régime démocratique nous permettent de 
distinguer un 2« cas : le gouvernement direct fait 
place à un gouvei*nement représentatif, dont le peuple 
retient le contrôle effectif par la clause de référendum. 
(Ne pas confondre celui-ci avec le plébiscite : le plé- 
biscite porte sur un homme, et non sur une loi; le 
plébiscite peut servir à se donner un César, mais le 
référendum demeure essentiellement un moyen de 
contrôle populaire.) 

5« c(u. — Puisque ce sont l'intensité du travail, l'ac- 
croissement de la richesse, la complexité des intérêts 
qui déterminent les institutions représentatives, nous 
verrons les minotités gouvernantes de députés, de fonc- 
tionnaires, de citoyens influents s'accroître considéra- 
blement dans les grands pays riches. Tout ce que le 
peuple y peut retenir, dans les affaires générales de la 
province ou de la nation, c'est le contrôle légal par voie 
de référendum, ou bien encore l'influence positive, 
comme celle que les Trade-Vnions exercent en Angle- 
terre sur la législation et dans le parlement, par la 
puissance combinée du nombre, de la compétence, et 
de l'action disciplinée. Ainsi, les grands États démo- 
cratiques ou qui vont se démocratisant, réalisent un 
3* cas de gouvernement par le peuple : indirect et re- 
présentatif, pour l'ordinaire, avec moyens légaux et 
reconnus d'action populaire. Le mouvement trade- 
unioniste aux États-Unis, Circulaire du Musée social, 
n. 10, série B, 29 juin 1897; Le Cour-Grandmaison, 
Le passé et V avenir des Trade- Unions. 

4« cas. — Enfin, dans tout état social et politique, 
compliqué ou simple, monarchique, aristocratique ou 
républicain, le gouvernement du peuple par le peuple 
se réalise aisément, utilement, pour les affaires inté- 
rieures des communes rurales. C'est un cas analogue à 
celui des cantons suisses forestiers et pastoraux. Partout, 
excepté en France, les paroisses et les communes for- 
ment des démocraties indépendantes. Le Play, La ré- 
forme sociale en France, t. m, p. 309, 310. La commune 
russe, ou le mir. Tikhomirov, La Russie politique et 
sociale, p. 113, 116; Stepniak, La Russie sou^ lei tsars, 
p. 6; A. Leroy-Beau lieu, Vempire des Tsars et les 
Russes, 2« édit., Paris, 1883, t. i, p. 476 sq. La commune 
rurale suisse (Jura Bernois). R. Pinot, Monographie 
du Jura bernois, dans La science sociale, 1887, t. m, 
p. 619 sq. — Allemagne (Lunebourg), E. Demolins, Le 
Bauer du Lunebourg, ibid., 1887, t. m, p. 585, 593. — 
Angleterre, Le Play, Constitution de V Angleterre, t. ii, 
c. Jii; La réforme sociale en France, t. ii, c. lv, lvi: 
cf. lvi; c. Boutmy, Le développement et la constitution 
de la société politique en Angleterre; Edward Jenks, 
Esquisse du gouvernement local en Angletertv., Paris» 
1902. — Norvège, Paul Bureau, Le paysan des fjords 
de Noi^'ège, dans La science sociale, 2» période, 
21» fascicule, p. 208, 211. 

Ces espèces variées de communes rurales présentent 
les caractères génériques suivants : 1» souveraineté de 
l'assemblée générale des habitants qui paient les 
taxes; 2» nomination et contrôle des agents communaux 
par l'assemblée; 3» extension des pouvoirs de l'assem- 
blée ou de ses mandataires aux intérêts locaux et soli- 
daires des familles domiciliées : chemins communaux, 
police des champs et endroits publics, dépenses du 
culte et de l'instruction primaire, assistance des indi- 
gents de la commune. Aucun de ces besoins ne dépasse 
la compétence qu'un paysan peut acquérir par la pra- 
tique journalière de son travail, de sa vie domestique 
et de ses relations avec ses voisins. Immédiatement 



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DÉMOCRATIE 



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intéressé à ce que les frais de ces divers services ne le 
surchargent pas, voyant de ses yeux ce qu'on lui donne 
pour son argent, il sera un émërite contrôleur de ses 
mandataires et de son budget, et le plus économique : 
il les sur%'eille gratuitement pour des motifs de bien 
propre. E. Guerrin, Les faux remèdes au mal social, 
dans La science sociale, 1887, t. m, p. 362. On re- 
trouve ainsi la démocratie directe, assistée de manda- 
taires élus, responsables et contrôlés, dans Tadminis- 
tration des communes rurales comme dans le 
gouvernement des petits États où la vie est simple. 

On constate en même temps le développement de la 
démocratie représentative, avec des mandataires élus, 
qui gouvernent eyi-mémes, plus ou moins contrôlés, 
à mesure que les États se compliquent par Taccroisse- 
ment de la population, de la richesse et des groupe- 
ments ou classes distinctes. En ce dernier cas, Tinfluence 
quotidienne des minorités au pouvoir, de Tadministra- 
tion, des partis,' peut arriver à supprimer dans la pra- 
tique le contrôle du peuple, si les moyens légaux lui 
sont refusés à cet égard et si sa formation dans la 
famille^ dans la commune, dans les associations pro- 
fessionnelles, ne l'exerce pas au contrôle de soi-même 
et de ses affaires. C'est dire que l'expression démocratie 
représentative exigerait encore bien des observations 
spéciales pour arriver à sa dernière précision. 

L'on voit par là qu'il faut prendre l'expression « gou- 
vernement du peuple par le peuple )> comme la for- 
mule très générale, très inadéquate, d'un ensemble de 
faits, diversiGés largement par espèces et variétés. Cette 
formule ne suffit que pour tracer une démarcation 
sommaire entre aristocratie, monarchie et démocratie. 
liais une notion précise, complète, scientifique de ce 
dernier régime ne peut s'acquérir que par l'analyse 
des types de sociétés et de gouvernements où, dans le 
concret, une commune, un canton souverain, un grand 
État se gouverne. Au prix seulement de ces observa- 
tions particularisées, on évitera ce que Le Play nom- 
mait c l'abus des mots » et c une phraséologie abru- 
tissante ». Malheureusement beaucoup de lettrés, de 
journalistes, de politiciens en donnèrent ou en donnent 
l'exemple, avec tant d'expressions d'un sens très res- 
pectable, mais employées sans discernement et sans 
précision! Démocratie est du nombre, avec liberté, 
égalité, progrès, esprit moderne, science moderne, civi- 
lisation. La reforme sociale en France, t. m, p. 906. 
Cf. L'organisation du travail, § 56-60. 

2» Le second sens du terme démocratie dérive du 
premier. Qu'un peuple vive en république ou en mo- 
narchie, du moment qu'il admet le suffrage universel, 
le peuple y participe au pouvoir. Dans un royaume ou 
dans un empire, un élément de démocratie politique 
s'introduit alors au milieu de la constitution. Son 
avènement noie en quelque sorte la minorité des élec- 
teurs censitaires, capacitaires ou privilégiés dans une 
masse bien plus considérable d'ouvriers ou de pay- 
sans : en 1848, le suffrage universel ajouta près de 
huit millions d'électeurs ouvriers et paysans aux deux 
cent mille censitaires de Louis-Philippe. Cet avène- 
ment politique, d'une part, et, de l'autre, les souffrances 
provoquées dans la classe ouvrière par les transforma- 
tions de l'industrie, popularisèrent l'idée de gouverne- 
ment au profit du peuple, ce dernier terme employé 
alors dans le sens particulier de la classe ouvrière. 
Associée au pouvoir par son droit de suffrage, cette 
multitude imposa le souci plus grand de ses intérêts à 
5es élus et à la presse. L'ancienne législation se mo- 
difia. Paul Bureau, Le contrat de travail, Paris, 1902, 
p. 209, 211; Ch. Benoist, L* organisation du travail, 
Paris, 1905, p. 9, 10. A l'avènement politique de la dé- 
mocratie, un mouvement d'opinion s'ensuit, qui ré- 
clame, étudie et provoque des mesures au bénéfice 
des travailleurs manuels : loi nouvelle sur les syndicats, 



assurances obligatoires contre les risques professionnels 
et accidents du travail, inspection des ateliers, lois sur 
l'hygiène des locaux et des habitations. A raison de 
l'inspirateur et du bénéficiaire de ce mouvement, qui 
est le peuple, cUisse ouvnère, tout ce mouvement social 
se qualifie démocratique. Dans ce nouveau sens, démo- 
cratie représente une fin spéciale de Vinitialive privée 
et de l'action gouvernementale. Au lieu de désigner 
un régime politique, ainsi que le veulent son étymologie 
et son sens propre, il ^'étend par analogie à un moU" 
vement social en faveur de la classe ouvfHère, Ce 
n'est plus 2v]{jLoxpaTta, ce serait plutôt i^r^itoçOîa. Tel 
est le sens où nous disons : des mesures démocratiques, 
des lois démocratiques; nous voulons dire : amies du 
peuple-ouvrier. Ce sens nouveau est devenu classique 
chez tous ceux qui s'intéressent au bien particulier 
des travailleurs manuels, soit de la campagne soit des 
villes. Fonsegrive, La crise sociale, p. 438, 440; 
Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, p. 248. Nous 
verrons tout à l'heure comment Léon XIII s'achemina 
vers ce sens nouveau dans l'encyclique Renim novty- 
rttm et le consacra définitivement à un usage chrétien 
dans l'encyclique Graves de communi. 

il. La compétence des théologieks au sujet de la 
DÉMOCRATIE. — Les analyses de termes et de faits qui 
précèdent nous montrent la démocratie, régime poli- 
tique, et la démocratie, mouvement social, comme deux 
faits naturels, qui relèvent de causes familiales, pro- 
fessionnelles, économiques, communales, gouverne- 
mentales, et qui se subordonnent essentiellement aux 
fins de la vie présente. C'est pourquoi la démocratie est 
étrangère de soi à Vobjet propice du théologien, qui 
est le surnaturel et la fin dernière. 

Un seul ordre de faits sociaux relève directement par 
soi de la théologie : les faits constitutifs de l'Église; et 
aussi bien, appartiennent-ils au dépôt de la révélation. 
C'est la Jérusalem nouvelle, dont le plan, même sur 
terre, est descendu de Dieu, tracé dans ses grandes 
lignes par Jésus-Christ et par ses apôtres. 

En revanche, nous constatons l'absence de tout en- 
seignement révélé sur la démocratie dans l'Écriture et 
dans la tradition. £t c'est pourquoi il n'en est pas 
question au cours du développement dogmatique réalisé 
par les Pères. 

Mais, à partir des scolastiques, la démocratie devient, 
au contraire, un objet d'étude qui retiendra l'attention 
des maîtres. Au xix* siècle, des papes. Pie IX et 
Léon XIII, lui donneront une place croissante dans les 
enseignements pontificaux. Voilà un double fait doc- 
trinal, un double fait catholique, en face duquel on se 
demande à quel titre les papes et les docteurs croient 
devoir s'occuper de la démocratie. 

Un régime politique, un mouvement social, ne se 
propage ou ne s'exerce pas, sans engager du droit ou 
de la violence, de la justice ou de l'injustice; sans se 
trouver non plus en sympathie ou en conflit avec les 
droits sociaux de l'Église. Ainsi, par des reperdissions 
morales ou religieuses, la démocratie intéresse l'Église 
et les théologiens. Telle est du moins la conclusion 
générale que nous suggère l'observation sommaire des 
faits. Aussi, devons-nous aller plus loin. Pour chacun 
des pontifes ou des docteurs qui se sont occupés de la 
démocratie, nous aurons à spécifier dans quelle situa- 
tion sociale, de sa personne, de sa fonction, de son 
milieu civil ou religieux, il dut ou non intervenir à 
propos de démocratie. 

On ne trouvera pas, néanmoins, dans cet article, des 
renseignements techniques et spéciaux sur les institu- 
tions et mouvements démocratiques, sinon dans la 
mesure où leur intelligence est nécessaire à expliquer 
les doctrines catholiques. Nous ne devons pas nous 
égarer ici dans le domaine réservé de la science poli- 
tique et sociale; mais cependant nous devons suflisam- 



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DÉMOCRATIE 



280 



menl y pénélrer. Un principe de méthode, un detfoir 
professionnel de théologien nous commande cette 
extension de compétence, afin de juger intelligemment 
et en équité, au point de vue chrétien, la démocratie. 
La probité de Tétude et la prudence du conseil l'exigent 
également d'un spécialiste de la morale; en s*occupant, 
à de telles fins, de faits apparemment profanes et tem- 
porels, le théologien ne sort pas plus de sa compétence 
dans les choses divines et de sa mission d'enseignement 
religieux, que saint Thomas n'en sort en étudiant à fond 
la théorie métaphysique de la nature et de la personne 
pour son traité de Tincarnation. Notre-Seigneur Jésus- 
Christ se continue moralement et socialement dans 
l'Église enseignante, étudiante et enseignée; et si, 
pour satisfaire à leurs diverses fonctions, les pouvoirs 
enseignants, les publicistes enseignés abordent le pro- 
blème moral de la démocratie et de ses rapports avec 
la vie catholique, ils demeurent aussi bien en commu- 
nion avec Jésus-Christ dans la pensée de son Église. 
S'ils quittent en apparence Jésus-Christ, pour s'occuper 
de démocratie communale ou de lois ouvrières, c'est afin 
de propager l'esprit de son Évangile dans ce que ces 
institutions doivent renfermer de juste et de fraternel. 

On aurait tort, ici, de reprocher au théologien quelque 
inutile complication de son caractère : il ne fait que 
son devoir dans les limites de sa compétence; car 
celle-ci doit annexer des renseignements de fait, histo- 
riques et sociaux, aux principes de foi révélée et de 
morale naturelle dont l'Eglise est dépositaire. 

Un lieu théologique de la plus haute valeur, un en- 
seignement pontifical réitéré et approfondi, nous cer- 
tifie la pensée de l'Église, à propos de cette compétence. 
Dans sa Lettre au ministre général des frères mineurs, 
Léon XIII écrivait, le 25 novembre 18d8 : « Plus que 
jamais c'est sur le peuple que repose en grande partie 
le salut des États. Aussi, étudier de prés la multitude, 
qui si souvent est en proie, non seulement à la pau- 
vreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes 
de pièges et de dangers; l'aider avec amour d'enseigne- 
ments, de conseils et de consolations, tel est le devoir 
des prêtres séculiers et des réguliers. Nous même, si 
nous avons adressé aux évèques nos encycliques sur 
la franc-maçonnerie, sur la condition des ouvriers, 
sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et 
autres du même genre, c'est surtout dans Vintérêt du 
peuple, afin qu'elles lui apprissent à délimiter ses 
droits et ses devoirs, à se diHger lui-même, à tra- 
vailler comme il convient à son propre salut, » On 
remarquera, dans ces dernières lignes, que Léon XIII 
ne voit aucune contradiction, pas même d'impossibilité 
pratique, dans l'idée d'un peuple qui se dirige lui- 
même, exactement conscient de ses droits et de 
ses devoirs. Et c'est la classe ouvrière qu'il vise 
directement. 

III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de 

LA démocratie au XII1« SIÈCLE. — /. LES DOCUMENTS. — 

1« Le Commentaire sur la Politique d*Aristote. — 
De nombreuses leçons concernent la démocratie dans 
les huit livres de commentaires édités sous le nom de 
saint Thomas. Mais ce n'est pas là qu'on peut absolu- 
ment reconnaître sa pensée personnelle. D'abord, il ne 
poursuivit lui-même la rédaction de cet ouvrage que 
jusqu'à la fin de la leçon vi» du 1. ÏII. Le reste est 
l'œuvre de Pierre d'Auvergne, un disciple fidèle, en 
qui, assurément, se retrouvent l'esprit et la méthode 
du maître, mais dont le texte, néanmoins, ne saurait 
engager l'opinion personnelle de saint Thomas. De 
Rubeis, Dissertationes criticœ in S, Diomam, 
diss. XXII, c. m, § 2. De plus, c'est seulement à partir 
de la leçon vi« au 1. III, que saint Thomas commente 
Ja division classique des trois formes de gouvernement. 
La plus grande partie de ses commentaires personnels 
sur le régime démocratique nous manque ainsi ; car 



Aristote en parle surtout dans les chapitres ou livres 
suivants. 

Du moins, possédons -nous la leçon vi<, et dans le 1. II« 
de précieuses observations sur la démocratie, à propos 
des constitutions de la Crète, de Carthage et de Lacédé- 
mone. Lect. xiu-xvi. Mais, on ne saurait oublier que 
l'originalité de saint Thomas,* commentateur d'Aristote, 
consiste précisément à s'efiacer en entier, pour établir 
une exégèse littérale du Philosophe, aussi objective que 
possible, sans trace de vues à soi, d'approbations ni 
d'improbations. Toute sa visée est de réagir contre 
l'exégèse sollicitante qu'il a blâmée chez Averroès et 
qu'il combat chez les disciples de Siger de Brabant. 
Mandonnet, Aristote et le mouvement intellectuel du 
moyen âge, Fribourg, 1899, p. 40, A raison de celte 
méthode particulière, deux conditions s'imposent dans 
l'usage des Commentaires sur la Politique, si l'on veut 
y retrouver les idées personnelles de saint Thomas : 
!• il faut que les doctrines formulées dans le Commen- 
taire se retrouvent explicitement dans quelque ouvrage 
où saint Thomas parle en son nom personnel ; ou bien : 
2o que les doctrines du Commentaire se reconnaissent 
incluses dans les siennes propres, par voie de causalité 
ou de conséquence. 

2« C'est dans la Somme théologique, que l'enseigne- 
ment de saint Thomas sur la démocratie se formule . 
surtout, sous forme d'une théorie générale des élé- 
ments démocratiques dans une constitution parfaite, 
I* II», q. cv, a. 1. Divers autres passages de la Somme 
doivent être aussi consultés : I* II*, q. xcv, a. i; q. xc, 
a. 3; II» II», q. LXi, a. 2. 

^ On ne doit pas oublier l'important opuscule De 
regimine principum. C'est un cours de morale à 
l'usage des rois, dédié à celui de Chypre, Hugues II ou 
III de Lusignan. Malheureusement, de ses quatre livres 
saint Thomas ne rédigea lui-même que le l^ et le II« 
jusqu'à la moitié du c. iv, opportunum est igitur. De 
Rubeis, Dissertationes, diss. XXII, c. i, § 3. Le reste 
est de Tholomée de Lucques, un disciple, dont le 
travail constitue un document ancien et curieux de la 
sociologie dans l'école thomiste. Quant aux chapitres 
écrits par saint Thomas lui-même, la méthode compa- 
rative qu'il affectionne lui fournit l'occasion d'intéres- 
sants parallèles où figure la démocratie. Pas plus que 
dans la Somme, d'ailleurs, il ne s'arrête à l'étudier 
pour elle-même et à fond. 

i/. SIMPLE DÉTAIL DANS UNE ŒUVRE ENCVCWPÉ- 

DIQUE, — Elle vient au contraire comme un simple 
détail, dans une vaste encyclopédie théologique, où de 
nombreuses questions morales sont abordées. A propos 
des divers états de la vie chrétienne, l'obligation du 
travail manuel est démontrée, II» II», q. clxxxvii, a. 3; 
à propos de vol et de rapine, les fondements du droit 
de propriété sont établis, II» II», q. lxvi, a. l, et le 
droit particulier à la propriété individuelle est justifié 
parallèlement au régime de la communauté, a. 2. Dans 
le traité de la foi, à propos de Vinfidelitas ou incroyance 
des non-baptisés, les problèmes des relations civiles 
avec les Juifs ou les infidèles, des mesures coercitives 
ou défensives contre eux, des droits de souveraineté ou 
de patronat qu'ils peuvent avoir sur les chrétiens, de la 
tolérance de leurs rites en pays catholique, du non- 
baptême de leurs enfants malgré eux, sont discutés et 
résolus. II» II», q. x, a. 8-12. Dans le traité de la 
charité, les problèmes de la guerre étrangère et 
de la révolte civile sont également examinés. II» II», 
q. XL, XLii. Une morale sociale très achevée, sensiblement 
au point de l'époque et du milieu, pourrait s'extraire de 
la Somme, ainsi que du Commentaire sur les IV livret 
des Sentences, où, à propos du mariage, il est longue- 
ment traité de la famille et de l'éducation. Telle est le 
vaste ensemble doctrinal, où, en son lieu, le problème 
de la démocratie nous apparaît amené. De sobres déve- 



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DÉMOCRATIE 



282 



loppements, très généraux, mais substantiels, attestent 
pour lui, comme pour les autres, la double préoccupa- 
tion d'être complet et d'être rapide dans un travail 
avant tout synthétique. Il fallait, en effet, que la pensée 
des théologiens eût déjà fait comme le tour du monde 
moral et de la société humaine, pour s'arrêter à tous 
ces éléments divers de la vie collective. Les Pères, 
spécialisés 'plutôt dans* les questions particulières qui 
se soulevaient tour à tour sur la trinité, l'incarnation, 
la rédemption ou la grâce, ne pensaient pas encore à 
ces grandes projections des principes moraux sur les 
détails de la vie sociale; ou du moins, s'ils y pensaient 
pratiquement, comme évéques ou comme homélistes, 
prêchant sur la propriété, l'esclavage ou le mariage, ils 
ne vivaient pas encore dans le milieu spéculatif des 
universités et des Sommes. 

m. COMPARAISON DE LA DÉMOCRATIE AVEC LES 

AUTRES RÉGIMES, — C'est en savant que saint Thomas 
aborde cette délicate comparaison, avec une impartia- 
lité tranquille, aussi libre de toute passion, que s'il 
s^agissait de la matière ou des figures du syllogisme. La 
supériorité du régime monarchique et de son principe 
â l'état pur, lui apparaît dans l'unité de direction qu'il 
impose à la société : elle lui est naturelle, tandis que 
dans les régimes polyarchiques, elle s'opère laborieuse- 
ment, et plus laborieusement dans la démocratie que 
dans l'aristocratie. Â ce point de vue de l'unité, saint 
Thomas r^arde donc la démocratie comme le plus 
imparfiiit des régimes. De reg. princip., 1. 1, c. ii. Il est 
pour le moins un par essence. Cf. I^, q. cm, a. 3; 
II» II«, q. L, a. 1, ad 2»»; Cont. gent., 1. I, c. XLii. 

Mais au point de vue des abus possibles dans chaque 
forme de gouvernement, « la royauté n'est la meilleure 
de toutes que si elle n'est point corrompue; or, en 
vertu de la grande puissance qui est accordée au roi, 
aisément la royauté dégénère en tyrannie, à moins que 
le potentat ne soit doué d'une parfaite vertu... Mais la 
parfaite vertu se trouve en bien peu d'hommes. » Coni" 
ment, in libros Ethicorum, 1. X, lect. viii; Suni, theoL, 
I» II», q. cv, a. 1, ad 2«». Et c'est pourquoi saint Tho- 
mas préfère une monarchie où des pouvoirs appropriés 
tempîèrent celui du roi. De reg. princip., 1. I, c. vi. 
C'est que la tyrannie d'un seul est le pire des mauvais 
régimes : « Sous un régime injuste, plus il y a d'unité 
dans le pouvoir, plus le pouvoir est malfaisant. La 
tyrannie est donc plus dangereuse qu'une aristocratie 
corrompue, ou oligarchie, et celle-ci, plus dangereuse 
que la démocratie. De tous les mauvais régimes, la 
démagogie est le plus supportable, et la tyrannie, le 
plus nuisible. « Ibid., 1. 1, c. m. Dans une démagogie, 
an moins, si la multitude pauvre opprime les riches par 
la force du nombre, du moins vise-t-elle au bien d'un 
plus grand nombre, tandis que dans une oligarchie, 
c'est le bien d'une minorité, et dans une tyrannie, le 
bien d*un seul qui prime tout. Ibid, Cf. c. vm. 

Malgré leur infériorité à promouvoir l'union, une 
aristocratie ou une démocratie intéressent davantage 
les citoyens au bien commun : t II arrive souvent que 
les hommes vivant sous la domination d'un roi travail- 
lent peu pour le bien commun, persuadés d'avance que 
tout ce qu'ils feraient dans l'intérêt général ne leur 
serait point rapporté et tournerait â l'honneur de celui 
qui a le monopole de cet intérêt. Mais, quand on voit 
le bien commun ne pas dépendre d'un seul, chacun 
s'applique â le promouvoir, non pas comme si c'était 
le bien d'un autre, mais comme le sien propre. Aussi 
a-t-on pu constater expérimentalement qu'une ville 
gouvernée par des magistrats dont l'autorité n'est 
qu'annuelle, est parfois plus puissante qu'un roi en 
possession de trois ou quatre cités. De plus, de faibles 
charges imposées par des rois sont supportées avec 
beaucoup plus d'impatience que des charges plus lourdes 
imposées par la communauté des citoyens : on l'avait 



déjà remarqué au temps de la République romaine, a 
De reg, princip., 1. I, c. m. Cf. Crahay, La politique 
de saint Thomas d'Aquin, Louvain, 1896; H. P. Mon- 
tagne, 0. P., La pensée de saint Thomas sur les 
diverses formes de gouvernement, dans la Revue tho- 
miste, janvier et juillet 1901 ; janvier et juillet 1902. 
Ce n'est donc pas un partisan de tel ou tel régime, que 
nous rencontrons chez saint Thomas, mais un critique 
impartial des avantages et des inconvénients inhérents 
au principe ou à l'abus de chacun. Cette liberté d'esprit 
explique bien la préférence finale du moraliste pour un 
régime tempéré, où les trois formes de gouvernement 
interviendraient chacune dans une certaine mesure : 
est etiam aliquod regimen ex istis commixtum, quod 
est optimum, Sum. theol., I* II», q. xcv, a. 4. 

IV. LES ÉLÉMENTS DÉMOCRATIQUES DE LA CONSTITU- 
TION PARFAITE. — Sum. theol, la II», q. cv, a. 1. 
« Relativement à la bonne ordonnance des pouvoirs 
dans une cité ou une nation, deux choses sont à consi- 
dérer : 1® Que tous aient quelque part dans le gouver- 
nement. Par là se conserve la paix du peuple : tout le 
monde aime et soutient l'ordre ainsi établi, comme le 
- dit Arislote, Politique, 1. II, c. vi, § 15. — 2o II faut consi- 
dérer de quelle espèce est le régime existant, la hiérar- 
chie des pouvoirs. Il s'en rencontre de plusieurs sortes; 
mais comme le dit Aristote, Politique, l. III, c. v, § 2, 
4, les principales sont : l» la royauté, gouvernement 
d'un seul, conformément à la vertu ; 2^ l'aristocratie, 
gouvernement des meilleurs, confié à un petit nombre 
pour l'exercer d'après la vertu. Par suite, la meilleure 
constitution dans une cité ou dans un royaume existe, 
là où un seul est promu selon la vertu, pour qu'il 
préside à tous, en même temps que, sous lui, d'autres 
gouvernent selon la vertu. Et aussi bien, ce gouver- 
nement appartient à tous, parce que tous peuvent être 
élus aux charges d'après le suffrage de tous. Telle 
est la meilleure constitution : bien composée de royauté, 
en tant qu'un seul préside; d'aristocratie, en tant 
que beaucoup gouvernent selon la vertu; enfin de 
démocratie, en tant que les gouvernants peuvent être 
choisis parmi le populaire et qu'au peuple appartient 
l'élection des gouvernants. » 

Ce plan de constitution fait une large part aux élé- 
ments démocratiques : 1® par le principe du suffrage 
universel; 2« par le principe des charges électives, y 
compris la suprême. Saint Thomas dissocie donc là le 
principe monarchique du principe dynastique : le prin- 
cipe monarchique est sauf pour lui, du moment que 
représenté par un individu qui gouverne vraiment en 
chef, bien qu'assisté de conseils et contrôlé. Ce n'est 
plus le monarque absolu, seul délenteur de tous les 
pouvoirs; ni le monarque constitutionnel ou le prési- 
dent électif, simples chefs de l'exécutif, avec un parle- 
ment souverain. On fausserait la pensée de saint Tho- 
mas, en voulant la réduire à l'échelle et au type de nos 
régimes modernes; il faut la voir dans sa réalité ori- 
ginale, en dehors de nos classements actuels. S'il regarde 
un monarque comme l'un des éléments nécessaires de 
la parfaite constitution, c'est un monarque électif, 
entouré de conseillers et d'agents élus, et sorti comme 
eux tous du suffrage universel. L'élite gouvernante et le 
chef suprême sont d'origine et de facture démocratique. 

V, LES RAPPORTS DE CETTE THÉORIE AVEC LE MILIEU 
INTELLECTUEL, POLITIQUE, RELIGIEUX OU VIVAIT SAINT 

THOMAS, — i° Le milieu intellectuel de saint Thomas 
le mettait en contact intime, prolongé, avec un Aristote 
étudié critiquement. Mandonnet, Anstote et le mouve^ 
ment intellectuel du moyen âge, p. 63, 65. Aussi, après 
son long et méritoire effort d'abnégation personnelle 
dans l'analyse et dans l'exégèse de la Politique, saint 
Thomas se revanche en véritable philosophe, dans une 
sorte de vigoureux triage, analogue à celui qu'il opère 
dans la Métaphysique du Stagyrite. Il a trouvé chez ce 



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DÉMOCilATIE 



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dernier une conception de la société politique essen- 
tiellement modelée sur la cité grecque, celle-ci érigée 
en idéal humain, avec la nation, société pour barbares, 
comme son repoussoir, de nature étrangère et de qua- 
lité Inférieure. Politique, 1. I, c. i, iv (alias vu). Pour 
saint Thomas, au contraire, la cité ne constitue qu'une 
variété des sociétés politiques, sur le même rang que la 
nation. Sum. theoL, I» II», q. cv, a. 1. L'expression 
même de civitas se dépouille de tout sens urbain, 
pour désigner en général « la communauté parfaite )» ou 
société politique. Ibid., q. xc, a. 2, 3, ad a»"». Cf. Poli- 
tic, 1. I, lect. I. On se rend compte aisément du genre 
d'observations qui provoquaient cet élargissement du 
terme civitas et cette rétrogradation de la cité sur le 
même rang que la nation. Au lieu de vivre comme 
Âristote dans le monde grec, saint Thomas vit dans une 
Europe où des nations se constituent. Et puis, dans le 
passé, le spectacle de la nation juive l'impressionne 
aussi : c'est elle qui lui donne sujet de formuler sa 
théorie sur le meilleur gouvernement soit des cités soit 
des nations. Suni, theoL, II* II», q. cv, a. 1. 

L'indépendance de saint Thomas à user d'Aristote 
s'affirme encore dans la manière dont il entend la 
maxime de ce dernier : « que tous aient une part dans 
le gouvernement. » Âristote l'entend de la totalité des 
bourgeois à l'aise, non-ouvriers, ni artisans, ni paysans. 
Politic, 1. III, c. ni, § 2, 3; 1. IV (ou VII), c. vin, § 2- 
Saint Thomas ne pose aucune de ces exclusions : le 
populus et les populares représentent pour lui la mul- 
titude entière. Sum. theol., II» II», q. cv, a. 2. Il insiste 
sur le droit de tous comme électeurs et comme éli- 
gibles : certaines institutions de Moïse, Deut., i, 13, 15; 
Exod., xviii, 21, lui semblent bien réaliser son t^'pe : 
principes cusuniebantur ex toto populo et etiam popu- 
lus eos eligcbat, Sum. theol., II* II», q. cv, a. 1. A noter 
cependant les privations de droits civiques pour cause 
d'âge ou de sexe . Les femmes et les enfants, dit saint 
Thomas, sont a demi citoyens par le droit d'habitat, 
mais ne le sont point absolument, puisqu'ils manquent 
du droit de suffrage. Ibid., a. 3, ad i""', 2">°. 

En 3" lieu, Aristote considère la cité comme l'œuvre 
humaine par excellence; c'est pour lui la meilleure et 
la plus divine des fins à laquelle un individu puisse et 
doive se subordonner. En conséquence, l'individu lui 
appartient comme la partie au tout qui le fait être et 
qui lui parachève son bien. Politic, 1. I, c. i, § 11-13. 
« C'est une grave erreur — déclare le Stagyrite — de 
croire que chaque citoyen est maître de lui-même : ils 
appartiennent tous à la cité, puisqu'ils en sont les élé- 
ments, et que les soins donnés aux parties doivent 
concorder avec les soins donnés au tout. » L. V (ou VIII), 
c. I, § 2. Aussi est-il « de toute évidence » pour Aris- 
tote que a la loi doit régler l'éducation et que celle-ci 
doit être publique », c'est-à-dire nécessairement une 
et uniforme pour tous, comme à Lacédémone. Or, 
saint Thomas pense au contraire que l'éducation appar- 
tient à la famille, tout aussi bien que l'entretien phy- 
sique. Les enfants doivent achever de se faire hommes 
dans le milieu familial, sicut in quodani spintuali utero. 
C'est de droit naturel, c II serait contre la justice que, 
avant l'âge de raison [où il devient son maître et dispose 
de soi], l'enfant fût enlevé aux soins de ses parents ou 
bien que Ton ordonnançât à son sujet des mesures con- 
traires à ce qu'ils veulent. » Sum. theol., II* II«, q. x, 
a. 12. Néanmoins, des mesures légales peuvent devenir 
justes et nécessaires en matière d'éducation, si le bien 
public les requiert : l'enfant est un futur citoyen, que 
sa famille prépare à sa vie civique, non moins qu'à sa 
vie privée; en ce cas, le législateur agit sur l'éducation 
familiale et scolaire, œuvres privées en soi, par le 
moyen de ses droits sur leurs agents propres, pour le 
bien général de la justice et de la paix. Sum. theol., 
I* II», q. xcvi, a. 3. 



Saint Thomas reçoit donc seulement à correction le 
principe aristotélicien de la subordination du citoyen à 
la cité sous tout rapport, comme la partie au tout. Il le 
reçoit, d'une part, II* II», q. lviii, a. 5; q. LXi, a. 1; 
q. LXiv, a. 2, et c'est ce qui lui fait dire que l'homme 
tout entier se doit au bien de sa cité ou de son pays 
comme à sa fin. II* II», q. lxv, a.l. Mais, d'autre part, 
son pays ou sa cité lui doit son bien personnel : c'est 
la justice distributive déjà si bien décrite par Aristote. 
II* II», q. Lxi, a. 1-4; Ethic, 1. V, lect. iv sq. Or, le 
bien personnel de l'homme inclut deux sortes de 
droits dont l'objet constitue, pour saint Thomas, une 
fin supérieure aux droits mêmes de l'État : \^ les 
droits naturels de la personne humaine, contre les- 
quels aucune autorité, paternelle, patronale, royale, ne 
peut prescrire, sinon à titre de pénalité, en cas de 
fautes extérieures, et selon les limites propres du pou- 
voir qui s'exerce. II* II*, q. civ, a. 5. Cf. q. LXiv, a. 2, 
3, 5; q. lxv, a. 1, 2. — 2» La cité n'a pas prise non plus 
sur les droits religieux et surnaturels du citoyen, 
parce que « si le bien de la chose publique est le pre- 
mier des biens humains, le bien divin est supérieur à 
tout bien humain. » II* II», q. cxxiv, a. 5. De là, une 
conclusion thomiste qui eût fait sursauter le philosophe : 
Homo non orditiatur ad communitaleni politicani 
secunduni se totuni et secundum omnia sua. I* II*, 
q. XXI, a. 4, ad 3"'". 

Ce respect de la personne et de ses droits naturels 
est inconnu des Grecs, de même que la notion de la 
personne, confondue implicitemeut avec celle du sin- 
gulier et de l'individu. Mais les controverses trini- 
taires et christologiques amenèrent les Pères d'abord 
et puis les scolastiques à dégager aussi nettement que 
possible la notion métaphysique de la personne. Tixe- 
ront, Des concepts de nature et de personne dans les 
Pères et les écnvains ecclésiastiques des v« et vi* siècles, 
dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses, 
1903, p. 582, 592; E. Uugon, 0. P., Les notions de 
nature, substance, personne, dans la Revue thomiste, 
1908, p. 753, 769. Bénéficiaire de cette lente élaboration, 
saint Thomas reconnaît la personne comme la réalité 
la plus parfaite dans toute la nature, puisqu'elle pos- 
sède et la nature raisonnable, qui est supérieure à . 
toute autre, et le mode suprême de l'existence, qui est 
d'exister par soi. Sum. theol., I*, q. xxix, a.3; Qurnslio- 
nés disputatsR, De potentia, q. ix, a. 3. Elle possède 
la propriété d'agir par soi, conséquemment à son 
mode d'existence. De potentia, q. rx, a. 1, ad 3'»'", 
conséquemment aussi elle vit pour soi, se gouverne ou 
est gouvernée pour soi, c'est-à-dire pour le bien de la 
nature qu'elle possède, comme pour sa vraie fin. Cont. 
gentes, 1. III, c. cxii. De là, le rigoureux devoir qu'a 
rÉtat de procurer à chacun des particuliers, selon sa 
nature et son mérite, les avantages du bien commun, 
d'après les formes propres à chaque type de gouver- 
nement. Dans une démocratie, ce sera la liberté. Sum. 
theol., II» II», q. LXI, a. I. 

Ce sont là, il est vrai, des considérations éparsesdans 
l'œuvre de saint Thomas, et dont il ne fait guère qu'un 
usage métaphysique. Il n'a pas beaucoup développé leurs 
conséquences morales et civiques; mais néanmoins, sa 
notion de la personne demeure comme sous-jacente dans 
les réserves qu'il pose aux doctrines d'Aristote sur la to- 
tale appartenance du citoyen à la cité, dans sa notion si 
ferme des devoirs de celle-ci envers les pei'sonnes 
privées. Aristote est un communautaire absolu; saint 
Thomas introduit dans l'aristotélisme un élément de 
particularisme, qu'il doit intellectuellement à sa notion 
métaphysique de la personne humaine et de ses droits 
naturels, et à sa notion de la fin dernière surnaturelle. 
Pour Aristote, c'est la cité qui est la fin de l'individu; 
pour saint Thomas, c'est le bien de la personne hu- 
maine, naturel et surnaturel, qui est la fin de la cité. 



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DÉMOCRATIE 



286 



Ici le milieu chrétien, où se développe la pensée scolas- 
tique, réagit sur les .doctrines que celle-ci emprunte au 
milieu hellénique; sans nier qu'à certains égards, le 
citoyen ne doive se subordonner au bien de la cité 
comme au bien de son tout et à une véritable fin, 
saint Thomas aperçoit de plus hautes fins auxquelles 
la cité même doit se subordonner pour le bien de 
rhomme et du chrétien. 

2« Dans le milieu politique du xrii« siècle, ce ne sont 
pas des modèles adéquats qu'on peut retrouver, comme 
donnant corps aux vues de saint Thomas sur les élé- 
ments démocratiques de la constitution parfaite. Cepen- 
dant, à côté des dynasties royales et des familles aristo- 
cratiques installées dans toute l'Europe, une démocratie 
véritable se réalise dans le mouvement communal, pré- 
cisément au xiip siècle. Les premiers citoyens des 
villes sont des artisans et des marchands, à qui la 
communauté des intérêts, du voisinage et des dangers 
fit conclure des alliances. « Partout au x« et xi« siècle, 
on les trouve unis dans les Ghildes, et partout ces 
Ghildes bourgeoises sont confondues avec la commune; 
lautorité de la Ghilde est celle de la cité: à Londres, la 
Ghilda mercatona, à Cologne, la Richerzecheit, à Pa- 
ris, les mercatores aquss, en Flandre, les Geschlechten. 
Ce sont les génies, les lignages, les patriciens de 
naissance. Investis du monopole du pouvoir, ils de- 
viennent arrogants et s'érigent en aristocratie fermée. 
Mais Us ne sont plus seuls. Ils ne constituent plus 
toute la cité politique; des parvenus se sont établis à 
côté d'eux, se sont enrichis et ont formé de nouvelles 
Ghildes qui égalent les anciennes en richesse et en con- 
sidération qui revendiquent leur part d'autorité et 
d'honneurs. En Angleterre, en Allemagne, en Flandre, 
les rivalités éclatent. En général, la lutte finit par une 
transaction : les nouvelles Ghildes obtiennent leur 
place au conseil de la cité. Le patriciat bourgeois, qu'on 
peut en quelque sorte considérer comme la fusion de 
la propriété et du capital dégagés des liens féodaux, est 
constitué sous sa forme définitive. Mais cette classe 
dirigeante abuse de sa puissance, se complaît dans l'oi- 
siveté, fait des règlements pour exclure de la vie corpo- 
rative ceux qui « ont les mains sales et les ongles noirs 
ou qui crient leurs marchandises dans la rue ». A mo- 
sure que la richesse publique s'accroit, l'antagonisme 
des classes et des intérêts s'accuse davantage. Partout, 
au XIII* siècle, un troisième élément, le travail, entre 
en scène et se dresse contre les Ghildes patriciennes. 
Prenez Paris ou Londres, Gand ou Bruges, Bruxelles 
ou Cologne, Francfort ou Augsbourg, les travailleurs 
écrasés ou méprisés par la bourgeoisie ont pour bou- 
clier le droit corporatif et, imitant l'organisation qu'ils 
avaient sous les yeux, forment des unions pour la pro- 
tection du travail. Ces plébéiens ne demandaient pas le 
partage des biens, ils ne déclaraient pas la guerre au 
capital dont ils se servaient eux-mêmes. Ils combattaient 
pour Végalité politique, pour la participation aux 
affaires publiques, et s'ils voulaient intet^enir dans le 
gouvernement, c'était pour garantir leur gagne-pain 
et leur indépendance contre V oppression des hautes 
classes,,. Ce qui domine dans cette lutte séculaire et 
dans l'accession graduelle des petites gens au droit 
corporatif, c'est, au milieu de la violence des passions 
et malgré le choc furieux des partis, la modération des 
prétentions populaires. » Prins, La démocratie et le 
régime représentatif, Bruxelles, 1888, p. 51, 57. De ce 
mouvement résultait une large part de la démocratie 
au gouvernement d^ communes libres ou souveraines, 
a l'élection des conseils, maires, bourgmestres, syn- 
dics; parfois même, comme à Augsbourg, deux bourg- 
mestres, l'un patricien et l'autre plébéien, représen- 
taient la transaction entre le peuple et les nobles delà 
cité. Prins, p. 91, 95, 101. Cette puissante action de la 
classe ouvrière sur le gouvernement des villes attire 



manifestement l'attention de saint Thomas dans le passage 
du De regimine principum, où il invoque l'expérience 
des municipes, régis par des magistrats annuels, 1. I, 
c. III. C'est là que se réalisait l'application de tous aux 
intérêts communs et ce support allègre des charges 
publiques, même lourdes, par où, selon saint Thomas, 
le gouvernement populaire l'emporte sur le gouverne- 
ment royal. Il n'est donc pas téméraire de conclure à 
une réelle influence du mouvement communal et de sa 
poussée démocratique au xiii« siècle, sur le vœu de 
saint Thomas que tout le monde participe au pouvoir. 
Cf. Perrens, Histoire des tendances démocratiques 
dans les populations urbaines au xrv^ siècle, Paris, 
1873. 

3® Des observations, des expériences plus intimes 
s'aperçoivent encore à l'origine de ces idées. Dans les 
couvents dominicains où vivait saint Thomas, l'institu- 
tion monarchique du prieur conventuel, du provincial, 
du maître général de tout l'ordre ; l'institution aristo- 
cratique des conseils de couvent ou de province, des 
chapitres provinciaux ou généraux se tempéraient 
d'éléments démocratiques: élection des prieurs con- 
ventuels par les religieux prêtres et profès ; adjonction 
de ces derniers assemblés en chapitres conventuels, 
pour sanctionner certains votes importants des conseils ; 
élection de députés des couvents aux chapitres provin- 
ciaux, par les religieux de chaque maison. Lacordaire, 
Vie de saint Dominique, c. viii; R. P. Mortier, 0. P., 
Histoire des maîtres généraux de V ordre de saint Do- 
minique, 1. 1, p. 77, 82. Les frères prêcheurs appliquaient 
là une tendance générale de la vie religieuse en Occi- 
dent, à l'organisation particulière de leur régime. Des 
principes analogues se retrouvent aussi bien dans cette 
sorte de domaine complet et de cité autonome qu'est 
l'abbaye bénédictine. Dom Cabrol, Bénédictins, dans 
le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, t. ii, col. 666. 
« Le régime qui est supposé par la règle [de saint Be- 
noit] ne répond pleinement à aucun des qualificatifs 
que nous donnons à un gouvernement absolu, ou 
représentatif, monarchique ou démocratique. Par le 
pouvoir très étendu donné à l'abbé, il est fortement 
monarchique; par le droit donné à tous d'élire leur 
chef, d'avoir une voix au conseil, d'être éligible à toutes 
les fonctions, ce régime apparaît démocratique. Les 
seniores et les decani ont cependant une autorité spé- 
ciale et représentent, si l'on veut, un élément de gou- 
vernement oligarchique. La règle, à laquelle tous 
doivent obéissance, in omnibus omnes magistt^am 
sequuntur regulam, peut être considérée comme la 
charte d'un régime constitutionnel. » D. Cabrol, loc. 
cit., col. 669. Monastiques donc ou canoniales, les 
habitudes et les maximes de la discipline religieuse 
favorisaient positivement l'idée de ce gouvernement 
tempéré, où saint Thomas fait sa place à la démocratie 
par le suffrage et Téligibilité également universels. Sa 
théorie de la constitution parfaite cadre aussi bien avec 
ses souvenirs du Mont-Cassin où il fut élevé et ses 
habitudes dominicaines, qu'avec ses observations sur 
le mouvement communal. Au lieu de ces a réminis- 
cences j> et de ces a pièces rapportées », que Paul Janet 
croit retrouver seules dans les doctrines politiques de 
saint Thomas, nous retrouvons ici des expériences et 
des observations à l'appui de vues originales et person- 
nelles. Cf. Paul Janet, Histoire de la science politique 
dans ses rapports avec la morale, Paris, 1872, t. i, 
p. 435. 

VI, VALEUR PRATIQUE ET MORALE DE LA DOCTRINE 

THOMISTE. — La politique d'Âristote unissait des vues 
et des doctrines de philosophie morale à des observa- 
tions et à des analyses de science sociale et politique : 
on y trouve des monographies de la constitution Spar- 
tiate, carthaginoise ou Cretoise, à côté de théories sur 
les vertus du citoyen. La Somme de saint Thomas et le 



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DÉMOCRATIE 



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De regimine principuni abandonnent les points de 
vue descriptifs, monographiques et concrets, de la 
science positive, pour s'en tenir aux considérations 
morales. Dans cet ordre de pensées, trois sciences par- 
ticulières, purement philosophiques, intègrent la mo- 
rale humaine : monasttca, la science de la morale 
individuelle; œconomica, la morale domestique; poli- 
tica, la morale civique. Eihic,, 1. 1, lect. i, § Sic ergo 
moralis philosophia.,. jusque muUitudo civilis qum 
vocatur polilica. Mais les vertus et les devoirs qulm- 
posent ces trois morales — n'en faisant qu'une au 
fond — sont ramenés dans la Somme de théologie au 
cadre général des lois, des vertus, des états de la vie 
chrétienne; et c'est ainsi que l'esquisse d'une consti- 
tution parfaite appartient au traité des lois et prend 
occasion de vues rétrospectives sur la loi de Moïse et 
la constitution du peuple hébreu. 

C'est pourquoi les vues de saint Thomas sur les élé- 
ments démocratiques de la constitution parfaite 
planent surtout dans la région de l'idéal et du désirable : 
il ne se demande pas à quel royaume ou à quelle cité 
de son temps son esquisse de constitution pourrait 
bien convenir. Abstraction faite, au contraire, des con- 
tingences particulières, des exigences pratiques ici ou 
là, il considère la démocratie d^nâ l'hypothèse de son 
fonctionnement normal, avec les devoirs qu'elle impose 
à la multitude. C'est ne sortir du réel que pour y ren- 
trer de très haut, en rappelant à tous qu'une démo- 
cratie fonctionne bien dans la mesure où le suffrage 
universel et ses élus opèrent selon la vertu, Secundum 
virtutem : l'expression revient jusqu'à cinq fois dans 
l'art. 1« de la q. cv. 

Et, en effet, Aristote observait que dans un régime 
où le citoyen fait acte de prince, lorsqu'il vote, délibère, 
légifère, juge un procès ou administre une charge, et 
acte de sujet, lorsqu'il reçoit une loi ou une sentence, 
les vertus personnelles et les vertus domestiques ne 
suffisent pas. Il faut les vertus politiques : de la pru- 
dence, de la justice, non plus seulement pour son bien 
propre et pour celui de sa maison, mais encore dans 
la poursuite et le maintien du bien public. Politique, 
1. II£, c. I. Saint Thomas commente cette morale ci- 
vique avec sa précision et son exactitude habituelles, 
lect. I, et Ethic., 1. VI, lect. vu. De là s'inspirent ses 
articles sur la prudence politique. Suni, theol., 1I<^ II^^, 
q. L, a. 1, 2. Dans le citoyen qui fait acte de gouver- 
nement, il faut donc la prudence d'un législateur et 
d'un roi, et de la prudence encore, dans le citoyen qui 
obéit, avec, de part et d'autre, une justice appropriée. 
Sum, theol., Il* II», q. l, a. 1, ad !"•»; In IV Sent,, 
dist. XXXIII, q. m, a. 1, q. iv. 

Cette ferme doctrine sur les vertus civiques nous 
donne la raison de l'insistance que met saint Thomas 
à inculquer les dictées de la vertu aux électeurs et aux 
élus du peuple. Aucun gouvernement n*a besoin d'une 
moralité plus générale et mieux équilibrée de justice 
et de sagesse, que celui où chaque citoyen fait tour à 
tour acte de prince et de sujet. Telle est l'utilité des 
considérations métaphysiques où il semble d'abord que 
saint Thomas se perde à d'incommensurables distances 
de la réalité : de la hauteur où il s'élève, il voit à fond 
que la démocratie ne gouverne pas bien sans une mora- 
lité tout à la fois très diffuse dans la masse des élec- 
teurs et très profonde dans le corps élu des gouvernants. 
Elle réclame une aristocratie morale et un peuple assez 
sage, assez bon pour la mettre au pouvoir. 

IV. Savonarole : le problème pratique de la démo- 
cratie À Florence au xv« siècle. — Réformateur moral 
et conseiller politique des Florentins, Savonarole inter- 
vint comme arbitre dans les débats de leur Seigneurie 
sur l'organisation du gouvernement qui succédait aux 
Médicis expulsés. L'assemblée constituante hésitait 
entre une oligarchie comme à Venise, et le retour aux 



anciennes formes démocratiques de Florence elle-même. 
Vespucci et Soderini, citoyens influents, jurisconsultes 
autorisés, représentaient les deux tendances. C'est ainsi 
qu'en temps de révolution, le problème de la démocra- 
tie se posait, non plus en théorie comme à l'époque de 
saint Thomas, mais en fait. Savonarole fut prié de 
s'adjoindre aux délibérations de la Seigneurie, et d'après 
Guichardin, Storia fiorentina, c. nu; Storia d'Ita- 
lia, 1. II, le Frate assura le succès aux partisans de 
la démocratie. Villari, Histoire de Savonarole, trad. 
G. Gruyer, Paris, 1874, t. i, p. 357. 

Il développa ensuite ses doctrines dans une série de 
tracts : Trattati circa il regginiento e govemo delta 
Città di Firenze. A la requête de la Seigneurie, ces 
opuscules furent composés en toscan, pour une plus 
large diffusion. La langue du peuple et des politiques 
s'imposait à ces écrits de circonstance et de but pra- 
tique, au lieu de la langue des clercs et des écoles. Mais 
le théologien et le thomiste se retrouvent dans le vul- 
garisateur. A une situation concrète, actuelle, les Trat- 
tati appliquent des principes de philosophie sociale 
que la Somme de théologie expose dans l'abstrait ou ne 
considère appliqués que dans un lointain passé. 

Savonarole estime d'abord avec saint Thomas que la 
monarchie est en soi le meilleur des gouvernements : 
plus il y a de gens qui commandent parmi une société, 
plus il y a sujet à disputes et à partis. Et donc, si la 
démocratie est bonne, l'aristocratie est meilleure, la 
monarchie excellente : un seul chef réunit et pacifie 
tout le monde, soit par crainte, soit par amour. Dans le 
fait, néanmoins, il y a des peuples qui vivent mieux 
sous le régime aristocratique et d'autres qui sont mieux 
faits pour le régime démocratique. Us ne pourraient 
garder un roi sans des inconvénients majeurs et into- 
lérables. Trattato 1, c. ii. Tel est, d'après Savona- 
role, c. III, le cas de Florence, pour deux raisons : le 
caractère de la population et des coutumes invétérées. 
Ici, le réformateur ne s'en tient plus aux considéra- 
tions morales, aux principes et aux thèses de droit natu- 
rel qui sont le propre du philosophe et du théologien; 
il s'engage dans l'examen d'une situation concrète, 
appréciable par les historiens et par les politiques. 
Aristote avait opposé l'esprit républicain des Grecs à 
l'indolence servile des Asiatiques, Polit., 1. IV (ou Vil), 
c. VI, 1 ; 1. III, c. IX, 3 ; Savonarole oppose de même l'esprit 
républicain des Italiens, et notamment des Florentins, 
à la docile sujétion des popoli aquilonari. Robustes et 
sanguins, ces derniers lui apparaissent dépourvus d'in- 
géniosité, braves soldats et humbles sujets, monarchistes 
par simplicité d'âme; l'Italien, au contraire, lui appa- 
raît ingénieux, sanguin, audacieux, incapable de sup- 
porter un roi, si celui-ci ne le mate par la tyrannie» 
« Continuellement, les Italiens appliquent leur génia- 
lité à machiner des embûches contre leur prince, et 
leur audace les met à exécution, comme cela s'est tou- 
jours vu en Italie. Nous le savons, en effet, par Texpc- 
rience du passé comme par celle du présent : l'Italie 
ne put jamais durer sous le gouvernement d'un seul. 
Nous la voyons, petite province, partagée entre quasi 
autant de princes que de cités, et de princes qui n*ont 
jamais la paix. Et le Florentin est le plus génial des 
Italiens, le plus sagace dans ses entreprises, avec une 
vigueur et une audace qu'on n'attendrait pas d*un 
commerçant et dont ses guerres étrangères et civiles 
ont donné la mesure. » Trattato 1, c. m. 

A lire ces jugements sommaires sur la psychologie 
politique et le tempérament social des Florentins, on 
reconnaît un certain sens des faits et des réalités, assu- 
rément remarquable chez un spéculatif s'appliquant à 
l'action. Savonarole se rend compte que des principes 
abstraits sur les mérites respectifs de la monarchie, de 
l'aristocratie ou du régime populaire ne suffisent pas 
à résoudre le cas de conscience universel posé à Florence 



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DÉMOCRATIE 



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même par la révolution contre les Médicis. Nous ne 
trouvons plus ici le théologien pur ; il y a de plus le 
citoyen et le politique, avec une science et un art dis- 
tincts, soit de la morale naturelle, soit de la morale 
chrétienne. 

Néanmoins, un principe supérieur, d'essence morale 
encore, et bien chrétien toujours, guide Savonarole 
dans ces applications extra-théologiques : un principe 
de prudence civique. Il aperçoit très bien que si, théo- 
riquement, toutes les Irois formes de gouvernement 
sont en soi bonnes et possibles, et donc en soi choi- 
sissables; dans la pratique, une forme ici utile serait 
ailleurs nuisible. Le critère de son adoption ou de son 
rejet, c'est de répondre ou non aux capacités et à la 
formation des citoyens. En face d'elle, la liberté hu- 
maine ne jouit pas d'un pouvoir illimité et arbitraire; 
elle se trouve liée par un devoir de choix approprié à 
la nature du peuple : Li homini savii e prudenli H 
guali hanno ad instituire qualche govemo pnmo con- 
siderano la natura del popolo, c. ii. Savonarole est dé- 
mocrate à Florence, comme à Venise, dans un ouvrage 
dédié au patricien Antoine Pizamani, un autre domini- 
cain, Benoit de Soncino, sera partisan de Taristocratie. 
Telles sont, en effet, les sentences que ce dernier extrait 
avec admiration de la Politique d'Ârislote, à Tusage de 
son patricien : Optima civilas nunquani opificeni fa- 
ciel civem. Ex libro III Polit., lecl. iv. Optabilius est 
civitcUes ah optimcUibus gubernari, lect. xiv. Bene- 
dicli Soncinatis propositiones ex omnibus Aristotelis 
libris... exceptée. Le même principe d'approprier le 
gouvernement à ce que Savonarole appelait la natura 
del popolo engage ainsi de contingentes applications, 
toujours guidables par la morale, mais relevant en propre 
de la science et de Tart en matière sociale et politique. 
La même prudence honnête commande ici le choix d'un 
régime et là celui d'un autre. 

V. La légitimité de la démocratie, d'après l'ensei- 
gnement COMMUN DES THÉOLOGIENS. — D'uue manière 
générale, jusque dans le cours du xix« siècle, les théo- 
logiens ne s'occupent guère de la démocratie : déjà le 
doctedr angélique lui mesure la place 'au milieu des 
nombreuses questions sociales et politiques dont il 
s'occupe en moraliste spéculatif, dans la Somme théo- 
logique. Il traite de la démocratie, comme il traite du 
travail manuel, Sum. theol., 11^ 11», q. clxxxvii, a. 3; 
des droits de la famille en matière d'éducation, II* II», 
X, a. 12, § A lia vero ratio est; de la guerre et de ses 
justes conditions, II* II", q. xl; de la sédition, ibid., 
q. XLU ; de la peine de mort, q. xliv, a. 2, 3; de la pro- 
priété, q. LXiv, a. 1, 2; du commerce, q. lxxvii; de 
Tostire, q. lxxviii, etc. Toujours, c'est à l'occasion d'une 
vertu ou d'un vice, d'un devoir ou d'unr péché, que ces 
divers faits sociaux apparaissent, donnant matière à 
des questions particulières, à de simples détails dans 
Tencyclopédie théologique de la Somme. Le problème 
de là démocratie et de sa juste part dans une sage 
constitution ne représente pour saint Thomas que l'un 
de ces détails, et non le plus important. Au moyen âge, 
dans la plupart des nations européennes, c'est le ré- 
gime monarchique et l'aristocratie qui prédominent 
en fait et qui laissent au second rang les institutions 
démocratiques des communes; aussi, bien que saint 
Thomas connût et appréciât ces dernières, comme on 
Ta vu, il n'eut pas à s'en occuper aussi directement 
que de l'usure et du change, par exemple, une grosse 
question d'alors, ou que de la politique à suivre envers 
les Juifs. Sum, theol., Il* ll«, q. x, a. 9, 12; De régi- 
mine Judœorum, ad ducissam Brabanliœ. Dans la 
suite, à partir du xiv« siècle, les monarques de l'Europe 
tendent de plus en plus à restaurer l'absolutisme impé- 
rial de Rome ou plutôt de Byzance à leur profit. A 
mesure, la démocratie des communes s'éclipse ou 
même disparait, quand les rois de France mettent la 

DICr. DE TllÉOL. CATHOL. 



main sur elle par des fonctionnaires de leur choix et par 
des lois restrictives. Dans ces conditions, c'est au pou- 
voir royal et au pouvoir absolu que penseront surtout 
les théologiens, lorsqu'ils auront à s'occuper du pou- 
voir politique. La raison expérimentale et historique 
du fait prédominant s'ajoutera aux vues métaphysiques 
sur l'unité sociale, pour leur montrer le pouvoir du roi 
comme le pouvoir typique. 

Ils reviendront cependant à la notion des droits poli- 
ligues du peuple, en étudiant les origines du pouvoir, 
11 vient de Dieu, leur enseignait saint Paul : aucune 
autorité n'existe qu'instituée par Dieu. Rom., xiii, i, 7. 
Mais saint Thomas observait déjà que l'institution directe 
du souverain ou du chef national par Dieu, comme ce 
fut le cas pour Moïse, Josué, les Juges, fut le résultat 
d'une providence spéciale envers le peuple Israélite. 
C'est en vertu de cette exception que Dieu ne lui laissa 
pas l'élection de son roi, mais se la réserva. Sum. theol., 
I* II", q. cv, a. 1, ad l"". Ainsi, quand saint Thomas 
reconnaît une divine investiture à l'origine de tout pou- 
voir, II* II», q. civ, a. 1, ce n'est pas sans avoir admis 
le droit universel des peuples à se choisir les détenteurs 
de cette investiture et à la leur transférer. Il l'insinue 
encore en regardant la souveraineté des princes régnants 
comme établie, non pas de droit divin, mais ex jure 
gentium, quod est jus humanum. Il» II«, q. x, a. 42. 
Le droit des gens consiste précisément, selon lui, en 
des institutions si bien conformes à l'avantage évident 
de la vie humaine, que facilement, les hommes tombent 
d'accord à leur égard : De fa^li in hujus modi homi- 
nes consenserunt. I* II», q. xcv, a. 4, ad 3"". Cf. II* II*, 
q. Lvii, a. 3. Il inclut donc une sorte de pacte social, 
consenti par les peuples. C'est pourquoi saint Thomas 
use volontiers de l'expression vices gerens miUtitudinis 
pour désigner le prince. 1* II», q. xc, a. 3; q. xcvii, 
a. 3; II* II», q. lvii, a. 2. Le prince jouit là d'une trans- 
lation de pouvoir qui l'a substitué à la multitude pour 
faire des lois et gouverner. 

On retrouve dans ces vues l'inspiration du droit ro- 
main. Le Digeste, 1. I, til. ii, De origine juris, § 9, 
considère le pouvoir du Sénat comme substitué aux 
assemblées populaires trop difficiles à réunir. De 
même, selon la Lex regia, Digest., 1. I, tit. iv, et les 
Jnstitutiones de Justinien, 1. I, tit. ii, le Sénat et le 
peuple transfèrent leur pouvoir à l'empereur pour le 
gouvernement entier. Cf. Digest., l. 1, tit. ii, § 11. Au 
travers de celte explication juridico-historique, une doc- 
trine métaphysique tend à se dégager, dans l'esprit des 
théologiens, par une transposition des termes du con- 
cret à l'abstrait. 

Ce dégagement s'opère chez les scolastiques, à mesure 
que des' problèmes théologiques les obligent à préciser 
les origines du pouvoir civil. D'Occam à Pierre d'Ailly 
et du concile de Constance au conciliabule de Pise se 
propage une assimilation nouvelle entre le pape et les 
princes temporels, relativement aux origines de leurs 
pouvoirs respectifs. De même que les rois ou les dynas- 
ties sont investis de leur pouvoir par l'élection popu- 
laire, de même les souverains pontifes, à ce que disent 
les novateurs. Voir Pierre d'Ailly, t. i, col. 646, 647; 
Almain, 1. 1, col. 896; Quilliet, De civilis polestatis ori- 
gine theoria catholica, Lille, 1893, p. 189, 190. Moyennant 
cette assimilation, les disciples d Occam et les gallicans 
visaient à établir la supériorité de l'Église universelle 
et notamment du concile sur le pape, comme sur un 
simple ministre de leur autorité. De même, disaient-ils, 
que le Seigneur a donné naturellement pouvoir à la 
communauté civile pour se choisir des princes; de 
même, surnaturellement, il investit la communauté en- 
tière de l'Église du droit d'élire et de déposer ses pon- 
tifes. Joannes Major, Disput. de authorilate concilii 
supra pontificem maximum, dans Opéra Gersonii, 
t. Il, col. 1135, arg. 6o. 



JV. - 10 

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DÉMOCRATIE 



292 



L'école thomiste s'attaque vigoureusemqot à démolir 
ce parallèle. Saint Ântonin établit dans sa Somme théo- 
logique, part. I, tit. XVIII, que le souverain pontife gou- 
verne l'Église par institution immédiate de Dieu et non 
ex translatione populi sicut imperator. Il use là des 
expressions mêmes du droit romain pour caractériser 
l'origine du pouvoir civil et le différencier d'avec celui 
des pontifes. Jean de Turrecremata signale, à titre 
d'exceptions, des choix comme ceux de Moïse et de 
David par Dieu, lorsqu'il s'agit de rois ou de chefs poli- 
tiques. C'est le consentement de la multitude, soit 
exprès, soit tacite, qui établit ces derniers, qui accroît 
même ou diminue leurs pouvoirs, à l'inverse du pape, 
établi par Dieu seul dans un ensemble de droits que 
nul homme ne peut restreindre. Summa de Ecclesia, 
I, XLiv, xc, xcir. 

Telle est aussi la doctrine de Gajetan, De aucloritate 
papœ et concilii, tr. II, c. x, ad 2^>» confirmationem ; 
In i/*"» /i«, q. I, a. iO, § 3, Ad brevem hofum intellig. 
Il précise d'ailleurs que Télection d'un régime politique 
par une multitude ne constitue pas une démocratie à 
proprement parler, bien qu'au premier abord elle 
semble tirer le régime monarchique de la souveraineté 
populaire. Mais si l'on considère attentivement les 
choses, l'élection d'un gouvernement n'est point un 
acte particulier de tel ou tel régime : c'est un acte 
générateur de toute espèce de gouvernement, et donc 
un acte antérieur à toute forme politique existante. Au 
choix du peuple, il appartient, de par le droit naturel, 
que le régime à établir soit populaire, aristocratique ou 
royal. Jn //»«» //«, q. l, a. i, § Ad hoc dicitur. Cette 
doctrine expose très nettement l'égale légitimité des trois 
formes de gouvernement selon le droit naturel. 

Elle dissipe également l'équivoque du terme peuple, 
qui signifie tantôt la multitude, et tantôt le régime po- 
pulaire. Et cette distinction posée, Cajetan poursuit : 
le régime monarchique dépend de l'élection du peuple- 
multitude, qui lui donna ses i?otes et qui l'investit; 
et c'est à cause de ce transfert qu'il est dit vices gerens 
populi. Mais il ne dépend pas du peuple comme régime 
populaire et n'en prend pas la place à la manière 
d'un successeur. 

Dans cet ensemble de doctrines, la question de la 
démocratie se pose donc incidemment, comme le 
simple corollaire de la question des origines du pou- 
voir civil ; et celle-ci même ne se pose que par compa- 
raison dans le problème théologique des origines du 
pontificat. Par là s'explique la sobriété des quelques 
textes intéressants qu'on peut glaner chez les auteurs. 
Autant ils sont copieux à préciser les causes divines et 
humaines dont ressort l'établissement du pouvoir civil, 
autant ils glissent rapidement sur rétablissement par- 
ticulier de la démocratie. Le peu qu'ils en avancent, 
néanmoins, suffit à nous montrer qu'ils la rattachent, 
en droit naturel, au pouvoir de tout peuple sur le choix 
de ses institutions. 

D'ailleurs, qu'il se soumette à un monarque, à des 
chefs aristocratiques ou à des magistrats populaires, 
un peuple, observe Cajetan, n'est pas dans la situation 
dé l'Église en face du pape. « La papauté diffère de tous 
les autres pouvoirs humains en ce que tous ceux-ci 
tirent de la multitude leur origine et leur puissance : 
toute violence ou fraude cessante, et de droit naturel, 
la multituii^e est libre de se donner un chef avec telle 
puissance qu'elle le juge bon. » In /i»» //«, q. l, a. 10. 
Aussi, tandis que l'Église n'a pas à circonscrire et à 
tempérer l'autorité du pape, c'est le droit des peuples 
d'opérer ces tempéraments à l'égard de leurs chefs, et 
par là même d'influencer la juridiction réelle qu'il leur 
transfère dans l'ordre civil. Nous reconnaissons là une 
vue très nette des éléments démocratiques et pondéra- 
teurs à introduire dans les royaumes ou les cités aristo- 
cratiques. Mais aussi bien que saint Thomas, Cajetan se ^ 



renferme dans l'exposé général des principes du 
droit. Il reste un moraliste spéculatif ou plutôt même 
un métaphysicien, dans ses rapides aperçus de la 
démocratie. 

Au xvi« siècle encore, les controverses de Bellarmin 
contre les protestants le ramenèrent à l'antithèse des 
origines divines du pontificat et des origines populaires 
de la souveraineté politique. Il établit très nettement 
que celle-ci, abstraction faite de ses formes particu- 
lières, vient premièrement de Dieu, car elle est la 
conséquence nécessaire de la nature humaine et de sa 
vie sociale; et donc le pouvoir vient naturellement de 
celui qui a fait la nature et les tendances de sa vie : 
c'est un droit naturel, divinement établi. Mais ce pou- 
voir réside dans la nation, et non dans aucun homme 
en particulier; car, en dehors des droits positifs qui 
peuvent survenir, il n'y a aucune raison de nature, 
pour qu'un homme soit le chef des autres, ses égaux 
par nature. Comme d'ailleurs la nation ne peut pas 
exercer la souveraineté directement, par elle-même, 
elle est dans l'obligation de la conférer à un individu 
ou à plusieurs. Ainsi, les diverses formes de gouver- 
nement sont de droit positif et non de droit naturel; 
car il dépend de la nation d'instituer un monarque, 
des consuls ou d'autres magistrats. Ces pouvoirs mul- 
tiformes viennent encore de Dieu ; mais moyennant les 
délibérations, les choix de personnes, les transferts de 
l'autorité, opérée par les hommes. Bellarmin, De lai- 
ds, c. VI. 

Dans le même ordre d'idées, Suarez, De legibus, 
1. IIÎjC. IV, § i, observe qu'à s'en tenir au droit naturel, 
les sociétés politiques ne sont pas obligées de consti- 
tuer un régime plutôt qu'un autre. Bien que, de soi, 
la monarchie soit le meilleur et que sa plus grande 
extension atteste pratiquement son excellence — dit 
encore Suarez — les autres régimes peuvent être bons 
et utiles. L'expérience démontre d'ailleurs combien 
varient les opportunités : là où règne la monarchie, 
rarement elle va sans mélange, car, vu la fragilité, 
l'ignorance, la malice des hommes, il y a d'ordinaire 
avantage à tempérer l'autocratie royale par \es' inter- 
ventions de la collectivité, en plus ou moins grand 
nombre, selon les coutumes et les besoins. Ainsi, tous 
les particuliers possèdent chacun leur quote part de va- 
leur dans la communauté politique; mais le droit na- 
turel n'oblige pas celle-ci à exercer le pouvoir immé- 
diatement ou à le retenir : trop de difficultés et de 
pertes de temps surviendraient, si le suffrage de tous 
était sans cesse requis. 

Lorsqu'on se représente l'Espagne absolutiste où 
vivait Suarez et l'état général de l'Europe au xvii* siè- 
cle, de telles vues attestent une grande liberté d'esprit 
à l'égard d'institutions puissantes et révérées. Intellec- 
tuellement, cette liberté procède encore de la ferme 
notion du droit naturel et de sa distinction d'avec les 
droits positifs, coutumiers, historiques, lesquels varient 
légitimement selon les besoins et les ententes des 
nations. 

Cette liberté scandalisa Jacques I", roi d'Angleterre 
et théologien, qui s'efforçait de consolider l'autocratie 
des Stuarts, très contestée des Anglo-Saxons, en s'ap- 
propriant la doctrine gallicane du droit divin des rois. 
Dans l'ouvrage qu'il composa sur l'ordre de Paul V 
pour répliquer au roi Jacques, Suarez établit encore 
les origines populaires de tout régime politique, sans 
exception pour la monarchie. Defensio fidei, 1. III} 
c. IV. Suarez avance même que si la monarchie et 
l'aristocratie ont besoin d'une institution positive pour 
s'établir, la démocratie peut s'en passer : elle existe, 
par le lait même que la nation ne transfère le pouvoir 
à personne, mais le retient pour soi collectivement, 
tel que, de droit naturel, elle le possède, en tant que 
société complète. Defensio fidei, 1. III, c. iv, § 8. 11 y 



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DÉMOCRATIE 



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aurait ainsi, dans tout peuple, une sorte de démocratie 
naturelle, préexistant à tout autre régime. 

Cette manière de voir n*accuse pas seulement une 
vigoureuse offensive contre la dialectique du roi d'An- 
gleterre; elle achève d'accentuer Tentière liberté d'es- 
prit des théologiens en présence des trois formes pos- 
sibles de la souveraineté politique. Suarez ou Bellarrain 
continuent bien là saint Thomas et ses commentateurs. 
Et c'est un fait significatif : le fait que, du xiiP au 
XVII* siècle, toute TÉcole enseigne l'égal droit naturel 
des peuples à se constituer en monarchies, aristocraties 
on démocraties. C'est un enseiffnement commun des 
théologiens. 11 est reçu dans l'Eglise sans la moindre 
protestation de la hiérarchie; et, de la sorte, il anticipe 
la neutralité de l'Église dans la question moderne des 
r^imes politiques à choisir ou à modifier. V. Maumus, 
L* Église el la France moderne, p. 209. 

VI. Le mouvement démocratique aux temps moder- 
nes. — Pour bien saisir l'opportunité et la valeur des 
enseignements pontificaux, soit de Pie IX, soit de 
Léon XIII, sur la démocratie, on doit reconnaître la 
situation qui les provoqua. Elle comporte un ensemble 
de faits économiques et de faits politiques dont les 
répercussions morales et religieuses déterminèrent 
d*abord l'attention de publicistes catholiques et puis 
rintervention motivée des papes. Il est ainsi nécessaire 
de connaître d'abord quelles sortes de faits politiques 
el de £iits économiques donnèrent sujet à cet enseigne- 
ment des pontifes et aux initiatives des publicistes, qui 
en apparaissent comme les précurseurs. 

Dans le cours du xviii« siècle, l'application delà force 
hydraulique à l'industrie; dans le cours du xix« sur- 
font, l'application de la vapenr, voilà le fait de techni- 
que et de métier, qui opéra une révolution sans précé- 
derU jusque-là dans la fabrication. Avec des forces 
motrices considérables, de très puissantes machines 
s'établirent. On vit finir l'universel emploi des outils à 
la main et des machines-outils à petit moteur. Sans 
doute, celles-ci et ceux-là ne disparurent pas entière- 
ment, et leur usage partiel continue encore : il y a 
toujours des moulins à vent, des rabots ou des scies à 
main, des noriahs qu'un mulet fait tourner. Mais ces 
antiques outillages cédèrent la primauté à la machine- 
vapeur, bien autrement puissante et productive. Ce 
changement peut bien s'appeler une révolution, à 
cause de sa rapidité; en moins d'un siècle, il boule- 
versait un outillage plusieurs fois millénaire, dont les 
fresques des hypogées égyptiens attestent le monopole 
immémorial. La machine à vapeur devint par cette 
révolution Tagent caractéristique de la fabrication 
moderne. Ch. Benoist, La crise de VÉtat moderne, 
Vorganisaliùn du travail, Paris, 1905, t. i, p. 30. Pour 
caractériser ce renouveau industriel. Le Play disait 
« Tàge de la houille », parce que la puissance des 
machines s'alimente aux réserves de forces condensées 
dans les dépôts énormes de ce combustible. Le Play, 
La €fmstit%Uion essentielle de Vhumanité, Tours, 1881, 
p. 66, 74-76, 77. 

 cette révolution de l'outillage correspondit une 
transformation sociale du personnel fabricant, soit du 
côté ouvrier, soit du côté patronal. 

Du côté ouvrier, un phénomène de concentration se 
produit, d'abord à l'atelier, jadis un petit local ou le 
maître et ses compagnons travaillaient ensemble, 
maintenant agrandi et devenu l'usine. La machine à 
vapeur entraine une dépense d'argent et de forces mo- 
trices qui seraient perdues si elle n'actionnait de 
nombreuses machines fabricantes et une vaste produc- 
tion. Un personnel à proportion est dès lors néces- 
saire autour de ces machines. Il se multiplie dans une 
mesure que ne souffraient jadis ni les petits capitaux 
Di les petits instruments des maîtres artisans. 

U y a plus. De cette concentration des ateliers, résulte 



une concentration des foyers, du voisinage, des inté- 
rêts ouvtners, « Concentrés dans l'usine pour le travail, 
les ouvriers ont été conduits à se concentrer autour de 
l'usine après le travail. Et, de la sorte, ce ne sont pas 
seulement les conditions et les circonstances du travail 
que l'on a vues brusquement modifiées du tout au 
tout, mais les conditions et les circonstances de la vie 
de l'ouvrier, dans l'usine et hors de l'usine; de sa vie 
tout entière, je veux dire de sa vie matérielle et de sa 
vie intellectuelle et morale. Ce n'est pas seulement le 
travail qui d'individuel est devenu collectif; c'est en 
quelque manière la vie même de l'ouvrier, à qui un 
intérêt collectif évident et permanent a créé, comme 
le besoin appelle la fonction et comme la fonction crée 
l'organe, une espèce de conscience ou d'âme collective. 
Par cette conscience ou celte âme, chacun de ces ou- 
vriers, réunis pour une même fin, dans une même 
profession, en un même lieu, a senti bien plus vive- 
ment tout ce qui le touchait personnellement et tout 
ce qui touchait son groupe. Le groupe a senti bien plus 
vivement tout ce qui, touchant chacun de ses mem- 
bres, le touchait lui-même et, avec lui et en lui, toute 
la corporation. » Ch. Benoist, loc. cit., p. 4, 5. Cf. 
p. 30,43. « Les ouvriers sont devenus la classe ouvrière, 
économiquement, socialement et psychologiquement 
très différente. » Benoist, p. 5. 

Ce fait de classement social n'était pas moins nouveau 
et considérable que la révolution technique opérée 
par la houille et le machinisme. Jamais au moyen âge, 
la classe des compagnons et des apprentis ne s'était 
opposée à celle des maîtres artisans, avec autant de 
différences et de séparations que celle des ouvriers 
d'usine et des patrons. De maître à compagnon, la 
différence existait bien comme de celui qui achète le 
travail d'un homme et qui le commande, à celui qui le 
vend et qui obéit; mais cette opposition des intérêts, 
des conditions, des points de vue, s'atténuait par la 
communauté du travail avec les mêmes outils et dans 
le même atelier, par l'espérance de passer maître un 
jour. Dans le régime du machinisme, au contraire, 
l'opposition s'accentue par le fait que le patron cesse 
d'être ouvrier. La direction d'une usine exige un en- 
semble éminent de qualités prudentielles et de con- 
naissances spéciales pour le choix des matières ouvra- 
bles, la surveillance et le renouvellement de l'outillage, 
la recherche des débouchés, l'organisation de la vente, 
l'acquisition du crédit nécessaire pour les fonds de 
roulement. C'est pourquoi le machinisme sélectionne 
d'entre les ouvriers ou bien leur superpose une aris- 
tocratie naturelle du travail formant une autre classe 
distincte, et qui possède elle-même sa mentalité et 
ses intérêts. Voir Corporations, t. m, col. 1869. 

Un troisième élément complique la situation : sou- 
vent, de tels capitaux sont nécessaires à une entre- 
prise que son fondateur ou son patron technique fait 
appel à de nombreux capitalistes. Une société anonyme 
par actions devient ainsi propriétaire de l'entreprise 
et concentre de la sorte, aux mains de ses administra- 
teurs, les fonctions et la puissance du patronat. C'est 
le type commun des grandes entreprises de transports, 
chemins de fer ou paquebots, des mines de houille, 
des hauts fourneaux et aciéries, etc. L'actionnaire, 
bailleur de fonds, et l'administrateur apparaissent à 
l'ouvrier plus éloignés encore de sa vie et de ses inté- 
rêts que le patron individuel, propriétaire de son 
usine. E. Demolins, Les populations minières, les 
mities de fwuille, dans La science sociale, 1889, t. vu, 
p. 426. « Souvent lointains, uniquement présents par 
leur argent et plutôt banquiers qu'entrepreneurs, 
anonymes vis-à-vis d'une masse ouvrière qui, elle 
aussi, n'est pour eux qu'une force anonyme — un 
tas de muscles ajouté à un tas de charbon ; mais rap- 
prochés et resserrés entre eux dans la recherche du 



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DÉMOCRATIE 



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bénéfice, les patrons sont devenus le patronat; du 
moins ils apparaissent tels aux yeux méfiants des 
ouvriers qui leur prêtent volontiers, comme ils Tont 
eux-mêmes, une espèce d*âme ou de conscience de 
classe, opposée sinon hostile à la leur. ^ Benoist, 
loc. cit., p. 5. 

 se regarder ainsi de classe à classe, à comparer 
leur condition précaire de salariés et Tétroitesse de 
leur existence avec la vie solide et large des capitalistes 
et des patrons, les ouvriers sentirent s'aviver en eux, 
douloureusement, le désir si humain du bien-être et 
d'un sort meilleur. Gomme un ferment actif, ce désir 
s'est propagé de plus en plus dans la classe ouvrière, 
non sans mêler, comme c'est inévitable, de légitimes 
revendications et d'excessives prétentions, de très justes 
griefs et de regrettables envies. L'ivraie pousse toujours 
au milieu des blés; mais le blé lui-même ne cesse pas 
d'être du blé, malgré ce voisinage. 

L'état nouveau de la production avivait naturellement 
ces désirs m<*ilangés. Toutes sortes de produits alimen- 
taires, textiles et autres se vulgarisèrent de plus en 
plus, de par la concurrence des fabricants. Les trans- 
ports en activèrent la circulation. De grands et de 
petits magasins les mirent de tous côtés à la portée 
des ouvriers. D'une manière générale, chez ces der- 
niers comme chez les bourgeois, le machinisme indus- 
triel surexcita l'indéfinie capacité de la convoitise 
humaine à se faire du luxe d'hier le nécessaire d'au- 
jourd'hui, et du luxe d'aujourd'hui le nécessaire de 
demain. Cet accroissement des exigences populaires se 
compliqua en outre d'émulation : l'aisance extérieure 
et le luxe reconnu de la classe bourgeoise ne s'accrois- 
saient-ils pas de leur côté, sollicitant les ouvriers à 
désirer leur part des améliorations produites aussi bien 
avec leur propre travail? 

Enfin la hausse des salaires permit souvent de réali- 
ser des conditions de vie meilleures; mais là encore, 
la même loi foncière de l'infini désir humain suscita 
de nouveaux désirs à satisfaire par delà les désirs sa- 
tisfaits. Ainsi que l'observe M. Ch. Benoist, on aura 
beau prouver à l'ouvrier, chifi'res en main, qu'il est 
mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu que ses pères, 
ce sera peut-être la vérité statistique, matériellement 
exacte; ce ne sera pas toute la vérité, la vérité morale, 
qui tient compte de l'impondérable et de l'incalculable. 
L'ouvrier actuel est plus riche et plus pauvre que ceux 
des temps où de moindres gains excitaient de moindres 
désirs, et où de moindres désirs tenaient pour superflu 
le nécessaire d'aujourd'hui. Finalement, la révolution 
de l'outillage par la machine à vapeur a posé d'une 
manière plus aiguë que jamais le problème de l'amélio- 
ration de la vie matéHelle, dans Vâme des ouvriers. 
C'est le grave problème social du bien-être populaire : 
un problème d'économie sociale et de politique, enga- 
geant de sa nature un problème d'ordre et de justice. 
La justice distribu tive exige, en effet, que chaque caté- 
gorie de citoyens puisse, dans sa condition, honnête- 
ment et décemment vivre. 

Mais la solution de ce nouveau problème — nouveau 
dans £ion acuité universelle et dans les exigences qu'il 
fallait satisfaire — entraînait également un problème 
nouveau dans Vordre politique, 

« Les classes sociales résolvent mal les questions les 
unes pour les autres : c'est ce qui fait que toute classe 
dont la condition devient une question aiguë pour Vor- 
dre public est introduite au pouvoir, sauf dans les cas 
particuliers où par là on n'aboutirait à rien, ou à rien 
que de radicalement désastreux, comme au cas de la ré- 
volte des esclaves à Rome ou du parti anarchiste actuel. 
Les longues doléances de la plèbe romaine l'ont finale- 
ment introduit au pouvoir. La Grande Charte d'Angle- 
terre y a introduit la noblesse malmenée par les rois et 
le peuple opprimé par la féodalité. Les charges commu- 



nales y ont introduit les habitants des villes compri- 
més par les seigneurs. Les États-Généraux de 1789 y 
ont introduit, en doublant sa représentation, le Tiers- 
État c qui aurait dû être tout et qui n'était rien. • 
Henri de Tourville, cité par Ch. Van Haeken, Le suf- 
frage universel au parlement belge, dans La science 
sociale, 1902, t. xxxni, p. 205, 206. Or « il y a dans la 
société, dit encore Henri de Tourville, loc. cit,, une 
classe qui, au temps actuel, n'a pas bénéficié autant que 
les autres des avantages procurés peu à peu par les 
gouvernements ou avec le concours des gouverne- 
ments 1» : la classe ouvrière. Comme dans cette classe, 
qui est la majorité, et même en dehors d'elle, « tout le 
monde a le sentiment instinctif que si les classes bour- 
geoises conservent le pouvoir, elles ne résoudront pas 
la question de classe ouvrière dont elles n'ont pas 
Cimpression vive et vraie, les esprits sont de plus en 
plus portés, sans bien savoir pourquoi, à penser qu'il 
n'y a de solution efficace qu'à laisser venir au pouvoir 
la classe qui a le plus de doléances à faire valoir. Et 
ceci est la loi de toute l'histoire dans l'attribution du 
pouvoir aux uns et aux autres. Le pouvoir n'est pas 
communément donné à celui qui, absolument parlant, 
y a le plus de droit ou est le plus capable, mais à celui 
qui fut le plus décisivement utile dans la question à 
résoudre pour le moment, » 

« Quand certaines classes ont détenu le pouvoir et 
qu'un certain bien public en est résulté, si une classe 
sans pouvoir n'a pas assez bénéficié du fait accompli, 
elle se plaint; et, si une satisfaction suffisante n'est 
donnée à ses plaintes au bout d'un certain temps (c'est 
le cas ordinaire des conquérants anciens du pouvoir, 
devenus conservateurs), elle réclame, non plus des 
améliorations qu'elle a vainement demandées, mais des 
garanties qui l'assurent de les obtenir : ces garanties 
consistent dans une participation plus ou moins large 
au pouvoir. Telle est l'histoire de tous les avènements 
de groupes sociaux au pouvoir. ^ VanHaeken, loc. cit., 
p. 210. Parfois, un groupe d'opposants parmi ceux qui 
se disputent le pouvoir favorise l'accession de nou- 
veaux co-partageants. En 1848, l'établissement du suf- 
frage universel en France et l'accès de la classe ou- 
vrière aux droits politiques furent l'œuvre de l'opposi- 
tion bourgeoise, devant le refus opiniâtre d'adjoindre 
des électeurs capacitaires au groupe des censitaires à 
200 francs. Mais l'opposition n'aurait jamais pensé à 
cette transformation de l'électorat restreint, si déjà la 
classe ouvrière n'eût fait entendre ses doléances so- 
ciales et politiques. Le sufl'rage universel apparaissait 
aux ouvriers comme une arme puissante pour s'assurer 
des mandataires de leurs intérêts. 

De fait, il substitua la multitiuie aux privilégiés pour 
la désignation des parlementaires qui font les lois et 
les ministres : de 240 000 inscrits environ, le corps 
électoral français fut porté à près de 80000000, c'est-à- 
dire se multiplia de 1 à 33. 

Cette multiplication des électeurs changea profondé- 
ment l'état d'esprit des gouvernements et des législa- 
teurs et, par une suite naturelle, la qualité des lois. 
« Soit au repos et dans sa statique, soit en action et 
dans sa dynamique, l'État moderne aurait désormais, 
soit comme base, soit comme moteur, le nombre. L'in- 
troduction du nombre dans la mécanique de l'État 
concorde donc et peut se comparer absolument avec 
l'introduction de la vapeur dans la mécanique des 
métiers. De même que l'une avait prodigieusement 
accru, et sous tous les rapports, transformé le travail 
industriel, ainsi l'autre allait notablement accroître 
et transformer radicalement le travail d'État. Car, 
dans l'État, d'une part, tout doit se faire désormais par 
la loi, et, d'autre part, la loi ne peut se faire que par 
le nombre. La conséquence nécessaire est que, faite 
plus ou moins directement par le nombre, mais dans 



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DÉMOCRATIE 



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tous les cas inspirée par lui, la loi sera plus on moins 
franchement faite par le nonibre, et TEtat lui-même, 
toarné au profit du nombre, » Benoist, loc. cit., p. 8. 
f Voilà pourquoi, dans notre siècle, on ne saurait le 
nier, ravénement politique de la démocratie a fait éclore 
chez les gouvernants, et en général chez ceux qui for- 
ment la classe dirigeante, avec le besoin et le désir de 
capter les suffrages populaires, la préoccupation de 
plaire à la multitude et d'améliorer son sort; et l'on 
remarque partout un courant d'idées, de sentiments et 
d'entreprises diverses, ayant pour objet l'accroissement 
du bien-être des travailleurs. » Gayraud, Les dénio^ 
erates chrétiens, p. 13. 

 une législation faite par des bourgeois et pour des 
bourgeois succéda une législation faite par des bour- 
geois encore, le plus souvent, mais avec le souci volon- 
taire ou forcé, intéressé ou non, des intérêts populaires, 
des revendications de la classe ouvrière. « Tandis qu'au- 
paravant, on avait légiféré pour la propriété et presque 
uniquement pour elle, on allait légiférer uniquement 
pour le travail, ou, du moins, jamais à présent le tra- 
vail ne serait oublié, et, toujours, dans toute législation, 
on se placerait de préférence au point de vue du travail. 
Le Code civil de 1804, pour des raisons qui se devinent 
et sar lesquelles il n'y a pas lieu d'appuyer : ignorance 
forcée ou volontaire de la grande industrie à peine 
naissante ; haine et terreur de la corporation, dégéné- 
rant en haine de la simple association ; nécessité de 
reconsolider la terre de France que la vente des biens 
nationaux avait brutalement mobilisée — pour toutes ces 
raisons, et parce que ses rédacteurs étaient des hommes 
dn xvin* siècle plutôt que du xix*, des bourgeois et 
des gens du parlement, des légistes nourris de Polhier 
el des physiocrates imbus de Quesnay, le Code civil 
n'était guère que le Code de la propriété. Mais voici 
qu'allait désormais se constituer et que déjà s'ébau- 
chait un Code du travail, dont les décrets de février 
et de mars 1848 sont comme les premiers articles. » 
Benoist, loc. cit., p. 8, 9. 

L'opposition est saisissante entre la législation de la 
Constituante, du Consulat, du Premier Empire sur le 
contrat de travail ou les coalitions, et les lois de la 
République en 1849, de l'Empire, 25 mai 1864, de la 
République, %l mars 1884, sur les coalitions, les grèves, 
les syndicats ouvriers. Paul Bureau, Le conti'ut de 
travail, Paris, 1902, p. 199, 211. Sans doute, parmi 
les causes directes de ces lois ouvrières, il faut comp- 
ter au premier rang l'influence de groupements ou- 
vriers, plus capables et mieux formés, concurremment 
à celle d'hommes d'État et de sociologues; mais les 
désirs et les efforts bien évidents de la classe ouvrière 
pour Tamélioration de son sort agissaient aussi bien sur 
les élus de son suffrage comme un fort stimulant. 
Ainsi tendait à se réaliser une situation sans égale jus- 
qu'ici dans l'histoire connue. Ni l'Orient ancien, avec 
ses grands empires patriarcaux, despotiques et conqué- 
rants, ni la Grèce, avec ses républiques bourgeoises 
et aristocratiques à base d'esclavage ou de colonat 
quasi servile, ni Rome, avec son syndicat de grands 
propriétaires devenus le Sénat de la ville, ses procon- 
suls devenus les maitres absolus des provinces, son 
empereur enfin, maître d'un monde, ni même les na- 
tions du moyen âge, féodales et monarchiques, ne connu- 
rent cette accetsion universelle des multitudes aux 
âreils civique» et cette recherche universelle des amé- 
liorations de la vie populaire, imposée aux gouverne- 
ments par l'influence de la multitude. 

Le mouvement communal du moyen âge se localisait 
dans les communes rurales, très obscurément, dans 
les communes urbaines, avec un peu plus de vigueur 
et d'éclat ; mais les bases de l'ordre politique et social 
tenaient essentiellement au régime féodal, au privi- 
lège dynastique, et peu à peu, en France, la monarchie, 



devenant absolue, établit les communes du royaume 
dans cette étroite dépendance envers les intendants et 
leurs subdélégués, dont Malesherbes, au nom de la 
Cour des Aides, disait à Louis XVI en 1775 : « On a 
pour ainsi dire interdit la nation entière, et on lui a 
donné des tuteurs. » Mémoires pour servir à l'his- 
toire du droit public de la France en matière d'im- 
pôts, Bruxelles, 1779, p. 654 ; de Tocqueville, De la 
démocratie en Amérique, 15» édit., Paris, 1858, t. i, 
309, note K. 

Mais, à rencontre de l'ancienne démocratie com- 
munale, contenue par les seigneurs et par les rois, et 
finalement annihilée par ces derniers, la démocratie 
actuelle est une puissance envahissante et domina- 
trice. L'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, l'Angleterre 
font une part croissante au suffrage universel et aux 
lois ou institutions ouvrières; et cependant ces pays 
représentent la fidélité au culte dynastique, la tradition 
d'une aristocratie influente de pairs, de magnats, de 
seigneurs, en possession héréditaire des grandes for- 
tunes et du pouvoir. Au lieu de représenter seulement, 
comme jadis, les votes et les idées de la bourgeoisie 
haute ou moyenne, la Chambre des Communes, le 
Reichstag, représentent de plus en plus la multitude 
ouvrière organisée par Trade-Unions ou syndicats 
dont les revendications agissent puissamment sur la 
législation. Ainsi, comme force politique et comme 
mouvement améliorateur des conditions où vit le 
peuple, la démocratie caractérise historiquement notre 
époque, d'une manière générale. On la reconnaît 
K comme un lait social, issu des faits antérieurs qui 
forment la trame de l'histoire. » Gayraud, Les démo- 
crates chrétiens, Paris, 1899, p. 10, 14. A ce point de 
vue, nos temps sont bien des temps nouveaux. Ce mou- 
vement est irrésistible, d'abord, parce qu'il procède de 
la révolution d'outillage qui a concentré la classe ou- 
vrière en la rendant consciente de sa force et de ses 
souffrances, comme jamais; ensuite, parce que rien ne 
sera jamais plus attrayant, plus riche d'espoirs et de 
promesses, pour des ouvriers aspirant à une vie plus 
heureuse et mieux garantie, que de se dire : « Nous 
sommes les maîtres de nous l'assurer, finalement, par 
notre bulletin de vote. » Ils se rendent compte, certes, 
que, souvent, leurs élus, des politiciens, trahissent ou 
escamotent largement leur mandat; mais, décompte 
fait de ces abus de confiance, il y a encore moyen d'ob- 
tenir quelque chose par eux, et il n'y a pas d'autre 
moyen. C'est ainsi 'que des calculs et des sentiments se 
mélangent aux influences de l'atelier et de la concen- 
tration ouvrière pour donner au mouvement du peuple 
vers une vie plus heureuse et à son accession au pou- 
voir, une souveraine puissance devant laquelle, même 
en Russie, l'autocratie traditionnelle et l'oppressive bu- 
reaucratie chancellent ou reculent. 

L'observation de ces faits suggère une attitude mo- 
rale, que définit ainsi M. Gayraud : a Nous regardons 
la démocratie comme un fait imposé par l'histoire, 
contre lequel il est puéril et vain de s'emporter en 
paroles, et dont le devoir social nous oblige à tirer le 
meilleur parti possible pour le bien du pays et le pro- 
grès de la civilisation chrétienne. » Loc. cit., p. 11. 
Observer le mouvement démocratique, l'esprit calme et 
ouvert, dans une pensée de bien commun et de frater- 
nité chrétienne, tel est le devoir en même temps 
civique et religieux que ce mouvement nouveau du 
monde nous apporte. 

Mais ce devoir se complique d'exigences pruden- 
tielles et d'exigences doctrinales d'autant plus graves 
que tout d'abord, dans le cours du xix« siècle, les pre- 
mières manifestations de la poussée démocratique 
furent tumultueuses, désordonnées. Alexis de Tocque- 
ville, en 1835, reconnaissait déjà ces redoutables diffi- 
cultés, et leurs causes sociales : c Jamais les chefs de 



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DÉMOCRATIE 



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rÉtat n'ont pensé à rien préparer d'avance pour la dé- 
mocratie ; elle s'est faite malgré eux ou à leur insu. 
Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes 
et les plus morales de la nation n'ont point cherché à 
s'emparer d'elle afin de la diriger. La démocratie a 
donc été abandonnée à ses instincts sauvages ; elle a 
grandi comme ces enfants privés des soins paternels 
qui s'élèvent d'eux-mêmes dans les rues de nos villes 
et qui ne connaissent de la société que ses vices et ses 
misères. On semblait encore ignorer son existence 
quand elle s'est emparée à l'improviste du pouvoir. 
Chacun alors s'est soumis avec servilité à ses moin- 
dres désirs; on l'a adorée comme l'image de la force... 
Il en est résulté que la révolution démocratique s'est 
opérée dans le matériel de la société, sans qu'il se fit, 
dans les lois, les idées, les habitudes, les mœurs, le 
changement qui eût été nécessaire pour rendre cette 
révolution utile. Ainsi nous avons la démocratie, moins 
ce qui doit atténuer ses vices et faire ressortir ses 
avantages naturels; et voyant déjà les maux qu'elle 
entraîne, nous ignorons encore les biens qu'elle peut 
donner. nDela démocratie en Amérique, Introduction, 
p. 9, 10. Cf. sir Th. May, histoire de la démocratie 
en Europe, Paris, 1879. 

Mais, si elle a manqué d'éducateurs à sa naissance, 
la démocratie, devenue grande et vigoureuse, ne les 
réclame-t-elle pas plus que jamais, surtout depuis 
qu'elle a fait l'expérience de ses erreurs et de ses 
fautes? C'est ce que pensent d'équitables et chrétiens 
esprits, qui s'attachent à démêler quels véritables biens 
honnêtes les revendications politiques et sociales de 
la démocratie poursuivent. Sans donc absoudre ni les 
violences des révolutions ni les projets spoliateurs du 
collectivisme, des moralistes catholiques estiment que 
la démocratie poursuit une fin légitime et un réel pro- 
grès de la personnalité humaine, en admettant chaque 
citoyen à une part du gouvernement. Se gouverner 
soi-même est le propre de l'homme raisonnable : cette 
maîtrise de l'homme sur ses actes commence par le 
gouvernement de sa vie et de ses biens dans l'ordre privé ; 
mais elle demeure incomplète si l'on vit dans l'ordre 
public à la manière d'un sujet et non d'un citoyen, 
sous la tutelle du pouvoir, comme un simple mineur. 
Gayraud, Les démocrates chrétiens, p. 17; Fonsegrive, 
La crise sociale, p. 443. Non moins légitime est l'ac- 
croissement de la sollicitude publique à l'égard de la 
classe ouvrière ; et les facilités d'association ou autres 
que de récentes lois lui ont procurées contribuent jus- 
tement à une réelle amélioration de son mode d'exis- 
tence. Gayraud, loc. cit., p. 20, 21. 

En présence de ces avantages, réalisés ou poursui- 
vis, la foi chrétienne au gouvernement divin des 
affaires humaines inspire l'idée d'une disposition pro- 
videntielle. Alexis de Tocqueville exprimait celte vue 
dans une page saisissante où, résumant les caractères 
du mouvement démocratique, universel, durable, échap- 
pant chaque jour à la puissance humaine, utilisant à 
ses fins les événements et les hommes, il déclarait 
l'étudier « sous l'impression d'une sorte de terreur 
religieuse ». De la démocratie en Amérique, t. i,p. 7, 
8. Mais puisque le bien et le mal s'enchevêtrent dans 
ce mouvement,' ne devons-nous pas, en toute sérénité, 
considérer les justes revendications de la démocratie 
comme directement autorisées et voulues par la pro- 
vidence, et ses erreurs, ses fautes, ses déviations, 
comme des maux que la bonté providentielle permet 
encore, non sans le dessein d'en tirer du bien? En 
appliquant tout simplement ici la notion catholique 
de la providence, telle que la résume saint Thomas, 
Sum. theol., I«, q. xxii, a. 2, l'âme s'élève, la pensée 
se rassérène, l'étude devient impartialement chrétienne 
et sympathique à tout bien, dans le spectacle si trou- 
blé et si troublant du mouvement démocratique. ' 



C'est la meilleure préparation morale pour recueillir 
à son sujet les enseignements des souverains pontifes. 
VII. De Pie VII À Grégoire XVI : condamnation 
RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES. — Diverses 
causes bien connues entraînèrent d'abord le mouve- 
ment démocratique dans certaines déviations révolu- 
tionnaires : une législation, sévèrement prohibitive des 
grèves, coalitions, associations, ententes quelconques 
entre ouvriers, poussait elle-même ces derniers à des 
réunions secrètes ou à des violences contre les per- 
sonnes et les biens des patrons. Les exemples de ces 
désordres furent nombreux en France et en Angleterre, 
à mesure du développement industriel. Howell, Le 
passé et Vavenir des Trade'Uni<ms, « Les bourgeois, 
l'aristocratie et les princes s'entendaient à l'établisse- 
ment de lois et de coutumes en faveur du capital et 
contre le travail : le premier affirmant ses droits sans 
tenir compte de ses devoirs et de ses responsabilités, 
tandis que le second, obligé de subir tous les devoirs 
et toutes les responsabilités, voyait méconnaître ses 
droits légitimes, sans aucun moyen de les faire respec- 
ter. » Howell, p. 49. Cf. p. 40. Privés ainsi du bienveil- 
lant patronage qui les eût initiés à la revendication 
pacifique de leurs intérêts, les ouvriers devinrent 
aisément victimes de meneurs, soit fanatiques, soit 
exploiteurs, naturellement appelés par leur inexpé- 
rience à se conduire dans une situation toute neuve, 
et par leur exaspération. Le mouvement ouvrier, dé- 
pouillé de son autonomie, fut entraîné le plus souvent 
dans un courant tout révolutionnaire de conspirations 
secrètes, de violences matérielles pour renverser les 
bourgeois et les princes. 

De rares esprits clairvoyants eurent seuls l'intuition 
de la cause juste qui se compromettait dans cet en- 
traînement. Ils virent aussi quelles ressources meneil- 
leuses de doctrine morale et de fraternité l'Église 
possédait pour servir la cause des humbles. En 1825, 
le comte de Saint-Simon, dont une école fameuse a 
gardé le nom, s'adressait au pape dans son Nouveau 
christianisme. 11 lui démontrait que, pour garder ou 
reconquérir la puissance morale de l'Église sur les 
peuples, il fallait diriger la grande réforme sociale qui 
se préparait dans le monde. « Vos devanciers ont suffi- 
samment perfectionné la théorie du christianisme, ils 
l'ont suffisamment propagée, c'est de l'application de 
la doctrine qu'il faut vous occuper. Le véritable chris- 
tianisme doit rendre les hommes heureux, non seule- 
ment dans le ciel, mais sur la terre. Votre tâche consiste 
à organiser l'espèce humaine d'après le principe fon- 
damental de la morale divine. Il ne faut pas vous 
borner à prêcher aux fidèles que les pauvres sont les 
enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez, franche- 
ment et énergiquement, de tous les pouvoirs et de 
tous les moyens de l'Église militante, pour améliorer 
promptement l'état physique et mofxil de la classe la 
plus nombreuse, n Le nouveau chnstianisme, Paris, 
1832, p. 138-149; Id., Le catéchisme des industriels, 
Paris, 1824. 

A l'énoncé de ce dernier but, on reconnaît une in- 
tuition profondément juste du problème démocratique 
dans son aspect social. Saint-Simon n'aperçoit pas 
moins bien les ressources morales de l'Église pour la 
pleine solution de ce problème où la justice et la cha- 
rité doivent primer l'économie politique. Malheureuse- 
ment, disciple de l'Encyclopédie, le réformateur n'était 
en religion qu'un déiste, incrédule aux dogmes de 
l'Évangile, bien que très admirateur de sa morale. H 
n'était guère en situation de faire agréer ses conseils 
par le suprême gardien de l'orthodoxie intégrale. 

De plus, le saint-siège concentrait alors son atten- 
tion sur les carbonari et autres sociétés secrètes qui 
se livraient à des menées anticathollques et révolution- 
naires, parmi les ouvriers comme dans la bourgeoisie. 



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DÉMOCRATIE 



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Dans sa bulle Ecclesiam a Jesu Ch'isto, 13 septembre 
1821, Pie Vil condamne ces sociétés pour leurs doc- 
trines d'indiCTérence en matière de religion et pour 
leurs tentatives de renverser les rois et autres gouver- 
nants, comme des tyrans. Le 13 mars 1826, Léon XII 
renouvelle ces condamnations dans les Lettres apos- 
toliques Quo graviora, parce que, dés le début de son 
pontificat, dit-il, l'état, le nombre, la force des sociétés 
secrètes ont retenu son examen. Absorbée par ces 
groupes révolutionnaires, l'attention du saint-siège 
demeure ainsi éloignée de considérer les aspirations 
du peuple vers une vie plus heureuse. Le problème 
posé par Saint-Simon ne surgit pas encore dans la 
conscience des pontifes : Turgence de couper court à 
des menées redoutables les préoccupe avant tout. 

Dans cet ordre de préoccupations, Léon XII exhorte 
directement les princes de l'Europe catholique à une 
défense simultanée de la religion et de Ta utorité royale. 
^Summoetiam studio, vestruni /Ictgitamus prœsidium. 
Le pape insiste sur le changement ou même la des- 
truction du régime monarchique, poursuivis par les 
sociétés secrètes : a Ce n'est pas la haine seule de la 
religion qui les inspire, mais Tespoir que les peuples 
soumis à votre empire, en voyant renverser les bornes 
posées dans les choses saintes par Jésus-Christ et par 
son Église, seront finalement amenés par cet exemple à 
changer ou à détruire la forme du gouvernement, » 
Qu'ils poursuivissent rétablissement de la république 
on des institutions libérales, les meneurs visés dans 
ce document compromettaient ainsi, au regard du 
saint-siège, des formes de pouvoir non condamnables 
en soi, mais qui le devenaient dans la circonstance, à 
cause des moyens adoptés pour les réaliser. 

De Léon XII à Grégoire XVI, Lamennais, son école 
et surtout les rédacteurs du journal V avenir travail- 
lèrent à propager dans les milieux catholiques le souci 
des intérêts et des libertés populaires. Lamennais, dans 
un article du 30 juin 1831, annonçait que, « à moins 
d'un changement total dans le régime industriel, un 
soulèvement général des pauvres contre les riches de- 
viendrait inévitable; » et le Saint-Siège' était exhorté à 
se faire devant les rois le porte-parole des revendica- 
tions ouvrières. Mais le programme de Lamennais 
érigeait en maximes absolues la liberté de conscience 
et celle de la presse; il allait même jusqu'à regarder 
la révolution politique et sociale comme le prélimi- 
naire indispensable et providentiel d'un nouvel Age 
chrétien. L'encyclique de Grégoire XVI, Mirari vos, 
15 août 1832, condamna les erreurs mennaisiennes sur 
la liberté. Elle rappela le principe de saint Paul : obéis- 
sance aux pouvoirs établis. Elle montra l'application 
exemplaire de ce principe dans la fidélité des chrétiens 
antiques à des empereurs qui les persécutaient. Elle 
signala dans certains libéraux ou libérateurs des 
agents de servitude pour le peuple : servilutem sub 
libertatis specie poptdis illaturi. Le pape enfin se 
toomait vers les princes, les adjurant « comme pères 
et tuteurs des peuples », de leur assurer la paix et la 
prospérité en protégeant l'Église. Il continuait donc de 
s'adresser aux rois en faveur des peuples, au lieu de 
s'adresser aux peuples sans les rois, et même contre 
eux, ainsi que Lamennais l'aurait voulu, dans son 
opposition systématique, violente, injuste, aux royautés 
établies, jadis objet de son amour. 

VIII. Pie IX : la souveraineté du nombre et de la 

FORCE matérielle, CONDAMNÉE PAR LE SVLLABCS, — 

Auetorilas nihil aliud es( nisi numeri et virium nalu- 
ralium summa. Syllabus du 8 décembre 1864, prop. 60*. 
Cette proposition se trouve déjà censurée en propres 
termes dans l'allocution Maxima quictem, du 9 juin 
1882, § At veroeo impielatis. On y reconnaît une doc- 
trine matérialiste de l'autorité, la ramenant toute à la 
force brutale des masses et des majorités. Le matéria- 



lisme qui sévissait dans le milieu du xix* siècle passait 
aussi bien de la spéculation cosmologique à la morale 
et à la politique. Dieu et sa loi supprimés, que restait-il 
pour fonder le pouvoir, sinon la multitude omnipotente 
ou ceux qui parlaient en son nom, avec la force qui 
s'impose? C'est ce que Pie IX a condamné. 

II ne censurait pas l'attribution démocratique du 
pouvoir à la multitude, mais la souveraineté du nombre 
et de la force à l'exclusion du droit; c'est ce qui res- 
sort du texte de l'allocution auquel le Syllabus réfère 
expressément la proposition 60«. Pie IX signale, en 
eflet, l'étroite connexion de celle-ci avec une philoso- 
phie toute matérialiste, et ses paroles s'appliquent 
tout droit aux disciples de Feuerbach, Bûchner et Mo- 
leschott : « Ils font dérision de l'autorité et du droit 
avec tant de témérité, qu'ils ont l'impudence de dire 
que l'autorité n'est rien, si ce n'est celle du nombre 
et de la force matérielle ; que le droit consiste dans le 
fait, que les devoirs des hommes sont un vain mot et 
que tous les faits humains ont force de droit. Ajoutant 
ensuite les mensonges aux mensonges, les délires aux 
délires, foulant aux pieds toute autorité légitime, tout 
droit légitime, toute obligation, tout devoir, ils n'hé- 
sitent pas à substituer en place du droit véritable et 
légitime, ce droit faux et menteur de la force, et à 
subordonner l'ordre moral à l'ordre matériel. Ils ne 
reconnaissent d'autre force que celle qui réside dans 
la matière. » Allocution Maxima quidem, § Ad vero 
et § Jani porro commenta. 

Mais si la forme démocratique du pouvoir n'est pas 
atteinte par ces censures, elles frappent du moins, par 
voie de conséquence, un certain abus de pouvoir qui 
est la tentation de la démocratie. Le nombre a son 
orgueil, ses courtisans qui l'exploitent, politiciens qui 
lui persuadent sa toute-puissance. Cette persuasion 
gagne les multitudes et leur devient un excitant à la 
tyrannie, dans la mesure où les citoyens manquent 
individuellement d'un sens ferme et profond de la jus- 
tice et du droit. La foule se regarde alors comme sou- 
veraine maltresse de décréter le juste et l'injuste, ou 
plutôt de faire juste ce qui lui plaît. C'est la démago- 
gie. Contre elle, Pie IX rappelle la souveraineté de la 
justice et du droit naturel sur toute loi positive et 
toute volonté de la multitude. V. Maumus VÊglise et 
la France moderne, Paris, 1897, p. 286. Bien loin de 
présenter là quelque doctrine inacceptable à la démo- 
cratie, le pontife lui enseigne une vérité libératrice, 
qui est de tradition dans l'Église et d'opportunité au 
XIX» siècle. Goyau, Autour du catholicisme, 2» série, 
p. 313, 314. 

La tradition de l'Église, c'est que tout pouvoir est 
établi comme set^viteur de Dieu pour le bien, Rom., 
XIII, 1, 7; et, par suite, que provenant de la multitude 
ou provenant d'un seul, la loi est essentiellement une 
ot*donnance de la raison ex vue du bien [commun, 
Sum, theoL, 1»II», q. xc, a. 1, 2. Le bien commun, c'est 
la justice pour chacun et la justice entre tous, avec la 
paix qui en résulte. I« II«, q. xcvi, a. 3. Ce n'est pas 
seulement des apôtres, c'est encore des prophètes que 
l'Église hérita cette robuste conviction que le pouvoir 
est le serviteur de tous dans la justice, et que de cette 
mission découlent tous ses droits. Dépourvue de cette 
subordination au bien commun, toute loi, qu'elle 
émane d'un prince ou d'un peuple assemblé, n'est plus 
qu'un péché des législateurs, une violence tyrannique, 
privée de toute force morale et obligatoire. 

Principe élémentaire, que les monarques oublièrent 
au temps de leur toute-puissance, et que la démocratie, 
dans sa première ivresse du pouvoir, oubliait de même. 
Dans son rappel, comme dans bien d'autres proposi- 
tions de son Syllabus, tant injurié. Pie IX poursuivait 
donc l'opportune application d'une vérité libératrice. 

Cette vérité s'applique aussi très heureusement à ce 



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qu*on nomme le drot/ des tiia/ori^^s, soit dans les assem- 
blées populaires de la démocratie directe, soit dans les 
assemblées élues de la démocratie représentative. Dans 
une collectivité délibérante où les avis se partagent, il 
faut bien en venir à compter les voix; c'est un moyen 
pratique, et le seul, de terminer les débats par une 
solution incontestée de tous. Mais, pratiquement aussi, 
les décisions de la majorité ne demeurent acceptables, 
que si elle poursuit elle-même le bien commun, et non 
pas l'abaissement et le dommage de la minorité. On 
en revient ainsi à la nécessité de principes moraux do- 
minant la foule et l'assemblée entière : ils disposent la 
majorité à écouter le plus possible les justes doléances 
de la minorité. Depuis que l'expérience de la démo- 
cratie parlementaire a largement inslruitles publicistes, 
l'opinion de ceux-ci est faite. Herbert Spencer écrivait, 
Conteniporary Rewieto, 1884 : « Le droit de la majorité 
est sans valeur au delà de certaines limites. C'est 
comme si, dans le comité de surveillance d'une 
bibliothèque, la majorité décidait d'employer les fonds 
à l'achat de cibles et de munitions. » Le professeur 
Seeley, de Cambridge, Introduction topolitical science, 
Londres, 1902, p. 156, 157, écrit : « Le principe majori- 
taire se justifie par la difficulté d'en trouver un autre; 
mais il compromet l'idéal de la volonté collective du 
peuple ou du gouvernement libre. » C'est une simple 
c invention pratique ». Bryce, La République amé}i- 
caine, Paris, 1901, t. m, p. 499, écrit : « La tyrannie 
de la majorité n'est pas dans la forme de l'acte qui peut 
être parfaitement légale, mais dans l'esprit ou l'humeur 
qu'il révèle, et dans le sentiment d'injustice et d'op- 
pression qu'il évoque dans la minorité. » Balfour re- 
doute les abus tyranniques de la majorité contre les 
droits et libertés privées : f C'est une tyrannie non 
moins néfaste que celle des despotes. » Discours pro- 
noncé à Limerhoi(8e,en^lrlande, dans \e Times, i2 juin 
1903. Enfin, Prins, De Vespric du gouvernement dé- 
mocratique, Bruxelles, 1902, p. 120, 121, écrit : « La 
minorité doit, au nom de l'ordre légal, s'incliner de- 
vant la majorité; mais celle-ci doit, au nom de la jus- 
tice, s'incliner devant l'intérêt de tous. » Savants 
ou hommes d'État, les politiques contemporains 
s'accordent donc à professer que la souveraineté du 
nombre et de la majorité relève de la suprématie qui 
appartient toujours au bien commun et au droit. Leur 
unanime conviction à cet égard donne un splendide 
commentaire à l'enseignement de Pie IX. 

Mais celui-ci eut le mérite de rappeler ces vérités 
morales dans un temps où le souci de la popularité et 
l'envie du succès rapide orientait les politiques vers 
l'adulation du nombre et de la force. Pie IX avait goûté 
les enthousiasmes populaires aux premiers jours de 
son règne; mais il connut bientôt la révolution à Rome 
et l'exil àGaëte. Il discerna les poussées mauvaises du 
nombre et de la force, et il sacrifia courageusement la 
popularité de ses débuts à une douloureuse, mais nC- 
cessaire protestation. C'est la gloire de ce pontife, de 
n'avoir pas flatté la démocratie et d'avoir appliqué 
l'antique morale chrétienne à contrebalancer la sou- 
veraineté du nombre. L'autorité et la loi ne peuvent 
pas être simplement « l'expression de la volonté géné- 
rale », comme le porte la Déclaration des droits de 
Vhomme; il faut, de plus, que la volonté générale se 
subordonne au droit et au bien commun. 

L'enseignement de Pie IX demeure encore très 
opportun, car, de nos jours, on va, redisant de tout 
vote majoritaire : « C'est la loi ! Il n'y a plus qu'à 
s'incliner! » Et si la loi est injuste? Un coup de majo- 
rité peut-il être la règle infaillible de la justice? Non! 
la loi n'est pas k l'expression de la volonté générale », 
mais de l'ordre raisonnable à établir en vue du bien, 
soit par la volonté du prince dans une monarchie pure, 
soit par la volonté du peuple ou de ses représentants, 



dans une démocratie. V. Maumus, L'Église et la 
France moderne, p. 225, 226. 

IX. Léon XIII : la démocratie politique recon- 
nue PARMI LES formes DE GOUVERNEMENT QUE L'ÉGLISE 

PEUT ACCEPTER. — 1*> La questxon de principe, — Dans 
l'encyclique Diutumum, du 29 juin 1881, sur l'ori- 
gine du pouvoir civil, la démocratie est formellement 
l'objet de cette reconnaissance; mais Léon XIII prend 
soin d'en purifier le concept de tout alliage avec la 
thèse de Rousseau sur la souveraineté première, abso- 
lue et inaliénable du peuple. D'après Rousseau, en 
efi*et, chaque citoyen fait abandon de toute sa personne 
et de tous ses droits à toute la multitude, qui, désor- 
mais souveraine, lui assure toute protection : tel est 
l'objet du contrat social : la souveraineté de l'homme 
isolé sur soi-même se transforme en la souveraineté de 
tous ensemble sur chacun des associés. Désormais, 
c'est la volonté de tous, ou, à son défaut, la volonté du 
plus grand nombre qui est la loi suprême; les divers 
types de gouvernement, royauté, aristocratie, magistrats 
populaires, ne sont que les commis et les délégués de 
la souveraineté universelle. Aussi c quand on propose 
une loi dans l'assemblée du peuple, ce qu'on demande 
aux citoyens, ce n'est pas précisément s'ils approuvent 
la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est 
confoi*me ou non à la volonté générale, qui est la leur : 
chacun, donnant son suffrage, dit son avis là-dessus, et 
du calcul des voLc se tire la déclaration de la volonté 
générale, » Rousseau, Le contrat social, 1. IV, c. ii. 
Cette doctrine ressemble fort au matérialisme poli- 
tique déjà condamné dans la proposition GO^ du Syllabus 
et celle-ci n'en parait elle-même que la transposition 
dans un style rajeuni. Mais la démocratie, grandissant 
privée de ses véritables éducateurs, trop souvent 
exploitée par des sophistes et des politiciens, continuait 
de se griser, en quelque sorte, par les doctrines et par 
l'esprit du Contrat social. C'est à quoi pare Léon XIII : 
c Bon nombre de contemporains, suivant les traces de 
ceux qui, au siècle dernier, s'intitulèrent les philo- 
sophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple ; 
que, par suite, ses dépositaires dans la cité ne le dé- 
tiennent pas comme leur appartenant, mais ainsi qu'un 
mandat populaire, et sous cette clause, que la volonté 
du peuple peut toujours révoquer son mandat. Mais, 
c'est ce que nient les catholiques : ils rattachent à Dieu 
le droit de commander, comme à son naturel et néces- 
saire principe. Toutefois, il importe ici même d'obser- 
ver que les gouvernants peuvent en certains cas être 
choisis par la volonté et le jugement de la multitude, 
sans nulle opposition de l'enseignement catholique. Par 
ce moyen de l'élection, la personne du prince est dési- 
gnée, mais les droits du pouvoir ne sont pas conférés : 
ce n'est pas l'autorité qui est déléguée, mais on décide 
par qui elle sera exercée. Les diverses formes de gou- 
vernement ne sont pas ici non plus en cause : rien 
n'empêche l'Église d'approuver le gouvernement d'un 
seul ou de plusieurs, pourvu qu'il soit juste et qu*il 
recherche le bien commun. C'est pourquoi, réserve 
faite de la justice, les peuples ne reçoivent aucune in- 
terdiction de se choisir le genre de constitution qui 
s'adapte le mieux à leur génie propre, aux traditions 
de leur passé ou à leurs mœurs. » 

Cet enseignement de Léon XIII continue bien ren- 
seignement des scolastiques sur les diverses formes de 
gouvernement; toutefois, sous la plume de ce pontife 
si appliqué à reconnaître les signes des temps, la doc- 
trine traditionnelle passe de .l'état purement spéculatif 
et du milieu scolaire, à une application des plus pra- 
tiques dans la situation du monde moderne. Et c>st 
pourquoi aussi elle s'enrichit d'une antithèse vigou- 
reuse entre la participation légitime du peuple au pou- 
voir et sa souveraineté, telle que Rousseau la supposait* 
On retrouve le même enseignement dans l'encyclique 



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Immortale Dei, du l*"" novembre 1885, sur la constitu- 
tion chrétienne des États, § Sed perniciosa illa et 
§ Ejusmodi ne regenda civitate. 

C'est donc une bienveillante neulrahlé de VÉglise, 
que Léon XIII affirme entre les diverses formes du 
pouvoir civil : neutralité, parce que l'Église a reçu de 
Jésus-Christ, par révélation, les principes de son propre 
gouvernement, mais non ceux des gouvernements 
civils: neutralité bienveillante, parce que l'Église recon- 
naît là des manifestations naturelles de la vie sociale, 
et donc des lois providentielles, dans l'établissement 
des pouvoirs politiques. 

2» A l'exposé des principes, s'ajoutent, chez Léon XIII, 
certaines visées d'application, puisque, aussi bien, 
c'est le mouvement démocratique moderne qui lui 
suggère en fait son enseignement explicite sur l'acces- 
sion du peuple au pouvoir ou à son partage. 

Dans Tencyclique Immortale Dei, une brève re- 
marque établit que, t dans certaines époques et sous 
certaines lois, la participation plus ou moins grande du 
peuple au pouvoir n'est pas seulement chose utile : 
elle devient un devoir. » § Hœc quidem sunt quœ de 
constituendis. Un peu plus tard, le 10 janvier 1890, 
Tencyclique Sapientim christianas définit les princi- 
paux devoirs civiques des chrétiens. Adressée à l'uni- 
vers catholique, sans distinction de républiques ou de 
monarchies, elle atteste par son objet même que, par- 
tout, la valeur individuelle et morale de l'homme, 
l'action privée et publique du citoyen devient par elle- 
même un facteur de la prospérité et du bien commun. 
Tandis que Grégoire XVI s'adressait encore aux princes 
comme aux c pasteurs et tuteurs des peuples » (ency- 
clique Mirari vos), Léon XIII s'adresse aux citoyens 
qui, dans les monarchies comme dans les républiques, 
représentent presque partout maintenaot l'accession du 
peuple au pouvoir dans une mesure ou dans une autre. 
De tels enseignements sont venus à leur heure, dans 
le temps où le suffrage universel s'établit ou se con- 
quiert par degrés, et où l'Église elle-même réclame 
l'action publique de ses fidèles pour la défense de ses 
droits qui sont les leurs. Des devoirs civiques plus 
grands, plus compliqués et plus généraux s'imposent, 
en effet, dans toute société, que ne gouvernent plus de 
rares privilégiés, nobles de naissance, capacités légales 
ou censitaires. 

^ Léon XIII eut enfin à résoudre, dans le concret, le 
cas de conscience national de la démocratie politique 
en France. Comme il le dit lui-même dans sa Lettre à 
Msr Mathieu, archevêque de Toulouse (28 mars 1897), 
il voulut approprier les maximes traditionnelles des 
grands docteurs et du saint-siège, à l'état de la France, 
en matière d'obéissance aux pouvoirs établis. L'ency- 
clique au clergé de France, du 16 février 1892, ensei- 
gnait la reconnaissance du régime établi, la République, 
comme un devoir envers le bien commun. § Or, cette 
nécessité sociale, § Par conséquent. L'encyclique aux 
cardinaux français, du 3 mai suivant, résumait cette 
doctrine — on s'en souvient, si controversée dans la 
presse dite conservatrice : « Lorsque, dans une société, 
il existe un pouvoir constitué et mis à l'œuvre, l'intérêt 
commun se trouve lié à ce pouvoir, et l'on doit, pour 
cette raison, l'accepter tel qu'il est. C'est pour ces mo- 
tifs et en ce sens que nous avons dit aux catholiques 
français: € Acceptez la Républiqiie, » c'est-à-dire le 
pouvoir constitué et existant parmi vous ; respectez-la ; 
soyez-lui soumis comme représentant le pouvoir venu 
de Dieu. » 

Ainsi, par le fait de son établissement et de sa mise 
en ceuvre, une démocratie bénéficiait de la doctrine 
traditionnelle sur l'acceptation des pouvoirs constitués. 
Le pape rappelait que d'autres régimes en d'autres 
temps avaient de même profité de cette doctrine : 
I Ainsi fut accepté^ en France, le premier Empire, au 



lendemain d'une effroyable et sanglante anarchie; 
ainsi furent acceptés les autres pouvoirs, soit monar- 
chiques, soit républicains, qui se succédèrent de nos 
jours. » On sait, d'ailleurs, avec quelle délicatesse 
Léon XIII reconnut la pleine liberté des préférences 
théoriques ou personnelles en matière politique; avec 
quelle fermeté il indiqua les changements à obtenir 
dans la législation de la République en matière de 
questions religieuses ou de questions mixtes; l'une et 
l'autre réserve dégagent d'autant mieux la reconnais- 
sance du fait démocratique, là où il s'incarne dans un 
régime établi, et la validité des droits issus de cet 
établissement. 

X. Léon XIII : l'éducation morale de la démocra- 
tie; PROBLÈMES CONNEXES. — L'cncyclique Longinqua 
Oceani, du 6 janvier 1895, aux évéques d'Amérique, 
rappelle fortement le besoin spécial qu'une démocra- 
tie a de citoyens honnêtes, et, par suite, la nécessité 
qu'elle éprouve d'une éducation morale pénétrée de 
religion. « S'il s'agit de l'ordre civil, c'est un fait ac- 
quis et reconnu, que, spécialement dans un État popu- 
laire comme le vôtre, il est d'une grande importance 
que les citoyens soient probes et de bonnes mœurs. 
Dans une nation libre, si la justice n'est pas universel- 
lement en honneur, si le peuple n'est pas souvent et 
soigneusement rappelé à l'observation des préceptes de 
l'Évangile, la liberté elle-même peut lui être funeste. 
Aussi, que tous le3 membres du clergé qui travaillent 
à l'instruction du peuple traitent avec netteté les 
devoirs des citoyens, de façon à persuader les esprits 
et à les pénétrer de cette vérité, qu'il faut, dans toutes 
les fonctions de la vie civile, loyauté, désintéressement, 
intégrité. £n effet, ce qui n*est pas permis dans la vie 
privée ne l'est pas non plus dans la vie publique. » 
§ De rontm génère civili. 

Dans ces conseils, les allusions sont claires aux 
pratiques immorales des politiciens et des partis en 
Amérique. Elles ne le sont pas moins dans le Discours 
du 8 octobre 1898 aux pèlerins ouvriers français ; mskis 
cette fois elles visent les périls moraux de la démocra- 
tie sous leur forme spécialement française : c Puisque 
vous venez de faire allusion à la démocratie, voici ce 
qu'à ce sujet nous devons vous inculquer... Si la dé- 
mocratie veut être chrétienne, elle donnera à votre 
patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur. 
Si, au contraire, elle s'abandonne à la révolution et au 
socialisme; si, trompée par de folles illusions, elle se 
livre à des revendications destructives des lois fonda- 
mentales sur lesquelles repose tout ordre civil, l'effet 
immédiat sera, pour la classe ouvrière elle-même, la 
servitude, la misère, la ruine. » 

Ces enseignements pontificaux laissent apercevoir, en 
France comme en Amérique, une véntable ctHse mo- 
rale de la démocratie dans l'ordre politique : doctrines 
subversives et personnel corrompu. C'est une crise 
constatée par des observateurs de tout pays et de tout 
bord. £n dehors des milieux catholiques elle inspire 
de nos jours une copieuse littérature : Barni, La mo- 
rale dans la démocratie, Paris, 1885; Jules Payot, 
L'éducation de la démocratie, Paris, 1897; Léon Bour- 
geois, Uéducation de la démocratie, Discours, 1897; 
Solidarité, 1898. Voir aussi les ouvrages déjà cités de 
Bryce, La République américaine, et de Prins, De 
Vesprit du gouvernement démocratique. 

Des catholiques français poursuivent l'éducation 
morale de la démocratie comme nécessaire à son orga- 
nisation politique et sociale. Ils ont .le vif sentiment 
des ressources propres au catholicisme pour cette 
œuvre de vie : l'irréligion propagée dans les masses 
leur apparaît un crime contre le peuple et la destruc- 
tion même de ses capacités à bien se gouverner. Fon- 
segrive» Qatholicisme et démocratie, La crise sociale, 
p. 494j 496j Mare Sangnier» L'esprit démocratique, 



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DÉMOCRATIE 



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Paris, 1906; Qui fera la démocratie, Paris, 1906; La 
lutte pour la démocratie, Paris, 1908; Georges Renard, 
Sept conférences sur la démocratie, Paris, 1907; Louis 
Brouard, Petit catéchisme du démocrate, Paris, 1908. 
D'autres catholiques, il est vrai, combattent vivement 
les méthodes, les tendances, les doctrines du Sillon. 
Emmanuel Barbier, Les idées du Sillon. A quoi répond 
Jean Desgranges, Les vraies idées du Sillon. Cf. Albert 
Schatz, L'individualisme économique et social, Paris, 
1908. Le chapitre, intitulé : Lihét*alisme et christia- 
nisme, analyse les idées directrices de la démocra- 
tie chrétienne avec beaucoup d'impartialité. 

Ces idées même se propagent dans les milieux qui 
ne sont point spécifiquement démocratiques : « En 
fait, l'Association catholique de la jeunesse française 
poursuit l'œuvre sociale de M. de Muii et de M. de la 
Tour du Pin « en la démocratisant », comme Ta dit 
M. Georges Piot, son jeune et très compétent historien. 
« Aristocratique dans ses origines, TA. C. J. F. est dé- 
mocratique dans ses tendances. » T. Cheminât, dans le 
Bulletin de littéralw^e ecclésiastique, 1908, p. 72. Voilà 
un signe que le problème de l'éducation morale de la 
démocratie s'impose de nos jours universellement. Il 
aura eu sans doute ses pionniers, plus ardents que 
mesurés, auxquels M. Schatz reconnaît de l'instabilité 
et de la confusion dans les doctrines économiques, 
mais qui auront forcé l'attention et ouvert une voie où 
il est du devoir des esprits sages de s'avancer avec 
leur sagesse, courageusement, pour aider le peuple à 
connaître les devoirs que lui imposent ses droits et ses 
vœux. 

Une situation est donc faite, où l'organisation du 
régime démocratique et le problème moral de l'éduca- 
tion civique sont étroitement connexes. Le suffrage 
universel existe en France; ailleurs, il se prépare ou se 
conquiert; il se réalise ou se poursuit généralement en 
des conditions qui n'assurent aux électeurs, pris en 
masse, aucune garantie de sagesse et d'équité dans 
leurs choix» et qui les placent à la merci de politiciens, 
de comités, de clans exploiteurs, vivant de la chose 
publique comme d'un métier lucratif. Il y a là une 
question d'organisation légale et constitutionelle, rele- 
vant en soi, non pas de la théologie et de la morale, 
mais de la science sociale et politique. Néanmoins celle- 
ci constate l'imprescriptible nécessité du facteur moral 
et religieux dans la vie civique; elle découvre aussi l'in- 
suffisance des pures exhortations morales et religieuses, 
si une situation mal établie et corruptrice en combat les 
effets ou les énergies. C'est pourquoi il importe de con- 
sidérer ici quelles sont les conditions normales des 
vertus civiques dans une démocratie, au point de vue 
des institutions. Ces notions de science pure devien- 
nent d'un intérêt moral et religieux très manifesta, 
une fois dûment constaté que telles et telles institu- 
tions imposent aux citoyens des devoirs hors de toute 
proportion avec leur dose exigible de sagesse et de 
justice, et que d'autres proportionnent bien ces de- 
voirs à leurs capacités ou même développent ces 
dernières. Si la justice distributive, comme l'appellent 
les théologiens, consiste précisément à répartir les 
charges et avantages de la vie politique à proportion 
des capacités, le problème de l'organisation civique 
n'intéresse pas moins la morale que la science. Et c'est 
pour cette raison que, rapidement, nous indiquons ici 
ses principales données et la littérature à consulter 
pour le résoudre. 

1® C'est un fait constaté que dans les affaires des 
communes rurales, l'assemblée universelle des citoyens 
domiciliés constitue le meilleur juge du bien commun, 
le plus intéressé au bon emploi des fonds, le plus in- 
corruptible de sa nature. Voilà pourquoi la commune 
inirale n'est pas seulement le terrain naturel de la dé- 
mocratie sous sa forme la plus directe, mais encore son 



école primaire et son école d*application la meilleure. 
L'éducation civique, donnée par le pédagogue et par le 
manuel, demeure verbale et ne forme pas le jugement, 
tandis que le sens pratique se développe, et, avec lui, 
'équité, le dévouement au bien commun, là, où, dès leur 
enfance, les citoyens ont vu leurs pères et leurs grands 
frères activement gérer pour leur part les intérêts de 
la commune.Voir les ouvrages cités, col. 276. 

2<> Ce que la commune rurale est pour le paysan, le 
syndicat pt*ofessionnel le devient pour l'ouvrier indus- 
triel, dans la mesure où ce syndicat se dégage des ba- 
vardages révolutionnaires, des menées politiciennes et 
s'occupe sérieusement des intérêts du métier. C'est là 
que l'ouvrier se forme à la sagesse pratique et à l'amour 
pratique du bien commun, à la prudence et à la justice, 
vertus maîtresses du citoyen dans la démocratie. C'est 
là qu'il s'habitue à une action intelligente et informée, 
disciplinée et personnelle, en vue de son bien et de 
ses droits; là enfin que s'élèvent, par la. gestion des 
charges corporatives et par l'ensemble d'études et de 
démarches qu'elles réclament, de véritables aristocrates 
naturels, élite morale et sociale, qui représente au plus 
haut degré les aspirations et les capacités de la classe 
ouvrière. Les ouvrages déjà cités de Howell, Le passé 
et l'avenir des Trade-Unions, et de Paul Bureau, Le 
contrat de travail, le rôle des syndicats professionnels, 
exposent des faits probants sur eette valeur éducative 
du syndicat professionnel. On consultera aussi utile- 
ment Paul de Bousiers, Le Trade-Unionisme anglais. 
Une nouvelle enquête sur le Trade-Unionisme, dans 
La science sociale, 1896, t. xxr, p. 181 sq. ; Le congrès 
des Trade-Unions à Belfast, 1893, t. xvr, p. 239, 241. 
Voir Corporations, t. m, col. 1877, 1878. 

Les syndicats professionnels présentent ainsi le 
mode de groufvement le plus favorable au développe- 
ment de la prudence et de la justice dont les ouvriers 
ont besoin pour exercer leurs droits civiques dans la 
démocratie. Ce n'est pas que le syndicat n'ait ses dan- 
gers, ses tentations de violence ou de tyrannie; mais 
la pratique des intérêts professionnels, leurs exigences 
de transaction et d'entente avec les patrons, la forma- 
tion individuelle de la conscience morale et religieuse, 
constituent autant de forces supérieures dont les plus 
anciennes des Trade-Unions ont expérimenté les bien- 
faits. C'est par l'ensemble de ces ressources organiques 
que le mouvement syndical vraiment professionnel 
appelle de soi la sympathie de l'Église et le concours 
de son action morale, par le moyen des ouvriers 
croyants. De même et par la réciproque, l'Église ap- 
pelle l'action éducative du .syndicat; elle la désire à 
titre de condition sociale qui moralise le mieux la classe 
ouvrière, dans l'exercice de la démocratie. Voir Corpo- 
rations, t. III, col. 1871. 

3^ Les vertus civiques de la démocratie réclament 
aussi le gouvernement local et autonome des com- 
munes urbaines, des circonscriptions de pays ou de 
province, parce que ce sont là des groupes naturels et 
particuliers, dans l'ensemble d'une grande nation, et 
que les intéressés directs sont mieux portés que qui 
que ce soit à la gestion honnête, appliquée et bien in- 
formée, de leurs propres affaires. Ici encore, nous nous 
retrouvons dans le domaine spécial de la sociologie ou 
de la science politique; mais l'existence du gouverne- 
ment local intéresse la morale par les services qu'il 
rend au bien commun, et par sa haute valeur éducative. 
Tandis que les parlements nationaux légifèrent de loin, 
de trop loin et uniformément, maladroitement, pour 
des populations trop nombreuses, trop disparates, trop 
dissemblables dans leurs besoins, Prins, De Vesprit 
du gouvernement démocratique, p. 239, 240, « il est 
dans la nature des choses, que le gouvernement parle- 
mentaire, pliant sous un fardeau trop lourd, et incapa- 
ble de tout faire à lui seul, ait à ses côtés des rouages 



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DÉMOCRATIE 



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auxiliaires pour le soulager et obtenir une meilleure 
répartition des tâches. Le mode de distribution le plus 
rationnel est celui qui accorde à des catégories de per- 
sonnes le soin de s'cuiministrer elles-mêmes pour des 
catégories d'intérêts qui leur sont propres en raison 
de rhomogénéité de leur vie, de leurs occupations, de 
leurs tendances ou de leurs qualités spéciales. » Prins, 
loe, cit., p. 240. — Alors, tandis que l'État ou le par- 
lement décongestionne ses pouvoirs, on voit s'épanouir 
dans nos grandes nations i intérêts compliqués et de 
vie intense, c une floraison touffue d'associations va- 
riées, constituées en vue de l'utilité publique : univer- 
sités, instituts scientifiques, charitables, religieui, 
artistiques; sociétés pour la fourniture du gaz, de î'élec- 
tricité, de la chaleur, de l'eau ; sociétés de transports, 
d'épargne, de crédit, d'assurances; mutualités, ligues 
contre l'alcoolisme ou pour la protection des animaux, 
ou pour la moralité publique ou pour la poursuite de 
certains délits; chambres libres de commerce, d'indus- 
trie, de travail, d'agriculture ; sociétés coopératives, etc. » 
Prins, toc, cit., p. 256. Gladstone disait en 1892 : « Plus 
les années s'accumulent sur moi, plus j'attache de prix 
aux institutions locales. C'est par elles que nous ac- 
quérons l'intelligence, le jugement, et que nous nous 
rendons aptes à la liberté. Sans elles, nous n'aurions pu 
conserver nos institutions centrales, » cité par Prins, 
p. 200, et par Ferrand, Les peuples libres, p. 97. 

Les avantages éprouvés du gouvernement local con- 
sistent à initier les citoyens qui en sont chargés à 
Tétude expérimentale et au soin concret des intérêts 
locaux : services publics, comme la justice, la police, 
les écoles, la bienfaisance, l'hygiène; services tech- 
niques accessoires, comme routes, ponts, bâtiments, 
égouts, voirie ; on procède par commissions d'étude et 
d'inspection, visites personnelles d'enquête, préparation 
de rapports et de projets, toujours dans la sphère des 
besoins communs et immédiats à un groupe dont on 
est membre sur place. Aussi, à l'éloquence grandi- 
loquente et théâtrale des politiciens, se substituent le 
travail utile et de sobres discours. Les sujets à traiter 
sont familiers et donnent fréquemment Toccasion de 
pratiquer la bienveillance, le dévouement, la pitié. C'est 
pourquoi des écrivains autorisés comme Prins, Grey, 
Von Mohl, Bryce, considèrent unanimement le gou- 
vernement local comme développant l'amour intelligent 
du bien public chez ses agents. C'est donc une institu- 
tion de haute valeur morale. Elle favorise d'ailleurs 
beaucoup moins le mauvais esprit de clocher et la fatuité 
des grands hommes de petits trous que le régime de la 
tutelle administrative et de la centralisation absolue. 
C*est dans ce régime à subalternes irresponsables et 
sans initiative, et à favoritisme, que brillent le plus les 
beaux parleurs humanitaires, vaniteux de la faveur 
officielle dont ils jouissent. Au contraire, c'est d'abord 
sor le modeste champ des affaires municipales, canto- 
nales, provinciales, et des associations de bien public, 
que se façonnent, s'éprouvent, se distinguent peu à peu 
les futurs hommes d'État. Si la commune rurale et le 
syndicat ouvrier peuvent se considérer comme les écoles 
primaires naturelles de la capacité et de la vertu civi- 
ques dans la démocratie, les institutions diverses du 
gouvernement local en réalisent pour ainsi dire les 
écoles supérieures. Avec leurs fonctions électives et 
gratuites, ces institutions ne consacrent pas de privi- 
lèges en faveur des riches, parce qu'elles n'offrent pas 
de ces complications d'affaires, qui, dans le gouverne- 
ment central, exigent des spécialistes absorbés par la 
fonction. Le gouvernement local ne prend que des 
heures intermittentes pour des mandats temporaires. 
Prins, loc. cit., p. 273, 274; Levasseur, Questions ou- 
vrières et industrielles en France sous la troisième 
République, Paris, 1907. D'ailleurs, on commence, aux 
Ét^Unis, à doter certaines charges du gouvernement 



local d'une indemnité journalière, équivalente au salaire 
moyen d'un bon ouvrier, de manière à ce que ceux-ci 
ne se trouvent point, en fait, évincés de ces charges. 
Goodnow, Comparative administrative Laiv, t. i, 
p. 232. 

A côté de ses agents, le gouvernement local assagit 
et moralise aussi les masses, dont il protège et sert les 
intérêts par des mesures pratiques, avantageuses pour 
tous. Au lieu de griser la classe populaire avec des 
mots capiteux, de l'associer à des haines de clan, 
comme le font les politiciens — les représentants des 
libertés locales donnent satisfaction à de justes désirs, 
intéressent l'opinion à des questions positives et pra- 
tiques d'intérêt et de droit, portées à la connaissance 
de tous par des débats publics, des articles et informa- 
tions de presse. Celle-ci prend là un ton sérieux et 
rassis. A ce point de vue, Guizot et Gneist attachent le 
plus grand prix aux organes et aux fonctions du gou- 
vernement local. Guizot, Histoire des origines dugou- 
veimement représentatif, Bruxelles, 1851, 1. 1, p. 180 sq.; 
Gneist, Die Preussische Kreisordnung, Berlin, 1870, 
p. 23 sq. Par ces dispositions qu'il réalise dans les 
masses, comme par les services qu'il réclame, le gou- 
vernement local élimine le politicien et sa « politique 
alimentaire », pour installer à leur place des notabilités 
communales, cantonales, provinciales, qui ne se clas- 
sent pas en partis, mais qui se groupent selon les cas 
et les affaires. Macy, Our govemment, Boston, 1902, 
p. 231 ; Shaw, Municipal govemment in Great Britan- 
nia, dans Political science Quarterly, t. x, p. 200 sq. ; 
Fox, County Council as it works, dans Yale Beview, 
1895, 1896, p. 87; Prins, loc. cit., p. 262, 263; Maurice 
Vauthier,£»e gouvernement local de l'Angleterre, Paris, 
1895; Blacke Odgers, Local goi^emment, Londres, 1901. 

4p L'éducation morale du peuple ne s'achèvera pas, 
dans l'ordre politique, sans une réforme et une orga- 
nisation du suffrage univa^sel. Ici encore, nous énon- 
çons une proposition de science sociale et non de théo- 
logie; mais cette proposition nous fournit des données 
nécessaires pour l'efficacité de l'enseignement moral 
et chrétien du devoir civique à notre époque. Et c'est 
pourquoi, l'on ne saurait trop encourager les théolo- 
giens à étudier un problème que non seulement les 
savants purs ou les hommes politiques approfondissent, 
mais sur lequel les travaux des catholiques sociaux en 
France, et de la revue Vassocialion catholique ont ac- 
cumulé de précieuses études depuis trente ans. 

Une nation n'est pas la poussière d'individus que 
Rousseau imaginait formant l'État, à l'exclusion de tout 
groupe intermédiaire, en transportant peut-être une 
vue superficielle et faussée des Landsgemeinden, dans 
une théorie pire encore de la société politique en 
général. Cette théorie fut appliquée par la Révolution, 
en haine des corps privilégiés de l'ancien régime, et 
au grand dommage de l'éducation civique des Français. 
Une grande nation surtout est un ensemble complexe 
de groupes naturels. Les uns se fondent sur le travail, 
le domicile, le voisinage commun d'un certain nombre 
de familles, et ce sont les communes rurales, déposi- 
taires des intérêts agricoles dans toute la nation. D'au- 
tres groupes se fondent sur la communauté de travail 
en des endroits pourtant divers et même distincts; et 
ce sont les ouvriers des mines, des transports, de l'in- 
dustrie, avec leurs syndicats ouvriers, et les patrons, 
syndiqués aussi ; le commerce, les professions libérales, 
les corps universitaires constituent également des grou- 
pes distincts par nature, et dont le bon fonctionnement 
est utile à toute la nation. La propriété aussi bien con- 
stitue pour sa part une classe de spécialistes et d'intérêts 
nationaux, lorsque le sol d'un pays et ses méthodes agri- 
coles, scientifiques et soignées demandent et produisent 
le type du grand propriétaire. C'est à l'intérieur de tous 
ces groupes professionnels, que les individus vivent 



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3H 



DÉMOCRATIE 



312 



quotidiennement ; c'est des fonctions complémentaires, 
exercées par chacun de ces groupes, harmonisées entre 
elles avec justice pour tous et entre tous, que résulte la 
paix, que ressort le bien commun. Aussi, la nation appe- 
lée à se gouverner par ses représentants, ^elon le système 
démocratique, ne sera représentée que par les repré- 
sentants de ces groupes et intérêts divers. Et où, et par 
qui seront-ils mieux choisis, avec une meilleure con- 
naissance des personnes et des choses, que par les 
membres de la profession ? Nos circonscriptions d'ar- 
rondissement confondent des électeurs de toute caté- 
gorie dans le choix de personnes inconnues d'eux, 
et sur des énoncés de programmes où 99 citoyens sur 
100 sont incompétents, car il ne s'agit de rien moins 
que d'un programme total de gouvernement pour toute 
la nation ! Aussi peut-on appliquer au suffrage uni- 
versel, tel que nous l'avons et qu'il existe en d'autres 
pays, ce qu'on a dit des élections présidentielles aux 
États-Unis : « Les organisateurs ne consultent pas 
l'opinion publique; ils la créent. Ils la manipulent, 
la pétrissent, la séduisent, la corrompent, la dominent, 
la suggestionnent de mille manières. La désignation 
en est faite, non parce que la foule est là, mais quoi- 
qu'elle soit là, non par sa décision, mais parce que 
des comités d'une dévorante activité ont décidé pour 
elle. » Ostrogorski, La démocratie et Vorganisation 
des partis politiques, Paris, 1903; Macy, Our goverfi- 
ment, Boston, 1902, p. 244. Aussi, une démocratie par- 
lementaire, qui repose sur le suffrage universel brut 
et amorphe, n'est qu'une démocratie de façade, menée 
effectivement par des minorités politiciennes. Gh. Be- 
noist, La crise de l'État moderne, Paris, 1897, p. 26, 
27; Sophisnies politiques de ce temps, Paris, 1895; 
Em. Lahovary, Histoire d'une fiction, le gouvernement 
des partis, Bucarest, 1897 ; sir Henry Summer Maine, 
Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc., 
p. 145, 157; Georges Goyau, Autour du catfwlicisme 
social, 2« série, 1901, p. 46, 54. Régime d'incompétence 
chez l'électeur et de corruption chez les faiseurs d'élec- 
tion, tel est le bilan moral, désormais acquis, à la charge 
du suffrage inorganique. Et comme, d'autre part, tout 
le monde s'entend à reconnaître l'impossibilité pratique 
de revenir au suffrage restreint — par exemple, Benoist, 
De l'organisation du suffrage universel, p. 28, 30 ; de 
Lamarzelle, Démocratie politique, p. 7, 8, n. 1 — la 
conclusîon est qu'il faut organiser le suffrage universel. 
Le problème de l'éducation civique et morale néces- 
saire à la démocratie engage donc ce dernier problème, 
que M. Charles Benoist a magistralement traité dans 
son ou^Tage sur L'organisation du suffrage universel. 
Il y examine : 1<> les expédients et palliatifs compatibles 
avec la forme actuelle : éducation [des électeurs, vote 
obligatoire; 2^ les changements de forme accidentels : 
scrutin de liste ou d'arrondissement; vote secret ou 
public; limitations des dépenses électorales; 3^ les 
changements minimes en substance : l'âge, le domicile, 
le minimum de capacité; 4oles combinaisons : suffrage 
à plusieurs degrés et vote plural ; 5« la représentation 
proportionnelle des opinions ; 6« la représentation 
réelle du pays. Relativement à celle-ci, M. Benoist étu- 
die : lo les fondements théoriques et philosophiques de 
la représentation professionnelle; 2« ses fondements 
historiques; 3« ses éléments dans les législations exis- 
tantes : survivances ou formes anciennes; formes mixtes 
ou renouvelées; formes nouvelles ou progressives. L'ou- 
vrage se termine par un essai d'application à la France. 
Il est à lire et i méditer par tous les moralistes, qui, 
sans sortir de leur compétence, voudront sortir néan- 
moins des généralités et des lieux communs, sur la 
réforme du suffrage universel et de ses mœurs. De 
même que, au traité de la justice et des contrats, le 
théologien doit connaître un bon nombre de lois civiles 
et de théories juridiques, de même, au traité des De- 



voirs civiques, encore à faire, le théologien devra con- 
naître les institutions qui assureraient le mieux sa 
compétence et sa probité au suffrage populaire, et, par 
suite, les études techniques de science sociale et de 
science politique nous sont, de par nos devoirs, aussi 
indispensables que celle de l'anthropologie ou de toute 
autre science auxiliaire. Nous y gagnerons une préci- 
sion et une sérénité d'esprit strictement nécessaires 
à la valeur de nos jugements moraux sur le régime 
politique nommé démocratie. 

XI. L'ENCYCLIQUE DB CONDITIONS OPIFJCUM ET LA 

DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL. ~ On peut ap- 
peler ce document la charte pontificale de la démo- 
cratie, en prenant ce terme dans le sens dérivé de 
mouvement social pour Vamélioration de la vie chez 
les ouvrie^^s. Dans l'exorde, Léon XIII résume vigoureu- 
sement les causes du redoutable conflit que le xix* siècle 
vit naître dans la société : 1« progrès nouveaux de 
l'industrie et méthodes nouvelles des arts mécaniques; 
2® altération des rapports entre patrons et ouvriers ; 
3o concentration des richesses entre les mains du petit 
nombre et indigence de la multitude; 4» opinion plus 
grande que les ouvriers ont conçue d'eux-mêmes et 
leur union plus compacte; 5o corruption morale. Cette 
énumération place fort exactement la révolution 
technique et industrielle opérée par le machinisme au 
premier rang des facteurs qui ont produit l'antagonisme 
actuel des classes ; viennent ensuite les faits de concen- 
tration ouvrière, de concentration patronale et de 
démoralisation dont les économistes et les politiques 
ont, comme Léon XIII, reconnu l'enchaînement. Mais 
le pontifie annonce de suite le haut point de vue de 
justice qui domine son intervention : t préciser avec 
justesse les droits et les devoirs qui doivent à la fois 
commander la richesse et le prolétariat, le capital et le 
travail. Le problème n'est pas sans danger, parce que 
trop souvent des hommes turbulents et astucieux 
cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour 
eiciter les multitudes et fomenter des troubles. 
Quoi qu'il en soit, nous sommes persuadé, et tout le 
monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes 
et efficaces, venir en aide aux hommes des classes infé- 
rieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une 
situation d'infortune et de misère imméritées. > Ces 
dernières paroles sont absolument neuves : si, d'un 
côté, Léon XIII ne reste pas moins sévère aux violences 
et aux excitations révolutionnaires que Grégoire XVI 
ou Léon XII, d'autre part, il bénéficie de soixante 
années où le conflit social, se prolongeant, fut observé, 
étudié, apprécié par de nombreux esprits, notamment 
par ces économistes ou ces hommes d'action catholiques, 
si justement appelés les précurseurs du mouvement 
social catholique ou ses premiers initiateurs. Victor de 
Clercq, Les doctrines sociales catholiques en France, 
depuis la Révolution jusqu'à nos jours, Paris, 1905, 
2 brochures. Voir Corporations, t. m, col. 1870, 1871. 
Depuis les écrivains contre-révolutionnaires, comme Jo- 
seph de Maistre et Donald, en passant par Chateaubriand, 
Ballanche, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, le 
comte de Coux, Villeneuve-Bargemont, Louis Veuillot, 
Ozanam, jusqu'à Gratry, Charles Périn, René de la Tour 
du Pin, le comte de Mun, Ketteler, Vogelsang, Decurtins, 
etc., l'application des principes évangéliques à l'amélio- 
ration physique, sociale et morale de la vie ouvrière de- 
vint de plus en plus un sujet d'études et un principe 
d'action. Par l'organe d'une élite de croyants et de pen- 
seurs, l'Église enseignée sollicitait implicitement l'auto- 
rité pontificale à se prononcer sur cette cause majeure. 
Des gens même du dehors, comme Bûchez et son école« 
d'anciens saint-simoniens, comme le banquier Israélite 
Isaac Pereire, sollicitaient expressément une action nou- 
velle de la papauté. « Jamais œuvre plus digne d'elle, 
plus conforme à l'enseignement de son divin maître ne 



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DÉMOCRATIE 



314 



s*est offerte à la soUicitade de l'Église. N'est-elle pas, 
par son principe même, la mère de tous les petits, la 
protectrice des opprimés? Après avoir détruit Tescla- 
vage antique et le servage féodal, l'Église doit encore 
améliorer le sort de l'ouvrier moderne. » Isaac Pereire, 
La qitestion religieuse, Paris, 1878, cité par Leroy- 
Beaolien, La papauté, le socialisnw et la démocratie, 
p. 8, 9. Aussi, quand Léon XIII eut répondu à ces as- 
pirations par l'encyclique De conditione opificum, un 
observateur, étranger à la foi, mais clairvoyant, recon- 
nut là un contact délibéré avec le monde nouveau du 
travail et de l'industrie, un contact nouveau lui-même, 
bien que conforme aux traditions constantes de l'Église. 
Spuller, L'évolution politique et sociale de VÉglise, 
Paris, i8œ, p. 104, 119, 159, 162, 164, 170. Ck)nformé- 
ment à la justice et à la charité chrétiennes, le pontife 
blâmait Tindividualisme de la Révolution, qui « avait 
détruit, sans rien leur substituer, les corporations an- 
ciennes », et, de la sorte, « livré à la merci de maîtres 
inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée, 
les ouvriers isolés et sans défense. » 

£n regard de cette « misère imméritée », Léon XIII 
considère la puissance des spéculateurs qui accaparent 
les affaires, la concentration des entreprises et des mar- 
chés aux mains d'un petit nombre de riches et d'opu- 
lents, < qui imposent un joug presque servile à l'infînie 
multitude des prolétaires. » 

L'état de la question ainsi posé, l'encyclique se divise 
en quatre parties : 1« l'action des socialistes ; 2« l'action 
de l'Église, .^ Confidenter ad argunientum aggredi- 
mu8;dp l'action de l'État, § Jani vero quota pan reme- 
cUi; 4« l'action des patrons et des ouvriers, § Postremo 
domini ipsique opifices, 

1* L'action des socialistes vise toute à organiser la 
propriété collective du sol et des moyens de travail. 
Elle « n'aurait d'autre effet que de rendre la situation 
des ou>-riers plus précaire, en leur retirant la libre dis- 
position de leur salaire et en leur enlevant par le fait 
même tout espoir d'améliorer leur situation. » Donc, 
solution nuisible. De plus, injuste : l'individu serait 
lésé dans son droit naturel de posséder par lui-même 
les moyens qu'il prévoit nécessaires i sa vie, et les 
fruits du travail qu'il entreprend à ses fins. < Et qu'on 
n'en appelle pas à la providence de l'État, car l'État est 
postérieur à l*homme, et avant qu'il pût se former, 
l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre 
et de protéger son existence, » A ce propos, réfutation 
occasionnelle de la nationalisation du sol. De ce que 
Dieu donna la terre au genre humain, il ne s'ensuit pas 
qu'il la livra à celui-ci comme à l'unique propriétaire 
collectif, mais simplement qu'il laissa la délimitation 
des divers types de propriété à l'industrie humaine et 
aux institutions des peuples. De plus, le travail de défri- 
chement, de culture et d'amélioration incorpore à la 
terre une fécondité et une plus-value tellement inhé- 
rentes à elle qu'on ne saurait en jouir sans posséder 
la terre elle-même. Injuste encore pour la famille, la 
doctrine socialiste, car elle ôte à son chef le moyen 
d'élever ses fils et de leur constituer un patrimoine. 
Léon XIII, à ce propos, revendique fortement l'autono- 
mie de la famille dans l'État, et la supériorité de ses 
droits dans la sphère de sa fin propre et immédiate, 
pour ie choix et l'usage de tout ce que veulent sa con- 
servation et son .indépendance. § Quod igitur demon^ 
stnwimus. Injuste enfin pour la société entière, le ré- 
gime socialiste amènerait c une odieuse et insupportable 
servitude pour tous les citoyens », priverait le travail 
et le talent du stimulant nécessaire de la propriété et 
réaliserait, c à la place de Tégalité tant rêvée, l'égalité 
dans le dénûment, dans l'indigence et la misère. » 
D'où Léon XIII conclut que le premier fondement à 
poser pour tous ceux qui veulent sincèrement le bien 
du peuple, c'est V inviolabilité de la propriété privée. 



Toute la critique du socialisme par l'encyclique tend à 
l'établissement de ce principe, qui est la contradictoire 
du principe socialiste, malgré les atténuations de pru- 
dence et de politique apportées à ce dernier par les 
maîtres du socialisme. Voir Communisme, t. iir, col. 592, 
593. 

'2^ L'action de VÉglise, continue Léon XIII, enseigne 
d'abord le respect des inégalités de condition qui sont 
le résultat naturel des différences de talent, d'habileté, 
de force, et qui tournent au bien de tous, en diversi- 
fiant les fonctions à mesure des aptitudes. C'est la répro* 
bation par l'Église des abus de la tendance égalitairc. 
En dehors même des catholiques, cette réprobation se 
rencontre également vigoureuse. Prins fait consister 
« l'utopie égalitaire » dans la c tendance à l'égalité des 
conditions. » De Vesprit du gouvernement démocra- 
tique, p. 7. Bougie observe qu'on ne saurait consi- 
dérer l'égalité naturelle des hommes sans tenir compte 
de la valeur individuelle des personnes, si différentes 
de qualités et de mérites. Les idées égalitaires, Paris, 
1901, p. 22, 27. Bryce décrit le respect des notoriétés 
et des valeurs individuelles qui s'allie toujours chez les 
Américains au sentiment très vif de l'égalité naturelle, 
civile et politique. La République américaine, t. iv, 
p. 522, 539. C'est donc un fait de nature et un principe 
de juste différenciation, que Léon XIII maintient dans 
l'ordre social, contre les excès de l'égalitarisme. 

Il prémunit aussi le peuple contre l'espérance falla- 
cieuse de posséder un paradis terrestre sans douleur 
ni travail et contre le principe antisocial de la lutte 
des classes. ^ Jllud itaque slatuç^tur primo loco; § Est 
illud in caussa, de qua dicimus. Cf. Léon Poinsard, 
La guen'e des classes peut-elle être évitée? 

L'Église, au contraire de ce faux principe, rapproche 
les classes en leur prêchant à chacune la justice dans 
son état : à l'ouvrier, de fournir intégralement et fidè- 
lement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat 
libre et juste; de ne point léser son patron dans ses 
biens et dans sa personne; de ne point soutenir ses 
revendications avec violence et par l'émeute; de fuir 
les discoureurs artificieux qui le corrompent avec des 
espérances exagérées et des promesses irréalisables. 
Aux patrons, de respecter la dignité de l'homme et du 
chrétien dans l'ouvrier, d'honorer le travail comme un 
noble moyen de sustenter sa vie; de payer le salaire 
intégralement et fidèlement, et un juste salaire; de res- 
pecter et de favoriser l'épargne du pauvre. 

L'Église veut même rapprocher les classes jusqu'à une 
certaine amitié. § Sed Ecclesia tamen, La base chré- 
tienne de cet intime rapprochement consiste dans le 
sens vrai de la vie, qui montre le danger de la richesse 
pour la vie éternelle, et l'essentielle nécessité de bien 
se préparer à celle-ci par le bon usage, soit de la pau- 
vreté, soit de la richesse. Avec ce sens chrétien de la 
vie, les riches distinguent aisément entre leur droit de 
possession, qui est personnel, et leur droit d'usage, 
qui se limite personnellement au nécessaire et au con- 
venable. Ils doivent leur superflu aux pauvres, à titre 
de charité fraternelle. Léon XIII cite à ce propos saint 
Thomas, Sum, theol,, II» II», q. xxxii, a. 4; q. Lxvi, 
a. 2. Le sens chrétien de la vie montre également à tous 
qu'ils sont comptables de leurs talents envers le bien 
public. S. Grégoire le Grand, Homil,, ix, in Evang,, 
n. 7, P, L., t. Lxxvi, col. 1109. Aux pauvres finalement, 
il enseigne l'estime d'un état où a vécu Jésus-Christ et 
pour lequel il garde de tendres prédilections. 

L'Église enfin tourne l'amitié des classes en une vraie 
fraternité, § Quos tamen si christianis, par les dogmes 
de la création et de l'adoption divine, de la fin der- 
nière, de la rédemption. Tous également créés, adoptés, 
sauvés, béatifiés par le même Dieu, les riches et les 
pauvres sont une même famille de frères, dont Jésus- 
Christ est le premier-né. 



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DÉMOCRATIE 



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El Léon XIII termine celte seconde partie de l'ency- 
clique par l'exposé des mœurs et des institutions his- 
toriquement issues de ces croyances et de ces doctrines. 

30 Action de VÉtat. — § Jam vero quota pars renie- 
diif Léon XI 11 déclare parler dans Thypothése de l'État 
chrétien, constitué selon les préceptes de la raison na- 
turelle et de l'Évangile. 

L'État agira d'abord par l'économie générale des lois 
et des institutions, sans excepter les ouvriers de son 
action : c'est son office de servir l'intérêt commun par 
des mesures générales. Il agira ensuite directement 
pour le bien propre des ouvriers, qui sont des citoyens 
aussi bien que les riches, et qui ont droit à la protec- 
tion de leur travanl comme les riches à celle de leur 
propriété. C'est l'exigence de la justice distributive. 
Les ouvriers y possèdent un titre spécial comme fac- 
teurs de la richesse nationale : les gouvernants ont le 
devoir d'intervenir dans les questions ouvrières, dès 
que la paix publique est menacée par les grèves, que 
la religion des ouvriers est violentée, que les ateliers 
mélangent les sexes; que les conditions du travail sont 
iniques; « dans tous ces cas, il faut absolument appli- 
quer dans de certaines limites la force et l'autorité des 
lois; les limites seront déterminées par la fin même 
qui appelle le secours des lois; c'est-à-dire que celles-ci 
ne doivent pas s'avancer ni rien etitreprendre au delà 
de ce qui est nécessaire pour réprimer les abus et écar- 
ter les dangers, » C'est donc au nom de Végalité civi- 
que et de la justice distrihutive, que Léon XIII 
approuve Tintervention des gouvernements dans la 
question ouvrière; toutefois, dans la protection des 
droits privés, l'État doit se préoccuper d'une manière 
spéciale des faibles et des indigents. « La classe riche se 
fait comme un rempart de ses richesses et a moins be- 
soin de la tutelle pnhViqne [minus eget tulela publica]. 
La classe indigente, au contraire, sans richesses pour 
la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur 
la protection de l'État. Que l'État se fasse donc, à un 
titre tout particulier, la providence des travailleurs, 
qui appartiennent à la classe pauvre en général. Quo- 
circa mercenatnos, cuni in muUitudine egena nume- 
runtur, débet cura providentiaque singulari cotti- 
plecti respublica. 9 

Les expressions c tutelle publique y> ei m providence 
des travailleurs » semblent ici forcer le sens des 
expressions latines. Tulela publica veut dire protec- 
tion de l'État et non tutelle ; cura providentiaque, c'est 
le soin et la prévoyance. Leroy-Beau lieu, La papauté, 
le socialisme et la démocratie, p. 121. La traduction 
officielle demande ici à être contrôlée par le texte. Il 
n'en demeure pas moins certain que Léon XIII regarde 
les gouvernements comme tenus en justice à une pro- 
tection spéciale des droits de l'ouvrier, et à une pré- 
voyance non moins spéciale des mesures à prendre en 
leur faveur, partout où ils se trouvent menacés ou 
lésés. 

Suit une énumération des cas sujets à cette interven- 
tion : 1® au bénéfice des intérêts généraux : protéger la 
propriété contre les attaques violentes, empêcher les 
grèves d'entraver les affaires et la paix ; 2« au bénéfice 
des ouvriers directement : sauvegarder les intérêts de 
leur vie éternelle, car, en cela, ils sont les égaux des 
riches et des princes, et par suite leur assurer le repos 
dominical; veiller à la durée du travail et aux inter- 
valles de repos, selon la nature des industries, les sai- 
sons, l'âge, le sexe des ouvriers; n'admettre pas de 
trop jeunes enfants dans les ateliers; interdire aux 
femmes tout engagement contraire à leurs devoirs ma- 
ternels; veiller à la justice du salaire. 

Le salaire n'est juste que s'il procure à l'ouvrier les 
moyens d'existence qu'il attend de son travail. « Que le 
patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conven- 
tions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notam- 



ment sur le chiffre du salaire ; au-dessus de leur libre 
volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée 
et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas 
être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et hon- 
nête. Que si, contraint par la nécessité ou poussé par 
la crainte d'un mal plus grand, il accepte des condi- 
tions dures que d'ailleurs il ne lui était pas loisible de 
refuser, parce qu'elles lui sont imposées par le patron 
ou par celui qui fait rofTre du travail, c'est là subir une 
violence contre laquelle la justice proteste. » Cepen- 
dant, < de peur que dans ces cas et d'antres analogues, 
comme dans ce qui concerne la journée de travail et 
les soins de la santé des ouvriers dans les mines, les 
pouvoirs publics n'interviennent importunément, vu 
surtout la variété des circonstances, des temps et des 
lieux, il sera préférable qu'en principe la solution en 
soit réservée aux corporations ou syndicats dont nous 
parlerons plut loin, ou que l'on recoure à quelque 
autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers, 
même, si la cause le réclamait, avec le secours et 
l'appui de l'État. * 

Après le salaire, V épargne, que l'État doit favoriser 
par des lois favorables elles-mêmes à la propriété, 
dans les masses populaires, par des impôts modérés. 
On y gagnerait une plus juste répartition de la richesse, 
le rapprochement des classes, l'exploitation meilleure 
du sol et l'arrêt de l'émigration pauvre. 

On remarquera la doctrine très nette de Léon XJII 
sur l'égalité. 1« Dans le § sur l'action de l'Église, il 
rappelle les origines naturelles, la légitimité morale, 
les bienfaits sociaux des inégalités de condition dues 
aux différences personnelles d'intelligence, de talent, 
d'habileté, de santé, de force. 2» Égalité universelle des 
chrétiens, comme enfants de Dieu, cohéritiers de Jésus- 
Christ; par suite, fraternité des classes. 3« A propos de 
l'action demandée à l'État, Léon XIII rappelle l'égalité 
des pauvres et des riches comme citoyens, devant les 
lois, et le droit de tous à la protection que réclament 
leurs besoins : « Parmi les graves et nombreux devoirs 
des gouvernants, celui qui domine tous les autres con- 
siste à prendre un égal soin de toutes les classes de 
citoyens en observant les lois de la justice distributive. » 
L'égalité n'est plus ici dans l'uniformité des mesures 
de protection, mais dans leur adaptation entière et adé- 
quate aux besoins de chaque classe, de chaque âge, 
de chaque sexe. Voir Fonsegrive, La crise sociale, 
p. 456, 471. 

4» Vaction des patrons et des ouvriers. — 1. Les 
associations privées : mutualités, caisses pour les 
veuves, les orphelins, les accidents, les chômages. 
Institutions de patronage. 

a) Leur caractère : associations d'initiative privée, 
fondées sur le droit naturel qu'ont tous les citoyens 
de s'entraider pour certaines fins particulières, plus 
vastes que celles de la famille, moins vastes que celles 
de l'État. § Virium suarum explorala exiguitas. — 
b) Leurs droits en face de VÉtat : de droit naturel et 
par elles-mêmes elles existent, sans que l'État puisse 
leur dénier l'existence. — c) Il a simplement le droit 
d'interdire ou de dissoudre les sociétés qui pour- 
suivent des fins malhonnêtes, injustes ou contraires à 
la sécurité publique. « Mais encore faut-il qu'en tout 
cela les pouvoirs publics n'agissent qu'avec une très 
grande circonspection, pour éviter d'empiéter sur les 
droits des citoyens et de statuer, sous couleur d'utilité 
publique, quelque chose qui serait désavoué par la 
raison. » — Suit une digression sur les confréries, 
congrégations et ordres religieux, dont la situation et 
les droits civils sont analogues à ceux des syndicats ou 
corporations. 

2. Les sodalitia artificum, syndicats ou corporations. 
Ce sont les œuvres par excellence. 

a) Opportunité présente des syndicats et corpora- 



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DÉMOCRATIE 



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lions. — En regard des sociétés révolutionnaires, an- 
lichrétienneS) menées par des chefs occultes, il faut 
des associations d'ouvriers chrétiens, autonomes. Pro- 
portionnellement, zèle louable des catholiques qui se 
vouent à Tétade et à la solution pratique des questions 
ouvrières; qui tiennent des congrès sociaux; qui 
fondent ou subventionnent des associations. 

b) L'organisation corporative. — « Si, comme il est 
certain, les citoyens sont libres de s'associer, ils 
doivent l'être également de se donner les statuts et 
règlements qui leur paraissent les plus appropriés 
au but qu'ils poursuivent. » Léon XIII ne croit pas 
( qu'on puisse donner des règles certaines et précises 
pour en déterminer le détail » ; cela dépend des indus- 
tries, des affaires, des pays et d'une foule de circon- 
stances. « Que l'État protège ces sociétés fondées selon 
Je droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur 
gouvernement intérieur et né touche point aux ressorts 
intimes qui leur donnent la vie; car le mouvement 
vital procède essentiellement d'un principe intérieur 
et s'éteint très facilement sous l'action d'une cause 
externe. > 

c) Enfin, que les corporations soient avant tout mo- 
rales et chrétiennes : ainsi le veut la hiérarchie des 
fins dans la vie humaine. Voir Corporations, t. m, 
col. 1871 sq. 

Eu résumé, ce sont les principes du droit naturel et 
de la justice que Léon XIU applique à résoudre le 
problème ouvrier; et ces principes lui commandent 
un souci tout particulier de la protection des travail- 
leurs, soit par eux-mêmes, au moyen de l'association 
professionnelle, soit par l'État, comme gardien et 
comme restaurateur de leurs droits. Sans prononcer 
une seule fois le mot démocratie, l'encyclique De con- 
ditione opificum est un programme complet de démo- 
cratie, dans le sens où ce terme dit l'amélioration 
morale et physique de la vie populaire, par l'action 
convergente du peuple, des patrons, des États et de la 
religion. V. Maumus, VÉglise et la démocratie, Paris, 
1883. 

Dans le même ordre de préoccupations, Léon XIII se 
prononça en faveur d'une législation internationale 
du travail. Lettre à M. Gaspard Decurlins, 6 août 1893. 
Dès 1892, M. Leroy-Beaulieu prévoyait les sympathies 
du saint-siège envers cette nouvelle législation, mais 
il y redoutait les inconvénients et les dangers de com- 
plications étrangères, si cette législation devait s'im- 
poser sous forme de règlements internationaux. La 
papauté, le socialisme et la démocratie, p. 175-176. 
Ne pourrait-elle pas s'établir plus spontanément, par 
rinfluence des revendications ouvrières et du mouve- 
ment syndical, deux forces internationales, s'il en est? 
Déjà, observe M. Decurtins, le droit commercial est 
devenu à maints égards un droit international. Les 
mêmes règles générales font loi dans le monde entier 
en matière de chemins de fer, paquebots, lettres de 
change, sociétés anonymes pour l'exploitation indus- 
trielle ou minière; il semble juste et possible d'étendre 
le bénéfice de mesures analogues à la classe ouvrière. 
Decurtins, Rapport au Congrès international pour la 
protection ouvrière à Zurich, Zurich, 1897 ; Max Tur- 
mann. Le développement du catholicisme social de- 
puis Vencycligue Rerum novarum, Paris, 1900, p. 208- 
i28. Les faits et documents cités par M. Turmann mon- 
trent bien que la législation internationale du travail 
sera possible et réalisable dans la mesure où, simul- 
tanément, la légitime influence de la classe ouvrière, 
organisée par syndicats, l'imposera ou la persuadera 
partout aux gouvernants. Dans l'univers civilisé de 
même que dans chaque nation particulière, le Code du 
travail se rédigera sous l'action du peuple. Et aussi 
bien, toutes les mesures de saine démocratie, préconi- 
iées par Léon XIII, ne visent-elles pas, comme il l'écrit 



lui-même, à rendre le peuple capable de « délimiter 
ses droits et ses devoirs, de se diriger lui-même, de 
travailler comme il convient^à son propre salut » ? Lettre 
au ministre général des frères mineurs, 25 no- 
vembre 1898. 

Cette législation internationale du travail commence 
même à s'élaborer, comme l'observe M. Léon Poinsard, 
Le droit international an xx* siècle, ses progrès, ses 
tendances, Paris, 1907. !• D'une part, les diplomates, 
aidés de conseillers techniques, s'y occupent, dans une 
nouvelle extension de leurs pouvoirs spéciaux : ainsi 
treize Étals, Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, 
Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, 
Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse, ont 
signé le 26 septembre 1906 un acte interdisant aux 
femmes le travail de nuit sauf exceptions très limitées ; 
il devra être mis en vigueur par des lois spéciales dans 
un délai minimum de dix années. Poinsard, loc. cit., 
p. 56. 2*> Des associations internationales privées ac- 
tivent le mouvement de l'opinion et le zèle des gouver- 
nements: Société de législation comparée, à Paris; 
Institut de droit international. Comité maritime 
inte}*national, Association maritime internationale, à 
Paris; Fédération internationale des typographes, au 
secrétariat central à Berne; Association intetmationale 
pour la protection de la propriété industrielle, à Berlin ; 
Union internationale pour la protection légale des 
travailleurs, fondée à Paris en 1900, avec office inter- 
national à Bâle. Poinsard, loc, cit., p. 114, 115. 

XII. L'encyclique Gra vbs de commum et la démo- 
cratie CHRÉnENNE. — Le 18 janvier 1901, ce document 
s'adresse aux évêques du monde entier, pour préciser le 
terme de démocratie chrétienne, lequel « blesse beau- 
coup d'honnêtes gens, qui lui trouvent un sens équivoque 
et dangereux ». En Allemagne, il rappelle de trop près 
« démocratie sociale b, qui est l'étiquette reçue du socia- 
lisme matérialiste et irréligieux. En France, en Belgique, 
en Italie, on lui reproche de confondre le dévouement 
aux intérêts ouvriers avec l'attachement à la forme ré- 
publicaine, et alors il devient un sujet de discordes po- 
litiques entre catholiques poursuivant le même bien so- 
cial. On lui reproche aussi de restreindre en apparence 
l'action sociale du christianisme aux intérêts populaires, 
en négligeant les autres classes. Cf. § Sic igitur Eccle- 
siœ auspiciis. Georges Goyau, Autour du catholicisme 
social, 2« série, Paris, 1901, p. 20, 46. Pour dissiper 
ces malentendus, Léon XIII déclare qu' « il serait con- 
damnable de détourner à un sens politique le terme de 
démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie, 
d'après l'étymologie du terme et l'usage des philosophes, 
indique le régime populaire; mais dans les circon- 
stances actuelles, il faut ne l'employer qu'en lui étant 
tout sens politique et en ne lui attachant aucune autre 
signification que celle d'une bienfaisante action chré- 
tienne parmi le peuple. » En tout régime de gouverne- 
ment, les catholiques doivent poursuivre l'amélioration 
morale et physique de la vie ouvrière, car cette fin 
démocratique ne dépend en soi d'aucune forme de 
constitution. Léon XIU sanctionne là une doctrine 
qu'il avait fait d'abord élaborer par le professeur To- 
niolo, dePise. Rivistainternazionale di scienze sociali, 
juillet 1897, traduit en français sous le titre : La 
notion chrétienne de la démocratie. Cf. du même, Le 
mouvement catholique populaire et le prolétariat. 
Sous les espèces d'une simple définition de mots, 
l'encyclique Graves de communi approuve dans toute 
l'Église le mouvement social, juridique, économique, 
orienté vers le bien du peuple, mis en sa place dans 
le bien commun de la société entière. La démocratie 
chrétienne apparaît là « comme une organisation d'ac- 
tion populaire, susceptible de fonctionner sous toutes 
les latitudes et sous tous les régimes, et destinée à la 
diffusion intégrale et à l'application efl'eclive des doc- 



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319 



DÉMOCRATIE 



320 



trines sociales évangéliques. » Goyau, loc. cit., p. 26. 

A propos de cette démocratie, Léon XIII rappelle le 
côté principalement moral et religieux des questions 
sociales. § De officiis virtuiuni et religionis. Si des 
bouleversements de l'outillage et de Tatelier furent 
Torigine de ces questions, leur bonne solution réclame 
des principes de justice et de religion chez ]es ouvriers : 
la hausse des salaires n'apportera que tentations à 
l'ouvrier dépravé; elle requiert la tempérance, la pré- 
voyance, la patience, pour une sage organisation de 
ses moyens et de son mode d'existence. Les catholiques 
doivent ainsi joindre un souci prépondérant de la mo- 
ralité populaire et de la religion, à une compréhension 
bien avertie des intérêts économiques et matériels. La 
science de la charité fraternelle et de la justice sociale 
réclame cette subordination de la fin temporelle â une 
fin plus haute et non moins nécessaire. 

Certains actes de Pie X commentent sous forme 
d'instructions pratiques les enseignements démocra- 
tiques de l'encyclique Graves de communi et de l'en- 
cyclique sur la condition des ow)riers. Ce sont le 
Motu proprio sur Inaction populaire chrétienne, du 
18 décembre 1903, la Lettre au cardinal Svampa sur 
les démocrates chrétiens autonomes d' Italie j l" mars 
1905; l'encyclique 11 fermo proposito sur l'action ca- 
tholique, 11 juin 1905; l'encyclique Pieni l'animo aux 
évéques d'Italie sur l'action catholique, 28 juillet 1906. 

XIII. Pie X : l'encyclique Pascendi et la démocra- 
tie DANS l'église. — Au paragraphe du « théologien 
moderniste », l'encyclique du 8 septembre 1907 repousse 
l'introduction du principe démocratique dans le gou- 
vernement de l'Église. Elle en résume la théorie dans 
les termes suivants : « Nous sommes à une époque où 
le sentiment de la liberté est en plein épanouissement : 
dans l'ordre civil, la conscience publique a créé le régime 
populaire. Or, il n'y a pas deux consciences dans 
l'homme, non plus que deux vies. Si l'autorité ecclé- 
siastique ne veut pas, au plus intime des consciences, 
provoquer et fomenter un conflit, à elle de se plier aux 
formes démocratiques. ^ Le magistère doctrinal doit 
lui-même se soumettre à cette évolution : « Comme ce 
magistère a sa première origine dans les consciences 
individuelles, et qu'il remplit un service public pour 
leur plus grande utilité, il est de toute évidence qu'il 
doit s'y subordonner, par là même se plier aux formes 
populaires, ut Conséquemment, le « réformateur » 
moderniste inscrira dans son programme de réformes : 
t Que le gouvernement ecclésiastique soit réformé dans 
toutes ses branches, surtout la disciplinaire et la dog- 
matique. Que son esprit, que ses procédés extérieurs 
soient mis en harmonie avec la conscience, qui tourne 
à la démocratie; qu'une part soit donc faite dans le 
gouvernement au clergé inférieur et même aux laïques; 
que l'autorité soit décentralisée. » 

Le tort de ce programme et de la théorie qui lui sert 
de base est de méconnaître les immuables principes de 
la constitution donnée à l'Église par Jésus-Christ. 
L'autorité ecclésiastique diCTère précisément de l'auto- 
rité civile en ce que ses droits lui sont conférés 
par Jésus-Christ, c'est-à-dire par Dieu même directe- 
ment, et non par le sufl'rage de la multitude. C'est 
Jésus-Christ encore ou ses envoyés, les apôtres, les 
papes, qui délimitent, définissent, organisent les 
pouvoirs concédés à l'Église. Il n'y appartient donc à 
aucun inférieur, à aucun groupe de laïcs ou de clercs, 
d'y modifier les maximes ou les procédés de l'autorité 
supérieure. L'Église catholique tout entière obéit au 
pape comme à un véritable monarque de droit divin 
dans l'ordre religieux; monarque unique au monde, 
seul en son genre, dépositaire d'une tradition de foi 
et de morale qu'il ne peut altérer et qu'il commente, 
développe et applique dans le sens toujours maintenu 
de sa révélation par Jésus- Christ. Matter, V Église 



catholique, sa constitution, son administration, Paris, 
1906. 

Mais, comme la sphère d'action de l'Église se distingue 
essentiellement de celle où agit le pouvoir civil, et que 
celui-ci, comme l'Église, est autonome, souverain dans 
les limites de sa compétence, une même conscience 
humaine peut et doit pratiquer la démocratie dans 
l'ordre temporel et politique, ne pas l'introduire dans 
l'ordre religieux et se conformer dans l'Église à la 
constitution toute différente posée par Jésus-Christ et 
développée par ses mandataires ou représentants. Ce 
dualisme de la conscience est voulu par la nature des 
choses : il se fonde en dernier lieu sur la distinction 
de la nature et du surnaturel, de la raison et de la foi : 
la vie de celle-ci trouve sa règle dans la révélation, le 
témoignage, l'autorité; la vie de la raison et delà nature 
se développe au contraire, par voie de découverte, de 
preuve scientifique, de libre initiative. Il n'y a pas 
deux consciences dans l'homme, mais il y a des procé- 
dés vitaux et des devoirs sociaux qui se diversifient, 
selon qu'il s'agit de la vie sociale naturelle ou de la 
vie sociale surnaturelle. Voir col. 291. 

Néanmoins, si la constitution essentielle de l'Église 
doit Tester intangible à toute altération démocratique ou 
autre, le mouvement actuel de la démocratie agit 
directement sur les individus etsur les peuples qui sont 
les éléments humains de l'Église. L'éducation, l'am- 
biance universelle des idées et des choses répandent 
une mentalité et des façons d'agir qui ne sont plus, 
tant s'en faut, celles des temps féodaux ou de l'ancien 
régime. 

lo Dans l'une comme dans l'autre de ces époques pas- 
sées, les évéques partageaient communément un mode 
d'existence aristocratique, seigneurial, princier même. 
Cela tenait et aux grandes propriétés, aux fiefs, dont 
le revenu constituait le temporel des évêchés, et aux 
privilèges dont jouissaient les prélats dans l'ordre poli- 
tique. Taine, L'ancien régime, 16» édit., Paris, 1891, 
p. 16-21 ; cardinal Mathieu, Vancien régime dans la 
province de Lorraine et Barrois, Paris, 1878, p. 110, 
125-127; Sicard, Vancien clergé de France, t. i, Les 
évoques avant la Révolution, Paris, 1893. 

Des survivances de cet état ancien apparaissent encore 
en Autriche-Hongrie. Dans les pays démocratiques, 
États-Unis par exemple, tout privilège de grande pro- 
priété et de situation politique est inconnu dans l'épis- 
copat; l'évêque vit simplement comme les autres ci- 
toyens, sans distinctions officielles, mais jouissant d'un 
respect proportionné à la double estime de sa mission 
religieuse et de sa valeur morale personnelle. Félix 
Klein, Aupaysdela vie intense, Paris, 190t, p. 96 sq., 
155sq., 218sq., 33i sq. 

2« Cette simple vie dans le droit commun modifie 
aussi bien \erecrutement des dignitaires ecclésiastiques. 
Aux temps de la féodalité et de l'ancien régime, les 
bénéfices ecclésiastiques constituaient des situations 
enviées à proportion de leur richesse et de leurs pri- 
vilèges politiques. Ils se distribuaient en majeure par- 
tie à des ecclésiastiques gentilshommes, dont la famille 
trouvait là un bon établissement de ses cadets. £lle 
se l'assurait même d'oncle en neveu, tel bénéfice 
devenant comme l'apanage de telle maison. C'est un 
fait reconnu, que la disparition de ces privilèges déter- 
mina un recrutement de l'épiscopat moins exclusif, 
plus largement populaire, 

3® Les relations des évéques avec leurs prêtres s'en 
ressentirent : l'évêque, grand seigneur de naissance et 
desituation,tendait, p^r la force des choses, à maintenir 
les distances entre lui et son c bas clergé » roturier, 
malgré les édifiants et les humbles prélats qui don- 
nèrent maintes fois de beaux exemples contraires. 
Mais de nos jours les évéques d'Amérique, sortis du 
peuple et vivant au milieu de lui, sans distinctions 



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321 



DÉMOCRATIE — DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



322 



aristocratiques, sont plus naturellement, plus simple- 
ment en communication avec leurs prêtres; d'autant 
plus, que la grande République d'Outre-Mer ne connaît 
guère les formes bureaucratiques et protocolaires, les- 
quelles, ailleurs, se dressent encore, ainsi qu'une sur- 
vivance d'ancien régime, entre les chefs et les subor- 
donnés. 

4® Le contact avec les laïcs se modifie encore pro- 
fondément pour le clergé tout entier, partout où le 
mouvement social démocratique a provoqué, obtenu, 
accepté le concours du prêtre aux associations popu- 
laires. Tandis que le clergé allemand, dans la première 
moitié du xix*" siècle, vivait ou végétait sous la tutelle 
uureaucra tique, étranger aux questions nouvelles de 
justice que soulevaient les temps nouveaux de l'indus- 
trie, depuis Ketleler, le clergé d'Outre-Rhin s'est fait 
le conseiller, l'initiateur, l'auxiliaire du paysan et de 
l'ouvrier à la pratique opportune bienfaisante, univer- 
selle de l'association économique ou professionnelle 
sous les formes les plus diverses. Georges Goyau, Kel- 
teler, Paris, 1907. Aristocrate de naissance, Kettelor 
avait compris les exigences nouvelles des temps, a Mon 
âme tout entière, écrivait-il, est attachée aux formes 
nouvelles, que les vieilles vérités chrétiennes créeront 
dans l'avenir pour les rapports humains. » Kannen- 
gieser, Kel teler et l'organisation sociale en Allemagne, 
Paris, 18S3. Voir Allemagne, Les œuvres sociales et cha- 
ritables des catholiques allemands, t. i, col. 817 sq.; 
Goyau, L'Allemagne religieuse : le catholicisme, 2 vol., 
Paris, 1905. 

5« A mesure, enfin, que la pratique normale de la 
démocratie s'organise dans un peuple, par le moyen 
de l'autonomie communale, syndicale et professionnelle, 
locale et provinciale, les œuvi^es religieuses y recrutent 
des hommes mieux préparés à entourer le clergé d'un 
concours actif, intelligent, pratique et ordonné. Sous 
ce rapport, les traditions bureaucratiques, centralisa- 
trices à l'excès de l'État français, ont malheureusement 
desservi l'Église de France depuis longtemps; car, sous 
ce régime d'État, les citoyens ne connaissent guère 
d'autre alternative que celle de la passivité résignée 
ou de la critique frondeuse. L'antithèse s'établit, vio- 
lente, entre l'autorité et ses sujets, car ceux-ci la rendent 
largement responsable de tout ce qui les mécontente, 
par sa faute ou non. Dans les milieux où, au contraire, 
les citoyens savent eux-mêmes s'unir, se discipliner et 
agir pour des fins communes, le concours des laïcs aux 
œuvres sociales et religieuses sera de meilleure qualité. 
Alors, sans altérer le moins du monde les intangibles 
principes de la hiérarchie catholique, la formation dé- 
mocratique de l'homme et du citoyen ne s'achèvera 
pas sans apporter son contingent de forces morales aux 
œu\Tes collectives du chrétien et du catholique. Si, de 
nos jours, la providence permet l'accession croissante 
des multitudes au pouvoir, avec l'universelle préoccu- 
pation de lois et d'institutions qui améliorent la vie po- 
pulaire, ce n'est pas sans prédestiner ces deux fins de 
la démocratie, déjà honnêtes en soi, à promouvoir des 
fins morales et religieuses plus hautes encore. Ck)mme 
croyants, nous sommes portés à le croire, comme théolo- 
giens, nous le concluons des principes certains de notre 
foi en la providence. Si du chaos social et politique 
des invasions bartiares, des aristocraties, des bourgeoi- 
sies sont issues, avec les ressources d'âme que le 
Christ a utilisées pour son Église et surélevées pour 
leur plus grand bien, nous ne devons pas moins espé- 
rer du chaos où se dégagent progressivement, parmi 
nous, les aspirations et les groupements de la démo- 
cratie. Cf. H. Delassus, Vencyclique Pascendi et la 
démocratie, Lille, 1908. 

. B. SCHWALM. 

DEMON. Ce nom, qui désigne dans le langage 
ecclésiastique un ange déchu, est la transcription fran- 

DlCr. DE TUÉOL. CATHOL. 



çaise des termes grecs SaiVcav et 8ai(i(0V(ov. AafpicDv, dont 
1 étymologie est incertaine, est, en grec, un terme très 
complexe, étant données la multiplicité et la variété 
des acceptions dans lesquelles il a été employé et dont 
les nuances sont parfois difficiles à saisir. Ainsi Ho- 
mère a désigné par ce mot la divinité en tant qu'elle 
exerce une influence bienfaisante ou funeste. Tandis 
que, pour lui, ôeeJ; est la personnalité divine elle-même, 
ôat'txwv représente une puissance secrète, indéfinissa- 
ble, à laquelle tous les dieux participent et par laquelle 
ils font sentir à l'homme leur supériorité. Quand l'in- 
fluence exercée est favorable, le catV(<^v remplit en 
quelque sorte le rôle de la providence; mais le plus 
souvent, cette action est funeste et Homère appelle 
8ai{jL(Jvto; un homme frappé par une puissance surna- 
turelle. En beaucoup de passages, Sac{x<i>v est simple- 
ment synonyme de Ô£o;. Par conséquent, pour lui, les 
SaijjLdveç sont les puissances divines s'occupant des 
destinées des mortels. Mais, pour Hésiode, ce sont des 
êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes, 
chargés de fonctions qu'Homère attribuait aux dieux. 
Tels étaient les héros de l'âge d'or, devenus les gardiens 
souterrains des mortels, ou des personnifications soit 
des vertus et qualités morales, soit des forces cosmi- 
ques, mêlées très intimement à la vie des hommes. 
AaiVwv a désigné aussi la destinée, tu^r,. Le démon a 
encore joué le rôle de protecteur personnel ou d'esprit 
malfaisant, attaché à un homme qu'il accompagne 
pendant la vie, dont il dirige les pensées, les désirs et 
les inclinations. On connaît assez le démon de Socrate. 
Lélut, Du démon de Socrate, in-S», Paris, 1856. Plu- 
tarque a reconnu aussi dans les démons des êtres in- 
termédiaires entre les dieux et les hommes et partici- 
pant à la fois à la nature divine et à la nature humaine. 
Ils sont les serviteurs des dieux, accomplissent des 
actions que la sublimité de ceux-ci leur interdisait de 
faire et répandent sur les hommes les bénédictions et 
les châtiments des dieux. Il y a de bons démons et de 
mauvais démons. Ces derniers, véritablement malfai- 
sants, produisent ce qu'on a attribué aux dieux de mé- 
chant et d'indigne. De defectu oraculorum, c. xii ; De 
Isid. et Osir., c. xxvi. Cf. Daremberg et Saglio, Diction- 
naire des antiquités grecques et romaines, v* Daemon, 
Paris, 1892, t. ii, p. 9-19; Chantepie de la Saussaye, 
Manuel d'histoire des religions, trad. franc., Paris, 
1904, p. 509, 514, 536, 656. Les deux mots grecs 
ôa:|xwv et Saifiwviov n'ont désigné des anges déchus que 
dans la version des Septante, dans le Nouveau Testa- 
ment et dans la langue ecclésiastique. En passant dans 
le grec hellénistique des Juifs et des chrétiens, ils ont 
donc pris une acception nouvelle, étrangère à leur si- 
gniGcation primitive, quoique présentant avec elle .une 
certaine analogie. C'est dans l'acception juive et chré- 
tienne d'anges déchus qu'il sera parlé ici des démons. 
Nous étudierons successivement les démons : 1® dans 
la Bible et la théologie juive; 2» d'après les Pères; 
3o d'après les scolastiques et les théologiens posté- 
rieurs; 4» d'après les décisions officielles de l'Église. 

^ I. DÉMON DAN8 LA BIBLB KT LA THÉOLOQIK 
JUIVK. — I. Dans l'Ancien Testament. II. Dans le 
monde juif postérieur. III. Dans le Nouveau Testament. 

I. Dans l'Ancien Testament. — Comme on a pré- 
tendu que la doctrine juive sur les démons avait subi, 
après la fin de la captivité de Babylone, l'influence 
perse, il importe de distinguer ce que les Israélites 
pensaient des esprits mauvais jusqu'à l'exil et à partir 
de l'exil. 

lo Avant VexiL — Dans les plus anciens livres bi- 
bliques, il n'est pas explicitement question des anges 
déchus. Cependant, il y est fait mention de puissances 
malfaisantes et d'esprits mauvais. Dans le récit de la 
chute de nos premiers parents, intervient un serpent. 



IV. - 

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323 



DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



324 



Ce n'est certes pas un simple animal, mais bien un 
esprit méchant et malveillant, aui, sous la forme ou 
l'apparence d'un serpent, tente Kve, lui suggère l'idée 
de désobéir au précepte de Dieu et l'amène, elle et 
Adam, à manger du fruit défendu. La manière d'agir 
de cet animal cauteleux trahit un être supérieur, spi- 
rituel et invisible, qui pousse au mal, et la sentence 
divine contre le tentateur atteint cet être fourbe et 
dissimulateur plus que l'animal, dont il avait pris la 
forme. Gen., m, 13-15. Dans tout ce récit, le serpent 
est un préte-nom et un porte-parole de celui qui sera 
appelé plus tard le diable. P. Lagrange, L'innocence 
et le péchp, dans la Revue biblique, 1897, t. vi, p. 350, 
365-366. Cf. F. de Hummelauer, Comment, in Gène- 
sim, Paris, 1895, p. 150-151, 158-159; G. Hoberg, Die 
Genesis, 2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 44-51. 
Celte intervention du serpent pour expliquer la dé- 
chéance de l'humanité est exclusivement propre à la 
Genèse; elle n'a son pendant dans aucun mythe ancien 
relatif à la destinée de l'humanité primitive. Il n'y en 
a aucune trace dans le mythe babylonien d'Adapa, dans 
lequel quelques mythographes ont prétendu découvrir 
l'origine du récit jéhoviste de la création. Le serpent 
ne remplit qu'un rôle secondaire dans le mythe d'Étana, 
et s'il se venge, c'est contre l'aigle qui avait conçu le 
projet de manger ses petits; il ne fait rien relativement 
à l'homme. P. Dhorme, Choix de textes religieux 
ussyro-baby Ioniens, Paris, 1907, p. 148-181. Si le ser- 
pent intervient, dans les mythes de différents peuples, 
pour représenter une puissance mauvaise, on ne le 
trouve jamais mêlé à la perte de la félicité première 
de l'humanité. Les exemples, cités par F. Lenormant, 
Les oHgines de Vftistoire, 2* édit., Paris, 1880, t. i, 
p. 98-106; Histoire ancienne de VOrient, 9« édit., Paris, 
1881, t. I, p. 39-41, n'ont point d'analogie avec le récit 
biblique de la chute, et si le serpent des Iraniens, 
Agrd Mainjou, incarne en quelque sorte le mal, s'il a 
quelque rapport avec le serpent de l'Éden, c'est très 
probablement parce qu'il en est dérivé par imitation. 
Les documents persans ne sont pas aussi anciens que 
le croyait Lenormant, et la dépendance entre la Bible 
et l'Avesta est l'inverse de ce que Ton prétendait autre- 
fois. P. Lagrange, toc. cit., p. 350, 373, 377. Le serpent 
tentateur reste donc exclusivement propre à la tradi- 
tion israélile. 

Moïse, qui avait parlé du serpent de façon à faire 
reconnaître plus tard en lui l'esprit tentateur ou le 
diable, ne le mentionne plus dans le reste du Penta- 
teuque. On a pensé que ce silence était intentionnel, 
que Moïse, pour maintenir plus aisément dans l'esprit 
de son peuple l'idée monothéiste, s'est tu sur l'existence 
d'êtres spirituels déchus, de peur que les Israélites, 
entraînés par les conceptions des peuples voisins sur 
des dieux malfaisants, ne se soient représenté, à côté 
du Dieu tout-puissant et bon, des êtres spirituels et 
invisibles, voulant le mal et capables de contrecarrer 
les volontés divines et de travailler dans le monde à 
rencontre des desseins de Dieu. Chez les Babyloniens 
en particulier, les démons étaient toujours prêts à mal 
faire et ne pensaient qu'au mal. Aussi, une partie de la 
religion consistait-elle à se les rendre favorables ou à 
écarter leurs attaques par des incantations et des pra- 
tiques magiques. Lenormant-Babelon, Histoire an- 
cienne de VOrient, 9» édit., Paris, 1887, t.'v, p. 194-214; 
Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient 
classique, Paris, 1895, t. i, p. 630-636; Chantepie de 
la Saussaye, op. cit., p. 133, 134; P. Lagrange, Etudes 
sttr les religions sémitiques, 2« édit., Paris, 1905, 
p. 223. C'est pourquoi le législateur hébreu interdit si 
sévèrement toutes les formes de la magie. Exod., xxii, 
18; Lev., xx, 6; Deul., xviii, 9-11. 

Les plus anciens livres de la Bible hébraïque, pour 
la même raison sans doute, parlent rarement des 



esprits mauvais ou démons. On doit voir cependant 
l'un d'eux dans l'esprit mauvais qui tourmentait Saul, 
quand l'esprit du Seigneur l'eut quitté. I Sam., xvi, 
14, 15. Mais cet esprit ne parait pas indépendant de 
Dieu; il est présenté comme envoyé par Dieu lui-même 
pour agiter le roi coupable; on l'appelle même* l'esprit 
mauvais de Jéhovah ». I Sam., xvi, 16, 23; xviii, 10; 
XIX, 9. C'est Dieu encore, qui, entouré de toute l'armée 
des cieux, permet à un esprit de mensonge de tromper 
les faux prophètes d'Achab, et met lui-même sur leurs 
lèvres cet esprit de mensonge qui les fait parler. 
I (lïl) Reg., XXII, 19-23; Il Par., xviii, 18-22. Ces esprits 
n'agissent donc que par la volonté divine. Ce ne sont 
pas des êtres malfaisants par leur nature et leur volonté 
propre; ils sont des agents, subordonnés à Dieu et 
n'exécutant le mal que parce qu'il le leurcommande ou 
leur en laisse la liberté. 

On peut rapprocher de cette conception le rôle attri- 
bué à Satan dans le livre de Job. Cet écrit, qui est 
probablement antérieur à la captivité, reflète les idées 
anciennes des Israélites sur le démon. Satan, nommé 
pour la première fois dans la Bible, est un être sur- 
humain, comme les anges au milieu desquels il parait, 
agent du mal, mais dans une absolue subordination à 
Jéhovah. Bien qu'il soit envieux du juste Job et veuille 
éprouver sa vertu par le malheur, il ne peut agir 
qu'avec l'autorisation divine. Il a besoin d'une permis- 
sion, sinon même d'une délégation du Seigneur. Son 
action est strictement limitée à la volonté de Dieu, qui 
permet d'abord d'attaquer son serviteur exclusivement 
dans ses biens, et pas en sa personne, Job, i,6-12, puis 
dans sa personne, en sauvegardant toutefois sa vie, ii, 
1-7. Si Satan n'apparaît pas ici comme un esprit mau- 
vais par essence, il se montre malfaisant et tentateur. 
Ce rôle de tentateur envers l'homme 'vertueux, ea vue 
de le détourner de Dieu, le rattache manifestement au 
serpent de la Genèse. D'ailleurs, son nom, Satan, 
employé ici avec l'article, haUdtân, dérive du verbe 
Mtan, « dresser des embûches, persécuter, être adver- 
saire. » Ce n'est peut-être pas encore un nom propre, 
mais plutôt un nom de qualité, désignant un être mal- 
veillant, rusé, tendant des pièges et adversaire des 
hommes justes. Ce ne serait que plus tard qu'il serait 
devenu le nom propre du démon. Il a été traduit en 
grec par $ta6oXo;, signidant éty mologiquement • celui 
qui se met en travers », mais ayant ordinairement le 
sens d'ennemi, d'adversaire, et spécialement d'accusa- 
teur et de calomniateur. Si le Satan de Job ne désigne 
pas expressément le prince des démons, il ne convient 
pas non plus à un adversaire indéterminé ; c'est un 
ange mauvais, ennemi de l'homme, dépendant de Dieu, 
et n'étant pas par conséquent une puissance du mal, 
essentiellement opposée à Dieu et représentant dans le 
monde le principe mauvais. La doctrine monothéiste 
d'Israël écartait toute idée dualiste et considérait les 
esprits mauvais comme inférieurs à Dieu et soumis à 
sa volonté, même dans l'exercice de leur malice et 
l'accomplissement de leurs desseins malveillants. Bien 
comprise, l'idée de ces esprits ne faisait courir aucun 
danger au monothéisme Israélite et ne portait pas les 
Hébreux à déifier Satan et à en faire, en face de Dieu, 
principe du bien, le principe du mal. 

Ces faits montrent la fausseté du sentiment de quel- 
ques critiques, qui ont prétendu à tort que les Hébreux 
n'avaient eu la notion distincte du démon qu'après la 
captivité, à la suite de leurs rapports avec les Perses, 
à qui ils auraient emprunté l'idée du prince des démons 
et le nom de Satan. La connaissance d'esprits mauvais 
est, chez eux, bien antérieure à la captivité. Nous 
allons voir si elle s'est développée à partir de la capti- 
vité sous l'influence des doctrines étrangères, et notam- 
ment des Perses et des Grecs. 

2® A partir de la captivité. — 1. Dans les livt^s ca- 



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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



326 



noniques, — Le livre de Tobie nomme le démon 
Âsmodée, qui avait tué les sept premiers maris de Sara, 
fille de Raguel, m, 8; vi,14; v«, 11; vrii, 12. Le jeune 
Tobie, en épousant Sara, échappa au même sort, grâce 
aux moyens de préservation que lui avait suggérés 
l'ange Raphaël, son guide, vi, 5, 8, 16-19; viii, 2; xii, 
3, 14. Raphaël saisit le démon et le relégua dans le 
désert de TÉgypte supérieure, viii, 3. Plusieurs cri- 
tiques ont prétendu qu'Âsmodée avait été emprunté 
par les Juifs au mazdéisme, que son nom et son rôle 
venaient de la Perse. Asmodée, Eimadai, 'A(j|io6a'.o;, 
ne serait que la transcription de Aèshma-daêva, le dé- 
mon de la concupiscence, une sorte de Cupidon, nommé 
plusieurs fois dans TAvesta comme le plus dangereux de 
tous les démons. F. Lenormant, Les otHgines de l'his- 
toire, 2* édit., Paris, 1880, p. 325-327. En réalité, 
TAvesta ne connaît que Aèshma et n'a pas une seule 
fois la forme complète Aêshma daêva. Le Bundehesh 
a bien le nom pehlvi Aèshmshêdd, qui suppose une 
forme avestique Aèshma-daêva, Mais l'histoire de 
Tobie est antérieure de plusieurs siècles à tous les 
livres pehlvis, et les spécialistes conviennent que 
l'iranien daêva n'aurait pu devenir dai en hébreu. 
D'ailleurs, VAêshma avestique n'est pas le démon de 
la concupiscence; il est partout le démon de la colère 
et de la violence. Son attribut principal est une lance 
sanglante. Enfin, aucun déva iranien n'eût aimé une 
femme. Le démon Asmodée du livre de Tobie n'est 
donc pas un emprunt iranien. C'est un esprit mauvais 
et malfaisant, dont les maléfices ont été déjoués par 
un procédé magique, indiqué à Tobie par l'ange Ra- 
phaël. Pour la plupart des commentateurs, la reléga- 
tion de ce démon dans le désert de l'Egypte supérieure 
signifie seulement que l'ange l'éloigna et le mit dans 
rimpossibilité de nuire à Tobie. Voir Dictionnaire de 
la Bible de M. Vigouroux, t. i, col. 1103-llOi. Nous 
verrons plus loin qne pour les Juifs les démons habi- 
taient spécialement dans les déserts. La mention 
d'Asmodée dans l'histoire de Tobie ne reflète peut-être 
qu'une tradition populaire, dont il n'y a pas d'autre 
trace dans la Bible, mais qui a été singulièrement déve- 
loppée par les Juifs talmudistes et cabalistes, tandis 
que la tradition chrétienne n'en a tenu à peu près au- 
cun compte. 

Satan est nommé quatre fois dans les livres posté- 
rieurs à la captivité. Tandis que le récit de II Sam., xxvi, 
1. attribue à la colère divine contre Israël le projet que 
David conçut de dénombrer son peuple, le récit paral- 
lèle de l Par., xxi, 1, le rapporte expressément à Satan, 
qui apparaît comme l'instigateur de cette faute du roi 
et comme la cause de la peste, infligée par Dieu à 
Israël en ponition. L'épreuve que Dieu avait permise 
dans sa colère fut donc considérée plus tard comme 
ayant été provoquée par Satan, l'ennemi de Dieu et de 
son peuple Israël. F. de Hummelauer, Commentarius 
in Paralipomenon, Paris, 1905, t. i, p. 307-308. Dans 
une vision, le prophète Zacharie, m, 1, 2, vit le grand- 
prétre Josuéou Jésus debout devant l'ange de Jéhovah. 
Satan se tenait à sa droite pour s'opposer à lui ; mais 
Jéhovah ou son ange dit à Satan : « Que Jéhovah te 
réprime, Satan; oui, qu'il te réprime, lui qui a fixé 
son choix sur Jérusalem. » Selon la meilleure inter- 
prétation de cette vision, Satan accompagne le grand- 
prétre devant le tribunal de l'ange du Seigneur; il 
l'accuse, non pas d'une faute personnelle, mais des 
griefs que les anciens prophètes avaient reprochés au 
sacerdoce Israélite. Par leurs prévarications propres, 
les prêtres avaient attiré sur Juda les châtiments divins 
et en particulier la captivité à Babylone. Satan, l'ad- 
versaire de Juda, renouvelait au tribunal divin cette 
ancienne accusation et voulait par là s'opposer à la 
restauration du suprême sacerdoce. Il remplit donc le 
rôle d'accusateur devant le juge. Loin d'écouter son 



accusation. Dieu réprima l'accusateur. Satan cherche 
donc en vain à provoquer le ressentiment de Jéhovah 
contre le grand-prétre. Dieu a pardonnéàJuda et sauvé 
Jérusalem de l'incendie, et Satan est débouté de sa 
plainte. J. Knabenbauer, Commentarius in prophetas 
minores, Paris, 1886, t. ii, p. 248-249. Marti a prétendu 
que Satan (selon lui, il serait une création de Zacharie) 
serait la personnification idéale de la voix accusatrice 
de la conscience qui s'élève contre le retour des faveurs 
divines. Dodekaprophelon, Tubingue, 1904, p. 408. No- 
wak lui a emprunté cette idée, Die kleinen Propheten, 
2e édit., Gœllingue, 1903, p. 352-353. Zacharie n'a pas 
créé le personnage de Satan, car il lui aurait donné un 
nom signifiant directement accusateur. Il a trouvé ce 
nom, déjà employé avant lui; il l'a adopté et il Ta pré- 
senté avec l'article haëSdtân, pour faire jouer dans la 
scène actuelle, au personnage ainsi nommé, le rôle d'ac- 
cusateur de Jésus. Il le voit à côté de l'ange de Jéhovah, 
vraisemblablement l'ange protecteur de Juda, non 
comme une simple personnification de la conscience 
accusatrice, mais bien plutôt comme un ange mauvais, 
subordonné à Dieu, se bornant à accuser, et rejeté par 
le juge, à qui il a recours. A. Van Hoonacker, Les 
douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 605-007. Dans 
l'Ecclésiastique, xxi, 30, on lit : « Lorsque l'impie 
maudit le diable, tov (ratocvav (le texte original de ce 
verset n'a pas été retrouvé), il se maudit lui-même. » 
Il s'agit du diable plutôt que d'un adversaire ordinaire, 
et le sens semble être que l'impie, en maudissant celui 
qui l'a tenté et l'a poussé dans son impiété, se maudit 
lui-même, puisque c'est par sa propre volonté qu'il 
s'est laissé séduire et tromper et qu'il est tombé dans 
l'impiété. J. Knabenbauer, Ecclesiasticus, Paris, 1902, 
p. 243-244. Enfin, Sap., ii, 24, le diable est celui quK 
par envie, a introduit la mort dans le monde. Satan 
est ainsi nettement identifié avec le serpent, qui a sé- 
duit nos premiers parents et attiré sur eux le châti- 
ment de la mort corporelle. Gen., m, 19. Cf. Smend, 
Lehrhuch der alttestamenllichen Heligionsgeschichte, 
2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 402-403, 454; 
B. Stade, Diblische Théologie des Alten Testaments, 
Tubingue, 1905, t. i, p. 327-328. 

2. Dans la version des Septante. ~ Les premiers 
traducteurs grecs qui ont toujours rendu le nom pro- 
pre Satan par $tago).o;, ont, sous l'influence des 
idées grecques, vu des anges mauvais en des passages 
où le texte original n'en parlait pas, et ont traduit par 
le mot 3at(i,ci>v différents noms hébreux dont le sens 
est moins clairement déterminé. Leur traduction est 
l'indice des idées courantes de leur temps dans le mi- 
liea juif où ils vivaient. Mais ces idées, pour avoir été 
adoptées par des Juifs hellénistes, ne sont pas entrées 
par le fait même dans le domaine de la révélation 
divine, quoiqu'elles aient la prétention d'expliquer les 
livres inspirés. 

Ces traducteurs avaient rendu benê ha-êïohim, Gen., 
VI, 2, m\oI toj 6eo-j. Mais quelques manuscrits présen- 
taient la variante : a^ytloi toû 6eoû,et cette leçon parait 
avoir été, au moins à une certaine époque, la plus 
répandue. Cf. Holmes, Velus Testamentum cum variis 
lectionibus, Oxford, 1798, t. i. II en résultait que des 
anges, séduits par la beauté des filles des hommes, se 
seraient unis à elles et auraient procréé des géants. 
Comme les anges sont nommés fils de Dieu, Job, i, G ; 
II, 1; Ps. xxviii, 1; lxxxix, 7; Dan., m, 9, beaucoup de 
critiques en ont conclu que la traduction « les anges 
de Dieu » était littérale, et que les benê ha-ëlohim 
étaient réellement, dans la Genèse, des anges déchus. 
Mais l'incorporéité des anges n'autorisant pas la pos- 
sibilité d'un pareil commerce, ils ont pensé que le 
récit biblique avait conservé la trace d'un mythe païen, 
reçu dans les milieux populaires du judaïsme. F. Le- 
normant, Les origines de Vhistoire, t. i, p. 291-330. 



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327 



DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



328 



L'abbé Robert, pour les mêmes raisons, a supposé que 
le récit primitif, qui ne parlait que de l'alliance des 
Séthites avec les filles des Caînites, avait été altéré, 
sous l'influence du mythe populaire, par l'insertion 
des iils de Dieu s'unissànt aux filles des hommes. Les 
fils de Dieu et les filles des hommes, dans la Revue 
biblique, 1895, t. iv, p. 341-348, 528-535. Ces conclu- 
sions ne s'imposent pas. Quoique l'expression « fils 
d'Élohim » dans le livre de Job et dans les Psaumes 
cités désigne certainement les anges, il ne s'ensuit 
pas qu'elle ait ce sens dans le récit de la Genèse. Le 
contexte, en efl'et, ne convient qu'à des hommes et 
nullement aux anges, dont le livre biblique n'avait pas 
encore parlé. Il n'est question que de l'accroissement 
de l'humanité sur terre. Cette humanité, accrue par 
l'union des fils de Dieu avec les filles des hommes, 
n'est que chair, n'a que des sentiments charnels. Aussi, 
en punition. Dieu qui ne veut pas laisser mépriser sur 
terre le souffle de vie dont il a animé les humains, le 
retirera de ces générations charnelles et abrégera leur 
vie, qui sera réduite à 120 ans. Le châtiment n'atteint 
donc que des hommes, seuls visés dans tout le récit. 
Les anges n'y apparaissent que dans l'hypothèse que 
l'expression « fils d'Élohim » ne peut absolument dési- 
gner qu'eux. Or, tous les traducteurs juifs de la Genèse 
ont écarté les anges. Âquila a traduit : oî ulot tûv ôeàiv; 
Symmaque, utoi tcôv ôvva(rreu6vTu)v ; et Théodotion : 
yîot ToO ôeoj. Dom de Montfaucon, Hexapla, P. G,, 
t. XV, col. 188-190; Field, Origenis Hexaploi^ni quœ 
supersunt, Oxford, 1875, t. i, p. 22. Le targum d'On- 
kelos rend l'expression hébraïque par les a fils des 
puissants » ou des grands. De plus, suivant le texte 
hébreu, les géants, qui sont des hommes de renom, 
ne sont pas tous issus de l'union des fils de Dieu 
avec les filles des hommes; ils existèrent à la même 
époque, ils existèrent encore après, et quelques-uns 
naquirent peut-être des unions précédemment racon- 
tées. En tout cela, il n'est question que d'humains, 
et on peut penser très légitimement que les fils de 
Dieu étaient des descendants de Seth qui épousèrent 
les filles des Caînites. M. Uoberg, Die Genesis, 2» édit., 
Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 75, interprète cette ex- 
pression dans le sens de «c hommes pieux ». Quoi qu'il 
en soit, le récit original ne mentionne pas les anges ni 
leur commerce charnel avec des femmes. Voir F. de 
Hummelauer, Commentarius in Genesim, Paris, 1895, 
p. 211-219; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, 
t. II, col. 2255-2257. Les Juifs, dans leur contact avec 
les Grecs, ont connu les unions des dieux païens avec 
des femmes, et parce que les lecteurs grecs de la Ge- 
nèse savaient que les betiê ha-elofiini désignaient 
ailleurs les anges de Dieu, ils ont donné ce sens à 
cette expression du récit génésiaque et ont introduit 
parmi leurs coreligionnaires l'idée du mariage des anges 
avec des femmes et de l'origine des géants, idée qui 
devrait recevoir, nous le verrons, de nouveaux déve- 
loppements. Mais elle était étrangère à la pensée des 
anciens Hébreux. 

Toutefois, les premiers traducteurs grecs ont vu des 
démons en beaucoup d'autres passages de l'Écriture, 
dans lesquels il est parlé de tout autres êtres. Ainsi ils 
ont fait des démons : 1. des èe*h'îm, qui désignent ou 
bien des boucs, c'est-à-dire de ces animaux honorés 
comme dieux en réalité ou en images, Lev., xvii, 7; 
II Par., XI, 15; ou bien des satyres, semblables à des 
boucs sauvages, vivant au désert, Is., xiii, 51; xxxiv, 
14; 2. des ëèdîm, ou a puissants », des idoles, pareilles 
aux be'dlim, seigneurs ou dieux, Deut., xxxir, 17 ; Ps. cvi 
(cv), 37, dans lesquels beaucoup de critiques modernes 
reconnaissent les sedis ou génies babyloniens; 3. des 
'èlilim, des choses vaines, c'est-à-dire encore des idoles, 
Ps. xcvi (xcv), 37; 4. des 9yyim, animaux sauvages, 
Js., xxxiv, 14; 5. d^yâsOd, ce qui dévaste, Ps. xc (xci). 



6. Le texte grec de Baruch, iv, 7, 35, parle des démons 
dans un contexte, où il est question des idoles ou 
d'animaux sauvages habitant au milieu des ruines. 
Nous ignorons quels étaient les mots hébreux ainsi 
traduits. Cf. J. Knabenbauer, Commentarius in Da- 
nielem prophetam, Lamentationes et Bat^ch, Paris, 
1891, p. 491, 497. Les traducteurs grecs ont vu encore 
des anges mauvais, Ps. Lxxvii (lxxviii), 49, dans un 
passage où le texte original parle seulement d*anges de 
malheur, qui sont probablement des bons anges char- 
gés par Dieu de châtier les coupables. 

II. Dans le monde juif postérieur. — 1® Dans les 
livres apoct^yphes, — La démonologie, qui était déjà 
en voie de se développer lorsque la Bible hébraïque fut 
traduite en grec, prit des accroissements très considé- 
rables dans la littérature apocryphe du judaïsme. Comme 
elle a été connue et partiellement acceptée par les Pères 
de l'Église, et comme, d'autre part, on prétend qu'elle 
a influé même sur certains écrivains du Nouveau Testa- 
ment, il importe de l'exposer sommairement. Le livre 
éthiopien d'Hénoch, qui comprend des éléments de di- 
verse nature, échelonnés du second tiers du ii« siècle jus- 
qu'à l'an 64 avant Jésus-Christ, reproduit aussi des tradi- 
tions difl'érentes sur les démons ou les anges déchus. Bien 
que les anges, esprits immortels, n'aient pas eu besoin 
de s'unir aux femmes sur la terre, pour se perpétuer, 
XV, 4-7, F. Martin, Le livre d'Hénoch, Paris, 1906, p. 40- 
41, cependant deux cents veilleurs, sous les ordres de 
Semyaza, selon une tradition, vi, 3, p. 11, ou d'Âzazel, 
suivant une autre, x, 4; xiii, 1, 2, p. 22, 31, ont été sé- 
duits par la beauté des femmes. Descendus sur le som- 
met de l'Hermon, avec leurs chefs de dizaines, dont 
18 sont nommés, vi, 7, p. 12 (autre Jiste de 21, lxix, 2, 
p. 149-150), ils prirent des femmes et en eurent des 
géants, qui opprimèrent les hommes et se dévorèrent 
entre eux, vi-vii, p. 10-15. Ils révélèrent à leurs femmes 
les secrets éternels, découvrirent aux hommes les arts 
et leur apprirent toute impiété, vu, 1 ; vui; ix, 6-8; xvi, 
3, p. 14, 15-17, 21, 45. Les âmes de ceux qui avaient été 
opprimés par les géants les accusèrent, ix, 3, 10, etc., 
p. 18, 21, et malgré l'intervention d'Hénoch, xiii; xiv,. 
p. 31-33, 34-35, Dieu condamna les anges déchus, 
d'aboi d à des châtiments temporels, la perte de leurs 
enfants, x, 9-12, 15; xiv, 6, p. 24-25, 26,35, et à une 
étroite captivité loin du ciel, x, 5, 12; xiv, 5; xxi, 10 
p. 23, 25-26, 35, 37, puis, à partir du jugement dernier, 
au supplice éternel, dans l'abîme de feu, x, 6, 13, p. 23, 
2d. Cependant une autre tradition suppose que, du lieo 
où ils sont réunis, ces esprits peuvent prendre toute 
espèce de formes et tromper les hommes jusqu'au 
jugement dernier, xix, 1, p. 33. Ailleurs, lxvii, 4-13^ 
p. 143-146, ils sont condamnés au supplice des eaux 
brûlantes, qui communiquent leur chaleur aux sources 
thermales. Dans le Livre des songes, les anges déchus 
sont comparés à des étoiles descendues des deux, qui 
se changent en taureaux et ont des relations coupables 
avec les génisses, c'est-à-dire les filles des hommes,. 
Lxxxvi, p. 200-201. Un archange fidèle les saisit, les lie 
et les jette dans un abîme sous la terre, lxxxviii, 202- 
203. Au jugement dernier, ils seront précipités dans un 
abîme de feu, xc, 21, 24, p. 230-231. Cette tradition 
connaît d'autres anges coupables : les 70 anges ou pas- 
teurs à qui Dieu avait confié le soin de veiller sur 
Israël à partir de l'invasion assyrienne, et qui, ayant été 
infidèles à leur mission, seront condamnés, au juge- 
ment dernier, à partager le supplice étemel des étoiles 
tombées, xc, 23, 25, p. 231. Quant aux géants, les es- 
prits sortis de leur chair, à leur mort, sont demeurés sur 
terre; ce sont des esprits mauvais, qui attaqueront les 
hommes jusqu'au jugement, xv, 8-12; xvi, 1, p. 41-44. 
Les hommes les adorent sous l'image d'idoles, comme 
ils adorent les démons, xcix, p. 261, à l'instigation des 
anges déchus, xix, 1, p. 53; cf. p. 46, note. Les tradi- 



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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



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lions du Livre des paraboles, xl, 7, p. 87, et d'une apo- 
calypse de ;Noé, i.xv, 6, p. 139, parlent des satans. Ce 
sont des esprits méchants, qui ont entraîné les hommes 
au mal, liv, 6, p. 110, et les accusent devant Dieu. Ils 
sont chargés de chatteries coupables et sont appelés les 
anges du châtiment, Liir, 3, p. 108; préparent les ins- 
truments de Satan, fouets et chaînes de fer pour les rois 
et les puissants de la terre, LVi, 1 ; LXii, 11 ; LXin, 1 ; 
Lxvi, 1, p. 112, 133, 134, 141. Ces satans diffèrent des 
anges déchus et des géants, car ils ne sont pas voués 
aux tourments de l'enfer et peuvent se présenter au 
ciel devant le Seigneur. Ils existaient avant la chute des 
anges qu'ils ont provoquée. Leur chef est Satan; les 
veilleurs ont préféré son service à celui de Dieu. Il 
représente donc un pouvoir hostile au Seigneur, bien 
qu'il dépende de lui, puisque ses subordonnés exé- 
cutent les sentences divines. F. Martin, op. cit., p. xxviii- 
XXXI. Cf. Robert, dans la Revue biblique, 1895, t. iv, 
p. 366-373, 539-545. Voir aussi*, t. i, col. 1480-14S1. 

Le livre slave des Secrets d'Hénoch, qui est de la fin 
du ]*'' siècle ou du commencement du ii« siècle de notre 
ère, parle aussi de deux sortes d'anges coupables. Au 
second ciel, c. vu, il y a des ténèbres plus sombres que 
celles de la terre, et dans ces ténèbres des prisonniers 
qui sont gardés pour le dernier jugement. Ce sont les 
anges qui n'ont pas obéi aux préceptes de Dieu, qui 
ont pris conseil de leur volonté propre et qui, ayant 
péché avec leur prince Satanail, ont été relégués du 
5« ciel, où ils devaient être, dans les ténèbres du 
2* ciel. Ils sont plongés dans la douleur et ne cessent 
de pleurer. Ils demandent à Hénoch d'intercéder pour 
eux auprès de Dieu ; mais Hénoch s'en défend. Leurs 
frères, demeurés fidèles, restent, depuis la faute des 
coupables, tristes et désolés, ils ont cessé de louer Dieu. 
Trois de ces anges, relégués au second ciel, descen- 
dirent sur rUermon, s'unirent à des femmes et don- 
oèrent naissance aux géants. En punition de cette 
faute, ils furent condamnés à habiter sous terre jusqu'à 
la fin du monde. Hénoch les a vus dans leur prison et 
a vainement intercédé auprès de Dieu en leur faveur, 
c. xviii. Le chef des anges désobéissants avait voulu 
mettre son trône au-dessus des nues et égaler Dieu en 
puissance, c. xxix. Devenu Satan et l'esprit mauvais 
des régions inférieures après qu'il eut quitté les cieux, 
il voulut déranger l'ordre établi par Dieu, parce qu'il 
voyait que tout sur la terre était soumis à l'homme. 
Bien qu'il eut changé de nature, il conservait l'intelli- 
gence du bien et du mal. Satan trompa Eve, et Dieu le 
maudit à cause de son ignorance, c. xxxii. Voir t. i, 
col. 1482-1484. 

Le Livre des jubilés, composé vers le milieu du 
i«r siècle de notre ère, m, 17 sq., raconte la tentation 
d'Eve par le serpent, et il la place aul7<^jour du ^^ mois 
de la 8* année après la création. Â la 3« semaine de la 
6* année du 10* jubilé, les anges gardiens descendirent 
sur terre pour apprendre aux hommes le droit et la 
justice, IV, 15. Au 25« jubilé, du temps de Noé, quand 
les hommes se furent multipliés et qu'ils eurent des 
filles, les anges de Dieu virent qu'elles étaient belles, 
se choisirent des femmes parmi elles et engendrèrent 
les géants. Les hommes devinrent mauvais et Dieu ré- 
solut de les détruire, à l'exception de Noé. Irrité contre 
les anges qu'il avait envoyés sur terre, il décida de 
leur enlever toute leur puissance, et il les fit enchaîner 
dans les profondeurs de la terre. Quant aux géants, il 
les fît tuer. Leurs pères, enchaînés, furent témoins de 
leur extermination et restèrent liés jusqu'au jour du 
jugement, v, 1-10. Plus loin, ce livre rapporte que, 
dans la 3* semaine du 29« jubilé, après le déluge, les dé- 
mons impurs commencèrent à tromper les fils de Noé, 
à les rendre insensés et à les faire périr. Les fils de Noé 
vinrent trouver leur père et lui parlèrent des démons 
•qui avaient trompé, aveuglé et tué ses petits-fils. Noé 



pria le Seigneur, lui demandant que les mauvais esprits 
ne puissent dominer ses petits-enfants ni les faire périr 
sur terre. Il rappela à Dieu que les gardiens, pères de 
ces esprits, avaient vécu de son temps, et il demanda 
que ces esprits, qui étaient encore en vie, fussent enfer- 
més par Dieu et retenus au lieu de la damnation, pour 
qu'ils ne puissent plus faire périr ses descendants. Ils 
sont créés pour la perte des hommes. Que Dieu ne les 
laisse pas dominer sur les esprits des vivants et ne leur 
donne aucun pouvoir sur les enfants des justes pour 
toujours. Dieu ordonna de les lier tous. Mastema, leur 
chef, demanda qu'une partie fût laissée libre pour ac- 
complir ses propres volontés, car la malice des hommes 
est grande. Dieu permit que la dixième partie de ces 
esprits ne fût pas enfermée au lieu de la damnation. 
Ses ordres furent exécutés, et les neuf dixièmes des 
démons furent emprisonnés, x, 1-11. Kautzsch, Die 
Apokryphen und Pseudepigraphen des Alten Testa- 
ments, Tubingue, 1900, t. ii, p. 45, 47, 48-49, 57-58. 
Plus tard, Abraham, dans ses dernières recommanda- 
tions à Jacob, dit à son petit-fils de ne pas agir comme 
les païens, qui offrent des sacrifices aux morts et ado- 
rent les démons, xxii, 16, 17. Ibid., p. 78. 

Dans la préface des Oracles sybillins, citée par saint 
Théophile d'Antioche, Ad Autol, ii, 36, P. G., t. vi, 
col. 1109 sqs, la Sybille juive reproche aux païens d'of- 
frir des sacrifices aux démons qui habitent sous terre. 
Cf. Kautzsch, t. ii, p. 184. 

Dans le Martyre (Vlsaîe, il est raconté que Sammael 
entra dans Manassé et que ce roi servit Satan, ses 
anges et puissances. Le prince de l'injustice, qui règne 
sur le monde, y est aussi appelé Bélial. Kautzsch, t. ii, 
p. 124-126. Dans le Testament des douze patriarches, 
Béliar est le nom du diable ou de Satan. Ruben, 2, 4; 
Lévi, 18; Dan, 1, 5; Kautzsch, t. ii, p. 460, 462, 471, 
483, 485. Cet esprit habite dans l'air. Benjamin, 3, 
p. 503. Satan lui-même y est nommé, Cad, 4, p. 493, 
avec ses anges. Aser, 6, p. 496. Les anges ont été séduits 
par les femmes. Ruben, 5; Nephtali, 3, p. 462, 487. Ces 
écrits sont du i" et du ii« siècle de notre ère. 

La Vie d'Adam et d'Eve raconte une seconde tenta- 
tion que Satan fit subir à Eve après sa pénitence, 
Kautzsch, t. II, p. 513, et fait raconter par Eve elle- 
même sa première tentation par le serpent, qui était le 
diable. Ibid., p. 520 sq. Le récit est tout légendaire. 

2o Dans la doctrine du judaïsme postérieur. — Au 
ler siècle de notre ère, nous avons encore les témoi- 
gnages de Josèphe et de Philon. Josèphe, tant qu'il 
suit les Livres saints de sa nation, est fidèle à la doc- 
trine commune de son temps. Il rapporte exactement 
le rôle du serpent tentateur dans l'épreuve de nos pre- 
miers parents. Ant. jud., I, i, 4, Opéra, Amsterdam, 
1726, t. I, p. 7. Mais il adopte aussi les idées des Juifs 
hellénistes. 11 attribue l'origine des géants au commerce 
charnel des anges de Dieu avec les filles des hommes. 
Ant. jud., I, III, 1, p. 12. Il parle des démons qui pro- 
voquaient en Saùl des suffocations et des étranglements, 
dont les médecins ne pouvaient le guérir, et il ajoute que 
le calme était rendu au malade par le son de la harpe 
de David. Ant. jud., VI, viii, 2; xi, 2, p. 332-333, 338. 
On a remarqué qu'il n'a pas nommé une seule fois 
Satan. De plus, sous l'influence sans doute des idées 
grecques, il appelle démons les âmes des hommes 
mauvais, et il dit que ces âmes tuent les vivants qui 
entrent sans précaution dans les eaux de Machéronte. 
Bell, jud., VII, vï, 3, t. ii, p. 417. Philon, plus profon- 
dément imbu de philosophie grecque, a mélangé, dans 
sa théorie des puissances intermédiaires entre Dieu et 
les créatures, la doctrine juive sur les anges et les idées 
des Grecs sur les démons. Pour lui, les anges et les 
démons sont des âmes pures, qui volent dans l'air et 
descendent dans les corps. Aussi allégorise-t-il le récit 
biblique de l'origine des géants, bien qu'il reproduise 



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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



332 



la leçon : ayrs^oi toj ôcoO. De gigantibus, dans Opéra, 
Paris, 1640, p. 284-285. Sa doctrine n'a plus rien de spéci- 
fiquement juif; il ne garde que le nom d*anges. Schùrer» 
Geschichte des jûdischen Volkes im Zeitalter Jesu 
Christi, 3» édit., Leipzig, 1898, t. m, p. 553. Il déclare 
aussi que les païens ont par erreur pris les anges pour 
des dieux. De py^ofugU, 48, p. 481. 

Plus tard, la démonologie prit, dans le monde juif, 
une très grande extension. Il importe peu à notre sujet 
d*en poursuivre Tétude, soit dans les targums, soit dans 
les Talmuds, soit dans les commentaires de la Bible. 
Disons seulement que, selon le targum du pseudo- 
Jonathan sur Num., xi, 26, c'est Samael qui tenta Eve. 
Pour quelques idées populaires, voir le Talmud de Ba- 
bylone, traité Berakhoth, i, 1-4; vu, 6; ix, 9, trad. 
Schwab, Paris, 1871, p. 227, 239, 240, 433, 495, 490,497; 
Talmud de Jérusalem, traité Trounwth, i, 4, trad. 
Schwab, Paris, 1879, t. m, p. 4; traité SanhédHn, x, 
2, Paris, 1889, p. 51 ; Weber, Jûdische Théologie auf 
Gi^nd des Talmud und verxvandter Schriften, 2« édit., 
Leipzig, 1897, § 54. Plus tard encore, sous l'influence 
de la superstition populaire et grâce aux spéculations 
de la cabale, le nombre des anges et des démons ayant un 
nom déterminé, et la variété des moyens inventés pour 
écarter leur action néfaste formèrent toute une théolo- 
gie nouvelle, sans relation avec la révélation de l'An- 
cien Testament. Voir M. Schwab, Vocabulaire de l'an- 
gélologie d'après les manuscrits hébreux de la Bi- 
bliothèque nationale, in-4o, Paris, 1897 ; Id., Le ni». i380 
du fonds hébreu à la Bibliothèque nationale, Sup- 
plément au vocabulaire de Vangélologie, in-4», Paris, 
1899 ; S. Karppe, Étude sur les origines et la nature 
du Zohar, Paris, 1901, p. 56, 145, 447-448. 

in. Dans le Nouveau Testament. — 1» Dans les 
Évangiles, — La doctrine de Notre-Seigneur et des 
évangélistes sur les démons ressortira^d'abord de l'étude 
des relations du Sauveur avec Satan et les esprits mau- 
vais, puis de la doctrine môme de Jésus sur le diable 
et le monde infernal. — 1. Relations de Jésus avec 
les démons. — Tout au début de sa vie publique, Jésus, 
retiré au désert, fut tenté par Satan. Marc, i, 13. L'Es- 
prit Ty avait conduit à celte fin. Matth., iv, 1. Satan y 
remplit son rôle de tentateur. Il éprouve Jésus et l'in- 
terroge sur sa nature et sa mission messianique, afin 
de le détourner, s'il le pouvait, de cette mission qu'il 
pressent contraire à ses mauvais desseins sur le monde. 
Le récit de la triple tentation, Matth., iv, 3, 11; Luc, 
IV, 3-13, montre l'habileté du tentateur, qui a recours 
à l'attrait delà concupiscence pour détourner Jésus de 
sa mission et l'induire en erreur. Satan y apparaît 
capable d'agir, non seulehient sur l'intelligence des 
hommes en suggérant des pensées, mais encore sur 
leurs corps, puisqu'il transporte Jésus à Jérusalem, sur 
le sommet du temple, puis sur une haute montagne. 
Dans une des trois tentations, il se donne comme le 
maître du monde, et veut se faire adorer. D'autre part, 
Jésus résiste à ses suggestions et prouve par son 
exemple que Satan n'a pas d'empire absolu sur les 
hommes et qu'il influe seulement sur ceux qui cèdent 
volontairement à ses suggestions. Vaincu dans sa pre- 
mière tentative, il ne se relire que pour un temps, 
Luc, IV, 13, avec l'intention de revenir à l'assaut et de 
reprendre la lutte. Les rencontres ne manqueront pas, 
et elles auront lieu par l'intermédiaire des démonia- 
ques. On traitera à l'article Démoniaques de la réalité 
et de la nature des possessions diaboliques; nous ne 
dirons ici que ce qu'elles nous apprennent sur Satan 
et les démons. Durant son premier séjour à Caphar- 
naiim, Jésus fut abordé à la synagogue par un possédé 
de l'esprit immonde, qui l'interrogea sur sa nature et 
sa mission, qu'il devinait hostile et dirigée contre lui 
pour sa perte. Jésus le chasse du possédé et la première 
manifestation de ce pouvoir divin sur les esprits im- 



mondes fit grand bruit dans toute la Galilée. Marc, i, 
23-28; Luc, iv, 33-37. D'autres possédés acclamaient 
Jésus comme Fils de Dieu ou Messie. Jésus leur impo- 
sait silence elles chassait. Marc, i, 34, 39; Matth., viii, 
16; Luc, IV, 41. Ces faits se reproduisaient fréquemment 
et en divers lieux. Marc, m, 11, 12; v, 1-20; vii, 24-30; 
Matth., VIII, 28-34; ix, 32-33; xv, 21-28; Luc, vi, 18; 
IX, 37-43. Des scribes, venus de Jérusalem, en prirent 
occasion pour calomnier Jésus et le dire possédé lui- 
môme; ils prétendaient qu'il chassait les démons au 
nom de Beelzébub, leur prince. Ce nom, emprunté à 
la mythologie des Philistins, qui honoraient Baal comme 
dieu des mouches, désignait dans le langage populaire 
des contemporains de Jésus, le chef des habitations infer- 
nales. Voir Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, 
t. I, col. 1547. Jésus réfuta cette calomnie par ce rai- 
sonnement sans réplique que Satan ne peut agir contre 
lui-même, ni détruire son propre empire. Marc, m, 
22-26; Matth., ix, 34; xii, 22-27; Luc, xi, 14-19. Décla- 
rer que Jésus est possédé de l'esprit immonde, c'est un 
blasphème contre le Saint-Esprit et un péché irrémis- 
sible. Marc, m, 29, 30. Voir t. ii, col. 910-916. C'est par 
l'esprit de Dieu, c'est par son doigt, c'est-à-dire par sa 
puissance, que Jésus chasse les démons, et l'exercice 
de ce pouvoir est une marque que le royaume de Dieu 
est venu sur terre. Matth., xii, 28; Luc, xi, 20. Il y 
avait donc opposition entre le royaume de Dieu et le 
royaume du diable, et Jésus était venu pour détruire 
ce dernier. Aussi, en choisissant ses apôtres, leur con- 
féra-t-il le pouvoir de chasser les démons. Marc, m, 
15; Matth., x, 1, 8. Il renouvela ce pouvoir, en .les en- 
voyant en mission, durant laquelle ils chassèrent beau- 
coup de démons. Marc, vi, 7, 13. Les soixante-douze 
disciples, chargés plus tard d'une mission spéciale pour 
préparer celle de leur Maître, relatèrent avec joie à 
leur retour que les démons leur étaient soumis par 
la vertu du nom de Jésus, et Jésus leur déclara qu'il 
avait vu Satan tomber du ciel comme l'éclair. Luc, x, 
17,18. Il ajouta que le pouvoir sur les démons n'était 
pas pour ceux qui le possédaient une marque de salut; 
il leur était donné pour le bien des autres, et ils n'en 
seront pas récompensés. Luc, x, 20. Cf. Matth., vu, 22. 
Toutefois, les apôtres ne pouvaient pas chasser toute 
sorte de démons et Jésus leur expliqua que quelques- 
uns de ces esprits ne pouvaient être expulsés que par 
le recours à la prière et au jeûne. Marc, ix, 13, 28 ; 
Matth., xvii, 14-20; Luc, ix, 40. Jésus reconnaissait 
donc diverses classes de démons, dont quelques-uns 
avaient un pouvoir plus malfaisant que les autres. Les 
Juifs, comme les Galiléens, ont traité Jésus de possédé 
du démon. Joa., yiii, 48, 52. Au moment de la passion, 
la puissance des ténèbres, que Jésus avait comprimée 
durant sa vie publique, eut un instant pouvoir contre 
lui, et les Juifs, ses suppôts, purent se saisir de Jésus 
et le faire mourir. Luc, xxii,53. Judas, qui l'avait trahi, 
avait agi sous l'influence de Satan. Luc, xxii, 3. Cf. Joa., 
VI, 71, 72; XIII, 2, 27. Mais Jésus, vainqueur de la mort 
par la résurrection, donna de nouveau à ses apôtres le 
droit de chasser les démons en son nom. Marc, xvi, 17. 

2. Enseignement de Jésus sur les démons. — Jésus 
ne s'est pas contenté de lutter contre Satan, qui le ten- 
tait, et contre les démons, dont Satan est le prince et 
qui faisaient sentir aux hommes leur puissance malfai- 
sante, il a encore caractérisé, dans ses paraboles et ses 
discours, la nature de cette puissance mauvaise. 

Dans les Synoptiques, en décrivant sous forme para- 
bolique l'avenir du royaume messianique, il a indiqué 
en quelques traits l'opposition que lui fera Satan dans 
les âmes et dans le monde. Si la parole de Dieu est 
une semence, jetée sur divers terrains, Satan ou le 
méchant vient promptement, pareil aux oiseaux du 
ciel, enlever le grain tombé sur le chemin et la bonne 
parole semée dans les cœurs pour qu'elle n'y germe 



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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



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pas el n'y porte pas de fruit, Marc, iv, 15; Matlh., xiii, 
19, de peur que les auditeurs, s'ils étaient attentifs à 
la parole jetée dans les cœurs, ne soient sauvés. Luc, 
VIII, 12. Satan est encore Thomme ennemi qui, après 
que le père de famille a semé dans son champ la 
bonne semence, vient la nuit répandre Tivraie avec le 
bon grain. Cette ivraie est le symbole des méchants, 
semence du diable, qui, dans le royaume de Dieu, se 
trouveront avec les bons et y seront conservés jusqu'au 
temps de la moisson, la fin des temps, pour être alors 
séparés el jetés au feu. Matth., xiii, 24-30, 36-42. 
Lorsque se fera cette séparation, exposée ailleurs 
comme celle des brebis et des boucs du troupeau, 
Matth., XXV, 32, 33, les boucs, ou les méchants, placés 
à gauche, seront maudits et envoyés au feu éternel, 
qui est préparé pour le diable et pour ses anges. 
Matth., XXV, 41. Les hommes mauvais partageront 
donc le sort réservé aux démons. En suivant les inspi- 
rations de Satan, ils appartiennent à son royaume, 
et en se rangeant à sa suite, ils méritent le même 
châtiment que lui. Satan avait demandé de cribler les 
disciples de Jésus comme le moissonneur crible le fro- 
ment. Mais, tout en lui laissant le droit de les attaquer, 
Jésus a prié pour que la foi de Pierre ne défaille point 
et pour qu'il confirme ses frères. Luc, xxii, 31-32. 
Cependant il faut craindre cet adversaire, qui est 
capable de perdre le corps et Tâme en enfer. Matth., 
X, 28. Quand l'esprit immonde est sorti d'un homme, 
il erre dans les lieux arides et y cherche le repos sans 
le trouver. Aussi cherche-t-il à rentrer dans la maison 
qu'il a quittée, et la trouvant purifiée et ornée, il prend 
avec lui sept autres esprits plus méchants que lui; ils 
pénétrent ensemble dans cet homme délivré, et ren- 
dent son état pire que le premier. Matth., xii, 43-45. 
Marie-Madeleine avait été délivrée de sept démons. 
Luc, viii, 2; Marc, xvi, 9. Parfois même les démons, 
qai habitaient dans un seul homme, s'appelaient 
légion, tant ils étaient nombreux. Marc, v, 9; Luc, 
VIII, 30, 36. Ils demandèrent d'entrer dans un troupeau 
de porcs, pour ne pas quitter la région. Marc, v, 10-16. 
Dans ses discours que rapporte le quatrième Évan- 
gile, Jésuë est plus précis encore sur l'origine et la 
natare du diable. Il appelle les Juifs, qui refusaient de 
croire à sa parole, les fils du diable, ses partisans, 
décidés à réaliser les désirs de leur père. Celui-ci a été 
homicide dès le commencement (allusion à la chute 
de nos premiers parents et à l'introduction de la mort 
en punition de leur faute). Il n'est pas demeuré dans 
la T^rilé, qu'il avait possédée; aussi la vérité n'est-elle 
plus en lui, et n'est-il lui-même qu'un menteur. Joa., 
Yiii, 44. Par la venue de Jésus sur terre, le jugement 
da monde est commenc^, et le prince de ce monde 
sera jeté dehors. Joa., xii, 31. Le Sauveur est entré en 
latte avec lui. A la veille de la passion, le prince du 
monde a dressé ses batteries contre lui; mais il n'a 
pas poavoir sur lui, Joa., xiv, 30, et il est déjà jugé. 
Joa., XVI, 11. 

Conclusion, — Notre-Seigneur a donc reconnu l'exis- 
tence des démons. Ses actes et ses paroles prouvent 
qu'il les tenait pour des êtres réels, des esprits déchus, 
impars, puissants, ennemis des hommes et ses propres 
adversaires. A ses yeux, ils font partie d'un royaume, 
dont Satan est le chef et les méchants sont les mem- 
bres. Lear puissance est bornée, subordonnée qu'elle 
est à la volonté divine et incapable de forcer la volonté 
humaine qai lui résiste. Elle est appliquée au mal. 
Satan, l'ancien serpent tentateur, est le prince de ce 
monde, parce que le monde est mauvais et fait des 
oravres de péché. Mais Jésus est venu pour détruire 
sa puissance; Satan est déjà jugé et condamné à l'enfer. 
Si ses suppôts gardent encore quelque droit à solliciter 
les disciples de Jésus au mai, comme il a tenté Jésus 
lui-même, ils ne prévaudront pas contre eux, et seuls. 



les méchants, qui feront leurs œuvres, partageront 
après le jugement dernier leur sort et seront con- 
damnés avec eux au feu éternel, qui leur est préparé. 
Noire-Seigneur a véritablement affirmé l'existence de 
ces esprits mauvais, et il est impossible de prétendre, 
avec quelques théologiens protestants, ou qu'il a par- 
tagé sur les démons les idées erronées de son temps, 
ou qu'il s'est accommodé, dans son enseignement, aux 
idées régnantes pour exprimer seulement, sous cette 
forme populaire la lutte du bien et du mal dans le 
monde. Voir A. Polz, Das Verhàltnis Christi zu den 
Dàmonen, Inspruck, 1907. 

2» Dans les Actes des apôtres. — La doctrine de 
Jésus sur les démons est réalisée dans les événements 
de l'hidtoire de l'Église. £n application du pouvoir que 
leur avait donné leur Maître, les apôtres à Jérusalem 
chassent les esprits immondes. Act., v, 16. PhiUppe 
faisait de même à Samarie. Act., viii, 7. Saint Paul 
guérit à Philippes une jeune fille qui avait un esprit 
de python, Act., xvi, 16-19, et à Éphèse, il chassa des 
esprits mauvais. Act., xix, 12. Un de ces esprits frappa 
les sept fils de Scevé, exorcistes juifs, dont il ne recon- 
naissait pas le pouvoir, alors qu'il reconnaissait celui 
de Jésus et de Paul. Act., xix, 13-16. Saint Paul déclare 
à Agrippa que Jésus ressuscité, lui ayant apparu, le 
chargea de retirer les gentils de la puissance de Satan 
et de les ramener à Dieu. Act., xxvi, 18. Satan avait 
tenté Ananie et l'avait fait mentir au Saint-Esprit. Act., 
v, 3. Barjésu était un fils du diable et l'ennemi de la 
justice. Act., xiii, 10. Les Athéniens, entendant saint 
Paul leur prêcher une doctrine religieuse qui leur 
était inconnue, disent qu'il leur annonce de nouveaux 
démons, c'est-à-dire de nouveaux dieux. C'est l'idée 
grecque que les dieux païens étaient des démons ou 
des esprits; elle est exprimée par des Grecs, et saint 
Luc ne la prend pas à son compte, en la rapportant. 

3» Dans les Épîtres de saint Patd. — Sur Satan et 
les démons, l'apôtre a exprimé les idées juives et chré- 
tiennes. — 1. Il s'est fait Técho de la Genèse, en rap- 
pelant que le serpent avait séduit Eve. II Cor., xi^ 3; 

I Tim., Il, 14. Cette première faute nous avait mis sous 
la puissance des ténèbres, et Dieu le Père, par la 
rédemption de son Fils, nous en a rachetés et nous a 
fait passer dans le royaume de son Fils bien-ainié. 
Col., 1, 13, 14. Jésus a détruit le décret qui était porté 
contre nous, en l'attachant à sa croix, et il a enlevé 
aux principautés et aux puissances le droit qu'elles 
avaient sur nous. Col., ii, 14, 15. Par sa mort, il a 
détruit celui qui avait l'empire de la mort, le diable, 
et il a délivré ceux qui, par crainte de la mort, étaient 
pour toute leur vie asservis à son esclavage. Heb., ii, 
14, 15. Les Éphésiens, avant leur conversion, vivaient 
dans le péché, marchaient selon le train du monde, 
selon les inspirations du prince des puissances de 
l'air, de cet esprit qui agissait encore à cette époque* 
sur les hommes rebelles à la nouvelle foi. Eph., ii, 1, 
2. Le diable était donc le prince de ce monde. 11 vou- 
lait maintenir son empire, détruit par la mort de 
Jésus, et il tendait des pièges même aux chrétiens, qui 
doivent revêtir l'armure de Dieu pour résister aux 
embûches du diable. Ils ont, en effet, à lutter, non 
seulement contre la chair et le sang, mais encore 
contre les princes et les puissances, contre les gou- 
verneurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits- 
de malice. Eph., vi, 11, 12. Il ne faut donc pas, dans 
cette lutte, donner de prise au diable. Eph., iv, 27. Les 
époux ne doivent garder la continence entre eux que' 
pour un temps, de peur d'être tentés d'incontinence 
par Satan. I Cor., vu, 5. Saint Paul a pardonné à un< 
Corinthien qui l'avait offensé à cause des autres chré- 
tiens, « pour que nous ne devenions pas les dupes de 
Satan, car, ses desseins à lui, nous les connaissons. » 

II Cor., II, 10, 11. Il les tromperait, en les poussant à 



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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



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ne pas pardonner, car l'absence de charité fraternelle 
est son œuvre. Il tient captifs dans ses pièges et Soumis 
à toutes ses volontés, ceux qui résistent à la vérité et 
qu*il faut tirer de l'erreur, en les reprenant avec 
modestie. Il Tim., ii, 25, 26. Il faut que l'évoque ne 
soit pas néophyte, et qu'il soit un homme à qui on 
rend bon témoignage, de peur qu'autrement il ne tombe 
dans les pièges du diable. I Tim., m, 6, 7. Ceux qui 
veulent être riches sont tentés par le diable et tombent 
dans ses pièges. I Tim., vi, 9. Quelques veuves sont 
retournées en arrière et revenues à Satan. I Tim., v, 
15. Satan, qui est esprit de ténèbres, se transforme en 
ange de lumière pour mieux tromper. II Cor., xi, 14. 
Saint Paul souhaite que le Dieu de la paix broie rapi- 
dement Satan sous les pieds des Romains. Rom., xvi, 
20. Jésus triomphera finalement de toute principauté, 
pouvoir et vertu, et mettra tous ses ennemis sous ses 
pieds. I Cor., xv, 24, 25. Les chrétiens seront les juges 
des anges mauvais. I Cor., vi, 3. En attendant, Satan 
fait obstacle J l'œuvre de l'apostolat, et il a empêché 
l'apôtre d'aller à Thessalonique. I Thés., ii, 18. L'ai- 
guillon que l'apôtre ressent dans sa chair est un ange 
de Satan. Il Cor., xii, 7. Mais les puissances et les 
vertus adverses ne pourront rien contre lui et ne le 
sépareront pas de la charité de Jésus-Christ. Rom., 
XIII, 38, 39. Au cours des siècles, plusieurs abandonne- 
ront la foi, croiront aux esprits trompeurs et adhére- 
ront aux doctrines des démons. I Tim., vi, 1. L'avène- 
ment de l'Antéchrist, à la fin des temps, sera l'œuvre 
de Satan. II Thés., ii, 9. L'apôtre livrait à Satan les 
chrétiens coupables, laissait leurs corps soumis à sa 
puissance, pour sauver leurs âmes. I Cor., v, 5;I Tim., 
I, 20. Ainsi le serpent tentateur, Satan, était le chef du 
monde pervers, le prince des puissances ténébreuses 
et des esprits qui habitent dans l'air. Il tenait les 
hommes captifs dans le péché, et il luttait contre les 
chrétiens, en les tentant et en leur tendant des pièges. 
Vaincu par Jésus, il n'a d'empire que sur ceux qui se 
livrent à lui, et finalement, sa puissance sera broyée 
sous les pieds de son vainqueur. 

2. Saint Paul a reconnu dans le culte des païens un 
culte rendu aux démons. Leurs sacriGces sont offerts 
aux démons et non pas à Dieu. Les chrétiens ne doivent 
pas manger des victimes immolées aux idoles, pour ne 
pas s'associer aux démons. Ils ne peuvent pas boire à 
la coupe du Seigneur et à celle des démons. I Cor., x, 
19-21. Les chrétiens ne doivent même pas avoir de rela- 
tions, sinon celles qui sont absolument nécessaires, avec 
les païens. La justice ne s'allie pas à l'iniquité; la 
lumière n'accompagne pas les ténèbres; le Christ ne 
s'associe pas à Bélial. II Cor., vi, 15. Saint Paul prend 
comme un nom propre l'expression de Bélial qui, dans 
l'Ancien Testament, caractérise les méchants. En l'oppo- 
sant au Christ, il désigne le mauvais par excellence, 
Satan, qu'il tient, non certes pour le principe du mal 
opposé au principe du bien, mais comme le chef des 
méchants, le prince des païens, l'adversaire irréconci- 
liable du Christ qui l'a vaincu. On peut en conclure 
qu'il le regardait comme le dieu qu'adoraient les 
païens. Cf. Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, 
t. I, col. 1551-1562. Voir Simar, Die Théologie des hei- 
ligen, Paulus, 2« édit., Fribourg-en-Brisgau, 1883, 
p. 67-71; Everling, Die paulinische Angelologie und 
Dàmonologie, Gœttingue, 1888. 

4« Dans les Épitres des autres apôtres, — Saint 
Jacques nous apprend que les démons croient en un 
seul Dieu, mais leur foi, parce qu'elle est jointe en 
eux aux actes mauvais, ne leur profite pas; ils croient, 
mais ils s'irritent contre le Dieu unique, auquel ils 
croient, ii, 19. Il conseille de résister au diable, en 
avertissant que cette résistance le fera fuir, iv, 7. Saint 
Pierre, dans sa I^» Épître, v, 8, 9, recommande la 
sobriété et la vigilance, vertus nécessaires pour résister 



au diable, adversaire des chrétiens, qui circule comme 
un lion rugissant, cherchant qui dévorer; la principale 
force de résistance est de demeurer ferme dans la foi. 
Dans sa II* Épltre, ii, 4, il parle des anges pécheurs, à 
qui Dieu n'a pas pardonné, et qu'il a précipités dans 
l'abîme, chargés des chaînes de l'enfer pour être tour- 
mentés et réservés pour le jugement. La même mention 
des anges prévaricateurs se retrouve dans l'Épître de 
Jude, 6, qui présente d'ailleurs une si grande ressem- 
blance avec la 1I« de Pierre. Ces anges n'ont pas con- 
servé leur dignité première, mais ont abandonné leur 
demeure. Dieu les a réservés pour le jugement du 
grand jour dans des chaînes éternelles et d'épaisses 
ténèbres. Or, saint Jude, 14, 15, cite presque textuelle- 
ment Hénoch, i, 9. Voir F. Martin, op. cit,, p. 4. Aussi 
beaucoup de critiques pensent-ils que le verset 6 est 
emprunté au même livre, x, 4-6, aussi bien que le pas- 
sage correspondant de II Pet., ii, 4. F. Martin, op. cit., 
p. cxvii, 22-23. Si l'on admet cette dépendance, il en 
résulte que les apôtres, Pierre et Jude, parleraient, * 
comme le Livre d' Hénoch, des anges prévaricateurs et 
souillés avec les femmes et ayant subi une double 
condamnation : une première, l'enchaînement préalable 
dans une prison ténébreuse, et une seconde, la peine 
du feu dans l'enfer après le dernier jugement. Cette 
conclusion ne ressort pas seulement, dit-on, de la 
ressemblance et de l'emprunt au Livre d'Hénoch, mais 
encore du contexte des deux Épitres. Saint Jude, en 
elîet, prétend-on, attribue aux anges le péché de luxure, 
puisqu'il rapproche leur faute de celle des habitants de 
Sodome et de Gomorrhe, 7, et menace des mêmes châti- 
ments ceux qui souillent leur chair, 8. De même, saint 
Pierre rattache au péché des anges le déluge produit 
pour punir les impies, et le péché des Sodomites. 
II Pet., Il, 5. Dans sa conclusion, 10, il renferme aussi 
les hommes adonnés à l'impureté. F. Lenormant, Les 
origines de Vhistoire, t. i, p. 297. Mais cette interpré- 
tation ne s'impose pas, au moins pour la nature de la 
faute des anges et du châtiment. Les passages cités des 
deux Épitres se ressemblent, il est vrai. Les deux apô- 
tres ont le même but : ils veulent préserver les fidèles 
contre les faux docteurs et les impies de l'époque, et 
ils citentdes exemples historiques à l'appui de la leçon 
qu'ils tirent. Saint Jude, 5-7, rapporte trois faits : les 
espions envoyés par Moïse au pays de Chaaaan, les 
anges prévaricateurs et les crimes commis dans la Pen- 
tapole. Il ne suit donc pas l'ordre chronologique. Saint 
Pierre a aussi trois exemples, qui se suivent chronolo- 
giquement : la faute des anges, la punition des crimes 
du monde primitif par le déluge et les actes des So- 
domites. Quelque soit l'ordre, les exemples sont choisis 
en vue du châtiment et san% rapport direct avec la 
nature des fautes. Par conséquent, on ne peut rien 
conclure du rapprochement des péchés qui ont pro- 
voqué le déluge et la ruine des villes de la Pentapole. 
Cette faute n'a pas, dans le texte, de rapport néces- 
saire avec les péchés de luxure. D'autre part, dans leurs 
conclusions morales, les deux apôtres ne menacent pas 
de châtiments analogues les luxurieux seuls ; ils visent 
d'autres coupables : ceux qui méprisent l'autorité et 
blasphèment la majesté. De la variété des coupables 
visés on peut inférer celle des fautes historiques citées 
en exemple. Par suite encore, le péché des anges n'est 
pas nécessairement la luxure. Reste la dépendance avec 
le Livre d'Hénoch, qui rapporte, lui, le châtiment des 
anges qui se sont souillés avec les femmes. Mais il suffit 
de rappeler que les citations ne sont pas textuelles, et 
que, s'il y a emprunt, il n'existe que pour certains traits, 
concernant le châtiment plutôt que la faute elle-même. 
D'ailleurs, pour saint Jude, le péché des anges qui 
n'ont pas conservé leur dignité première et ont aban- 
donné leur demeure, correspond au mépris de la domi- 
nation du Seigneur, second péché nommé au verset 8. 



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337 



DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE 



338 



Ce péché est donc plutôt la révolte contre Dieu. Quant 
au châtiment^ il n*est pas double dans les deux Épttres 
comme il est dans le Livre d'H.érioch; les deux apôtres 
ont décrit, en des traits empruntés à ce livre eu à la 
tradition qu'il reproduit, Tunique peine des anges cou- 
pables : leur enchaînement dans l'abîme infernal jus- 
qu'au jugement. Ils parlent donc seulement d'anges 
déchus et rebelles, sans allusion à une faute charnelle, 
et enchaînés dans les ténèbres de l'enfer. De la sorte, 
même en admettant la dépendance littéraire de ces deux 
Épitres relativement au livre d'Hénoch, on est en droit 
de nier Tidenlité de doctrine sur la nature de la faute 
et du châtiment des anges coupables. Voir Robert, dans 
la Revue biblique, 1895, t. iv, p. 524-527, 516-550. — 
Saint Jude, 9, cite un passage qu'on croit être de VAs- 
soniption de Moïse, bien qu'il n'ait pas été retrouvé dans 
les fragments conservés de cet écrit du i»"" siècle de notre 
ère. L'archange Michel, en discutant avec Satan sur la 
sépulture de Moïse, n'osa pas proférer contre son adver- 
saire un jugement de malédiction; il se borna à dire : 
< Que Dieu te commande ! d L'emprunt n'est pas certain, 
et on ignore l'origine de ce renseignement. Lueken, 
Michael, Gœttingue, 1898, p. 4i. 

L'apôtre saint Jean déclare que l'homme pécheur est 
fils du diable, c car le diable pèche depuis le commen- 
cement. Mais le Fils de Dieu s'est manifesté précisé- 
ment pour détruire les œuvres du diable. 9 Quiconque 
est né de Dieu ne pèche pas et ne peut pas pécher. Les 
enfants de Dieu se distinguent donc des enfants du 
diable. I Joa., m, 8-10. Caïn, qui égorgea son frère 
Âbel, était fils du malin, m, 12. Il y a donc deux caté- 
gories d'hommes, les pécheurs et les justes. Si ceux-ci 
sont fils de Dieu, ceux-là sont fils du diable, parce 
qu'ils en opèrent les œuvres. Le diable a été le premier 
pécheur, et tous ceux qui pèchent appartiennent à sa 
race. Précédemment, l'apôtre avait dit aux jeunes gens 
qu'ils avaient vaincu le Mauvais, ii, 13, li, c'est-à-dire 
le diable ou Satan, contre qui ils avaient dû soutenir 
des luttes pour professer la foi chrétienne. 

5«> Dans V Apocalypse, — En décrivant l'état des sept 
Églises d'Asie et les destinées futures de toute l'Église 
chrétienne, saint Jean nous a fourni plusieurs dé- 
tails sur la lutte entreprise par Satan contre cette 
Église. — 1. A Smyrne, des Juifs qui forment une sy- 
nagogue de Satan, persécutent les chrétiens, et le diable, 
qui est leur inspirateur, fera jeter plusieurs fidèles en 
prison; mais ce ne sera qu'une épreuve passagère, 
qu'il faudra supporter avec courage, ii, 9, 10. Pergame 
est le trône de Satan, parce que cette ville est le siège 
de ridolàtrie et qu'on y portait les chrétiens à manger 
des \iandes immolées aux idoles, n, 13, 14. Des chré- 
tiens de Thyatire avaient connu « les profondeurs de 
Satan )*, ii, 24; c'étaient ceux qui avaient partagé la 
doctrine idolâtrique, professée par la soi-disant pro- 
phétesse Jézabel, 20-22. Philadelphie possède, elle 
aussi, une synagogue de Satan, composée de Juifs 
menteurs et ennemis de la communauté chrétienne de 
cette ville, m, 9. Les ennemis et les persécuteurs des 
chrétiens appartiennent à Satan, parce qu'ils sont mé- 
chants. — 2. A la cinquième trompette, le puits de 
l'abîme fut ouvert. Ce puits est l'empire de Satan, d'où 
sortent la fumée et des sauterelles. Celles-ci étaient 
chargées de tourmenter les hommes qui n'avaient pas 
le sceau de Dieu. Elles avaient pour chef l'ange de 
Tabime, nommé en hébreu Abaddon et en grec Apol- 
lyon, IX. 1-11. Ces deux noms signifient c perdition ». 
iîbaddon est probablement un des noms de Satan et il 
désigne son rôle d'exterminateur dans la scène de cette 
vision. Après que la sixième trompette eut retenti, 
J'ange reçut Tordre de délier quatre anges enchaînés 
sur TEuphrate et réservés pour tuer le tiers des hommes, 
IX, 13-15. Ce sont quatre génies malfaisants, liés pour 
qu'ils ne paissent accomplir leur œuvre de destruction 



qu'à l'heure voulue de Dieu. — 3. Le grand dragon, 
l'antique serpent, qui est nommé diable et Satan et qui 
a séduit le monde, se leva contre la femme qui était 
prête à enfanter et qui représentait l'Église. Il vient la 
combattre avec le tiers des étoiles du ciel. Mais Michel 
et ses anges combattent dans le ciel le dragon et son 
armée, qui sont jetés sur terre et n'ont plus de place au 
ciel, xii, 1-9. Cette scène est décrite d'après les idées 
du temps sur le dragon. 11 y a une simple allusion à la 
chute de l'antique serpent entraînant peut-être le tiers 
des anges. Mais le combat entre les bons et les mauvais 
anges concerne l'Église. Il a lieu dans le ciel, parce que la 
vision est céleste; mais la vision vise l'avenir terrestre de 
l'Égliseetles luttes des bons anges avec les mauvais sur 
terre à son sujet. Le sens en est donné par la voix céleste, 
10; l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait 
jour et nuit devant Dieu, a été rejeté du ciel. C'est le 
diable qui est descendu sur la terre et la mer et qui 
est animé d'une grande colère, parce qu'il a peu de 
temps à poursuivre les chrétiens avant le jugement, 12. 
Suit la description de la lutte du dragon ou serpent 
contre la femme ou l'Église, 13-17. Ce dragon donna 
sa puissance, son trône et une grande autorité à la 
bêle qui montait de la mer, c'est-à-dire à l'Anté- 
christ, XIII, 2, et les hommes adoraient le dra- 
gon et la bête, 4. Des esprits impurs sortent de la 
bouche du dragon, de la bête et du faux prophète, et 
ces démons opèrent des prodiges et rassemblent les 
rois de la terre pour le combat du grand jour du Sei- 
gneur, XVI, 13, 14. Après la victoire de l'Agneau, un 
ange descend du ciel avec la clef de l'abîme et une 
grande chaîne à la main. Il saisit le dragon, l'antique 
serpent, qui n'est autre que le diable et Satan, et le lie 
pour mille ans. Il le jette dans l'abîme qu'il ferme et 
scelle sur lui, afin qu'il ne séduise plus les nations. 
Après mille ans, il sera délié pour quelque temps, xx, 
1-3. Sorti de sa prison, il ira séduire les nations qui 
sont aux quatre coins de la terre et les rassembler a 
pour la guerre contre les saints. Le feu du ciel dévo- 
rera son armée, et le diable séducteur sera jeté dans 
le gouffre de feu et de soufre avec la bête et le faux 
prophète et ils y seront tourmentés jour et nuit pendant 
tous les siècles, 7-10. 

Des traits de ces descriptions prophétiques il reste à 
dégager la doctrine de saint Jean sur Satan et ses anges, 
et aussi à en déterminer l'origine. Il est clair que le 
dragon, l'ennemi de l'Église, est Satan, l'antique serpent, 
le chef des anges déchus qu'il lance dans la lutte contre 
les chrétiens. Les Juifs, ennemis de l'Église, et les 
mauvais chrétiens lui appartiennent, suivent ses inspi- 
rations et accomplissent ses œuvres. Les idolâtres 
l'adorent dans leurs idoles. Dans sa lutte contre l'Église 
il est combattu par l'archange Michel et les bons anges. 
Ils contiennent sa fureur et finalement il sera vaincu 
par eux. Enchaîné dans l'abfme. il reparaîtra sur terre 
à la fin des temps, recommencera ses séductions, 
renouvellera la lutte contre les saints, mais sera enfin 
enfermé définitivement dans l'enfer pour y être tour- 
menté éternellement. Divers critiques modernes ont 
prétendu que l'origine des symboles de l'Apocalypse 
était babylonienne, et qu'en particulier le dragon, 
adversaire de l'Église, était Tiamat, le chaos primordial 
personnifié, en lutte contre Mardouk, le dieu créateur. 
Mais le monstre de l'épopée cosmologique s'est trans- 
formé en puissance néfaste de l'ordre moral, qui joue le 
rôle de l'adversaire de Dieu dans le drame eschatolo- 
gique. La lutte entre le bien et le mal a donc passé de 
l'ordre physique à l'ordre moral et de l'organisation du 
monde cosmique à la fin des temps. C'est, aux deux extré- 
mités des temps et dans deux ordres différents, le même 
génie du mal en lutte contre Dieu. Cf. Gunkel, Schôp- 
fung und Chaos in Uizeit und Endzeit, Gœttingue, 
1896, p. 242-244, 320-323, 385-397 ; Calmes, V Apocalypse 



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339 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



340 



4evant la tradition et devant la antique, Paris, 1905, 
p. 57-63. Cette opinion fait partie d'un système d'expli- 
cation des symboles de TApocalypse, dont la réfutation 
ne serait pas à sa place ici. Disons seulement qu'entre 
l'Apocalypse et le mythe cosmologique babylonien, a il 
n'y a guère de commun que l'idée du combat. Ce ne 
sont pas des dieux que saint Jean nous montre en guerre 
les uns contre les autres, mais des anges et de pures 
créatures, et il n'entre dans aucun des détails que décrit 
longuement le poète chaldéen. v F. Vigouroux, La Bible 
et les découvertes modefmes, 6« édit., Paris, 1896, t. i, 
p. 227. L'origine babylonienne du dragon n'est pas 
démontrée et les symboles de l'Apocalypse, notamment 
ceux duc. xn, sont plutôt d'origine juive. Les Septante 
avaient traduit par dragon plusieurs passages de 
l'Ancien Testament, où il est question du serpent. 
Exod., vil, 12; Deut., xxxii, 33; II Esd., ii, 13; Ps. xci 
(xc), 15; Jer., lx, 34; Dan., xiv, 22, 27. Bousset, Die 
Oflenbarung Johannis,2^ édiï., Gœttingue, 1896, p.408- 
413; Swete, The Apocalypse of St. John, Londres, 
1906, p. 147-155. La démonologie de l'Apocalypse ne 
diffère pas, pour le fond, de celle de l'Ancien Testament; 
elle est appliquée seulement aux destinées futures de 
l'Église, telles que les prévoit et les prédit le voyant de 
Palmos. Cf. Swete, op. cit., p. clxv-clxvi. 

E. Haag, Théologie biblique, Paris, 1870, p. 346-347, 356, 415- 
417, 460-462, 502-506 ; Ed. Stapfer, Les idées religieuses en Pales- 
tine à Vépoque de Jésus-Christ, 2* édit., Paris, 1878, p. 67-80; 
Smith, Dictionary of Ihe Bible, 2' édit., Londres, 1893, art. Dé- 
mon, DeviU t. I, p. 750-751, 779; art. Satan, t.jii, p. 1143-1149; 
Schenkel, Bibellexikon, art. Satan und Dàmônen, t. v, p. 186- 
191 ; Lindsay, Cyclopœdia of biblical literature, art. Démon, 
Satan, t. i, p. 659-661; t. m, p. n^-Tll; Kirchenlexikon, art. 
Teufel, 2' édit., t. xî, col. 1439-1445 ; Hauck, Realencyclop&die 
fur protestantische Théologie und Kirche, art. Dàmonen, 
Teufel, t. IV, p. 408-410; t. xix, p. 564-574; Hastings, Dictio- 
nary of the Bible, art. Devil, Satan, t. ii, p. 590-594 ; t. iv, 
p. 407-412; Cheyne, Encyclopœdia biblica, art. Démon, Satan, 
1. 1, col. 1069-1074; t. iv, col. 4296-4300; J. Schwane, Histoire 
des dogmes, trad. Degert, Paris, 1903, t. i, p. xviu-xxi; 
H. Duhm, Die bôsen Geister im A. T.. Tubingue, 1904; Has- 
tings, Dictionary of the Christ and tlie Gospels, Edimbourg, 
1906, t. I, p. 438-443; Oesterley. The Demonology in the Old 
Testament, dans Expositor, avril et juin 1907, p. 316-332, 527- 
544; août 1907, p. 132-151 ; M. Hagen, Lexicon biblicum, art. 
Daemones, Draco, Paris, 1907, t. ii, p. 3-10, 114-115; M. Hetze- 
nauer, Theologia biblica, Fribourg-en-Brisgau, 1908, t. i, 
p. 560-574. 

E. Mangenot. 

II. DÉMON D'APRÈS LES PÉRKS. — Les réflexions 
que M. Bareille a faites au début de son article : Ange- 
lologie d'après les Peines, t. i, col. 1192-1193, peuvent 
être répétées ici. Les Pères n'ont parlé des démons 
qu'en passant et n'ont publié aucun traité ex pi^ofesso 
à leur sujet. Ils ont, d'ailleurs, présenté souvent des 
opinions divergentes, et parfois erronées, parce que 
l'Écriture et la tradition ne leur fournissaient pas d'en- 
seignement fixe sur la plupart des points qui consti- 
tuent la démonologie. Beaucoup ont subi l'influence 
des écrits apocryphes, en particulier du livre d'Hé- 
noch. Aussi plusieurs sentiments, qui semblaient avoir 
d'abord prévalu sur les démons, ont-ils disparu à une 
étude plus attentive de la nature des anges déchus selon 
l'Écriture. — L Dans les trois premiers siècles. IL Du 
iv« au vi* siècle. III. Du vi« au xi« siècle. 

I. Dans les trois premiers siècles. — 1» Les Pères 
apostoliques. — Ils ne disent à peu près rien sur la 
nature des démons. Ils parlent du diable, de Satan et 
de ses anges, mais seulement dans un but pratique pour 
tenir les chrétiens en garde contre leur pernicieuse 
influence. L'Épltre dite de Barnabe, parlant des deux 
voies, met les anges de Dieu à la tôte de celle du bien 
et les anges de Satan à la tête de celle du mal. Si Dieu 
est le Seigneur des siècles, Satan est le prince du temps 
présent, qui est un temps d'iniquité, xviii. Funk, 



Patres apostolici, 2« édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 90. 
Ses lecteurs, qu'on croit être des Juifs convertis, étaient, 
avant leur conversion, un temple où régnait l'idolâ- 
trie, et la maison des démons, parce qu'ils faisaient ce 
qui était contraire à Dieu, xvi, 7, p. 88. Saint Ignace 
met les Tralliens en garde contre les embûches du 
diable. Ad TralL, viii, 1, p. 248. Selon lui, le chrétien 
qui honore l'évéque est honoré par Dieu ; celui qui 
secrètement agit contre l'évéque sert le diable. Ad 
Smym., ix, 1, p. 282. Dans les rapports avec le pro- 
chain, il faut imiter la bénignité de Notre-Seigneur, 
pour qu'« aucune herbe du diable ne se trouve » en 
nous. AdEph., x, 3, p. 222. Quand les fidèles sont réu- 
nis nombreux pour louer Dieu, les puissances de Satan 
sont sans force, et l'accord des chrétiens dans la foi 
fait disparaître le mal que Satan apporte. Ibid., xiii, 
1, p. 224. Ignace ne redoute par les durs tourments 
du diable, c'est-à-dire les persécutions des méchants, 
pourvu qu'il soit uni à Jésus-Christ. Ad Boni., v, 3, 
p. 258. Satan apparaît donc comme l'adversaire de 
Dieu et des chrétiens, et celui qui porte au mal et fait 
le mal. Parlant des docètes, l'évéque d'Antioche semble 
dire qu'après leur mort, quand ils seront sortis de 
leurs corps et devenus comme des démons, ils n'au- 
ront pas part à la résurrection glorieuse du Christ. 
Ad Smym., ii, p. 276. Il tient donc les démons comme 
incorporels. Cf. i6id., m, 2. L'auteur de la 7/» ad Cor., 
xviii, 2, p. 208, craint le jugement des impies, parce 
qu'il est pécheur, qu'il n'a pas encore fui toutes les 
tentations et qu'il est encore au milieu des organes du 
diable. Le diable est donc pour lui l'esprit tentateur, 
qui pousse au mal. Hermas, dans le Pasteur, Mand., 
Vil, I, 2, 3, p. 490, recommande de ne pas craindre 
le diable; celui qui craint le Seigneur dominera le 
diable, qui n'a aucun pouvoir sur lui. Mais il faut 
craindre les œuvres du diable, qui sont mauvaises. 
Celui qui craint le Seigneur craint les œuvres du 
diable; il ne les accomplit pas, mais s'en abstient. 
Ailleurs, Hermas dit que ceux qui marchent dans les 
commandements du diable doivent se convertir, parce 
que ces commandements sont difficiles, amers, durs 
et impurs. Il répète que les chrétiens n'ont pas à 
craindre le diable, qui n'a sur eux aucun pouvoir. Le 
diable veut faire peur, mais la peur qu'il inspire est 
vaine. Si on ne le craint pas, il s'éloigne. Mand., XII, 
IV, 6, 7, p. 514, 516. Le diable est dur pour ceux qui 
lui obéissent et il les opprime. Mais il ne peut domi- 
ner les serviteurs de Dieu. 11 peut les attaquer, mais 
pas les vaincre. Si on lui résiste, il fuit vaincu et con- 
fus. Ils sont vains ceux qui le craignent comme s'il 
était puissant. Le diable tente les serviteurs de Dieu. 
Ceux qui ont une foi pleine lui résistent fortement, et 
il s'éloigne d'eux, n'ayant plus de place par où entrer. 
Il va alors vers ceux qui sont vains, il trouve un en- 
droit par où entrer, et il fait en eux ce qu'il veut, et 
ils deviennent ses esclaves. C'est pourquoi l'ange de la 
pénitence recommande de nouveau de ne pas crain- 
dre le diable. Dieu a pardonné aux coupables repentants, 
et les menaces du diable ne sont pas à redouter; il est 
sans force comme les nerfs d'un homme mort. Mand., 
XII, V, 1-4; VI, 1, 2, p. 516, 518. Tous ceux qui ont 
lutté avec le diable et l'ont vaincu seront couronnés; 
ce sont ceux qui ont soufl'ert pour la loi. Sim., VIII, 
m, 6, p. 562. Ces considérations morales nous présen- 
tent le diable comme l'adversaire et le tentateur des 
chrétiens, mais un adversaire qu'ils peuvent ^'aincre et 
qui n'a de pouvoir que sur ceux qui font ses œuvres. 
2o Les Pères apologistes. — Tandis que les Pères 
apostoliques ne font guère que signaler l'existence du 
diable et son rôle de tentateur à l'égard des hommes, 
et demeurent ainsi dans la ligne des Évangiles, les 
Pères apologistes traitent explicitement de la nature 
des anges déchus et de leur chute; mais ils subissent 



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341 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



342 



visiblement l'influence du livre d'Hénoch et du livre des 
Jubilés ainsi que des idées grecques sur les démons. 
Us sont loin, du reste, d'être d'accord sur tous les 
points, et ils suivent des voies différentes. 

Saint Justin, s*adressant aux païens dans ses Apo 
logie», ne s'exprime pas sur les démons de la même 
manière que dans son Dialogue avec Tryphon, parce 
que ses sources sont diverses. Il dit que les démons 
manifestent leur existence par des impuretés, commises 
sur des femmes et des enfants, par des terreurs répan- 
dues parmi les hommes. Ceux-ci, épouvantés, ignorant 
que c'étaient des démons, les appelèrent dieux et don- 
nèrent à chacun d'eux un nom particulier. ApoL, i, 5, 
P. G., t. VI, col. 336. Quand Justin expose la doctrine 
des chrétiens sur les démons, il se réfère à l'Écriture 
et il déclare que le prince des mauvais démons est le 
serpent, Satan ou le diable. Jésus-Christ a affirmé qu'il 
serait précipité dans le feu avec son armée et livré à 
des tourments éternels. Si leur châtiment est retardé, 
c'est à cause du genre humain. Ibid., 28, col. 372. Avant 
Jésus-Christ, les démons ont introduit sur terre les 
dieux, les fils de Jupiter, Bacchus, Proserpine, l'adora- 
tion du serpent, les lustrations, par imitation de l'Écri- 
ture sainte. Après l'ascension, ils ont envoyé des trom- 
peurs, Simon, Ménandre, Marcion, etc., et toutes les 
erreurs qui circulaient alors. Ibid., 25-27, 56-58, 62, 
col. 368, 372, 413, 416, 421, 425. Dans VApol, ii, 5, 
col. 452-453, Justin raconte la chute des anges. Dieu 
ai'ait confié aux anges la charge de veiller sur les 
hommes et sur toutes les créatures ; mais ils ont trans- 
gressé Tordre que Dieu avait établi. Ils ont eu commerce 
charnel avec des femmes et en ont eu des fils, nommés 
démons. Ils mirent ensuite le genre humain sous leur 
joug par la magie, des terreurs et les sacrifices qu'ils 
se faisaient offrir, et ils répandirent dans l'humanité 
les violences, les guerres, les adultères et tous les vices. 
Les poètes et les fabulistes ignorant que les anges et les 
démons, mâles et femelles, engendrés par eux, avaient 
répandu ces maux dans les villes et parmi les nations, 
ont attribué ces œuvres mauvaises aux dieux et à leurs 
fils. Us appelaient dieux les anges déchus et ceux qui 
étaient nés d'eux. Ces traits répondent évidemment, 
saafde légères différences, aux élucubrations des Livres 
de$ Jubilés et d'Hénoch et n'ont rien de commun 
avec l'enseignement de la Bible. Du reste, les démons 
haïssent les hommes bons et vertueux, et en particu- 
lier les chrétiens qu'ils détestent. Ils provoquent contre 
ceux-ci la persécution ; ils ont fait porter les lois persécu- 
trices et ils poussent les magistrats à poursuivre les chré- 
tiens. Mais eux et ceux qui les honorent seront enfermés 
et subiront les peines qu'ils ont méritées et des supplices 
dans le feu éternel. Les prophètes l'ont prédit et Jésus 
l'a proclamé. ApoL, ii, 1, 8, 9, 13, col. 444, 457, 460, 465. 
Dans le Dialogue avec Tryphon, la doctrine sur les 
démons et sur le diable est exclusivement tirée de 
l'Écriture. Le diable a recouru à des altérations pour 
tromper les hommes; il a agi ainsi par le moyen des 
magiciens d'Egypte et par les faux prophètes du temps 
d'Élie, 69,' col. 636, Tryphon reproche à Justin de dire 
que les anges ont mal agi et se sont séparés de Dieu, 
et d'interpréter mal l'hcrilure. Justin prouve l'exis- 
tence des mauvais anges par Is., xxx, 1-5; Zach., m, 
1 ; JoL, 1, 6; le serpent de la Genèse, les mages d'Egypte, 
et Ps. xcv, 5, d'après les LXX : « Les dieux des nations 
sont des démons. > Pour prouver que Jésus-Christ est 
le Seigneur des esprits, Justin dit que la seule adjura- 
tion de son nom suffit pour vaincre les démons, 85, 
col. 676. Il déclare que le serpent a amené la désobéis- 
sance sur la terre, 100, col. 709. Jésus-Chrjst a prié 
pour ne pas être dominé par le mauvais ange; nous 
prions pour l'écarter de nous, pour qu'à notre mort, 
il ne prenne pas notre âme. Il a pouvoir sur les âmes, 
comme le montre l'histoire de la pythonisse d'Endor, 



105, col. 721. Le texte : Sicut unus de principibus ca- 
dilis, Ps. Lxxxi, 7, que Justin entend de la mort des 
hommes, lui sert de point de départ pour prouver la 
chute de Satan. Ce prince, qui a fait une grande chute, 
c'est celui qui est appelé le serpent; et il a fait une 
grande chute en trompant Eve, 124, col. 765. M. Tur- 
mel. Histoire de Vangélologie, dans la Revue d'his- 
toire et de littérature religieuses, 1898, t. m, p. 290, 
interprète ce passage dans ce sens : « En induisant 
l'homme dans le péché, Satan pécha lui-même, et en 
causant la perte du genre humain, lui-môme se per- 
dit. » Il attribue ainsi à saint Justin l'explication de la 
chute de Satan par la jalousie, explication qui fut 
«c classique », ajoute-t-il, p. 291, pendant un certain 
temps. Celle interprétation est particulièrement forcée. 
Saint Justin parle seulement de l'introduction de la 
mort dans l'humanité, introduction qui est due à la 
tromperie d'Eve par le serpent, et s'il fait consister la 
chute de Satan dans celte tromperie (ce qui n'appa- 
raît pas clairement), il n'en dit pas le motif et il n'in- 
sinue même pas la jalousie du serpent. Quoi qu'il en 
soit, M. Turmel n'a pas remarqué la référence scrip- 
turaire au Ps. lxxxi, 7, pour prouver la chute de Satan. 
Cf. Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, 
p. 115. Les chrétiens sont persécutés par les démons 
et l'armée du diable, par le ministère des Juifs, 131, 
col. 780. Si les hommes et les anges doivent être punis, 
c'est parce que Dieu a prévu qu'ils seraient mauvais, et 
non pas parce qu'il les a fait tels. S'ils faisaient pénitence, 
ils obtiendraient miséricorde, 141, col. 797. Ce texte 
signifie que les démons et les damnés ne feront pas pé- 
nitence et par suite seront punis; il ne veut pas dire que 
Dieu a offert aux démons le moyen de faire pénitence. 

Saint Irénée, Cont, hœr., l. V, c. xxvi, n. 2, P. G., 
t. VII, col. 1194, rapporte un passage d'un ouvrage in- 
connu de saint Justin. Celui-ci y déclare qu'avant 
l'avènement de Jésus-Christ, Satan n'a pas osé blas- 
phémer Dieu, parce qu'il ne connaissait pas encore sa 
condamnation. Eusèbe a reproduit ce fragment d'après 
saint Irénée, H, E., l. IV, c. xviii, P. G., t. xx, col. 376. 
Ce témoignage, nous le verrons, a été souvent cité au 
moyen âge par les écrivains grecs. Voir col. 377-379. 

Selon Tatien, Orat, adversus Grœcos, n. 7, ibid., 
col. 820, 821, le Verbe de Dieu a créé les anges avant 
les hommes; 11 a créé les uns et les autres libres. Deve- 
nus mauvais, les démons sont punis de leur malice; ils 
ne sont donc pas nécessairement mauvais. Les hommes 
ont suivi un des mauvais anges, le plus rusé et qui est 
plus ancien qu'eux, et malgré la loi de Dieu, ils l'ont 
pris pour Dieu. L'homme, fait â l'image de Dieu, est de- 
venu mortel, l'esprit supérieur à lui (c'est-à-dire l'image 
de Dieu, cf. n. 12, col. 829), qui est en lui, s'éioignant 
de lui. Le démon, qui était avant l'homme, a manifesté 
son existence par la faute qu'il a fait commettre. Tatien 
semble dire que le démon, qui était protogène relati- 
vement à l'homme, a montré sa malice en faisant pécher 
l'homme : ce qui signifierait que le démon avait péché 
déjà avant la tentation de l'humanité, sans que rien 
n'indique la nature de son péché. Ceux qui ont imité 
la folie du démon sont devenus l'armée des démons et 
ont été livrés à la folie par leur propre volonté. Les 
démons ont été l'occasion de la chute des hommes. 
Comment? Par l'invention de l'astrologie. Les démons 
ont montré aux hommes quelle était la position des 
astres, et de cette connaissance les hommes ont conclu 
à l'existence du destin, n. 8, 9, col. 822, 824. Jupiter 
est le chef des démons. Au lieu d'adorer les démons 
qui se trompent, les chriHiens adorent Dieu qui ne se 
trompe pas, n. 9, col. 825. Quant à la nature des 
démons, c'étaient des êtres composés de matière et 
d'esprit. Les uns se sont portés vers la matière la plus 
pure, les autres vers la plus ^^le, à laquelle ils ont 
conformé leur vie. Les Grecs adorent ceux qui se sont 



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343 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



344 



jécartés du bon ordre. Insensés et animés de vaine 
gloire» rompant tout frein, ils se sont efforcés d'être 
des voleurs de la divinité, IritTxoLi ôeÔTvjTo; (ils se sont 
fait passer pour dieux). Le Seigneur a permis qu'ils 
trompent les hommes jusqu*à la fîn du monde et jus- 
qu'au jugement dernier. Quiconque, bien quUl ait été 
attaqué par les démons, a gardé la connaissance par- 
faite de- Dieu, recevra au jugement un meilleur témoi- 
gnage, parce qu'il a lutlé, n. 12, col. 832. Les erreurs 
des païens sont des stratagèmes des démons, col. 833. 
Les démons ont subjugué les Grecs et les ont dominés, 
comme un voleur se met à la tête de ses pareils. Par- 
venus à une plus grande malice, ils ont trompé les 
imes. Ils ne meurent pas, puisqu'ils sont sans chair; 
mais, tout en vivant, ils connaissent la mort. Ils meu- 
rent, lorsqu'ils apprennent à leurs sectateurs à pécher. 
Parce qu'ils ne meurent pas réellement comme les 
hommes, ils auront à subir un plus fort supplice : ils 
n'auront pas la vie éternelle, mais ils subiront la mort 
<]ans leur immortalité. Ils pèchent plus que les hom- 
mes, parce qu'ils vivent plus longtemps, n. 14, col. 836, 
837. D'autre part, les démons, qui commandent aux 
hommes, ne sont pas les âmes des hommes. L'homme, 
après sa mort, n'a pas plus de puissance que de son 
vivant. C'est par malice qu'ils poursuivent les hommes, 
Jes pervertissent et les portent au mal par de fausses 
manœuvres très variées. Ils sont vus parfois par les 
psychiques, et ils se montrent .souvent sous des appa- 
rences humaines, soit afin d'être tenus pour quelque 
•chose, .soit pour que leurs amis, mal inspirés par eux, 
puissent nuire aux autres, soit pour amener ceux qui 
leur ressemblent à les honorer. S'ils le pouvaient, ils 
pervertiraient le ciel avec les autres créatures. Ne le 
pouvant pas, ils attaquent la matière qui leur est sem- 
ttlable et inférieure. Pour les vaincre, il faut doncrépu- 
-dier la matière. Ils s'altribuenl les causes de nos mala- 
dies; parfois, ils frappent notre corps par malice. Mais 
atteints par la vertu de Dieu, ils s'en vont épouvantés, 
et le malade est guéri, n. 16, col. 840, 841. Ils pro- 
mettent en vain de rendre la santé par des moyens 
magiques; ils joignent de bons remèdes aux mauvais, 
ils trompent et ne guérissent personne, n. 17, 18, 
co\. 841, 844. Ils flattent les passions par leurs œuvres 
et leurs prédictions, n. 19, col. 849. Ils ont été exclus 
du ciel, n. 20, col. 852. Tatien, en se convertissant, a 
compris qu'il était délivré de beaucoup de princes et 
de tyrans, n. 29, col. 868. 

Athénagore, Legatio pro chrisUanis, n. 23, 24, ibid., 
•col. 941, 9H, 9fô, 9i8, compare la doctrine des païens 
sur les démons à celle des chrétiens. Les païens 
admettent l'existence de dieux bons et de dieux mauvais, 
et ils appellent démons ceux qui agissent par le moyen 
des idoles. Thaïes le premier a distingué Dieu, les 
•démons, les héros : les démons sont de nature spirituelle, 
oùffia; voei '{/u/ixà;; les héros sont des âmes séparées 
des corps. Platon a refusé de se prononcer sur les 
démons. Les chrétiens reconnaissent en dehors du Père, 
du Fils et du Saint-Esprit, d'autres 5yvâi«t;, irepl ttjv 
"GXtjv èxoûtxa; xa\ 8t* aÛTf)ç. Une de ces puissances est 
àvTiOEov, adverse de Dieu, non pas, comme l'a dit Em- 
pédocle, comme la nuit l'est au jour, mais parce qu'au 
bien de Dieu, qui coexiste en elle, s'est ajoutée une pro- 
priété, comme la couleur s'ajoute au corps, qui la rend 
•contraire à Dieu. Cet esprit, ennemi de Dieu, a été fait 
par Dieu comme les autres anges, et il avait été chargé 
de veiller à la matière et aux choses matérielles. Dieu, en 
«ffet, avait créé les anges pour gouverner toutes choses. 
Il y en a de bons et de mauvais. Tandis que les uns 
ont persévéré librement dans la charge que Dieu leur 
avait confiée, d'autres ont abusé et de leur nature et de 
leur charge. Ces données sont conformes à celles du 
Livre des jubilés. En particulier, le prince de la nature 
£t des choses de la nature, et ceux qui étaient établis 



sur le premier firmament (Athénagore expose ce qu'ont 
dit les prophètes; évidemment Hénoch) sont déchus. 
Le prince a été négligent et coupable dans l'adminis- 
tration de sa charge; les autres ont été attirés par les 
femmes et dominés par l'amour charnel. D'eux sont 
nés les géants, dont les poètes ont parlé. Ces anges, 
tombés du ciel, vivent dans l'air et sur terre et ne 
peuvent pas s'élever au ciel. Les âmes des géants, qui 
errent autour du monde, sont des démons, et ils 
excitent des troubles. Les géants sont démons par la 
nature et la constitution qu'ils ont tirée de leur origine; 
les anges tombés sont démons en raison des passions 
qu'ils ont ressenties. Le principe de la matière agit, on 
le voit par ses actes, à rencontre du bien de Dieu. 
Euripide et Aristote l'ont dit. Parce que les démons 
produisent des troubles, quelques hommes irréfléchis 
ont nié l'ordre du monde, n. 25, col. 948-949. Les 
démons favorisent l'idolâtrie; ils s'attachent au sang 
des victimes et le lèchent. Les dieux, dont les noms 
sont donnés aux idoles, furent des hommes. Les démons 
ont pris leurs noms pour les donner aux idoles. Leurs 
actes montrent leur malice. Ils agissent par le moyen 
des statues ; ils ne sont pas ceux à qui on dresse des 
statues, n. 26, col. 949, 951. Cf. n. 28, 29, col. 953-957, 
où Athénagore prouve que les dieux étaient des hommes. 
Les démons emploient des artifices pour faire croire 
qu'ils opèrent des guérisons, n. 27, col. 952. 

Pour saint Théophile d'Antioche, les dieux sont aussi 
des hommes morts; on le voit par ce qu'on raconte de 
leursgénérations.ilctilufo^yc.,!. I, n. 9;1. II, n. 2, i6iJ., 
col. 1037, 1049. Au sujet de la chute de l'homme et du 
rôle du serpent tentateur, il se borne à citer le récit 
biblique, 1. II, n. 21, col. 1084-1085. Il dit un peu plus 
loin que Dieu avait prévu que la multitude des dieux, 
qui n'existent pas, serait introduite dans le monde par 
le serpent. Celui-ci a répandu l'erreur polythéiste, en 
disant à Eve : « Vous serez comme des dieux, b Eve 
fut trompée par le serpent. Le démon est donc la cause 
du mal; il est Satan, puisqu'il parlait par le serpent. 
Il est aussi nommé le dragon, parce qu'il s'est éloigné 
de Dieu par la fuite. Il avait été ange dès le commence- 
ment. Il y aurait beaucoup à dire sur lui; Théophile 
l'a fait ailleurs, n. 25, col. 1096, 1097. Lorsqu'il parle 
du déluge, 1. III, n. 18, 19, col. 1145, il ne dit rien de sa 
cause morale et de la corruption qui l'a amené. 

Sans vouloir trancher ici la date de VOciaviiu, ni la 
patrie de son auteur, Minucius Félix, nous joindrons 
son témoignage sur les démons à celui des apologistes 
du II* siècle. Traitant des. augures, qui sont menteurs, 
il parle des esprits trompeurs, vagabonds, dégradés de 
leur vigueur céleste par les fautes et les passions ter- 
restres. Ayant perdu la simplicité de leur nature et 
chargés de vices, ils cherchent, pour se consoler de 
leurs malheurs, à perdre les autres, et séparés eux- 
mêmes de Dieu, à en éloigner les autres par de faux 
actes de religion. Les poètes les appellent démons, les 
philosophes en parlent, Socrate en avait un spécial, 
les mages font par eux leurs prestiges. Octavlus, 26, 
P. L., t. m, col. 321-323. Ces esprits impurs se cachent 
sous les statues et les images des dieux païens. Ils 
agissent par leur intermédiaire, trompent leurs secta- 
teurs, mais fuient les chrétiens. Ibid., 27, col. 323-327. 
Minucius Félix dépend évidemment de la tradition du 
livre d' Hénoch pour ce qui concerne l'origine et la 
nature des démons. 

3" Les hérétiques du ii* siècle, — Les gnostiques ont 
fait entrer des anges bons et mauvais, ou, au moins, 
un principe du mal, dans les séries de leurs Ëons. 
Leurs doctrines s'écartent tellement de l'Écriture et du 
sentiment commun des chrétiens qu'il est inutile de 
les exposer : elles ne nous apprendraient rien sur les 
démons. Plusieurs faisaient de Satan le principe du 
mal. Héracléon disait que le diable n'était pas libre, et 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



346 



aa rapport d'Origène, In Joa., lom. xx, n. 22, P, Gt., 
r. XIV, col. 637, 640, qu'il était plus malheureux que 
blâmable, puisqu'il était porté au mal et menteur de sa 
nature. Dans un passage de son commentaire sur 
l'Évangile de saint Jean, cité par Origène, In Joa,, 
tom. XIII, n. 59, ibid., col. 516, Héracléon reconnaissait 
dans le serviteur du centenier les anges du créateur du 
monde, par conséquent des esprits mauvais, Satan et 
ses anges, et il se demandait à leur sujet si quelques- 
uns seront sauvés, il s'agit de ceux qui sont descendus 
vers les femmes. Ainsi Héracléon admettait la faute 
chamelle de quelques anges et il posait la question de 
la possibilité de leur salut. Cf. P. G,, t. vu, col. 1316; 
Brooke, The fragments of Héracléon, dans Textes and 
Studies, Cambridge, 1891, t. i, n. 4, p. 93. 

4» Saint Irénée. — L'évéque de Lyon parle souvent 
de l'apostasie des anges transgresseurs. Cont. hmr.f 
1. I, G. X, n. 3, P. G., t. vil, col. 556. Il distingue le 
serpent maudit et les anges apostats, pour qui a été 
préparé le feu éternel, quoique ce feu ait été surtout 
préparé pour le séducteur, qui a été cause de la chute 
de l'homme, 1. III, c. xxiii, n. 3, col. 963. Adam a été 
séduit sous prétexte d'immortalité, n. 5, col. 963. Le 
serpent a persuadé l'homme, l'a rendu transgresseur, 
initiuni et materiam suœ aposlasiœ habens homi- 
neni, n. 8, col. 965. Ces mots obscurs veulent-ils dire 
que Satan a péché, en faisant pécher l'homme? 
D'antres passages en préciseront le sens. Le serpent 
est l'ange apostat et ennemi, qui sème l'ivraie dans le 
champ du père de famille; il a jalousé la créature de 
Dieu et il a cherché à la faire l'ennemie de Dieu. C'est 
pourquoi Dieu l'a séparé de lui et a reporté sur le serpent 
l'inimitié de l'homme, 1. lY, c. XL, n. 1, 2, col. 1113- 
1114. Les anges du diable sont réservés au feu éternel, 
et tous ceux qui sont séparés de Dieu appartiennent à 
ce prince de la transgression. Le diable est une créature 
de Dieu comme les autres anges, lia été pour lui-même 
et pour les autres cause de séparation d'avec Dieu. Aussi 
rÉcriture appelle-t-elle fils du diable et anges mauvais 
ceux qui persévèrent dans l'apostasie, c. xu, n. 1, 2, 
col. 1115. Le serpent s'est montré l'ennemi de Dieu. 
Son nom de Satan est un mot hébreu qui veut dire 
apostat. Après qu'il eut persuadé à l'homme de trans- 
gresser le précepte de son créateur, il a eu l'homme 
sons sa puissance, 1. V, c. xxi, n. 2, 3, col. 1181, 1182. 
Le diable, qui est un ange apostat, à séduit l'homme, l'a 
détourné d'obéir au précepte de Dieu et l'a poussé à 
l'adorer lui-même comme Dieu. C'est un des anges 
préposés sur l'air, comme dit saint Paul. Eph., ii, 2. 
Invidens honiini, apostata a divina foetus est lege; 
invidia enini aliéna est a Deo. Son apostasie a passé à 
l'homme. Il a envié la vie du Verbe qui venait sauver 
l'homme. C'est pourquoi le Verbe a donné à l'homme 
le pouvoir de fouler aux pieds les serpents, à cause de 
l'apostasie à laquelle le serpent l'a porté, 1. V, c. xxiv, 
n. 3, 4, col. 11^. Le feu éternel est préparé pour tous 
les apostats. A l'origine, le diable a séduit l'homme par 
le serpent, qtiasi latens Deum. Après avoir cité la 
parole de saint Justin, suivant laquelle Satan ne con- 
naissait pas sa condamnation avant l'avènement de 
Jésus, saint Irénée développe cette pensée. Par les 
discours de Jésus et des apôtres, Satan a appris mani- 
festement que le feu étemel lui était préparé, parce 
qu'il s'était éloigné de Dieu, comme il l'était pour tous 
ceux qui ne feraient pas pénitence et persévéreraient 
dans Tapostasie. Par suite, il impute à Dieu lui-môme, 
et pas à sa volonté propre, la faute de son apostasie, 
1- V, c. xxvf, n. 2, col. 1194, 1195. C'est donc bien par 
envie que, selon saint Irénée, Satan a fait pécher 
l'homme. Toutefois l'objet de sa jalousie n'a pas été le 
pouvoir que Dieu avait donné à Adam sur la terre, 
mais l'amour que le Verbe manifestait à l'humanité, en 
voulant la sauver. Sa jalousie a donc précédé la tenta- 



tion de l'homme; elle est la cause de sa propre apos- 
tasie, mais aussi celle de l'apostasie d'Adam, puisque la 
séduction de l'homme a suivi l'apostasie de Satan. 
Devenu Satan, le diable s'est servi du serpent pour 
tromper l'humanité. 

Quant aux anges apostats, dont Satan est le prince, 
ce sont des anges déchus qui sont tombés sur terre 
pour le jugement, llénoch leur a été envoyé comme 
ministre et comme prophète, 1. IV, c. xvi, n. 2, 
col. I(yi6. Saint Irénée semble attribuer leur apostasie 
à leurs relations coupables avec des femmes. Il dit 
seulement, il est vrai, que Dieu, au temps de Noé, 
amena le déluge sur la terre pour détruire la race 
mauvaise d'hommes qui vivaient alors et qui ne fai- 
saient aucun fruit pour lui, cuni angeli transgres- 
sores commixli fuissent eis, l. IV, c. xxxvi, n. 4 
col. 1093. En réalité, l'évéque de Lyon affirme seule- 
ment la présence des anges transgresseurs parmi les 
hommes mauvais du temps de Noé ; il ne dit rien de 
précis sur la nature de leur transgression. S'il fait allusion 
à leur péché charnel, on peut soutenir avec dom Massuet, 
diss. III, n. 103, P. G., t. vu, col. 357-358, que cette 
faute n'a 'pas été la cause de leur chute, mais qu'elle 
est postérieure à leur apostasie, quoique la pensée 
reste obscure. Quoi qu'il en soit, saint Irénée, en par- 
lant des anges transgresseurs, est le premier écrivain 
ecclésiastique qui vise le récit biblique et parle du 
déluge, bien qu'il y môle des renseignements puisés 
au livre d'Hénoch. Les précédents, s'appuyant exclusive- 
ment sur cet apocryphe, ne parlaient' ni du récit de l» 
Genèse ni du déluge. Voir Massuet, diss. III, n. 106, 
108, />. G., t. vil, col. 363, 364-368. Dans son ouvrage 
Ec; eniSec^cv toO à7io<iTo>.cxov xTripuYti.iTo;, récemment 
retrouvé dans une version arménienne, saint Irénée 
appelle les démons les ennemis du Fils : ce sont de» 
anges, des archanges, des puissances et des trônes, qui 
ont abandonné la vérité. Karapet Ter-Méhôrttschian et 
Erwand Ter-Minassiantz, Des heiligen Irenaûs Schrift 
zuni Enveise der apostolischen Verkundigung, 85, dans 
Texte und Untersuchungen de Harnack, Leipzig, 1907, 
t. XXXI, fasc. l«s p. 44-45, 63. Ce texte semble bien 
attribuer l'apostasie des anges à une autre cause qu'à 
leurs relations avec des femmes. En tout cas, il compte 
parmi les anges déchus des esprits ayant appartenu 
aux diverses classes d'anges fidèles à Dieu. Cf. Con^ hœr,,, 
1. II, c. XXX, col. 818. Voir 1. 1, col. 1206. 

5» Clément d'Alexandrie. — Il distingue, lui aussi, 
le serpent séducteur des anges déchus. Le serpent a 
déformé l'esprit de l'homme par le désir de la gloire. 
Pœd., 1. III, c. II, P. G., t. VIII, col. 562. Il a appris à 
l'homme la volupté. Coh. ad Grœcos, c. xi, col. 228. Le 
diable, dès qu'il a eu péché, n'a pu se convertir, parce 
qu'il a persévéré à pécher. Adumbrationes in Epist, 1 
Joa., P. G., t. IX, col. 738. Traitant de la volupté. 
Clément dit que les anges ont abandonné la beauté de 
Dieu pour la beauté qui se flétrit, et qu'ils sont des- 
cendus du ciel sur terre. Leur faute précède celle des 
Sichimites. Pœd., 1. III, c. ii, P. G., t. viii, col. 576. Il 
cite Jud., 5, 6, ibid., c. viii, col. 616. Au sujet de la conti- 
nence, il dit encore que quelques anges incontinents 
ont été vaincus par la passion et sont descendus du 
ciel sur terre. Stroni., III, c. vu, col. 1161. Les anges, 
qui avaient un sort supérieur, ont déchu parla volupté 
et ont dévoilé aux femmes les secrets qu'ils devaient 
garder, et tout ce qu'ils connaissaient, tandis que les 
autres anges cachaient ces secrets, ou plutôt les réser- 
vaient pour l'avènement du Seigneur. Delà, sont venues 
la connaissance de la providence et la révélation des 
choses sublimes. Strom., V, c. i, P. G., t. ix, col. 24. 
Ils ont abandonné le ciel et les étoiles et sont devenus 
apostats. Ils habitent dans l'air ténébreux, proche de 
la terre. Ils ont perdu leur honneur, ont convoité des 
choses basses et ne peuvent se convertir. Adumbratio- 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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nés in Epist. Judœ, P. G., t. ix, col. 732. Clément 
est en cela tributaire du livre d'Hénoch. Les anges 
sont tombés à cause de la faiblesse de leur volonté. 
Strom.,y\\y c. VII, col. 465. Les philosophes ont appelé 
le diable le prince des démons. Strom., V, c. xiv, 
col. 136. Si les démons sont des dieux, chaque ville a 
les siens. Coh. ad Grœcos, c. ii, P. G., t. viii, col. 121. 
Saint Paul a dit qu'il fallait s'abstenir des viandes 
immolées, parce qu'elles sont offertes aux démons. 
Pœd,, l. II, c. i, col. 392. On a cru que les âmes des 
morts étaient des démons. Strom., VI, c. m, P. G., 
t. IX, col. 249. Le feu éternel est préparé au diable et 
à ses anges. Coh. ad Grœcos, c. ix, P. G., t. viii, 
col. 193. Quand nous sommes délivrés du péché, nous 
sommes séparés de la conversation du diable. Ibid. 
Barnabe, qu'il cite, a bien dit que les pécheurs font les 
œuvres du diable, mais il n'a pas dit que les esprits 
habitent dans l'âme du pécheur. Strom., II, c. xx, 
col. 1060. Les pestes, les grêles, les tempêtes et choses 
semblables ne viennent pas seulement de troubles ma- 
tériels; ils sont produits habituellement par les mau- 
vais anges. Strom., VI, c. m, P. G., t. ix, col. 248. 
Voir t. i, col. 1196; t. m, col. 156, 187. Si les Eclogœ 
prophéties^ sont de Clément, il y dit que les démons 
avaient cru que Salomon était le Messie. Quand ils l'ont 
vu pécher, ils ont su clairement qu'il ne l'était pas. 
Les démons savaient tous que le Messie devait ressus- 
citer des morts. Hénoch dit aussi que les anges trans- 
gresseurs ont appris aux hommes l'astronomie, la divi- 
nation et les auti*es arts, 53, P. G,, t. ix, col. 724. 

6» V Église d* Afrique. — De Carthage, nous avons 
les écrits de Tertullien et de saint Cyprien. 

Selon Tertullien, l'existence de substances spiri- 
tuelles ou démons a été admise par les philosophes. 
Socrate avait eu dès l'enfance un démon familier, 
Platon n'a pas nié l'existence des démons. Les poètes 
en parlent et le peuple, par ses imprécations, maudit 
Satan. Mais il y a deux catégories d'anges corrompus : 
l'une, plus corrompue, dont l'Écriture nomme le prince 
et dont l'activité est entièrement employée à la perte 
des hommes, et l'autre, qui est moins corrompue et qui 
est née d'eux. Les magiciens ont recoursaux démons qui 
rendent des oracles et sont adorés dans les dieux du 
paganisme. Apologet., 22, 23, P, L., t. i, col. 404-416. 
Les génies sont aussi des démons. Ibid., 32, col. 447- 
448. Cf. De anima, 39, P. L., t. ii, col. 718. Du reste, 
l'existence des démons est sentie par l'âme en raison 
des maux qu'ils produisent. On maudit Satan; on l'ap- 
pelle ange de malice, ouvrier d'erreur, celui qui a jeté 
le trouble dans le monde. A l'origine, en effet, l'homme 
a été trompé par lui et condamné à mourir en punition 
de la désobéissance que Satan lui a fait faire. De te- 
stimonio animœ, 3, P. L., t. i, col. 612-613. Le diable 
n'est pas toutefois le créateur du monde, comme le 
prétendait Marcion; c'est un archange menteur. 
Adv. Marcion., 1. V, c. xviii, P. L., t. ii, col. 518-519. 
D'autre part, Dieu n'est pas le créateur du diable. 
Dieu a fait un ange; il n'a pas fait le diable. Celui-ci 
s'est fait lui-même, en s'éloignant de Dieu. Par malice, 
il a menti et a trompé l'homme; il a diffamé Dieu. 
Satan est un archange, le plus élevé des anges et le plus 
sage de tous, c'est le prince de Tyr, Ezech., xxviii, 12, 
tombé du ciel ; il est l'auteur du péché ; mais il est 
puni par le moyen des hommes qu'il a vaincus. Il a lésé 
l'homme, et ex illo deliquit, ex qno deîictum semina- 
vit. Sa faute semblerait avoir existé du jour où il a fait 
pécher l'homme. Ibid., 1. II, c. x, col. 296-297. Tout 
a été changé par le diable. De corona, 6,idtd., col. 84. 
Si Dieu est optimus, le diable est pessimus; tout le 
mal vient de lui. Le mal a son origine dans l'impa- 
tience du diable : il supporta impatiemment que Dieu 
ait fait l'homme à son image; il en conçut de la 
douleur, de l'envie, et il a trompé l'homme. Tertullien 



ne veut pas rechercher s'il a été mauvais avant d'être 
impatient, ou s'il a été mauvais et impatient simulta- 
nément ou séparément. Ce qui est certain, c'est qu'il 
a péché le premier et qu'il a profité de son expérience 
pour faire pécher l'homme. De patientia, 5, P.L., 1. 1, 
col. 1256-1257. Aussi Tertullien appelle-t-il le diable 
semulus, le jaloux. De pœnitentia, 5, ibid., col. 1235; 
De anima, 20, P. L., t. ii, col. 683. Il le dit : Noster 
ob divortium œmulus et ob Dei gratiam invidtis. Il 
fait persécuter les chrétiens par les païens ; mais il est 
soumis aux chrétiens. Apologet., 27, P. L., 1. 1, col. 435. 
La persécution vient du diable, mais par la permission 
de Dieu, pour éprouver les chrétiens. De fuga, 2, P. L., 
t. II, col. 104-106. Il a envié Notre-Seigneur et l'a tenté. 
De patientia, 16, P. L., t. i, col. 1285-1287. Les héré- 
sies viennent du diable. De presser ip t., 40, P. L., t. ii, 
col. 54-55. Satan se change parfois en ange de lumière, 
Adv, Mareion., 1. V, c. xii, ibid., col. 502; mais, 
alors même, il ne perd pas sa nature corrompue. De 
resurreetione, 55, ibid., col. 677. 

C'est au livre d'Hénoch, qu'il tient pour canonique, 
que Tertullien emprunte le récit de la chute des anges. 
Ils se sont précipités du ciel sur les filles des hommes. 
Pour leur donner la beauté qu'elles n'avaient pas, ils 
leur révélèrent les secrets de la nature, l'art de la pa- 
rure, les autres arts et Tastrologie. Nous les jugerons; 
nous renonçons à eux, au baptême. Ils ont abandonné 
le ciel pour contracter un mariage charnel. De cultu 
fœminarum, 1. I, 2-4, P. L., t. i, col. 1305-1308. Ils 
ont été condamnés par Dieu pour cette faute. Ibid., 
1. II, 10, col. 1328. Ces desertores Dti, amatores fm- 
nxinarum, furent proditores hujtis ettriositatis (l'as- 
trologie). D'eux vient aussi l'idolâtrie. C'est pourquoi 
ils ont été condamnés. Le ciel est interdit aux mathé- 
maticiens comme à leurs anges : la même peine d'exil 
est appliquée aux maîtres et aux disciples. De idololatna, 
9, ibid,, col. 671. Les femmes doivent être voilées 
propter angelos, a dit saint Paul, I Cor., xi, 8, 10, parce 
que angeli propter filias hominum deseivet^unt a Deo. 
Ici, Tertullien se réfère au texte de la Genèse, vij 2, et 
de l'expression : « filles des hommes », il conclut que 
les anges aimèrent des filles vierges, encore chez leurs 
parents, et des veuves, mais pas des femmes mariées. 
De oratione, ^y ibid., col. 1186-1187; De virginibus 
velandis, 7, P. L., t. ii, col. 899. Voir t. i, col. 1195- 
1196. 

Satan et ses anges ont rempli le siècle : il y a des 
idoles partout. Vénus et Bacchus sont deux démons. 
Les démons sont dans les idoles, dans les théâtres, au 
cirque, qui sont les pompes du diable. De speetaculis, 
7, 8, 10, 12, 26, P. L., t. i, col. 639, 640, 643, 645, 657. 
Dans le paganisme et le mithriacisme, ils ont imité le 
christianisme. De prœseript., 40, P. L., t. ii, col. 54; 
De eorona, 15, ibid., col. 102; Ad uxorem, 1. I, 6, 7, 
P. L,, t. I, col. 1284. Les songes viennent souvent des 
démons. De anima, 47, P. L., t. ii, col. 731-732. 
Presque en chaque homme il y a un démon; aussi 
faut-il recourir aux exorcismes pour échapper à son 
influence. Les démons sont auteurs des prestiges des 
magiciens. Ibid., 57, col. 748-750. Cf. A. d'Alès, La 
théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 154, 156-161; 
J. Tunnel, Tertullien, Paris, 1905, p. 123, 182-184, 
188-189, 238-240. 

Saint Cyprien a, sur la chute de Satan et des anges, 
les mêmes idées que Tertullien. Il faut toujours être 
prêt à repousser les tromperies du diable et à lutter 
contre lui. Le diable est trompeur par envie. L'exem- 
ple de nos premiers parents le montre. Inter initia 
statim mundus et periit primus et perdidit. llle an- 
geliea majestate subnixus, ille eœlo acceptus erat et 
ehat*us, postquam hominem ad imaginem Dei facluni 
eonspexit, in zelum malivolo livore prorupit, non 
prius alteimm dejieiens instinctu zelo quam ipse zelo 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



350 



ante de'iecius, captivus antequam capiens, pet'^itus 
antequam perdens.,, ipse qtwque id quod pHvs erat 
amisit. Et en preuve, saint Cyprien cite Sap., ii, !24. 
De zelo et livove, 3, 4, P. L,, l. iv, col. 640; édit. Mar- 
tel, Vienne, 1868, t. i, p. 299. Dès le commencement 
dn monde, il a trompé Thomme, en mentant et en le 
nattant; il a tenté Notre-Seigneur, et il se cache encore, 
le vieux serpent, pour tromper les chrétiens. De ca- 
tholicœ Ecclesiae unitcUe,it édit. Hartel, t. i, p. '209- 
210. Ab initia mundi fallax, semper et menda^r, 
nientitur ut f allât, etc. Suit la description de ses ruses. 
Epist,, XLiii, 6, Vienne, 1871, t. ii, p. 596. Tous les jours, 
il Taut combattre avec lui. De mortalitate, 4, 1. 1, p. 299. 
Ailleurs encore, saint Cyprien parle des tentations 
diaboliques, qui n'ont lieu qu'avec la permission de 
Dieu et auxquelles les chrétiens peuvent résister victo- 
rieusement. Si le diable a péché par jalousie à l'égard 
de rhomme, les mauvais anges ont péché par luxure. 
Ces anges pécheurs et apostats ont, en effet, enseigné 
aux femmes à se farder et à se friser, qitando, ad ter- 
rena contagia devoluti, a cselesti vigore recessemnt. 
De habitu virginis, 14, P. L,, t. iv, col. 453-454. Ces 
détails viennent du livre d'Hénoch. 

7« A Bonté, saint Uippolyte. — Caius avait inter- 
prété Apoc., XX, 2, 3, en ce sens que Satan est déjà 
lié, puisque le Christ est allé à la maison du fort, l'a 
enchaîné et lui a enlevé ses instruments de ruine. 
Malth., XII, 29. Il est lié pour mille ans, après lesquels 
il sera délié pour tromper les peuples. Saint Uippolyte 
résolut cette objection de l'hérétique. Il montra par 
des textes de l'Évangile que Satan n'est pas encore lié, 
puisqu'il trompe les chrétiens et persécute les hommes. 
Jésus a recommandé de prier pour être délivré du 
malin. Il faut combattre avec les puissances mauvaises. 
Eph., vr, 12. Il sème l'ivraie dans le champ du père de 
famille. Matth.,xiii,19. A la fin des temps seulement, le 
diable sera lié et jeté dans l'abîme selon Isaîe, xxvi, 10. 
Les mille ans de l'Apocalypse ne sont pas à prendre 
comme un nombre exact; ils désignent le règne éternel 
du Christ, pendant lequel le diable sera lié et puni dans 
les flammes de l'enfer avec tous ses adeptes. Capita 
advenus Caium, frag. v ou vu, publiés par Gwynn, 
dans Hermathena, 1888, t. vi, p. 415-416; cf. p. 402- 
404; 2^hn, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, 
Erlangen et Leipzig, 1892, t. ii, p. 978-980; Harnack, 
dans Texte und Unters., 1890, t. vi, fesc. 3, p. 125- 
126; Achelis, iïi|>poIi/(u«, Leipzig, 1897, t. i, p. 246-247; 
cf. fragment vieux-slave, ibid., p. 238; d'Alès, La 
théologie de saint Uippolyte, Paris, 1906, p. 199. Pour 
saint Hippolyte, l'enfer, ou le lac de feu inextinguible, 
était vide encore, préparé seulement pour que les dé- 
mons et les méchants y soient torturés dans les 
flammes pendant l'éternité. A. d'Alès, p. 200-201. 

8« Origène. — A Alexandrie, Origène inaugure, au 
sujet des démons, une voie nouvelle qui, pour une 
part, aura du succès. 11 rejette décidément les rêveries 
du livre d'Hénoch, prouve l'existence des esprits mau- 
vais par de nombreux textes de l'Écriture, mais il ima- 
gine des explications personnelles sur la chute de ces 
esprits et la possibilité de leur conversion finale. Il 
traite ex professo des anges mauvais, qui sont punis, 
parce qu'ils ont mal agi, au début de son De prin- 
cipiis, 1. I, c. V, n. 2-5, P. G., t. xi, col. 157-165. 
Il étudie d'abord les difl'érents noms qu'ils ont dans 
l'Écriture, et il ne se prononce pas sur la question de 
savoir si Je prince du monde est le même ou un autre 
que le diable, et si les principautés du siècle, qui ont 
une sagesse de destruction, sont les princes avec qui 
nous devons lutter. Dieu est le créateur de tous; il ne 
les a pas fait mauvais ; il a créé des esprits qui pou- 
vaient devenir mauvais et qui le sont devenus par abus 
de leur liberté. Pervertis, ils sont descendus de leur 
condition première, et la cause éloignée de leur ma- 



lice est dans leur propre volonté. Après avoir prouvé 
leur existence par l'Écriture, Origène ajoutera les 
raisonnements qui lui paraîtront les meilleurs. Il cite 
de nombreux passages de l'Écriture*: le prince de Tyr, 
ange chargé des Tyriens, mais déchu, Ezech., xxviii, 
11-19; Lucifer, Is., xiv, 12; le malin, I Joa., v, 19; le 
dragon pris à l'hameçon. Job, xl, 20. Ces esprits ne 
sont pas mauvais par nature; ils n'ont pas été créds 
tels; ils sont venus du mieux au pire et se sont tour- 
nés vers le mal. Origène ne leur attribue aucun péché 
spécial ; il se borne à exposer son hypothèse de la dé- 
chéance inévitable et graduelle des substances spiri- 
tuelles, en dehors de la seule indéfectibilité de Dieu. 
Sur la théorie de la chute graduelle de toutes les na- 
tures créées, cf. Prat, Origène, Paris, 1907, p. 82-86. 
Voir t. I, col. 1203. Un peu plus loin, il expose qu'ils 
seront rétablis dans leur premier état, 1. I, c. vi, n. 2, 
3, col. 168-169. Le diable lui-même n'a pas été inca- 
pable de faire le bien; les prophètes précédemment 
cités le montrent. Il était bon, quand, dans le paradis, 
il était parmi les chérubins; il s'est porté tout entier 
vers le mal, 1. I, c. viii, n. 2, col. 178. Il ne peut main- 
tenant revenir au bien; mais il y a des degrés dans les 
principautés mauvaises, et d'autres se convertiront, n. 4, 
col. 179-180. Origène revient plus loin sur la possibilité 
de la restauration finale des démons dans leur premier 
état, et après avoir laissé au lecteur le soin de conclure, 
il semble bien, en finissant, affirmer la possibilité de 
cette restauration, 1. II, c. i, n. 21, col. 302. Cf. Prat, 
op, cit., p. 106-107. Puis, il démontre de nouveau par 
l'Écriture l'existence des mauvais anges, chassés du 
ciel, 1. m, c. II, n. 1, col. 303-305. Il accumule les 
textes : dans l'Ancien Testament, le serpent de la Ge- 
nèse, le malin, chassé du ciel, Azazel, figuré par le 
bouc émissaire, Lev., xvi, 8, l'esprit mauvais de Saûl, 
l'esprit de mensonge qui inspire les prophètes d'Achab, 
Satan qui pousse David à dénombrer son peuple, 
I Par., XXI, 11; Eccle., x, 4, la vision de Zacharie, m, 
1, 2, le prince de Tyr, Lucifer, Satan du livre de Job; 
dans le Nouveau Testament, la tentation de Jésus, Satan 
qui pousse Judas à trahir son maître, et la nécessité 
de la lutte avec les principautés mauvaises, proclamée 
par saint Paul. S'il est dit que, à la fin des temps, 
Satan sera détruit par Jésus-Christ, cela ne signifie pas 
qu'il cessera d'exister, mais qu'il ne sera plus ennemi. 
Par là, Origène semble penser que même Satan pourra 
être replacé dans son premier état, car il n'y a rien 
d'incurable ni rien d'impossible, 1. III, c. vi, n. 5, 
col. 338. 

Origène a traité encore e.r professa des mauvais anges 
dans sa réfutation de Celse. Il a remarqué, d'abord, 
que démon est un nom commun, appliqué le plus sou- 
vent aux mauvais anges, qui n'ont pas de corps gros- 
sier. Cont. Ceïsum, 1. V, n. 5, P. G., t. xi, col. 1188. 
Celse avait prétendu que le Christ n'a pas été le pre- 
mier àYYe)o;, envoyé par Dieu sur la terre. Il avait 
entendu parler de 60 ou 70 anges, qui, devenus mauvais, 
ont été enchaînés et subissent sous terre les peines de 
leurs fautes, et il savait que les sources chaudes sont 
leurs larmes, 1. V, n. 52, col. 1261. Origène fait obser- 
ver que ces renseignements proviennent du livre 
d'Hénoch, que Celse n'a pas lu et qui n'est pas tenu 
pour divin dans les Églises. De ce livre, Celse ne con- 
naît que ce détail. Par bienveillance, Origène lui sug- 
gérerait un passage de la Genèse, vi, 2, qu'il n'a pas lu 
et qui à première vue pourrait s'interpréter dans le 
même sens. Mais sur ce point, Origène se réfère à un 
écrivain (Philon), qui a vu dans les filles des hommes 
une métaphore employée pour désigner les Ames dési- 
reuses de la vie humaine. Quelle que soit l'interpréta- 
tion qu'on donne à l'expression c tils de Dieu », ce récit 
biblique ne fait rien au sujet. Le récit des 60 anges 
tombés n'est pas lu (comme Écriture), chez les chré- 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



a52 



tiens. Puis, Origène se moque agréablement des larmes 
de ces anges. Les larmes sont salées et les eaux chaudes 
sont douces. Faudra-t-il admettre que ces anges versent 
des larmes douces? N. 54, 55, col. 1268, 1269. 

Quelques esprits sont liés pour des siècles à certains 
édifices ou à certains lieux soit par Teffet de la magie, 
soit à cause de leurs vices. L. VU, n. 5, col. 1428. Les 
démons commettent des fautes. Ils ont dévié de la voie 
qui conduit au bien, et se sont éloignés de Dieu. La 
magie cherche à empêcher leurs mauvaises actions. 
L. VII, n. 68, 69, col. 1517. Les anges devenus vicieux 
sont les anges du diable. Entre eux et les démons, il 
n'y a point de différence : ils sont tous mauvais. Celse 
prétendait à tort qu'ils sont les anges de Dieu. Qu'on 
prouve, si on le peut, qu'ils diffèrent des démons! Dieu 
n'est pas leur prince; selon les Écritures, leur prince 
est Beelzébub. Il ne faut pas se fier aux démons ; il faut 
mourir plutôt que de leur offrir des sacrifices. Ils ne 
sont pas bienveillants pour les chrétiens; les anges 
veillent pour qu'ils ne leur nuisent pas. L. VIII, n. 25- 
27, col. 1553 sq. Les maux de la terre sont produits 
par eux, n. 31, col. 1564. L'âme d'un enfant païen est, 
dès la naissance, sous l'empire d'un démon. Il y a 
beaucoup de démons sur terre. Ils ont pouvoir sur les 
méchants, mais pas sur les chrétiens, armés de l'ar- 
mure de Dieu, n. 34, col. 1568-1569. Ils sont vaincus 
par les martyrs, n. 44, col. 1581. 

Satan avait été nommé par Celse. L. VI, n. 42, 
col. 1360. Origène expose par suite ce qu'il pense de 
lui. C'est le mauvais, qui a été chassé du ciel, le ser- 
pent tentateur, Âzazel, figuré par le bouc émissaire, 
Déliai, le prince de Tyr et le roi de Babylone. Son nom 
signifie adversaire; il est l'adversaire du Fils de Dieu, 
n. 43, 44, col. 1364-1368. 

Dans ses autres écrits, Origène parle encore, mais en 
passant, de Satan et dès anges déchus. Le dragon a été 
créé avant l'homme. In Joa., tom. i, n. 17, P. G., t. xiv, 
col. 52. Il n'a pas été créé mauvais. Ibid,, tom. xii, n. 7, 
col. 136. Il a résisté à Dieu. Dan., x, 13. Il a abandonné 
son état, où il était sans tache et dans lequel il aurait 
persévéré, s'il l'eût voulu. In Epist, ad Philem., ibid., 
col. 1306. S'il est dit le prince de ce monde, ce n'est 
pas qu'il ait créé le monde ; c'est que dans le monde il 
y a beaucoup de pécheurs. Aussi est-il le prince, le 
diable de la malice et de toute iniquité. Sa faute a été 
un péché d'orgueil; il s'est élevé dans les cieux et a 
voulu être semblable au Très-Haut. Origène, qui ne lui 
avait pas appliqué expressément les paroles du prince 
de Tyr, dans le De principiis, les met ici formellement 
dans sa bouche. InNum., homil. xii, n. 4, P. G., t. xii, 
col. 664, 665. Pécheur depuis le commencement du 
monde, il ne subit ni feu ni tourment en ce monde. 
Selecta in Ejcod., ibid., col. 292. Â la fin de notre vie, 
le prince du siècle est comme un publicain, qui 
recherche ce qui lui revient en nous. In Luc, 
homil. XXIII, P. G., t. xiii, col. 1862. Les démons sont 
de la même nature que les anges ; la seule différence 
entre eux est celle qui existe entre un œil sain et un 
œil perdu. In Joa., tom. xii, n. 20, P. G., t.,xiv, col. 625. 
Ils sont princes pour la ruine, sont exécrables, et on 
les invoque pour le mal, parce qu'ils sont mauvais, par 
prévarication toutefois et non par nature. In Exod., 
homil. VIII, n. 2, P. G., t. xii, col. 352. Ils ont encore 
leur libre arbitre, et il est nécessaire qu'ils l'aient, afin 
que les chrétiens puissent être éprouvés par leurs atta- 
ques. In Num., homil. xiii, n. 5-7, ibid., col. 673-675. 
Ils tendaient des pièges à tous. In Matth., tom. xv, n. 5, 
P. G., t. XIII, col. 1269. Origène pense cependant que 
quelques anges déchus, frappés de la puissance et de 
la divinité de Jésus, ont recouru à lui et l'ont prié en 
leur faveur. In Joa., tom. xiii, n. 58, P. G., t. xiv, col. 512. 
Mais les démons se faisaient généralement passer pour 
les faux dieux du paganisme. In Exod., homil. vi, n. 5, 



P. G., t. XII, col. 335. Ils restent auprès des idoles, car 
ils ne sont pas encore jugés. Leur unique punition 
consiste à voir les idolâtres se convertir au christia- 
nisme, et les chrétiens qu'ils tentent pratiquer la vertu. 
In Num., homil. xxviii, n. 8, ibid., col. 789, 790. Le 
lieu qu'ils occupent est l'air épais qui entoure la terre. 
Quelques-uns croient qu'ils ont besoin d'aliments. Ori- 
gène pense qu'ils se repaissent de l'odeur des sacrifices. 
ExhoHalio ad martyr., n. 45, P. G., t. xi, col. 621, 
624. Cf. Cent. Celsum, 1. III, n. 28, 36; l. IV, n. 32; 
1. VII, n. 5, 6, 35. 56, 64; 1. VIII, n. 60, 61, ibid., col. 956, 
965, 1070, 1428, 1429, 1489, 1501, 1512, 1608, 1609. Voir 
Huet, Origenianu, 1. II, c. ii,q. v, n. 30, P. G., t.xvii, 
col. 892-893. Les démons ne sont pas punis en ce ^ 
monde; les supplices leur sont réservés pour l'avenir. 
In Exod., homil. ix, n. 6, P. G., t. xii, col. 359-360. 
Ils périront et leur empire sera détruit, quand nos corps 
ressusciteront à la vie. In^ ibrum Jesu Nave, 
homil. VIII, n. 4, col. 866-867 ; In Matth., tom. xiii, n. 9, 
P. G., t. xiii, col. 1116-1120. Il n'est pas permis d'ad- 
jurer les démons ; c'est une coutume judaïque. In Matth. 
comment, séries, n. 110, ibid., col. 1269. 

9« Jules l'Africain. — Ce contemporain d'Origène, 
dans un fragment de sa Chronographia, qui nous a été 
conservé par Georges le Syncelle, a donné une inter- 
prétation, qu'Origène n'avait pas su trouver, des fils de 
Dieu de Gen., vi, 2. Son texte contenait la leçon : 
ayytloi toO Otoû; mais il lisait dans quelques manus- 
crits : uîoi ToO ôeoC. Par ces fils de Dieu, il entendait 
les fils de Seth, ainsi nommés, parce que leur race n'a 
donné jusqu'à Jésus-Christ que des justes. Les filles 
des hommes éuient de la race de Caïn, si éloignée de 
Dieu et si dépravée. Il ajoutait toutefois que les « anges 
de Dieu », si on gardait cette leçon, ne pouvaient être 
que les mauvais anges, qui apprirent aux femmes le 
mouvement des astres, les nombres, les choses élevées 
et les arts, et qui furent les pères des géants, ensevelis 
par le déluge. P. G., t. x, col. 65. Sa première inter- 
prétation devait peu à peu faire disparaître la seconde. 

lOo Celle-ci pourtant avait pénétré jusqu'en Syrie, et 
Bardesane écrivait dans Le livre des lois du pays : 
d Nous comprenons que si les anges n'avaient pas eu 
aussi le libre arbitre, il« n'auraient pas eu commerce 
avec les filles des hommes, n'auraient pas péché et ne 
seraient pas tombés de leur place. » F. Nau, Bardesane 
l'astrologue, Paris, 1899, p. 31. - Les apocryphes clé- 
mentins, dont les sources sont syriennes et dont la 
rédaction n'est que du iii« siècle, voir t. m, col. 213, 
connaissent la faute charnelle des anges qu'ils ratta- 
chent très explicitement au déluge. Dans les Récogni- 
tions, IV, 26, 27, P. G., t. f, col. 1325-1326, on attribue 
à ces anges déchus l'origine de l'idolâtrie, la connais- 
sance des arts, la magie et la perversité humaine, qui 
a été punie par le déluge. Dans les Homélies, vui, 12- 
19, P. G., t. II, col. 232-237, on nous apprend que les 
esprits, qui vivent dans l'air, ne peuvent plus remonter 
au ciel. Ils enseignèrent aux hommes les arts et l'orne- 
mentation. Les géants, qu'ils engendrèrent, sont des 
anges inférieurs, qui mangent du sang. Ils furent les 
premiers à manger de la chair, et leurs crimes furent 
la cause morale du déluge. — Dans les Actes de saint 
Thomas, œuvre gnostique du iii« siècle, l'union des 
anges avec les femmes est aussi rapportée. Tischendorf, 
Acta apostolorum apoct^ypha, Leipzig, 1851, p. 218; 
M. Bonnet, Ac(a Philippi et Acta Thomœ,dOy Leipzig, 
1903, p. 149. — Zosime de Panopolis racontait aussi la 
chute des anges et la révélation des secrets aux femmes 
d'après les Ecritures anciennes et divines, c'est-à-dire 
d'après le livre d'Uénoch et le récit de la Genèse. Frag- 
ment cité par Georges le Syncelle, Chronographia,. 
édit. Dindorf, 1829, t. i, p. 24. 

11^ Le plus ancien commentateur latin de l'Apoca- 
lypse, dont l'ouvrage nous soit parvenu et qui est de 1» 



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fin du III* siècle, saint Victoria de Pettau, nous fournit 
quelques traits nouveaux sur le diable et les démons. 
Malheureusement, le texte original de son commentaire 
ne nous est pas encore entièrement connu, et il faudra 
attendre Tédition de M. Haussleiter dans le Corpus de 
Vienne pour être parfaitement renseigné. On en connaît 
deux recensions, dont la plus courte est une revision 
faite par saint Jérôme à Taide de Ticonius, et dont la 
plus longue est un remaniement de la précédente (on 
la trouve P. L., t.v). Bardenhewer, Patrologie, 2*édit., 
Fribourg-en-Brisgau, 19(M, p. 198-199; Id., Geschichte 
der aUkirchlichen Litteratur, ibid., 1903, t. ii, p. 595- 
597. Cependant, pour Victorin, le dragon de TApocalypse 
est celui qui ab initio fuit homicida et amne genus 
humanum non tant d^bito mortis, vei^m eliam variis 
gladiis obitibusque oppressit. Le tiers des étoiles, qu'il 
entraînera dans sa chute, indique le nombre des hom- 
mes qu'il séduira à la fin des- temps. Dans sa revision 
saint Jérôme a ajouté : Sed quod vérins intelligi debeal 
angeloruni sibi subditoruni cuni adfiuc princeps esset, 
€um descenderet constitutione sua, tertiam parteni 
seduxisse, Bibliotheca Palruni, Lyon, 1677, t. iii, 
p. 420; dom Férolin, Apringius de Bêja, Paris, 1900, 
p. 49. Cf. In Apocalypsin B. Joannis, xn, 3, 4, P. L., 
t. V, col. 336. Victorin était millénariste. Voir L. Atz- 
berger, Geschichte der christiichen Eschatologie, Fri- 
bonrg-en-Brisgau, 1896, p. 566-573. Par conséquent, il 
entendait les mille ans, durant lesquels Satan doit être 
enchaîné, du règne de Jésus-Christ sur terre. Mais, 
selon le remaniement de saint Jérôme, les mille ans, 
durant lesquels Satan est lié, comprennent tout le temps 
qui s*écoule depuis Pavènement du Christ jusqu'à la On 
des siècles; mille ans sont la partie pour le tout. En 
quoi consiste cet enchaînement de Satan? Diabolus, 
exclusus a credentium cordibus, cœpit impios possi- 
dere, in quorum quotidie cœcis cordibus tanquam in 
abyssi profundo inclusus est. Parce qu'il est scellé, il 
ne peut séduire ceux qui appartiennent à Jésus-Christ. 
Quand le nombre des saints (des vierges) sera complété, 
les hommes, séduits par le diable, entreront en même 
temps que lui dans l'étang de feu. In Apocalypsin B. 
Joannis, xx, 1-3, P. L., t. v, col. .341-343. Pour saint 
Victorin, après le règne de mille ans, le diable sera 
délié pour 1 époque de la persécution de l'Antéchrist; 
mais à l'avènement de Notre-Seigneur, il sera préci- 
pité avec ses anges dans l'enfer. Voir Haussleiter, Der 
ehiliatische Schlussabschnitt im echlen Apokalypse- 
koninientar des Bischofs Victorinus von Pet tau, dans 
Theologisclies Literaturblatt, 1895, n. 17, p. 195-198. 

U. Du IV» AL' vi« SIÈCLE. — Au iv« sièclc, nous con- 
staterons deux directions différentes, prises par les 
écrivains ecclésiastiques au sujet du diable et des dé- 
mons : les uns, surtout en Occident, garderont les opi- 
nions de leurs prédécesseurs; les autres, d'abord en 
Orient, puis en Occident, expliqueront d'une manière 
nouvelle la chute de tous les mauvais esprits. 

1* Maintien des sentiments précédents. — 1, En 
Orient, — Dans un fragment de son livre De resurre- 
ctione, qui nous a été conservé par saint Épiphane, 
Hmr., LXiv, n. 19, 21, P. G., t. xli, col. 1102, 1104, et 
par Photius, Biblioth., cod. 234, P. G., t. cm, col. 1109, 
1112, saint Méthode, évéque de Tyr, cite Athénagore, et 
admet que le diable a péché par envie contre l'homme. 
Quant aux démons, ils sont déchus par suite de leur 
concupiscence charnelle et de leur mariage avec les 
filles des hommes. Us avaient été créés bons et libres. 
Us ont abusé de leur liberté. Dans un autre fragment, 
il dit que le diable a été un imposteur et a tendu des 
pièges à Adam. Fragnv^, 7, 8, P. G., t. xviii, col. 293. 
Dans son Conviinuni, orat. viii, c. x, il reconnaît le 
diable dans le dragon de l'Apocalypse. Ibid,, col. 152, 
153. 

Dans ses Acta disputationis Archelai cum Manete, 

OICT. DE THÉOL. C\THOL. 



que l'on rapporte à la première moitié du iv« siècle, 
Hégémonius traite de l'origine du diable et des démons : 
c'était un des points de doctrine, discutés entre Arché- 
laûs et Manès. Celui-ci expliquait ainsi l'origine de la 
mort pour les hommes. Une belle vierge se montra 
aux princes, qui sont dans le firmament. Épris de sa 
beauté et enflammés d'amour, ils coururent après elle, 
afin de l'atteindre; mais elle disparut subitement. Alors 
le chef de ces princes produisit des nuées, en assez 
grand nombre pour couvrir le monde entier; le prince 
de la moisson répandit la famine et fit périr les hommes 
par des tremblements de terre. Beeson, Hegemonius, 
9, Leipzig, 1906, p. 13-15. D'autre part, Manès préten- 
dait que le prince des ténèbres était le créateur, 12, 
p. 19-20. A ces erreurs, Archélaiis opposa la doctrine 
chrétienne. Le diable a été homicide dès le commen- 
cement; c'est le semeur d'ivraie dans le champ du 
père de famille, Satan, l'auteur de tous les maux; il 
mange de la chair et du sang, 15, p. 24-25. Or, il n'est 
pas inengendré. Quel mal faisait-il avant la création V 
18, p. 29. Que convoitait-il? Qu'enviail-il? 20, p. 31. Il 
n'a pas créé l'homme; il est tombé du ciel, 23, p. 35. 
Il a été créé libre, et il agit librement sur les hommes. 
Quelques anges ont désobéi aux ordres de Dieu et ont 
résisté à la volonté divine. L'un d'eux est tombé du 
ciel sur la terre comme la foudre. D'autres, attirés par 
un bonheur misérable, se sont unis aux filles des 
hommes; ils ont été affligés par le dragon et ont 
mérité de subir. la peine du feu éternel. Le diable a 
cherché à les tromper, parce qu'ils étaient libres. Il 
n'est pas de la substance de Dieu, puisqu'il a préva- 
riqué. Il est tombé, parce qu'il n'a pas observé les 
commandements de Dieu, et il est resté l'adversaire 
des préceptes divins, 36, p. 50-52. Il a trompé Adam et 
Eve, en les faisant désobéir, il est le père de tous les 
méchants, 37, p. 53. Les juges de la discussion esti- 
mèrent que la question de l'origine du diable avait été 
suffisamment débattue. 

Un des dogmes que soutenait Marinus dans le Dia- 
logue d'Adamantius, qui est de la fin du iv* siècle, 
était que le diable n'a pas été créé par Dieu. Adaman- 
tins déclara que le diable était bon d'abord, et non 
pas mauvais, mais que dès le commencement du 
monde, il envia l'homme et qu'il n'a pas cessé de l'en- 
vier. Van de Sande Bakhuysen, Der Dialog des Ada- 
manlius, sect. i, c. xxvii, Leipzig, 1901, p. 52. Il a élé 
créé par Dieu; autrement, il y aurait deux principes, 
sect. II, c. I, VIII, p. 116, 126. Mais il a été mauvais 
dès l'origine du monde, et il a persuadé Eve de pécher. 
Dans l'Écriture, il est appelé Satan et le malin, c. ii, 
p. 116. Il est jugé et condamné par Dieu, parce que, 
de bon qu'il était, il est devenu mauvais, en abusant 
de sa liberté, c. xi, p. 130. 

Tout en rejetant le mariage des anges, De hominis 
opificio, c. XVII, P. G., t. XLiv, col. 189, saint Grégoire 
de Nysse pense encore que Satan est tombé par envie. 
Les anges sont des êtres incorporels, opposés au bien, 
qui agissent au détriment de l'homme. Ils sont sortis 
d'eux-mêmes, de leur dignité primitive et se sont 
engagés dans la voie contraire au bien. L'apôtre les 
appelle les puissances souterraines et infernales; mais 
l'air, où ils vivent, est dit parfois souterrain et in- 
fernal. Quand les vices seront abolis, les anges mau- 
vais seront rétablis dans leur premier état. De anima 
et resurrectione, P, G., t. xlvi, col. 72. Ailleurs, saint 
Grégoire de Nysse dit encore que le Christ a fait du 
bien à celui qui a causé notre perte, et il ajoute que le 
mal disparaîtra un jour et que toute créature rendra 
grâce à Dieu. Orat. catecfiet., c. xxvi, P. G., t. xlv, 
col. 68. Le diable, lui aussi, est un uveOiiia, ykp ècrriv 
ào(o(iaTov, àXXà Ôià xax^av xoû {îi|/ou; àiïéit8<TCv. Par na- 
ture, il est exempt de la nécessité de boire et de man- 
ger. Avec ses anges, il ne cesse d'errer dans l'air jour 



IV. - 12 

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et nuit pour faire du mal. Ils tendent aux hommes des 
pièges de toute sorte^ parce qu'ils sont jaloux des 
hommes qui sont unis à Dieu et qui parviendront au 
bonheur dont ils sont privés. De paupeviOus amandis, 
P. G,, t. XLVi, col. 456. Le diable est le malin, dont 
nous demandons, dans Toraison dominicale, d'être dé- 
livrés. Il eslBeelzébub, Mammon, le prince du mo&de, 
l'homicide dès le commencement, le père du men- 
songe, etc. De oratione doniinica, orat. v, P. G., 
t. XLiv, col. 1192. La cause de sa chute a été l'envie à 
l'égard de l'homme, confirmé par la bénédiction divine. 
Les dons surnaturels, faits par Dieu à Adam, ont été, 
pour l'adversaire, la source et l'excitation de l'envie; 
il a machiné des embûches pour empêcher la force 
divine d'agir dans l'humanité. Déchu à cause de la 
beauté de l'homme, il a trompé l'homme par l'attrait 
de la nourriture. Ovat. catechet,, c. vi, xxvi, P. G., 
t. XLV, col. 25, 68. Cf. De morluis, P. G., t. xlvi, 
col. -522. 

Le péché d'envie est encore affirmé dans une homé- 
lie, faussement attribuée à saint Basile. Honiilia dicta 
in Lacizis, n. 8, 9, P. G,, t. xxxi, col. 1452, 1456. 
L'envie est un vice propre au diable. Satan n'a pas 
d'abord été diable; d'ange qu'il était, il est devenu 
démon. Infecté d'envie, il s'est éloigné de Dieu. Sa 
défection provint de ce qu'il vit l'homme, qui lui était 
inférieur, élevé au-dessus des autres créatures. Créé 
avant l'homme, il assista à la création; il vit que 
rhomme était supérieur au soleil, puisqu'il a été seul 
fait par les mains divines; il le vit dans les délices du 
paradis, assisté par les anges, à qui il était égalé, par- 
lant avec Dieu, et il l'envia. Tant que l'homme fut seul, 
le diable n'eut pas d'occasion de le prendre; après la 
création d'Eve, il s'attaqua à la femme, qui était plus 
faible. Ennemi de l'homme, il fut aussi ennemi de 
Dieu, (i.t<ràvOp(i>ico;, éicEiSrj xal Oeopiàxoç. Il a haï Dieu 
d'abord, qui avait ainsi favorisé l'homme; il se révolta 
contre lui, le méprisa, s'éloigna de lui. Il vit ensuite 
l'homme fait à l'image de Dieu, et ne pouvant attaquer 
Dieu, il s'en prit à son image. 

2. En Occident, — Lactance mêle différentes tradi- 
tions, et il distingue nettement le diable des démons. 
Avant la création du monde. Dieu fit d'abord un esprit, 
qui resta bon, le Logos, puis un autre, in quo indoles 
divinm stirpis non permansit. C'est par l'envie qu'il 
devint mauvais, abusant de la liberté qui lui avait été 
donnée. Mais ce n'est pas l'homme qu'il envia. Invidit 
enini ille anlecessori, qui Deo Patri persevei*ando, 
cum probatus, Itim etiam charus est. Les Grecs 
l'appellent 6ia6o>.ov; les chrétiens a^iniinatoreni, quod 
crimina, in quœ ipse illicit, ad Deuni déferai, Div, 
instit., 1. II, c. IX, P. L., t. vi, col. 294-296. C'est par 
envie qu'il a trompé l'homme. Criminator ille, invi- 
dens operihus Dei, omnes fallacias et calliditates 
suas ad decipiendum hominem inlendit ut ei adime- 
ret immortalilatem, c. xiii, col. 323. Quant à la chute 
des démons, Lactance la raconte, en combinant la 
tradition du livre des Jubilés avec celle du livre 
d'Uénoch et en y ajoutant des traits de son imagina- 
tion. Cum eryo nunierus honiinum cœpisset incres- 
cere, providens Deus ne fraudibus suis diabolus, cui 
ab initio terrœ dederat potestatem, tel con*umpei^et 
homines vel disperderet, quod exordio feceral, misit 
angelos ad tutelam cultunique generis humani : qui- 
bus, quia liberum arbitriuni eral daium, prœcepit, 
ante omhia, ne, ten*œ contagione maculati, substan- 
tif cœlestis amitterent dignilateni. Il leur défendit 
de faire ce qu'il prévoyait qu'Hs feraient. Itaque illos 
cum hominibus commorantes dominalor ille tenues 
falladssimus consuetudine ipsa paulatlm ad vitia 
pellexit et mulierum congressibus inquinavit, Tuni 
in cœlum ob peccata quibus se immerserant non ve- 
cepti, cecidet^nt in ten^am, Siceos diabolus ex ange- 



lis Dei suos fecil satellites ac'minislros. Leurs fils, 
n'étant ni anges ni hommes, n'ont pas été reçus dans 
les enfers. Lactance distingue donc deux genres de 
démons : les uns qui viennent du ciel, les autres de 
la terre. Ces derniers sont les esprits immondes, 
auteurs de tous les maux, et dont le diable est le 
prince. Les grammairiens croient que ce sont les dieux 
du paganisme. Ils savent beaucoup de choses futures, 
celles que Dieu leur permet de savoir, mais ils ne les 
connaissent pas toutes; aussi leurs réponses, dans les 
oracles qu'ils rendent, sont-elles ambiguës. On les 
évoque par la magie. Per omnem terram vagantur 
et solatium perdilionis suse perdendis hominibus ope- 
ranlur. Tout le mal, qui se fait dans le monde, vient 
d'eux. Adhœrent enim singulis hominibus, et omnes 
ostiatim domos occupant, at sibi geniorum nomen 
assumunt. On les vénère. Sunt spiHtus tenues et in- 
comprehensibiles. Ils .s'insinuent dans les corps et 
font du tort, c. xv, col. 330-333. L'astrologie, les arus- 
pices, les arts, en particulier celui de faire des statues, 
sont de leur invention. Ils rendent des oracles et se 
font offrir des sacrifices humains, c. xvii, col. 336-341. 
Per terrant volutantur. Ils y causent la mort, des 
tromperies et y répandent l'erreur, c. xviii, col. 343. 
Ils exercent leur fureur contre les chrétiens, 1. V, 
c. XXII, col. 623. Ceux qui sont solides dans la foi n'ont 
rien à craindre d'eux; ils ne peuvent leur nuire, 1. II, 
c. XVI, col. 334-336. Dieu est patient à leur égard 
jusqu'au jugement dernier, après lequel il leur ré- 
serve les ténèbres, l'enfer et ses supplices éternels, 
c. xviii, col. 341-342. Aussi craignent-ils le jugement 
dernier, après lequel ils seront tourmentés, 1. VII, 
c. XXI, col. 800-801. Au commencement du règne de 
mille ans, le prince des démons sera lié par Dieu; ce 
règne fini, il sera délié et il sortira de prison pour 
faire la guerre contre les saints. Mais vaincu par Dieu, 
il sera condamné au feu éternel avec ses ministres, 
c. XXVI, col. 813-814. On le voit, Lactance a sur plu- 
sieurs points un sentiment particulier, qu'aucun autre 
écrivain ecclésiastique n'adoptera. Notons qu'il rap- 
. porte le déluge aux crimes des hommes, mais pas 
au péché des anges, l. II, c. xi, xiv, col. 313, S^. 
C'est un indice qu'il ne se réfère pas au récit de la 
Genèse. 

L'auteur du De singularitate clericorum, que Har- 
nack et dom Morin croient être Macrobius, qui écri- 
vait vers 363-375, cite l'exemple des anges pour dé- 
tourner de l'incontinence : Novimus et angelos cum 
feminis cecidisse, P, L., t. iv, col. 857. 

Aux opinions anciennes qui sont en voie de dispa- 
raître, saint Ambroise joint le sentiment nouveau que 
nous verrons prédominer. Il se rallie, en effet, à la 
théorie d'Origène, expliquant la chute de Satan par 
l'orgueil, mais il maintient la tentation d'Adam et 
d'Eve par motif de jalousie et le commerce charnel 
des anges avec les femmes. Le serpent au paradis ter- 
restre était la figure du diable, ainsi que le prince de 
Tyr. Ezech., xxviii, 13. La plupart prétendent que le 
diable n'était pas au paradis; il y était réellement, 
quoi qu'il soit écrit dans le livre de Job que Satan est 
au ciel avec les anges. Philon disait, mais à tort, que 
le serpent était la figure de la volupté. De paradUo, 
c. u, n. 9, 11, P. L,, t. XIV, col. 278, 279. Le serpent 
fut le véritable ennemi du genre [humain, qu'il perdit 
par envie. Sap., ii, 24. Le diable ne put supporter le 
bonheur dont l'homme jouissait au paradis; il envia le 
sort de l'homme, qui avait été formé du limon. Lui, 
qui avait été d'une nature supérieure et qui était 
tombé sur terre, il jalousait l'homme qui dépassait les 
choses éternelles; il voyait avec peine que l'homme 
avait obtenu ce que lui-même avait perdu, c. xii, d.54, 
col. 301. Satan avait donc péché avant de tenter 
l'homme. L'archange n'a pas su s'abstenir du péché. 



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DÉMOiN D'APRÈS LES PÈRES 



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Satan et ses anges n'ont pas su garder leur place. 
Expositio Ev, sec. Lucam, 1. IV, n. 67, P. L., t. xv, 
col. 1632-1633. Invidus et humant generis adversarivs 
de statu superioH dejectus est. In ps. xxxvii enarrat., 
n. 21, P, L., t. XIV, col, 4019. Il avait péché par 
oi^ueil, selon Is., xiv, 14. In ps. ixxv etiart^at,, n. 11, 
col. 958. Per superbiam naturœ suœ amisit gra- 
tiani..,, consortiis excidit angeloi'um. In ps. cxviii, 
serm. vu, n. 8, P. L., t. xv, col. 1283. Son péché est 
plus grand que celui de Thomme. Jbid., serm. viii, 
n. 28, col. 1306. Il est Tauteur de ridolâtrie. De para- 
disOj c. XIII, n. 61, P. L., t. xiv, col. 306. Les anges 
des cieux, d'après l'Écriture, de sua xnrtute et gvatia 
dejecti sunt, par la même faute que le roi David. Apo- 
logia prophetm David, c. i, n. 4, col. 855. Il est écrit 
que les anges ont aimé les filles des hommes, eo quod 
teirenis capti detirieantur illecebris princeps niundi 
istius ac ministri ejus, in quibus nequilia spintalis 
veneris quibusdam camis hujus irretila et humanis 
e$t infecta ctnminibus. In ps, cxvm, serm. viii, n. 58, 
P. L., t. XV, col. 1319. Cf. serm. iv, n. 8, col. 1243, où 
le passage de la Genèse, vi, 3, est expliqué des vierges 
dans an sens spirituel, qui exclut le mariage des 
anges : Qui ergo, cuni angeli tiderejjtur, capli sunt 
décore fentineo, M caro sunt. Qui autenx cot^pora 
feminarum capiunlur libidine, caro sunt. Ils sont 
tombés du ciel dans le siècle propter inteniperantiam . 
De virginibus, 1. 1, c. viii, n. 53, P. L., t. xvi, col. 203. 
Ils ont engendré les géants. Cependant, saint Âmbroise 
ajoute que TÉcriture appelle souvent les anges fils de 
Dieu, parce que les âmes ex nullo honxine generan- 
tur, et il observe que viros fidèles filios suos dicei'e 
non est aspernatus Deus. De Noe et arca, c. iv, n. 89, 
P. L., t. XIV, col. 366. Les anges tombés habitent dans 
l'air, entre le ciel et la terre, pas au vrai ciel, bien 
qu'il soit écrit que Satan a été au conseil des anges. 
Pour ces esprits de malice, il n'y a pas de rémission; 
le feu étemel leur est réservé. Inps. cxvm, serm. viii, 
n. 58, P. L., t. XV, col. 1318-1319. Si les hommes mau- 
vais sont punis tout de suite après leur mort, la puni- 
lion du diable est renvoyée à plus lard. Differtur 
diaboti jvdiciuni, ut sit semper in pœnis reus, sent- 
per improbitatis suœ innexus catenis, conscientiœ suœ 
in perpetuum sustineat ipsejudiciuni. Ibid., serm. xx, 
n. 22, 23, col. 1491. Si Satan est tombé comme la 
foudre, c*est qu'il a perdu ce qu'il avait. Le genre de 
sa condaDQ nation n'est pas la mort, sed pœna diutw*na. 
De fuga sœculi, c. vu, n. 40, 41, P. L., t. xiv, col. 588. 
La légion des démons, qui demandèrent d'entrer dans 
des porcs, craignait de subir avant le temps les tour- 
ments qui lear sont dus. Expositio Ev. sec. Lucam, 
1. VI, n. 46, P. L., t. XV, col. 1680. 

Rufin semble faire allusion aux légendes des Jubilés 
et d'Hénoch, quand il QiiiV9\\desea^etioribus(àe% livres 
apocryphes) les renseignements suivants : que Dieu 
avait préposé des anges au gouvernement du monde. 
Dent., xxxii, 8, et que quelques-uns, aussi bien que 
le prince de ce monde, ne remplirent pas la mission 
qu'ils avaient reçue de Dieu et n'apprirent pas aux 
hommes à obéir aux préceptes de Dieu, mais à imiter 
leurs prévarications. Comment, in symbolum aposto- 
loi^m, n. 15, P. L., t. xxi, col. 353. Il ajoute, n. 16, 
col. 354, que la croix du Christ a soumis ceux qui ont 
mal osé de leurs pouvoirs, et que Jésus^ en descendant 
aux enfers, a pris le prince de la mort à l'hameçon, 
Eiech., XXXII, 3; Ps. lxxiii, 14; Job, xl, 20, et a 
rompu les clôtares de l'enfer. Rufin plaçait donc ce 
démon en enfer avant le dernier jugement. 

Dans son HUtoria sacra (écrite en 403), 1. I, n. 2, 3, 
P. L., t. XX, col. 96-97, Sulpice Sévère raconte qu'à 
l'époque de Noë, des anges, qui habitaient au ciel, 
furent séduits par la beauté de vierges terrestres, 
s'enflammèrent pour elles de désirs coupables, descen- 



dirent du ciel, les épousèrent et en eurent des géants 
dont la malice fut cause du dt^luge. 

Le poète gallo-romain, Cyprien, qui vivait vers 400, 
chante en vers latins la tentation de nos premiers pa- 
rents par le serpent, qui est le dragon, ainsi que le 
mariage des anges et la naissance des géants, qui pro- 
voquèrent le déluge universel. Genesis, c. m, 72 sq., 
106 sq.; c. vi, 231-219, P. L., t. xix, col. 348, 319, 353. 
Voir t. m, col. 2471-2472. 

Le poète Commodien, qu'on place généralement au 
m» siècle, voir t. m, col. 414-415, mais que le P. H. Bre- 
wer, Kommodian von Gaza, Paderborn, 1906, croit 
être un laïque d'Arles, de la seconde moitié du v» siè- 
cle, admet aussi la chute charnelle des mauvais anges, 
que Dieu avait envoyés visiter la terre et qui furent 
séduits par la beauté des femmes. Ainsi souillés, ils 
ne purent retourner au ciel, et Dieu punit leur rébel- 
lion. Ils engendrèrent les géants, qui enseignèrent 
aux hommes les arts, notamment celui de teindre la 
laine, et l'idolâtrie. Parce qu'ils étaient de race mau- 
vaise. Dieu refusa de les recevoir après leur mort. Ils 
sont donc vagabonds et ils fontpérir beaucoup d'hommes. 
Les païens les adorent et les prient comme leurs dieux. 
Institutiones adversus gentium deos,\. I, c. m, P. L., 
t. V, col. 203-204; Dombart, Commodiani carmina, 
Vienne, 1887, t. xv, p. 7. Commodien mêle, lui aussi, 
la tradition du livre des Jubilés avec celle d'Hénoch, 
et ses idées se rapprochent de celles de Lactance. 

2^ Introduction d'une nouvelle doctrine sur la chute 
des anges. — Les docteurs tendent à ne plus distinguer 
Satan des autres démons et à expliquer leur chute 
commune par l'orgueil. Ils rejettent le livre d'Hénoch 
et ses rêveries sur le mariage des anges. Celte doctrine, 
empruntée à Origène, est acceptée d'abord en Orient et 
se répand progressivement en Occident, où elle finit 
par devenir universelle, quoiqu'on y repousse moins 
catégoriquement la légende du mariage des anges. 

1. En Orient. — Eusèbe de Césarée, au début du 
IV* siècle, s'occupe longuement des démons dans sa 
Préparation évangélique. En exposant la doctrine des 
Grecs sur les dieux, les démons, bons et mauvais, et 
les génies, d'après Porphyre etPlutarque, il affirme en 
passant quelques points de l'enseignement chrétien. 
Dans les saintes Lettres, il n'y a pas de bons démons, 
1. IV, c. V, P. G., t. XXI, col. 248. Les sacrifices païens 
sont offerts aux démons, c. xiv, xv, col. 265, 268. Ces 
esprits habitent dans les lieux voisins de la terre et se 
nourrissent de la fumée et de l'odeur des sacrifices, 
c. xxii, col. 300-304. Les prophéties et les oracles des 
démons ont cessé après l'avènement de Jésus-Christ, 
1. V, c. i, col. 309-313. Les puissances de l'air habitent 
dans l'air ténébreux, auprès des tombeaux, des statues, 
et se plaisent dans les matières impures, le sang, la 
sanie, dont ils aiment l'odeur. Les sacrifices leur sont 
agréables et ils favorisent l'idolâtrie. Ces Tcept'Yecot S«t- 
IJLovec sont auteurs des maléfices, c. ii, col. 313, 316. 
Les oracles païens étaient rendus par eux, c. iv, 
col. 317-324. A propos des titans, Eusèbe se demande 
si ce que l'Écriture dit des géants et de leurs pères s'y 
rapporte. Il cite Gen., vi, 2, avec la leçon : avysXoi Toij 
OftoO, col. 324. Il ajoute que ce que les païens ont dit 
des géants, dont ils ont fait des dieux, est fabuleux, 
c. V, col. 324 sq. Les Grecs croyaient que les démons 
étaient adonnés à la volupté, c. vu, col. 332 sq. 

Les Hébreux ont connu les esprits déchus, qui se 
sont librement détournés de leur voie. Ils leur ont 
donné difiérents noms. Le premier tombé, qui a en- 
traîné les autres dans sa déchéance et qui est un déser- 
teur volontaire de la lumière, était nommé le dragon, 
le serpent, la bète cruelle, lion, reptile. Eusèbe déter- 
mine la cause de sa chute d'après l'Écriture et il la 
caractérise {jiavfav çpsvwv xal Siavot'a; e/.araaiv. Il ap- 
plique à ce sujet le texte d'Isaïe, xiv, sur Lucifer. Avant 



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359 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



360 



sa chute, il était uni aux vertus les plus divines; il s'en 
est séparé par son arrogance et sa rébellion contre 
Dieu. Il a sous lui une nation innombrable et infinie 
d*esprits, coupables des mômes crimes, exclue par son 
impiété de la société des anges pieux et précipitée dans 
le Tartare, que les saints Livres nomment abîme et 
ténèbres. Une petite partie est demeurée autour de la 
terre, de la lune, et dans Tair inférieur, pour éprouver 
les athlètes chrétiens. Ils ont fabriqué la multitude des 
dieux. Ils sont appelés dans TÉcriture esprits mauvais, 
démons, principautés, pouvoirs, princes du monde, 
esprits de malice. Au Ps. xc, 13, on leur donne les 
noms symboliques d*aspic, de basilic, de serpent et de 
dragon. Par haine de Dieu, ils affectent d'être dieux et 
se font rendre les honneurs divins, 1. VII, c. xvi, 
col. 553, 556. 

Eusèbe ajoute quelques traits à cette doctrine dans 
sa Démonstration évangélique. Les démons se font 
olTrir des sacrifices partout. Ils trompent, en rendant 
des oracles, parce qu'ils sont ignorants; ils disent des 
obscénités, 1. V, proœm.,P. G., t. xxii, col. 337. Ils ont 
en horreur le nom de Jésus, 1. III, n. 4, col. 233-236. 
Les puissances, ennemies de Dieu, sont les esprits les 
plus dépravés, qui sont sous les ordres du grand démon, 
leur prince. Les premiers, ils ont chancelé dans le 
culte divin, et comme ils enviaient le salut des hommes, 
ils leur ont tendu des pièges. Ils sont les auteurs du 
mal. Isaïe, x, 13, 14; xiv, 12, 15, a parlé du grand 
démon. Les mauvais démons sont partout, disposés et 
armés sous sa conduite. Ils portent les hommes aux 
voluptés, 1. IV, n. 9, col. 272-273. Cf. In Jsaiam, xiv, 
9, P, G., t. XXIV, col. 192. 

Saint Athanase unit aussi les démons au diable. Celui- 
ci est l'inventeur du mal; c'est le grand démon, le ser- 
pent, le dragon, le lion qui cherche à dévorer. Il a trompé 
les hommes et séduit Eve; il a mis ainsi les hommes 
sous son pouvoir; mais le Christ a détruit sa puissance. 
Epist. ad episc. ^gypti et Libyse, n. 1, 2, P. G., 
t. XXV, col. 540-5il. Cet ennemi du genre humain est 
tombé du ciel; il erre dans l'air, où il commande aux 
autres démons, qui subissent son empire; il séduit les 
hommes et s'efforce de s'opposer à ceux qui tendent en 
haut. Notre-Seigneur est venu le renverser, purger l'air 
de sa présence et nous ouvrir le chemin du ciel. Orat. 
de incamatione Verbi, n. 25, ibid., col. 140. Depuis 
lors, il n'y a plus d'oracles ni de magie, n. 46, col. 177. 
Comment le diable a-t-il péché? Saint Athanase est peu 
précis à ce sujet; il dit seulement que le diable était 
en désaccord avec Dieu, et qu'il a été expulsé du ciel, 
pour n'avoir pas conservé l'accord avec son créateur. 
Desynodis, n. 48, P. G., t. xxvi, col. 780. Toutefois, il 
aurait admis la chute par orgueil, si le traité De vir- 
ginitate était certainement de lui. Selon l'auteur de 
cet écrit, Satan a été jeté hors du ciel, non pas pour 
fornication, adultère ou vol; c'est l'orgueil qui l'a pré- 
cipité dans le fond de l'abîme, Is., xiv, 14, et le feu 
éternel est son partage, nr^ A,<i., t. xxviii, col. 257. 
Dans la Vita S. Antonii, n. 24, P. G., t. xxvi, col. 877, 
880, saint Athanase déclare qiie Job, xli, 9-11, 18-21, a 
décrit Satan que Notre-Seigneur a pris par l'hameçon 
comme le dragon marin. 

Pour saint Cyrille de Jérusalem, le démon est le 
premier auteur du péché et le père de tous les maux. 
I Joa., m, 8. Il est le premier pécheur, et il a péché 
librement et pas par nécessité. Créé bon, il est devenu 
mauvais et a mérité son nom : c'est un archange devenu 
diable, Satan l'adversaire. Ezech., xxviii, 12-17; Luc, x, 
18. En tombant, il a entraîné beaucoup d'autres avec 
lui. Cat.fii^ n. 3, 4, P. G., t. xxxiii, col. ^85, 388. Dieu 
le tient sous sa puissance, mais il le supporte avec 
patience et le fait contenir par les anges. Il lui a per- 
mis de vivre pour deux raisons : 1^ pour lui infliger 
une plus grande honte ; 2<> pour couronner les hommes. 



soumis à ses tentations. Cat,, viii, n. 4, col. 628-629. 
Sachant que Dieu devait naître d'une vierge, le démon, 
par calomnie, a inventé les fables des idoles et des 
dieux, engendrant avec des femmes. Cat., xv, n. 11, 
col. 884. Il est appelé esprit, mais c'est un esprit im- 
monde. La manière dont il agit sur les possédés mon- 
tre qu'il n'a pas un corps épais. Cat., xvi, n. 13, 15, 
col. 936, 937-940. Le prince des mauvais démons est 
un tyran. Il habite à l'Occident, dans les ténèbres sen- 
sibles, où il règne. C'est pourquoi les baptisés se tour- 
nent vers l'Occident pour renoncer à Satan. C'est le 
serpent rusé, qui a inspiré la défection à nos premiers 
parents. Cat., xix, n. 3, 4, col. 1068, 1069. Il est le 
mauvais, dont nous demandons d'être délivrés, en réci- 
tant l'oraison dominicale. Cat., xxiii, n. 18, col. 1124. 
Saint Basile, dans ses ouvrages authentiques, est 
nettement partisan de la chute de Satan par orgueil. 
Le diable est une substance simple, tombée du ciel; il 
a perdu la véritable vie, en changeant de volonté ; il 
est devenu diable par sa manière d'agir; sa sainteté 
première a disparu, et sa puissance a été portée au 
mal. Epist., 1. I, epist. \iii, n. 10, P. G., t. xxxii, 
col. 26i. Le premier-né des démons est l'auteur de 
tout mal. In Hexaenieron, homil. vi, n. 1, P. G., 
t. XXIX, col. Il7. Si le mal ne vient pas de Dieu, d'où 
vient le diable? De même que l'homme, le diable est 
mauvais par sa propre volonté. Il était libre et pouvait 
persévérer dans le bien ou s'en éloigner. Satan était 
ange comme Gabriel. Celui-ci a assisté Dieu constam- 
ment; celui-là est entièrement sorti de son ordre. Il 
n'est pas l'adversaire du bien par nature, mais par 
volonté. Pourquoi nous fait-il la guerre? Il a eu la ma- 
ladie de l'envie; il nous a envié l'honneur qui nous 
était fait. Il n'a pu sans regret voir notre vie au para- 
dis, et il a trompé Adam. Comme il se voyait exclu de 
l'assemblée des anges, il ne put soutenir que l'homme, 
formé de terre, soit élevé à la dignité des anges. Il nous 
a donné son inimitié contre Dieu. Il se nomme Satan, 
parce qu'il est l'adversaire du bien. Sa nature est in- 
corporelle. Eph., VI, 12. Il habite l'air. Eph., ii, 2. Il 
est dit le prince de ce monde, parce que sa principauté 
est sur le globe, déchu qu'il est de sa principauté pre- 
mière. Quod Deus non est auctor malotntm, 8-10, 
P. G., t. XXXI, col. 3i5-352. L'orgueil, ô tO?o;, est le 
premier des vices de l'homme; c'est le crime du diable. 
Adversus Eunomium, 1. I, n. 13, P. G., t. xxix, 
col. 511. C'est l'orgueil quil'a fait tomber du ciel. Quand 
Adam a été créé, il l'a tenté par envie. Peut-être avant 
la création de l'homme, restait-il au diable lui-même 
quelque place à la pénitence. Bien que l'orgueil ait 
été pour lui une maladie très invétérée, elle aurait 
pu être guérie par la pénitence, et ce remède eut 
fait réintégrer le diable dans son état primitif. Mais 
après la création d'Adam, après l'envie portée à l'homme, 
après la tentation, il n'y a plus eu pour le démon de 
place à la pénitence, /n Isainm, xiv, 19, P, G., t. xxx, 
col. 609. Cependant, ailleurs, saint Basile semble join- 
dre l'envie à l'orgueil. C'est par esprit de fausse gloire 
que le diable a trompé Thomme. En voulant nuire à 
l'homme, il se montra transfuge et fut destiné à la 
mort éternelle. Il fut ainsi victime de sa propre astuce 
et pris dans ses pièges. Orgueilleux à l'occasion de 
l'homme, il a été humilié par l'homme. Homil., xx. 
De humilitate, n. 1, 2, 5, P. G., t. xxxi, col. 525, 528, 
533. Dans deux ouvrages douteux, saint Basile, s'il les 
a composés, aurait été résoldment partisan de la chute 
du diable par envie. Ce défaut suit le diable. C'est lui 
qui l'a poussé à faire la guerre aux hommes; il a été 
puni par lui en luttant avec Dieu lui-même. Mécontent 
de Dieu à cause de sa munificence envers l'homme et 
ne pouvant se venger sur Dieu, il se vengea sur l'homme. 
Il est donc tombé par envie. Homil., xi, De invidia, 
n. 1. 3, 4, ibid., col. 372-376, 377. 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



362 



Saint Grégoire de Nazianze déclare que les anges ne 
se marient pas. Poem, moral., sect. ii, 1, P. G., t. xxxvii, 
col. 525. Il attribue à Torgueil la chute de Lucifer et de 
tous les anges. Lucifer a péché le premier; il s'est élevé 
et enorgueilli. Il voulait obtenir la gloire même de Dieu; 
mais il a perdu sa beauté, est devenu ténèbres et est 
descendu sur terre. Il hait les hommes prudents et il 
clierche à les détourner du ciel, par colère causée par 
son propre malheur. Par envie, il a chassé l'homme du 
paradis. Il a péché par orgueil, non pas seul; il est 
tombé avec beaucoup d'autres, à qui il avait appris le 
mal. Il était envieux du chœur d'anges pieux, qui for- 
maient la cour du roi du ciel, et il désirait comman- 
der à beaucoup. Nombreux, en effet, sont les démons, 
qui portent au mal. L'armée est mauvaise comme son 
chef. U y eut une grande guerre entre les anges : les 
uns eurent la vie éternelle; Satan indompté porta plus 
tard la femme à désobéir. Le Christ l'a réprimé, et le 
feu allumé de l'enfer sera sa récompense. Il souffre au- 
paoavant dans ses ministres, tandis qu'eux sont tor- 
turés; tel est le supplice du premier méchant. Poeni. 
dognmt., sect. i, 56 sq., col. 444-445. L'envie a obscurci 
Lucifer, qui est tombé par orgueil. Il s'indignait, Oeio; 
wv, de n'être pas Dieu. Il a chassé Adam et Eve du 
paradis. Orat., xxxvi, n. 5, P. G., t. xxxvi, col. 269. 
Par l'envie du cruel dragon, l'homme a été chassé du 
paradis. Poem. moral., sect. ii, 1, P. G., t. xxxvii, 
col. 531. Les démons ont envié et détesté l'homme, 
qu'ils poussent au mal. Oral., xxxix, 7, P. G., t. xxxvi, 
col. a41. 

Pour réfuter Manès, saint Épiphane dit seulement 
qu'à l'origine le diable n'était pas mauvais, et que plus 
tard il a pensé au mal, qu'il a réellement accompli. 
Dieu Ta permis, parce qu'il avait créé le diable libre. 
Hêsr., Lxvi, n. 16, P. G., t. xui, col. 52. 

Tbéodoret réfutait la même erreur. Marcion, Cerdon 
et Manès prétendaient que les démons n'avaient pas 
été créés. S'il en était ainsi, ils auraient donc été les 
égaux de Dieu en honneur. Dans ce cas, ils n'auraient 
pu être créés; mais ils n'auraient pu davantage être 
punis. Or, ils seront justement punis par le feu étemel, 
parce qu'ils ont été les auteurs du vice. Satan a été 
mauvais par volonté, lui et ses anges. Us sont tous in- 
corporels. Ne se souvenant pas de la bienveillance que 
Dieu leur avait témoignée, mais cédant au faste et à l'ar- 
rogance, ils sont déchus de leur sort précédent. La cause 
pour le diable est l'orgueil, et Tbéodoret cite en preuve 
de nombreux textes des deux Testaments, entre autres 
ceux d'Isaîe et d'Ézéchiel. Hœret. fabul. compendium, 
I. V, n. 8, P. G., t. Lxxxiii, col. 473, 476, 477. La doc- 
trine chrétienne sur les démons est contenue dans les 
saintes Lettres, qui parlent des démons, de leur prince, 
de Satan, l'apostat, et du diable, le calomniateur. Ils 
n'ont pas été créés mauvais par Dieu; ils le sont de- 
venus par le vice de leur volonté. Pas satisfaits des 
dons qu'ils avaient reçus, aspirant à un sort plus élevé, 
ils ont contracté la tache de l'orgueil et ont été exclus 
de leur dignité. Ils ont tourné leur rage contre 
rhomme, à qui ils ont déclaré la guerre. Dieu nous pro- 
tège contre leurs assauts par les anges gardiens. Grœc. 
affect. curât., III, ibid., col.883,896. la;doctrine chré- 
tienne, il oppose celle de Platon, col. 896-897, et il 
conclut que Dieu n'est pas l'auteur du mal. Isaîe com- 
pare !e roi de Babylone à Lucifer, qui est tombé du 
del sur terre à cause de son orgueil. In Isaiam, xiv, 
12, P. G., t. Lxxxi, col. 333. Le prince de Tyr est pro- 
prement le démon mauvais, qui exerçait en lui sa ma- 
lice. Il est tombé par orgueil. Auparavant il étaitimma- 
culé. Sa folie a consisté à dire : Quo non ascendamf 
In Ezech., xxvin, ibid., col. 1096-1097. Il est tombé, 
parce qu'il n'a pas voulu se contenter des biens qui lui 
avaient été donnés. In ps. Lxxxi, P. G., t. lxxx, 
col. 1529. Le serpent tentateur était le démon, qui, 



usant de son pouvoir sur les êtres irraisonnables, a 
pris cet animal comme organe. Aussi a-t-il reçu la 
malédiction divine. Dieu l'avait créé, prévoyant qu'il 
ferait le mal ; il l'a laissé abuser de sa liberté, pour 
éprouver les autres. In Gen., q. xxxi, xxxiv, xxxvi, 
ibid., col. 128, 129,132. Quelques hommes stupides ont 
prétendu que les fils de Dieu, Gen., vi, 2, 4, étaient les 
anges, qui pourtant sont immortels. Le père du men- 
songe n'aurait pas osé le dire. Ces fils de Dieu étaient 
des hommes méchants, qui ont été punis; le texte 
l'exige. Du reste, les hommes sont nommés iils de Dieu 
ailleurs dans l'Écriture. In Gen., q. xlvii, col. 148-149. 
Avant sa chute, le diable avait la puissance de l'air. 
Déchu à cause de sa malice, il est devenu le maître de 
l'impiété et de l'improbilé. Il n'a pas pouvoir sur tous 
les hommes, mais seulement sur ceux qui n'écoutent 
pas les divins enseignements. Interpret. Epist. ad 
Eph., II, 2, P. G., t. Lxxxii, col. 520. Pour Tbéodoret, 
les démons sont inguérissables. In Mich., vi, 7, P. G., 
t. Lxxxi, col. 1772. 

Saint Chrysostome tient pour absurde le sentiment 
de ceux qui, dans les fils de Dieu de la Genèse, voient 
des anges et non des hommes. Ils ne peuvent indiquer 
aucun endroit de l'Écriture, où les anges soient appe- 
lés fils de Dieu. Ils prétendent que les anges sont des- 
cendus du ciel pour s'unir à des femmes et ont ainsi 
déchu de leur dignité. Cest une fable. Voici, d'après 
l'Écriture, la cause de leur ruine. Avant que l'homme 
ne fût créé, le diable était tombé, aussi bien que ceux 
qui, avec lui, ambitionnèrent une plus haute dignité. 
Sap., Il, 24. S'il n'était pas tombé auparavant, comment, 
demeurant dans sa dignité première, aurait-il pu envier 
l'homme corporel? Parce qu'il avait passé de la gloire 
suprême à l'ignominie extrême, quoique incorporel, 
il vit l'homme honoré par le créateur, et jaloux de lui, 
le trompa. Il n'a pas pu supporter le bonheur d'autrui. 
C'est ainsi que lui et sa cohorte sont tombés. Une 
nature incorporelle n'a pu avoir de concupiscence. Les 
hommes sont dits fîls de Dieu dans l'Écriture ; dans la 
Genèse, ce sont les fils de Seth. In Gen., homil. xxii, 
2, 3, P. G., t. LUI, col. 187-189. Le diable n'a été rejeté 
et n'est devenu diable que par son orgueil. Ce vice 
l'a jeté loin de celui qui faisait sa confiance antérieure, 
l'a précipité dans la géhenne et en a fait l'auteur de 
tous les maux. In Joa., homil. xvi, n. 4, P. G., t. lix, 
col. 106. Le diable a été bon; sa paresse et son déses- 
poir l'ont fait tomber, et sa malice est telle qu'il ne 
pourra jamais se relever. De pœnit., homil. i, n. 9, 
P. G., t. xux, col. 279. Au paradis, le serpent a c'ié 
l'instrument du diable. In Gen., homil. xvi, n. 1, 2, 
P. G., t. lui, col. 126-127. Le feu éternel n'a pas été 
fait pour nous, mais pour le diable et ses anges ; pour 
nous, le royaume a été préparé. Mais le diable travaille 
à nous faire aller avec lui dans la géhenne. Ad Théo- 
dorum lapsum, i, n. 9, P. G., t. xLvii, col. 287. Dieu 
a laissé le démon dans le monde, parce que ses atta- 
ques sont pour nous des causes de mérites et l'objet de 
couronnes. Ad Staginuni a dœmone veacatum, 1. I, 
n. 4, 5, ibid., col. 432-436. Il est resté pour nous tenter. 
Homil. de diabolo tenlatore, P. G., t. XLix, col. 257- 
266. Cf. P. G., t. LU, col. 509. Nombreux sont ses 
anges qui volent dans les airs. Exposit. in ps. xu, n. 5, 
P. G., t. Lv, col. 162. Ce sont les principautés et les 
puissances célestes, c'est-à-dire qui sont sous le ciel. Le 
ciel leur est inaccessible, et ils exercent leur tyrannie 
sur le monde seulement. De incomprehensibili Dei 
natura, homil. iv, n. 2, P. G., t. xlvii. col. 730. Ils ne 
gouvernent pas le monde cependant. Homil. quod des- 
mones nongubemantmundum,P. G., t. XLix,col. 241- 
258. Les démons, que Jésus chassait, étaient horri- 
blement tourmentés par sa seule présence. Croyant que 
l'époque de leur châtiment était proche et craignant 
les tourments qui leur sont réservés, ils demandaient 



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363 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



364 



au Sauveur de ne pas être jetés dans Tablme. Ils habi- 
tent les sépulcres, parce que beaucoup pensent que 
les âmes des morts sont des démons. In Matth., 
homil. xxviii, n. 2, P. G., t. lvii, col. 352. Ils aiment 
l'odeur des sacrifices comme s'ils mouraient de faim, et 
ils se complaiseiit dans les mystères obscènes. De 
S. Babyla, n. 13, P. G., t. l, col. 553-554. Saint Chry- 
sostome donne aux fidèles de nombreux conseils pour 
la lutte contre Satan l'adversaire. 

Pour saint Cyrille d'Alexandrie, le dragon apostat 
était parmi les anges, ainsi que les autres puissances 
mauvaises. Il était avec les chérubins. Ezech., xxviii, 14. 
Satan est tombé avec les autres anges ; de son propre 
mouvement, il a offensé Dieu. Par arrogance et par 
faste, il a oublié sa propre dignité et a troublé une 
création admirable. Glapliyr. in Gen., 1. I, n. 3, P» G., 
t. Lxix, col. 21, 24. Dieu a chassé le diable de la cour 
céleste, parce qu'il demandait un honneur, supérieur à 
celui de sa condition, Is., xiv, 14, et il l'a condamné. 
Le diable s'était imaginé pouvoir s'élever à la nature 
du créateur et siéger sur le même trône que Dieu, 
Mais il est tombé comme la foudre. In Joa., l. V, c. iv, 
P. G., t. Lxxiii, col. 809. Son envie a fait entrer la 
mort dans le monde, 1. I, n. 24, col. 145. Il était un 
ange excellent^ le premier de tous. Ezech., xxviii. Il est 
le prince des démons. Sa tyrannie n'a pas commencé au 
temps de Notre-Seigneur, et le? esprits mauvais avaient 
été condamnés auparavant à s'ensevelir dans l'abîme. 
Ils étaient torturés déjà cependant, et ils attendaient à 
son futur avènement les supplices qui leur étaient dus. 
Si l'un de leurs princes est lié, un autre a trompé Adam 
et n'a pas cessé de tenter les hommes. S'il en est ainsi, 
le premier n'aurait pas fait de mal parmi les hommes. 
Quoi qu'il en soit, Satan est le père des méchants, ses 
fils, et l'auteur du mal, Glaphyr. in Gen., 1. VI, P. G., 
t. LXix, col. 893. Julien l'Apostat avait parlé du ma- 
riage des anges avec les filles des hommes. Mais les 
saints anges n'ont pas de corps et ne recherchent pas 
les voluptés. Julien lisait donc au c. vi de la Genèse la 
leçon : o\ afreXoi toO 6soO. Mais l'Écriture véritable, 
que Cyrille a entre les mains, a : ol v:o\ toO OeoC. Les 
autres traducteurs grecs ont connu cette leçon, et 
les fils de Dieu sont la postérité d'Énos. Cont. Julian., 
1. IX, P. G., t. Lxxvi, col. 953, 956-957. Puisque les 
anges sont incorporels, comment auraient-ils pu avoir 
des rapports avec les femmes? Les filles des hommes 
étaient de la race de Caïn. Quatre traducteurs grecs 
après les LXX ont connu la leçon : c fils de Dieu. » Il 
est absurde de penser' que les anges puissent accom- 
plir un acte contraire à leur nature. Quelques exem- 
plaires ont bien la leçon : rHyfsXoi^ mais à la marge ; la 
vraie leçon est : « fils de Dieu. » Adversus anthropomor- 
philas, c. xvii, ibid., col. 1105, 1108. La même expli- 
cation est répétée. Glaphyr. in Gen., 1. II, n. 2, P. G., 
t. LXix, col. 51-56. Les voluptés sont naturelles aux 
hommes, qui sont de chair. Les démons sont impurs, 
parce qu'ils portent à toutes sortes de turpitudes. Les 
géants étaient des hommes. Pour expliquer qu'ils peu- 
vent être fils d'anges, on a prétendu que les démons 
étaient entrés dans le corps d'hommes méchants et par 
eux avaient engendré. L'explication est absurde, et la 
vraie leçon scripturaire est « fils de Dieu », qui désigne 
des fils de Seth et d'Hénoch, les hommes pieux, unis 
aux filles de Caïn, race perverse. 

Basile de Séleucie déclare qu'avant sa chute le diable 
avait la puissance de l'air, Eph., ii, 2, qu'il a perdu 
par son orgueil. C'est par orgueil qu'il a machiné la 
perte de l'homme. Orat., xxiii, n. 1, P, G., t. lxxxv, 
col. 269, 272. Il a été envieux à la vue du pouvoir 
qu'Adam avait reçu sur toute créature terrestre. Il recou- 
rut au mensonge pour le tromper, et fut ainsi homi- 
cide dés le commencement. Orat., m, n. 3, col. 53, 
56. Dans le récit de la Genèse, vi, 2, Basile lit : ulol toO 



6eoj. Quelques-uns y reconnaissent les anges; c'est leur 
attribuer une action contre nature, puisqu'ils n'ont 
point de corps. Les Grecs racontent bien les fables des 
noces des démons; les saintes Lettres ne parlent pas 
d'anges mariés; elles parlent des fils de Seth. Orat., 
VI, n. 2, col. 85, 88, 89. 

Saint Isidore de Péluse enseigne que, même après la 
venue de Notre-Seigneur sur terre, la peine du feu 
attend encore le démon. Epist., 1. II, epist. xc, P. G., 
t. Lxxviii, col. 533. 

La doctrine est donc, dans l'ensemble, identique chez 
tous les Pères grecs du iv« et du v« siècle. On la retrouve 
aussi dans des écrits, dont les auteurs sont inconnus et 
qu'on a attribués à des écrivains de cette époque. Si 
l'auteur du De passione et a^uce Domini, 27, 28, dans 
les Spw*iade saint Athanase, P. G., t. xxviii, col. 232, 
233, ignore la cause de la chute du diable, il en constate 
le fait dans Is., xiv, 12, et Jer., L, 23, et s'en étonne. 
Il sait que, par son envie, la mort est entrée dans le 
monde et qu'il a trompé Eve; il dit aussi que l'empire 
du diable a été détruit par la croix de Jésus. 

L'auteur des Quœstiones ad Antiochum ducern, q. vu, 
parmi les Spuria du même docteur, ibid., col. 604, 
après avoir déclaré que les démons ne diffèrent pas 
des anges par nature, se demande quand et pourquoi 
le diable est tombé. Q. x. Quelques-uns disent qu'il est 
tombé pour n'avoir pas voulu adorer Adam. C'est une 
sottise. Il est tombé avant la création d'Adam et par 
orgueil. Mais s'il est tombé du ciel, comment s'est-il 
trouvé au conseil des anges? Q. xii, 'col. 605. L'Écri- 
ture ne dit pas que ce conseil s'est tenu au ciel. Il a 
eu lieu sur la terre, car, partout où les anges se trouvent, 
ils assistent Dieu. Dieu a parlé au diable par un saint 
ange, comme un roi parle à un condamné par un inter- 
médiaire. 

Les Dialogues, attribués à saint Césaire de Nazianze, 
sont certainement inauthentiques. Leur auteur, quel 
qu'il soit, a sur les démons les mêmes sentiments que 
les écrivains précédemment cités. Il se demande d'abord 
comment les anges, s'ils sont incorporels, ont pu avoir 
commerce charnel avec des femmes et engendrer les 
géants. Bien qu'il admette encore que les anges ont un 
corps subtil, il tient pour une absurdité et une folie 
que les démons aient pu avoir des relations charnelles. 
Ils ont abandonné leur état, non leur nature. C'est donc 
un blasphème de prétendre qu'ils ont corrompu des 
femmes. L'Écriture n'en parle pas. Ce sont les fils de 
Dieu qui ont cohabité avec les filles des hommes. Nulle 
part, les anges ne sont dits fils de Dieu, tandis que 
l'Écriture donne ce nom à des hommes. Il s'agit des fils . 
de Seth et d'Énos, qui ont épousé des filles de Caïn. 
Dial., I, q. XLviii, P. G., t. xxxviii, col. 917, 920. Si le 
diable est tombé du ciel, comment a-t-il pu prendre 
part au conseil des anges? Q. xlix, col. 920, 921. Il n'y 
a pas assisté au ciel, d'où il a été chassé pour sa fureur. 
Mais Dieu est partout, et tous, même les démons, se 
trouvent en sa présence. Plus loin, cet écrivain dit que 
le diable est notre adversaire, non par nature, mais 
par volonté. Il a d'abord été le premier des anges; il a 
été précipité en bas, parce qu'il a été l'ennemi de Dieu, 
avant que l'homme n'ait été créé. Plus tard, il a séduit 
l'homme, en lui suggérant l'envie contre Dieu. Dial., 
III, q. cxxiii, col. 1016. 

2" En Occident. — La doctrine sur les démons, 
commune en Orient, pénètre peu à peu en Occident et 
finit par y devenir prédominante, bien que le mariage 
des anges avec des femmes ne soit pas d'abord si caté- 
goriquement rejeté. 

Pour saint Hilaire, le diable est le prince des or- 
gueilleux. Is., X, 13, 14. Il n'est pas seul, et il a pour 
ministres les esprits mauvais. In ps. cxviii, lilt. xvi, 
n. 8, P. L., t. IX, col. 608-609. Il est l'auteur de tous 
les maux; il tenddes pièges aux hommes et suggère tous 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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les crimes. In p$. cxL,ïi. 16, col. 83*2.11 parcourt en un 
instant toute l'amplitude de ce monde. In ps. cxviii, 
litt. I, n. 8, col. 507. Sa puissance est brisée; il n*est pas 
encore brûlé tout entier; le feu éternel lui est pr^^paré 
ainsi qu*à ses anges. In ps. cxLin, n. 11, col. 849. Il doit 
être jugé à la résurrection. In ps. cxviii, litt. xr, n. 5, 
col. 574. Les démons sont des montagnes, abaissées par 
Jésus-Christ, qui leur a préparé le feu éternel. Ils sont 
torturés par les paroles des croyants. Ils sont invisibles 
et incompréhensibles pour nous. Puniunturt cum vates 
silenl, cum muta sunt templa. In ps, Lxrv, n. 9, 10, 
col. 418, 419. Ce sont des oiseaux du ciel; ils ont de 
quoi vivre sans récolter, vivendi tribuitur de ssteimi 
consilii potestate substantia. Comment, in Matth., 
V, n. 9; vm, n. 9, col. 947, 957.. Tombés du ciel, ils 
fuient devant Dieu; mais la mort et la peine du ju- 
gement suivront leur fuite. In ps. Lxvir, n. 2, col. 443- 
4ii. L'évéque de Poitiers n'ignore pas ce qu'on raconte, 
de quo etiam nescio cujus liber exstat, que des anges 
sont descendus du ciel sur le mont Hermon, attirés 
par la concupiscence des femmes. Sed hœc pi^œlermit- 
tamus. Ou» enim libro legis non continentur, ea nec 
nasse debemus. In ps, cxxxii, n. 6, col. 748-749. 
Saint Hilaire dédaigne donc cette légende, et il ne voit 
pas le mariage des anges dans la Genèse. 

Saint Philastre range résolument cette légende au 
nombre des hérésies, et il la réfute par des arguments 
exégétiques, assez singuliers. Nemrod, le premier géant, 
nommé dans l'Écriture, était né après le déluge et pas 
d'un esprit, c'est-à-dire d'un ange, puisqu'il était flls 
de Chus et petit-fils de Cham. Les géants étaient des 
hommes puissants, forts, pillards, des monstres, comme 
plus tard Goliath. Les anges, chassés du ciel, ne sont pas 
semblables à la nature humaine; on ne peut en douter. 
Avant le déluge, ils suggéraient le mal aux hommes, 
comme plus tard à Judas, comme ils le font encore 
maintenant. Croire qu'ils se sont transformés en hommes 
et sont devenus charnels, c'est violenter l'histoire. C'est 
un mensonge des poètes de dire que les dieux et les 
déesses, changés en hommes, ont entre eux des relations. 
Comme cela ne s'est pas fait, il n'y a pas d'hésitation 
à avoir que c'est impossible. D'ailleurs, le nom de géant 
est pris en bonne part dans l'Écriture. Ps. xviii, 6. 
Liber de hœresibus, 108, P. L., t. xir, col. 1224-1226. 
Une autre hérésie était celle des manichéens, qui pré- 
tendaient que le corps a été fait par le diable, et qui 
honoraient les démons, 61, col. 1176. C'était enfin une 
hérésie de prétendre que le diable pourrait se repentir. 
Loin de là, parce qu'il avait suggéré le mal à Adam, le 
diable méritait un jugement plus sévère; parce qu'il 
était plus réfractaire à la pénitence, il attend de Jésus- 
Christ une plus grande servitude et il est réservé avec 
ses satellites à un plus grand jugement et au feu éter- 
nel. Matth., XXV, 41. Ibid,, 114, col. 1238-1239. 

Le diacre donatiste Ticonius interprète du diable les 
deux passages bibliques, Is., xiv; Ezech., xxviii. Il 
attribue donc la chute du diable à l'ambition. Le prince 
de Tyr voulait être semblable à Dieu; il a été expulsé 
du ciel. Le roi de Babylone représente le diable, les 
rois et les peuples, qui sont le corps du diable. Mundo 
finito, descendet in inferos. Les anges n'ont point de 
corps. Le diable est sur terre dans les hommes in con- 
culcalionem, pour être broyé sous les pieds des chré- 
tiens. Liber de septem reguîis, reg. vu, P. L., t. xviii, 
col. 55-66. 

Saint Jérôme unit aussi les démons au diable. Celui-ci 
n'a pas été créé tel ; il est devenu diable par sa propre 
volonté. In Epist. ad Eph,, 1. 1, c. ii, 5. P, L., t. xxvi, 
col. 467-468. Chusi, fis de Jémini, représente le diable, 
qui est, comme lui, éthiopien et flls de la droite. Quod 
mthiops est, vitio suo est; quod filius dexVerœ est, créa- 
tus a Dec. Tractatus de ps. vu, dans Anecdota Uared- 
solana, Maredsous, 1897, t. lub, p. 21. Il n'a pas été 



fait diable. Dieu n'a pas créé une nature mauvaise. Il 
est le prince tombé, dont parle le psaume Lxxxr, 7. Il 
est tombé, et il n'est pas mort. Une nature angélique 
peut recevoir la ruine, mais pas la mort. Il est tombé, 
Lucifer. Is., xiv, 12. Il est tombé, quia semper in cœ- 
lestibus versabatur. C'est le prince de Tyr, Ezech., xxviii, 
11 sq., qui primo erat in cselo, nunc faclus est prin- 
ceps Tyn, hoc est tribulationis islius sœculi. Il n'est 
pas tombé seul, puisqu'il est un des princes tombés. 
L'Apocalypse dit que le dragon, en tombant, a entraîné 
avec lui le tiers des étoiles, xii, 4. Tractatus de 
ps. Lxxxf, ibid., p. 77-78. Nous avons vu plus haut, 
col. 353, que saint Jérôme avait donné cette interpré- 
tation dans son remaniement du commentaire de TApo- 
calypse. de saint Victorin de Pettau. Diabolus unde 
ceciditf quia furtum fecilf quia homicidium fecitf 
quia adulteriuni fecitf Et hœc quidem mata sunt; 
sed diabolus non propter hoc cecidit, sed propter lin- 
guamsuam cecidit. Quidenim dûcitf In cœlum ascen- 
dam, super sidéra cœli ponam thronummcum, etero 
similis Altissimo. Is., xiv, 13. Tractatus de ps, cxix, 
ibid., p. 284. Lucifer, en effet, est tombé par orgueil. 
Ces paroles, il les a dites, ou bien avant sa chute, ou 
bien après. Avant, il voulait monter plus haut au ciel 
où le Seigneur habite, et il est tombé du ciel. Après, par 
arrogance, il se promettait encore de grandes choses, 
non ut interastra, sed supra astra Dei sit. In Isaiam, 
1. VI, c XII, 12-14, P. L., t. XXIV, col. 219. Superborum 
est diabolus princeps. l Tim., m, 6. Le prophète dé- 
crit son orgueil. Is., x, 13 sq. Tractatus de ps. xcrii, 
dans Anecdota Maredsolana, 1903, t. iiic^ p. 81-82. Le 
diable orgueilleux est représenté par Ézéchiel sous le 
type des princes et des rois superbes, qui, enflés d'or- 
gueil, sont tombés sous son jugement et dans ses pièges. 
In Ezech,, 1. IX, c. Xxviii, P. L., t. xxv, col. 267-268. 
Judicium diaboli nullum est aliud nisi superbia prop- 
ter quamde cœleslibus cecidit, Luc, xx, 18. Jn Isaiam, 
1. II, c. m, 4, P. L,, t. xxiv, col. 63. Cf. Epist,, xxii, 
n. 27, P, L., t. XXII, col. 413. Au sens mystique, le - 
diable est le serpent de la Genèse; il règne sur la 
terre, mais totus terra hœret. L'iniquité le presse sur 
la terre; il ne pourra donc faire pénitence; son ini- 
quité descendra : de cœloenim illi pœna vente t sempi- 
tema. Tractatus deps. JX, dans Anecdota Maredsolana, 
t. III &, p. 24. Son vêtement est souillé de sang et il ne 
sera pas purifié. Ubi sunt ergo qui dant diabolo pœni- 
tentiam et dicunt illum posse mundaHf Jn Isaiam, 
1. VI, c. XIV, 20, P. L,, t. XXIV, col. 2U.lntempore re- 
surrectionis non ent. Si autem non erit, quid respon- 
debunt qui diabolo dantpœnitentiam et illi quantum 
in se est archangelicum fastidium pollicenturf Ibid., 
1. VII, c. xvui, 12, col. 245. Il a été menteur dès le com- 
mencement et père du mensonge. Joa., viii, 44. Qtu)d 
multi non intelligentes, patrem diaboli volunt esse 
draconem, qui regnet in mari (Léviathan). Ibid., 1. VI, 
c. XIV, 24, col. 226. Cf. Tractatus in Marc, i, 13-31, 
dans Anecdota Maredsolana, t. m 6, p. 334-335. Il est 
le prince de l'air, où il habite, car il n'habite pas dans 
le ciel. Lui et ses satellites, per mundum vagantur, 
peccata insinuant. In Epist. ad Eph,, l. I, c. ii, 1, 
P. L., t. XXVI, col. 466. Il est difficile de dire ce que 
sont les principautés, les puissances et les vertus de 
damnation. Il faut les prendre dans un mauvais sens. 
Ce sont les anges déchus, et le prince de ce monde, et 
Lucifer, sur qui marcheront les saints. En attendant le 
jugement, infreni et niale libertate abutentes passim 
vagaHturetperprœcipitiacorruuntpeccatoi*um,lbid., 
1. 1, c. II, 7, col. 469. Les puissances des ténèbres, les 
esprits de malice qui sont dans les cieux, sont les dé- 
mons, qui toutefois ne sont pas au ciel, mais dans l'air. 
C'est l'opinion de tous les docteurs que l'air, qui est 
entre le ciel et la terre et qui est vide, est rempli de 
puissances adverses. Quelqu'un dira peut-être que c'est 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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le diable qui a distribué à chacun de ses satellites son 
office propre, et non pas Dieu. Ils sont libres, en effet, 
et ils ont chacun sa province de vices, comme dans 
une ville les fonctions diverses sont réparties ; c*est ainsi 
qu'ils gouvernent ce monde. Jbid., 1. III, c. vi, col. 546- 
547. Beaucoup de personnes du peuple prétendent qu'il 
y a des démons de midi. Ps. xc, 6. Ceteinini ego dico 
simpHcitev, quoniam dmmon eo tempore potestateni 
habet in nos, quando peccanius. Sive mane peccaveri- 
nms, dœnion ingreditur in nobis; sive vespere, sive 
nocte, quacumque pecraverimus fiora, dsemon ingre- 
ditur in nobis. Si auleni non peccaverimus meridie, 
non ingreditur in nobis. Videlis ergo quod frivoluni 
est quod vulgo dicilur. Tractatus de ps. xc, dans Anec- 
dota Maredsolana, t. m 6, p. 116". 

Bien que saint Jérôme ait dit que Lucifer orgueilleux 
avait entraîné avec lui le tiers des étoiles, bien qu'il ait 
déclaré que les démons n*ont point de sang, in /satani, 
1. XVII, c. LXiii, n. 3, P. L., t. XXIV, col. 612, cepen- 
dant il ne s'est pas prononcé avec netteté au sujet du 
mariage des anges avec les filles des hommes. S*il ne 
le rejetait pas, ce n'était pas qu'il s'appuyât sur le té- 
moignage du livre d'Hénoch, qu'il rangeait résolument 
parmi les apocryphes. De viris, 4, P. L., t. xxiii, 
col. 615; in Epist. ad Tilum, i, 12, P. L.,i. xxvi, 
col. 573. Il n'attache pas d'autorité à cet apocryphe au 
sujet du mariage des anges avec les filles des hommes. 
Il reproche, en outre, à Origène, sans le nommer, 
d'avoir confirmé par ce passage son hérésie des âmes 
descendant du ciel dans les corps ; Origène imitait en 
cela les manichéens. Saint Jérôme se borne à signaler 
ce mauvais argument en commentant le verset 3 du 
psaume cxxxii. Trcxtatus de ps. cxxxii, dans Anecdota 
Maredsolana, t. m b, p. 249-250; P, L., t. xxvi, 
col. 1293. Il donne un peu plus d'attention à ce ma- 
riage dans le commentaire d'Isaie, liv, 10. Il se de- 
mande quelles sont ces montagnes troublées durant le 
déluge : sont-ce les saints ou les démons? Quelqu'un 
pourrait les entendre des démons et des puissances 
adverses, gui tnderunt fdias hominum, quod essent 
bonœ, et amoris jaculo vulnerati, sumpserunt sibi 
uœores ex omnibus quas elegerunt et perdiderunt for- 
titudineni pristinam et nequaquatti in hoc diluvio 
sunt futuri. Hoc ille dixeint, cujus explanationeni 
lectoris arbitrio derelinquo. In Isaiani, 1. XV, c. liv, 
10, P.L.,i. XXIV, col. 521. Le saint docteur vise exclu- 
sivement le c. VI de la Genèse. Il ne rejette donc pas 
absolument l'interprétation appliquant aux anges cette 
union avec les filles des hommes; il la laisse à la libre 
appréciation de ses lecteurs. En commentant briève- 
ment Gen., VI, 2-4, il indique deux interprétations, 
puisqu'il voit dans les fils de Dieu, les saints ou les 
anges, et dans les géants, les anges encore et les fils 
des saints. Liber hebraicarum quœstionum in Gene- 
sim, c. VI, n. 2, 4, P. L., t. xxiii, col. 947-949. Selon 
sa coutume, le saint docteur signale, sans se pronon- 
cer, les deux explications en cours. Toutefois, s'il 
n'exclut pas l'interprétation des relations charnelles 
des anges avec les filles des hommes, il entend le ver- 
set 3 d'un répit de 120 ans laissé aux hommes cou- 
pables pour faire pénitence avant le déluge. Il semble 
ainsi préférer l'application du texte aux saints et aux 
fils des saints, c'est-à-dire à la race sainte de Seth, per- 
vertie par des mariages avec la race coupable de Gain. 
Saint Jérôme, à la suite d'Origène, avait admis la 
restauration finale de toutes choses, même des démons, 
verbi gratia, ut angélus refuga id esse incipiat quod 
creatus est. Comment, in Epist. ad Eph., l. II, c. iv, 
16, P. L., t. XXVI, col. 503. Rufin le lui reprocha. 
Apologia, 1. I, n. 41, P. L., t. xxi, col. 579. Saint Jé- 
rôme répliqua qu'il n'avait pas parlé en son propre 
nom et qu'il s'était borné à résumer l'interprétation 
d'Origène, sans la faire sienne. Apologia adversus 



libres Ru fini, 1. I, n. 26, P. L., t. xxiii, col. 418-419. 
Il enseigne, au contraire, très expressément que le feu 
éternel est dû au diable et à ses anges pour leurs 
crimes. Ibid., l. II, n. 7, col. 428-430. 

L'Âmbrosiaster (Hilarius Hilarianus) attribue aussi 
à l'orgueil la chute du diable. Il définit l'orgueil : alta 
sapere, et il ajoute : Diabolus cum alta sapuit, apo- 
slalavit. In Epist. ad Phil., xii, 16, P. L., t. xvii, 
col. 160. Avant la loi, le diable ne savait pas que Dieu 
devait le juger; il croyait son péché mort ; la loi donnée^ 
son péché a revécu. Ibid., vii, 8, col. 109. Les princes 
mauvais sont dans le firmament, et cependant ils 
agissent sur terre. In Epist. ad Phil,, ni, 20, 21, 
col. 417. Selon lui, quelques démons pouvaient se sau- 
ver, car, suivant saint Paul, la sagesse multiforme de 
Dieu a été manifestée par l'Église aux principautés et 
aux puissances célestes, ut agnoscentes per Ecclesiam, 
quse multifaHe ad vitam atlracla est, in Christo 
unius Dei manere mysteHum, desinant ab errore. 
La prédication ecclésiastique leur sera utile et elles 
abandonneront assensum tyrannidis diaboli, qua se 
adversus Dei unius fidem impia prœsumptione amia- 
vit. In Epist. ad Eph., m, 10, col. .382-383. 

Saint Augustin a exposé sur le diable et les démons 
une doctrine très ample et très complète. Tout en unis- 
sant les anges déchus au diable,* leur chef, tant pour 
la chute que pour la punition, il en parle souvent sé- 
parément, et il sera bon de le suivre dans ses dévelop- 
pements, propres à chaque catégorie. 

Les manichéens prétendaient que le diable n'était 
pas une créature de Dieu. De Genesi ad lilteram, l. II, 
c. xiii, XIV, n. 17,18, P. L., t. xxxiv, col. 436. Ne com- 
prenant pas qu'une bonne nature pût déchoir par 
orgueil, ils le disaient l'œuvre du mauvais principe, 
1. XI, c. XIII, n. 17, col. 436. Avant d'être diable, il était 
ange et bon. De baptismo contra donatistas, n. 13, 
P. L., t. XLiii, col. 162. Il est donc tombé. Mais est-ce 
ab initio mundi, ou bien a-t-il été quelque temps avec 
les anges, pariter justus et beatusf Quelques-uns 
disent qu'il est tombé par envie à l'égard de l'homme, 
qui avait été fait à l'image de Dieu. Mais l'envie a suivi 
et n'a pas précédé l'orgueil : causa invidendi, super- 
bia. Pourquoi est-il tombé?. Quia amavit propriam 
potestateni. Quand? L'Écriture ne le dit pas. En tout 
cas, c'est avant qu'il ait envié l'homme. Peut-être est-ce 
ab initio temporis, de sorte qu'il n'y eut pas de temps 
où il fut bon et heureux. Si ab initio homicida fuit, 
Joa., VIII, 44, ce fut à la création de l'homme; mais 
a veHtate non stetit, et hoc ab initio ex quo creatus 
fuit. Était-il heureux avant d'avoir péché? S'il a eu la 
prescience qu'il pécherait, il n'a pas été heureux. En 
tout cas, il n'a pas été heureux comme les anges de- 
meurés fidèles, non œqualiter beatus, non ita plane 
beatus. Ils étaient certains que leur bonheur durerait; 
lui, il était incertain de la durée du sien. Quelques- 
uns ont pensé qu'il n'était pas m sublimi, in supercœ- 
lesti natura, mais parmi les anges inférieurs, qui pou- 
vaient illicitum deleclare. De Genesi ad litteram, 
c. xiv-xvii, n. 17-22, P. L., t. xxxiv, col. 436-438. Un 
peu plus loin, l'évêque d'Hippone revient sur le même 
sujet. Selon lui, le diable, ab initio suœ conditionis, 
propria voluntate depravatus, non malus et Deo bona 
creatus, factus continuo se a luce veritatis avertit, 
superbia tumidus et proprisR potestalis delectatione 
conniptus. Il n'a donc pas goûté la béatitude de la vi& 
angclique. Continuo impius, consequenter et mente 
cœcus, non ex eo quod acceperat cecidit, sed ex eo- 
quod acciperet, si subdi voluisset Deo, parce qu'il n'a 
pas voulu se soumettre. De nouveau, il lui applique les 
textes d'Isaïe, xiv, 12-14 (au sens mystique) et d'Ézé- 
chiel, xxviii, 12-13, c. xxiii, n. 30-32, col. 441-442, 
attribuant sa chute à l'orgueil. Lui-même résume enfin, 
c. XXVI, n. 33, col. 443, toute sa pensée en ces deux 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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alternatives sur la chute du diable : aut ab iniiio, tni- 
pia $uperhxa cecidit,,», aut alios esse angelos infério- 
ns niinisterii in hoc mundo, inter quos secundum 
eoruni quanidani non prauciam beatitudinem vixeixit, 
et a quorum societate cum sibi subditis angelis suis 
tanquani archangelus cecidit pet* superbam impieta- 
teni. Si on ne peut admettre cette dernière partie de 
rallemative, il y a lieu de se demander comment tous 
les saints anges, si le diable a été parmi eux aliquando 
beatus, n^avaient pas encore la béatitude parfaite» qu'ils 
savaient ne pas devoir perdre, ou par quel moyen le 
diable, avant son péché, fuit discretus cum sociis, 
puisqu'il aurait été incertain de sa chute, tandis que 
les autres étaient certains de leur persévérance. Quoi 
qu*il en soit de ces points non résolus, il n'y a pas de 
doute que les anges pécheurs, emprisonnés dans Tair, 
in judicio jntniendos seroari. II Pet., ii, 4. Le diable 
a tenté Thomme qu'il enviait, par l'organe du serpent, 
c. xxvii-xxx, n. 34-39, col. 443-445. Le serpent n'est pas 
interrogé, et il est puni le premier, quia nec confiteri 
peccatum potest, nec habet omnino unde se excuset, 
La punition qu'il reçoit alors, non ea pcma, quss ul- 
timo judicio reservatur, Matth., xxv, 41,. ted pœna 
qum a nabis cavendus est. De Genesi contra mani' 
chteos, 1. II, c. XVII, n. 26, P. L,, t. xxxiv, col. 209. 
Le diable n'est donc pas puni pour adultère, ivrogne- 
rie, fornication ou rapine, mais pour son orgueil seu- 
lement, auquel se joint pourtant son envie. Enarrat, 
in ps. Lvui, n. 5, P. L,, t. xxxvi, col. 709. Duobus 
malis, superbia et invidentia, diabolus est. De sancta 
virginitate, c. xxxi, n. 31, P. L., t. xl, col. 413. Jn se 
exaltato corde recessit a Deo. Cont. advei^sarium legis 
et prophetarum, c. xy, n. 23, P. L., t. xlii, col. 615. 
Il n'est donc pas une mauvaise substance. Deserens 
dilectionem, et ad sttam nimis conversus, si videri 
cupit asqualis, superbiœ tumore dejectus est. Cont. 
Secundinum manichœum, c. xvii, ibid., col. 592. Il 
est devenu mauvais propina voluntate. Jntumuit per 
superbiam et a summa essentia defecit et lapsus est. 
De vei^a religione, c. xni, n. 26, P, L., t. xxxiv, 
col. 133. n n'était pas l'égal de Dieu; il a voulu se faire 
régal de Dieu, Is., xiv, 14, 15, et ainsi il est tombé ; 
puis il a versé cet orgueil à l'homme. In Joa., tr.XVII, 
16. P. L., t. XXXV, col. 1533. 

Les questions de l'origine, de la nature et du péché 
du diable que l'évéque d'Hippone avaient traitées, en 
393-394, dans son De Gettesi ad litteram, il les a re- 
prises, après 415, dans les 1. XI et XII de sa Cité de 
Dieu, mais au sujet de tous les anges déchus. Au l.IX, 
il avait longuement exposé la doctrine d'Apulée, de 
Platon et de Porphyre sur les démons, en concluant 
que, si ces païens admettaient de bons et de mauvais 
démons, l'Écriture n'en connaissait que de mauvais. 
P. L., t. XLi, col. 255-275. A son sentiment, ces mau- 
vais anges, avant leur chute, avaient la sagesse ; mais 
dans quelle mesure? Étaient-ils égaux aux bons anges? 
Personne ne peut le dire. Ils se sont détournés de 
ri nomination qui leur donnait la vie bienheureuse. Ils 
ont conservé la vie rationnelle, bien qu'elle soit en eux 
insipiens. De civitate Dei, 1. XI, c. xi, col. 327. Mais 
avaient-ils, avant leur faute, la même félicité que les 
anges demeurés fidèles? Saint Augustin pensait qu'ils 
avaient eu quelque félicité sans avoir toutefois la 
prescience qu^elle durerait pour eux. Il se pourrait 
que tous les anges aient eu le même bonheur jusqu'à 
la chute des mauvais et qu'après seulement les bons 
aient su qu'ils étaient confirmés dans ce bonheur. 
Quant au diable, ab initiosuœ conditionis, in veritate 
non stetit. Ideo nunquam beatus cum sanctis ange- 
Us, suo recusans esse subditum creatori et sua per 
superbiam velut privata potestate lœtatus, ac per 
hoc falsus et fallax. Il ne s'est jamais soumis à Dieu 
per eUuionem. Dès qu'il fut créé, justitiam recusavit. 



Néanmoins, on ne peut dire avec les manichéens que, 
ab initio, sa nature a été mauvaise : a veritate non 
stetit, c. xiii, col. 328-330. Ab initio diabolus peccat. 

I Joa., III, 8. Le prince de Babylone a été sa figure. 
Is., XIV, 12. Il est le prince de Tyr tombé. Ezech., 
xxYiii, 13, 14. In veritate fuit, non permansit. Il a été 
péché, non ab initio quo creatus est, sed ah initio 
peccati, quod ab ipsius superbia cotperit esse pecca- 
tum. Au commencement, il était figmentum Domini, 
C. XV, col. 330, 331. La déchéance progressive des dé- 
mons est une erreur d'Origène, c. xxiii, col. 336. Les 
démons ont donc péché, in ima hujus mundi detrusi, 
qui est velut carcer, usque ad futuram in die judicii 
ullimam damnationem. II Pet., ii, 4, c. xxxiii,col.346. 
Dieu a donc prévu qu'il y aurait deux catégories 
d'anges, dont l'une, éprise de sa propre beauté, a été 
précipitée en bas du ciel aérien, où sont les ténèbres* 

Dieu a créé les deux sociétés d'anges. Les mauvais 
le sont devenus, sua potestate potius delectati, velut 
bonum sibi ipsi essejit... habentes elationis fastum, 
vanitatis astutiam. L. XII, c. i, n. 1, 2, col. 349. La cause 
de leur misère fui' quod ab illo qui sumnie est aversi, 
ad seipsos conversi sunt qui non summe sunt. Hoc 
vitium, superbia,' Ecc\\. y n, 15, se illi prœferendo. C. vi, 
col. 353. Dieu prévoyant quosdam per elationem qua 
ipsi sibi ad bealani vitam sufficere vellent, tanti boni 
desertores, leur a laissé la liberté, dont ils ont abusé. 
L. XXII, c. i, n. 2, col. 751. Les démons n'ont donc pas 
été fait mauvais par Dieu; ils le sont devenus peccando, 

II Pet., II, 4; aussi la peine du jugement dernier leur 
est-elle due pour leur malice. De natura boni contra 
manichœos, c. xxxiii, P. L., t. xlii, col. 561-562. Les 
anges et les hommes sont l'œuvre de Dieu sine culpa; 
culpa nata est per liberum arbitrium, Cont. Julian. 
pelagianum, 1. VI, c. xvi, n. 64, P. L., t.XLiv, col. 819. 
Tous les anges ont été créés par Dieu; les rebelles sont 
rebelles par abus du libre arbitre. Ils ont fui la bonté 
qui les rendait heureux; ils n'ont pas pu fuir son juge- 
ment, qui les a rendus très malheureux. De correptione 
et gratia, c. x, n. 27; c. xi, n. 32, ibid., col. 932, 935. 

Sans nier absolument la possibilité pour les anges 
d'avoir des relations chamelles avec les femmes, 
saint Augustin a cependant refusé d'expliquer la chute 
des anges par la concupiscence. A propos de Vénus, 
il avait posé, en passant et sans la résoudre, la question 
de savoir si les esprits pouvaient coire corporaliter. 
De civitate Dei, 1. III, c. v, P. L., t. XLi, col. 81-82. 
Il en donna la solution, au sujet des fils de Dieu, 
unis aux filles des hommes. Gen., vi, 2-4. Selon lui, 
ces fils de Dieu sont des hommes. Mais comme, dans 
l'Écriture, les anges sont appelés fils de Dieu, beaucoup 
pensent qu'il est question d'eux dans ce récit de la 
Genèse. Les anges, étant des esprits, non possunt 
coire corporaliter. Toutefois, les anges ont apparu 
dans des corps, et le bruit public parle de sylvains et 
de faunes amoureux et d'esprits incubes. C'est pour- 
quoi, non hinc aliquid audeo definire, utrum aliqui 
spiritus, clemenio aerio corporati (on sent cet élé- 
ment, quand on agite un /labellum), possint etiam 
hanc pati libidinem, utquomodo possunt, sentientibut 
feminis misceantur. Quoi qu'il en soit, ce ne sont 
pas les saints anges qui sont tombés avec le diable, 
leur prince. D'autre part, les hommes sont appelés 
anges dans l'Écriture. Les géants ne sont pas néces- 
sairement des fils des anges; il y a eu des géants 
avant et après le déluge. Le contexte montre que ces 
fils de Dieu étaient des hommes : c'étaient les fils de 
Seth, alliés aux filles de Gain. Saint Augustin ne tient 
pas compte des fables des apocryphes. Le livre d'Hénoch 
n'est pas au canon des Écritures, et il n'est pas à croire, 
quand il parle de la naissance des géants ex angelis. 
Ibid., 1. XV, c. XXII, xxiij, col. 467-470. Cf. 1. XVIII, 
c. xxxYiii, col. 598. 



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371 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



372 



En 419, l'évoque d'Hippone est revenu sur ce sujet, 
dans ses Quœstiones in Heptateuchum, 1. I, q. iii, 
P. L., t. XXXIV, col. 549. Il se demande comment les 
anges ont- ils pu conaimbere cunx filiabus hominutii 
et engendrer des géants. II fait observer que beaucoup 
de manuscrits latins et grecs n'ont pas angeli Dei, 
m^is filii Dei. Quelques-uns résolvent la question en 
disant que les hommes justes sont appelés anges de 
Dieu. Cf. Mal., m, 1. Mais, si c'étaient des hommes, ont- 
ils pu engendrer des géants, et si c'étaient des anges, se 
niiscere cttm feniinis 9 Des géants ont pu naître des 
hommes; il y en a encore aujourd'hui. D'où, il est plus 
croyable que des hommes justes ont été appelés ou 
anges ou Gis de Dieu et que,*cédanjt à la concupiscence, 
ils ont péché avec des femmes, que d'admettre que 
des anges, qui n'ont pas de chair, aient pu commettre 
cette faute, quamvis de quibusdam dsenionibus, qui 
sint improbimulieribus, amultis tam muîta dicckntur, 
ut non facile sit de hac re definienda sententia. 
Malgré ses hésitations au sujet de la possibilité de 
l'union des démons avec des femmes, saint Augustin 
déclare expressément que cette union n'a pas été la 
cause de la chute des anges mauvais. Ils sont tombés 
par orgueil. Il déclare aussi que ex uno angelo lapso 
et damnato cœteri propagali non sunt. EnchiHdion, 
c. xxviii, P, L., t. XL, col. 246. 

Saint Augustin pensait que les démons avaient un 
corps. Bien qu'ils ne soient pas nés ex femina, verum 
habent corpus. Semi., xii, c. ix, n. 9, P. L., t. xxxviii, 
col. lOi. Ils sont aeria animalia, quorum corporum 
aeinorum natura vigent et propterea morte non 
dissolventur... Si autem transgr essores illi, ahte 
quam transgrederentur, cϔeslia corpora gerebant, 
neque hoc mirum est, si conversa sunt ex pcena in 
aeriam qualitatem. Ils auraient été changés de feu en 
air. De Genesi ad Htteram, 1. III, c. x, n. 14, 15, P. L., 
t. XXXIV, col. 28i, 285. Cf. De divinalione dœmonio- 
runi, c. II, P. L., t. xl, col. 584-585. Ils ont un corps 
par lequel ils souffrent, puisqu'ils avouent qu'ils sont 
tourmentés. De civitate Dei, 1. XXI, c. m, n. 1, P. L., 
t. XLi, col. 710. 

 la question si le feu de l'enfer pourra par son 
contact brûler les malins esprits, qui sont incorporels, 
il faisait deux réponses. Si, avec les hommes doctes, 
on dit que les démons ont des corps, formés ea; is/o aère 
crasso atque fiumido, cujus impulsus vento fiante 
sentilur, cet élément peut subir le feu ; comme dans 
les bains, l'air chauffé brûle avant de brûler. Si on dit 
que les démons n'ont pas de corps (ce que l'auteur ne 
veut pas rechercher ni discuter), les démons souffriront 
néanmoins du feu de l'enfer. L'âme de l'homme, qui 
est incorporelle, souffre bien par le corps. Donc, bien 
qu'incorporels, les démons-esprits, corporeis ignibus 
cruciandi, non ut ignés ipsi, quibus adhœrebunt, 
eorum junctura inspirenlur et animalia fiant, quo 
constent spiritu et cor pore, sedy ut dixi, miris et 
ineffabilibus modis adhœrendo, accipienles ex ignibus 
pœnam, non dantes ignibus vitam. Qu'ils soient 
corporels ou incorporels, les démons seront brûlés 
par le feu de la géhenne. L. XXI, c. x, n. i, 2, col. 724- 
725. 

Ces corps aériens habitent l'air, et pas les astres; 
aussi les démons sont-ils dits volatilia cœli. Senn., 
ccxxii, P. L., t. xxxviii, col. J091. Tombé des hau- 
teurs des anges, le diable est descendu dans l'air, 
qui lui sert de prison; il a été condamné à y vivre. 
L'enfer, où il est enfermé, II Pet., ii, 4, est cette partie 
inférieure du monde. Enairat.in ps. cxlviii,9jP.L., 
t. xxxvii, col. 1943. Quelques-uns pensaient que les 
anges déchus avec l'archange, leur chef, étaient in 
superiori parte aeris^ la plus proche du ciel; aussi 
distinguaient-ils les anges en célestes et supercélestes. 
Mais, après leur péché, les anges sont descendus dans 



la partie inférieure de l'air. De Genesi ad litteram, 
1. III, c. X, n. 14, P:L., t. xxxiv, col. 284; Enchiridion, 
c. xxviii, P. L., t. XL, col. 246. L'air dans lequel ils 
vivent leur sert de prison jusqu'au supplice étemel qui 
leur est réservé. Epist., cii, q. m, n. 20, P. L., 
t. XXXIII, col. 378; De civitate Dei, 1. VIII, c. xv, n. 1, 
2; c. XXII, P. L., t. xLi, col. 239-240, 246. Le diable 
habite à l'aquilon. Is., xiv, 13, 14. Enarrat. in 
ps, Lxxxin, 12, P. L., t. xxxvii, col. 1127. Si le dragon 
est dans la grande mer, c'est qu'il est tombé de sublimi 
habitatione cœlorum. Il lui a fallu occuper une place in 
hoc marimagno et spatioso. C'est son royaume, qui est 
sa prison. Il n'a de pouvoir d'y faire du mal, nisi per- 
missus. Il est dans cette mer, il ne peut en sortir. Ce 
siège parait grand, parce qu'on ne connaît pas les 
sièges angéliques, dont il est tombé. Qum tibi videtur 
ejus gloriatio, damnatio est. Il se trouve, en effet, in 
infimis. Enarrat. inps. cm, n. 7, 9, 10, P. L., t. xxxvii, 
col. 1382, 1385. 

Bien que, en punition de leur orgueil, les démons 
soient dépravés et in inferioribus ordinati, ils peuvent 
néanmoins entendre la voix de Dieu, qui leur parle 
comme aux bons anges. Cependant, cela ne veut pas 
dire qu'entendant la voix de Dieu, ils auraient pu avoir 
la foi chrétienne. Satan a pu paraître en présence de 
Dieu, qui voit tout et à qui personne ne peut échapper. 
11 a été aussi au milieu des anges, s'il s'agit des bons, 
sicut reus in medio apparito}*um judicis ; s'il s'agit des 
mauvais, comme un chef au milieu de sa troupe. Mais 
il ne voyait pas Dieu, qui lui a parlé par l'intermédiaire 
d'un bon ange. Les manichéens prétendaient à tort 
qu'il avait vu Dieu. Il voyait le corps de Jésus, lorsqu'il 
le tentait, mais il n'a pas connu sa divinité. Serm., xii, 
c. iv-ix, n. 4, P. L., t. xxxviii, col. 102-lOi. Cf. De 
civitate Dei, 1. IX, c. xxi, P. L., t. xli, col. 273. 
Saint Augustin, De divinatione da^moniorum, c. v, 
n. 9, P. L., t. XL, col. 586, pour expliquer comment 
les démons connaissent l'avenir, avait dit qu'ils con- 
naissent très facilement les pensées secrètes des 
hommes. Dans ses Rétractations, 1. II, c. xxx, P. L., 
t. xxxir, col. 643, il déclara qu'il avait affirmé trop 
audacieusement une chose très cachée, que les démons 
ne lisaient pas nos pensées, mais que quelques signes 
sensibles qui nous échappent étaient saisis par eux. 
Voir t. I, col. 2356. Le prince de la puissance de l'air, 
et ses anges, devenus ténèbres par l'abus de leur liberté, 
n'ont plus la liberté de bien faire, mais en punition de 
leur crime, ils ne peuvent que faire le mal. Epist., 
ccxvH, c. m, n. 9, 10, P. L,, t. xxxiii, col. 981-982. Le 
diable sera lié pendant mille ans pour lui enlever le 
pouvoir de séduire les nations. Il sera enchaîné dans 
l'abtme, c'est-à-dire dans la multitude des impies qui 
seront dans l'Église. Il était déjà en eux ; il y demeurera, 
mais excludendus a credentibus : ce qui signifie que, 
pendant ces mille ans, il ne pourra pas faire de nou- 
velles séductions. Il sera délié pour un peu de temps 
(trois ans et demi) avant le jugement. De civitate Dei, 
1. XX, c. VII, viii, P. L., t. XLI, col. 667-670. Les démons, 
créés immortels, seront précipités dans la seconde 
mort après le jugement. L. XIII, c. xxiv, n. 6, col. 402. 

Saint Augustin a rejeté très explicitement la possibi- 
lité, pour les démons, de faire pénitence et d'être réta- 
blis dans leur premier état. A Paul Orose, qui l'avait 
interrogé si le démon pouvait mériter le pardon, comme 
Origène l'avait prétendu, CommonitotHum de errore 
origenistarum et priscillianistarum, P. L., t. xiai, 
col. 668, l'évéque d'Hippone répond : Sapere nUtU 
audeas. La dernière sentence qui les frappera les con- 
damnera au feu éternel. Si, dans l'Écriture, setemum 
a parfois le sens de diuturnum, ce n'est pas le cas ici. 
Le feu éternel n'aura pas de fin, comme la vie éter- 
nelle. Dire que le diable ne sera pas rétabli, ce n'est 
pas diminuer le pouvoir de Jésus-Christ : Cuni diaboH 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



374 



p€tTUU dolemus, de regno Christi non dubitamus. Ad 
Oi'Oêium contra priscillianistas et origenistas, c. v, 
n. 5; c. VI, n. 7, ibid., col. 672, 673. Si l'homme, qui 
a été porté à la superbe par le diable, a été réconcilié 
et a eu un rédempteur, angeli qui, nullo suadente, 
spontanea prœvatncatione sic lapsi sunt, per media- 
toreni non reconciliantur. In Gai, expositio, 24, P, L., 
t. XXXV, col. 2122. Les anges pécheurs ne nous sont 
pas supérieurs, parce que nihil eis taie unde sanaren- 
fur impen$um est. Étant plus élevés que nous, ils 
devaient moins pécher ; ils sont d'autant plus coupa- 
bles, qu'ils ont été plus ingrats et déserteurs. Il n'y a 
donc pas pour eux de rémission. Jn Joa., tr. CX, n. 7, 
ibid., col. 1924-1925. N'étant plus libres de bien faire, 
ils sont endurcis dans le mal. Unde nemo sanm fidei 
crédit aut dicit hos apostalas angelos ad 'pristinam 
fieialeni correcla aliquando volunlate converti. 
Epist., ccxvii, c. III, n. 10, P. L., t. xxxiii, col. 982. 
Discutant enfin avec le pélagien Julien, qui soutenait 
la cause du diable, saint Augustin raisonne ainsi : 
Tu attribues au diable ou la nécessité ou la possibilité 
de pécher. Si c'est la nécessité, tu né peux l'excuser 
de crime; si c'est la possibilité, il ne peut donc avoir 
la bonne volonté, ni faire pénitence et ainsi obtenir la 
miséricorde de Dieu. C'est l'erreur qu'on proie à Ori- 
gène. Restât igitur ut ante supplù^ium ignis œterni, 
etiam nécessitas ista peccandi magna^sit diabolo 
magni pcma peccati, neque inde excuselur a crimine. 
Il est parvenu à cette nécessité de pécher, parce que 
d'abord il a librement péché. Operis imperfecli con- 
tra Julianum, 1. V, n. 47, P. L., t. XLV, col. 1483-1484. 
Et encore : Si tu dis que le diable, volontairement 
éloigné du bien, reviendra, s'il le veut et quand il vou- 
dra, au bien qu'il a abandonné, tu renouvelles l'erreur 
dOrigène, Ibid., 1. VI, n. 10, col. 1518. 

Cassien a apporté d'Orient en Occident les mêmes 
doctrines sur la chute des démons, et il a rejeté défi- 
nitivement la légende du mariage de ces esprits avec 
les femmes. Toutes les puissances spirituelles et les 
vertus célestes ont été créées par Dieu. Collât., viii, 
c. VII, P. L., t. XLix, col. 730-733. De leur nombre, 
quelques-unes sont tombées. Ézéchiel et Isaîe parlent 
d'un prince déchu. Il n'a pas été seul, puisque l'Écri- 
ture dit que le tiers des étoiles a été entraîné par le 
dragon. Âpoc, xii, 4. Saint Jude est plus clair encore, et 
le psaume lxxxi, 6, mentionne un des princes tombés; 
il y en a donc eu d'autres. Leur diversité provient ou 
bien des degrés antérieurs, dans lesquels ils avaient 
été créés, ou bien des degrés de leurs péchés, comme 
les bons anges se diversifient par les degrés de leurs 
mérites, c. viii, col. 733-735. Un des moines dit qu'il 
croyait que le diable était tombé par jalousie à l'égard 
d'Adam et d'Eve. Cassien répond que tel n'a pas été 
le motif de sa chute. La Genèse montre que le serpent 
était mauvais avant la tentation ; de angelica discesserat 
sanctitate. La cause de sa chute est antérieure à sa 
jalousie envers les hommes. Se meminerat conquisse. 
Priorem ejus lapsum,quo superbiendo corruerat, quo 
eiiam serpens meruerat nuncupaH, secunda ruina 
fkfrinvidiam subsecuta est. C. ix, x, col. 736-738. Le 
serpent a reçu une malédiction éternelle, c. xi, col. 7J9. 
Les démons sont nombreux dans l'air : tanta spirituum 
densitate constipalus est aer isle, in quo non quieti 
nec otiosi pervolitanl. C, xii, col. 740-741. Ils attaquent 
les hommes, et ils exercent leur domination chacun 
dans son domaine. C. xiii, xiv, col. 741-746. Tout 
homme a deux anges : un bon et un mauvais. L'exis- 
tence de ce manx'ais ange pour chacun est prouvée 
par l'exemple de Job et celui de Judas, dont il est dit 
au psaume cviii, 6 : Et diabolus stet a dextris ejus. 
C. XVII, col. 730-751. On demanda au conférencier, au 
sujet du mariage des anges apostats, utrum hoc possit 
spiritali naturœ secundum litleram convenire. Il ré- 



pondit : Nullo modo credendum est spinlales naturas 
coire cum feminis posse. Si cela avait été possible 
autrefois, pourquoi cela ne le serait-il plus aujourd'hui? 
On ne peut dire non plus qu'ils engendrent cum se- 
mine viri. Le texte biblique appelle anges de Dieu des 
descendants de Seth, qui ont épousé des filles de Caîn 
et en ont eu des géants. Du reste, divers exemplaires 
ont la leçon : « fils de Dieu. » C. xx, xxi, col. 754-760. 
Il n'est pas question non plus, Joa., viii, 44, du 
père du diable. SpiHlus spiritum non générât. Le 
diable, qui a été créé bon, n'a pas d'autre père que 
Dieu. Quand par orgueil il dit dans son cœur : In 
cadum conscendam, Is., xnr, 13, factus est mendax et 
in veritate non stetit. Il est devenu le père du men- 
songe, quand il dit : Eritis sicut dii. Gen., m, 5, 
c. XXV, col. 767-770. De la description que Cassien fait 
de l'action des démons sur les hommes, relevons seule- 
ment ces deux traits : ils ne connaissent nos pensées 
que par des signes extérieurs, et chacun d'eux inspire 
une espèce de passions exclusivement. Collât., vu, 
c. XV, XVII, col. 687-690, 691-692. . 

Les autres écrivains ecclésiastiques du \* siècle ne 
font que répéter l'enseignement commun. Saint Pros- 
per d'Aquitaine emprunte à saint Augustin ce qu'il 
dit de la chute du diable par orgueil. Liber sententia- 
>nim ex operibus S. Augustini detibatai*um, n. 59, 
P. L., t. Li, col. 436. Cf. Epigr., 62, col. 516-517. Saint 
Pierre Chrysologue attribue cette chute tantôt à l'envie, 
Serm., iv, CLXxii, P. L., t. lu, col. 194-195, 649, tantôt 
à l'orgueil. Serm., x%vi,co\. 272-273. Dieu, ^wi d«mo- 
nes est perpétua crematurus incendio, leur inflige, en 
attendant, des peines temporelles. Serm., lu, col. 345. 
Saint Léon le Grand emploie les mêmes formules que 
saint Augustin pour dire que le diable est tombé par 
orgueil. Serm., ix, c. i; xlviii, c. h, P. L., t. liv, 
col. 160-161, 299. Les priscillianistes prétendaient que 
le diable n'a jamais été bon, ni l'œuvre de Dieu, mais 
qu'il était sorti du chaos et des ténèbres; ils en fai- 
saient le principe de tout mal. Le pape leur oppose la 
foi catholique. Il serait demeuré bon, s'il était resté ce 
qu'il avait été fait, mais il a mal usé de son excellence 
naturelle et il s'est éloigné du souverain bien, à qui il 
devait adhérer. Epist., xv, c. vi, col. 683. De nouveau, 
reparaissent les formules augustiniennes. L'auteur de 
VEpistolaad Demetriadem, viii, P. L., t. lv, col. 168, 
dit : Superbia a diabolo sumpsit exordium, qui, 
quoniam sua, quam a crealore acceperat, potentia et 
dignitate sibi placuit seque auctoris sui gloHœ com 
paravit, cum iis angelis quos inconsensum impietatis 
tuœ traxerat a cœlesti humilitate dejectus est. Gen- 
nade. De ecclesiasticis dogmatibus, c. ix, P, L., 
t. LViii, col. 983, rejette la restauration finale des dé- 
mons et professe l'éternité de leur supplice dans le 
feu de l'enfer. Les anges sont corporels, bien qu'ils 
n'aient pas de chair, et les démons ont la substance 
de la nature angélique. C. xii, col. 98i. Leur nature 
était bonne, et pas mauvaise. Le diable, qui était bon, 
a péché, c. lx, col. 995. Les anges mauvais sont tombés 
par orgueil, c. lxi, col. 998. Ils étaient libres; unde 
Satan cum sequentibus legionibus cecidit. C. Lxii, 
col. 996. 

Les poètes chrétiens de l'époque mettent en vers la 
même doctrine. Saint Avit déclare que l'ange était cou- 
pable, avant de tenter l'homme. Il décrit en ces termes 
son péché : 

Se semet fecisse putans, suus Ipse creator 
Quod fuerit, rabido concepit corde furorem 
Auctoremque negans : Divinum consequar, inquit, 
Nomen, et leternam ponam super œthera sedem 
Excelso similis, siimmis nec viribus impar. 

Poem., 1. II, P. L., t. Lix, col. 331. Il explique le 
déluge parla luxure des hommes. L. IV, col. 345-347. 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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Pour Prudence, Haniartigenia, 126-128, ibid,, 
col. 1021, Dieu n'est pas le père des crimes; ce père 
est damnandus Avemo. Dieu n'est pas l'auteur du 
mal; c'est lange qui l'a inventé. Bel astre, esprit, saint 
et le plus beau des anges, 

nimis dum viribus auctus 
Inflatur, dum grande tumens sese altios offert. 

Il a cru qu'il s'était créé lui-même et qu'il était sans 
principe. 

Persuasit propriis genitum se viribus, ex se 
Materiam sumpsisse sïbi, qua primitus esse 
Inciperet, nascique suum sine principe cœptum. 

Il a voulu faire une secte, et il a entraîné d'autres 
avec lui. Ibid., 157-177, col. 1023-1025. Plus tard, il a 
été pris de jalousie pour l'homme, 178 sq. 

Conclusion. — Parvenu au terme de cette longue 
enquête sur la démonologie pendant les cinq premiers 
siècles, il est nécessaire de dégager les principales 
pensées des Pères de cette époque sur le diable et les 
démons. Si l'attribution de la chute de Satan à la ja- 
lousie envers l'homme fut prédominante pendant les 
trois premiers siècles, elle ne fut pas cependant uni- 
verselle; quelques écrivains ne donnaient pas le motif 
qui avait porté Satan à pécher ou en indiquaient d'au- 
tres que celui-là. Le passage biblique sur lequel on étayait 
ce sentiment était la parole de la Sagesse, ii, 24, suivant 
laquelle la mort est entrée dans le monde par l'envie 
du diable. La plupart des écrivains ecclésiastiques, qui 
expliquaient la chute de Satan par la jalousie, rappor- 
taient à la concupiscence charnelle la faute des mauvais 
anges. Mais ils étaient presque tous exclusivement tri- 
butaires des légendes du livre des Jubilés ou du livre 
d'Hénoch ; très peu se réfèrent explicitement au récit 
du c. VI de la Genèse, et ils le font, parce qu'ils suivent 
la leçon « anges de Dieu ». Quelques-uns de ceux qui 
lisaient c fils de Dieu » ne rejetaient pas absolument le 
mariage des anges avec des femmes, parce qu'ils attri- 
buaient aux anges un certain corps et parce qu'ils 
admettaient les fables païennes des faunes, des sylvains, 
des esprits incubes et succubes. Tous étaient imbus des 
préjugés de leur temps. Mais en cela, ils ne formaient 
pas une tradition ecclésiastique, et ils ne donnaient 
pas une interprétation traditionnelle du récit de la 
Genèse. Aussi, quand le livre d'Hénoch cessa de passer 
pour une prophétie, quand les Pères admirent nette- 
ment l'incorporéité des anges, quand on attribua la 
chute de tous les anges à l'orgueil, c'en fut fait de la 
croyance à l'union des anges avec des femmes. Des 
textes de l'Écriture, notamment les oracles d'Isaîe et 
d'Ézéchiel sur le prince de Tyr et le roi de Babylone, 
entendus de Satan à la lettre ou selon l'esprit, et le 
passage de l'Apocalypse, xii, 4, sur le tiers des étoiles, 
entraîné par le dragon, déjà interprété ainsi par saint 
Jérôme, amenèrent les écrivains ecclésiastiques à re- 
porter la chute de tous les anges avant la création de 
l'homme et à attribuer leur révolte contre Dieu à l'or- 
gueil. En faut-il conclure avec M. Turmel que a dans 
le cours du iv« et du v« siècle, la doctrine des démons 
subit une transformation importante ». « Jusque-là, 
continue-t-il, on les croyait issus du commerce des 
anges avec les femmes ; on reculait par là même leur 
origine vers l'époque du déluge. Â partir du iv« siècle, 
l'Église grecque, puis plus tard l'Église latine, ces- 
sèrent de voir dans les démons des êtres à moitié An- 
géliques et à moitié humains; et elles en firent des 
compagnons de Satan, tombés comme lui avant la créa- 
tion du genre humain. Cette transformation avait été 
provoquée par la disparition de l'ancienne doctrine 
qui expliquait la chute des anges par la luxure. » His- 
toire de Vangéhlogie, dans la lievue d^histoire et de 
littérature religieuses, 1898, t. m, p. 302. Pour faire 



essortir celte transformation, M. Turmel attribuer à 
tous les anciens écrivains ecclésiastiques l'opinion de 
Lactance et de Commodien, qui font des géants, issus 
de l'union des anges, des démons. Mais ce sentiment a 
été isolé. La plupart pensaient surtout aux anges mariés 
et faisaient périr ou enchaîner leur progéniture géante. 
Il y a eu donc modification seulement, et pour les rai- 
sons indiquées plus haut, du motif de la faute. Si elle 
est importante au sujet des démons, elle l'est moins 
pour le diable lui-même, qui, tout en ayant péché par 
orgueil, est demeuré jaloux de l'homme. Les deux doc- 
trines sur sa chute se sont superposées plutôt que rem- 
placées. La nature des anges prévaricateurs est donc 
restée la même; le motif de leur faute a seul changé. 
Pour tous, les anges sont des esprits déchus de leur 
première constitution, des esprits, qui n'étaient pas 
nécessairement mauvais, que Dieu avait créés libres et 
qui avaient mal usé de leur liberté. Devenus prévari- 
cateurs, ils ont été expulsés du ciel; ils habitent dans 
l'air, et sont destinés à être enfermés pour toujours 
dans l'enfer après le jugement dernier. Eusèbe de Ce- 
sarée et quelques autres mettent déjà cependant dans 
l'enfer la plupart des anges déchus. L'opinion com- 
mune leur réserve seulement pour plus tard le supplice 
du feu. Le sentiment de leur réintégration finale, pro- 
posé par Origène, n*a été admis que par quelques 
Pères; la plupart l'ont repoussé catégoriquement. Les 
anges, confirmés dans le mal, sont laissés par Dieu 
dans le monde pour tenter les hommes. Leur pouvoir 
est dépendant de la permission divine et restreint. Plus 
lard, ils seront punis dans le feu éternel et de leur pré- 
varication première et des nombreux péchés qu'ils ont 
commis depuis. La doctrine ecclésiastique sur le diable 
et les démons est fixée dans les grandes lignes; elle ne 
subira plus dans la suite que des retouches ou des 
compléments de détail. 

Petau, De angelis, l. III, c. i-viii, dans Dogmata theologica, 
Paris, 1866, t IV, p. 57-121 , et dans Cursus completus theologim 
de'.Migne, t. wi, col. 807-912 ; J. Schwane, Histoire des dogmes, 
trad. Degert, Paris, 1903, t i. p. xxxvi-xlii ; Robert, Les fils de 
Dieu et les filles des hommes, dans la Revue biblique, 1895. 
t. IV, p. 348-366, 870-378, 535-539 (article tendancieux, écrit en 
vue de prouver une thèse fausse) ; J. Turmel, Histoire de Can'^ 
gélologie des temps apostoliques à la fin du v siècle, dans la 
Revue d^histoire et de littérature religieuses, 1898, t m, 
p. 289-308 (à compléter et à corriger); Id., Histoire de la théo- 
logie positive depuis Forigine jusqu'au concile de Trente, 
Paris, 1904, p. 115-118; F. Martin, Le livre d'Hénoch traduit 
sur le texte éthiopien, Paris, 1906, p. cxxu-cxxxvi. 

III. Du VI» AU XV SIÈCLE. — Durant cette longue pé- 
riode de six siècles, la doctrine sur le diable et les dé- 
mons n'a fait presque aucun progrès dans l'Église. On 
se bornait à conserver et à répéter, bien maigrement 
encore, ce que les docteurs précédents avaient dit à ce 
sujet. Nous entendrons un écho aflaibli de toutes les 
opinions anciennes. Nous nous bornerons à quelques 
indications, uniquement pour ne pas rompre la suite 
de la tradition. 

l* En Orient. — Au vi» siècle, Procope de Gaza, in- 
terprétant Gen., I, 2, rapporte que, selon quelques-uns,, 
les ténèbres, créées le premier jour, représentaient 
le diable, et l'abîme, les mauvais démons. Il ajoute 
toutefois que, par sa création, le diable était bon et que 
c'est de lui-même qu'il est devenu calomniateur et 
mauvais. Comment, in Gen., i, 2, P. G., t. lxxxvii, 
col. 45. Il parlait par l'organe du serpent, et sa parole 
à Eve : « Vous serez comme des dieux, » signifiait que 
les hommes pécheurs ressembleraient aux anges, qui 
étaient tombés avec lui. Dieu ne l'interrogea pas, parce 
qu'il était incorrigible et inguérissable et qu'il ne méri- 
tait pas le pardon. Ibid., m, 1 sq., col. 180, 184, 201. 
Dans son commentaire sur Isaîe, Procope n'entend 
d'aucune manière du diable le c. xiv. Sur Gen., vi, 2sq.^ 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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il observe que quelques exemplaires ont la leçon : 
f anges de Dieu. > Quelques-uns pensent que Moïse 
désignait par là les puissances déchues ou les anges 
apostats. Mais ces anges ne peuvent avoir des relations 
avec les femmes; cela répugne à leur nature, quoiqu'ils 
abondent en malice. D'autres disent qu'ils avaient ces 
relations en même temps que des hommes. Si cela est 
vrai, cela ne se serait produit qu'à cette époque : ce qui 
serait bien extraordinaire. Le contexte prouve qu'il 
s'agit d'hommes sous ce nom d'anges de Dieu. Ibid., 
col. 265, 268. On dit que les anges transgresseurs 
apprirent aux femmes, avec qui ils se souillèrent avant 
le déluge, certains secrets, et qu'ils les écrivirent sur 
des pierres. Cest pourquoi Dieu fit graver le décalogue 
sur des pierres. Comment, in Eœod., col. 885-886. 

Saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, dit seu- 
lement que Lucifer, chassé par Jésus-Christ d'auprès 
de la demeure des hommes, habite dans l'abîme. 
Laudes in SS, Cyrum et Joannem, n. 15, P. G., 
t. LXXXYii, col. 3397. Saint Jean Climaque attribue à 
l'orgueil la perte de tous les démons. Scala paradisi, 
grad. XXV et schol. 40, P. G., t. Lxxxviii, col. 1001, 
1012. Saint Maxime le Confesseur déclare que les liens 
étemels et les ténèbres sont réservés aux anges tombés, 
après le jugement seulement. Quœst, ad Thalassium, 
q. XI, P. G., t. xc, col. 292-293. Il rapporte la chute du 
diable à l'envie : le diable a envié l'homme, parce qu'il 
participait à la gloire de Dieu, et il a envié Dieu, parce 
que Dieu sauvait l'homme. Capita, cent, iv, n. 48, ibid,, 
col. 1325. Anastase le Sinaîte est, sur ce point, mais à 
sa façon, du même sentiment. Isaïe et Ézéchiel nous 
apprennent que l'un des premiers anges, qui sont des 
êtres incorporels, faisant le fanfaron envers Dieu, 
tomba avec toute sa troupe. Il se croyait le maître de la 
nature. Quand il vit Adam créé et constitué chef du 
monde visible, brûlant de jalousie, il trompa l'homme 
par Eve. Dés le principe, il s'arma donc contre l'homme. 
V'wB dux, IV, P. G., t. Lxxxix, col. 90. Ailleurs, Anastase 
risout la question de savoir comment le diable put se 
tenir devant Dieu avec les anges. Ce n'est pas au ciel 
qu'il était devant Dieu, il n'en était pas digne; Dieu 
étant partout, on est devant lui partout où il est avec 
ses anges ou ses ministres. Si Satan a reçu de Dieu 
la mission de frapper Job, Dieu ne lui a pas parlé; les 
actes que Dieu lui concède de faire contre les hommes 
sont tenus pour des paroles. Quasst. ad Thalassium, 
q. XXXI, col. 568-569. On avait demandé à Anastase si 
les paroles de Jérémie, xxvii, 6, sur le roi de Babylone 
étaient dites allégoriquement du diable. Il se borne à 
répondre que le diable est l'ennemi de Dieu ; mais que, 
pour nous châtier de nos péchés. Dieu lui permet 
d'agir contre nous. Q. xxxii, col. 569, 572. Enfin, il 
affirme que le diable ne force personne à mal faire, 
qu'il suggère seulement le mal à accomplir, et il en 
conclut qu'il n'est pas l'auteur de toutes les fautes des 
hommes. Q. xcviii, col. 752. Un moine de la laure de 
Saint^Sabas, nommé Antoine, attribue à l'orgueil la 
chute du diable et cite Is., xiv, H. H omit., xlv, P, G., 
t. Lxxxix, col. 1572. 

Saint André de Césarée a interprété Apoc, xii, 3 sq., 
de la première chute de Lucifer. Le tiers des étoiles, 
entraîné par la queue du dragon, désigne ou bien les 
anges poussés par l'envie et l'orgueil à la suite de 
Satan, ou bien les hommes broyés par la queue du 
monstre. Le combat avec Michel peut aussi s'accom- 
moder avec cette chute. Saint Justin a dit que le diable 
avait appris seulement au premier avènement du Christ 
qu'il serait condamné à l'abîme et à la géhenne du feu. 
Comment, in Apec, P. G., t. cvi, col. 321, 325, 328. 
La citation de saint Justin est répétée, c. lx, col. 408- 
409. 

Au VII* siècle, Olympiodore d'Alexandrie dit que Dieu 
pariait au diable par l'intermédiaire de ses anges 



et qu'il dut accorder à Satan Tautorisation d'attaquer 
Job. In beatum Job, P, G., t. xcii, col. 24, 28. Pour 
saint Jean Damascène, De fide orthodoxa, 1. Il, c. iv, 
P. G., t. xciv, col. 873-877, qui transcrit saint Grégoire 
de Nysse, Oral, calech., 6, le prince des vertus angé- 
liques, à qui Dieu avait donné la charge de veiller sur 
la terre, n'était pas mauvais par nature; il a été créé 
bon et capable de bien, sans avoir reçu du créateur 
la moindre trace de malice. Il ne supporta pas la beauté 
et l'honneur qu'il avait reçu; il a changé librement sa 
nature, il s'est révolté contre son Dieu, et le premier, il 
est devenu mauvais. Créé lumière, il s'est librement 
changé en ténèbres. En même temps que lui, une 
troupe innombrable d'anges s'est tournée vers le mal. 
Toutefois, ils ne peuvent rien faire sans la permission 
de Dieu. Ils prédisent l'avenir, qu'ils ont quelquefois 
prévu dans ses causes éloignées ou par simple conjec- 
ture; aussi mentent-ils souvent. Ils ne peuvent faire 
violence à l'homme. Le feu inextinguible et des sup- 
plices éternels leur sont préparés. La pénitence ne 
leur est pas plus possible qu'elle ne l'est à l'homme 
après sa mort. Dieu a créé le diable, bien qu'il ait 
prévu qu'il deviendrait mauvais. Dialogus contra ma- 
nichœos, n. 46, col. 1518. La défection du diable a été 
libre. De diaconibus, col. 1600. Dans ses Sacra parai- 
lela, litl. A, tit. vi, P. G,, t. xcv, col. 1096-1097, il 
prouve que les anges pécheurs seront punis, en citant 
Job, XXVI, 13; II Pet., ii, 4; Jud., 6, et des passages de 
Didyme, de Nil et d'Évagre. Plus loin, litt. A, tit. xxv, 
col. 1406-1409, il démontre la chute du diable par I Reg., 
xvi, 23; I Par., xxi, 1 ; Job, xl, 11, 12; xli, 21, 24, 14, 
19, 30; Zach., m, 1, 2; Is., xiv, 12-20; Dan., viii, 25; 
Sap., II, 24; Matth., iv, 1-10; Luc, x, 18, 19; Jac, iv, 
7; I Pet., v, 8, et par une citation de saint Basile (sur 
l'envie) et une autre de saint Grégoire de Nazianze (sur 
l'arrogance du diable). Saint André de Jérusalem si- 
gnale l'orgueil de Lucifer. Orat., xx, P. G,, t. xcvii, 
col. 1256. Saint Grégoire d'Agrigente déclare qu'on ne 
peut admettre que les démons lisent les pensées des 
hommes; ils les découvrent seulement à l'aide de quel- 
ques indices ou signes extérieurs. In Ecclesiasten, 
1. IX, § 18, P. G., t. xcviii, col. 1124-1125. 

Au ix« siècle, Photius répond à plusieurs questions 
sur le diable et ses anges. Quel est le père du diable? 
Quelques-uns disent que c'est celui qui s'est élevé à la 
plus grande malice et a commis les plus grandes 
fautes. D'autres répondent que c'est le serpent et qu'il 
est tombé avant la création de Thomme. Mais le diable 
n'a pas de père; il a des fils qui sont les pécheurs. Le 
diable lui-même (et pas son frère) est homicide dès le 
commencement; il ne s'est pas maintenu dans la vérité, 
parce qu'il a menti contre son créateur. QusRst. ad Am- 
philochium, q. XLVii, P. G., t. CI, col. 352-356. Satan 
est le diable apostat. Q. ccxli, coi. lOiO-1041. Las 
principautés et les puissances résident dans l'air. 
Q. cxxii, col. 712-713. Ceux qui pensent que les fils de 
Dieu, Gen., vi, étaient des anges, se trompent grossière- 
ment; c'étaient les fils de Seth. Q. ccLV, col. 1065-1068. 
Au X* siècle, saint Aréthas de Césarée reproduit par- 
tiellement les explications de saint André, avec quel- 
ques particularités cependant. Pour lui, la queue du 
dragon est l'air; ses sept têtes sont des puissances spi- 
rituelles. Comment, in Apoc, c. xxxiii, P, G., t. cvi, 
col. 661, 664, 665. La parole de saint Justin est citée 
encore, c. lx, col. 749. Georges Hamartolos reconnaît 
le diable dans le serpent tentateur. Chronic, 1. Vil, 
14, P. G., t. ex, col. 1272. Le patriarche d'Alexandrie 
Eutychius entend des fils de Seth les fils de Dieu de la 
Genèse, tout en ajoutant à son interprétation des dé- 
tails légendaires. Ils se trompent ceux qui y voient des 
anges. Ces substances simples n'ont pas de passions 
voluptueuses. S'ils avaient commis cette faute, ils ne 
laisseraient pas une seule fille vierge. Annales, P. G., 



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DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



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t. CXI, col. 911-913. Œcuménius cite à son tour la pa- 
role de saint Justin. Il applique au diable Is., xiv, 14, 
et il ajoute qu'une fois tombé, il a cherché à faire aux 
hommes le plus de mal possible. Comment, in Epist. 
1 Pétri, c. VII, P. G., t. cxix, col. 573. 

Au XI* siècle, Georges Cedrenus emprunte à la Petite 
Genèse, c'est-à-dire au livre des Jubilés, des détails 
sur la chute des Égrégores ou des veilleurs, mais il 
voit en eux des fils de Selh, nommés fils de Dieu à 
cause de la beauté de Seth. Ils vécurent proche du 
paradis jusqu'à l'an mille, menant la vie des anges. 
L'auteur premier de tous les maux, ne supportant pas 
leur genre de vie, les poussa à se souiller .vec les filles 
de Caïn. De ces unions naquirent les géants. Dieu en 
fit dévorer beaucoup par des globes de feu ou par la 
foudre; les autres périrent dans le déluge sans s'être 
repentis. Les Égrégores avaient pris leurs femmes sur 
le mont Hermon; ils leur apprirent les venins et les 
incantations. Âzaël, leur chef, apprit aux géants à fa- 
briquer des glaives et des instruments de guerre. 
Chaque prince (deux cents étaient descendus sur la 
montagne) enseigna des secrets particuliers. Ces der- 
niers traits qui se rattachent mal aux précédents, sont 
empruntés au livre d'Hénoch. Historiarum compen- 
dium,P. G., t. cxxi, col. 40-44. Michel Psellus a écritun 
traité De dœmonum operatione, P. G,, t. cxxii, col. 820- 
876. Sur la nature des démons, il dit qu'ils ont des corps, et 
qu'ils remplissent l'air, la terre, les eaux et le monde en- 
tier. C. X, col. 841. On les distingue en six genres. C. xi, 
col. 844-845. Ils ne sont ni mâles ni femelles, quoiqu'ils 
prennent parfois les formes extérieures des deux 
sexes ; ils parlent les langues des divers pays, où ils 
sont; on peut les frapper et ils soufi'rent des coups 
qu'on leur administre. C. xvii, col. 860. Psellus a com- 
posé un autre traité : Quœnam sint Grœcoi^m opi- 
niones de dœmonibusf <^ol. 876-881. Théophylacle ex- 
plique que les puissances de l'air habitent dans l'air 
sans y commander ni le gouverner. Celui qui était 
leur chef avant la chute est demeuré à leur tête après 
leur transgression. Eocpoiitio in Epist. ad Eph., c. ii, 
2, P. G., t. cxxiv, col. 1052. Il cite, lui aussi, la parole 
de saint Justin. Exposit. in Epist, I S. Pétri, c. v, 8, 
P. G., t. cxxv, col. 1249. 

Au XII* siècle, Thi.'ophane Kerameus se demande d'où 
le démon sait que Jésus peut le tourmenter. Marc, 
V, 7. Il ne le sait pas de lui-même, puisque depuis sa 
chute il était devenu ténèbres; il le sait par dispensa- 
tion divine. Les démons demandaient de ne pas aller 
dans l'abime, où ils savaient que d'autres y avaient 
déjà été jetés par Jésus. Craignant un pareil sort, ils 
préféraient être envoyés dans le corps des pourceaux. 
Homil., IX, P. G., t. cxxxii, col. 276. Zonaras rapporte 
que le dragon, qui agissait parle serpent, a fait tomber 
^ les hommes par jalousie. Annales, 1. I, n. 2, P, G., 
t. cxxxiv, col. 56. Les fils de Dieu, Gen., vi, 2, sont 
pour lui exclusivement des fils de Seth; il ne parle 
même plus de l'interprétation qui y voyait des anges, 
n. 4, col. 60. A la même époque, Michel le Syrien, pa- 
triarche des jacobites (1166-1199), rapportait cependant 
encore les deux explications de ce passage. Voir t. i, 
col. 1255-1256. 

2» En Occident, . — Dans son Thesaw^s, Eugippius 
emprunte à saint Augustin sa doctrine sur la chute et 
la nature du diable : tombé par orgueil, il est l'auteur 
du mal. C. xxxvi-xxxviii, P, L., t. lxii, col. 631-637. Il 
sera damné à la fin du monde. C. CLXxxviii, col. 643. 
Saint Fulgence est aussi tributaire de saint Augustin. 
Rien n'a été créé par le diable. De incamatione Filii 
Dei, n. 51, P. L., t. lxv, col. 600. L'orgueil est le pre- 
mier des péchés. Eccli., x, 15. Ad Monimum, 1. I, 
c. xvii, col. 165. Le diable n'est pas mauvais par sa 
condition première, mais par sa faute; il a commis le 
premier péché, qui Ait un péché d'orgueil. Epist., m. 



c. XV, col. 334. Détourné deson créateur et condamné à 
la damnation éternelle, il a été jaloux de l'homme. De 
fide, n. 31, col. 687. Une partie des anges désobéirent 
au créateur et déchurent de leur rang. Us seront 
punis au jugement, II Pet., ii, 4, et tourmentés par le 
feu éternel. Us n'ont gardé rien de bon de leur condi- 
tion première, et ils vivent dans l'air en attendant le 
jugement. De Trinitate, c. viii, col. 504. Us ont un 
corps aérien, tandis que les bons anges ont un corps 
éthéré ou de feu, c. ix, col. 505. Pour saint Césaire 
d'Arles, le diable est un archange. D'après les Statula 
Ecclesiœ antiqua, 8, P. L., t. Lvi, col. 880, qui sont de 
lui, le diable n'était pas mauvais par nature comme le 
prétendaient les manichéens; mais il a péché par 
orgueil. Set^i., ccxcvi, n. 4, dans l'Appendice de saint 
Augustin, P, L., t. xxxix, col. 2311. Voir t. ii, col.2172- 
2173; P. Lejay, Le rôle thcologique de Césaire d'Arles, 
dans la Bévue d'histoire et de littérature religieuses, 
1905, p. 161-162. 

Dans son commentaire de l'Apocalypse, écrit sous le 
règne de Theudis (531-548), Apringius de Béja parle 
peu de Satan. C'est l'ennemi du genre humain, qui 
tentait les habitants de la terre et que Jésus-Christ a 
lié pour toujours dans l'abîme par la vertu de sa croix, 
pour qu'il ne pût séduire encore les nations. Après 
mille ans, il sera délié peu de temps, une heure, et 
par la volonté de celui qui lui commande. Ce sera après 
la résurrection, pour le jugement. Alors, l'auteur des 
ténèbres sera lié pour aller aussitôt à sa perte éternelle 
dans le feu éternel, où il sera reçu avec tous ceux qu'il 
a entraînés dans la faute de son orgueil. Ainsi le sé- 
ducteur périra avec ceux qu'il a séduits. Dom Férotin, 
Apringius de Béja, Son commentaire de l'Apocalypse, 
Paris, 1900, p. 63-66. Un autre commentateur du même 
livre, Primasius, évêque d'Adrumète (t586), reconnaît 
dans le tiers des étoiles, entraîné par le dragon, omne 
corpus malo)^m, sive in angelis quos de cœlo secum 
pari rttina delraxit, sive in hominibus quos seduxit. 
Le combat avec Michel a lieu, non dans le ciel, mais 
dans l'Église. Le dragon représente à la fois le diable 
et ses anges, qui ei natura et voluntcUe similes sunt, 
et les hommes mauvais. Les démons ont été jetés sur 
terre, avant d'y avoir séduit les hommes. Comment, in 
Apoc, 1. III, P, L., t. LXYiii, col. 873-875. Cassiodore 
ne doute pas, lui, que le combat du dragon et de 
Michel n'ait eu lieu au commencement du monde, 
quand le dragon, prœcipitatus in tetram corruit,ita ut 
locum heatitudinis ulterius non haberet. Complexiones 
in Apoc, xii, P. L., t. lxx, col. 1411. Le diable a été 
créé bon ; mais, après qu'il eut volontairement péché. 
Dieu en a fait l'objet des moqueries des anges, quando 
propter exsecrabilem perversitatem nativa dignitate 
privatus est. Exposit. inpsalterium, ps. an, 26,i&td., 
col. 736. Satan ou le dragon est le plus méchant des 
démons. Sa tête a été brisée, quando superbia ipsius 
de cmlo dejccla est et nativam claritatem retinere non 
mei'uit, qui se voluntaria obscuritate maeulavit. Ibid., 
ps. Lxxiii, 13, col. 531. Lui et ses ministres seront con- 
damnés au jugement dernier. Ibid., ps. cvii, 7, col. 828. 
Les hérétiques ne peuvent pas dire que le diable et ses 
suivants seront rappelés un jour en grâce, puisque 
leur nom est effacé in mtemum et in sssculum sœculi, 
Ibid., ps. IX, 5, col. 81. 

Saint Grégoire le Grirand a souvent parlé des anges 
déchus et de leur chef, surtout dans ses Morales sur 
Job, où il interprète du diable les descriptions de 
Béhémoth et de Léviathan. Le premier ange apostat, 
créé avant toutes choses, s'était promptement eni\Té 
d'orgueil. In 1 Beg. expositio, 1. III, c. v, n. 9; L IV, 
c. I, n. 9, P. L., t. LXXix, col. 205, 222. Créé bon, il 
avait péché volontairement. Moral., ï. XXXII, n. 17, 18, 
Pk L., t. Lxxvi, col. 646. Il était la première et la plus 
noble des créatures, Ezech., xxxi, 8, 9, tenant le premier 



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381 



DÉMON D'APRÈS LES PÈRES 



382 



rang dans les neuf ordres angéliques, un chérubin, 
Ezech., xxviii, H, surpassant tous les autres par sa 
science, principium viarum DominL N. 47, 48, col. 664- 
666. Cf. Homil. in Evangel., xxxiv, n. 7, ibid., 
col. 4250. S'il a perdu sa félicité, il a gardé la gran- 
deur de sa nature. Il avait été créé, ut conditorem 
8uum caste timere debuisset, mais il a perdu la 
crainte de Dieu. Ne craignant plus personne par suite 
de sa perversité, jtis perversss UbertatU appetiit ut et 
prseesset cœteris et nulli subesset, Is., xiv, 14. Il res- 
semblait à Dieu, cujus eo ipso similitudinem perdidit 
quo esse ei superbe similis in celsitudinc concupivit. 
Qui enini chantateni ejus imitan debuit, subditus 
ambiit ejus similitudinem, et hoc quod imitari pote- 
rat, aniisit elatus, Sed dum privatam celsitudinem 
superbe appetiit; jure perdidit par ticipatam. Relicto 
enim eo cui debuit inhœrere principio, suum sibi 
appetiit quodam modo esse frincipium. Relicto eo 
qui vere ilU sufficere poterat^ se siH sufficei*e posse 
judicavit, L. XXXIV, n. 3942, col. 740-741. La faute du 
diable a donc consisté à vouloir se rendre indépendant 
de Dieu. Mais l'indépendance absolue est un bien 
propre de Dieu. Le diable a donc voulu se rendre ainsi 
semblable à Dieu. Ce fut là sa première folie. L. XXVIII, 
n. 11, col. 452; cf. 1. XXXIV, n. 47, col. 744. Chassé 
du ciel, il est dans Tair comme dans une prison, ne ad 
caslestia evolare prœvaleat ; pœnœ sub pondère coarcta- 
tur; il lui est interdit de tenter les bons autant qu'il le 
voudrait. L. VIII, n. 39, t. lxxv, col. 824. C'est ainsi qu'il 
est lié; à la fin des temps, il sera délié afin de pouvoir 
séduire plus librement les hommes. L. XXXII, n. 22, 
t. Lxxvi, col. 649; cf. 1. IV, n. 16, t. lxxv, col. 645-646. 
A la fin du monde, il luttera avec saint Michel, extremis 
supplicio perimendus, Homil. in Evangel., xxxiv, 
n. 9, P. L., t. Lxxvi, col. 1251. Malgré son exclusion 
de la compagnie des anges, Satan a pu aller avec eux, 
parce que, tout en ayant perdu sa béatitude, il n'a pas 
perdu sa nature angélique, nature subtile, quoique 
chargée de crimes. Il s'est trouvé en présence de Dieu, 
parce que Dieu voit tout et que rien ne lui échappe. Si 
Dieu lui parle, il ne l'appelle pas à résipiscence; il lui 
reproche ses actes, et le démon répond à Dieu, parce 
qu'il ne peut rien lui cacher. Il ne peut agir sans la 
permission de Dieu ; sa volonté est mauvaise, sa puis- 
sance est juste. L. II, n. 4, 6, 8, t. lxxv, col. 557-564. 
Bien que le diable et l'homme aient péché par orgueil, 
1. XXIX, n. 8, t. Lxxvï, col. 487, l'homme a été racheté, 
et pas l'ange, parce que ce dernier n'avait pas Jes 
laiblesses de la chair et pouvait persévérer. Aussi, 
librement déchu, il ne fera pas pénitence. L. IV, n. 2, 
8, 9, t. LXXV, col. 642. Tous les mauvais esprits ont été 
créés absque carnis infirmitate. L. VIII, n. 50, col. 795. 
Us sont tombés du ciel éthéré dans le ciel atmosphé- 
rique et sur terre, où ils sont errants et vagabonds. 
L« II, n. 47, col. ^. C'est parce qu'ils avaient péché 
par orgueil que Dieu les a précipités hors du ciel. 
In I Heg. expositio, 1. II, c. i, n. 11, P. L., t. lxxix, 
col. 81, 82. Ils ont ainsi perdu l'état de vie éternelle. 
L. lU, c. II, n. 1, col. 160. Ils sont nombreux les anges 
tombés avec le roi d'Egypte, c'est-à-dire avec le prince 
des ténèbres, et ils ne veulent pas faire pénitence de 
leur faute. C. iv, n.8, col. 187. Ils seront punis de toute 
leur malice pendant l'éternité. Tout ce qui sert à faire 
progresser la gloire des saints malignis spiritibus 
crescit in damnationis augmentum, L. IV, c. iv, n. 10, 
col. 241. 

Selon Martin, évoque de Braga, Lucifer, le premier 
des anges, est tombé par orgueil : il a cru qu'il tenait 
de lui-même, et non de la bienfaisance du créateur, sa 
prééminence sur tous les anges. Is., xiv, 13, 14. Hœc 
enim cogitatio sola illum dejedt subito. Il perdit 
ainsi ce que Dieu lui avait donné. Opusculum de super- 
bia, 4, P. L., t. lxxu, col. 36-37. Taio, évoque de Sara- 



gosse, déclare, après saint Augustin, que le mal n'est 
pas une substance et que le diable en est l'auteur. 
Sent., 1. 1, c. XV, P. L., t. lxxx, col. 748. Pour saint Isi- 
dore de Séville le diable était le premier des anges, un 
archange. Sa chute a été irréparable. Elle a eu lieu 
avant la création de l'homme, nam, mox ut foetus 
est, in superbiam erupit. Fuit quidem in veritate con- 
ditus, sed non stando confestim a veritate lapsus est. 
Il a péché par orgueil, se Deo œqualem exislimans. 
Il ne demanda pas son pardon, parce qu'il ne voulait 
pas faire pénitence. Les anges tombés n'ont pas été ra- 
chetés, parce qu'ilsn'avaientpas, eux, comme l'homme, 
la fragilité de la chair. Sent., 1. I, c. x, n. 5-11, P. L., 
t. Lxxxiir, col. 554-555. Ils étaient mente rationabiles, 
superbia tumidi, et superbiam lapsi, nunc in aère 
commorantur. Différent., 1. II, c. xiv, n. 22, col. 76. 

Au VIII* siècle, le Vénérable Bède reconnaît le diable 
dans le serpent tentateur. Hexaemeron, 1. I, P, L., 
t. xci, col. 53; In Pentateuch. comment., Gen., m, 
col. 210-211. Dans les fils de Dieu, Gen., vi, 2, il voit 
les fils de Seth. Si quelques manuscrits ont la leçon : 
« anges de Dieu », il faut l'entendre des hommes. 
llexae neron, 1. II, col. 82-83. Les anges déchus sont 
enfermés et liés dans l'air ténébreux, qui est l'enfer; 
mais ils sont réservés pour de plus grands tourments 
au jour du jugement. In II Epis t. S. Pelri, c."ii, P. L., 
t. xciii, col. 75. Ces esprits superbes sont dans l'air 
ténébreux. In Epist, Judm, col. 125. Le dragon de 
l'Apocalypse, qui est le diable, entraîne avec sa queue 
une partie des anges et des hommes. Chassé du ciel, 
arctius in terrenis includitur. Explanatio Apoc, 
1. II, col. 166, 167. La géhenne est faite pour le diable 
et ses anges. Quelques-uns y sont déjà tourmentés; 
mais tous subissent toujours et partout la peine du feu : 
Qui ubicumque vel in aère volitant vel in terris aut 
sub terris vaganlur sive detinentur suai^m secum 
ferunt semper toi*menta flammarum, instar febrici- 
tantis qui et si in lectis ebwneis et si in locis ponatur 
apricis, fervorem tamen velfngus insitisibi languotis 
evilcu^e nonpossunt. Expositio super Epist, catholicas, 
Jac.,iiJ, 6, col. 27. Saint Julien de Tolède décrit la ter- 
reur du diable, quand il sera enlevé pour être damné. 
Prognosticon, 1. III, c. vi, P. L., t. xcvi, col. 500. Il sera 
précipité en enfer. Apoc, xx, 12, 14, c. xxxviii, col. 515. 
Saint Paulin d'Aquilée cite des textes scripturaires pour 
montrer que le diable a péché par orgueil, Liber 
exhortalionis ad Henricum Forojuliensem, c. xix, 
P. L., t. xcix, col. 210-212, et qu'il a été chassé du 
ciel. C. LXiv, col. 275. 

Au ix<» siècle, Alcuin se demande pourquoi le péché 
des anges est omis dans la Genèse, tandis que celui de 
l'homme est raconté. La raison qu'il donne dans 
sa réponse est que Dieu n'avait pas décrété de 
guérir le péché des anges, mais seulement celui de 
l'homme. Pourquoi le péché de l'ange est-il inguéris- 
sable? Parce que l'ange n'a pas été tenté, mais a été 
la propre cause de son crime. Inten^ogationes et reS' 
ponsiones in Gen., int. 3, 4, P. L., t. c, col. 517. Le 
diable s'est servi du serpent comme d'un instrument. 
Int. 60, col. 522. Les fils de Dieu sont des fils de Seth, 
ayant épousé des filles de Caïn. Int. 90, col. 526. Quant 
à la cause de la misère des mauvais anges, ce fut la 
suivante : Noluerunt ad illum custodire fortitudineni 
suam, qui est summum bonum, sed aversi sunt ab 
illo et ad seipsos conversi sunt, sua propria delectati 
potestale. Aussi l'orgueil est-il le premier de tous les 
vices, int. 93, col. 526. Smaragde revient à l'envie 
pour expliquer la chute du diable : Diabolus inter 
initia statim mundi zeli Hvore percussus, periit pri^ 
mus et sic perdidit alios, Postquam vero hominem 
ad imaginem Dei factum conspexit, in zeli livorem 
prorupit, et hominem miseruni suademdo decepit, 
sed et angelicam beaiitudinem quam habebat, miser- 



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383 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 384 



rimus amisit, Sap., ii, 24; Via regia, c. xxii, de zelo 
et livore, P. L., t. en, col. 961. Saint Âgobard de 
Lyon fait du diable Tinventeur de tout mai. Il a été 
homicide dès le commencement; il a fait le premier 
mal par le serpent, en trompant nos premiers parents. 
Semio de fidei veritate, 15, P. L., t. civ, col. 280. 
Halitgar, évéque de Cambrai, est plus précis. L'orgueil, 
dit-il, a été inventé par le diable. Ce superbe a amené 
les anges à mépriser les préceptes de Dieu et en a 
fait des démons. De pasnilenlia, 1. II, c. ii, P. L., 
t. cv, col. 659-660. Pour Jonas, évéque d'Orléans, il a 
fait aussi des anges des démons, et il a rendu les 
hommes égaux aux anges mauvais. De institutione 
laicali, 1. III, c. iv, P. L,, t. cvi, col. 239. Fréculph, 
évéque de Lisieux, sait encore que les fils de Dieu, 
Gen., VI, sont des anges de Dieu. Beaucoup pensent 
que les anges ont commis une pareille faute; mais 
on ne peut aucunement croire que les saints anges 
soient tombés à cette époque. Saint Pierre parle des 
anffes qui sont tombés avec leur prince auparavant. 
L*£critare appelle anges des hommes. Ces anges étaient 
donc des fils de Seth. Chfonic, 1. I, t. i, c. xiv, ibid., 
col. 927. Raban Maur est peu original; il copie les 
anciens. Le serpent tentateur était le diable (d'après 
saint Augustin). Comment, in Gen.f 1. I, c. xv, P. L., 
t. cvii, col. 486-487. Les fils de Dieu de Gen., vi, sont 
les fils de Seth (d'après saint Jérôme et saint Augustin). 
Ibid., 1. II, c. V, col. 511-512. Lucifer, représenté par 
le prince de Tyr, était un chérubin. Comment, in 
Ezech., 1. XI, c. xxviii, P. L., t. ex, col. 790. Avant 
sa chute, il avait un corps céleste, qui devint éthéré 
après la chute. II habite non dans l'air pur, mais 
dans l'air ténébreux, où il est enfermé comme dans 
une prison jusqu'au jugement dernier. De nniverso, 
1. XV, c. VI, P. L., t. CXI, col. 427. Il a commis une 
double faute d'orgueil et d'envie : d'orgueil, par la- 
quelle il est tombé; d'envie, par laquelle il a cherché 
à faire tomber les autres. Comment, in l. I Reg., 
c. XIII, ibid., col. 42. Walafrid Strabon cite aussi les 
prédécesseurs : saint Augustin au sujet du serpent 
tentateur, et saint Jérôme à propos des fils dq Dieu, 
qui sont des fils de Seth (les géants n'ont pas été en- 
gendrés par les anges). Glossa ordinaria, Liber Ge- 
nesis, III, VI, P. L., t. cxiii, col. 91, 104. Les anges 
apostats ont été précipités au fond de l'abîme, d'après 
le Vénérable Bède. Epist. II Pet., t. cxiv, col. 691. 
Us souffrent les tourments du feu de l'enfer, partout 
OM ils se trouvent d'après le même auteur. Epist. 
B. Jacobi, m, 6, col. 676. Le grand dragon de potentia 
et superbia loquitur. Apoc. Joa., col. 732. Angelomme, 
moine de Luxeuil, voit aussi le diable dans le serpent 
tentateur et déclare qu'on a faussement reconnu les 
anges dans les fils de Dieu, qui sont les fils de Seth. 
Comment, in Gen., m, vi, P. L., t. cxv, col. 135, 155. 
Ilaymon d'Halberstadt voit en Nabuchodonosor 
l'image du diable, qui a péché par orgueil, et qui est 
tombé, non seulement en enfer, sed ad ultimas partes 
inferi, qtiia quanto altior gradus, tanto pivfundior 
castis. Comment, in haiam, 1. II, P. L., t. cxti, 
col. 792. Le diable est conservé dans l'air cruciandtis. 
Expositio in Epist. ad Eph., ii, P. L., t. cxvii, 
col. 707. Il est Hé dans les cœurs des infidèles, où il 
règne; il sera délié à la fin pour séduire davantage. 
Expositio in Apoc, 1. VIII, col. 1182-1183. Les démons 
ont été créés sans péché, pour servir Dieu ; ils se sont 
dépravés volontairement, n'ayant pas voulu demeurer 
ce qu'ils étaient. Ils se sont élevés par orgueil contre 
le créateur, ont été précipités du haut du ciel et con- 
damnés. Leur perdition est irréparable; ils ont perdu 
le pouvoir de revenir en arrière. La géhenne a été 
faite, dès le commencement du monde, pour eux, et 
non pour les hommes. De varietate librorum, 1. III, 
c. XLi, xLii, P, L., t. cxviii, col. 950, 951. 



Pour Bérengaud, moine de Ferrières, le dragon est 
le diable, dont l'envie a introduit la mort dans le 
monde. Dans sa première tète, il reconnaît les ré- 
prouvés qui, avant le déluge, ont été appelés fils de 
l'homme et qui ont été un piège pour les fils de Dieu. 
Le diable, qui est le même que le serpent, mit primo 
per superbiam de cmlo, et cet ennemi de Dieu et des 
hommes fut précipité sur terre avec ses anges. In Apo- 
calypsin expositio, vis. iv, P. L., t. xvii, col. él6, 
878. Les esprits immondes sont dans les airs, où 
more ventoruni indesinenter discummt. Vis. v. 
col. 916. 

Au xi« siècle, saint Pierre Damien dit que le diable 
est si mauvais qu'il ne peut devenir pire. Opusc, iv, 
Disceptatio synodalis, P. L., t. cxlv, col. 84-85. 

E. Mangenot. 

III. DÉMON D*APRÉ8 LES SOOLASTIÇUKS ET LES 
THÉOLOGIENS PO^ÉRIEURS. — I. Au Xll* siècle. 
II. Auxiii* et au xiv« siècle. III. Depuis le xy« siècle. 

I. Au xir SIÈCLE. — Le xii« siècle sert d'intermé- 
diaire entre l'époque patristique et la scolastique. 
Quelques écrivains de cette époque continuent la mé- 
thode de simple exposition; mais bientôt les traités 
spéciaux commencent, dans lesquels on emploie la 
méthode scolastique. Voir t. i, col. 1222-1223. Recueil- 
lons d'abord les enseignements des auteurs non sco- 
lastiques. 

Pour saint Bruno, fondateur des chartreux, les dé- 
mons ont une certaine puissance dans l'air. Expositio 
in Epist. ad Eph., ii, P. L., t. CLiii, col. 325. Guibert 
de Nogent enseigne aussi que le diable et ses anges 
viennent avant le jugement dans le monde qui leur est 
pervius, pour tenter les hommes, car ils habitent dans 
l'enfer, d'où ils ne pourront plus sortir après le juge- 
ment. Le monde sera alors entièrement purifié d'eux. De 
pignoribus sanctorum, 1. IV, c. m, P. L., t. clvi, 
col. 672-673. Yves de Chartres, à propos de la divina- 
tion, expose de combien de manières les démons con- 
naissent l'avenir. Comme ils ont un corps aérien, ils 
précèdent facilement l'intelligence des hommes, qui ont 
un corps terrestre. Leur célérité à voler dans l'air 
facilite aussi leur connaissance; ils vont incompara- 
blement plus vite que les oiseaux et ils font des choses 
merveilleuses. Pour ces deux raisons, ils connaissent 
les événements actuels avant l'homme et peuvent les 
lui prédire. D'autre part, ils ont acquis pendant leur 
longue vie une expérience qui les aide à saisir plus 
promptement les faits. Panormia, 1. VIII, c. Lxviii, 
P. L., t. CLXi, col. 1322. Saint Brunon d'Asti, évéque 
de Segni, explique de la chute de Satan le combat avec 
saint Michel de l'Apocalypse, xii. Les démons n'ont 
pas de place au ciel, où est le siège de Dieu. Le dragon 
avec ses anges a été projeté de supetmis in teiTam, et 
cette terre représente les pécheurs dans le cœur des- 
quels il règne, n'ayant aucune puissance sur les saints. 
Expositio in Apoc, 1. IV, P. L., t. CLXV, col. 670. 
Béhémoth, tombé par orgueil, est lié pour qu'on puisse 
résister à ses ruses et à son astuce. Sent., l. III, c. viii, 
col. 964-965. 

Hildebert du Mans peut servir de transition entre les 
prédicateurs et les théologiens proprement dits. Dans 
ses sermons, il parle de la création et de la chute des 
anges. Lucifer a été créé dans le ciel empyrée ou igné; 
inter prima Dei opéra conditus est. Stultus fuit, quia 
non piwidit sibi in posterum... Conditus est in emi^ 
nentia et subtimitate vetm scientiœ. Il a péché par 
orgueil et de cette sorte : altitudine tantum intumuit, 
ut Altissimo œquari posse prmsumpsertt. Hildebert 
cite Is., XIV, 13, 14; xxii, 15; Luc, x, 8. Aliis angelis 
splendidior conditus (Lucifer), suo vilio cadens foetus 
est hesperus. Il a été précipité de l'empyrée dans les 
ténèbres de l'air. Serm., ix. De tempore, P. L., t. clxxi, 
col. 387. Prœcellens aliis, valde speciosus et sapiens. 



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385 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 386 



Ezech., xxviu, 12, 13, subtilior nalura; le premier des 
neuf chœurs, OYtinihus agminibus pt'œlatus, ex eoruni 
comparatione clarior, iUe versus in superbiani ex 
nimia clarilate. Is., xiv, 14. Les autres anges déchus 
se sont mis d'accord avec lui, et dum Deo siniiles 
volebant fieri, sont devenus inférieurs aux hommes et 
aux anges demeurés fidèles. Une partie de chacun des 
neuf ordres tomba. Les hommes ont été créés pour les 
remplacer. Serm,, xlix, col. 582. Lucifer est dans l'air 
comme dans une prison, et il y restera jusqu'à la fin 
des temps, quando mitleturin igneni œtemum. Serm., 
L, col. 584-585. 

Dans son Tractatus théologiens, c. xix, xx, ibid., 
col. 1110-1112, l'évéque du Mans aborde des questions 
qu'il n'avait pas traitées en chaire. Il se demande s'il y 
eut mora entre la création et la chute de Satan, et il 
répond négativement : sine intervallo, slatini ab ini- 
tio. Néanmoins, le diable n'a pas toujours été mauvais. 
D'après saint Augustin, il est tombé par orgueil. Il était 
le plus excellent de tous les anges. Job, XL, 14; Ezech., 
xxviii,12.Cest le sentiment de saint Grégoire le Grand 
et de saint Isidore. In creatorem superbiit. Is., xiv, 
13. Il a voulu lui devenir semblable, non per imitor 
lioneni,sed per ssqualitatem . Il a été jeté dans l'air 
ténébreux ad nostrani probationem. Il n'est donc ni 
au ciel, ni sur la terre, mais dans l'air, qui est pour 
lui quasi carcer usque ad tempus judicii. Alors, il ira 
en enfer. Matth., xxv, 42. Cependant, dubitalio est si 
tous les anges déchus sont dans l'air ou si quelques- 
uns sont déjà dans l'enfer : quod de auctoritate non 
multuni certuni habenius. Selon les uns, Lucifer, qui 
a plus péché, a été précipité en enfer slatim après son 
péché avec quelques autres. Origène pensait que ceux 
qui sont vaincus par les hommes qu'ils tentent, statini 
denierguntur : ce qui est assez vraisemblable. Les dé- 
mons sont obstinés et ne peuvent faire que le mal. 
Ont-ils prévu leur chute? Si oui, ou bien ils n'ont pas 
voulu l'éviter, et ils étaient mauvais avant leur chute, 
ou bien ils ont voulu l'éviter et n'ont pas pu le faire, et 
ainsi ils étaient miseri antequam codèrent . C'est pour- 
quoi saint Augustin dit qu'ils n'ont pas prévu leur 
chute. Lucifer était le plus excellent de ordine supe- 
riorum. Il y avait des anges tombés de tous les ordres, 
c. XXI, col. 1114. 

Honoré d'Autun résume dans son catéchisme la doc- 
trine sur les démons. Lucifer, se voyant le premier de 
tous, spretis omnibus, voluit Deo aequ^ilis, imo major, 
existere. Il voulait avoir un meilleur sort que celui 
qu'il avait reçu et commander aux autres tyrannique- 
xnent. Il fut chassé du palais et enfermé en prison. Il 
était le plus beau, il devint le plus noir et fut exé- 
crable d'horreur. Il n'a pas prévu sa chute. Nonplenam 
horani in veritate stelit ; mox ut creatus est, cecidit, 
pour ne pas goûter le bonheur du ciel, qui ne lui suf- 
fisait pas. Les autres anges ont péché en étant d'accord 
avec lui. Placuit ejus extollentia, et erant cogitantes 
quia, si Deo prsevaluisset, ipsi alii prœferrentur in 
polentia prinm. Ils ont été précipités, les uns dans 
l'enfer, les autres in tenebrosuni aereni, in quo tanien, 
ul in infemo, ardentes luunt supplicium. Tous ne sont 
donc pas en enfer, mais plusieurs vivent dans l'air 
pour éprouver les justes, séduire les mauvais et être 
livrés avec eux lors du dernier jugement au feu éternel. 
Ils n'ont pu obtenir leur pardon, parce qu'ils avaient 
péché, nulle instigante. Du reste, les anges ayant 
chacun par création une nature propre, le Verbe, en 
prenant une nature angélique, n'aurait racheté qu'un 
ange. Enfin, les anges sont immortels, et la rédemption 
devant se faire par la mort du Verbe, ayant pris la na- 
ture à racheter, ils étaient irrachetables. Dieu ne les a 
pas créés ne pouvant pécher; il leur a donné le libre 
arbitre pour qu'ils puissent se justifier et mériter. Bien 
qu'ayant prévu leur chute, il les a créés cependant 

OICT. DE THÉOL. CATHOL. 



propter ornamentum sui operis, comme un peintre qui 
met du noir sur un tableau. Elucidarium, l. I, n. 7, 
8, P. L., t. CLXXii, col. 1114-1115. Honoré s'occupe du 
nombre des anges tombés, dans son Liber duodecini 
qussstionibus, c. iv, v, col. 1180-1181. C'est donc, à ses 
yeux, une question discutée, qui n'a pas eu entrée dans 
son catéchisme. Quelques-uns pensent que la moitié 
des anges a péri et qu'il y aura autant d'hommes 
pour les remplacer. D'autres, à cause d'Apoc, xii. 4, 
n'admettent la chute que du tiers des anges. D'autres, 
reconnaissant dix ordres, disent que le lO est tombé 
tout entier; ils se fondent sur la parabole des dix 
dragmes; aussi dit-on couramment : Decimus chorus 
angelorum cecidit. Quant à lui, s'appuyant sur l'auto- 
rité de l'Écriture, il ne reconnaît que neuf ordres 
angéliques et il prouve que quelques-uns de chaque 
ordre sont tombés. Pour cela, il cite divers passages 
de l'Écriture qui semblent faire rentrer des démons 
dans chacun des neuf ordres. Il dit encore, c. xi, 
col. 1183, que les anges ont un corps éthéré, et le 
diable un corps aérien, ce qui permet aux démons de 
se transformer en des formes diverses, de bêtes, etc. 

Rupert, abbé de Deutz, exposa plusieurs fois, et très 
longuement, son sentiment sur le diable et les démons, 
Dans son traité De Victoria Verbi, 1. I, c. vi-xxvi, 
P. L., t. CLXix, col. 1221-1240, il explique d'abord les 
différents noms de l'adversaire du Verbe dans l'Écri- 
ture; puis, il remonte au commencement du duel de 
Satan contre le Verbe. La cause de la rébellion fut 
l'orgueil et ce vice portait sur la beauté, la science et 
la grandeur de la propre nature du révolté. Ezech., 
xxviii, XXIX, XXXI. C'est par orgueil qu'il devint aussi 
le père du mensonge. Il introduisit la sédition parmi 
les anges, troubla leur paix et fit de plusieurs des re- 
belles de la lumière. Il méprisa les autres anges, 
ambitionnant pour lui la majesté et l'égalité de Dieu. 
Ezech., XXIX ; Is., xiv. il voulait être adoré et honoré 
par l'assemblée des anges tanquam Deus et Dominus 
ipsorum. Il chercha à les persuader ut se pro Deo 
haberent. Ils ne cédèrent pas à cette tentation. Sed 
adulati sunt ei tantumniodo..,, gloriam suani quas- 
rebani, non Dei, aimant mieux servir une créature 
que le créateur. Satan ayant été créé le premier, les 
autres anges n'avaient pas conscience de sa condition 
de créature. Aucun ne pouvait dire : J'ai vu Dieu te 
créant. Seul, le Verbe pouvait le convaincre de men- 
songe. Satan se donna aux anges pour ce qu'il n'était 
pas réellement. Ils furent rebelles à la lumière par 
orgueil ou envie. Jaloux du créateur, ils élevèrent 
Satan, haïrent et repoussèrent le Verbe. Satan fut con- 
damné par le Verbe, battu par les saints anges et jeté 
hors du ciel. Cependant, non statini ut conditus est 
cecidit, et Rupert réfute ceux qui le prétendaient. Leur 
sentiment favoriserait le soupçon que Satan a été créé 
mauvais tel qu'il est maintenant. Le dies conditionis 
n'est pas un jour de 24 heures, puisque le soleil 
n'existait pas encore. Après sa faute, la patience de 
Dieu l'a attendu, lui laissant le temps de se repentir. 
Non parva mora in iniquitate, pour que les bons 
anges soient instruits de la justice du jugement qui le 
frapperait. Dieu, qui avait prévu sa chute, l'a créé 
néanmoins le plus grand, le plus sage et le plus beau 
de tous les anges. Il est tombé du ciel, non du sien, 
mais de celui du Seigneur. Il n'avait pas été créé dans 
ce ciel; il y avait été placé après sa création. 11 fut jeté 
dans l'abîme, c'est-à-dire dans le chaos et dans les 
ténèbres, qui existaient seuls alors. Le firmament 
n'était pas fait encore. Satan est donc tombé, non dans 
l'enfer, mais dans l'air, qui est le ciel inférieur. 

Rupert a repris le sujet dans son De Trinitale et 
operibus ejus, Genesis, 1. I, c. xi-xvii, P. L,, t. CLXvii, 
col. 208-215. Tous les anges ont été créés hors du ciel, 
où ils ont été transportés après leur création ; ils 



IV. - 13 

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387 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 388 



habitent donc par grâce, et non par nature. Ils sont 
corporels. Au premier jour, la lumière a été séparée 
des ténèbres, les bons anges des mauvais. Le diable 
est tombé par envie ou orgueil. Is., xiv. Il éia^it plenus 
sapientia, pevfectus décore, nihilo indigens sapienliœ 
Dei. Ezech., xxviii; Is., xiv. Dieu avait prévu sa chute. 
Il l'a jeté dans l'air pour être précipité plus tard en 
enfer, II Pet., ii, 4 (où l'enfer désigne l'air). Les anges, 
détournés de Dieu, ne peuvent revenir à leur premier 
état, c. XXIV, col. 221. Le serpent tentateur était l'organe 
du diable, 1. III, c. ii, col. 289. Les fils de Dieu sont 
les descendants de Seth, 1. IV, c. xii, col. 337-338. 
Rupert ne parle pas des anges, quoiqu'il sût bien que 
les anges sont appelés fils de Dieu. Comment, in Job, 
P. L., t. CLXViii, col. 967. Les démons, qui sont dans 
l'air en attendant le jugement, seront tourmentés par 
le feu qui leur a été préparé dès la création. Ils seront 
tourmentés conformément à leur nature, puisqu'ils ont 
des corps aériens. De S, Spiritu, 1. IX, c. xxi, P. L., 
t. CLXVii, col. 1824-1825. 

Nouvel exposé dans le traité De glorificatione TrinU 
latis et processione S. Spiritus, 1. III, c. viii-xvii, 
jP. L., t. CLXix, col. 59-69. Les anges ont péché non 
par faiblesse ou ignorance, mais par orgueil. Ezech., 
xxviii, XXIX. Le bel ange est devenu le prince des té- 
nèbres. Â cause de son orgueil, il est justement jugé 
par le Saint-Esprit, qui s'éloigne de lui. Non statim 
cecidit. Ayant prévu sa chute, le Saint-Esprit ne Ta 
pas jugé tout de suite ni condamné; il l'a éprouvé. Une 
fois la lumière séparée des ténèbres, les démons ne 
peuvent pas retourner à leur état primitif. Quelques- 
uns pensent que beaucoup d'anges de tous les ordres 
sont tombés; cela n'est pas prouvé par l'Écriture. Ils 
n'étaient pas encore établis dans leurs ordres avant la 
chute des démons, 'qui, autrement, n'auraient pas pu 
pécher. Satan est lié pour longtemps, plus tard il sera 
jeté dans l'abîme. 

Les esprits mauvais enviaient la gloire du créateur. 
Diabolus superbivit et sibimet ipse placuit tanquam 
sibi sufficiens. Comment, in Matth., 1. XIII, P. L., 
t. CLXViii, col. 1627. Nabuchodonosor est le type du 
diable orgueilleux. In Danielem prophetam, c. ii, 
P. L., t. CLXVii, col. 1500-1501. Satan a été jugé par 
trois fois : quand il fut chassé du ciel à cause de son 
orgueil, à la malédiction du serpent, et au jugement de 
l'homme de péché. In Hab., 1. II, P. L., t. clxvhi, 
col. 603. Satan paraissait parmi les anges et devant 
Dieu, parce que Dieu voit tout. Dieu l'interroge, parce 
qu'il lui demande raison de ses actes, et Satan répond, 
parce qu'il ne peut rien cacher à Dieu. Comment, in 
Job, ibid,, col. 967. Rupert n'entend pas des anges le 
tiers des étoiles entraîné par la queue du dragon. In 
Apoc, l. VII, ibid., col. 1047. 

Quelques années plus tard, saint Anselme compose 
un traité spécial De çasu diaboli sous forme de dia- 
logue, P. L., t. CLviii, col. 325-360. Voir t. i, col. 1338. 
Les anges ont tout reçu de Dieu, qui pourtant n'a pas 
donné au diable la persévérance, quia ille non accepit. 
Le diable, en effet, noluit tenere quod habebat, voluit 
deserere. Quomodo peccavit et voluit similis esse Dei f 
Il n'a pas voulu reconnaître une volonté supérieure à 
la sienne; il a voulu même que sa volonté propre soit 
supérieure à celle de Dieu. L'ange déserteur n'a pas 
pu revenir à la justice. Voir 1. 1, col. 1224. Il n*a pas pu 
prévoir qu'il tomberait. Il savait qu'il ne devait pas 
vouloir ce qu'il voulait et qu'il serait puni; il n'a pas 
pu l'ignorer. Le mal est donc venu dans l'ange qui 
était bon, parce que celui-ci a volontairement aban- 
donné la justice. Dans son Cur Deus homo, 1. 1, c. xviii, 
col. 389, saint Anselme a admis que le nombre des anges 
devait être complété par les hommes. Il en tire cette 
conclusion relativement au nombre des anges tombés : 
Non sequitur tolangelos cecidisse quot perseverarunt. 



parce que le nombre des anges n'était pas parfait avant 
la chute des mauvais. 

Abélard s'est peu occupé des démons. II leur attribua 
la possession de la charité. Dialogus inter philosophum, 
judœum et christianum, P. L., t. CLXXViii, col. 1659. 
Dans son Sic et non, 47, col. 1415-1417, il a reproduit 
des témoignages de saint Isidore, de saint Augustin et 
d'Eugippius en faveur de la chute des anges avant la 
création de l'homme, et d'autres de saint Gyprien et de 
saint Jérôme, affirmant qu'elle a eu lieu au moment de 
cette création. Dans le 16* de ses articles, qui ont été 
condamnés en 1141, il niait l'intervention directe du 
démon et bornait son action à l'emploi des forces natu- 
relles, des éléments et des plantes. Voir t. i, col. 45, 47. 

Hervée de Bourgdieu explique que Lucifer a voulu 
être le maître des anges : il semble le faire précipiter 
directement dans l'enfer. Comment, in Jsaiam, 1. II, 
P. L., t. CLXxxi, col. 164-166. Cependant, il appelle 
Satan le prince de l'air. Comment, in Epist. ad Eph,, 
II, col. 1221. 

Saint Bernard attribue la chute de Lucifer à l'orgueil. 
Serm., i, de tempore, n. 3, P. L., t. Clxxxiii, col. 36; 
Jn rogationibus, serm. i, n. 1, col. 296; Jn Cantica, 
serm. xvii, n. 5; lxix, n. 3, 4, col. 857, 1113-1114. L'or- 
gueil du diable appartient au premier degré de ce vice 
qui est la curiosité. Le diable n'avait pas prévu sa chute. 
Tractatus de gradibus superbias, part. II, c. x, n. 31- 
36, P. L., t. CLXXXii, col. 959-962. Il a été précipité dans 
l'air. In Cantica, serm. Liv, n. 4, P. L., t. CLXxxiii, 
col. 1040. Il ne subira la peine du feu de l'enfer qu'après 
le dernier jugement. Voir t. ir, col. 770. 

Robert PuUus déclare que l'ange, créé libre, potuit 
malum. Il se demande : Qualef et il répond : De 
excellenti natura intumuit, au point de vouloir s'éga- 
ler à Dieu. Non perduravit in veritate. Dès qu'il fut, 
il vit Dieu, quoiqu'il ne l'ait pas connu complètement. 
Malgré cette connaissance de Dieu, il a pu cependant 
ne pas prévoir sa chute. Auparavant, il était opus Dei 
bonum, optimum; après, il est devenu substantia non 
bona, nec Dei creatura (en tant que mauvais). Les 
démons, licet incorporel, peracto judido, subiront 
dans l'enfer des peines corporelles. Ils souffrent déjà 
des affections de l'air, on ils habitent, mais ils sont 
réservés pour de plus grandes souffrances. Sent., 1. II, 
c. IV- VI, P. L,, t. CLXxxvi, col. 721-725. Ils sont tombés 
des neuf ordres; ils servent leur prince dans leur 
ordre. Robert PuUus essaie d'expliquer comment il peut 
en être ainsi et comment le service répond à la nature 
première de ces anges déchus. Quanta leur prince, il 
était summus ou inter summos, plus exactement un 
chérubin, Ezech., xxviii, 12, nisi forte ordine seraph, 
interpretatione cherub. Quoi qu'il en soit, magnus fuit 
et plus de se quam esset sentit. Les démons étaient 
d'accord avec lui et leur chute est irréparable. Quelques- 
uns pensent que le prince des démons n'était pas si 
élevé. Toutefois, il n'a pas goûté le bonheur de la vie 
parfaite : nolendo accipere, amisit; continua cecidit. 
Sent., l. VI, c. XLv-XLViiî, col. 887-891. 

Roland Bandinelli, plus tard le pape Alexandre III, 
affirme que les démons ont été créés bons, et bien qu'il 
ait subi l'influence d'Abélard, il s'écarte du maître au 
sujet de leur béatitude et il montre qu'ils n'eurent jamais 
la charité qu'Abélard leur avait attribuée. Gielt, Die 
Sentenzen Rolands, Fribourg-en-Brisgau, 1891, p. 89- 
93. Ils n'avaient pas prévu leur chute, qui a été volon- 
taire. Ils savaient qn'ils faisaient mal, aussi sont-ils 
endurcis dans le mal, p. 95. Selon lui, ils ne sont pas 
de tous les ordres, puisque la division hiérarchique 
des anges a suivi la chute du diable et l'entrée des bons 
anges dans la béatitude, p. 101. 

Hugues de Saint-Victor enseigne que les anges ont 
été créés bons et libres. Leur séparation en bons et en 
mauvais s'est faite par la conversio des iustes et Vaversio 



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s iustes et laversio 

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:)89 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 390 



des injiistes. Ceux-ci n^ont pas eu de grâce coopérante. 
Un plus grand nombre d'anges sont demeurés Ûdéles, 
qulï n*y en a eu de déchus. De 8<icramentis, 1. I, 
part. V, c. XIX, xx, xxiii, xxiv, xx.\i, P. L., t. clxxvi, 
col. 354-257, 261. Le diable est lié; il ne peut faire tout 
ce qu'il veut; à la fin des temps, il sera délié pour un 
moment, pour la dernière persécution, 1. II, part. XVII, 
c. m, IV, col. 597-598. 

Son disciple, auteur de la Summa sententiaruni 
(voir t. I, col. 52-5i), tr. II, c. m, iv, ibid., col. 83-85, 
cite textuellement le Traclatus theologictis d'Hildebert 
du Mans sur la chute du diable et sur sa prééminence 
avant la chute. Voir col. 385. 

Enfin, Pierre Lombard connaît les sentiments diffé- 
rents de ses devanciers; il les résume parfois et il 
prend souvent parti. Selon lui, les démons ont été 
créés nec beati nec miseri. Non erant prœscii even- 
tut $ui, et ils n'avaient pas connaissance de ce qui 
devait suivre. Ils n'ont pas été bienheureux, à moins 
qu'on appelle béatitude leur état d'innocence. Donc, 
in creoUione, boni et non mali, nec beati. Sent,, 1. II, 
dist. IV, n. 1 , 3, 6, P. X., t. cxcii, col. 660, 661. Quelques- 
uns ont pensé qu'il ne fallait pas leur imputer de s'être 
détournés de Dieu, parce que la grâce ne leur avait pas 
été donnée. Gratta non data ex meriti$ suis.., Culpa 
eorum fuit, quia, cuni store possetU, noluerunt quous- 
q%ie gratia apponeretur,., Poterant non cadere, sed sua 
spontanea voluntate declinaverunt, dist. V, n. 5, 6, 
col. 661-662. De majoribus et de minoribus quidam 
ceciderunt. Le plus excellent de tous corruit. Job, xl; 
Ezech., XXVIII ; S. Grégoire le Grand. Il tomba par 
orgueil, c/e empyreo in caliginosum aerem, Âpoc, xii, 
et beaucoup d'anges avec lui pour nous éprouver. Le 
prince de l'air n'est ni au ciel ni sur terre, mais dans 
l'air. Parmi les démons, il y a des chefs et des sujets ; 
leur science est plus grande ou moindre. Quidam 
prœsunt uni provincim, uni homini, aliqui uni vitio. 
Quotidie in infemum descendunt aliqui ; verisiinile 
est, qui animas illuc cruciandas deducunt. Aliqui sem- 
per sunt^ altertiis forte vicibus, non pf*ocul est a vero. 
Quelques-uns pensent que Lucifer a été relégué en 
enfer, dès qu'il a eu tenté Jésus-Christ; d'autres, ex 
quo cecidit. Pierre Lombard ne se prononce pas. Sive 
in infemum demettus, sive non, il n'a pas mainte- 
nant le pouvoir qu'il aura au temps de TAntéchrist. Il 
sera délié alors et il aura un plus grand pouvoir de 
tenter. Quant aux démons, semel victi a sanctis, non 
aceedunl ampliits ad alias, et Lombard cite en preuve 
Origène, Homil,, xv, ad libr. Josue, c. xii, dist. VI, 
n. 1-8, col. 662-664. Obstinés dans le mal, les démons 
ne peuvent pas vouloir le bien. Ils ont cependant le 
libre arbitre, mais ils ne peuvent ad utrumque flecti. Ils 
n'ont pas perdu leur intelligence et ils l'exercent sou- 
vent de diverses manières. Ils ne peuvent pas se servir 
de la matière ad nutum, ni créer (par exemple, les ser- 
pents et les grenouilles que produisaient les mages). 
Ils peuvent beaucoup par leurs forces naturelles et leur 
subtilité, si permittantur ab angelis potentioribus ex 
imperio Dei, dist. VII, n. 1, 2, 4, 7, 8, 11, col. 664-667. 
Saint Augustin a appelé les démons aet^ea animalia, 
dist. VIII, n. 7, col. 667. 

Pierre Comestor dit un seul mot de la chute du 
diable : Lucifer, dejectus a paradiso spiril'uum, invi- 
dit homini quod esset in paradiso corporum. Hislo- 
ria sckolastica. Liber Genesis, c. xxi, P. L., t.cxcviii, 
col. 10?2. Plus loin, c. xxxi, col. 1081, il expose la 
cause du déluge : le mariage des fils de Dieu ou des 
fils du pieux Seth, avec les filles de Caîn. II connaît la 
leçon : c anges de Dieu », mais il l'interprète encore 
des fils de Seth. Il ajoute toutefois cette remarque : 
Potuit etiam esse ut incubi dœmones genuissent gi- 
gantes, et il emprunte à leur sujet à saint Méthode des 
détails qui proviennent du livre des Jubilés. 



Voir t. I, col. 1222-1226 ; A. Mignon, Les origines de la sco- 
lastique et Hugues de Saint- Victor, Paris, a. d. (18^), t. i, 
p. 343-349, 361-364; J. Turmel, Histoire de Vangélologie, dans 
la Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. iv, 
p. 289-309, 537-550, passim; Id., Histoire de la théologie posi- 
tive, Paris, 1904, p. 291-292. Voir aussi, parmi les Indices de la 
P. L., de Migne, l'index, xxxv, De dœmonibus, t. ii, col. 43-50. 

II. Au xiii» ET AU XIV* SIÈCLE. — Les vues des théo- 
logiens sur le diable et les démons vont se systémati- 
sant de plus en plus pour arriver à une systématisa- 
tion complète dans les œuvres de saint Thomas et de 
Duns Scot. Les docteurs justifient par des arguments 
de raison les données qu'ils empruntent à l'Écriture 
et à la tradition et qu'ils groupent et ordonnent logi- 
quement. Ils y joignent beaucoup de spéculations 
philosophiques. 

1» Pierre de Poitiers. — 11 pense que les anges ont 
été créés dans le ciel empyrée. Une des preuves, c'est 
que Lucifer, cum esset in cœlo, a voulu atteindre la 
sublimité de la divinité. Sent., 1. II, c. ii, P, L., 
t. ccxi, col. 942. Quelques-uns prétendent que les 
anges déchus ont été créés mauvais et ils justifient 
leur sentiment par des autorités (Joa., viii, 44; Job, 
XL, 14; Ps. cm, 26, et un texte de saint Augustin) et 
par des raisons. Ce sont trois raisonnements portant 
sur ces dilemmes : ils ont été créés justes ou injustes, 
parfaits ou imparfaits, bienheureux ou non. Mais 
Pierre de Poitiers conclut que si Dieu avait créé 
l'ange mauvais, il serait l'auteur du mal, ce qui est 
impossible. Lucifer non fuit ab initia malus, sed sta- 
tint post. Puis, il réfute les arguments opposés. Au 
cours de sa réfutation, il affirme qu'avant leur faute 
les anges déchus non habebant naturam glorificatam, 
c. III, col. 943-944. Ils ont péché, parce que la grâce 
opérante ne leur a pas été donnée, et ils sont respon- 
sables, parce qu'ils n'ont pas attendu qu'elle leur fût 
donnée. Diabolo non est ablatum aliquod bonum na- 
turale. Loin d'obtenir mitigation de sa peine, magis 
ac magis punietur, parce que semper crescit posna 
a culpa. D'autre part, il sera puni davantage après le 
jugement ;f une Deus punietperse, non per ministros. 
Quelques-uns pensent que, depuis la passion, Lucifer 
a été jeté en enfer. Mais il est maintenant in aère ca- 
liginoso; après le jugement, il ira dans l'enfer. Non- 
dum patitur diabolus tenebras exteriores, quia non- 
dum omnino obliviscilur Deum, c. iv, col. 945-951. 
Les ordres angéliques étaient-ils constitués avant lu 
chute? On lit : De singulis ordinibus ceciderunt. 
Quelques-uns font de Lucifer un séraphin. Non ita 
distincti ab initio susb creationis. Que penser du 
10* ordre tombé? Un'y a pas eu dix ordres, mais neuf. 
Tôt angeli ceciderunt quod ex eis posset decimus ordo 
constitui. S'ils avaient persévéré, il n'y aurait cepen- 
dant pas eu un 10* ordre. 11 y aora au ciel plus 
d'hommes élus que d'anges tombés. Lucifer était le 
plus excellent des anges, c. v, col. 953-954. Les anges 
mauvais sont députés par Dieu, dit-on, pour suggérer 
le mal et on cite l'exemple des prophètes d'Achab. Dieu 
leur permet d'agir pour, punir ou châtier les hommes, 
mais il ne veut pas le mal, et Pierre de Poitiers résout 
les objections contraires, c. vi, col. 957-958. 

2® Guillaume d^ Auvergne. — L'évoque de Paris, qui 
condamna le sentiment de ceux qui prétendaient que 
le démon a été créé mauvais, voir d'Argentré, Collectio 
judiciorum, Paris, 1728, t. i, p. 186, s'est occupé lon- 
guement, mais obscurément et sans ordre, des anges 
et des démons dans son traité De universo. Non seule- 
ment il ne distingue pas les sujets différents qu'il 
traite, il mêle encore aux questions théologiques beau- 
coup de légendes populaires. Pour lui, le péché du 
premier ange a été l'orgueil, II» II*, c. Lvii, Opéra om- 
nia, in-fol., Venise, 1591, p. 848. En quoi a consisté ce 
péché? Prœesse voluit et consequenter dicere potest 



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391 DÉMON D'APRÈS LES SGOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 392 



ipsum Dei F'dium imitari voluisse. Unde fuit ausm 
non suhesse creatori f Ipsum pvœesse tanta libidine 
ei placuit ut subesse non curaverit, adhmrens ipsi 
prspesse amove. Comment en est-il arrivé là? Inflam- 
matus falsa pulchritudine et illusoria deleclatione 
falsœ denominationis, c. LViii, p. 849, 850. Aussi a-t-il 
été profondément perverti par l'orgueil. Après cela, il 
a envié le Fils de Dieu, ayant vu que son règne devait 
se répandre parmi les hommes. Toutefois, il n'a pas 
été jaloux de sa gloire ni de sa divinité. Ambitieux 
adversus creatoreni, il n'est pas loin de la probabilité 
qu'il a voulu être honoré comme Dieu, c. Lix, p. 852- 
85i. Quant à la multitude des anges déchus, noninlen- 
debat aliquid in creatoris injuriam altentare, Cuni 
sciret se contra euni penitus non posse. Bien que le 
premier ange ait eu la présomption d'être obéi par 
beaucoup et de commander, il ne suggéra pas aux 
autres anges et il ne leur persuada pas non plus de 
l'adorer comme le Très-Haut. Son ambition ne fut que 
l'occasion de leur péché. Leur sédition s'est faite sans 
contrat. Chacun a péché par sa volonté, l'appliquant au 
faux bien, c. LX, p. 854, 855. Ils ont admiré la sagesse 
prééminente naturelle du premier ange et se sont 
enorgueillis, c. lxi, p. 857. Dieu ne leur permet pas de 
faire tout le mal qu'ils voudraient, et leurs pouvoirs 
sont limités. Sunt in aère usque in diem judicii, 
c. LXii, p. 859, 871. Ils sont dans la région inférieure 
et ténébreuse de l'air, a qua in cœluni ut expulsi 
transcendere non valent. Leur exil est perpétuel. 
Guillaume explique longuement la présence de Satan 
au conseil des anges et l'envoi d'un esprit de mensonge 
par Dieu aux prophètes d'Achab, ainsi que les appari- 
tions des démons, qui n'empêchent pas qu'ils habitent 
dans la partie inférieure de l'air, c. xciii, xciv, p. 892, 
893. Ils y sont légion et ils y tentent les hommes par 
permission divine, c. xcv, p. 893. Dieu leur maintient 
leurs pouvoirs, qui, cependant, sont incomparable- 
ment diminués, détériorés, liés et soumis aux bons 
anges, c. cxvii, c\vin, p. 910-91 i. Dieu permet à ces bêtes 
d'attaquer les hommes pour dévorer les impies (œuvre 
de justice) et pour nous inspirer une crainte salutaire 
(œuvre de piété), c. clxiii, p. 955. Dans la II» III*, 
c. i-iv, p. 957-961, Guillaume montre comment chacune 
des facultés naturelles des démons est diminuée et dé- 
tériorée. Il explique par l'obscurcissement de l'intelli- 
gence, l'infatuation du chef des démons. Maximis 
bonis prœditus fuit et in donis creatoris prœstantis- 
sinius. Par suite, son péché d'orgueil fut plus grand 
que celui des autres anges, qui n'ont fait que partici- 
per à sa faute en y consentant : Tanta quippe mali- 
gnitate succensi sunt adversus creatoreni et homines, 
ut libertateni arbitrii quodammodo amiserint. Ils se 
réjouissent de tout le mal qu'ils font, p. 961, 962. Ils 
n'ont pas toutefois de pouvoir sur les bons. Ils sont 
nombreux et se trouvent partout. Ils ne tombent pas 
tous les jours du ciel, ni de nouveaux ne sont pas 
créés tous les jours, comme d'aucuns le disent. Ils ne 
sont pas divisés en douze ordres, comme un écrivain 
l'a prétendu; ils ne forment pas non plus des ordres 
contraires à ceux des bons anges : il n'y a pas d'anti- 
séraphins, etc., c. vi-x, p. 965-976. Comme ils sont or- 
gueilleux, ils sont toujours en querelle entre eux ; ce- 
pendant, leur malignité les empêche de se révolter 
contre leur prince, quoiqu'ils lui soient soumis comme 
à un tyran. Les démons supérieurs punissent les infé- 
rieurs, c. xiv-xvi, p. 984-985. Ils souffrent des peines 
coy)orelles, c. xvii, p. 987. A propos de démons in- 
cubes et succubes, Guillaume signale la leçon « anges 
de Dieu » de Gen., vi. Bien qu'il admette l'existence des 
incubes et des succubes (voir c. ii, p. 958-959, l'expli- 
cation du fait, produit non par convoitise, dont les dé- 
mons ne sont pas capables, mais plutôt par malice 
pour souiller leurs victimes), il déclare impossible la 



génération des géants par le commerce des anges avec 
des femmes, c. xxv, p. 1008. 

30 Alexandre de Halès. — Le célèbre franciscain 
est plus sobre et plus didactique. Il parle des démons 
en passant, lorsqu'il traite des anges. A propos de la 
prévoyance des anges, il déclare que les mauvais n'ont 
pas prévu leur chute; tout au plus auraient-ils pu le 
faire, ea saltem ratione quod judicia Dei abrjssus 
multa et investigabiles viœ ejus. Il explique la raison 
qu'en a donnée saint Augustin, à savoir qu'ils n'avaient 
pas scienliam deiforrnem. Dieu aurait pu la leur révé- 
ler, mais cela n'était pas expédient. Summa theologiœ, 
part. II, q. xxv, m. ii, m, Venise, 1575, p. 46. Ils peu- 
vent connaître l'avenir conjecturaliter semper et sub- 
obscure, idque aut ex diuturna experientia aut ex 
acumine intelligentiœ aut ex revelatione supernorum 
spirituum, q. xxvi, m. iv. Ils ne sont pas devenus 
mauvais au moment même de leur création; les deux 
instants sont distincts. D'où on suppose qu'il y a eu 
morula quœdam intertnedia, in qua moverentur 
motu naturali tantum, tumsecundum dffectum, tuni 
secundum intellectum, nec tamen mererentur nec 
demererentur. Les instants ont pu être contigus. Néan- 
moins, on dit : Non statim fuerunt mali, ce qu'il 
faut expliquer : repente ou statim post. Il suffit d'un 
temps imperceptible, q. xxix, m. i, a. 7, p. 54. Dœ- 
nwnes naturali dilectione, etsi non actualiter, habi- 
tualiter tamen Deum diligunt, se vero etiam actuali- 
ter, q. XXX, m. III, p. 58. Etiam malos Deus mittit, 
nec ideo perdit, sicut illi profecto perderunt. Quand 
leur action est nuisible, il dirige leur mauvaise volonté 
vers le bien, en permettant l'épreuve des bons, q. xxxvi, 
m. Il, p. 65. Prœsunt mali sibi invicem ante diem 
judicii; mais après ce jour, il n'y aura plus entre eux 
de préséance, q. xxxvii, m. m, p. 66. 

4o Saint Bonaventure, — Le docteur séraphique 
développe davantage la doctrine sur les démons dans 
son Commentaire des Sentences, Opéra, Lyon, 1668, 
t. IV, p. 29-115. Il déclare impossible que Dieu ail créé 
l'ange mauvais. Celui-ci n'a donc pas péché statim a 
primo instanli, et saint Bonaventure admet aussi qu'il 
y ait eu quœdam parvula morula. In IV Sent., l. II, 
dist. III, part. II, a. 1, q. i,ii. Pas plus que les autres 
anges, il n'avait été créé in statu beatitudinis, ni en 
l'état de grâce sanctifiante, dist. IV, a. 1, q. i, ii. Il n'a 
pas pu avoir une prescience certaine de sa chute, a. 2, 
q. II. Le péché des anges a commencé par la présomp- 
tion, a été complété par l'ambition et confirmé dans 
l'envie et l'aversion de haine. Le premier péché a donc 
été un péché d'orgueil. Lucifer, rendu présomptueux 
à cause de sa beauté, appeliit quod supra se fuit et 
ad quod pervenire non poterat. L'ambition l'a rendu 
envieux. Kn quoi consista au juste son désir? Il a 
désiré égaler Dieu quodam modo œquiparantiœ et 
quodam modo imitationis. Quelle était la ressem- 
blance avec Dieu qu'il désirait? Celle-ci : cum sua 
auctoritate (de Dieu) aliis prœesse, et cela sine meritis 
et dalore, donc propria auctoritate, nullique subesse, 
dist. V, a. 1, q. i, ii. Les anges inférieurs ont aussi 
péché par orgueil, non tantum consentiendo au péché 
de Lucifer, sed sil)i quoque excellentiani appetendo, 
ad quam non posse sine ipsius Luciferi subliniitate 
pervenire' putaverunt. Les relations de leur péché 
avec celui de Lucifer furent, tum quoad gravitatetn 
delicti (le premier fut plus grave), tum quoad occasio- 
nem (il servit d'exemple aux autres), tum quoad du- 
rationem (il a précédé le leur), a. 2, q. i, ii. Quant à 
leur condition antérieure, Lucifer, quantum ad capa- 
citatem naturœ, futurus erat de primo beataruni 
mentium ordine : qui, si stetisset, nierito gratias in- 
ter primos annumeratus fuisset, dist. VI, a. 1, q. i. 
Les autres anges déchus étaient de tous les ordres, 
comme l'a dit Hugues de Saint- Victor (en réalité, son 



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393 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 394 



disciple^ auteur de la Sunima senlenliafuni, copiant 
Hildebert du Mans), q. ii. Quant au lieu qu'occupent 
les démons, locus, antediem judicii, non est infeimut 
$ubten\ineu8, $ed aer caliginosus, licet probabile sit 
ntmnullos eoruni ad lorquendas animcu eo descen- 
dere, a. 2, q. i. Licet nonnuUi satis pi^obabiliter sen- 
serint malo$ angelos ubique et ante extrenn judicii 
dieni infemali cruciatu torqueri, aliis tameii proba- 
bilior censetur sententia dicentiuni pœnam ignis 
ttsqve ad novissiniuni diem ill'ts diffen'i, q. ii. Jnter 
dœniones est ordo secundum prœcellentiam natura- 
liuni,sed tamen per versus adjunctione culparum, Si.Sy 
q. I. Inter eos est prœlatio. Us essaient d'imiter les 
bons anges, mais ils le font faussement et imparfaite- 
ment, et ils attaquent les hommes, q. ii. Leur volonté 
ne peut être rectifiée de polentia. Dieu pourrait, abso- 
lument parlant, leur rendre la bonne volonté; mais ils 
ne peuvent se repentir, et le temps de la conversion 
et du mérite est passé pour eux, dist. VU, part. I,a. 1, 
q. I. Ils ne veulent que le mal, q. ii, m. Celte obstina- 
tion dans le mal leur enlève le libre arbitre, quoad 
usuni; elle ne diminue pas libertatis dominium quant 
à Tessence, mais bien quant au sujet, a. 2, q. ii, m. Le 
jugement de leur intelligence est un peu obscurci depuis 
leur faute; leur jugement pratique est entièrement 
perverti, part. II, a. 1, q. i. Ils n'ont rien oublié, sinon 
la nécessité de faire leur salut et les bienfaits de Dieu, 
q. II. Ils n'ont pas une connaissance certaine de l'ave- 
nir; ils peuvent parfois le prédire, en raison de l'acuité 
de leur esprit, de leur expérience et de leur ruse, q. m. 
Ils sont incorporels, dist. VIII, part. I, a. 1, q. i. Voir 
un substantiel résumé de toute la doctrine de saint 
Bonaventure sur les démons dans son Breviloquium, 
part. Il, c. vu, Lyon, 4568, t. vi, p. 16-17. 

5» Albert le Grand. — Si de l'école franciscaine 
nous passons à l'école dominicaine, nous constatons 
racceptation d'opinions dilTérentes sur divers points. 
Le B. Albert le Grand a traité du diable et des démons 
dans son Commentaire des Sentences, 1. II, dist. III- 
IX, Opet^a, Paris, 1894, t. xxvn, p. 82-208, et dans sa 
Somme théologique, tr. V, q. xx-xxv; tr. VI, q. xxvi- 
XXVII ; tr. X, q. xui, ibid., 1895, t. xxxii, p. 251-289, 
500-503. Tous les anges ont été créés en état de grâce. 
In 1 V Sent.,]. II, dist. III, a. 12, t. xxvii, p. 82-85. Dieu 
n'a pas pu créer un ange mauvais, a. 13, p. 85-88. L'ange 
a-t-il été mauvais simul ac a'ealusf Mora fuit, a. li. 
Les bons anges seuls, confirmés en union avec Dieu, 
ont été bienheureux, dist. IV, a. 2, p. 106. L'ange déchu 
n'a pas pu prévoir sa chute, pour la raison donnée 
par saint Anselme, a. 3, p. 107-108. L'ange a pu tomber, 
dist. V, a. 1, p. 110-111. Quel fut le premier péché de 
range? L'orgueil : appetitus dignitatis îndebilus, 
a. 2, p. 111-113. C'est le sentiment de saint Augustin, 
de saint Anselme et de saint Grégoire le Grand. Voluit 
excellere in dignitate potestatis propriœ. Sum. theol., 
tr. V, q. XXI, m. ii, t. xxxii, p. 260. Quid appetiit pec- 
candof Avec saint Augustin et saint Anselme, Albert 
répond que le démon a désiré id ad quod pet^enisset, 
si stetisset, donc la simple perfection ou béatitude. Sa 
iaote a consisté en ce qu'il a voulu avoir a se quodnec 
esse potest a seipso, ensuite il a voulu stalini rapere 
quod ex meritis sub alterius gratia est exspectandum . 
Il n'a donc pas désiré re^-sembler à Dieu ni par équi- 
valence ni par égalité, quia non appetiit tantuni posse 
sicut Deus, quia hoc cogitarenon potuit. Belativement 
à Dieu, extulit suam voluntatem et prœtulit voluntati 
Dei, puisqu'il a voulu être heureux de lui-même et 
sans mérite. Et sic secundum quid voluit esse major 
Dei velœqualis, 1. Il, dist. V, a. 3, p. 114. Voluit similis 
esse Deo in habendo scilicet perfectam potestatem a 
seipso sicut Deus. Sum. theol., tr. V, q. xxi, m. i, p. 258. 
Stalim ut aversus est, infemalis ignis succensus est 
in eo, et tune odio habuit judicem juste judicantem, 



a. 4. p. 115. 11 fut dès lors obstiné dans le mal; il a eu 
la liberté, a été in via, mais maintenant immobiliter 
vult malum, a. 6, p. 120. Dicendum absque scntpulo 
quœstionis, isle Lucifer fuit de superioribus vel «ini- 
plici ter super i or, dist. VI, a. 1, p. 127. Princeps, exceU 
lentior omnibus, tr. V, q. xx, m. i, p. 251. Quant aux 
anges inférieurs, en quoi consiste leur faute? Omnes 
voluerunt aliquid altius quam creati sunt, et ils ont 
voulu l'obtenir par l'exaltation de Lucifer, comme des 
chanoines qui élisent à l'épiscopat un indigne, parce 
qu'ils en attendent des faveurs. En résumé, appetie- 
runt altitudinem et consensei^nt illo (à Lucifer), a. 2, 
p. 128. 

Quel fut le rôle de Lucifer dans leur chute? Il 
n'agit pas sur eux par acte de persuasion, sed unus- 
quisque propria voluntate consensit ei. Videntes enini 
decorem ejus in naturalibus, dignum œqualitate Dei 
reptUaverunt et quod prop'ia poteslate regeret et se 
et alios, nulli subjectus. Sa persuasion ne fut qu'occa- 
sionnelle, tr. V, q. XX, m. ii, p. 255. Telle fut la queue 
du dragon qui les entraîna. Ils consentirent à son désir 
en même temps que ce désir était produit, simul tem- 
pore, sed non causa vel natura, dist. VI, a. 3, p. 129. 
In solis naturalibus condili sunt; ils perdirent donc 
leur innocence; non cecideimnt a gratia quam accep- 
turi erant si stetissent, tr. V, q. xxii, p. 265. Cf. tr. IV, 
q. XVIII, a. 1; 1. II, dist. VI, a. 4, p. 131. Le combat de 
Michel ne peut se rapporter à la chute des anges, puis- 
qu'il a eu lieu dans l'^^glise, selon la Glosse, tr. V, 
q. xxiii, p. 266. Quand sont-ils tombés? Incertum est 
et non delerminatum . Ce qui est certain, c'est qu'ils 
ont été criés bons et que, volontairement dépravés, ils 
sont tombés du ciel, q. xxiv, p. 268. Ils avaient été 
créés pour habiter le ciel empyrée; par leur faute ils 
ont mérité d'habiter l'enfer, mais, en raison de leur 
office, ils sont dans l'air ténébreux près de nous pour 
nous tenter, 1. II, dist. VI, a. 6, p. 132-133. Ils sont dans 
l'air usque in diem judicii, tr. V, q. xxv, m. m, 
p. 285. llabent ignem corporeum sectim et in se suc- 
censi sunt illo igné, 1. II, dist. VI, a. 7, p. 136. Un 
démon, vaincu par un saint, peut-il en tenter un autre 
pour le même péché? Ego confiteor me nescire 
quid de ista quœstione sit rerum, sed judicio Dei 
sit relinquendum , a. 9, p. 138. Quant à leur état ac- 
tuel, les démons ont le même libre arbitre qu'avant 
la chute, quoique leur liberté soit, selon saint Anselme, 
moins grande que celle des anges. Ils ont une science 
naturelle et acquise et ils peuvent de quelque manière 
connaître l'avenir, dist. VII, a. 1-5, p. 143-149. Lucifer 
se comptait toujours dans sa faute, mais il a horreur 
de la peine qu'il subit. Tout ce qu'il délibère et tout ce 
qu'il fait est mal; il n'a aucune vertu. La cause de son 
obstination est double : son endurcissement dans le 
mal et la punition de sa faute par Dieu. II n'a pas de 
puissance sensible naturelle, mais bien furor irrationa- 
bilis, démens concupiscentia, phantasia proterva. La 
syndérèse lui reste ad affîictionem et tristitiam con- 
scientiœ, tr. V, q. xxv, m. i, il, p. 271-284. Les anciens 
avaient des avis dilférents sur les corps des anges; il 
n'y a pas de doute qu'ils ne soient des substances spi- 
rituelles et pas des corps unis à une âme, dist. VU, 
a. 1, p. 168. Cependant, Albert ajoute au sujet de leur 
pouvoir d'engendrer, nescio secundum vei*itatem quid 
dicam; il lui parait toutefois plus probable d'admettre 
l'existence des démons incubes et succubes, a. 5, 
p. 175. Les ordres angéliques n'étaient pas constitués 
à l'origine; donc les anges déchus n'appartenaient à 
aucun ordre. Sum. theol., tr. X, q. xlii, m. i, p. 500. 
Le nombre des anges tombés est connu de Dieu seul, 
m. III, p. 503, ainsi que le nombre des élus qui doivent 
les remplacer. Quid vei-um sit de hoc, nullus potest 
probare, dist. IX, a. 8, p. 208. Comme prœlatio est a 
natura, il y a des chefs et des sujets parmi les démons 



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o95 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 396 



secundum ordhieni lentationis. Sum, theoL, tr. VI, 
q. XXVI, m. I, p. 289. 

60 Saint Thomas d'Aquin. — Il adopte et développe 
le plus souvent les sentiments de son maître Albert le 
Grand. Sa doctrine sur les démons se trouve surtout 
dans le Commentaire sur les Sentences, 1. II, dist. III- 
VII, et dans la Somme théologique, !■, q. lxiii-lxiv. Il 
signale trois opinions sur la question de savoir si un 
ange peut être mauvais a principio suœ créât ionis. 
La première prétend qu'il a été créé mauvais; elle est 
hérétique et impossible, car Dieu ne peut créer que 
des êtres bons. Suivant la seconde, il a été mauvais ab 
initio, non pas de la part de Dieu, sed actu proprise 
voluntatis; cette opinion est vaine, parce qu'elle est 
sans fondement; elle est erronée, voisine de la première 
opinion et condamnée par les maîtres; elle est fausse 
enfin, parce qu'il est impossible qu'un être libre soit 
mauvais tout de suite après sa création, car sa volonté 
doit désirer le vrai bien avant le bien apparent. Il faut 
donc admettre la troisième opinion, qui nie qu'un ange 
puisse être mauvais dès sa création. In IV Sent., 1. II, 
dist. III, q. II, a. 1; Sum. theol., I*, q. LXiii, a. 5. 
L'opinion la plus probable et la plus conforme aux pa- 
roles des saints est que le diable a péché aussitôt après 
le premier instant de sa création. Et il faut nécessaire- 
ment le dire, si on admet qu'il a fait alors un acte libre 
et a été créé en état de grâce. En effet, s'il avait fait un 
acte méritoire, il aurait acquis la béatitude, s'il n'y 
avait mis aussitôt obstacle par son péché. Voir t. i, 
col. 1238. Mais si l'ange n'a pas été créé en état de 
grâce ou s'il n'a pu faire au premier instant de son 
existence un acte libre, rien n'empêche d'admettre 
quelque intervalle entre la création et la chute, a. 6. 
Les anges déchus n'eurent pas la prévision certaine de 
leur faute, qui dépendait de leur libre arbitre; ils ne 
l'ont pas même conjecturée. Us pouvaient prévoir seu- 
lement qu'ils pouvaient tomber. Seule, une révélation 
divine aurait pu le leur apprendre; elle n'était pas 
congrue. In IV Sent., 1. II, dist. IV, a. 2. Il est certain 
pour tous les catholiques que des anges ont péché et 
sont devenus des démons. Il est difficile de voir com- 
ment ils ont péché, parce qu'on ne comprend pas 
comment ils ont pu se tromper dans le. choix qui a 
décidé de leur sort. Ibid., dist. V, q. i, a. 1. Dans la 
Somme, !•, q. lxiii, a. 1, saint Thomas a déclaré que 
l'ange, comme toute créature raisonnable, peut pécher 
en raison de sa nature. Quant au péché du diable, saint 
Thomas dit ce qu'il n'est pas, avant d'en déterminer 
l'objet précis. Il a été un péché d'orgueil, puisque le 
diable a refusé de se soumettre à son supérieur, lors- 
qu'il devait le faire. L'envie toutefois a pu suivre l'or- 
gueil, soit contre l'homme, par douleur de son bien, 
soit contre Dieu lui-même, parce que Dieu tire sa gloire 
de son excellence propre contre la volonté du diable, 
a. 2. Mais l'orgueil du diable, tout en consistant à lui 
faire désirer d'être comme Dieu, ne l'a pas poussé à 
vouloir égaler Dieu. Le diable savait naturellement que 
cette égalité était impossible, et il n'a pas pu désirer 
l'impossible. Celte égalité eût-elle même été possible, 
l'ange ne l'aurait pas désirée, car aucune nature ne 
peut désirer s'élever à une nature supérieure. Quant à 
)a ressemblance avec Dieu, il aurait pu désirer la rece- 
voir de Dieu. En désirant la recevoir propria virtute 
et non virtute Dei, il aurait péché. Mais il a péché, en 
réalité, en désirant avoir une propriété de Dieu, non 
pas toutefois celle de n'avoir aucun supérieur, qu'il est 
impossible de réaliser dans une créature, mais celle de 
parvenir de lui-même à sa béatitude naturelle, ne vou- 
lant pas de la béatitude surnaturelle, qui lui aurait été 
donnée par la grâce de Dieu, ou voulant obtenir cette 
dernière béatitude, non de la grâce divine, mais de sa 
propre vertu, a. 3. Cf. dist. V, q. i, a. 2, 3. Voir t. i, 
col. 1238. L'opinion commune, qui tient Lucifer pour 



le premier des anges, est probable, à cause des auto- 
rités qui la professent, et des raisons qui l'appuient, 
en particulier parce que, pour céder à l'orgueil, il faut 
être supérieur aux autres, dist. VI, q. i, a. 1. Or, les 
anges étant libres, leur chef n'était pas naturellement 
porté au mal, et on explique sa chute avec plus de pro- 
babilité, par le motif tiré de sa propre excellence : c« 
qui prouve que Lucifer était le premier des anges, a. 7. 
Les autres anges n'ont pu être naturellement mauvais. 
Étant des substances intellectuelles, nullo modo pos- 
sunt habere inclinationem naluralem in'aliquod quod- 
cumque malum, a. 4. Cf. Cont. gent., 1. III, c. cvi. Ils 
le sont donc devenus. Saint Thomas en démontre la 
possibilité. Cont. gent., 1. III, c. cviii-cx. Ailleurs, il 
en recherche la cause. C'est Lucifer, cause, nonquideni 
agens, sed quadam quasi exhortatione inducens. Ils se 
sont soumis à lui, parce qu'ils ont cédé à ses sugges- 
tions. Toutefois, ils ont péché en même temps que lui, 
parce qu'ils ont consenti (acte pour eux instantané) à 
sa faute à l'instant où il la faisait, et tout en péchant 
par orgueil, ils ont accepté Lucifer pour leur chef, afin 
d'obtenir, comme lui, la béatitude suprême par leur 
vertu naturelle. Sum. theol., I», q. lxui, a. 8; In 
IV Sent., 1. II, dist. VI, q. i, a. 2. Le nombre des anges 
tombés a été moindre que celui des anges demeurés 
fidèles. Le péché est contraire à l'inclination naturelle. 
Or ce qui est contraire à la nature se produit in pau- 
cionbus, car la nature obtient son effet ou toujours ou 
dans le plus grand nombre des cas. Sum. theol., I*, 
q. Lxiii, a. 9. C'est ainsi qu'un raisonnement sert à 
trancher une question diversement résolue par les 
Pères. 

En raison de leur faute, les démons doivent habiter 
l'enfer, lieu horrible et ténébreux. Mais, parce que Dieu 
veut se servir d'eux pour éprouver les hommes, ils sont 
dans l'air ténébreux, et il y en aura jusqu'au jour du 
jugement, tant que durera l'épreuve. Cependant quel- 
ques-uns sont déjà dans Tenfer, pour y tourmenter les 
âmes des damnés; après le jugement, tous y demeure- 
ront. On ne peut pas dire que, pour eux, la peine sen- 
sible soit différée jusqu'au jugement. Cela parait être 
contraire aux paroles des saints et au fait que les âmes 
des damnés souffrent déjà en enfer. Quant à la manière 
dont ils souffrent de ce tourment, saint Thomas a en 
deux opinions successives. Dans le commentaire sur 
les Sentences, 1. II, dist. VI, q. i, a. 3, il pensait que le 
feu de l'enfer agissait sur eux à distance. Dans la 
Somme, I», q. Lxiv, a. 4, tout en continuant à nier le 
contact immédiat du feu, il proposa une autre explica- 
tion. Ainsi quelques-uns pensent qu'ils portent partout 
avec eux le feu de l'enfer; mais, comme ils sont incor- 
porels, ils ne peuvent porter un feu corporel. Il vaut 
mieux dire qu'ils brùlentde ce feu, bien qu'ils n'y soient 
pas liés, ou mieux, bien qu'ils n'y soient pas attachés, 
leur peine n'en est pas diminuée, parce qu'ils savent 
qu'elle leur est due. Il y a trois opinions sur la question 
de savoir si les démons, vaincus par les hommes qu'ils 
tentent, continuent à tenter d'autres hommes ou des- 
cendent immédiatement en enfer. Quid tamen horum 
verius sit, incerlum est, quia nec ratione nec aucto- 
ritate mullum con/irmari potest, dist. VI, q. i, a. 5. 
Il doit y avoir entre eux un certain ordre; c'est conforme 
à leur nature, à la sagesse divine, qui les emploie à 
éprouver les hommes, et à leur malice, qui les fait se 
grouper pour attaquer avec ensemble et suite, a. 4. 
Quant à leur situation après la chute, leur connaissance 
naturelle ne leur a été ni enlevée ni diminuée; leur 
connaissance spéculative et surnaturelle des secrets de 
Dieu a été diminuée, et la connaissance pratique sur- 
naturelle, qui leur aurait fait aimer Dieu, leur a été 
totalement enlevée. Leur volonté est obstinée dans le 
mal. Cependant, quelques-uns de leurs actes peuvent 
être bons ex génère suo; leurs actes délibérés sont tous 



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397 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 398 



mauvais. Ils souffrent d*envie, en ce qu'ils voudraient 
voir les élus se damner; ils sont privés de la béatitude, 
qu'ils désirent naturellement et beaucoup ne font pas 
tout le mal qu'ils voudraient faire. In IV Sent., 1. II, 
dist. VII, q. I, a. 2; q. ii, a. i;Sum. theoL, 1% q. Lxiv, 
a. 1-3. Même, quand ils ont pris un corps humain, ils 
ne peuvent engendrer. Un démon, successivement suc- 
cube et incube, ne peut engendrer non plus. S'il le 
pouTait, per sem^n viri, il n'engendreraitqu'un homme, 
ainsi qu'il est dit des géants. Gen., vi, 4. in /F SenL, 
1. II, dist. VIII, q. II. 

7« Dun$ Scot. — Le docteur subtil, ayant sur plu- 
sieurs questions philosophiques un sentiment différent 
de celui de saint Thomas, a aussi sur les démons des 
opinions divergentes. Il les expose principalement dans 
son Canimenlaire sur les Sentences, 1. II, dist. IV-VII, 
Opéra, Paris, 1893, t. xii, p. 294-372, et dans ses Hepor- 
iata, 1. II, dist. IV, VI, VII, 1904, t. xxii, p. 601-625. Il 
réfute longuement les opinions de saint Thomas. 11 
admet pour les mauvais anges la possibilité d'avoir été 
misérables miseria pœnm et culpœ dès le premier in- 
stant de leur création (ce que n'admettait pas saint 
Thomas), parce que toute volonté peut mal agir dès le 
premier instant. Voir t. i, col. 1236. En fait, il y a eu, 
non seulement un intervalle entre leur création et leur 
chute, mais plusieurs, qu'ils aient été créés ou non 
dans la grâce, ce qui est problématique. Us ont commis 
plusieurs péchés d'espèces différentes, avant d'être 
obstinés dans le mal. Quant à l'objet du péché de Lu- 
cifer, Scot estime, à rencontre de saint Thomas, que 
Lucifer a pu désirer égaler Dieu, non pas sans doute 
d'un vouloir efficace, qui ne pouvait. pas se réaliser, 
mais d'un simple désir de concupiscence, et tanto desi- 
derio quanto concupisceret, si esset sibi jiossibile. En 
d'autres termes, il n'a pas cherché à devenir l'égal de 
Dieu, ce qui est impossible; il l'a cependant parfaite- 
ment voulu. Sa volonté est demeurée, en fait, une vel- 
léité. On dit généralement que ce premier péché fut 
un péché d'orgueil. Mais l'ange a désiré son avantage, 
la béatitude, d'une façon immodérée et désordonnée, en 
poussant l'amour de soi jusqu'à la haine de Dieu. Sa 
faute n'a donc pas été une faute d'orgueil à proprement 
parler, il n'a pas désiré sa propre excellence pour elle- 
même, sed propter delectalioneni quam importahal. 
Par conséquent, sa faute se rapporte plutôt à la luxure. 
Voir t. i, col. 1239. H a fait plusieurs péchés successifs 
dont il aurait pu se repentir. Il a débuté par un amour 
immodéré de soi, et il a consommé sa malice par la 
haine de Dieu, parce que Dieu résistait à «ses désirs. 
Son obstination est résultée seulement de ce dernier 
péché. Elle ne vient pas de Dieu, sinon permissive. 
Dieu ne peut pas, de lege ordinaHa, donner aux dé- 
mons une grÂce ad resurgendum. En fait donc, Satan 
est devenu impénitent et il demeure nécessairement 
dans le péché. Cependant, contrairement à l'opinion de 
saint Thomas et de Henri de Gand, il peut vouloir 
quelque bien et faire des actes bons, quoique par ma- 
lice il n'en accomplisse probablement aucun. Il y a 
doute qu'il puisse se disposer à la grâce. Il peut mériter 
potentia rernota; il n'y a vpas de répugnance intrin- 
sèque à son mérite. Sa volonté ne veut pas nécessaire- 
ment le mal; elle ne peut pas y être toujours poussée 
per habitum, quoiqu'il ne puisse pas faire un acte en- 
tièrement bon au point de vue moral. Il ne peut cesser 
complètement d'agir. Sa peine, même accidentelle, ne 
crott pas en intensité, pour un nouveau démérite. Voir 
t. I, col. 1236. 

III. Depuis le xv« siècle. — A partir de celle épo- 
que, les théologiens se rangent en deux catégories 
distinctes, selon qu'ils appartiennent à l'école domini- 
caine ou thomiste ou bien à l'école franciscaine ou 
scotiste. Seul, Suarez, au xviP siècle, critiqua avec vi- 
gueur les divers systèmes précédents et inaugura un 



système intermédiaire, en empruntant quelques traits 
à ses prédécesseurs, en y joignant des vues person- 
nelles. Après lui, les docteurs adoptèrent son sentiment 
ou reprirent quelqu'un de ceux qu'il avait réfutés. 

1« Suarez. — Il a consacré deux livres entiers, VII 
et VIII, de son traité De angelis aux mauvais anges, 
étudiant successivement leur chute et leur faute, puis 
leur punition et la guerre qu'ils font à Dieu et aux 
hommes. Opet^ oninia, Paris, 1856, t. ii, p. 791-1099. 
II est de foi catholique qu'il existe des démons ou anges 
mauvais, et il n'y a pas eu d'anges terrestres qui au- 
raient engendré les géants. Cf. 1. I, c. vi, n. 31. C'est 
une hérésie des manichéens et des priscillianistes de 
prétendre que les anges étaient mauvais de leur nature. 
Les anges sont devenus mauvais par leur volonté pro- 
pre; d'ailleurs, aucune créature raisonnable ne peut 
être créée impeccable. Voir t. i, col. 1237. Les anges 
n'ont péché ni par ignorance ni par inconsidération ; 
ils ont pu pécher par orgueil et, contrairement à ce que 
pense Duns Scot, ils ont réellement péché par orgueil. 
Mais Suarez admet avec Scot que le point de départ de 
ce péché a été l'amour désordonné de soi, amour à la 
fois d'amitié et de concupiscence, et amour de sa propre 
excellence (dernier point que Scot déclarait impossible). 
En quoi Lucifer a-t-il recherché et désiré désordonné- 
ment sa propre excellence? Suarez discute les diverses 
hypothèses proposées avant lui, et d'abord, celle du 
désir désordonné de la béatitude naturelle, avec les 
différentes manières de l'expliquer. Aucune ne peut 
rendre compte du péché d'orgueil, qui fut celui de Lu- 
cifer; elles lui attribuent d'autres fautes, la pusillani- 
mité ou la paresse en face de la béatitude surnaturelle, 
ou la simple complaisance dans la béatitude naturelle. 
Le désir désordonné de la béatitude surnaturelle n'ex- 
plique pas non plus la chute de Lucifer, qu'il ait voulu 
obtenir cette béatitude par ses seules forces naturelles 
et sans la grâce de Dieu, ou sans l'avoir méritée ou 
encore sans avoir pensé à la mériter. Ce désordre n'a 
guère été possible dans l'intelligence d'un ange; l'eût- 
il été, il n'aurait pas constitué un péché d'orgueil, ni 
même un péché grave. L'explication de Duns Scot n'est 
pas plus acceptable, aux yeux de Suarez, que celle de 
saint Thomas. Il en discute les arguments. La velléité 
de s'égaler à Dieu, si elle a existé, ne parait pas con- 
stituer une faute grave, parce qu'elle porte sur une 
chose impossible, à laquelle Lucifer se serait complu 
en passant. On ne rendrait sa faute grave qu'en suppo- 
sant qu'il s'est délecté dans l'objet de celte velléité : ce 
qui serait possible dans un ange déjà dépravé, mais ce 
qui ne peut guère constituer le premier péché d'une 
intelligence non encore corrompue. En fait, le péché 
de Satan n'a pas été une simple velléité, mais bien un 
acte de volonté, tendant à l'exécution. Il n'a donc pu 
se porter sur le désir d'égaler Dieu, dont la réalisation 
était impossible. Suarez adhère ensuite, comme à la plus 
probable, à l'opinion de quelques théologiens récents, 
suivant laquelle Lucifer a péché en désirant désordon- 
nément l'union hypostatique du Verbe de Dieu avec sa 
nature angélique. Cette opinion est admissible seule- 
ment dans l'hypothèse que Dieu a révélé aux anges le 
mystère de l'incarnation, hypothèse à laquelle se rallia 
le théologien espagnol, tout en y apportant diverses 
modifications. Lucifer a désiré l'union hypostatique du 
Verbe avec lui, parce qu'il y voyait une prééminence à 
acquérir. Il a donc commis le péché d'orgueil au sujet 
de la divinité, que les Pères lui reprochaient, sans 
commettre aucune erreur d'appréciation, puisque la 
révélation divine lui avait appris la possibilité de 
l'union hypostatique. Il a considéré cette union comme 
très convenable à sa nature, puis comme lui étant due, 
enfin comme lui étant refusée injustement pour être ac- 
cordée à la nature humaine. Toute autre excellence, 
telle que celle de l'indépendance relativement à Dieu 



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399 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 400 



ou celle de l'ambition de commander aux autres, n'a 
pu être l'objet de l'orgueil de Lucifer, puisqu'il savait 
que, comme créature, il était infiniment au-dessous de 
Dieu, et puisqu'il avait déjà le droit de commander aux 
autres anges, auxquels il était supérieur par les dons 
de la nature et de la grâce. Suarez examine ensuite 
quels péchés, autres que l'orgueil, Lucifer a pu com- 
mettre, tandis qu'il était encore in via, et il lui attribue 
divers péchés d'orgueil, la présomption, l'ambition, la 
vaine gloire, puis l'envie contre le Christ, devant s'unir 
hypostatiquement à l'humanité, pas toutefois l'impa- 
tience, mais plus probablement la colère et la haine 
contre le Christ et contre le genre humain, et d'autres 
péchés encore. Quant à la condition première de Lu- 
cifer avant sa chute, il n'appartenait pas aux ordres 
inférieurs de la hiérarchie angélique; il était de l'ordre 
des séraphins, qui est le plus élevé; il n'était pas ce- 
pendant le plus parfait de cet ordre, et Michel, par 
exemple, pouvait être son égal. 

Il est de foi que beaucoup d'anges ont péché, et il y 
en eut de tous les ordres. Leur nombre fut grand, 
inférieur cependant au nombre des anges demeurés 
fidèles. Ils ont été induits au péché par Lucifer, non 
pas seulement par l'exemple, mais par la persuasion, 
exprimée en paroles. Voir t. i, col. 1240. Ils n'ont pas 
péché par concupiscence, dont ils sont incapables, 
cf. l. L c. V, mais par orgueil. Leur orgueil n'a eu 
pour objet ni la béatitude naturelle ni la béatitude 
surnaturelle; il n'a pas été non plus l'assentiment au 
péché de Lucifer, qu'il soit le désir de l'indépendance 
ou celui de la domination, mais l'assentiment à son 
désir de l'union hypostatique. Comme lui, ils jugèrent 
que cet honneur aurait dû être réservé à l'un d'eux, à 
leur chef. Lucifer leur en avait donné la persuasion. 
Mais s'il a péché avant eux (selon notre manière de 
concevoir le temps), ils sont tombés tous ensemble. 
Le péché des anges supérieurs a été plus grave que 
celui des anges inférieurs, parce qu'ils étaient plus 
instruits et plus forts. Il a été commis dans le ciel, où 
ils avaient été créés, et aucun n'a pu le faire au pre- 
mier instant de sa création (nonobstant tous les argu- 
ments contraires, que Suarez discute longuement), ni 
aussitôt après sa création (in secundo inslanti), sans 
qu'il y ait eu quelque intervalle, au moins très court. 
Si les anges ont été créés au commencement du pre- 
mier jour de la création, il est plus probable aussi 
qu'ils ont péché le même jour, et que l'intervalle entre 
leur création et leur chute n'a compris qu'une partie 
de ce jour. 

Tous les anges pécheurs sont damnés et aucun d'eux 
n'a fait pénitence. Ils avaient eu cependant un très court 
répit pour se repentir; mais quoiqu'ils aient pu le 
faire, qu'ils en aient eu la liberté, qu'ils aient même 
reçu un secours suffisant, ils ont manqué du secours 
spécial, qui leur était moralement nécessaire pour ne 
pas s'endurcir, et ils se sont endurcis moralement, par 
leur faute. Dieu n'était pas tenu de leur accorder un 
répit plus long ou un secours plus grand. Voir t. i, 
col. 1240. Ils ont été damnés aussitôt après leur obsti- 
nation volontaire, et leur damnation n'a pas été réser- 
vée au jour du jugement. Suarez ne trouve même pas 
le sentiment contraire exprimé par les Pères ni par 
aucun auteur catholique. Bien que les démons soient 
punis par l'aveuglement de l'esprit, ils ont cependant 
gardé leur intelligence naturelle, mais ils sont privés 
de toute connaissance surnaturelle. Leur obstination 
dans le péché rend impossible toute réintégration dans 
leur premier état; ils sont dans l'incapacité de se re- 
pentir et ils ne peuvent accomplir aucun acte bon ou 
honnête; telle est la véritable cause de leur obstina- 
tion. Us sont tourmentés par un feu corporel et sen- 
sible, qui agit sur eux physiquement et matériellement 
leur causant une douleur réelle, et non per aWgalio- 



nem solum. Malgré la tristesse que ces souffrauces 
leur apportent, ils peuvent goûter quelque petite joie 
sensible. L'enfer souterrain est le lieu de leurs tour- 
ments. Tous sont destinés à y soufTrir. Quelques-uns 
n'en sortent jamais. Quelques autres vivent dans l'air 
pour tenter les hommes jusqu'à la fin du monde. Us y 
souffrent néanmoins la peine du feu, non pas parce 
qu'ils portent avec eux une partie de ce feu, dans 
laquelle ils seraient enfermés et à laquelle ils seraient 
unis, mais parce que le feu de l'enfer, rendu par Dieu 
capable de brûler un esprit, a reçu aussi la puissance 
d'agir à dislance par un contact virtuel. Les anges, qui 
sont dans l'air, peuvent descendre à tour de rôle dans 
l'enfer. Il est probable que Lucifer lui-même est main- 
tenant enchaîné, réservé qu'il est pour les combats des 
derniers temps. Tous les anges déchus sont sous la 
domination du chef, qu'ils ont suivi et qu'ils ont libre- 
ment choisi. Il n'est donc pas un tyran qui les domine 
et qui leur impose ses volontés, mais il ue peut non 
plus être privé de sa principauté par une rébellion des 
anges inférieurs. Il est probable aussi qu'il y a, parmi 
les démons, d'autres chefs intermédiaires, chargés 
d'offices différents et gradués. Ces charges ne provien- 
nent ni de la nature ni de l'élection ; plus probable- 
ment elles sont une peine infligée par Dieu aux dé- 
mons les plus coupables. Les ministères ne diffèrent 
pas suivant l'objet des tentations, mais plutôt d'après 
les personnes à tenter, et chaque homme a probable- 
ment, dès le moment de son .animation, un démon 
spécialement chargé de le tenter. Chaque démon peut 
interrompre momentanément ses tentations, surtout 
lorsqu'il est vaincu. Mais il est peu probable que Luci- 
fer ou un autre chef interdise à un subordonné négli- 
gent de continuer à tenter. Dieu plutôt peut obliger le 
démon à s'éloigner pour un temps. Les chefs, préposés 
peut-être à une cité, à une province, à un pays, inter- 
viennent directement, lorsque leur intervention est 
nécessaire; mais ils excitent toujours leurs inférieurs 
à la lutte, en les instruisant et en les appliquant à 
tenter tel ou tel individu. Finalement, servata propor- 
tione, on peut dire de l'action des chefs des démons et 
de celle des bons anges sur les démons la même chose 
que de celle des bons anges les uns sur les autres. 
Voir t. I, col. 4244-1245. La seule différence consiste 
en ce que les bons anges, s'ils envoient les démons, les 
envoient seulement pour infliger une peine juste et 
méritée, tandis que les chefs des démons envoient leurs 
subordonnés pour induire au péché. 

J. Schwane. Histoire des dogmes, trad. Degert, Paris, 1905, 
t. IV, p. 331-338; J. Turmel, Histoire de Vangélologie. dans la 
Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. iv, 
p. 289-309, 537-550. 

E. Mangenot. 

2o Enseignement commun des docteurs. — Après 
Suarez, il n'y eut plus guère d'opinion nouvelle au 
sujet des démons, sinon sur quelques points de détail. 
Les théologiens postérieurs se bornèrent à choisir 
parmi les opinions précédentes celles qui leur parais- 
saient les plus probables. 

1. Chute de Satan et des démons, — Tous l'attri- 
buent à l'orgueil. Quant à l'objet du péché d'orgueil, 
les avis continuèrent à être partagés. Les thomistes 
restèrent attachés au sentiment de saint Thomas. 
Quelques scotistes cependant se rangèrent à celui de 
Suarez et expliquèrent la chute par le désir de l'union 
hypostatique. Ainsi Frassen. Voir 1. 1, col. 1239. Estius, 
In IV Sent., 1. II, dist. VI, § 6, Paris, 1662, t. ii, p. 45, 
adopte le sentiment de Duns Scot. Voir Salmanticenses, 
Cursus théologiens, tr. VU, De angelis, disp. X, 
dub. i-viii, n. 1-279, 21 in-8«, Paris, 1877-1883, t. iv, 
p. 555-684; Petau, Dogmata iheologica, tr. De angelis, 
1. UI, c. Il, n. 8, t. IV, p. 65-74; Palmieri, De Deo 
créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2, thés, lix, in-8s 



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401 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 402 



Rome, 1878, p. 444-446; Mazzella, De Deo créante, 
disp. II, a. 8, § 1, n. 429-433, in-8», Rome, 1880, p. 295- 
298. 

2. Le chef des révoltés. — On le tient g^^néralement 
pour le plus élevé de tous les esprits angéiiques, ou au 
moins pour Tun parmi les plus élevés. Salmanticenses, 
Cursxis théologiens f tr. VII, De angelis, disp. XII, 
dub. III, a. 7, n. 1-3, t. iv, p. 758 sq.; Petau, Dogmata 
theologica, tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 1-8, t. iv, 
p. 74-79; Palmieri, De Deo créante et elevante,pBTXAl, 
c. II, a. 2, thés, lx, n. 5, p. 453 sq. 

3. Le nombre des révoltés. — Il fut très considérable, 
sans qu'on puisse le fixer au juste. 

Ces révoltés appartiennent très probablement, sui- 
vant Topinion commune, aux divers degrés de la hié- 
rarchie angélique. Qu'il y ait eu des défections dans 
tous les ordres et dans tous les degrés, on le conclut 
de divers passages de l'Écriture. Rom., viii, 38, saint 
Paul désigne parmi les démons : des anges, des prin- 
cipautés, des vertus; ailleurs, des archanges et des 
puissances. Eph., vi, 12. Cf. I Cor., xv, 24. Ézéchieldit 
île même qu'il y eut des chérubins tombés, xxviii, 
ii, 16. Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. VII, 
De angelis, disp. XII, dub. m, q. Lxm, a. 9, n. 1 sq., 
t. IV, p. 761; Petau, Dogmata theologica, tr. De an- 
gelis, 1. Ili, c. m, n. 7, t. IV, p. 78. 

4. Durée de Vépreuve. — Il est impossible de 
savoir combien de temps a duré l'épreuve à laquelle 
furent soumis les anges. Les esprits purs, anges ou 
démons, étant indépendants du lieu et de l'espace, ne 
vivent pas dans le temps, comme l'homme. Leur exis- 
tence ne saurait donc se mesurer, comme on mesure 
la nôtre, en comptant les heures, les jours ou les 
années. Les théologiens distinguent, dans la vie des 
anges, plusieurs instants ou périodes indéterminées en 
elles-mêmes, mais différentes des autres périodes par 
les actes, ou séries d'actes qui les caractérisent. Le 
premier instant est celui de la création des anges et de 
leur sanctification première par l'infusion de la grâce 
sanctifiante et des dons surnaturels qui l'accompagnent. 
Puis, vient l'instant ou période d'épreuve. Ensuite, la 
correspondance des bons à la grâce par leur acquies- 
cement à la volonté de Dieu, et l'infidélilé des mauvais 
par leur révolte contre le Maître suprême. Enfin, le 
quatrième instant est celui de la récompense des bons 
par le bienfait de la béatitude céleste et la punition 
des méchants par l'éternelle damnation. 

Chacune de ces périodes fut, en soi, ce qu'elle devait 
être, par rapport au résultat produit. Mais il nous est 
impossible d'avoir une notion exacte de sa durée, en 
la comparant à l'une des mesures qui nous servent 
pour apprécier le temps. Salmanticenses, Cursus théo- 
logiens, tr. VII, De angelis, disp. XII, dub. i-iii, n. 1-86, 
t. IV, p. 720-738; Petau, Dogmata theologica, tr. De 
angelis, 1. III, c. m, n. 11-18, t. iv, p. 79-82; Palmieri, 
De Deo créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2, 
thés. LX, p. 446-449; Mazzella, De Deo créante, disp. Il, 
a. 8, îS 1, n. 425, p. 291 sq. 

5. Gravité du péché commis par les démons dans 
leur révolte. — De l'avis de tous les théologiens, ce 
péché fut très grand. Cela ressort à la fois des noms 
et des appellations que l'Écriture donne aux démons; 
des peines dont les démons furent et seront éternelle- 
ment punis; et de la nature même des démons. Parmi 
tous les êtres raisonnables, les anges l'emportaient par 
les dons naturels et surnaturels. Le péché des rebelles 
revêtit donc une plus grande malice, car c'est avec plus 
de force que leur volonté libre, éclairée par une plus 
vive lumière, adhéra au mal. Tombés de plus haut, ils 
sont tombés plus bas. 

Le démon, en outre, ne peut, pour excuser sa faute, 
invoquer aucune circonstance atténuante, comme on 
en trouve dans la chute d'Adam et d'Eve. Il a péché de 



son propre mouvement et non sous l'impulsion d'un 
autre, et c'est pourquoi il est demeuré dans sa faute; 
tandis que l'homme qui n'a pas péché de lui-même, 
mais à l'instigation du démon tentateur, a obtenu de 
Dieu les moyens de se repentir et de réparer sa faute 
avec la grâce du Christ médiateur. Néanmoins, les 
anges qui ont péché, entraînés par Lucifer, ne sont 
pas excusables comme l'homme, qui a été tenté par un 
être supérieur à sa nature. Aussi les anges coupables 
ont-ils tous été punis, aussitôt après leur péché, et ils 
ne peuvent faire pénitence. Salmeron cependant, 
Jn 11 Epist. Pétri, disp. III, dub. m, a pensé que les. 
démons pouvaient faire pénitence et que Dieu avait été 
disposé à leur accorder le pardon. Il interprétait dans 
ce sens II Pet., ii, 4, et il concluait qu'avant de les expul- 
ser du ciel. Dieu avait accordé aux anges rebelles un assez 
long répit. Cf. Suarez, Z>e anflrWi»,l. VIII,c.i,n.6-88q., 
t. Il, p. 960, Il ne les aurait condamnés définitivement 
qu'après leur refus de venir à résipiscence, et le mé- 
pris avec lequel ils auraient rejeté les moyens de con 
version et de salut qu'il leur offrait. Mais cette opinion 
singulière est opposée au sentiment presque unanime 
des saints Pères et des théologiens, qui interprètent 
différemment ces paroles de saint Pierre, et pensent 
que le répit, s'il a été donné, a été de très courte durée. 
D'autres vont même plus loin, et enseignent que Dieu 
n'a pas pu vouloir pardonner aux démons, car, vu leur 
nature uniquement spirituelle, exempte de cette mobi- 
lité de volonté que l'âme humaine tient de son union 
au corps, quand ils se sont déterminés librement à un 
acte, leur volonté y adhère avec tant de force qu'elle 
ne peut plus s'en détacher. Après avoir péché, ils ne 
peuvent donc plus se repentir, et, par suite. Dieu ne 
peut leur pardonner. Salmanticenses, Cursus théolo- 
giens, tr. VII, De angelis, disp. XIII, dub. i, § 2-9, 
n. 6-^, t. IV, p. 766-778; Petau, Dogmata theologica, 
tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 18, t. iv, p. 82 sq. 

Tous les théologiens cependant n'admettent pas chez 
les démons cette impossibilité radicale de se repentir, 
après que leur volonté a adhéré au mal. Quoique in- 
comparablement plus intelligents que les hommes, les 
démons et les anges ne sont pas néanmoins omni- 
scients. Ils pourraient donc, ce semble, en considérant 
de nouveaux motifs qu'ils n'auraient pas envisagés 
d'abord, tourner leur volonté d'un objet vers un autre. 
Cf. Suarez, De angelis, 1. III, c. x, n. 5 sq.. Opéra 
omnia, t. ii, p. 404 sq. Ce ne serait donc pas à cause 
de l'impossibilité intrinsèque et essentielle de se re- 
pentir, dans laquelle ils se trouvaient, que Dieu n'a 
point pardonné aux démons après leur chute; mais ce 
serait parce que, vu l'énormité de leur faute, beaucoup 
plus grave et beaucoup moins excusable que celle de 
l'homme pécheur. Dieu avait décrété de ne leur accor- 
der ni le temps, ni la grâce de la pénitence, suivant 
l'enseignement des saints Pères cités plus haut. Sal- 
manticenses, Cursus théologiens, tr. VII, De angelis, 
disp. XIII, dub. ix-xii, t. iv, p. 778-787; Mazzella, De 
Deo créante, disp. II, a. 8, § 2, n. 442-444, p. 303-306. 

6. Nature des démons après la chute. — Si, par leur 
révolte, les démons perdirent à jamais la béatitude 
éternelle et, avec elle, tous les dons surnaturels qu'ils 
avaient reçus au moment de leur création, ils ne per- 
dirent pas cependant les qualités essentielles à leur 
nature. 

a) La spiritualité des anges avait été nettement pro- 
fessée par saint Thomas, voir t. i, col. 1230, et par le 
IV« concile du Latran, ibid., col. 1268. On ne saurait 
donc trop s'étonner de voir, au xvi« siècle, le cardinal 
Cajetan, après avoir défendu la doctrine du docteur an- 
gélique dans ses commentaires sur la Somme théolo- 
giqne, proposer la corporéité des démons, dans ses 
commentaires sur les Épllres de saint Paul, composés 
douze ans plus tard, comme il en témoigne lui-même^ 



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403 DÉMON DIAPRÉS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 4()4 



Voir Cajetan, t. ii, col. 1321, 1325. Crediderini ego dœ- 
mones esse spinirvs aebeos, et id consonare verœ phi- 
losophiœ rationif ut quemadnwdum invenitur vege- 
tativum sine sensitivo, et sensitivuni sine secundum 
locum motivo, et intellectivuyn sine secundum locutn 
motivo; ita inveniatur secundum locum motivum 
sine sensitivo, quod est ponere iiujus modj aereos spi- 
nms, constantes ex intelleclivo et secundum locum 
motivo. Et est setmo de molu progressivo, absque 
sensitivo. Verum appellatione aeris, non intelligo ele- 
mentum aeris, sed subtile corpus, nostris sensibus 
ignotum; corpus simplex et incon*uptibile ; natum 
moveri localiter ab anima ad omnes differentia^ po- 
sitionis, absque pugnantia aliqua exnatura cotyoris 
...ut nullus labov inveniatur in motu illo. Comment, 
in Epist. ad Eph., c. ii. 

Cette opinion singulière de Cajetan ne trouva aucun 
adepte, et il est, dans Tordre des temps, le dernier des 
théologiens de quelque valeur, ayant attribué aux dé- 
mons un corps matériel, fût-il d'une nature inconnue. 
Aujourd'hui la spiritualité absolue des démons, aussi 
bien que celle des anges Gdèles, est considérée comme 
certaine et il y aurait témérité à prétendre que les 
démons ont un corps éthéré, aérien, igné : en un mol, 
matériel, quelque subtil qu'on le suppose. Voir t. i, 
col. 1268-1269. 

b) Intelligence des démons, — Elle fut obscurcie, en 
quelque façon, par la soustraction des lumières surna- 
turelles, provenant de la grâce; mais non parla priva- 
tion des lumières naturelles de leur entendement, car 
celles-ci leur sont restées entières. 

c) Volonté des démons. — S. Thomas, Sum. theol., 
I*, q. LXiv, a. 2. Elle est tellement obstinée, endurcie 
et confirmée dans le mal, qu'ils ne peuvent réellement 
accomplir aucun bien. 

Les démons, dans tous leurs actes, ne cherchent et 
ne veulent que le mal. Si, parfois, un de leurs actes 
parait bon en soi, il est toujours vicié par quelque 
circonstance mauvaise. Quand les démons disent la 
vérité, par exemple, c'est pour mieux tromper ensuite. 
Quand ils confessaient la divinité du Christ sur la terre, 
ce n'était pas pour lui rendre gloire, et lui attirer des 
adorateurs, mais pour mieux le combattre. Les démons, 
en effet, selon la doctrine de saint Thomas, ne 
peuvent faire des actes qu'en les conformant à la fin 
qu'ils se sont proposée dans leur révolte première, car 
ils y ont adhéré de toutes les forces de leur être, au 
point que, depuis lors, ils n'en peuvent vouloir une 
autre. Or, cette fin est perverse en soi : c'est la guerre 
à Dieu, et, par suite, à tout ce qui est bien. Donc, tous 
leurs actes, d'une façon ou d'une autre, sont dirigés 
vers le mal. 

Pour infirmer cet argument, Vasquez, Commenlarii 
et disputationes in i»™ partem Summm theologicœ 
sancti Thomœ, éisp. CCLXXXIX, dit que, si cette raison 
était fondée, on aurait le droit d'en conclure que, sur 
la terre, tout homme en état de péché mortel ne peut 
rien faire de bon moralement, et pèche dans tous ses 
actes. Mais, comme le remarquent les Salmanticenses, 
Cursus theologicus, tr. VII, De angelis, disp. XIII, 
dub. II, § 2, n. 60 sq., t. iv, p. 788 sq., cette conclu- 
sion, vraie des damnés en enfer, est fausse pour les 
hommes qui, vivant encore sur terre, n'adhèrent pas 
au mal d'une manière inflexible, comme les démons, 
car ils peuvent encore s'en détourner. Il en est différem- 
ment après la mort. Comme le répète très souvent 
saint Thomas, le péché, une fois commis, est, pour les 
purs esprits, ce que la mort est pour l'homme. Après la 
chute, le péché fait, en quelque sorte, partie de la 
nature des démons, et n'en est plus séparable. Hoc 
ipso quod dœmon adhœreat indeclinabililer ultimo 
fini perverso, illa adhœsio qvodammodo vertitur is 
NATURAM AycEU. Et ideo oportet, ut sicut in quovis 



actu angelico débet quodammodo splendere propria 
natura angelica; ita etiam virtus prœdiclss adUssio- 
nis, atque adeo quivis actus, vel erit ipsa adhœsio, 
sive volitio perversi finis, vel aliqua parlicipalio 
illius. Loc. cit., n. 61, t. iv, p. 789. 

7. Châtiment. — En punition de leur révolte, les 
démons ont été condamnés, pour l'éternité, à la double 
peine du dam et du feu. 

a) La peine du dam. — C'est incomparablement la 
plus terrible de toutes les peines de l'enfer, et, auprès 
d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce 
soit-il, n'est presque rien. Voir Dam, col. 9-11. Mais si 
cette peine du dam est si épouvantable, comment les 
démons peuvent-ils garder assez de liberté d'esprit, 
pour tenter les hommes sur la terre, les tromper, et 
travailler avec tant de persévérance et d'habileté à leur 
perdition ? Les sentiments que les démons manifestent 
parfois durant les exorcismes paraissent davantage 
encore opposés à la douleur de leur damnation. Ils 
ricanent, ils rient, et se moquent des assistants. Satan 
prend plaisir à être adoré. C'est à lui qu'étaient dressés 
les temples consacrés autrefois aux faux dieux. Mainte- 
nant encore, là où la lumière de l'Évangile n'a pas 
dissipé les épaisses ténèbres du paganisme, il règne, 
et il tient à garder son empire. Au seiç même des 
nations chrétiennes, que d'efforts ne fait-il pas pour 
reconquérir le terrain perdu? Ces préoccupations et ces 
goûts ne paraissent guère compatibles avec la torture 
épouvantable que subissent les damnés, et que doit 
endurer surtout le prince des légions infernales, le 
plus coupable et le plus châtié de tous les maudits. La 
peine du dam, plus terrible que le feu môme de l'enfer, 
ne fait donc pas tant soufl'rir les démons. 

Si une douleur intense suspend les opérations de nos 
facultés, même intellectives, parce que notre intelligence 
et notre volonté ont besoin du concours des organes 
corporels même pour les opérations qui leur sont 
propres, il n'en est pas ainsi des purs esprits, ni des 
âmes séparées de leur corps. Leur mode de souffrir 
est très différent du nôtre dans l'état présent, et la 
peine du dam n'enlève aux démons ni leur activité 
naturelle, ni une certaine joie à faire le mal. 

b) La peine du feu. — Sur la nature de ce feu, et 
sur la manière dont il peut torturer de purs esprits, 
voir Enfer. On enseigna communément que les démons, 
qui sont répandus dans l'air, y éprouvent la peine du 
feu. Cajetan et Melchior Cano, In i*"» part. Sum. theol., 
q. XGiv, a. 4, pensèrent cependant que ce supplice leur 
était réservé pour l'époque qui suivra le jugement 
dernier. Toutefois Cano pensait que les démons les 
plus coupables restaient continuellement en enfer, et 
que les moins coupables demeuraient dans l'air pour 
tenter les hommes sans être alors soumis à la peine du 
feu. Le cordelier Feuardent rappela que saint Irénée 
et les premiers Pères disaient que le diable ignorait 
sa condamnation avant la venue de Jésus-Christ. Bel- 
larmin, De béatifie, et canonisât, sanctorum, c. vi, 
Controvers., IV* controv., 1. I, Milan, 1721, t. ii, p. 635, 
déclara que saint Justin, saint Irénée, saint tpiphane 
et Œcuménius, qui l'ont prétendu, se sont trompés. 
Mais Maldonat et Petau reconnurent que la plupart des 
anciens avaient ajourné le supplice de l'enfer pour les 
démons après le jugement. Petau tenait cependant l'o- 
pinion opposée pour vraie, parce qu'elle a prévalu dans 
l'Église. Estius, In JV Sent., 1. II, dist. VI, § 12, t. li, 
p. 53, rejette aussi le sentiment des anciens. Il n'admet 
pas que Satan soit lié dès maintenant et ne puisse venir 
sur terre; et il semble dire qu'il est ordinairement dans 
l'air, quoiqu'il descende parfois en enfer et y passe 
quelque temps entre deux missions. Quant à la manière 
dont les démons subissent sur terre la peine du feu, 
on se rallia ou bien au sentiment de saint Tho- 
mas, Billuart, De angelis, diss. VI, a. 3, § 2, Lyon, 



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405 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 406 



1839, t. II, p. 217, 219, oo bien à celui de Suarez. 

8. Hiéi*archie des dénions. — Les théologiens main- 
tinrent le sentiment de Suarez sur le principat de Satan 
et sur les chefs intermédiaires entre lui et les démons 
inférieurs. Voir Mazzella, /)e Deo créante, dïsp. II, a. 9, 
§ 2, p. 465, p. 323 sq. 

9. Action des démons sur les hommes, — Les démons, 
sortant de l'enfer et venant sur la terre pour faire la 
guerre aux hommes et les entraîner à leur perte^ 
peuvent leur nuire de plusieurs façons : a) en les pous-^ 
sant au péché par la tentation; b) en les affligeant de 
divers maux; c) en leur procurant certains avantages 
matériels pour mieux les séduire; d) en usurpant auprès 
d'eux la place de Oiau et en sUmposantà leur adoration. 

a) L'office principal des démons sur la terre est de 
tenter les hommes. Voir Tentation. 

6) Les démons peuvent aussi nuire aux hommes, 
en les affligeant de divers mattœ. — Souvent ce n'est 
là, de leur part, qu'une forme spéciale de tentation. 
S'ils font souffrir les hommes, c'est pour les faire 
tomber en des péchés d'impatience, de murmure 
contre Dieu, de colère, de blasphème, de découragement, 
et même de désespoir. Dieu le permet, pour faire 
éclater davantage la vertu de ses élus, comme il le 
permit pour Job, car l'Écriture attribue à l'esprit mau- 
vais tous les maux qoe ce saint homme eut à souffrir. 
Cf. Job, I, 6, 8, 10; ii, 5, 7 sq. Quelquefois aussi, Dieu 
se sert de cette milice des démons pour châtier les 
pécheurs. Dans les maux dont ils affligent leurs vic- 
times, ils ne sont alors que les instruments de sa 
justice. C'est pour un motif de ce genre, semble-t-il, 
que le démon Asmodée put mettre à mort, les uns 
après les autres, les sept maris de Sara, fille de Haguel. 
Tob., III, 8. 

L'Évangile afflrme qu'une foule de maladies, dont il 
fait mention fréquemment, étaient l'œuvre du démon. 
Matlh., XII, 22; xvii, 1i sq. Voir Démoniaques. Aussi 
rÉglise dans beaucoup de ses bénédictions, par exemple 
celles de l'eau, du sel, des saintes huiles, commence 
par des exorcismes, et demande ensuite que, par ces 
objets dont elle a chassé le démon, les fidèles soient 
préservés de ses funestes atteintes. Cf. Suarez, De 
angelis, I. VIII, c. xx, t. ii, p. 1084-1088; Mazzella, 
De Deo créante, disp. Il, a. 9, § 2, n. 466-469; § 3, 
n. 483-486, p. 324-326, 335-337; P. Verdun, Le diable 
dans la vie des saints, 2 in-12, Paris, 1895. 

L'action néfaste du démon sur les hommes revêt 
diverses formes. L'une des principales est l'obsession. 
Par elle, le démon occupe, en quelque façon, le corps 
de l'homme, et se sert de ses organes contre la volonté 
même de cet homme. Il lui fait accomplir, parfois, 
certains actes qui dépassent les forces de la nature 
humaine. Il y a dans l'obsession plusieurs degrés. 
Voir Obsession. Cette action du démon sur l'homme 
s'appelle possession, si l'esprit mauvais s'empare com- 
plètement de sa personne, et exerce sur lui un tel 
empire que toute action humaine cesse, pour ainsi 
dire. Cf. Mazzella, De Deo créante, disp. II, a. 9, § 2, 
n. 466-474, 486489, p. 324-329, 337, 340. Voir Possession. 

Que les démons aient ce pouvoir d'obséder ainsi les 
hommes et de s'en rendre maîtres, cela ressort de 
nombreux passages de l'Écriture, en particulier de 
ceux où il est dit que Notre-Seigneur commandait aux 
démons de sortir du corps des hommes dans lesquels 
ils s'étaient introduits. Matth., xii, 22 sq.; Marc, v, 9; 
Luc, IT, 33 sq., 41 ; viii, 27; x, 17 sq. Cf. Act., xvi, 16 
tq.; xix, 12, etc. Voir Démoniaques. 

c) Les dénions peuvent procurer aux hommes cet*- 
tains avantages matériels pour mieux les séduire* — 
Par leur intelligence et leur puissance, les démons, en 
effet, sont supérieurs aux hommes. Ils connaissent les 
secrets de la nature et les agents physiques bien mieux 
que les savants ne les connaîtront jamais. Ils sont 



donc capables de produire des résultats surprenants, 
et même, quand cela sert à leurs desseins perfides, de 
procurer des avantages matériels à ceux qui ont recours 
à eux. Il peut donc y avoir un véritable commerce de 
l'homme avec les démons. 

Cette communication avec les démons était, dans 
l'Ancien Testament, punie des peines les plus sévères^ 
comme, par exemple, la peine de mort, par la lapida- 
tion, même pour les femmes qui s'en rendaient cou- 
pables. Lev., XX, 27; Deut., xviii, 11; I Reg., xxviii, 
7, 9-10, 13. Elle constitue une faute très grave. Cf. Décret 
de Gratien, part. II, caus. XXVI, q. v; S. Thomas, 
Sum, theol., II» II», q. xcii-xcvi. Ce commerce de 
l'homme avec les démons est de diverses espèces. Voir 
Magie, Superstition. 

De nos jours, Tintervention du démon dans les choses 
humaines est encore réelle, quoique, dans les nations 
chrétiennes, elle soit beaucoup moins fréquente qu'au 
sein du paganisme ancien et moderne. On ne doit 
cependant l'admettre, dans les cas particuliers, qu'avec 
preuves sérieuses à l'appui. Lorsque des faits extraordi- 
naires sont constatés, on doit examiner avec soin si les 
forces de la nature ne suffisent pas à les expliquer. 
Souvent, en effet, des faits surprenants ne sont pas 
solidement établis, et leur fausseté devient, plus tard, 
manifeste. D'autres fois, ces faits ne sont que j'œuvre 
d'habiles prestidigitateurs, ou le résultat des agents 
naturels. 

On aurait tort, néanmoins, de rejeter, comme des 
fables puériles, tout ce qui est raconté au sujet de 
pactes conclus entre l'homme et le démon. La théologie 
démontre la possibilité de ce commerce de l'homme 
avec le démon. Mais, comme en ces matières si com- 
plexes, et si différentes de l'ordre ordinaire des choses, 
les causes d'erreur sont nombreuses, l'examen des cas 
particuliers demande une grande prudence et une extrême 
circonspection. Seule, l'autorité ecclésiastique est com- 
pétente, pour porter, en dernière analyse, un jugement 
à leur sujet. 

Jamblique, De mysteriiè ACgyptiorum, Chaldxorum, Aêsy- 
norurn, in-fol., Oxford, 1678; fn 8% Berlin, 1857; Hebenstreit, 
DeJamblichidoctrina, in-4*, Leipzig, ilQ^;WieT, Deprœstigiis 
dxmonum, ln-4% Bàle, 1583 ; Bodin, Traité de la démonomanie, 
in-4% Paris, 1589; Boguet, Discours des sorciers, ln-12, Rouen, 
1606; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. VII, De ange- 
lis, disp. X-XIV, 21 in-8% Paris, 1877-1883, t. iv, p. 564-795; 
P. d6 Lancre, Tableau de l'inconstance des démons, in-4*. 
Paris, 1613; Psellus, Dialogusde dœmotium operatione, ln-8', 
Paris, 1615, et P. G., t. cxxii, col. 819-883 ; BInsfeld, De con- 
fessionibus maleflcorum et sagarum, in-12, Cologne, 1623; Pla- 
tina, De angelis et dœmonibus, in-4*, Bologne, 1740; Calmet, 
Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires, 
2 in-12, Paris, 4751 ; de Sainte-Croix, Recherches historiques 
et critiques sur les mystères du paganisme, 2 in-8», Paris, 
1817 ; Gôrres, Christliche Myatik, 4 in-8*, Rati abonne, 1836-1842 ; 
La mystique divine, naturelle et diabolique, 4 in-4% Paris, 
1862; Collln de Piancy, Dictionnaire infernal, in-8*, Paris, 1844 ; 
Thibaudet, Des esprits et de leurs rapports avec le monde vi- 
sible d'après la tradition, in-8«, Paris, 1854 ; Lecanu, Histoire 
de Satan, sa chute, son culte, ses manifestations, sesjeuvres, 
in-8% Paris, 1861 ; Mœurs et pratiques des démons, in-8*. Paris, 
1865; BIzouard, Des rapports de Vhomme avec le démon, 
6 ln-8*, Paris, 1863-1864; A. de Saint-Albin, Le culte de Saran, 
In-12, Paris, 1867; H. d'Anselme, Un avocat du diable, in-8*, 
Avignon, 1870; De MIrville, Des esprits et de leurs manifesta- 
tions diverses, 6 ln-8*, Paris. 1803-1868; Palmierl, De Deo 
créante et élevante, in-8*, Rome, 1878, part. II, c. ii, a. 2, thés. 
Lix-LX, LXlii-LXlv, p. 444-455, 471-490; Mazzella, De Deo 
créante, in-8*, Rome, 1880, disp. II, a. 8, § 1, n. 429-434; § 2. 
n. 442; a. 9, n. 453-474; 8 3, n. 481-489, p. 295-298, 303-306, 315- 
329, 333-340; Llchtenberger, Encyclopédie des sciences reli- 
gieuses, v* Démons, 13 ln-8*, Paris, 1877-1882, t. m, p. 647-656; 
E. de Rajano, Gli angeli od angelico mondo nel disegno diDio, 
in-8*, Naples, 1883, p. 74-175 ; Angelorum seu angelici mundi 
theologia, 10 in-8*, Naples, 1884, t. ix, p. 31-94; Martigny, Dic- 
tionnaire des antiquités chrétiennes, V Démons, ln-4*, Paris, 
1889, p. 240 sq. ; Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi 



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407 DÉMON DIAPRÉS LES DÉCISIONS OFFICIELLES DE L'ÉGLISE 40» 



catholique, v Démon, in-4» Paris, 1890, p. 774-782; P. Verdun. 
Le diable dans les missions, 2 ln-12, Paris, 1893 ; Le diable dans 
la vie des saints, 2 ln-12, Paris, 1895; Ribet, La mystique divine 
distinguée des contrefaçons diaboliques, 3 in-8% Paris, 1895; 
Lescœur, La science et les fnts surnaturels contemporains, 
In-8*, Paris, 1897 ; Godard, L'occultisme contemporain, in-12, 
Paris, 1900 ; Pesch, Prœlectiones dogmaticœ, tr. De Deo créante, 
sect. V, De angelis, a. 2, n. 397-403, 408-410; tr. De novissi- 
mis, part. I, sect. iv, a. 2, n. 634; a. 3, n. 6624:65, 6683871; 
9 in-8% Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. m, p. 213-216, 219-223; 
t. IX, p. 3t2sq.,324-326, 327-329 ;Tixeront, if îsroiVe des dogwtf«, 
La théologie anténicéenne, c. i, S 2-3 ;c. ii,§ 1, § 5; c. v, § 3; 
c. XIV, § 1. ln-12, Paris, 1906, p. 38 sq., 65 sq., 108 8q..243 sq., 
447 sq. ; Kirchenlexikon, v« Teufel, 2* édit., t. xi, col. 1445-1449. 

T. Ortolan. 

IV. DtMON D'APRÈS LES DÉCISIONS OFFICIELLES 
DE L'ÉGLISE. — L'Église n'est guère intervenue, par 
Torgane de son magistère suprême, dans la détermina- 
tion de la doctrine révélée sur les démons. Elle a laissé 
à ses docteurs le soin de l'exposer comme la liberté 
d'étudier les questions que la révélation divine ne nous 
a pas fait connaître. Il s'est élevé peu d'erreurs sur le 
diable et les anges, et l'Église a eu rarement l'occasion de 
condamner des enseignements faux ou hérétiques. Les 
points qu'elle a fixés officiellement et qu'elle impose à 
notre foi sur ce sujet sont donc peu nombreux. 

1© La création des démons a été définie par divers 
conciles et imposée à la foi de tous les fidèles, dans les 
nombreux symboles, affirmant contre les doctrines dua- 
listes, qui se renouvelaient presque à chaque siècle, 
que Dieu était le créateur des êtres visibles et invi- 
sibles, parmi lesquels étaient rangés les anges déchus 
aussi bien que les anges demeurés fidèles à Dieu. V^oir 
t. I, col. 1264-1265; t. m, col. 2078-2079. 

2<> Dans des réunions tenues à Constantinople avant 
le V« concile œcuménique de 553,- on condamna dans 
15 anathématismes diverses erreurs des origénistes du 
vi« siècle. La seconde partie du 2« anathémalisme con- 
damne leur opinion sur la déchéance des esprits. Les 
âmes préexistantes, tout à fait identiques les unes 
aux autres, lasses de contempler Dieu, se portent vers 
le mal, chacune suivant sa propension propre. Par suite, 
elles prennent des corps plus ou moins subtils et gros- 
siers et portent des noms difl'érents; elles sont enfin 
réparties dans ce qu'on a appelé les ordres célestes. 
Les démons sont celles de ces âmes, qui ont atteint le 
suprême degré de malice et ont été liées à des corps 
froids et ténébreux (4» analhématisme). Le 5« repousse 
la théorie de la métempsycose ou du changement d'un 
animal ou d'un homme en ange ou en démon. Le 
début du 6« repousse la distinction de deux catégories 
de démons, l'une formée des âmes humaines déchues 
et des anges les plus élevés, entraînés plus bas par le 
poids de leurs fautes. Le 12« rejette l'union des anges, 
des hommes, du diable, des mauvais esprits et de l'âme 
elle-même du Christ au Logos dans le futur royaume 
de Dieu. Denzinger, Enchiridion, n. 188, 190-192, 198. 
Voir t. I, col. 1265-1266, et Origénisme au vi« siècle. 

3<» Au concile de Braga, tenu en 561, les évoques es- 
pagnols ont porté ces quatre anathématismes contre 
les manichéens et les priscillianistes : 

7. Si quis dicit diubolum non fuisse prius bonum angelum a 
Deo factum nec Dei opificium fuisse natnram ejus, sed dicit eum 
ex tenebris emersisse nec aiiquem sui babere auctorem, sed 
Ipsum esse principium atque substantiam mali, sicut Manichaeus 
et Priscillianus dixerunt, anathema sit. 

8. Si quis crédit, quia aliquantas in mundo crcaturas diabolus 
fecerit et tonitura et fulgura et tempeslates etsiccitatcs ipse dia- 
bolus sua auctoritate faciut, sicut Priscillianus dixit, anathema 
sit. 

12. Si quis plasmationem humani corporis diaboli dicit esse 
figmentum et concepliones in uteris matrum operibus dicit dae- 
monum figurari, ... sicut Manicliœus et Priscillianus dixerunt, ana- 
thema sit. 

i'^. Si quis dicit creationem universaî camis non opificium Dei, 
sed malignorum esse angelorum, sicut Priscillianus dicit, ana- 



thema Bit. Cf. Denzinger, Enchiridion, 10« édit., Fribourg-en- 
Brisgau, 1908, n. 237, 238, 241, 242. 

4« Le IV« concile de Latran, XII» œcuménique, pro- 
mulgua, en 1215, une profession de foi contre le» 
erreurs des albigeois, qui avaient renouvelé la doctrine 
manichéenne des deux principes. Il y définissait que 
Dieu est le créateur de toutes choses, puisqu'il a fait 
de rien, simul ah inilio teniporis, les créatures spiri- 
tuelles et corporelles, les anges et le monde. Il ajou- 
tait : Diabolus enim et alii dœmones a Deo quidem 
natura creati $u,nt boni, sed ipsi per se facti sunt 
mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit. Den- 
zinger, n. 355 (428 de la 10« édition). De cette définition 
il résulte clairement que tous les anges, même ceux qui 
sont devenus mauvais, ont été créés par Dieu et qu'ils 
ont été créés bons, mais qu'ils sont devenus mauvais 
d'eux-mêmes, par leur propre dépravation; il en résulte 
aussi que le diable a fait tomber l'homme dans le pé- 
ché. La spiritualité des anges et des démons, bien 
qu'affirmée par le concile, n'a pas été cependant l'ob- 
jet de sa définition, pas plus que la date précise de 
leur création. Voir t. i, col. 1268-1270; t. m, col. 2080- 
2081. 

5» Parmi les 45 articles de Wikleff, condamnés par 
le concile de Constance et par le pape Martin V en 
1418, le 6* est ainsi libellé : Deus débet obedire dia- 
bolo, Denzinger, n. 482 (586 de la 10« édition). 

60 Le concile de Trente, sess. V, can. 1, a déclaré 
que, par sa transgression du précepte divin, Adam a 
encouru captivitatem sub ejus potestate qui mortis 
deinde habuit imperium, hoc est diaboli. Denzinger, 
10* édit., n. 788. 

7» Le concile du Vatican, const. Dei Filius, c. i, a 
renouvelé le décret Firmiler du IV« concile de Latran 
et il a défini que toutes les choses du monde, les spi- 
rituelles et les matérielles, ont été produites de rien 
par Dieu dans la totalité de leur substance. Denzinger, 
10* édit., n. 1783. Comme il a reproduit textuellement 
sur le point qui nous occupe le décret de Latran, il n'a 
voulu définir, comme lui, que la création par Dieu de 
tous les anges et il n'a pas imposé à la foi catholique ni 
la spiritualité des démons, ni la date précise de leur 
création. Voir A. Vacant, Études Ihéologiques sur les 
constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. i, 
p. 219-227. 

£n résumé, l'autorité de l'Église nous impose 
d'admettre comme de foi catholique que les démons 
ont été créés par Dieu ainsi que toutes choses, qu'ils 
ont été créés bons, que, s'ils sont déchus, c'est par 
leur faute, et qu'ils n'ont pas créé la matière ni les 
corps. Il est de foi divine qu'il y a des anges déchus, 
que le diable, leur chef, a tenté l'homme et Ta fait 
tomber dans le péché, que Satan et ses anges ten- 
tent et persécutent les hommes et que, en punition 
de leur faute, ils ont été condamnés à l'enfer éternel, 
qui a été préparé pour eux. 11 est certain par ailleurs 
que les démons, comme les anges, sont des esprits et 
n'ont pas de corps, qu'ils ont été créés avant les hommes 
et au commencement du temps, avec les êtres corpo- 
rels. Mais il n'y a rien de définitif sur la nature et 
l'objet du péché des anges, sur la date de leur chute, 
sinon qu'elle est antérieure à la création de l'homme; 
sur leur condition après la chute, sinon qu'ils sont les 
ennemis de l'homme, qu'ils portent au mal et qu'ils 
sont obstinés dans leur malice, sur la nature de leur 
peine, sinon qu'ils sont destinés à l'enfer éternel. Les 
sentiments des théologiens, que nous avons exposés 
plus haut, sur les points non contenus dans la révé- 
lation, sont plus ou moins probables et n'ont jamais 
été sanctionnés par l'autorité de l'Église. Les docteurs 
ne se sont pas crus liés par les opinions de leurs 
devanciers ; ils les ont copieusement critiquées, cher- 



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409 



DEMON — DEMONIAQUES 



410 



chant à préciser davantage les points laissés à leur 
libre discussion. 

Hagen, Der Teufel im Licht der Glauhensquellen, 1899; 
XircMicheê Handlexikon, Munich, 1907, t. i, col. 1035. 

E. Mangenot. 
DÉMONIAQUES. — I. Définition. II. Existence. 

III, Cause. IV. Responsabilité des démoniaques. 

I. DÉFi.MTiON. — On appelle démoniaques les per- 
sonnes dont le corps, par une permission de Dieu, est 
livré, plus ou moins complètement, à l'inAuence mal- 
faisante du démon. L'Écriture las désigne sous le 
nom de Soct|i.ovt^6(ievo(, ou de 6at(£^vt(rdévTe;, a dœ- 
monio vexali, êa'.jiôvia ï^o^éxtij dsBmonia habentes, 
asAr,vta^6(ievoi, lunatici. 

Cette influence du démon sur les possédés n'est pas 
simplement indirecte ou morale, comme, par exemple, 
dans les tentations, même les plus fortes; elle est une 
action directe et physique, exercée par les esprits de 
ténèbres sur les organes corporels du malheureux 
soumis à leur empire. Il en résulte pour celui-ci un 
état maladif, étrange, sortant des lois ordinaires des 
affections morbides, quoique souvent accompagné de 
phénomènes d*ordre purement naturel que le démon dé- 
termine en lui, simultanément avec ceux qui dépassent 
la sphère propre aux agents physiques. Ces phénomènes 
sont habituellement une surexcitation générale et pro- 
fonde de tout le système nerveux; l'épilepsie, Matth., 

IV, 24; Marc., m, il; Luc, vi, 48; ou bien des paraly- 
sies locales, Luc, xiii, 11, 16, causant le mutisme, la 
cécité ou la surdité, bien que les organes des sens 
persistent dans leur intégrité native, Matth., ix, 32; xii, 
22; Marc, ix, 24; et d'autres maladies de diverses 
formes. Matth., viii, 16; xv, 22; Marc, i, 32, 34, 39; 
VII, 25; Luc, iv, 41; vu, 21; viii, 2. 

D'autres fois, au contraire, le démon communique 
à sa victime un accroissement extraordinaire de force 
musculaire. Le malheureux entre en fureur, au point 
d'écumer de rage, de grincer des dents, de pousser 
des cris épouvantables, de se précipiter dans Teau ou 
dans le feu. II devient alors redoutable pour ceux qui 
l'approchent, brise, comme des fétus de paille, les 
chaînes de fer dont on veut le lier; et, s'il ne peut 
atteindre les autres, tourne sa fureur contre lui-même, 
se déchirant avec ses ongles, et se meurtrissant avec 
les pierres du chemin. Matth., viii, 28, 32; xvii, 14; 
Marc, V, 2,4, 13; ix, 16, 17; Luc, vni, 27, 29,33; ix, 
39; Act., XIX, 13-16. 

Cette action troublante et bouleversante du démon 
sur les organes corporels se continue dans les facultés 
mixtes, comme l'imagination, la mémoire, la sensibi- 
lité. Elle s'étend même plus loin et plus haut dans 
l'être humain, car elle a sa répercussion jusque dans 
l'intelligence. Les opérations intellectuelles présentent 
parfois un tel caractère d'incohérence, que les démo- 
niaques paraissent frappés d'aliénation mentale. Il 
n'est pas rare aussi de voir se produire, dans le domaine 
de l'esprit, un phénomène analogue à celui qui se passe 
dans le corps et ses organes. De même que le démon, 
au lieu de paralyser les énergies corporelles du démo- 
niaque, en augmente parfois la puissance ; de même, 
au lieu de diminuer ses lumières naturelles, il com- 
munique à son intelligence des connaissances qui dé- 
passent de beaucoup sa portée. Matth., viii, 29; Marc, 
1, 24, 34; 111,2; v, 7; Luc,iv, 3441; viii, 28; Act.,xvi, 
16, 18. 

Les démoniaques peuvent être sous l'influence non 
seulement d'un démon, mais de plusieurs, en même 
temps; et parfois d'un si grand nombre qu'ils s'ap- 
pellent eux-mêmes légion. Matth., xii, 43, 45; Marc, 

V, 9; XVI, 9; Luc, viii, 30; xi, 24-26. 

II. Existence. — L'Ancien Testament ne fait pas 
mention explicite des démoniaques; il parle seulement 
du pouvoir qu ont les esprits malins d'exercer sur les 



malheureux, dont ils s'emparent, une action néfaste, 
malfaisante et lyrannique. Il raconte, par exemple, 
comment l'esprit mauvais se précipitait sur le roi Saûl, 
l'agitait d'une façon affreuse et le rendait farouche et 
sanguinaire. I Re^., xvi, 14-16; xïx, 9. Cf. Josèphe, 
Ant. jud., VI, viii, 2; xi, 2. 

Au temps de Noire-Seigneur, les démoniaques 
étaient fort nombreux, en Palestine, voir col. 331, et 
ils paraissent l'avoir été beaucoup plus que dans toute 
autre période de l'histoire. Il en fut ainsi, soit parce 
que la dépravation païenne avait pénétré jusqu'au sein 
du peuple de Dieu; soit parce que c'était le moment 
d'une lutte décisive et sans merci entre le bien et le 
maL La puissance céleste qui se manifestait si claire- 
ment dans les actes de Jésus, provoqua, de la part des 
anges tombés, une recrudescence de haine et de rage. 
De même que Dieu, par l'incarnation, se rendait visi- 
ble et habitait parmi les hommes, Baruch, in, 38; 
Joa., i, 14; ainsi le démon affirmait davantage son 
existence et son pouvoir, essayant, lui aussi, d'habiter 
d'une façon plus visible et comme tangible dans l'hu- 
manité. Le contraste entre la miséricorde de Dieu et 
la malice de Satan, poursuivant de sa haine jalouse 
l'homme que Dieu voulait sauver, s'accentuait ainsi 
davantage. Marc, v, 19. Cet antagonisme violent était 
nécessaire, afin que la victoire du Sauveur sur les 
puissances infernales lat plus éclatante. Cf. Delitzsch, 
System der biblischen Psychologie, in-8», Leipzig, 
1861, p. 305. 

Depuis l'établissement de l'Église, le nombre des 
démoniaques a, de beaucoup, diminué dans les nations 
devenues chrétiennes. Cf. Martigny, Dictionnaire des 
antiquités chrétiennes, in-4«>, Paris, 1889, p. 312. Par 
le baptême et les autres sacrements, les fidèles sont 
préservés de ces atteintes sensibles du démon. lia 
perdu de son empire, même sur ceux qui, ayant été 
baptisés, vivent cependant d'une manière peu conforme 
à la foi de leur baptême. Membres de l'Église, quoique 
membres morts, ils trouvent dans celte union, pour- 
tant si imparfaite, au corps mystique du Christ, un se- 
cours souvent suffisant pour que le démon ne puisse 
s'emparer d'eux, comme il l'aurait fait, s'ils étaient 
païens. 

Néanmoins, non seulement dans les régions qui 
n'ont pas reçu l'Évangile, mais aussi dans celles où 
l'Église est établie, des démoniaques se rencontrent 
encore. Leur nombre augmente en proportion du degré 
de l'apostasie des nations qui, autrefois catholiques, 
abandonnent peu à peu la foi, et retournent au paga- 
nisme théorique et pratique. 

On a tenté, de nos jours, au nom du progrès des 
sciences médicales et des sciences connexes, de nier 
l'existence des démoniaques. Dans leur état si étrange, 
on n'a voulu voir que des affections morbides spéciales, 
surtout des maladies nerveuses, d'origine toute natu- 
relle. Cf. Richet, Les démoniaques d'aujourd'hui et 
d'autrefois, dans la Revue des deux mondes, 15 jan- 
vier, l^et 15 février 1880; Kicherj Études cliniques sur 
la grande ?iy8térie,iïi-S°y Paris, 1880; Charcot, Leçons 
sur les maladies du système nerveux, faites à la Sal- 
pêtrière, recueillies et publiées par le docteur Bour- 
neville, in-8<», Paris, 1880; Charcot et Richer, Les dé- 
moniaqttes dans Vart, in-8o, Paris, 1881 ; Dourneville 
et Regnard, L'iconographie photographique de la 
Salpêtrière, 3 in-4o, Paris, 1878-1882. 

Les Juifs, a-t<on dit, attribuaient aux démons des 
phénomènes morbides qui n'étaient que l'effet de 
l'épilepsie, de l'hystérie, ou de la folie. Cf. Renan, Vie 
de Jésus, c xvi; Ed. Slapfer, La Palestine au temps 
de Jésus Christ, 3« édit., Paris, 1885, p. 2^3-244. Cette 
erreur leur était commune avec beaucoup d'anciens 
peuples, qui rendaient les génies malfaisants respon- 
sables d'une foule de maladies dont souffraient les 



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411 



DÉMONIAQUES 



412 



hommes. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples 
de VOrient classique, 3 in-8s Paris, 1895, t. i, p. 683, 
780. Chez les Grecs, d'ailleurs, le mot Saijiovâv, 
avoir un démon, signifiait simplement divaguer, être 
fou. Cf. Euripide, Phœnic, 888; Plutarque, Marcel., 
23; Lélut, Du démon de Socrate, in-8», Paris, 4856. 
C'est dans ce sens que les Juifs accusèrent Jésus d'avoir 
un démon, et, par suile, de ne savoir ni ce qu'il 
disait, ni ce qu'il faisait. Matth., xi, 18; Joa., viii, 48, 
52; X, 20. 

Les apôtres, ajoute-t-on, auraient partagé l'erreur 
des Juifs, alors si répandue ; et Notre-Seigneur, en dé- 
livrant les malades de leurs infirmités, se serait, dans 
la manière de s'exprimer, conformé à l'erreur de son 
temps. Cf. Winer, Biblisches Realwôrterbuch, in-4», 
Leipzig, 1833, p. 191. Il n'est pas admissible que 
Notre-Seigneur, par son langage, ait voulu confirmer 
une erreur. Il l'aurait combattue, au contraire, tout en 
guérissant les malades, comme il le fit à propos de 
Taveugle-né. Ses apôtres croyaient que cette cécité 
était une punition des péchés des parents, ou même 
de ceux que l'aveugle aurait commis avant sa naissance, 
ou pendant sa vie présente, et que Dieu aurait punis 
par anticipation. Les Juifs pensaient, en effet, que 
tout mal physique était un châtiment, comme l'avaient 
dit à Job les amis venus pour le consoler. Cf. Exod., 
XX, 5; Deut., v, 9. Notre-Seigneur détrompa ses apô- 
tres au sujet de l'aveugle-né. Joa., ix, 1-8. Comment 
ne Taurait-il pas fait pour une erreur plus préjudicia- 
ble encore? Non seulement il ne chercha point à 
modifier cette croyance des apôtres à l'existence des 
démoniaques, mais il la fortifia par son enseignement. 
Bien plus, il leur communiqua le pouvoir de guérir 
ces étranges malades, en chassant eux-mêmes les dé- 
mons. Matth., X, 1; XII, 27, 43, 45; xv, 22; xvii, 15-20; 
Marc, V, 9; vi, 7; vu, 25; ix, 27 sq.; xvi, 17; Luc.,iv, 
33; VIII, 27; ix, 1, 40; x, 17, 20. Ils ont exercé aussi 
ce pouvoir après l'ascension. Voir col. 334. 

Le démon, il est vrai, peut causer dans l'homme des 
désordres organiques desquels résultent des maladies 
qui ne dépassent pas l'ordre naturel. Job, ii, 7 sq. 
Mais il peut faire davantage. De nombreux exemples 
prouvent que les évangélistes distinguaient très bien 
entre les maladies simplement naturelles, susceptibles 
d*étre produites indifl'éremment par les agents phy- 
siques, ou par les agents supérieurs à la nature; et les 
effets extraordinaires et autrement surprenants qui ne 
pou valent être que la suite de l'intervention des démons. 
Matth., IV, 24; viii, 14-17; xii, 9-14; xv, 28; Marc, m, 
10, 11; Luc, VI, 18; ix, 43. Tout muet, tout homme 
sourd, tout épileptique n'est pas pour eux un démo- 
niaque. Leur était-il possible de concevoir comme 
purement naturelle, une maladie qui, au moment de la 
guérison, projette violemment à terre celui qu'elle 
abandonne, et le laisse comme pour mort sur le sol ? 
Marc, IX, 25; Luc, iv, 35; ou bien celle qui d'un 
malade passe dans un troupeau d'animaux, et les préci- 
pite dans un lac, où ils sont noyés, comme il arriva 
pour les deux démoniaques du pays des Géraséniens? 
Matth., VIII, 28-34. Cf. S. Thomas, Sum. theol, III», 
q. XLiv, a. 1, ad 4»». Aussi saint Matthieu, dans les 
malades que Notre-Seigneur guérissait, distingue-t-il 
très clairement les démoniaques des paralytiques et des 
lunatiques, ou épileptiques. Cf. Yigouroux, Les Livres 
saints et la critique rationaliste, 5 in-8<>, Paris, 1891, 
t. V, p. 386 sq. 

La croyance des évangélistes aux démoniaques se 
retrouve dans les saints Pères. Très souvent ils affirment 
que les démoniaques existaient, à leur époque, parmi 
les païens. Cf. Tertullien, Apolog,, c xxiii, P. L,, 1. 1, 
col. 413; Minucius Félix, Octavius, c. xxvii, P. L., 
t. III, col. 323; S. Cyprien, Adversus Demetrianum, 
c. XV, P. L., t. IV, col. 574 sq.; Lactance, Divin, inslil., 



1. II, c. XVI ; 1. V, c. xxiii, P. L., t. vi, col. 355; S. Je- 
rôme, Adversus Vigilant., c. x, P. L., t. xxiii, col. 348; 
S. Justin, Apot., I, 18; Dialog. cum Tryph., n. 85, 
P. G., t. VI, col. 355, 676; S. Irénée, Contra hœr., 1. II, 
c. VI, n. 2; c. xxxii, n. 4, P. G., t. vu, col. 725, 829; 
Origène, Jn Num., homil. xvi, P. G., t. xii, col. 690; 
Eusèbe, Prmp. evangel., 1. IV, c i sq.; 1. XIV, c. x, 
P. G., t. XXI, col. 229, 309; S. Athanase, De incarna- 
tione Verbi, n. 46 sq., P. G., t. xxv, col. 178 sq. ; 
S. Cyrille de Jérusalem, Cat., iv, 13; x, 19, P. G., 
t. xxxiii, col. 472, 685; S. Cyrille d'Alexandrie, 
Comment, in Os., c. iv, P. G., t. Lxxi, col. 130; Quœ- 
stiones ad orthodoxos, q. XL, P. G., t. vi, col. 1285. 

L'objection faite au nom des progrès des sciences 
médicales tombe d'elle-même, si l'on considère atten- 
tivement les faits allégués. L'ignorance a parfois con- 
fondu des cas pathologiques mal étudiés, ou mal connus, 
avec des possessions démoniaques. Il est faux, cepen- 
dant, que l'on puisse toujours confondre celles-ci avec 
des affections simplement morbides. Les maladies 
mentales, pas plus que l'hystérie ou l'état hypnotique, 
ne peuvent soustraire un individu aux lois du monde 
physique, ni lui communiquer des lumières intellec- 
tuelles ou des forces musculaires ne présentant aucun 
rapport avec celles qu'il avait dans son étal normal. 
On ne peut nier, en outre, que, de nos jours encore, 
l'hystérie, l'aliénation mentale, et autres maladies, ne 
soient accompagnées de faits vraiment extraordinaires 
qu'on ne saurait rattacher au domaine strictement 
scientifique. Ces cas, qui déroutent la science impuis- 
sante à les guérir, et ne peuvent s'expliquer par le 
seul jeu des agents physiques, semblent bien dus à 
l'intervention de causes supérieures à la nature. De 
plus, comme il s'y révèle une action malfaisante et 
souvent immorale, on ne saurait les faire remonter 
jusqu'à Dieu ou à ses anges. Il faut donc y voir l'influen- 
ce des démons; et ces prétendus malades, sont, bien 
des fois, de vrais démoniaques. Cf. Jaugey, Diction^ 
naire apologétique de la foi catfiolique, in-4o, Paris, 
1889, col. 778 sq., 2515-2541; Hélot, Nèv%*oses et posses- 
sions diaboliques, in-8o, Paris, 18^. 

III. Cause. — La permission donnée par Dieu an 
démon de s'emparer ainsi des organes corporels et des 
facultés spirituelles d'une créature humaine, est parfois 
la punition de certains péchés graves commis par les 
possédés, en particulier des péchés de la chair. Il n'en 
est pas cependant toujours ainsi. Un démoniaque n'est 
pas nécessairement coupable. Quelquefois, Dieu permet 
cet état, comme il permet certaines maladies, pour en 
tirer sa gloire par l'intervention ostensible de sa toute- 
puissance, Joa., IX, 1-8, ou pour éprouver les possédés 
eux-mêmes. 

L'Évangile nous présente l'exemple de démoniaques 
gémissant sur leur triste état, dont ils se rendaient 
suffisamment compte pour désirer leur guérison. Il leur 
restait, en effet, des intervalles de lucidité et de liberté 
morale. Ils allaient alors demander à Notre-Seigneur 
de les délivrer. Mais, dès qu'ils s'approchaient du Fils 
de Dieu, les démons qui les possédaient, entraient en 
fureur, ne voulant pas lâcher leur proie. Ces malheureux 
semblaient alors soumis, en même temps, à deux forces 
contraires : l'une qui les attirait vers Jésus; l'autre qoi 
les en repoussait violemment. C'est à ces moments 
surtout qu'ils semblaient être des fous furieux, et deve- 
naient dangereux pour ceux qui les entouraient. S'ils 
ne pouvaient les atteindre, ils tournaient contre eux- 
mêmes leur propre fureur, se déchirant et se meurtris** 
sant les chairs. Après des paroles de supplications 
adressées au Messie, suivaient, sans transition, des 
injures et des cris de haine, ou des reproches tels que 
ceux-ci : « Qu'y a-t-il de commun entre toi et nous? — 
Pourquoi viens-tu avant l'heure nous tourmenter? > 
Matth., viii, 29; Marc, v, 7; Luc, viii, 28. 



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413 



DÉMONIAQUES — DENIFLE 



414 



lY. Responsabilité des démoniaques. — Malgré le 
trouble apporté par la présence du démon dans les 
opérations intellectuelles des démoniaques, ceux-ci 
gardent parfois, en tout ou en partie, le pouvoir de 
résister aux suggestions diaboliques. Ils restent, alors, 
devant Dieu, responsables de leurs actes, dans la mesure 
où leur liberté morale demeure. Mais si leur corps 
échappe totalement, par intervalles, à Tempire de leur 
âme, ils ne portent plus évidemment la responsabilité 
d'actes qui ne sont pas leur œuvre, et qu'ils ne peuvent 
nullement empêcher. Cette irresponsabilité persiste, 
autant que dure en eux cette perturbation profonde qui 
leur enlève l'usage de la liberté. L'homme n'est plus 
alors qu'un instrument inerte, sous le pouvoir absolu 
de l'esprit mauvais qui le possède et s'en sert. 

Chose digne de remarque, en effet. Si le démon peut 
s'emparer du corps des démoniaques, au point de les 
soustraire' parfois plus ou moins aux lois physiques, 
par exemple à celle de la pesanteur, ou de leur commu- 
niquer une vigueur extraordinaire ; il ne peut pas, 
cependant, à proprement parler, s'emparer de leur 
âme, et pénétrer en elle contrairement à leur volonté. 
C'est là un privilège de Dieu exclusivement. Cf. S. Au- 
gustin, De spiHtu et anima, 27; De ecclesiculicis 
dogmatibus, 50, P. L., t. XL, col. 799; t. XLii, col. 1221; 
S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. VIII, q. i, a. 5, 
ad 6»"; Sum. theol., I«, q. cxiv, a. 1-3. Il ne peut donc 
se servir de la liberté humaine, comme il se sert des 
organes corporels, pour les faire agir à sa guise. Tous 
les moyens qu'il est capable de mettre en jeu, pour 
amener les démoniaques à vouloir ce qu'il veut lui- 
même, sont la crainte, la terreur, la fascination pro- 
duite dans leur esprit par cette puissance extraordinaire 
dont ces malheureux constatent les effets, dans leur 
propre corps. Leur responsabilité, quand elle subsiste, 
est fortement diminuée par ces circonstances atté- 
nuantes. C'est pour ce motif sans doute que l'on voit si 
souvent dans l'Évangile Notre-Seigneur adresser de vifs 
reproches aux démons qu'il chasse, et n'avoir que des 
paroles de compassion pour les démoniaques eux- 
mêmes. Cf. Ribet, Jm mystique divine distinguée des 
cont effaçons diaboliques et des analogies humaines, 
pari. III, c. X, § 9, 10, 3 in-8^, Paris, 1895, t. m, p. 207 
sq. Voir Possession. 

p. Thyrée, De dsemùniaciê, in-4% Cologne, 1594; in-8*, Lyon, 
1699; De BéruUe, Traité des énergumènes, in-4% Paris, 1657; 
Âcta sanctorum, t. vi maii, p. 491 sq., 600, et passim ; t. vu, 
p. 761 ; Esqulrol, Maladies mentales, 2 in-8% Paris, 1838; Braid, 
Neurypnology or the rat tonale af nervous sleep, considered 
in relation with animal magnetism, in-8*, Londres, 1843 ; 
Cahneil, De la folie, 2 in-8% Paris, 1845 ; Briquet, Traité de 
V hystérie, in-8*, Paris, 1847; Hue, Souvenirs d'un voyage dans 
la Tartarie, le Thibet et la Chine, 2 in-8*, Paris, 1850; Sandras 
et Bourguignon, Traité pratique des maladies nerveuses, 

2 in-8*, Paris, 1860; Boucbut, Nervosisme, in-8*, Paris, 1860; 
Briére de Bolsmont, Des hallucinations, in-8*, Paris, 1862; 
Gorres, La mystique divine, naturelle et diabolique, 4 in-8*, 
Paris, 1862; PaiUouz, Le magnétisme, le spiritisme et la pos- 
session, in-12, Paris, 1863;Bi2ouart, Des rapports de l'homme 
avec les démons, 6 in-8*, Paris, 1863-1864; Smith, Dictionary 
ofthe Bible, v* Demoniacs, 3 in-S", Londres, 1863, t. i, p. 425- 
427; De Mirville, Des esprits et de leurs manifestations diverses, 
6 ÎD-a*, Paris, 1863-1868 ; Lenormant, La magie chez les Chai' 
déens, in-8*, Paris, 1874; Ritti, Théorie physiologique des 
hallucinations, in-3*, Paris, 1874; Dagonet, Nouveau traité 
élémentaire et pratique des maladies mentales, in-8*, Paris, 
1876; Undsay, Cyclopaediaofbiblicalliterature, v* Demoniacs, 

3 in-8*, Edimbourg. 1877, t. i, p. 661-664; Palmieri, De Deo 
créante et élevante, part. II, c. ii, a. 2, th. lxiii, in-8*, Rome, 
1878, p. 473-479 ; de Bonniot, Le miracle et les sciences médi- 
cales, in-12, Paris, 1879; Mazzella, De Deo créante, disp. II, 
a. 9. n. 409-474, 486-490, in-8*, Rome, 1880, p. 326-328, 337-441 ; 
Oureot, Leçons sur les nmladies du système nervewc, faites à 
ta Saipétrière, recueillUrs et publiées par le docteur Boume- 
viWf, in-S% Paris, 1880; Richer, Études cliniques sur la grande 
hystérie, în-8*, Paris, 1880: Richet. Les démoniaques d'aujour- 
d'hui et les démoniaques d'autrefois, dans la Revue des deux 



mondes, 15 janvier, 1" et 15 février 1880; Charcol et Ricber, Les 
démoniaques dans l'art, in-8', Paris, 1881 ; Boumeville et 
Regnard, L'iconographie photographique de la SalpHriëre, 
3 in-4*. Paris, 1878-1882; Petit, Une épidémie d'hystéro-démo- 
nopathie à Verzegnis, dans la Revue scientifique, avril 1880; 
Azenfeld et Ilucliard, Traité des névroses, in-8*, Paris, 1883; 
Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, in-4**, 
Paris, 1889, col. 778 sq., 2515-2541 ; FértS Les épilepsies et les 
épileptiques, in-8*, Paris, 1890; Nevins, Possession and allied 
thèmes being an inductive Study of Phenomena ofour own 
Times, in-8*, New-Yorlc, 1896; Ribet, La mystique divine 
distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies 
humaines, part. III, c. ix-x, 3 in-8*, Paris, 1895, t. in, p. 175- 
233; Voisin, L'épilepsie, in-8*, Paris, 1897; Hélot, Névroses et 
possessions diaboliques, in-8*. Paria, 1898; Sollier, Genèse et 
nature de l'hystérie, 2 in-8*, Paris, 1897; Janet, Névroses et 
idées /teea, 2 in-8*, Paris, 1898; Maurice de Fleury, Introduc- 
tion à la médecine de l'esprit, in-8*, Paris, 1898; Pesch, 
Prmlectiones dogmaticœ, tr. De Deo créante et élevante, sect. v, 
a. 2, n. 414, 9 in-8', Fribourg-en-Brisgau, 1902. t. m, p. 220; 
Picard, La transcendance de Jésus-Christ, 1. IV, c. i, § 2, Les 
anges et les démons, 2 in-8', Paris, 1906, t. ii, p. 61 sq., 63-67; 
H. Laebr, Die Ddmonischen des N. T., Leipzig. 1894. 

T. Ortolan. 

DENIFLE JoMph, né à Imst, village de rOberinntal, 
en Tyrol, le 16 janvier 1844, fit ses premières études au 
gymnase de Hrixen. En 1861, il prend l'habit domini- 
cain au couvent de Gratz et change son nom de Joseph 
en celui de Heinrich, en mémoire de Henri Suso, un des 
grands mystiques de Tordre. 11 étudie la philosophie et 
la théologie dans Tordre, à Gratz, d'abord, puis à Rome 
et à Saint-Maximin, prés de Marseille. Ordonné en 1866, 
il continue ses études jusqu'en 1870. Vers cette époque, 
il devint professeur de philosophie au couvent de Gratz : 
il y demeura pendant dix ans. Pendant cette période, 
le P. Denifle s'adonna à la prédication à Gratz et dans 
d'autres grandes villes d'Autriche. Un premier livre fut 
le résultat de ces prédications : Die katJwlischeJiirche 
und das Ziel der Menscheit, Gratz, 1872; 2« édit., in-8», 
Gratz, 1906. En 1880, le P. Denitle est appelé à Rome 
auprès du général de Tordre, en qualité de socius. Au 
cours de l'hiver 1882-1883, il se rend en Espagne pour 
y rechercher les manuscrits des œuvres de saint Thomas 
d'Aquin, en vue de la réédition que venait de décider 
Léon XllI. 11 profite de ce voyage pour poursuivre ses 
travaux personnels. En 1883, à la recommandation du 
cardinal Hergenrôther, il fut nommé sous-archiviste 
aux Archives secrètes du Vatican. A partir de ce mo- 
ment Thistoire de la vie du P. Denille se confond avec 
celle de son activité littéraire. Ses travaux lui procurè- 
rent de nombreux séjours en France, en particulier à 
Paris où il séjourna plus de 40 fois. Les qualités de 
cœur du P. Denifle lui avaient assuré partout de pré- 
cieuses amitiés. Durant sa vie les plus honorables dis- 
tinctions lui étaient venues de nombreux corps savants 
des différents pays de l'Europe. Le P. Denille fut un 
vigoureux polémiste, parfois même son ardent amour 
de la vérité lui fit dépasser la mesure dans ses critiques 
à ses contradicteurs. Il mourut le 10 juin 1905, à Munich, 
d'une attaque d'apoplexie et fut enterré dans la crypte 
de la basilique de Saint-Boniface. 

Nous n'indiquerons ici que celles des œuvres du 
P. Denifle qui ont rapport à la théologie. Bien que ses 
recherches fussent surtout d'ordre historique, il n'en 
est guère pourtant où des questions théologiques de la 
plus haute importance n'aient été touchées. Au point 
de vue surtout des sources de l'histoire de la théologie 
médiévale, l'œuvre du P. Denifle s'impose parla richesse 
et la sûreté de ses renseignements. Nous grouperons 
les ouvrages se rapportant à un même sujet, sans 
entrer dans 1^ détail des nombreuses polémiques se rap- 
portant à ces divers ouvrages : 

1» Sources de la théologie médiévale; étude des ins- 
titutions. — Le centre des études théologiques au 
moyen âge étant l'université, d'où procèdent tout le 
mouvement théologique et la vie ecclésiastique, le 



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415 



DENIFLE 



DÉNISOV 



416 



P. DeniHe s'adonna d*une façon spéciale à Tétude de ces 
institutions. On a de lui : 1. Die Universitàten des Mit- 
telalters bis 4400, t. i, Die Entstehung der Universi- 
tàten, in-8o, Berlin, 1885. Dans la pensée de l'auteur, 
Touvrage devait comprendre 4 volumes. Seul, le pre- 
mier parut; dans les 3 autres, il devait traiter en particu- 
lier de Tuniversité de Paris. — 2. Le plus important 
pour l'étude de la vie théologique est l'ouvrage publié 
en collaboration avec Emile Châtelain : Chartularium 
universilatis PatHsiensis sub auspiciis consilii generalis 
facultatum Parisiensiuru , 4 in-8<», Paris, 1889, t. i (de 
1200 à 1286); 1891, t. ii (de 4286 à ia"50); 1894, t. ni (de 
1350 à 1384); 1897, t. iv(de 1384 à 1452). Comme com- 
plément au cartulaire, les deux collaborateurs publièrent 
VAuclarium chartularii universitalis Parisiensis, 
Paris, 4894, t. i; 1897, t. ii. Ces deux volumes contien- 
nent le Liber procuratontm nationis Anglicanœ {Aie- 
maniœ), de 1333 à 1466. Le cartulaire présente aux éru- 
dits de la théologie médiévale deux classes de rensei- 
gnements précieux : l'une regarde l'histoire de l'institu- 
tion elle-même et de son développement; l'autre, 
surtout constituée par les notes très abondantes des 
éditeurs, renferme à peu près sur chaque personnage de 
cette période des données érudites Irùs complètes. 

— 3. Intéresse aussi l'étude des sources de l'histoire 
de la théologie médiévale ÏArchiv fïtr Lilteratur und 
Kirchengeschichte des Miltelaltevs, revue fondée en 

1885, en collaboration avec le P. Ehrle, S. J. Elle com- 
prend 7 vol. Dans les 6 premiers, le P. Denide a publié : 
Die Sentenzen Abûlards und die Bearbeitungen sei- 
ner % theologia » von Mille des i2 Jahrhunderls, 1885, 
t. 1, p. 402-469, 584-624; Die Sentenzen Jlugos von 
SL Victor, 1887, t. m, p. 634-640; Urspt^ng der 
Hisloriades Nenio, 1888, t. iv, p. 330-348. — 4. Concer- 
nant les théologiens du moyen âge, le P. Denifle 
avait réuni une quantité de documents précieux : Quel- 
lenzur Gelehrlengeschichte des Predigerordens im i3 
und UJahrhunderl, 1886, t. ii, p. 365-248; Quellen zur 
Gelehrlengeschichte des Karmelitenordens ini i3 und 
d4 Jahrhunderl, 1880, t. v, p. 365-386; Quellen zur Dis- 
putalion Pablo*s Chrisliani mit Mose Nachmani zu 
Barcelona, 1263, dans Hislorisches Jahrbuch, 1887, 
p. 225-244. 

2» Études sur la théologie mystique au moyen âge, 

— Le P. Denifle ne cessa jamais de s'occuper de ces 
éludes par lesquelles il avait débuté. 1. Der Gottes- 
freund im Oberland und Nikolaus von Basel, dans 
HistofHsch'politische Blàtter, 1875, t. lxxv, p. 17 sq., 
93 sq., 245 sq., MO sq.; sur le même sujet. Die Dich- 
tungen des Gottesfreundes ini Oberland, dans Zeit- 
schrift fur deutscher Alterthum und deutsche Liltera- 
tur, 1880, t. XXIV ; 1881, t. xxv. — 2. Une autre série 
très importante sur les mystiques dominicains : 

a) Henri Suso, Die Schriflen des sel. Heinrich Seuse, 
1. 1, Deutsche Schriflen, 3 parties, in-80, Munich, 1880; 

b) Jean Tauler, Das Buch von geistlicher Armuth, be- 
kannt als Johann Taulers Nachfolgung des armen 
Lebens ChHsli, Munich, 1877; c) Maître Eckhart, 
Aklenstûcke zu Meister Eckharts Prozess, dans 
Zeilschrift fîir deutscher Alterthum, 1885, t. xxix, 
p. 259 sq.; Meister Eckharts làteinische Schriflen und 
die Grundanschauung seiner Lehre, dans Archiv, 

1886, t. II, p. 417-652; Das Cusanische Exemplar la- 
teinischer Schriflen Eckharts in Cues, dans Archiv, 
t. II, p. 673 sq.; Die Heimath Meister Eckharts, dans 
Archiv, 1889, t. v, p. 349 sq. 

Le P. Denifle 4it aussi dans VArchiv, 1888, t. iv, 
p. 263-311, 471-601, une étude imporUnle : Die Hand- 
schriflen der Bibelcorreklorien des i3 Jahrhunderls. 

3* Controverse théologique, — Nous plaçons sous 
cette dénomination le dernier grand ouvrage du 
P. Denifle : Luther und Lutherlum in der erster Ent- 
wicklung quellenmassig dargestelll. L'ouvrage com- 



prend 3 parties formant le t. i : l" partie, in-S», 
Mayence, 1904; 2«édit.,1904; !!• partie, 2« édit., Weiss, 
1905; I1I« partie, 2« édit., Weiss, 1906. Une traduction 
italienne de la 2« édition allemande a été entreprise par 
Mfl«" Mercati, Rome, 1905. Ce n'est pas une biographie 
de Luther, mais plutôt une étude sur la déformation 
systématique de certaines idées théologiques dans la 
psychologie de Luther. La h* partie est consacrée à 
la critique du célèbre ouvrage de Luther, De votis 
moncLslicis judicium. Le P. DeniAe s'applique à bien 
caractériser la position de Luther par rapport à la 
théorie des vœux de religion, spécialement de la chas- 
teté. Â la doctrine de Luther, il oppose celle de saint 
Thomas d'Âquin sur la vie parfaite et les conseils 
évangéliques. Cette étude est des plus importantes 
pour bien comprendre les idées qui ont dominé toute 
la théologie protestante depuis Luther. Le P. Denifle 
lui-môme a intitulé la II* partie : Beitrag zur Ge- 
schichte der Exégèse, der Lileratur und des Dogmas 
im Mittelaller. L'auteur y donne l'interprétation jusqu'à 
Luther du passage de saint Paul : Juslilia enim Dei 
in eo revelatur ex fide in fidem, Rom., i, 17, et de la 
justiflcation, en 66 grands extraits de l'Ambrosiaster et 
des autres commentateurs occidentaux de l'Épltre aux 
Romains jusqu'à Luther. C'est un des plus beaux spé- 
cimens d'étude de théologie positive. La III« partie est 
constituée par l'étude des conséquences de ses doc- 
trines dans la psychologie de Luther. Ce dernier ou- 
vrage souleva contre son auteur une polémique très 
vive de la part des protestants, surtout de Harnack et de 
Seeberg. Le P. Denifle leur répondit dans une brochure 
importante : Luther in ralionalisticher und christU- 
cher Beleuchtung, Pnnzipielle Auseinander^elzung 
mit A. Haimack und R. Seeberg, Mayence, 1904; 
cf. aussi Bévue d'histoire ecclésiastique, 1904, p. 405 sq. 
Enfin le P. Weiss, 0. P., a publié sur les notes du 
P. Denifle et comme complément de son ouvrage : 
Lutfierpsychologie als Schlitssel zur Lulherlegende, 
in-8«, Mayence, 1906. 

M»' J. P. Kirsch, Le I\. P. Henri Suso Denifle, notice bio- 
graphique et bibliographique (extrftit de la Revue d'histoire 
ecclésiastique, Louvain, 1905, t. vi, p. 3 8q.);Hennan Grauert, 
P. Heinrich Denifle, O. Pr. Ein Wort zum Gedachtnis uvd 
zum Frieden. Ein Beitrag auch zum Luther- Streit, In-8*, 
FrIbourg-eD-Brisgau, 1906; Dr. Martin Grabmaim, Heinrich 
Denifle O. P. Eine Wiirdigung seiner Forschungsarbeit, 
in-8*, Mayence, 1906. Voir aussi les diverses études faites en de 
nombreux périodiques â l'époque de sa mort. 

R. COULON. 

DÉNISOV André et Siméon, frères, les plus féconds 
écrivains du raskol russe et les initiateurs de sa théo- 
logie scientifique. André, l'ainé des deux frères, naquit 
en 166i à Povienetz, gouvernement d'Olonetz, et Siméon 
en 1682. Leur père, Denis Evstaphiev, descendait de la 
noble famille des princes Mychetsky. Dans son enfance, 
André assista aux épisodes de la terrible persécution 
que le gouvernement russe avait inaugurée contre les 
partisans du raskol. Ceux-ci, traqués comme des bétes 
fauves, étaient obligés de se cacher dans des forêts im- 
pénétrables, toujours exposés au danger, si on les dé- 
couvrait, de périr sur le bûcher, ou d'être envoyés 
en Sibérie. Dans leur farouche mysticisme et dans 
l'attente prochaine de l'Antéchrist, beaucoup de ces 
fanatiques se donnaient la mort. Ces circonstances influè- 
rent sur l'àme du jeune André Dénisov, naturellement 
portée au mysticisme. Le diacre Ignace du monastère 
de Solovetz lui inspira sa haine contre la réforme li- 
turgique du patriarche Nikon, et son enthousiasme 
ardent pour le raskol. En 1691, à l'insu de ses parents, 
il quitta la maison paternelle et se retira au monastère 
de Saroozero, fondé par Ignace. Le monastère se trou- 
vait alors sous la direction de Daniel Vikouline, qui 
frappé par l'érudition et le zèle d'André Dénisov, Pçn- 
gagea à fonder avec lui ^'ermitage de Vyg sur le 



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417 



DENISOV — DÉNONCIATION 



418 



fleuve du même nom, dans la Poméranie russe. Cet 
ermitage, connu sous le nom de Vygovskaia pustyna, 
devint célèbre dans l'histoire du raskol russe. André y 
acquit bientôt une si grande influence qu'en 1703 
Daniel lui-même le pria de prendre sur lui le gouver- 
nement de la nouvelle communauté. Pour défendre 
avec plus de succès le raskol sur le terrain Ihéolo- 
gique, il fréquenta incognito les cours de TAcadémie 
ecclésiastique de Kiev, où enseignait alors Théophane 
Prokopovitch. L'ancienne littérature russe lui était très 
familière, et il s'en servait habilement pour défendre 
les croyances du raskol. 11 avait des attaches même à 
la cour du tsar, et on assure qu'il était en relations 
avec la tsarine Sophie. Grâce à son inlluence, un ukase 
de Pierre le Grand, du 7 septembre 1705, sanctionna 
l'autonomie de l'ermitage de Vyg et reconnut ofBcielle- 
ment la communauté qui y était établie. En 1697, il 
avait été rejoint à Vyg par son père et ses frères 
Siméon et Ivan. Il s'y adonnait aux pratiques les plus 
rudes de Tascétisme et à l'étude. Il y fonda une école 
de peinture religieuse et une école de calligraphes, 
chargés de copier les œuvres polémistes des raskolniks, 
que le gouvernement défendait d'imprimer. Leur atta- 
chement au raskol était si grand que Siméon ne céda 
pas à quatre années de prison (1713- 1716) subies à Nov 
gorod et résista énergiquement à toutes les tentatives 
du métropolite de cette ville pour le gagner à l'Église 
ofGcielle. André mourut au mois de février 1730, et la 
communauté de Vyg lui donna comme successeur Si- 
méon. Ce dernier s'appliqua à parachever l'œuvre de 
son frère, à organiser intérieurement Terraitage de 
Vyg, et à le défendre contre l'hostilité de l'Église or- 
thodoxe. Sa mort eut lieu en 1741. 

Le bibliographe du raskol russe, Paul Lioubopytny, 
mentionne 119 ouvrages de polémique théologique et 
liturgique et d'ascétisme, sortis de la plume d'André 
Dënisov. Le plus important sans contredit est intitulé : 
Ponionkie OlvvHij {Réponses de la Poméranie). Les 
raskolniks le considèrent comme le livre fondamental 
de leurs croyances. Le saint synode avait suggéré à 
André la composition de ce livre. £n 1722, se présenta 
à Vyg le hiéromoine Néophyte, chargé par le saint sy- 
node de montrer aux raskolniks de ce monastère la faus- 
seté de leurs doctrines. Néophyte rédigea un recueil de 
106 questions touchant les points controversés entre 
l'Église orthodoxe et le raskol, et demanda aux moines 
de Vyg d'y répondre. André se mité l'œuvre, avec l'aide 
de ses frères, et en quelques mois il composa les Po- 
niorskie Otuiety, l'apologie la plus complète et la plus 
savante du raskol sous le rapport théologique, archéo- 
logique et historique. A en croire les raskolniks, le 
succès fut complet. Néophyte ne fut pas capable de 
réfuter les arguments de ses adversaires. 11 quitta Vyg 
a la dérobée, et ne se décida à répondre qu'après un 
silence de vingt ans. Son OblUchenie {Réfutation) de 
l'ouvrage d'André Dénisov proposait la violence comme 
le seul moyen d'amener à résipiscence les adhérents 
du raskol. Les Poniorskie Otviely avaient réussi à chan- 
ger la tactique de l'Église ofûcielle, qui, battue sur le 
terrain doctrinal, cherchait sa revanche en préchant la 
persécution. Il fallut attendre presque deux siècles pour 
que l'archimandrite Paul le Prussien (f 27 avril 1895), 
converti du raskol à l'Église ofUcielle, publiât ses Re- 
marques sur les Poniorskie Otviety : Zamietchaniia 
na knigupomorskikh olvietov, UoscoUy 1891. L'ouvrage 
d'André Dénisov, qui circulait en Russie, a été publié 
en 1887 par les moines du monastère Manouîlevsky- 
Nikolsky en Roumanie. 

On doit aussi à André un autre volume fameux dans 
rhistoiredu raskol russe, Diakonovy Otviety {Les répon- 
ses d'un diacre), rédigées sur les instances des raskol- 
niks de Xijn y-Novgorod, qui avaient leur centre de pro- 
pagande dans une skité sur les bords du fleuve Kerjenetz. 

DICT. DE THÉOL. CATHOL. 



Pitirim, archevêque de Novgorod (1719-1738), connu 
par sa cruauté contre les raskolniks, avait envoyé des 
missionnaires aux moines de Kerjenetz et ceux-ci 
s'adressèrent, pour leur répondre, à André Dénisov qui 
rédigea les Diakonovy Otviety, Cet ouvrage a été 
édité en 1907 comme supplément au SlaroobiHadetz de 
Nijny-Novgorod : Otviety Aleksandr a diakona na Ker- 
jentzie podannyia Nijegorodskomu episkopu IHtirimu 
V iSiO godu. L'éditeur l'attribue au diacre Alexandre, 
écrivain du raskol, mais il déclare lui-même que la 
question d'auteur n'est pas tranchée. 

Les autres écrits d'André Dénisov sont des traités de 
polémique contre les orthodoxes, ou des monographies 
historiques concernant le raskol, ou des sermons et 
des exhortations ascétiques. 

Siméon, d'après Lioubopytny, est l'auteur de 
47 ouvrages d'apologie du raskol. Les plus importants 
sont le Vinograd ou Vertograd {La vigne russe) et 
YHistoire des pères et des martyrs du monastère de 
Solovetz. On y trouve les biographies, ou plutôt les 
panégyriques des raskolniks qui payèrent de leur vie 
l'attachement à leurs croyances, ou qui, parleurs écrits 
et leur prédication, contribuèrent à répandre le ras- 
kol. Le Vinograd a été publié à Moscou en 1906 : 
Vinograd rosiiskii ili opisanie postradavchikh v 
Rossiiza drevnetzerkovnoe blagotchestie. On l'appelle 
aussi Vertograd, p. xvi. Le second a été publié dans la 
même ville par B. Ousov : Istoriia o ottziekh i stra- 
daltziekh ije za blagotcJœstie i sviatyia tzerkovnyia 
zakony i predaniia v nastoiachtchaia vreniena veli- 
koduchno postradacha, Moscou, 1907. 

Tchistovilch, Vygovskaia raskonitchtlskaia pustyna v per- 
voi polovinie xviii stoUetiia, dans les Tchteniia de la Société 
d'histoire et d'antiquités russes, Moscou, 1859, t. ni, p. 161 ; 
Philippov, Istoriia vygovskoi slaroobriadtcheakoi pustyni, 
Saint-Pétersbourg. 4862, p. 139-151 ; Bibliotheka dliia Tchteniia, 
1864, t. XXXI, p. 1-32; N. Barsov, Bratiia Andrei i Semen De- 
nisovy; epizod iz istorii russkago raskola, Pravoslavnoe 
ObozHenie, 18€5, t. xvili, p. 55-91, 232-247, 412-438,514-528; 
E. Barsov, Semen Dénisov Vtorouchine, predvoditel russkago 
raskola xviii vieka, Trudy de l'Académie ecclésiastique de 
A'iev, 1866, t. i, p. 174-230; t. li, p. 168-230, 285-304; t. m, 
p. 570-588; Id., André» Dénisov Vtorouchine, kakvygoretzkii 
propoviednik : materialy dlia istorii russkago raskola, ibid., 
1867, t. I, p. 243-262; t. Il, p. 81-95; Lioubopytny, Istoritcheskii 
Slovar i katalog ili Biblioteka staroviertcheskoi tzerkvi, Mos- 
cou, 1866, p. 37-51, 169-174; Nilsky, Semeinaia jizn v russkom 
raskolie, Saint-Pétersbourg, 1869, t. l, p. 29-30; Ulojenie bra- 
tiev Denisovykh : materialy dliia istoi-ii pomorskago raskola, 
Pamiatnaia knijka Olonetzkoi gubemii za i868-1869 god, 
5* année, Petrozavodsk, 1869, p. 85-119; Istoritcheskii Viest- 
nik, 1885, t. xxii, n. 12, p. 715; Bratskoe Slovo, Moscou, 1886, 
t. I, p. 321 ; t. II. p. 777 ; Pravoslavnaia bogoslovskaia Entzi- 
klopediia, t. iv, col. 996-1001 ; Russkii biographitcheskii Slovar, 
litl. D, p. 514-528; Bratia Denisovy, dans Izobornik narodnoi 
gazety, Moscou, 1906, 1" année, n. 3-4, p. 11-13. 

A. Palmieri. 

DÉNONCIATION. — L Notion et espèces. IL Droit 
naturel. IIL Droit positif. 

L Notion et espèces. -— La dénonciation est la 
manifestation faite à un supérieur du crime ou de la 
faute de Tun de ses subordonnés. Faite à un supérieur 
ut patri, uniquement ou principalement dans l'intérêt 
du délinquant, c'est la dénoncidiion évangélique,V\ine 
des formes de la correction fraternelle. Voir t. m, 
col. 1907. Faite au supérieur ut judici, dans l'intérêt 
soit du bien public soit du dénonciateur, c'est la dénon- 
ciation judiciaire, la seule dont il sera ici question. 

II. Droit naturel. — A quelles conditions la dénon- 
ciation sera-t-elle : Illicite; 2» obligatoire? 

lo Licéité. — Pour n'être pas coupable, la dénoncia- 
tion doit être : 1. exacte : les faits doivent être manifestés 
tels qu'ils sont connus, donnés comme certains ou 
simplement comme probables lorsqu'ils sont tels; 
autrement, la dénonciation devient calomnieuse ou 



IV. - 14 

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419 



DÉNONCIATION 



420 



téméraire; 2. motivée par des raisons suffisantes; autre- 
ment, elle serait médisance; 3. conforme, en ce qui 
regarde Tintention, aux règles de la charité. 

2o Obligation. — Pour être obligatoire, la dénoncia- 
tion doit être nécessaire pour arriver à une fin — bien 
à procurer ou mal à écarter — qu'on est tenu de chercher. 

Ce principe s'applique évidemment à ceux qui par 
devoir d'étal sont tenus de surveiller et de dénoncer 
les tentatives contraires au bien public; il s'applique 
aussi aux personnes qui n'y sont tenues qu'en vertu 
d'une obligation générale de charité ou de justice 
légale. Il vise surtout les cas d'agissements occultes, 
compromettant la paix de la société ou les droits des 
individus, comme sont, par exemple, les entreprises 
coupables menaçant la vie ou la fortune des particu- 
liers, les complots contre la société ou le chef de l'État. 

La dénonciation ainsi entendue ne peut être confon- 
due avec l'odieuse pratique de la délation; elle en 
diffère à la fois par son but et son objet. La délation, 
en effet, ne cherche point le bien public et ne manifeste 
pas seulement ce qui peut le menacer; elle cherche 
avant tout à nuire à la personne dénoncée et manifeste 
indifféremment tout ce qui peut lui faire tort, fût-ce 
la chose la plus innocente et la plus légitime. Voir 
col. 24i. 

in. Droit positif. — !<> Droit civil. — Le droit 
romain distinguait la dénonciation de l'accusation. 
L'accusation forçait le juge à procéder contre l'accusé; 
mais Taccusateur était tenu de faire la preuve sous peine 
d'être poursuivi comme calomniateur. Le dénonciateur 
n'était pas tenu de prouver, mais le juge n'était point 
tenu de donner suite à sa dénonciation. 

En France, le code pénal n'oblige plus les simples 
particuliers à dénoncer les crimes. La loi du 28 avril 
1832 a abrogé les articles qui rendaient la dénonciation 
obligatoire, en particulier les art. 103-107, 136 du code 
pénal. Le législateur se borne à encourager la dénon- 
ciation de certaines fautes qui d'ordinaire ne peuvent 
se commettre par un seul homme. On encourage les 
coupables à dénoncer leurs complices par la promesse 
de ne point inquiéter ceux qui, avant toute exécution 
ou tentative de ces complots ou crimes et avant toutes 
poursuites commencées, auront fait des révélations à 
l'autorité administrative ou judiciaire. Code pénal, 
art. 108, 138 et 435. Ces dispositions suppriment le 
crime ou le délit de non-dénonciation, mais pour n'être 
plus une obligation légale, la dénonciation ne cesse pas 
d'être prescrite par le droit naturel dans les circon- 
stances indiquées plus haut. 

2o Droit canon. — La nécessité de sauvegarder dans 
le peuple chrétien la pureté de la foi a provoqué dans 
l'Église l'établissement d'une législation spéciale contre 
les hérétiques et les personnes suspectes d'hérésie. La 
règle est qu'il faut les dénoncer à l'inquisiteur ou à 
l'évêque. Un mois est concédé pour faire cette dénon- 
ciation. Si la personne est simplement suspecte d'héré- 
sie, deux causes dispensent de ce devoir : la .crainte 
fondée de quelque grave dommage; puis, d'après une 
opinion qui ne manque pas de probabilité, la parenté 
jusqu'au quatrième degré. Si l'hérésie est formelle, la 
raison de parenté ne suffit plus. On considère comme 
suspects d'hérésie ceux qui contractent mariage malgré 
la présence d'un empêchcmentdirimantouqui donnent 
les sacrements sans avoir reçu l'ordination sacerdotale, 
ou qui s'obstinent à répéter des blasphèmes hérétiques, 
ou qui abusent, par des pratiques superstitieuses, de la 
sainte eucharistie ou des saintes huiles; ou qui ne 
veulent point dénoncer les hérétiques formels, ou qui 
font partie des sectes condamnées ou qui enfin sollicilent 
ad tufpia des personnes qu'ils confessent. 

Comme le remarque Lehmkuhl, Tfieologia moralis, 
n. 813, cette législation positive ne s'impose plus, dans 
les contrées où l'hérésie est impunément professée. 



avec la même rigueur qu'autrefois. La dénonciation 
resterait sans effet. Il demeure pourtant que, confor- 
mément au droit naturel, on doit dénoncer à l'autorité 
compétente l'hérétique qui répand en secret des 
erreurs et corrompt la foi des simples. S'il n'est pas 
possible de l'arrêter ou de l'empêcher, on pourra du 
moins mettre les fidèles en garde contre lui. Deux dis- 
positions toutefois restent en pleine vigueur; elles con- 
cernent : 1. les chefs de certaines sociétés secrètes; 
2. les confesseurs indignes qui sollicitent ad turpia. 

1. Chefs des sociétés secrètes. — Pie IX, parla bulle 
Apostolicœ sedis, frappe d'excommunication non seu- 
lement nomen dantes sectœ niassonicœ atttcarbonanm 
aut aliis ejusdem generis, mais encore non denun- 
liantes occultos coryphœos et duces... donec non de- 
nuntiaverint. Pie VII, const. Ecclesiam, § 10, et 
Léon XII, const. Quo graviora, § 13, obligeaient de dé- 
noncer tous les membres des sociétés secrètes. L'ex- 
communication aujourd'hui n'est encourue que si l'on 
omet de dénoncer les chefs occultes. Cette obligation 
subsiste relativement à ceux qui passent publiquement 
pour avoir un grade élevé dans ces sociétés et qui l'ont 
en effet, parce que la réalité ne répond pas toujours aux 
apparences, et si cela est, il est bon qu'on le sache. 
La dénonciation doit être faite à l'évêque ou à son dé- 
légué. L'excommunication est encourue quand, durant 
un laps de temps notable, on a négligé de dénoncer. 
Il suffît d'un mois pour constituer cette notable période 
et Ton doit compter à partir du jour où l'on connaît 
l'obligation de dénoncer. Cette obligation cesse toutefois, 
lorsque la dénonciation est complètement inutile ou 
si difficile qu'elle est moralement impossible. Si l'ex- 
communication a été encourue, elle cesse ou du moins 
cesse d'être réservée quand la dénonciation est faite. 

2. Les confesseurs coupables de sollicitation ad tur- 
pia. — Pie IV, par la lettre Cum sicut nuper, ordon- 
nait aux inquisiteurs d'Espagne de poursuivre et de 
punir très rigoureusement les confesseurs coupables 
de ce crime. Grégoire XV, par la bulle Universis 
(10 août 1611), étendit à toute l'Église cette disposition 
qui d'abord n'obligeait que l'Espagne. Il ordonna d'ins- 
truire au saint tribunal les pénitents sollicités ad tur- 
pia de dénoncer aux inquisiteurs ou aux évêques tout 
prêtre séculier ou régulier qui personas, quœcumque 
illœ sint, ad inhonesta sive inter se sive cum aliis 
quomodolibet perpetranda, in actu sacramentalis 
confessionis sive antea sive post, immédiate, seu occa- 
sione velprœtextu confessionis etiam ipsa confessione 
non secuta, sive extra occasioneni confessionis, in 
confessionario aut in loco quocumqu£ ubi confes- 
siones scccramentales audiuntur seu ad confessioiiem 
audiendam electo simulantes ibidem confessiones 
audire, sollicitare vel provocare tentaverint aut cum 
eis illicitos et inhonestos sermones sive tractatus ha- 
buerint. Benoit XIV, const. Sacramentum pœnitentim, 
confirme et précise encore les décisions de Grégoire XV 
en réprouvant, par une même condamnation, toute sol- 
licitation faite sive verbis, sive signis, sivenutibus, sive 
tactu, sive per scripturam aut tune aut postea legen- 
dam. Deux décisions du Saint-Office, l'une du 11 février 
1661, l'autre du 20 février 1867, sont relatives à ces 
matières : la première, rappelée et confirmée par Be- 
noit XIV, précise surtout la notion juridique de solli- 
citation; la seconde, le devoir de la dénonciation. Voirie 
texte dans Ballerini, Opus morale theologicum,^* ééïlt 
t. IV, p. 582-583. Pie IX a confirmé cette discipline en 
frappant d'une excommunication majeure non réservée 
négligentes sive culpabiliter omittentes denuntiare 
infra mensem confessarios sive sacerdotes a quibus 
sollicitati fuerint ad turpia in quibuslibet casibuM 
expressis a... Gregorio XV... et Benedicto XIV. 

Xous indiquerons ici ce qui concerne la dénonciation 
proprement dite. Pour les autres questions, voir SOL- 



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421 



DÉNONCIATION — DENS 



422 



uciTATiON. La dénonciation est obligatoire sub gravi, 
toQS les textes le supposent ou Tafïirment. On encourt 
l'excommunication , lorsqu'on omet sans motif, pendant 
l'espace d'un mois, la dénonciation que Ton sait obli- 
gatoire et imposée sous peine de censure. Le confesseur 
ne peut donner l'absolution qu'après dénonciation faite 
ou du moins sérieusement et sincèrement promise. 

Sont tenus de dénoncer tous ceux qui connaissent 
avec certitude le fait de la sollicitation* à moins qu'ils 
ne raient appris sous le sceau du secret, sacramentel 
ou non. La dénonciation est obligatoire même si la 
faute est ancienne, réparée par la conversion du cou- 
pable, impossible à prouver juridiquement. L'obliga- 
tion cesse d'exister quand le coupable est mort, ou 
même, selon une opinion probable, s'il est tout près de 
la mort, c'est-à-dire si malade ou si vieux qu'il ne 
pourra jamais plus confesser. Le confesseur qui a sol- 
licité n'est pas tenu de se dénoncer, ni ceux qui forment 
avec lui une seule personne morale, c'est-à-dire ses 
parents et ses proches au premier degré. Nul, en effet, 
n'est tenu de se dénoncer lui-même. Le fait d'un incon- 
vénient très grave, conséquence certaine, inévitable et 
extrinsèque de la dénonciation, excuse encore de ce de- 
voir; si pourtant le silence gardé sur la sollicitation doit 
provoquer un scandale public, il ne sera permis de se 
taire que dans le cas d'un inconvénient analogue très 
grave et d'ordre public. La crainte fondée de voir divul- 
guer le secret de la dénonciation dispenserait encore 
du devoir de révéler. 

La dénonciation régulièrement doit se faire en per- 
sonne et de vive voix, sous peine de nullité. S'il est 
matériellement ou moralement impossible de remplir 
ainsi ce devoir, on en est dispensé tant que dure l'im- 
possibilité. Mais on doit tâcher d'en rendre possible 
l'accomplissement, en demandant, par exemple, à 
Tévêque de déléguer un clerc et de l'envoyer à l'effet 
de recueillir la dénonciation. 

L'imputation calomnieuse du crime de sollicitation 
est un péché dont l'absolution est réservée au pape, 
mais non frappé de censure. 

Salmmnticenses, Theolcgia moraliê, tr. XXIX, c. ii; S. Al- 
phonse, Theologia moralis, I. III, n. 123; 1. IV, n. 236-254; 
L M, n. 675-693; Scavini. Theologia moralia univeraa, 10* édit., 
t- IV, n. 181 ; Ferraris, Prompta bibliotheca canonica, Rome, 
1760, art. Denunciatio ; Mbtc, Inêtitutionett moraleB alphori' 
tianm, 7* édîL, Rome, 1898, n. 2304-2307, 1701, 1354, 1794, 1772 et 
442; Lehmkuhl, TheoL moralis, 4* édit., Fribourg-en-Brisgau, 
1887, U I. n. 811-813 ; t. u, n. 952, 977, 987 ; Ballerini-Palmieri, 
OpuM theologicum morale, 2* édit., Prato, t. iv, p. 417-418; 
t. V, p. 580-618; t. vu, p. 250-254; les théologiens moralistes et 
les canonistes dans les traités de la foi, de la pénitence et des 
censures. 

V. Oblet. 

i. DENS Pierre, théologien belge, naquit à Boom, 
près d'Anvers, le 12 novembre 1690. Il fit de brillantes 
humanités au collège des Pères de la congrégation de 
l'Oratoire, à Matines. 11 vint ensuite à Louvain et y 
suivit les cours de philosophie, à la « pédagogie du 
Lys •. Au concours général de 1711, auquel cent-quatre 
concurrents avaient pris part, il sortit < second de la 
première ligne », ce qui, en langage officiel de l'époque, 
veut dire second de toute la série. Il entra alors au 
■ Grand-Collège », pour y commencer l'étude des 
sciences sacrées. Ordonné prêtre en 1715, il était, deux 
ans plus tard, envoyé à l'abbaye bénédictine d'Affiighem, 
avec mission d'initier les religieux de cette maison aux 
connaissances théologiques. Il n'avait encore aucun 
grade académique; mais, le 5 octobre 1733, il fut pro- 
clamé licencié en théologie. Certains biographes se 
sont trompés en rapportant cette promotion à l'année 
ITiO : la date que nous indiquons ici ne saurait être 
mise en doute, attestée qu'elle est par le manuscrit 
2il83, fol. 2 V., delà Bibliothèque royale de Bruxelles. 
Cest alors que Dens fut transféré comme professeur au 



séminaire de Malines. Dans ce nouveau milieu, ainsi 
que dans le précédent, il s'acquitta de son devoir avec 
autant de succès que de dévouement et d'intelligence, 
s'appliquant surtout à réunir et à présenter en une 
forme concise et claire les principes de la morale et 
les résolutions particulières qui en découlent. En 1729, 
il échangea le professorat contre la charge de plél>an de 
Saint-Hombaut, qu'il avait obtenue au concours et 
avec laquelle il cumula, à partir de 1735, les fonctions 
d'examinateur synodal et de président du grand sémi- 
naire. Il renonça, en 1737, à son ministère de pléban, 
pour accepter un canonicat de l'église métropolitaine; 
et, la même année, il fut nommé écolâtre de Malines. 
Le 4 juin 1751, il était appelé, comme chanoine gra- 
dué, à l'office de pénitencier, puis, en 175i, promu à la 
dignité d'archiprêtre. 11 mourut âgé de près de quatre- 
vingt-cinq ans, le 15 février 1775, et il fut inhumé dans la 
chapelle du séminaire, qui avait été entièrement re- 
construite sous sa direction. On y voit encore, sur sa 
pierre tombale, une brève épitaphe rappelant les nom- 
breuses charges qu'il avait remplies successivement ou 
simultanément. 

Pierre Dens était un prêtre d'une piété exemplaire, 
d'une bonhomie et d'une simplicité antiques, d'une 
grande affabilité, assidu et ardent au travail et cher- 
chant à en répandre l'ardeur autour de lui. Sa gravité 
sans affectation ni morgue, sa science théologique et la 
droiture de son sens pratique en avaient fait le con- 
seiller très écouté de beaucoup de ses confrères dans 
le sacerdoce et en particulier de beaucoup de curés. 
Austère pour lui-même, il se distinguait par les lar- 
gesses de sa charité. Mais à l'aumône matérielle il ai- 
mait joindre celle, plus méritoire, qui s'adresse direc- 
tement à l'âme et au cœur. Voilà pourquoi, imitateur 
du célèbre Gerson, il avait pris l'habitude de réunir 
chaque dimanche une multitude de pauvres, à qui il 
expliquait les éléments du catéchisme. C'est par le 
même principe qu'il s'intéressait spécialement au sort 
des jeunes filles de la classe populaire : pendant qua- 
rante ans, il fut le proviseur et le bienfaiteur géné- 
reux d'une école vouée à leur éducation. Ses habi- 
tudes de vie et de labeur tranquilles furent momen- 
tanément troublées par deux incidents désagréables. 
Kn 1758, le gouvernement des Pays-Bas s'avisa de pros- 
crire son Supplément à la théologie de Neesen, 
parce que l'auteur y revendiquait pour les églises le 
droit d'asile, qui, depuis les attaques de Van Espen, 
était, prétendait-on, tombé en désuétude. Vers la 
même date, il fut l'objet d'attaques assez violentes de la 
part d'un franciscain, Jean Tomson, contre lequel il avait 
défendu et fait prévaloir une coutume alors reçue 
dans certaines paroisses et motivée par des nécessités 
administratives : en vertu de cet usage, les confesseurs, 
au temps de Pâques, devaient demander et inscrire les 
noms des pénitents qui s'adressaient à eux. Une autre 
polémique, avec Maugis, religieux de Saint-Augustin, 
paraît avoir été plus calme. Ici, il s'agissait surtout de 
savoir si une personne qui reste attachée au péché 
mortel peut cependant satisfaire à des obligations 
d'actes surnaturels; Dens le niait. 

On doit à Pierre Dens, sans parler de publications 
moins importantes : l® Schemata practica ad usum 
confessariorum, in-i», Malines, 1742; 2« Supplementa 
theologiœ L. Neesen, de virtute religionis, reliquisque 
virtutibus jusUtise annexis, in-4«, Malines, 1758; c'est 
ce volume qui fut prohibé par le gouvernement; 3« Col' 
lectio 8criptoi*um quœ separatim in lucem édita sunt 
circa quœstionem theologicani an tacerdos vel bene- 
ficiarius, recitans horas canonicas in affectu peccati 
mortalis, satisfaciat prœcepto seu obligationi reci- 
tandi horas canonicas, in-i«, Louvain, 1765; les opus- 
cules dont il s'agit sont au nombre de quatre; 4® De 
sacramento pœnilentiœ, in-4o, Malines, 1758; ce traité 



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mtëSÊÊL. 



423 



DENS — DENYS (SAINT) 



424 



fut ensuite, avec une annexe, réimprimée sous le titre : 
5<> Supplementi theologias Neesen secunda pars, cum 
prosecutione pacifica animadver8io7iu'ni per Petimni 
Dens ad responsioneni Em, Maugis, in-4o, Louvain, 
1764; une première édition, séparée, des Animadver- 
siones ad guœslioneni quodlibeticani JR. P. Maugis 
avait paru antérieurement; 6" Responsio ad disserta- 
lioneni et apologiani J. Tonison; attexitur pastorum 
diœcesis de ea causa testimonium, in-4o, Malines, 
1759; 7» Theologia ad usuni seminariortini et sacras 
theologiœ alumnoimm , i\ in-S», Louvain, 1777. Ce der- 
nier ouvrage est celui qui a surtout fondé la réputation 
de l'auteur. Il ne fut pourtant publié qu'après sa 
mort, et, à part les traités De virtute religionis et De 
sacramento pœnitentiss, il n'est pas son œuvre exclu- 
sive : la Theologia est partiellement tributaire des pré- 
décesseurs, des collègues et des élèves de Dens. Quoi 
qu'il en soit, elle est restée pendant prés d'un siècle 
le résumé classique pour l'étude de la théologie, dans 
plusieurs séminaires de Belgique et d'autres pays. Elle 
a été souvent rééditée, notamment à Liège, en 1786; 
à Malines, en 1819, 1828 et 1845. L'édition donnée 
dans celte dernière ville de 1862 à 1864 est la 9*. Tout 
cela sans tenir compte de réimpressions partielles. 
Ce succès durable est du aux mérites caractéristiques 
du recueil, qui sont principalement la solidité de la 
doctrine et la clarté de l'exposition. Le plan général 
est celui de la Somme théologique de saint Thomas; 
et partout Ton s'est attaché surtout aux questions pra- 
tiques, en passant beaucoup plus rapidement sur les 
parties spéculatives, telles que le De Deo uno, De Deo 
trino, etc. La théorie morale est antiprobabiliste. 
L'emploi constant du procédé par demandes et réponses 
et la façon nette et précise dont les unes et les autres 
sont formulées n'ont pas peu contribué à la diffusion 
de ce manuel pour l'enseignement élémentaire de la 
théologie. 

A cette liste on a parfois ajouté une Ratio hlslorica 
de conduis generalibus, in-S», Anvers, 1748. Mais le 
volume ainsi dénommé est en réalité l'œuvre d'un autre 
écrivain, à savoir de Théodore-Emmanuel Dens, comme 
en témoignent tous les exemplaires qui ont survécu. 

Vita auctoris, en tète de diverses éditions, par exemple 
celle de Malines, 1862; la Dédicace de l'auteur au cardinal 
d'Alsace, entête du De virtute religionis; VApprobatio de 
Foppens pour les deux traités De virtute religionis et De 
sacramento pœnitentùe; Biographie nationale de Belgique, 
Bruxelles, 1876, t. v ; Goethals, Lectures relatives à l'histoire 
des sciences en Belgique, Bruxelles, 1837, t. i. 

J, FORGET. 

2. DENS Théodore-Emmanuel, né à Anvers le 
25 décembre 1708, suivit les cours de philosophie à 
l'université de Louvain et, en 1730, fut classé 30« sur 
106 concurrents à la promotion de la faculté des arts. 
Il étudia ensuite la théologie et prit le grade de licencié, 
le 2 juin 17iO, Cette même année, il fut nommé pro- 
fesseur de théologie au séminaire d'Anvers; il remplit 
cette charge jusqu'au 27 décembre 175i. Devenu alors 
curé d'Edeghem, petit village à une lieue environ d'An- 
vers, il administra cette paroisse jusqu'à sa mort, sur- 
venue le 24 février 1799. 11 composa quelques ouvrages 
à l'usage de ses élèves, tandis qu'il était professeur à 
Anvers : 1° Inlroductio ad scientiam theologicam, 
in-8«, Anvers, 1748; 2® Rrevis conc'wnandi methodus, 
sive rhetonca ecclesiasticaf in-8o, Anvers, 1748; 
3« Ratio historica potissimum de coiiciliis generali- 
bus, in-8», Anvers, 1748. 

Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Bel- 
gique, t. VI, p. 286-287; Biographie nationale, Bruxelles, 
1876, t. V, col. 601-602. 

E. Mangenot. 

i. DENY8 (SAINT), pape, 259-268. Successeur de 
saint Sixte 11, qui mourut martyr le 6 août 258, Denys, 



prêtre de Rome, fut élu pape le 22 juillet 259. 11 siégea 
du temps de l'empereur Gallien, sous lequel l'Église 
fut en paix. Les textes ne sont pas d'accord sur la durée 
de son pontificat; mais il semble qu'il vécut jusqu'au 
26 ou 27 décembre 268. Duchesne, Liber pontificalis, 
introduction, p. ccxlviii; JaHë-Loewenfeld, Regesia 
pont, rom., t. i, p. 22. Il est surtout connu pour ses 
relations épistolair^s avec son homonyme, Denys, 
évéque d'Alexandrie, dans diverses affaires discipli- 
naires ou doctrinales et pour sa lettre consolatoire à 
l'jiglise de Césarée en Cappadoce. Son rôle est d'une 
véritable importance dans le développement du pouvoir 
pontifical romain, en raison d'un cas d'appel à l'Église 
de Rome au sujet d'une question de doctrine, en raison 
aussi de la générosité de l'Église de Rome envers les 
%lises étrangères, en raison enfin du développemen 
donné à l'Église de Rome elle-même. 

1» Querelle baptismale. — Parmi les lettres de Denys, 
évéque d'Alexandrie, à l'Église de Rome, plusieurs 
étaient écrites sous Etienne et Sixte II (257-258) aux 
membres les plus en vue du presbyterium romain, 
entre autres à Philémon et Denys, pour les amener, dans 
la querelle baptismale, à des dispositions plus douces 
que celles du pape Etienne envers les Églises où l'on 
s'obstinait à ne pas reconnaître le baptême donné par 
les hérétiques. La quatrième de ses lettres est adressée 
au seul prêtre Denys, et Eusèbe, qui nous la signale, 
remarque que son correspondant l'appelle un homme 
>,<iYio; T£ xai Oaypix«Tto;. H. E., vu, 7, P. G., t. XX, 
col. 652. 11 est permis de croire qu'il inclina Sixte II et 
tout le clergé romain à la conciliation. 

2o A/faii*e du sabellianisme. — Denys d'Alexandrie 
correspondit encore avec son homonyme, après son 
élévation au pontificat, sur la question sabellienne. 
Ayant écrit plusieurs lettres aux Églises de la Penta- 
pole pour les détourner de cette doctrine cyrénaïque, 
qui venait de s'y répandre, il fut dénoncé par l'une 
d'elles, à son insu, au pape Denys, et accusé de six 
erreurs. Celui-ci jugea l'afiaire importante, convoqua 
un synode en 262, voir S. Athanase, De sententia Dio- 
nysii, 13, P. G., t.xxv, col. 464; De synodis,^, P. G., 
t. XXVI, col. 749, examina la lettre incriminée, et y dé- 
couvrit des impropriétés doctrinales, notamment l'em- 
ploi du terme de créature, «ofyjjjLa, en parlant du Fils 
de Dieu, la conception d'une trinité en trois hypostases 
tellement distinctes qu'on pouvait y voir trois dieux, 
enfin une répugnance marquée pour le terme d'6{jLooû- 
(Tto;, consubstantiel. Cf. Duchesne, Histoire anciettne de 
VÉglise, 2« édit., Paris, 1906, p. 486. 

Puis, en son nom et au nom du concile, il écrivit 
à toutes les Églises d'Egypte une lettre circulaire où il 
condamnait, en gardant un juste milieu, tout à la fois 
l'unitarisme sabellien et le- trithéisme subordinatien. 
Sans nommer personne, il réfutait, avec une grande 
logique, et ceux qui confondaient les trois personnes 
divines à cause de l'unité de substance appelant indis- 
tinctement le Père Fils ou le Fils Père, et ceux qui 
affirmaient que le Verbe était une créature, qu'il étail 
devenu, qu'il y avait eu un espace de temps où le Père 
était avant le Fils. 11 voulait que l'on conciliât l'unité 
ou la monarchie divine avec la trinité, que l'on recon- 
nût en Dieu le Père tout-puissant, Jésus-Christ, son 
Fils, et le Saint-Esprit, et spécialement qu'on dit du 
Fils qu'il est l'auteur de toutes choses dans l'unité de 
substance avec le Père. Il insistait même, à en juger 
par les réponses de Denys d'Alexandrie, sur l'utilité 
d'employer le terme d'^(xoo'Jo-coç pour désigner plus 
exactement les rapports du Fils avec le Père. S. Alha- 
nase. De decretis Nicœn. sijnod., 26, P. G., t. xxv» 
col. 464-465, citant VEpistoia adversus sabelli€mos,. 
de saint Denys de Home, P. L., t. v, col. 116. Cf. Den- 
zinger, Enchiridion, 10« édit., n. 48-51. 

Par une lettre séparée, le pap&iavita Deny& à s*ex- 

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425 



DENYS (SAINT) — DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) 



426 



plîquer. Celui-ci envoya une juslification en quatre 
livres intitulés : Réfutation et Apologie, dont saint Atha- 
nase nous a conservé des extraits, et qui dut satisfaire 
Torthodoxie romaine. Voir Felloe, The Letters andother 
renxain* of Dionysius of Alexandria, Cambridge, 1904, 
p. 182-198. 

En résumé, en toute celte affaire, Denys de Rome 
apparaît comme un homme de gouvernement et de 
doctrine : il prémunit à jamais les Alexandrins contre 
Torigénisme qui était à la base des théories de Denys, 
et les prépare de loin à la lutte contre Tarianisme 
lorsqu'il naîtra cinquante ans plus tard parmi eux. 

3» Lettre à VÉglise de Césarée. — Denys écrivit 
aussi à rÉglise de Césarée en Cappadoce, affligée par 
l'invasion des Perses. Il lui envoya des secours en ar- 
gent pour le rachat des fidèles, entraînés en captivité 
par les barbares. Sa lettre était précieusement conser- 
vée dans les archives de TÉglise, au temps de saint 
Basile, qui dans sa correspondance avec le pa'pe Da- 
mase la rappelle, en appelant son auteur Atovûatov 
èxeîvov, ?bv piaxap^TuTaTov i7c{<nco7cov. Epist., LXX, P. G., 
t. XXXII, col. 436. Cet acte de charité, succédant aux 
rapports tendus qui avaient existé peu auparavant entre 
Firmilien, évéque de Césarée, et les prédécesseurs de 
Denys, était de nature à resserrer Tunion des Églises 
orientales avec Rome. Cf. Salmon, Infallibility of the 
Church, p. 375. 

On trouve encore le nom de Denys de Rome, comme 
destinataire de la circulaire adressée par les évéques 
à la suite du dernier concile d'Antioche contre Paul 
de Samosate : elle arriva peut-être à Rome après sa 
mort. Eusébe, H. E., vu, 30, P, G., t. xx, col. 709; 
S.Jérôme, De viris, 71, P, L., t. xxiii. Eusèbe, H. E., 
vii, 9, P. G,, t. XX, col. 657, mentionne une autre lettre 
de Denys d'Alexandrie à Denys de Rome, sur Lucien, 
sans doute le prêtre d'Antioche, dont se réclamait Paul 
de Samosate; cette lettre ne nous est pas parvenue. 
• 4« Développement de VÉglise de Ronxe. — Le Liber 
pontificalis, édit. Duchesne, t. i, p. 157, d'après quel- 
que document ou quelque tradition, rapporte que De- 
nys fit une nouvelle délimitation des églises et cime- 
tières, sans doute désorganisés après la persécution 
de Valérien. Cf. Duchesne, ibid., introduction, p. c. 
Il signale aussi ses ordinations et ajoute seulement 
quecepape fut enseveli au cimetière de Calixte. 

Roatb, Beliquim êacrx, 1846, t. m ; Mansi, ConciL, t. i, 
col. 1011; JatTé-Loewenfeld, t i, p. 22; Liber pontificalis, édit. 
Duchesne, U i, p. 157 ; Hamack, Geêchichte der cUtchristlichen 
Litteratur, 1893, 1 1, p. 650; Langen, GeschicfUe der rômi»- 
chen Kirche, Bonn, 1881, p. 353; Duchesne, Histoire ancienne 
de rÉglise, Paria, 1906. 1. 1, p. 486 ; Ui. Chevalier, Répertoire. 
Biobibliographie, 2* édit., 1. 1, col. 1175. Voir l'article suivant. 

A. Clerval. 

2. DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) naquit 
dans la ville de ce nom probablement avant Tan ^00, 
de parents païens. Amené au christianisme par de 
sérieuses études, il suivit les leçons d*Origène. En 231 
ou 232, il succéda à Héraclas dans la direction de 
Técole catéchétique, et seize ans plus tard, sans cesser, 
semble-t-il, son enseignement à Técole, dans la chaire 
épiscopale. La suite de sa vie fut un enchaînement de 
combats et de souffrances. Il put se soustraire par la 
fuite à la persécution de Dèce (250-251), mais durant 
celle de de Valérien (257-260) il se vit reléguer d*abord 
à Céphro [en Libye, puis en un endroit « encore plus 
rade et libyen •, dit Eusèbe, au pays de Colluthion dans 
la Maréotide. De retour à Alexandrie en mars 262, il y 
trouva la guerre civile, la peste et la famine. 11 mourut 
pendant le premier synode d*Antioche contre Paul de 
Samosate (264-265), où ses infirmités ne lui avaient pas 
permis de se rendre. 

Le surnom de Grand, donné à saint Denys, vient 
d'Alexandrie, et peut-être lui fut-il attribué par ses I 



contemporains. En tout cas, il est déjà employé par 
saint Pierre d'Alexandrie, dans un fragment conservé 
de sa Mystagogie, P, G., t. xviii. Ce titre a été consa- 
cré par Eusèbe, //. E., 1. VU, préface, P. G., t. xx, 
col. 657. Bien qu'il fût Thomme d'action plus que de 
doctrine, saint Athanase le qualifie de xaOoXixr,; *Ex- 
xXr,<ita; 6i^i<TxaXo;. Epist. de sentent. Dionys., c. vi, 
P. G., t. XXV, col. 487. Saint Basile l'appelle xavovixôv, 
attestant ainsi son autorité et l'orthodoxie de sa foi. 
Epist., 1. II, epist. CLXXXViii, P. G., t. xxxii, col. 664. 
Il intervint énergiquement et avec succès dans les ques- 
tions qui s'agitaient alors dans l'Église, aussi décidé 
contre l'erreur que doux et prévenant pour les errants. 
Il ne publia guère que des écrits de circonstance, en 
vue d'un besoin pratique, dans un style alerte et vivant, 
non exempts d'obscurités dogmatiques, mais toujours 
animés du zèle le plus pur. Nous n'en possédons mal- 
heureusement que des fragments, la plupart sauvés 
par Eusèbe, recueillis trop incomplètement par Migne, 
P. G., t. X, col. 1233-1344, 1576-1602. Cf. Pitra, Analecta 
sacra, t. m, p. 596-598; t. n, p. xxxvi-xxxvii; frag- 
ments syriaques et arméniens, t. iv, p. 169-182, 413- 
422; cf. Prol., p. xxiii-xxv. M. Feltoe a recueilli d'une 
façon plus complète les fragments des œuvres de 
saint Denys, Aiovv<riou Xet^/ava. The Letters and other 
remains of Dionysitts of Alexandria, Cambridge, 1904. 
Il les a groupés en six catégories :,lo les lettres, parmi 
lesquelles il faut noter les cinq épltres baptismales; 
2« Ilepi ènay^eXtàiv; 3» IIcpi çvo-eo};; 4» la controverse 
avec Denys de Rome; 5» les fragments exégétiques; 
6» des .fragments divers. Il a utilisé des fragments pu- 
bliés par Holl, dans Texte und Vntersuchungen, 1900, 
t. XX, et par Sickenberger, ibid., 1902, t. xxii, fasc. 4, 
p. 62, 78-79, 82, 85, 86, 98. La liste des ouvrages de saint 
Denys a été donnée par saint Jérôme, De viris, 69, P. L., 
t. XXIII, col. 677-681. Il faut signaler la lettre à saint De- 
nys de Home, IIep\ Aovxtavoû, ri7ri<TToXirj ôiaxovixr) Ôi* 
*IinroX-jTOV, l'épltre xoîç xatt' AîyvTiTov nepl iieravo^a;, 
répitre à Conon, l'épltre éi«a6eoTixr„ la lettre à Origène, 
TCEpl (laptup^ou, etc. On ne connaît aussi que le titre du 
Livre sur les tentations, 6 ntpX Trtipadfi&v >.<Jyo;. Eu- 
sèbe, op. cit., 1. VII, c. XXVI, 2, P. G., t. XX, col. 705. 
Les livres sur la nature, o( Tcepl ^ùattaç Xdyot, Eusèbe, 
toc. cit., et Prœp. ev., 1. XIV, c. xxm-xxvii, P. G., 
t. XXI, col. 1272-1289, probablement antérieurs à l'épis- 
copat de Denys, étaient une solide réfutation du ma- 
térialisme épicurien. D'un commentaire sur les pre- 
miers chapitres de l'Ecclésiaste, i, l-iii, 11, Eusèbe, 
H. E., 1. VII, c. XXVI, 3, col. 705, qui semble de la 
même époque, une chaîne donne des fragments consi- 
dérables, certainement authentiques dans l'ensemble. 
Les Deux livres sur les promesses, itepl InayYsXt^jv 5jo 
<n>YTpâptjxaTa, Eusèbe, op. cit., 1. VII, c. xxiv-xxv, 
col. 692-704, écrits vers 253-257, étaient dirigés contre 
Népos, un évoque de la région d'Arsinoë, et sa Ré- 
futation des allégorisles. Voir Népos. Dans le 1. I«r, 
Denys combattait les rêveries millénaristes de Népos; 
il traitait, dans le 1. II«, de l'autorité de l'Apocalypse, 
composée par « un saint, inspiré de Dieu », nommé 
Jean, non toutefois par saint Jean l'évangéliste. Voir 1. 1, 
col. 1469. L'adhésion de plusieurs évéques de Libye à 
l'hérésie de Sabellius fut l'occasion du concile d'Alexan- 
drie de 261 et de la lettre à Ammonius et Euphranor; 
mais pendant qu'il ne songeait qu'à fuir l'écueil du mo- 
dalisme, Denys faillit tomber sur celui du subordinatia- 
nisme; pour exprimer avec toute la netteté possible la 
distinction personnelle du Père et du Fils, il emploie 
des termes et des comparaisons qui impliquent une 
distinction substantielle. Accusé de six erreurs auprès 
du pape saint Denys, invité par le concile romain de 
262 à se justifier, il répondit d'abord par une lettre, 
S. Athanase, Epist. de sentent. Dionysii, 4, P. G., t. xxv, 
col. 485, et ensuite plus explicitement par une Réfuta- 



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427 DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) — DENYS DE CONSTANTINOPLE 428 



tion et Apologie, eXeyxo; xa\ àicoXov(a en 4 livres, 
S. Âthanase, op. cit., 13, col. 500; Eusèbê, op. cit., 1. VII, 
c. XXIV, t,col. 704; De synodis Arimini in llalia et 
Seleucisd in Isauria celebratis, 43, P. G., t. xxvi, 
col. 769, qui contenait des déclarations absolument or- 
thodoxes au sujet de la Trinité. Saint Basile a connu 
la dénonciation de saint Denys d'Alexandrie à saint 
Denys de Rome. Il mentionne l'apologie de l'évéque 
accusé et rend justice à sa foi au sujet de la trinité. Il 
précise exactement l'erreur de Denys, mais il l'expli- 
que et partage l'opinion indulgente de saint Denys de 
Rome et de saint Athanase. De Spiritu Sancto, 72, 
P. G., t. xxxii, col. 201 ; Epist., ix, ibid., col. 269. 11 
a donc connu toute l'affaire et l'a jugée en théologien 
compétent. Denys écrivit une série de lettres relatives 
au schisme novatien et à la question des lapsi. Il exhor- 
tait Novatien et ses adhérents à se soumettre au pape 
légitime et recommandait à l'égard des tombés toute 
rindulgence possible; particulièrement belle est la lettre 
à l'antipape lui-même. Eusèbe, op. cit., 1. VI, c. xlv, 
col. 634. Dans le différend sur la validité du baptême 
des hérétiques, Denys travailla surtout à porter les 
uns et les autres à la paix. Eusèbe, op. cit., 1. VII, 
c. iv-ix, col. 641-657. L'an 264 ou 265, le vieil évêque 
écrivit à l'Église d'Antioche contre la doctrine de Paul 
de Samosate. Ibid., c. xxvii, 2, col. 705. La lettre à 
rhérétique lui-même qu'on trouve dans Mansi, Concil., 
t. I, col. 1039-108B, est une supercherie de plus des 
apollinaristes. Eusèbe a extrait des lettres pascales de 
saint Denys quelques données historiques,//. E., 1. VII, 
c. xx-xxir, col. 681-692; la lettre à Domilius et Didyme 
pour la Pâque de 251 contenait un canon pascal de huit 
années et décidait que la fête devait toujours se célé- 
brer après l'équinoxe du printemps. Ibid.lJne des let- 
tres à Basilide, évêque de la Pentapole, Eusèbe, 1. VII, 
c. XXXI, 3, col. 705, doit sa conser\'alion intégrale à cette 
circonstance qu'elle a été mise par les Grecs au nombre 
des Épitres canoniques. Routh, Reliq. sacrœ, 2« édit., 
V m, p. 219-250; Pitra, Juris eccl. Grœc. hist. et mo- 
num., t. I, p. 541-545, cf. p. 548 sq. 

La plupart -des traités de saint Denys ont été écrits 
sous forme de lettres. Eusèbe, H. E., 1. VII, c. xxvi, 
P, G., t. XX, col. 704-705. Le Ilspl (ya66àTou, comme le 
Ilepi YUfjivadtou, le ITepl çvaew; et le ri6p\ îreipao-pLoiv, 
dédié à Euphranos, étaient des lettres. 

Saint Denys a sur Tinspiration de l'Écriture les 
mêmes idées qu'Origène. Il attribue formellement l'É- 
pître aux Hébreux à saint Paul, et sur ce point, il va 
plus loin qu'Origène. Cf. Eusèbe, 1. VI, c. xxv, col. 584 
(pour Origène), et 1. VI, c. xli, col. 605, où saint Denys 
cite Heb., x, 34, avec cette introduction : IlavXo; è^iap- 
T-jpyjffE. Il est aussi témoin de la foi de l'Église au sujet 
de la présence réelle du corps et du sang de Jésus- 
Christ dans l'eucharistie : toO atopiaTo; xa\ toû aipiato; 
ToO Kup^ou Tijitov *Ir,<ToO XpKTxoO jietadx^vta. Eusèbe, 
1. VII, c. IX, col. 656. Il nous apprend aussi qu'à Alexan- 
drie la sainte eucharistie était conservée pour les ma- 
lades : ^payy tti; 6uyapi<rr\a; énâîwxev xm iraîfiapfw. 
Eusèbe, 1. Vl, c. xliv,*co1. 632. 

Bardenhewer, Les Pères de V Église, trad. Godet et Verschaffel, 
t. f, p. 283-288; Diltrich, Dionysius der Grosse von Alexan- 
drien, in-8*, Fribourg,1867; Hamack, Geschichte der altchristl. 
Litteratur, t. i, p. 409-427 ; Fœrsler, De doctrina et seritentiis 
Dionysii MagniAlexandriniy Berlin, 1865; Roch, Dionysitcs der 
Grosse ûber die Natur, Leipzig, 1882; Dictionary of Christian 
Biography, arU Dionysios of Alexandria; Benson, Cyprian, 
1897, passim ; Feltoe, The Letters and other reniains of Dio- 
nysios of Alexandria, Cambridge, 1904; Hurter, Nomencla- 
tor, 3' édit., t. i, col. 82-86; Chevalier, Répertoire. Bio-biblio- 
graphie, 2* édit., t. I, col. 1168-1169. 

C Verschaffpi 

3. DENYS DE CORINTHE (SAINT) était évêque 
de cette ville au temps du pape saint Soter (vers 166- 
174). Voir Soter. Il avait une telle réputation que les 



Églises les plus lointaines aimaient à le consulter. Eusèbe 
connaissait de lui sept épttres « catholiques i, c'est-à- 
dire adressées à des communautés diverses, et une 
lettre particulière. De la vu» épitre catholique, lettre de 
remerciement et réponse à la communauté de Rome, 
l'historien de l'Église nous a laissé de précieux extraits. 
H. E., 1. IV, c. XXIII, 10-12, P. G., t. XX, col. 383. 
Il y célèbre la charité de l'Église de Rome envers celle 
de Corinthe, col. 387. L'épltre aux r.phésiens était di- 
rigée contre le gnosticisme de Marcion. Ibid., 1. IV, 
c. XXIII, 4, ibid,, col. 381. 

Routh, Reliquim sacrx, 2' édit., t. i, p. 175-201; Bardenhewer, 
Les Pères de F Église, trad. Godet et Verschaffel, t. i, p. 242. 
Cf. Ul. Chevalier, Répertoire. Biobibliographie, 2* édit., l. i, 
col. 1174. 

C. Verschaffel. 

4. DENYS d'Andrinople, métropolitain de cette 
ville, mérite une mention dans ce dictionnaire pour le 
recueil d'homélies qu'il publia à Venise, en 1777, sous 
la surveillance de Spyridion Papadopoulos. En voici le 
titre : 'Ojiùt'ai Siaçopoi çiXoTiovrjÔeîo-ai, oGto); wç ôpûv- 
tai {cî)6e xeifievai, auvTojioi «î ic).eiou;, xal eû<rjvoitTOi, 
xipiv Tûv àTcXoudtépfiûv, in-4o, Venise, 1777. Elles sont 
divisées matériellement en deux parties, la première 
consacrée aux principales fêtes, la seconde au propre 
du temps; mais la division n'est qu'apparente. Ici 
comme là, ce sont de simples exhortations aux vertus 
chrétiennes, rédigées sobrement et prononcées par 
Denys au cours de ses visites pastorales. C. Sathas, qui 
les signale dans sa NeoeXXrjVtxYi ^ikoXoyioi, p. 610, assure 
qu'elles ont été imprimées en 1775 et en 1778 ; ces deux 
dates, comme tant d'autres fournies par ce peu scrupu- 
leux écrivain, sont absolument fausses. 

L. Petit. 

5. DENYS IV DE CONSTANTINOPLE, pa- 
triarche, auteur d'une célèbre profession de foi contre 
les erreurs calvinistes : c'est à ce titre qu'il figure ici, 
à l'exclusion des autres patriarches de même nom# 
Originaire de Constantinople, Denys Mouslim ou le 
gouverneur était simple employé du patriarcat œcu- 
ménique et étranger même à la cléricature, quand la 
faveur de Denys III, son protecteur, l'éleva sans tran- 
sition aucune à la métropole de Larissa (9 août 1662), 
que Denys III venait précisément de quitter pour le 
trône patriarcal. A la chute de Parthénius IV, le nou- 
veau métropolitain devint patriarche lui-même au mois 
d'octobre 1671. Renversé le 14 août 16T3, il réussit à 
remonter sur la chaire de Photius le 24 octobre 1676; 
il s'y maintint jusqu'au 2 août 1679. Trois fois encore 
il revint et trois fois il dut se retirer devant l'opposition 
de la clique phanariote : 31 août 1683-10 mars 1683, 
7 avril 1686-17 octobre 1687, fin 1693 pour un court 
pontificat de sept mois. Retiré en Valachie, il mourut à 
Bucarest le 23 septembre 1696 et fut inhumé au monas- 
tère de Radoulvoda. — C'est au mois de janvier 1672, 
lors de son premier patriarcat, que Denys, d'accord avec 
les patriarches démissionnaires et les membres du sy- 
node, donna sa fameuse réponse sur*les erreurs calvi- 
nistes. Elle traite, après un court préambule, du nombre 
des sacrements et de leur nature, en particulier de la 
sainte eucharistie et de la présence réelle, du baptême 
des enfants, du sacerdoce et de sa nécessité, du mariage 
et du célibat des prêtres, de l'Église orthodoxe orien- 
tale, du culte des saints et de la vénération des images, 
du jeûne, et, pour finir, des Livres saints et de leur 
nombre. Éditée pour la première fois par le bénédictin 
Michel Foucqueret à la suite du synode de Jérusalem, 
in-8<>, Paris, 1676 et 1678, cette déclaration dogmatique 
fut insérée par Hardouin, avec quelques amendements 
dans la traduction latine, au t. xi de sa collection des 
conciles, p. 273 sq., d'où elle passa dans le Supplément 
de Mansi, Concilioinim collectio, t. xxxiv b, col. 1777- 
1790 t. xxxvii, col. 453-464. On la trouve encore dans le 



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